M. le président. Il faut conclure, monsieur le rapporteur.
M. François Grosdidier, rapporteur. Pour conclure, j’indique que la commission mixte paritaire a introduit un article 6 nonies rétablissant le délit de consultation habituelle de sites incitant à la commission d’actes de terrorisme ou en faisant l’apologie, une disposition qui avait été sanctionnée par le Conseil constitutionnel. Pour que le délit soit constitué, la consultation habituelle devra être accompagnée d’une « manifestation de l’adhésion à l’idéologie exprimée » sur ces sites, ces termes constituant la stricte reprise de ceux utilisés par le Conseil constitutionnel dans sa décision.
Voilà pourquoi je vous invite, mes chers collègues, à approuver ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. René Vandierendonck applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bruno Le Roux, ministre de l'intérieur. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, hier, les députés ont adopté le projet de loi relatif à la sécurité publique tel qu’issu des travaux de la commission mixte paritaire. Je m’en réjouis moi aussi, tout comme je me suis réjoui de l’adoption de ce texte en première lecture par le Sénat le 24 janvier dernier.
D’une manière générale, ce projet de loi, qui a recueilli une large majorité au sein des deux chambres, est le résultat d’un débat constructif, apaisé et marqué par le sens de l’intérêt général. À cet égard, je veux d’emblée remercier le rapporteur, François Grosdidier, pour le travail remarquable qu’il a réalisé, très en amont, de même que le président Philippe Bas et l’ensemble des membres de la commission des lois, tout particulièrement René Vandierendonck, pour leurs contributions et leurs apports importants au texte. Je veux également remercier l’ensemble des sénateurs qui ont participé à nos échanges et les orateurs des différents groupes pour la qualité du débat qui a eu lieu entre nous, même si un certain nombre de divergences ont pu être exprimées.
Encore une fois, je veux souligner l’esprit républicain qui a prévalu lors de l’examen du projet de loi, ici, au Sénat, comme à l’Assemblée nationale. De même, je veux saluer le travail réalisé par la commission mixte paritaire pour que nous puissions aboutir à un texte consolidé faisant consensus entre les deux chambres. Un objectif comme celui-là, que nous nous étions fixé dès le début de nos discussions, n’est pas toujours atteignable. Je me félicite donc que nous y soyons parvenus.
L’ensemble de ce travail nous a permis d’adopter le texte, en conservant l’équilibre fondamental sur lequel le Gouvernement avait souhaité qu’il repose. Là aussi, je m’en réjouis et vous en remercie.
Ce projet de loi s’inscrit dans la continuité des lois précédemment votées, dans celle aussi des mesures prises depuis 2012 par le Gouvernement en vue de renforcer les moyens humains, matériels et juridiques dont disposent les forces de l’ordre pour accomplir leurs difficiles missions. Comme vous, je sais d’ores et déjà qu’il nous faudra réévaluer en permanence les outils juridiques et les moyens mis à la disposition de nos forces de sécurité. C’est pourquoi cet esprit républicain devra s’efforcer de perdurer au sein des assemblées parlementaires, quoi qu’il se passe et quels que soient les choix faits par nos concitoyens.
Le projet de loi relatif à la sécurité publique, je l’ai dit à plusieurs reprises, se veut précisément une réponse adaptée aux difficultés croissantes d’exercice du métier de policier, de gendarme et, plus généralement, de dépositaire de l’autorité publique, dans un contexte où la violence qui prend pour cible les représentants de l’État a désormais franchi un palier que nul ne saurait contester. Ce contexte-là, il nous fallait en tenir compte, et c’est ce que nous avons fait.
Les engagements pris par le Gouvernement le 26 octobre 2016 en faveur des policiers et des gendarmes sont tenus. En effet, le plan pour la sécurité publique repose sur un triptyque : un pilier matériel – le plan d’investissement de 250 millions d’euros –, un pilier juridique – le projet de loi sur la sécurité publique – et un troisième pilier, non normatif, qui tient lui aussi compte des concertations inédites menées au sein de la police et de la gendarmerie et qui inclura plusieurs mesures concernant le management et la reconnaissance du travail accompli. Je rendrai ces mesures publiques le 27 février prochain, et elles seront d’application immédiate au sein de la gendarmerie et de la police nationale. Je le répète, les engagements pris sont donc tous tenus.
C’est ainsi que nous répondrons aux difficultés auxquelles les forces de l’ordre sont confrontées au quotidien. C’est ainsi que nous leur apporterons la confiance, la reconnaissance, la sérénité qu’elles méritent et dont elles ont besoin pour accomplir leur devoir de façon plus apaisée. À cet égard, vous comprendrez que je dise quelques mots du contexte immédiat dans lequel nous nous trouvons depuis maintenant quelques jours.
À Aulnay-sous-Bois, des actes d’une gravité et d’une violence aussi intolérables qu’exceptionnelles ont été commis sur un jeune homme par des policiers dans l’exercice de leurs fonctions. Ces actes, je les ai immédiatement condamnés ; les quatre policiers incriminés ont été immédiatement suspendus. La justice a été saisie, et il lui revient – et à elle seule ! – d’établir très clairement et sans aucune ambiguïté les conditions de l’interpellation qui a donné lieu à ces actes inacceptables, ainsi que de qualifier ces actes.
Je veux de nouveau rappeler, avec solennité et gravité, le devoir d’exemplarité qui doit guider l’action des forces de sécurité, même et surtout lorsque la force et la contrainte légitimes doivent être employées. C’est dans le rapport respectueux entre la population et les forces de l’ordre que notre pacte républicain puise, et doit puiser, sa force. Il n’y a pas d’alternative. Cela signifie que les forces de l’ordre doivent être exemplaires et irréprochables, et tout comportement qui n’obéit pas aux règles de l’éthique et de la déontologie est sanctionné. Car c’est aussi cela, l’État de droit !
Donc, oui, les forces de l’ordre doivent être irréprochables ! Mais il n’est pas question de faire le moindre amalgame et de jeter l’opprobre sur toute une institution, pilier de la République. Il y a aujourd’hui près de 250 000 membres des forces de sécurité – police et gendarmerie – dans notre pays ; je pourrais y ajouter les effectifs de police municipale, qui agissent également dans le respect total de l’État de droit. Encore une fois, je ne veux pas que le comportement de certains jette l’opprobre sur l’ensemble de ces forces qui, dans leur quasi-totalité, font leur travail dans un esprit tout à fait républicain, alors qu’elles accomplissent leurs missions dans des conditions souvent éprouvantes pour elles-mêmes et leurs familles, et quelquefois au péril de leur vie.
Les violences urbaines commises en région parisienne et prenant pour cible des policiers, des véhicules, des bâtiments publics ou bien des commerces sont absolument intolérables. Je veux ainsi rendre hommage aux effectifs mobilisés pour les opérations de maintien de l’ordre public. Notre fermeté ne souffrira d’aucun relâchement. À chaque fois que des faits de ce type sont commis, je demande qu’il soit procédé à toutes les interpellations nécessaires afin de préserver la tranquillité et la sécurité auxquelles nos concitoyens aspirent.
L’enquête judiciaire ouverte après les actes commis à Aulnay-sous-Bois doit se poursuivre dans la sérénité, dans un climat apaisé. Je tiens à le dire, alors qu’un nouveau rassemblement est prévu aujourd’hui à Bobigny : la vérité des faits doit être précisément établie par la justice, dans la transparence et sans la moindre ambiguïté. Il n’est besoin d’aucune violence pour aider la justice à travailler, bien au contraire, et il n’est pas question de tolérer le moindre manquement à cet égard.
Je reviens à présent au projet de loi tel qu’il a été voté, en respectant l’équilibre que nous souhaitions. J’insiste sur cette notion d’équilibre, qui a été au cœur de nos discussions. En prenant connaissance, dans la presse, de certaines prises de position, je me demande d’ailleurs si leurs auteurs ont bien pris la peine de le lire et de suivre les travaux préparatoires et les travaux du Parlement.
Je veux souligner les six axes qui structurent ce texte.
Le premier est la modernisation et l’unification du cadre d’usage des armes guidées par les principes dégagés par la jurisprudence. Je n’y reviens pas, si ce n’est pour indiquer que l’application du 1° de l’article L. 435-1 du code de la sécurité intérieure aux agents de police municipale est, je crois, un point final satisfaisant pour tout le monde.
Le deuxième axe est la protection accrue des dépositaires de l’autorité publique au travers de la préservation de leur identité, et ce dans des conditions strictes et sous le contrôle des autorités judiciaires saisies des procédures. L’ultime version de l’article 2 concilie parfaitement, selon moi, les différentes exigences qui devaient être prises en compte.
Le troisième axe est le renforcement des peines pour certaines atteintes à l’autorité publique et, plus largement, au service public, avec des apports importants introduits au Sénat et à l’Assemblée nationale.
Le quatrième axe est l’adaptation de certaines dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, qui vient finaliser les textes adoptés au cours du quinquennat. Je le répète, je suis convaincu qu’en la matière une évaluation permanente est nécessaire afin que ceux qui menacent notre territoire et nos concitoyens n’aient pas d’avance sur nous, que ce soit sur le plan des technologies qu’ils utilisent ou sur celui des moyens mis en œuvre. Il nous faudra adapter sans cesse notre réponse afin de pouvoir lutter contre leurs techniques, démanteler leurs filières et contrer leurs méthodes.
Le cinquième axe est l’évolution de certaines missions de l’administration pénitentiaire dans un souci de complémentarité avec les forces de sécurité intérieure.
Enfin, le sixième axe est la complémentarité accrue des différents acteurs de la sécurité, avec le souci permanent de ne jamais induire de confusion dans les rôles et les missions de chacun.
Je tiens à dire devant vous, monsieur le rapporteur, car vous connaissez bien ce sujet du fait de votre engagement au niveau national et de l’excellente coordination que vous avez su mettre en place, dans la ville que vous dirigez, entre les forces de sécurité nationales et les forces de police municipale, que ce texte a été une nouvelle fois l’occasion de les remercier et de valoriser leur travail.
Nous avons eu des débats. Je pense, pour ma part, que la position de l’État était juste au regard des demandes émanant du terrain. Je ne suis pas certain qu’un État incarné différemment demain apporterait une réponse différente de la nôtre aux sollicitations formulées sur ces questions de police municipale. Au nom du Gouvernement, je veux vous dire la grande confiance que nous avons dans le travail réalisé par les forces de sécurité sur le terrain. L’État a un besoin absolu de s’appuyer sur elles, car elles concourent à la réalisation de l’objectif global de protection du territoire et de nos concitoyens partout où elles opèrent. Je tenais, là aussi, à le dire devant vous, monsieur le rapporteur, connaissant votre investissement dans ce domaine.
Pour conclure, mesdames, messieurs les sénateurs, je veux de nouveau me féliciter de l’esprit de rassemblement et de consensus avec lequel nous avons œuvré collectivement sur ce projet de loi. Ce faisant, nous avons contribué à garantir et à sanctuariser ce que j’appelle « le socle de sécurité » nécessaire à notre pays. Il y a bien sûr entre nous des points de vue différents, des approches diverses, mais nous pouvons nous retrouver sur l’essentiel ; c’est ce que nous avons fait avec ce texte. Encore une fois, je vous en remercie ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, ainsi qu’au banc de la commission.)
M. Didier Guillaume. Bravo, monsieur le ministre !
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis le début de la vague d’attentats que connaît notre pays, les forces de sécurité sont chaque jour mises à rude épreuve. Particulièrement exposés, certains policiers l’ont payé de leur vie ; je pense aux deux agents de la police nationale à Magnanville, le 13 juin 2016, ou encore à Clarissa Jean-Philippe, policière municipale à Montrouge, tuée en 2015 par Amedy Coulibaly.
Dans ce contexte de menace terroriste sans précédent dans notre pays, il était indispensable de s’interroger sur le régime juridique de l’usage des armes par les forces de sécurité, non seulement par les policiers et les gendarmes, mais aussi par les douaniers et les militaires déployés sur le territoire national dans le cadre de l’opération Sentinelle.
Bien entendu, la question de l’usage des armes face à cette menace terroriste sans précédent devait être revue. Pour autant, dans notre République, il ne saurait être question d’envisager un usage plus laxiste, d’abandonner nos principes de droit : il faut à la fois permettre aux forces de l’ordre de se défendre – c’est évident – et respecter les règles que nous nous sommes fixées, qu’elles soient d’ordre constitutionnel ou conventionnel.
La réflexion sur ce sujet a été marquée, cela a été rappelé, par deux rapports importants : celui de M. Guyomar, en juillet 2012, mais surtout celui de Mme Cazaux-Charles, rendu en novembre 2016. Leur analyse est convergente. Tous deux regrettent, d’une part, l’absence de lisibilité de ce régime d’usage des armes et, d’autre part, l’absence de cadre commun et spécifique aux policiers et aux gendarmes.
Soumis à de fortes pressions, les fonctionnaires de la police nationale et les militaires de la gendarmerie nationale doivent, dans le feu de l’action, prendre des décisions extrêmement rapides dont les conséquences peuvent avoir de fortes répercussions. Cette réalité est parfois tragiquement mise en lumière par l’actualité.
Notre législation devait donc évoluer afin de renforcer leur protection et de clarifier certaines situations dans lesquelles l’imprécision des textes est une source de confusion pour les agents comme pour les juges.
Les régimes d’usage des armes sont aujourd’hui trop hétérogènes.
Les agents de la police nationale sont soumis aux dispositions de droit commun fixées par le code pénal concernant la légitime défense.
Sur le papier, le régime dont bénéficient les militaires de la gendarmerie nationale est plus large. Il est défini par le code de la défense, qui reprend les dispositions d’un décret de 1903, elles-mêmes héritées du XIXe siècle… Ces dispositions leur permettent d’employer la force armée lorsque des violences ou des voies de fait sont exercées contre eux. On est donc loin de la légitime défense applicable aux policiers !
Récemment, le législateur a amorcé une évolution avec la loi du 3 juin 2016 renforçant la lutte contre le crime organisé, le terrorisme et leur financement. Cette loi a autorisé les policiers, les gendarmes, les douaniers et les militaires déployés sur le territoire national à faire usage de leur arme en cas d’« absolue nécessité », s’ils sont confrontés à un « périple meurtrier », afin de prévenir tout risque de réitération lors d’une tuerie de masse.
On nous propose aujourd’hui d’aller un peu plus loin, ou plutôt, on nous propose de regarder le régime des armes dans sa globalité et de le faire évoluer de manière unifiée et cohérente. Cette évolution, dans la rédaction issue de la commission mixte paritaire, nous paraît opportune et raisonnable. Nous espérons qu’elle s’accompagnera d’une formation renforcée à l’usage des armes de nos forces de sécurité et d’un entraînement régulier, qui est son corollaire indispensable.
Les dispositions relatives à la protection de l’anonymat des agents intervenant dans les procédures pénales et douanières prévues à l’article 2 nous paraissent nécessaires dans la mesure où il s’agit, encore une fois, d’assurer à nos agents la protection à laquelle ils ont droit dans le cadre de leur mission.
Je voudrais profiter de mon intervention pour évoquer un article passé un peu plus inaperçu, introduit à la faveur d’un amendement du député Gosselin : l’article 10 ter, qui vise à relancer l’expérimentation d’un dispositif de protection électronique des victimes de violences conjugales, tel que prévu par la loi du 9 juillet 2010.
Monsieur le ministre, je vous ai écrit à ce sujet en décembre dernier, ainsi qu’à Mme Laurence Rossignol. Ma saisine reste sans réponse à ce jour, un oubli sans doute…
Il me paraît en effet intéressant de reprendre cette expérimentation qui, dans la pratique, n’a pas pu être réellement testée comme cela était initialement prévu. Si je regrette que le périmètre proposé dans l’article 10 ter reste identique à celui adopté en 2010, je souhaite que l’expérimentation puisse, cette fois-ci, vraiment avoir lieu sur le terrain. Le système proposé le mérite : il correspond au type de protection demandé par les victimes, à savoir celui visant à empêcher leurs agresseurs de s’approcher d’elles. Des pays voisins l’ont mis en place avec un réel taux de réussite. Je vous serais reconnaissant d’œuvrer après promulgation de ce texte à sa mise en place opérationnelle.
Par ailleurs, notre groupe se réjouit que la disposition visant à réduire le nombre d’assesseurs siégeant à la cour d’assises spéciale ait été confirmée par la commission mixte paritaire.
Pour terminer, je veux dire un mot sur le délit de consultation de sites internet djihadistes.
Le Conseil constitutionnel a censuré la semaine dernière une disposition que nous avions introduite dans la loi du 3 juin 2016. Vous le savez, l’opportunité de créer un tel délit est débattue au Sénat et à l’Assemblée nationale de manière régulière depuis 2012. Je me félicite que la commission mixte paritaire nous ait permis de réintroduire ce dispositif que j’estime indispensable.
Mme Catherine Troendlé, vice-présidente de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Très bien !
M. Yves Détraigne. Chacun sait ici le type de propagande que l’on peut trouver sur ces sites. Leur toxicité n’est plus à démontrer. Nous ne pouvons pas nous contenter de savoir que ces écrits sont une composante d’autres incriminations pénales : nous devons punir le simple fait de consulter régulièrement ces sites, sauf lorsque l’on s’aperçoit que cette consultation est le fait d’un journaliste, d’un chercheur. Le dispositif adopté en commission mixte paritaire répond aux critiques formulées par le Conseil constitutionnel et permettra d’assurer une répression efficace.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, monsieur le ministre, notre groupe votera en faveur de l’adoption des conclusions de la commission mixte paritaire. Ce texte constitue un cadre indispensable pour protéger les agents qui sont chargés d’assurer la sécurité de nos concitoyens au quotidien, mission d’autant plus périlleuse du fait de la menace terroriste qui pèse sur notre pays. (Applaudissements sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour débattre du projet de loi, tel qu’issu des travaux de la commission mixte paritaire, relatif à la sécurité publique. L’examen de ce texte, qui constitue la réponse législative du Gouvernement à la mobilisation des policiers à la suite de l’attaque de Viry-Châtillon, en Essonne, intervient dans un contexte particulier que nul ne peut ignorer.
Il y a quinze jours, Théo, vingt-deux ans, a été gravement blessé lors d’une opération de contrôle à Aulnay-sous-Bois. Il affirme avoir été victime d’insultes racistes, de coups et avoir subi un viol. Hospitalisé, opéré en urgence, il s’est vu prescrire soixante jours d’incapacité totale de travail.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire, ces faits terribles ne doivent pas être utilisés pour jeter l’opprobre sur l’ensemble d’une profession, sur ces hommes et ces femmes dévoués à leur tâche et qui font parfois l’objet, on l’a vu, d’attaques d’une violence inouïe. Toutefois, l’affaire Théo et les répercussions qu’elle a eues dans toute la société doivent nous interroger. Avons-nous œuvré, en tant qu’hommes et femmes politiques, en tant que législateur, à protéger nos concitoyens des violences policières ? Avons-nous pris des mesures efficaces pour restaurer la confiance brisée entre la population et sa police ? Le constat est plutôt négatif, et notre responsabilité collective est, je crois, engagée.
Les attentats, le tout-sécuritaire réclamé sur bien des bancs de l’Assemblée nationale et des travées du Sénat, ont abouti à une interdiction de parler de certaines défaillances chez nos forces de l’ordre, à un véritable tabou. Qui aura tenté de rappeler la nécessité d’un récépissé pour les contrôles d’identité, ce que nous avons fait ici aux côtés de nos collègues communistes ? Qui aura plaidé pour le retour d’une véritable police de proximité ? Qui aura réclamé plus de transparence de l’usage des armes par les forces de sécurité ? Ceux qui l’ont fait ont été accusés, parfois avec outrance, d’avoir osé exprimer de la défiance envers des forces de l’ordre dont l’unique objectif serait de nous protéger des terroristes.
Éric Ciotti, bien connu pour sa mesure en toutes circonstances,…
M. Roger Karoutchi. Sa modération ! (Sourires.)
Mme Esther Benbassa. … a même réclamé il y a quelques jours encore que les manifestations contre les violences policières soient interdites. En effet, pour certains, les violences policières, cela n’existe pas !
Nous parlons aujourd’hui d’encadrer les circonstances dans lesquelles les policiers pourront utiliser leurs armes et de l’usage que police et gendarmerie font de la force publique dont ils sont dépositaires.
Dans un tel contexte, la première des choses est de s’atteler, me semble-t-il, à faire la lumière sur un certain nombre d’éléments. C’est un des combats que mène l’ONG ACAT France depuis des années. Ainsi, pendant dix-huit mois, ACAT a réalisé un état des lieux des violences policières en France. Au terme de son enquête, elle a publié un rapport intitulé L’ordre et la force pour briser le silence autour de cette question.
Ce rapport, qui repose sur l’analyse de quatre-vingt-neuf cas d’utilisation excessive de la force par la police et la gendarmerie, met en évidence dans quelles conditions, avec quelles méthodes et quelles armes sont commises les violences policières. Au regard du bilan humain découlant de l’utilisation de certaines armes, Flash-Ball et Taser notamment, et des gestes d’immobilisation, c’est probablement leur usage qui devrait être réformé et encadré plus strictement.
Ce rapport met également en évidence la relative impunité dont bénéficient les forces de l’ordre puisque, sur les quatre-vingt-neuf situations examinées, seules six ont fait l’objet de condamnations au jour de sa conclusion.
Comme le résume très bien le rapport, « difficulté de déposer plainte, d’obtenir une enquête effective, disparition d’éléments probants, déclarations manifestement mensongères des forces de l’ordre, durée excessive des procédures pénales, menace de condamnation pour outrage et rébellion… Obtenir justice est souvent un parcours du combattant. Lorsque les agents sont condamnés, les sanctions sont faibles au regard d’autres condamnations pénales prononcées en France. » Les images de l’arrestation de Théo, les constatations médicales surtout et son témoignage ont empêché les habituelles contestations des faits et remises en question de la personnalité de la victime.
Beaucoup doit être fait pour endiguer les phénomènes violents de part et d’autre ainsi que pour restaurer la confiance entre police et population. Le texte qui nous est soumis aujourd’hui ne nous semble être ni un facteur d’apaisement ni la garantie d’une protection des forces de sécurité comme des citoyens. En conséquence, la majorité du groupe écologiste s’y opposera.
M. le président. La parole est à M. René Vandierendonck.
M. René Vandierendonck. Mon premier mot sera pour témoigner, monsieur le ministre, que vous avez constamment recherché le consensus républicain lors de l’examen de ce texte. Votre mérite est d’autant plus grand que la procédure législative a été concomitante à de graves affaires : Viry-Châtillon, Carrousel du Louvre, Aulnay-sous-Bois.
Vous l’avez dit, les policiers – pas plus que les hommes politiques d’ailleurs – ne sont en rien exemptés du respect de ce que je considère être comme la plus belle disposition de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : la loi est la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse. Ces métiers doivent être marqués par l’exemplarité.
Je remercie le rapporteur de la commission des lois qui, depuis le début, fait preuve d’une grande qualité d’écoute et le félicite d’avoir permis l’obtention du consensus qui a débouché sur un accord lors de la commission mixte paritaire.
Monsieur le ministre, vous avez rappelé – je n’y reviendrai donc pas – le contexte de la préparation de ce texte. La réflexion sur les évolutions du droit en vigueur concernant l’usage des armes par les forces de sécurité dans l’exercice de leurs missions était absolument nécessaire et très attendue par les personnels de police qui sont – tous les orateurs l’ont dit – extrêmement sollicités dans le contexte lié aux attentats et exposés à des risques croissants et de plus en plus violents.
Le projet de loi est une réponse à la demande légitime de protection exprimée par les fonctionnaires de police. Il concerne plusieurs volets, notamment l’usage des armes par les forces de l’ordre et la protection de l’identité des enquêteurs. Ces évolutions juridiques prennent tout leur sens au regard de l’autre pilier qui a été mis en place, à savoir le renforcement continu des moyens humains et matériels des forces de police de notre pays. Je le rappelle, le plan de sécurité annoncé par le Gouvernement le 26 octobre dernier prévoit 250 millions d’euros supplémentaires.
Avec mon collègue Jacques Bigot, et en parfaite entente avec le rapporteur, nous avons reçu, en tant que représentants du groupe socialiste, les organisations syndicales de policiers nationaux et de la magistrature pour alimenter notre réflexion sur l’examen du texte. Je tiens à souligner l’équilibre des dispositions obtenues lors du débat parlementaire ainsi que la qualité de l’étude d’impact, comme je vous l’ai déjà dit, monsieur le ministre.
Sur l’usage des armes, la rédaction de l’article 1er me semble à la fois conforme aux attentes des policiers nationaux et équilibrée. Comme le Conseil d’État le précisait dans son avis sur le projet de loi, l’alignement du cadre d’usage des armes pour toutes les forces de l’ordre de l’État est tout à fait justifié par le rapprochement des conditions d’intervention des policiers, gendarmes, douaniers et militaires sur le terrain. Les forces de police et de gendarmerie sont de plus en plus mobilisées pour des opérations de sécurité de même nature, et donc exposées à des risques similaires.
La nouvelle rédaction de l’article 1er issue des débats parlementaires s’appuie sur les travaux préalables de Mme Hélène Cazaux-Charles et, j’insiste sur ce point, présente toutes les garanties exigées par les jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme et de la Cour de cassation, notamment celles qui sont relatives aux conditions d’absolue nécessité et de proportionnalité. L’article décrit d’ailleurs précisément les situations dans lesquelles les forces de sécurité peuvent faire usage de leur arme.
Je me permets d’insister sur l’importance de la mise en place, une fois ce projet de loi voté, de la formation initiale et continue des agents de police. Cela ne se résume pas à favoriser l’entraînement et à augmenter le nombre de cartouches tirées. Il faut que cette simulation du cadre d’intervention aille de pair – cette exigence doit être prévue dans le référentiel de formation – avec une bonne compréhension des règles juridiques.
J’en viens aux policiers municipaux.
Nous sommes d’accord avec la proposition du rapporteur d’étendre le régime de légitime défense aux policiers municipaux tout en l’encadrant de manière stricte. Il s’agit, pour nous, d’une question de reconnaissance de leur rôle effectif dans le maintien de l’ordre public et la prévention des troubles à l’ordre public.
La mission d’information sur les polices municipales menée en 2012 avec mon collègue François Pillet a permis d’appréhender la diversité des territoires. Tenant compte de réalités locales diversifiées, le recours à l’armement dépend d’une doctrine d’emploi qui ne peut être uniforme puisqu’elle est arrêtée par le maire. Nous avons largement débattu de cette question.
L’armement apparaît nécessaire lorsque les policiers municipaux interviennent ponctuellement comme forces supplétives de la police ou de la gendarmerie. Cette condition doit être assortie d’un cadre contractuel – les fameuses conventions de coordination – et d’un accès à la boucle d’informations. Sur le terrain, face à des opérations de cette nature, il faut une autorité fonctionnelle unique qui garantisse la cohérence de l’intervention. Nous n’avons cessé de plaider en faveur de cet encadrement strict.
Je veux mettre en exergue deux autres dispositions de ce texte relatives aux polices municipales.
La première est aussi une forme de reconnaissance. Des représentants de polices municipales m’ont fait remarquer que, contrairement à elles, les forces de sécurité privée sont autorisées à faire des palpations. Sur proposition du groupe socialiste du Sénat, un amendement a été adopté pour permettre aux policiers municipaux affectés à la sécurité d’une manifestation sportive, récréative ou culturelle de procéder à des palpations de sécurité. C'est un progrès !
Par ailleurs, nous avons défendu la recherche systématique de la mutualisation des polices municipales dans un cadre intercommunal. C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, je veux saluer le fait que vous ayez accepté à l'Assemblée nationale un amendement de Francis Vercamer visant à étendre le cadre de la mutualisation des polices municipales entre plusieurs communes. Cela n’a l’air de rien, mais cela signifie, en pratique, que des communes rurales qui, seules, ne pourraient recourir à une police municipale pourront y avoir droit dans un cadre mutualisé.
La seconde disposition, qui est plus importante que le fameux récépissé, est relative au décret de décembre dernier sur les conditions de l’expérimentation de l’usage de caméras individuelles par les agents de police municipale dans le cadre de leurs interventions. Cette mesure, qui constitue un progrès, a été réalisée dans un cadre consensuel.
Je veux maintenant évoquer la procédure d’identification administrative des enquêteurs. Tout le monde le sait, le nombre d’infractions constatées sur des forces de sécurité publique s’est fortement accru, de 16 % entre 2011 et 2015.
Je suis satisfait du compromis trouvé à l’occasion de la commission mixte paritaire. Ainsi, le critère des trois ans d’emprisonnement pour les procédures délictuelles a été conservé. De plus, la commission mixte paritaire a ouvert la possibilité pour l’agent de bénéficier des dispositions relatives à l’anonymat pour des délits punis de moins de trois ans d’emprisonnement lorsque, en raison de circonstances particulières dans la commission des faits ou de la personnalité des personnes mises en cause, la révélation de l’identité de l’agent est susceptible de mettre en danger sa vie ou son intégrité physique ou celles de ses proches. Ce dispositif prévu à l’article 2 permet de concilier protection, respect des droits de la défense et simplicité de la procédure.
Pour finir, j’évoquerai trois mesures importantes.
L’Assemblée nationale, qui est à l’origine de la première, a proposé des ajustements à la loi de 1955 sur l’état d’urgence, notamment sur les modalités d’assignation à résidence, l’information du parquet et l’alignement des horaires de perquisitions administratives sur ceux des perquisitions judiciaires.
Par ailleurs, sur proposition du président de la commission des lois, Philippe Bas, la commission mixte paritaire a rétabli le délit de consultation habituelle de sites internet incitant à la commission d’infractions terroristes ou en faisant l’apologie, disposition qui a été censurée le 10 février dernier par le Conseil constitutionnel dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité. Le Conseil constitutionnel a jugé, de façon assez péremptoire, que cette mesure « n’était ni nécessaire, ni adaptée, ni proportionnée ».
Tirant les conséquences de cette décision, le président Bas a proposé une rédaction qui définit l’infraction en assortissant la consultation des sites djihadistes de la condition d’une manifestation d’adhésion à l’idéologie exprimée et d’une définition plus précise du motif légitime susceptible d’empêcher la répression de ce délit. J’ai voté en faveur de cette disposition, car personne ne comprendrait que nous ne rétablissions pas, en conformité bien évidemment avec les préconisations du Conseil constitutionnel, cette disposition.
Enfin, notre groupe voudrait saluer une disposition passée « en sourdine », si je puis dire : la création du volontariat militaire d’insertion, permettant à des jeunes d’effectuer des missions de sécurité civile, pour une durée de six à douze mois. Nous en suivrons l’évolution, mais les premiers résultats montrent que ce dispositif parvient à insérer 75 % des jeunes, même en grande difficulté, qui bénéficient de ce dispositif hybride, mi-militaire mi-professionnel. Je tenais à terminer sur ce point, qui constitue un motif surabondant justifiant le vote du texte par le groupe socialiste, qui est très satisfait du compromis qui a été trouvé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Yves Détraigne applaudit également.)