Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je remercie le groupe écologiste de nous permettre de débattre aujourd’hui de la lutte contre l’exposition aux perturbateurs endocriniens. Il s’agit d’une question de santé publique essentielle, qui requiert l’action urgente, énergique et concertée des pouvoirs publics nationaux et européens, de la communauté médicale et scientifique, des industriels, des associations et des citoyens.
Ces substances omniprésentes dans notre environnement ont fait l’objet d’une définition par l’OMS en 2002 : « Une substance ou un mélange exogène altérant une ou plusieurs fonctions du système endocrinien et provoquant de ce fait des effets néfastes sur la santé de l’organisme intact ou sur celle de sa descendance ».
Les perturbateurs endocriniens peuvent agir de différentes façons sur un organisme pour perturber le système hormonal et entraîner des effets néfastes sur la santé : imiter une hormone naturelle, bloquer un récepteur hormonal ou modifier les processus de production et de régulation des hormones.
Ces modes d’action particuliers permettent de distinguer l’effet endocrinien de l’effet toxique « classique » sur plusieurs points.
Tout d’abord, les perturbateurs endocriniens n’ont pas directement d’effet néfaste sur une cellule ou un organe ; le temps de latence souvent constaté, qui peut être de plusieurs années, voire de plusieurs générations, rend l’effet néfaste plus difficile à détecter.
En outre, ce n’est pas la dose qui fait le poison, mais la période d’exposition : le danger est ainsi plus grand pour les femmes enceintes, les enfants de moins de trois ans et les adolescents.
Ajoutons que les perturbateurs endocriniens peuvent agir selon une relation dose-réponse non linéaire, ce qui signifie que de faibles doses peuvent avoir des effets plus importants que des doses plus élevées.
Enfin, les effets des perturbateurs endocriniens peuvent se transmettre à la descendance.
Dans une tribune publiée le 29 novembre dernier, près de cent scientifiques ont alerté l’opinion sur ce danger, dans des termes d’une particulière gravité : « Jamais l’humanité n’a été confrontée à un fardeau aussi important de maladies en lien avec le système hormonal. […] La très grande majorité des scientifiques activement engagés dans la recherche des causes de ces évolutions préoccupantes s’accordent pour dire que plusieurs facteurs y contribuent, dont les produits chimiques capables d’interférer avec le système hormonal ».
L’enjeu de santé publique est en effet immense, car nous retrouvons ces substances dans l’alimentation, dans l’eau ou dans l’air, dans les produits fabriqués, notamment dans divers plastiques, dans les cosmétiques et les produits d’hygiène, dans les produits phytopharmaceutiques, dans les biocides.
Il est dès lors presque impossible de réduire efficacement l’exposition à ces produits à un niveau individuel. La seule action durablement efficace est donc la réglementation, en amont, de l’utilisation de ces substances, avec pour objectif l’interdiction du recours aux substances identifiées comme perturbateurs endocriniens.
Ainsi le bisphénol A, le perturbateur endocrinien le plus connu du grand public, a-t-il été interdit, en France puis en Europe, dans la fabrication des biberons et, en France seulement, sur les revêtements intérieurs des boîtes de conserve.
La France s’est dotée d’une stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, élaborée par un groupe de travail réunissant l’ensemble des parties prenantes et adoptée par le Gouvernement en avril 2014. Sa mise en œuvre constitue l’une des actions phares du troisième plan national santé environnement.
Cette stratégie particulièrement ambitieuse et volontariste, qu’il faut saluer, regroupe quatre axes principaux : la recherche, la valorisation des travaux et la surveillance des effets des perturbateurs endocriniens ; l’expertise sur les substances ; la formation et l’information des professionnels et du grand public ; l’influence que la France doit exercer sur la réglementation européenne.
Les auteurs de la présente proposition de résolution nous invitent à poursuivre les efforts dans cette direction et à aller plus loin sur certains sujets, comme l’interdiction des phtalates dans les jouets. Ils préconisent également l’interdiction des pulvérisations aux abords des zones d’habitation et des écoles. Il est bon que toutes ces questions soient abordées, même si les solutions simples et radicales sont loin d’être toutes réalisables à court terme – nous y reviendrons.
Il a été beaucoup question des perturbateurs endocriniens ces dernières semaines, dans le cadre de la campagne électorale, notamment. Je souhaite pour ma part insister sur l’alinéa 15 de la proposition de résolution : le Gouvernement y est invité « à intervenir avec fermeté au niveau européen ».
En la matière, j’ai conduit de nombreuses auditions avec notre collègue Alain Vasselle, qui s’exprimera après moi. Nous avons présenté un rapport d’information sur les perturbateurs endocriniens, adopté par la commission des affaires européennes le 12 janvier dernier, ainsi qu’une proposition de résolution européenne adoptée à l’unanimité.
Permettez-moi, mes chers collègues, de profiter de ce débat pour rappeler les principales conclusions de nos travaux et pour encourager le Gouvernement, déjà expressément engagé en la matière, à déployer tous les moyens mobilisables pour que la réglementation européenne présente et future applique sans attendre le principe de précaution avec la plus grande fermeté.
Il n’existe pas de définition européenne des critères permettant de déterminer si une substance est ou non un perturbateur endocrinien.
Les règlements européens encadrant l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et des biocides prévoient une évaluation de toutes les substances entrant dans leur composition et organisent le refus d’autorisation pour les substances identifiées comme perturbateurs endocriniens.
Néanmoins, ces deux règlements ne donnent pas de critères permettant de définir un perturbateur endocrinien. La Commission européenne devait proposer une définition au plus tard en 2013, ce qu’elle n’a pas fait ; ce manquement a d’ailleurs conduit à la condamnation de la Commission par le tribunal de l’Union européenne le 16 décembre 2015. La Commission a enfin proposé, le 15 juin 2016, deux projets de textes, qu’elle a ensuite revus et modifiés, pour les présenter de nouveau le 18 novembre 2016.
Avant d’évoquer l’insuffisance de la proposition de la Commission, j’attire l’attention sur le fait que cette dernière estime qu’elle n’a pas à proposer de critères d’identification pour d’autres produits. Nous ne pouvons que déplorer que cette approche morcelée continue de prévaloir, alors qu’une réglementation globale relative aux perturbateurs endocriniens, donc un nouveau règlement européen, serait nécessaire.
La proposition de la Commission, à ce stade des discussions, exige que soient cumulativement satisfaits trois critères pour que la substance soit reconnue comme perturbateur endocrinien, donc non autorisée : celle-ci doit « montrer des effets néfastes sur un organisme sain ou sa progéniture » et « altérer le fonctionnement du système endocrinien ». En outre, « ses effets néfastes [doivent être] une conséquence du mode d’action endocrinien. »
Comme nous l’a indiqué le professeur Robert Barouki, de l’INSERM, l’Institut national de la santé et de la recherche médicale, au cours de nos auditions, très peu de substances, au regard des critères proposés, risquent d’être identifiées, car il est difficile d’établir avec certitude un lien de causalité entre la perturbation endocrinienne et l’effet néfaste sur la santé. Cela tient à plusieurs facteurs, notamment à la lenteur des procédures de reconnaissance internationale des protocoles de recherche, mais aussi à la latence existant entre l’exposition au perturbateur et la manifestation de l’effet néfaste.
La proposition actuelle de la Commission n’est pas satisfaisante ; elle ne permettra pas, en effet, l’application du principe de précaution, lequel consiste à interdire, outre les perturbateurs avérés, les substances « présumées » perturbateurs endocriniens, afin de protéger la santé publique sur la base d’un niveau de preuve « plausible » s’agissant du lien entre effet néfaste et perturbateur.
J’insiste sur ces deux adjectifs essentiels : perturbateurs « présumés » et lien de causalité « plausible » entre la perturbation endocrinienne et l’effet néfaste sur la santé. Ces termes sont repris de la proposition de résolution européenne adoptée par la commission des affaires européennes.
La prochaine réunion des experts de la Commission est annoncée au 28 février prochain ; qu’en sera-t-il, madame la secrétaire d’État ? Je rappelle que le Parlement et le Conseil ne pourront pas amender les textes de la Commission, mais seulement les adopter ou y mettre leur veto. Avec notre collègue Alain Vasselle, nous suivons la procédure avec grande attention, en maintenant un échange d’information avec les services de la Commission.
Madame la secrétaire d’État, je sais que nous pouvons compter sur la détermination du Gouvernement, en cohérence avec la stratégie nationale sur les perturbateurs endocriniens, pour promouvoir une définition ambitieuse et réellement protectrice. Quel est votre sentiment sur la suite de la procédure ? Parviendrons-nous à la mise en œuvre du principe de précaution au niveau européen ?
Vendredi dernier, dans le cadre du règlement REACH, le comité a reconnu quatre phtalates comme hautement préoccupants, à cause de leurs propriétés perturbatrices endocriniennes pour l’homme. C’est une première ! C’est encourageant, mais il reste à se défaire du discours selon lequel, en matière de perturbateurs endocriniens, comme c’est le cas pour d’autres produits toxiques, il existerait un dosage ou un niveau d’exposition non dangereux.
Si cette occasion était par malheur manquée, il serait particulièrement difficile de poursuivre isolément, au sein du marché unique européen, une stratégie française, pourtant légitime, d’interdiction et de réglementation stricte de l’utilisation des perturbateurs endocriniens. Je pense à l’interdiction des phtalates ou encore à l’engagement d’un candidat à la présidence de la République d’interdire en France l’utilisation de ces substances et l’importation des denrées utilisant ces substances interdites. Nous ne pouvons avancer isolés !
Certes, l’article 36 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne prévoit que les principes de libre circulation des marchandises et de non-restriction des importations « ne font pas obstacle aux interdictions ou restrictions d’importation, d’exportation ou de transit, justifiées par des raisons de […] protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux ». Toutefois, une interdiction globale et permanente de toute importation de biens et de marchandises serait-elle conforme au principe de proportionnalité ?
La bataille des normes au niveau européen doit être une priorité absolue, d’autant que les intérêts des industries sont organisés et puissants. Je souhaite de nouveau alerter le Gouvernement sur ce point, ainsi que sur la nécessité d’un effort d’investissement en matière de recherche et d’une coopération internationale au niveau le plus élevé, de strictes exigences d’impartialité et d’indépendance des experts devant bien sûr être respectées.
La mobilisation nationale, européenne et internationale doit être à la hauteur de l’enjeu vertigineux de santé publique qui est devant nous.
Le groupe socialiste et républicain votera la présente résolution, animé de l’esprit combatif et réaliste, mais aussi alarmiste, que je viens de manifester. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Vasselle. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je voudrais commencer par remercier Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes.
M. Charles Revet. C’est mérité !
M. Alain Vasselle. Lorsque Patricia Schillinger et moi-même avons suggéré de nous saisir du sujet des perturbateurs endocriniens, il n’a pas hésité le moindre instant avant de nous répondre : « Allez-y, travaillez sur ce thème ! ». Il s’agit désormais d’une question d’actualité, d’autant qu’au moins l’un des candidats à la présidence de la République l’évoque régulièrement.
Je remercie également Mme Archimbaud de nous permettre d’en discuter en séance publique, même si la commission des affaires européennes s’est déjà prononcée à l’unanimité, toutes sensibilités politiques confondues, sur la proposition de résolution européenne qui a inspiré au groupe écologiste la rédaction de la présente proposition, la seconde allant d'ailleurs beaucoup plus loin que la première !
M. Jean Bizet. Elle est différente !
M. Alain Vasselle. Je voudrais en quelques mots exposer mon point de vue, que partagent les membres du groupe Les Républicains. Je les représente, mais d’autres collègues de mon groupe interviendront après moi.
Limiter l’exposition aux perturbateurs endocriniens est un enjeu de santé publique important. Les règlements européens prévoient que toute substance identifiée comme perturbateur endocrinien sera interdite dans la composition des produits phytopharmaceutiques et des biocides. Encore faut-il savoir ce que l’on entend par « perturbateur endocrinien » ! Patricia Schillinger a rappelé les termes d’une définition sur laquelle M. Barbier s’est également attardé.
La Commission européenne a proposé différents critères. Ils doivent permettre l’identification des perturbateurs endocriniens dans les produits phytopharmaceutiques et les biocides. Ces critères ont été proposés dans le cadre d’un acte d’exécution et d’un acte délégué. Ces procédures limitent la compétence de la Commission à la seule proposition des critères.
Or ces critères sont, à nos yeux, bien trop restrictifs. Notre collègue Patricia Schillinger et moi-même avons donc déposé une proposition de résolution européenne pour élargir le champ des substances devant être considérées comme des perturbateurs endocriniens.
L’ANSES, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, le Gouvernement et les associations de défense de l’environnement proposent de classer les perturbateurs endocriniens en trois catégories, selon le niveau de preuve qui s’attache à leur dangerosité : perturbateurs endocriniens « avérés », « présumés » et « suspectés ». Ils recommandent l’interdiction des deux premiers, ce qui rejoint les conclusions de notre proposition de résolution, et l’adoption d’une approche différenciée fondée sur le risque pour les substances suspectées d’être des perturbateurs endocriniens.
Notre proposition de résolution demande l’interdiction des seuls perturbateurs endocriniens avérés et présumés ; celle dont nous discutons aujourd’hui va beaucoup plus loin : ses auteurs souhaitent l’interdiction des perturbateurs endocriniens suspectés.
Nous n’avons pas souhaité, quant à nous, que les substances suspectées d’être des perturbateurs endocriniens soient considérées comme telles par la Commission européenne. En effet, cela aurait entraîné leur interdiction, et tel n’est pas ce que préconise l’ANSES : lorsqu’une substance est « suspectée » d’être un perturbateur endocrinien, l’étude n’en est qu’au stade de l’identification ; elle n’est pas suffisamment détaillée et conclusive pour étayer la thèse d’un effet néfaste sur la santé et d’une perturbation de notre système endocrinien. Il n’est donc pas possible, à ce stade, de recommander l’interdiction de mise sur le marché ; il y va simplement d’une meilleure définition des conditions d’usage.
Dès lors, chers collègues du groupe écologiste, je ne peux approuver les alinéas 14 et 15 de votre proposition de résolution. En effet, l’alinéa 14 préconise une interdiction globale des pulvérisations aux abords des crèches et des écoles, sans qu’il soit tenu compte de la nature des produits pulvérisés. Cela me semble excessif et ne correspond pas à une application proportionnée du principe de précaution.
En outre, à l’alinéa 15, vous demandez au Gouvernement de lutter contre l’utilisation des substances « suspectées » d’avoir un effet perturbateur endocrinien. Or il faut distinguer, parmi les substances qui perturbent le système endocrinien, celles qui n’ont pas d’effet néfaste sur la santé et celles qui ont un effet néfaste sur la santé. À ce titre, je préconiserais plutôt de promouvoir la recherche sur ces substances, afin que nous nous assurions de leur dangerosité – ce point figure d’ailleurs dans la proposition de résolution adoptée par la commission des affaires européennes.
Par ailleurs, au stade de la simple suspicion, il faut agir avec prudence ! Une étude du cabinet Redqueen a montré que si l’on retirait du marché toutes les substances utilisées dans les produits phytopharmaceutiques et suspectées d’être des perturbateurs endocriniens, la rentabilité globale des exploitations chuterait de 40 %.
Enfin, madame Blandin, je souscris à votre analyse lorsque vous mettez en avant l’effet « cocktail » des substances chimiques, dont s’est également fait l’écho M. Barbier, et le fait que les conséquences de l’exposition aux perturbateurs endocriniens peuvent être désastreuses même à très faible dose, comme l’a rappelé Patricia Schillinger.
Ces perturbateurs ne sont donc pas des substances toxiques, mais des substances à action endocrine. L’utilisation du mot « toxicité » pour les perturbateurs endocriniens me gêne donc ; elle est inappropriée, et je préfère parler de « dangerosité ».
Mes chers collègues, nous devons œuvrer auprès de nos partenaires européens pour aboutir au plus vite à une définition des perturbateurs endocriniens permettant de protéger au mieux la santé de nos concitoyens.
Dans notre proposition de résolution européenne, nous avons retenu la définition suivante – c’est celle qui a guidé nos choix et motivé la solution à laquelle nous sommes parvenus, et sur laquelle je m’appuie pour me positionner sur la vôtre, mes chers collègues. Une substance sera identifiée comme perturbateur endocrinien si elle présente les trois caractéristiques suivantes : elle est connue ou présumée pour ses effets néfastes sur un organisme sain ou sa progéniture ; elle altère le fonctionnement du système endocrinien ; il existe un lien de conséquence biologiquement plausible entre l’effet néfaste sur la santé et cette altération du système endocrinien – c’est ce lien qui n’est pas prouvé pour les produits simplement suspectés.
Cette définition devrait s’appliquer à tous les secteurs d’activité, facilitant ainsi l’encadrement de l’utilisation des substances identifiées comme perturbateurs endocriniens. C’est l’objectif vers lequel nous devons tendre pour une application raisonnée du principe de précaution.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues du groupe écologiste, n’ayant pu amender votre proposition de résolution et ne partageant pas le point de vue qui s’exprime aux alinéas auxquels j’ai fait référence, nous ne pourrons la voter. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je ne puis que me réjouir, au nom de mon groupe, de la présentation d’une proposition de résolution visant à renforcer la lutte contre l’exposition aux perturbateurs endocriniens. Ce texte fait écho à l’inquiétude légitime et croissante d’une majorité de citoyennes et de citoyens, qui se sont d’ailleurs exprimés dans le cadre d’une pétition européenne, constatant que l’influence persistante des lobbies industriels, notamment de l’agroalimentaire, s’exerce au détriment de la santé publique.
En effet, comme cela a été dit, les perturbateurs endocriniens se trouvent dans l’alimentation, dans les plastiques, dans les produits chimiques utilisés notamment par les agriculteurs, dans les produits pharmaceutiques ou cosmétiques, dans les produits d’entretien, bref, dans tous les produits du quotidien ! S’ils ne sont pas tous des cancérogènes certains ou avérés et s’ils ne forment pas un ensemble uniforme, il n’en demeure pas moins que le principe de précaution doit pouvoir s’appliquer.
Je regrette donc l’inaction de la Commission européenne en matière de réglementation relative aux perturbateurs endocriniens et de définition de ces derniers.
La Commission a d’ailleurs été sanctionnée par le tribunal de l’Union européenne pour ce défaut de définition ; elle a finalement proposé aux États membres, le 21 décembre dernier, quelques jours seulement après sa condamnation, une définition comprenant trois critères cumulatifs.
Selon les termes de la Commission européenne, les perturbateurs endocriniens doivent donc montrer des effets indésirables sur un organisme sain ou sa progéniture ; ils doivent altérer le fonctionnement du système endocrinien ; enfin, ses effets indésirables doivent être une conséquence du mode d’action endocrinien. L’obligation de satisfaire ces trois critères a été jugée trop restrictive, car le fort niveau de preuve attendu ne sera probablement jamais atteint.
Par ailleurs, ces nouveaux critères étaient censés s’appliquer seulement aux pesticides et non aux autres secteurs de l’industrie chimique, comme ceux des emballages plastiques ou des produits cosmétiques et d’hygiène, la Commission se permettant d’introduire à cet effet une dérogation.
Constatant qu’elle ne parviendrait pas à faire adopter cette définition par les gouvernements nationaux, la Commission européenne a été contrainte de reporter le vote. Sans doute supprimera-t-elle la dérogation, soumettant néanmoins au vote les trois critères, très sélectifs et cumulatifs, que j’ai évoqués.
Comment pouvons-nous autoriser l’utilisation de substances dont les conséquences sur la santé sont – je le rappelle en citant le rapport de Mme Schillinger et de M. Vasselle – « l’augmentation du nombre de cancers du sein et de la prostate, la baisse du nombre de spermatozoïdes, la hausse des cas de diabète de type 2, de l’obésité et de l’autisme » ? Les effets d’une exposition constante à de nombreux et différents perturbateurs endocriniens sont en outre démultipliés par cet effet « cocktail ».
De surcroît, ces substances agissent par fenêtres d’exposition, périodes pendant lesquelles les personnes y sont plus vulnérables, comme l’enfance ou la grossesse. Enfin, l’effet néfaste peut y compris se manifester sur la descendance de la personne dont l’organisme a subi la perturbation.
Face à ces conséquences particulièrement graves pour la santé, mon groupe s’est positionné depuis plusieurs années en faveur d’une priorité des impératifs sanitaires de protection de la santé publique sur les intérêts économiques et d’emploi.
En France, depuis l’interdiction du bisphénol A dans les biberons en 2009 – Marie-Christine Blandin en a parlé –, la lutte contre les perturbateurs endocriniens fait l’objet d’un relatif consensus politique. Je souhaite donc, madame la secrétaire d’État, que le gouvernement français réitère son refus de la définition présentée par la Commission européenne, à défaut de pouvoir y apporter des propositions d’amendements susceptibles de la faire évoluer dans le sens d’une meilleure prise en compte de la santé publique !
Je souhaite que le Gouvernement, le 28 février prochain, réaffirme l’importance du principe de précaution.
J’en viens à nos travaux de ce jour. Je voudrais rappeler l’adoption à l’unanimité, dont je me félicite, par le Sénat le mois dernier de la résolution européenne sur les perturbateurs endocriniens dans les produits phytopharmaceutiques et les biocides, portée par nos collègues Patricia Schillinger et Alain Vasselle, sans doute pour répondre aux scientifiques qui se sont fortement fait entendre, dénonçant « la fabrique du doute » orchestrée par les industriels pour retarder l’adoption par la Commission européenne d’une réglementation plus stricte en la matière.
En effet, cette résolution appelle l’Europe à mettre en place un groupe international de scientifiques indépendants et les gouvernements à appliquer le principe de précaution aux perturbateurs endocriniens avérés et aux substances présumées.
Quant à la proposition de résolution du groupe écologiste, dont nous débattons aujourd’hui, visant à renforcer la lutte contre l’exposition aux perturbateurs endocriniens, elle s’inscrit dans la continuité de cette résolution européenne : elle invite le Gouvernement à prendre les mesures nécessaires pour lutter efficacement et rapidement contre l’exposition massive de la population aux perturbateurs endocriniens, notamment en développant la recherche universitaire et la recherche publique, et en intervenant au niveau européen pour que la définition des perturbateurs endocriniens protège la santé publique et l’environnement.
J’y vois là les conditions d’une meilleure protection de la santé publique et j’avais espéré que le Sénat, dans sa grande sagesse, voterait cette résolution, comme va le faire mon groupe, à l’unanimité, dans la continuité de notre engagement contre le bisphénol A depuis 2009. Malheureusement, mes chers collègues du groupe écologiste, je crains que cet espoir ne soit déçu ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Bizet. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean Bizet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la question des perturbateurs endocriniens est aussi sensible que complexe. Elle suscite, à l’instar des biotechnologies il y a quelques années, des débats passionnés dans la communauté scientifique, environnementaliste et politique.
Si l’existence des perturbateurs endocriniens ne fait aucun doute, il convient de relativiser leurs conséquences régulièrement mises en avant par certains sur la santé humaine.
Comme l’a excellemment souligné Gilbert Barbier, les perturbateurs endocriniens font partie du quotidien de l’homme du XXIe siècle. Pourtant jamais l’espérance de vie n’a été aussi élevée ; jamais la qualité de vie n’a été aussi bonne.
M. Jean Desessard. C’est en train de changer !
M. Jean Bizet. De nombreux perturbateurs endocriniens existent dans la nature, dont certains sont couramment utilisés.
Ainsi, le sel déversé sur nos routes en hiver modifie le sexe-ratio des batraciens… Pour autant, doit-on le classifier parmi les perturbateurs endocriniens ? Les protéines naturelles de soja et de légumineuses sont très riches en phytoœstrogènes. Doit-on aussi les considérer comme des perturbateurs endocriniens ? Madame la secrétaire d’État, si l’on vous offre un bouquet de trèfles, fussent-ils à quatre feuilles, méfiez-vous, car ils contiennent des phytoœstrogènes !
Les produits phytosanitaires sont eux aussi largement controversés. Là encore, il faut savoir raison garder. Ces substances n’ont pas été inventées pour s’attaquer à l’homme, mais au contraire pour servir de médicaments aux plantes, qui doivent se défendre contre les prédateurs. Cessons de vouloir systématiquement les discréditer !
Les méthodes naturelles sont certes séduisantes, mais elles ne sont pas toujours possibles. Des concentrations importantes en métaux lourds sont retrouvées dans des argiles. C’est la preuve que la nature n’est pas toujours aussi douce que l’on veut bien nous le faire croire. Quant aux mycotoxines existant naturellement dans certains végétaux en fonction des variations climatiques, sont-elles réellement préférables aux perturbateurs endocriniens ?
L’interdiction récente du bisphénol A dans les biberons, les boîtes de conserve et les tickets de caisse a montré que les solutions alternatives ne permettaient pas de faire de miracle : pis, dans cet exemple précis, les produits de substitution candidats disponibles – bisphénol S ou F – se sont révélés au moins aussi toxiques que le bisphénol A et même bien plus persistants que lui dans l’environnement. Le bisphénol F contient en effet du fluor, le plus puissant des halogènes !
Ainsi, la mention se voulant rassurante pour le consommateur « Ne contient pas de BPA », est désormais devenue un élément d’angoisse lié à la question : « Par quoi le BPA a-t-il été remplacé ? » Cette expérience malheureuse nous montre qu’une interdiction immédiate et globale de ces substances est irréaliste en l’absence de produits de remplacement ayant fait la preuve de leur efficacité et de leur innocuité.
Cette collusion entre lanceurs d’alerte médiatisés et une certaine frange du personnel politique à la recherche d’une image de marque positive est une situation bien française, qui ne manque pas de surprendre beaucoup de nos partenaires européens.
Pourquoi vouloir à tout prix tracer une frontière entre le monde scientifique et le monde de l’industrie ? Les deux doivent, au contraire, travailler ensemble pour parfaire leurs connaissances respectives et développer une approche pluridisciplinaire, inhérente à ce type de problématique.
Notre pays doit apprendre à faire confiance à la science. Il doit aussi apprendre à se méfier des approximations et de la rhétorique « complotiste » des ONG environnementalistes, qui s’en prennent toujours aux intérêts économiques, mais jamais aux intérêts idéologiques.
S’il est impératif de dénoncer les « marchands de doute », qui cherchent à nier des risques clairement établis, il faut aussi traquer avec la même rigueur les « marchands de soupçons », qui laissent subsister des inquiétudes contraires aux connaissances scientifiques.
Il importe aussi d’établir de meilleures relations entre les différentes agences des États membres. On pourrait imaginer une seule agence européenne dans le domaine environnemental et sanitaire, qui s’appuierait sur une sélection d’experts ad hoc dans chaque pays. Cela mettrait fin aux interrogations récurrentes sur l’influence des gouvernements à l’égard de leur agence nationale. Madame la secrétaire d'État, on n’oserait imaginer que le rapport de l’ANSES sur ce sujet corresponde en fait à une commande politique de certains ministres ! Quoique…
Il me paraît donc nécessaire de s’appuyer sur une vision européenne et une expertise communautaire, afin d’harmoniser les expertises et d’éviter les distorsions. Il pourrait aussi être intéressant de créer un groupe de travail de type du groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, le GIEC, sur ce problème, à l’image de ce qui a été fait pour le climat et que recommandent avec pertinence nos deux collègues Patricia Schillinger et Alain Vasselle, que je tiens à saluer, dans leur récent rapport, adopté à l’unanimité par la commission des affaires européennes. Voilà pourquoi je souhaiterais que nous abordions ce débat en l’élargissant sur le plan communautaire et international.
Je ne voterai pas ce texte, comme la plupart de mes collègues du groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)