Mme Françoise Gatel. En préambule, je voudrais rappeler que la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi Égalité et citoyenneté n’a pas refusé d’examiner un amendement, mais, au même titre que pour d’autres, a fait valoir l’impossibilité de le discuter en raison de sa nature de cavalier législatif.
L’amendement n° 2 rectifié bis présente la solution, madame la ministre, madame la rapporteur, que je vous propose. Il s’agit de reconnaître l’existence d’un délit potentiel, mais en le positionnant sur le plan civil et non pas sur le plan pénal, car, à mon sens, on ne peut pas assimiler des violences physiques imposées à une personne à une expression librement consultée sur un site.
Cet amendement vise à nous préserver des contradictions présentes dans ce texte, notamment en matière de liberté d’expression et de respect du droit européen.
Enfin, comme l’a recommandé la commission des lois, il tend à établir une proportionnalité des peines.
M. le président. L’amendement n° 3, présenté par Mme Jouanno, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Après l’article L. 2223-2 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 2223-2-…. ainsi rédigé :
« Art. L. 2223-2-… – Est punie des peines prévues à l’article L. 2223-2 la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de présentations faussées ou d’indications de nature à induire intentionnellement en erreur sur les caractéristiques ou les conséquences médicales d’une interruption volontaire de grossesse. »
La parole est à Mme Chantal Jouanno.
Mme Chantal Jouanno. Cet amendement est différent du précédent, ce qui reflète les différences de positions au sein de notre groupe, en même temps qu’une volonté partagée de trouver des solutions.
Avec cet amendement, nous ne nous situons pas dans le cadre du délit d’entrave, mais proposons de créer un nouveau délit passible des mêmes sanctions. Nous utilisons une terminologie proche de celle du droit de la presse pour définir ce délit, lequel vise spécifiquement les présentations faussées, c’est-à-dire les sites dont la présentation est faussement officielle et qui, reflétant, certes, une opinion propre, orientent, sous prétexte de neutralité, des femmes qui pensent avoir affaire à un site officiel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Stéphanie Riocreux, rapporteur. Madame Gatel, vous proposez, par l’amendement n° 2 rectifié bis, une nouvelle rédaction de la proposition de loi afin de créer un régime distinct de la mise en cause dans le cadre de la responsabilité civile. En conséquence, vous sollicitez la modification de l’intitulé de la proposition de loi.
Le délit d’entrave à l’IVG par pression psychologique existe depuis 2001 et protège déjà les femmes qui souhaitent s’informer sur l’IVG en se rendant dans un centre habilité à réaliser cette intervention.
Nous avons fait le choix, hier, de préciser le dispositif existant plutôt que de créer de nouveaux régimes de mise en cause. Rappelons que, comme toutes les peines pénales, la peine prévue par l’article L. 2223–2 est une peine maximale et qu’il revient au juge de la moduler en fonction des circonstances et de la gravité de l’infraction.
Par ailleurs, il est déjà possible, pour toute personne qui porte plainte, de se constituer partie civile dans le cadre d’une affaire pénale.
Dans ce texte, l’expression en tant que telle n’est pas visée ; elle l’est seulement si elle constitue une pression psychologique visant à entraver un droit. Il serait donc sage de ne pas ajouter une nouvelle forme de mise en cause.
C’est pourquoi, par cohérence avec nos travaux de commission, je vous suggère de retirer cet amendement ; à défaut, l’avis de la commission serait défavorable.
L’amendement n° 3, déposé par Mme la présidente de la délégation aux droits des femmes, vise à introduire un nouvel article dans le code de la santé publique afin d’étendre les sanctions prévues à l’article L. 2223–2 aux présentations faussées ou volontairement trompeuses sur l’IVG. Cet amendement tend donc à faire sortir du délit d’entrave la communication d’informations faussées ou susceptibles d’induire en erreur sur l’IVG, tout en conservant les mêmes sanctions.
La commission a fait le choix de préciser le dispositif actuellement en vigueur en matière de délit d’entrave. Nous estimons qu’il est préférable, pour la clarté du droit, de réunir l’ensemble des dispositions répressives relatives à l’entrave à l’IVG dans un article unique.
C’est pourquoi je propose le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Laurence Rossignol, ministre. L’amendement n° 2 rectifié bis vise en réalité à dépénaliser ce que nous cherchons à pénaliser, à savoir l’entrave à l’IVG par le biais des sites internet et des informations en ligne ainsi que des numéros de téléphone vert, en en faisant non pas un délit, mais un acte relevant d’une amende civile.
Je salue votre contribution, par laquelle vous vous inscrivez dans notre démarche commune visant à limiter la nuisance de ces sites. Toutefois, elle me pose deux problèmes.
Le premier a trait à la cohérence juridique. Le délit d’entrave existant déjà, celui ou celle qui ferait pression sur une femme dans la salle d’attente d’un centre d’orthogénie ou d’une association s’exposerait à une sanction pénale, alors que le fait de le faire sur internet ou par téléphone ne serait puni que d’une sanction civile. Le délit existe : son auteur encourt des sanctions pénales, et il nous faut rester dans ce cadre.
Le second concerne la proportionnalité des peines. La peine prévue dans le code de la santé publique en matière de délit d’entrave est proportionnelle à la faute. Un délit d’entrave étendu relèvera exactement de la même peine.
L’avis du Gouvernement sur cet amendement est donc défavorable.
L’amendement n° 3 présente à mon sens un problème de rédaction.
Je suis moi aussi préoccupée par la constitutionnalité, et sur le plan du droit pénal, le juge constitutionnel est exigeant. Dans le texte de votre amendement, madame Jouanno, le « but dissuasif » disparaît. Or le caractère intentionnel d’un acte est une condition importante de la sécurité du droit pénal. Je ne suis donc pas certaine que cette rédaction soit plus efficace que celle de l’Assemblée nationale.
Cependant, comme il s’agit d’une rédaction en cours d’élaboration, je m’en remets à la sagesse du Sénat.
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre, pour explication de vote.
M. Jacques Legendre. Je veux apporter un témoignage. Cette discussion me rappelle un des premiers débats parlementaires que j’ai eu à vivre : justement le débat sur la loi Veil. J’étais à l’époque un jeune député. Je me souviens que, ce qui nous avait amenés à voter ce texte – car je l’ai voté –, c’était le souhait de faire en sorte que les femmes soient complètement informées, à la fois de ce que pouvait représenter une IVG, des risques qu’elle pouvait leur faire courir et des possibilités qu’il pouvait y avoir, si elles en décidaient ainsi – sans pression –, de garder l’enfant qu’elles attendaient.
C’est bien le problème de l’information qui se pose. Il me semble que nous sommes engagés dans un débat un peu aventureux. Il existe d’un côté des sites qui se proposent de ne montrer que ce qui est négatif et dangereux, et qui, c’est vrai, peuvent être tentés de dissimuler leur visage, ce qui n’est pas honnête ; de l’autre, un besoin d’information.
On peut tout de même s’étonner, madame la ministre, que les gouvernements successifs n’aient pas tenu à disposer d’un site officiel présentant toutes les données du problème, d’une manière aussi honnête et exhaustive que possible. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Jacques Legendre. Il existait d’autres moyens que de faire délibérer le Parlement sur ce point pour apporter cette réponse.
Je partage l’analyse de M. Leleux : nous allons trop vite et nous risquons de mélanger l’interdiction d’exprimer une opinion et la nécessité de délivrer une information claire et honnête. Je souhaite que l’on renvoie ce débat à un moment où l’on pourra l’aborder de manière plus complète et plus sereine.
En l’état actuel des choses, je ne voterai pas ce texte.
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto, pour explication de vote.
M. François Zocchetto. Des membres de notre groupe proposent deux amendements, démontrant ainsi que nous cherchons à faire progresser la réflexion et à proposer des solutions sur un sujet qui est bien réel.
Michel Mercier, rapporteur pour avis de la commission des lois, a clairement rappelé que la loi de 1975 avait créé un droit, celui, pour chaque femme, d’être libre de pratiquer une IVG ou non. Le problème, on le connaît bien, c’est l’effectivité de ce droit et de cette liberté.
S’agissant d’internet, je ne crois pas à la pénalisation. Le débat revient presque tous les mois dans cette enceinte, sur de multiples sujets. Force est de constater qu’en l’état actuel de notre réflexion, nous ne sommes pas capables de proposer des solutions, parce qu’internet est un phénomène mondial qui se joue des réglementations locales, a fortiori des réglementations pénales. Internet est un vaste marché qui, malheureusement, n’est régi que par ce que certains appellent « les forces de l’argent ».
Nous proposons donc d’encadrer le champ de la responsabilité civile et de guider le juge sur ce chemin en lui donnant des instruments plus précis et en lui permettant, en particulier, de statuer par la voie du référé. Je vous demande vraiment, mes chers collègues, d’étudier avec beaucoup d’attention cette proposition, parce qu’elle est juridiquement solide, applicable et qu’elle peut produire des effets très rapidement.
En effet, non seulement les victimes pourraient saisir le juge – je mesure la complexité que cela pourrait représenter –, mais toute association constituée régulièrement jouirait également de cette faculté. Ce serait beaucoup plus efficace.
Telles sont les raisons pour lesquelles je demande à mes collègues de voter cet amendement n° 2 rectifié bis présenté par Françoise Gatel. (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle. Mes chers collègues, nous allons devoir nous prononcer non pas sur le texte qui vient de l’Assemblée nationale, mais sur celui qu’a élaboré la commission des affaires sociales.
En commission des lois, nous nous sommes demandé si celui-ci allait être opérant, juridiquement parlant. C’est une des raisons pour lesquelles certains d’entre nous ont trouvé particulièrement intéressant l’amendement présenté par Mme Gatel, qui apportait une réponse rapide à la situation à laquelle nombre de femmes risquent de se trouver confrontées, puisque personne ici ne met en cause le droit qui leur a été reconnu en 1975.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois, et le rapporteur pour avis, M. Michel Mercier, ont été très clairs. Dans sa rédaction actuelle, le texte de la commission des affaires sociales ne permettrait pas la caractérisation de la faute, rendant ainsi le dispositif inopérant.
Cela signifie que nous nous contentons d’une opération d’affichage, ou que nous exprimons la volonté de dissuader tous ceux qui seraient tentés de communiquer sur le sujet par internet, mais sans avoir l’assurance qu’une procédure judiciaire débouchera à terme sur une condamnation.
C’est une des raisons pour lesquelles je partage l’avis, exprimé par plusieurs d’entre nous, selon lequel travailler dans l’urgence sur un sujet aussi sensible et aussi complexe constitue une erreur magistrale. Jacques Legendre l’a rappelé, l’urgence, c’est d’attendre, afin que nous puissions approfondir les dispositions législatives les plus pertinentes pour atteindre votre objectif, ce que ne permettra malheureusement pas le texte dans sa rédaction actuelle.
Compte tenu, par ailleurs, de son caractère à la fois inconstitutionnel et inconventionnel, la commission des lois s’est majoritairement prononcée contre le texte de la commission des affaires sociales. Je me joindrai à ce vote d’opposition.
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour explication de vote.
Mme Patricia Schillinger. J’ai écouté les arguments des uns et des autres, qui, souvent, vont plus loin que le texte. Aujourd’hui, nous devons voter un texte rédigé et adopté par la commission des affaires sociales. Le groupe socialiste soutient entièrement ce texte, justement amendé par Mme la rapporteur.
Je doute de la sincérité de certains ici qui veulent reporter le débat. Les associations « hors la loi » qui nous écoutent le font sans doute avec plaisir, car elles doivent avoir le sentiment qu’elles pourront continuer durant des semaines, voire des mois, à détourner de l’IVG toutes ces femmes « perdues ».
Nous sommes des législateurs, nous devons imposer un cadre et dire que cela suffit. Il nous revient de responsabiliser ceux qui, grâce à la nouvelle méthode des sites, propagent des informations mensongères.
Le groupe socialiste soutiendra la rapporteur et votera contre ces amendements.
M. le président. La parole est à Mme Françoise Gatel, pour explication de vote.
Mme Françoise Gatel. Je remercie Mme la ministre de reconnaître que nous avons essayé de trouver une voie.
Mon amendement pose deux problèmes à Mme la ministre, mais la réponse de Mme la rapporteur m’en pose deux également !
La loi existante permettrait, selon elle, de reconnaître un délit. Dans ce cas, pourquoi fait-on une loi ?
En outre, Mme la rapporteur rappelle qu’un juge peut moduler la sanction. Toutefois, si l’on encourt une sanction pénale, c’est-à-dire une possible peine de prison, on peut moduler entre zéro et deux ans. En France, en se rendant coupable d’un délit d’entrave ciblé sur l’IVG, on risquerait donc la prison pour l’expression d’une opinion !
Je maintiens mon amendement, qui vise à trouver une voie sécurisée et non politicienne, tout en reconnaissant le problème existant.
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli, pour explication de vote.
M. Hugues Portelli. Il me semble que la principale faute que pourrait commettre notre assemblée ce soir serait de terminer ce débat sans texte, en votant contre celui qui nous est soumis et donc en laissant pour seul document le texte voté par les députés. Nous sommes une grande majorité à penser qu’il est vraiment – je suis désolé, madame la ministre ! – contraire à la Constitution comme à la Convention européenne des droits de l’homme.
M. Hugues Portelli. C’est mon métier, et j’ai de bonnes raisons de croire que c’est le cas. Si vous lisiez la jurisprudence, vous le sauriez !
En revanche, le texte voté par la commission des affaires sociales supprime beaucoup des inconvénients du texte voté par les députés.
Mme Nicole Bricq. C’est vrai.
M. Hugues Portelli. Même si je ne suis pas tout à fait d’accord avec ses dispositions, il est nettement meilleur.
M. Philippe Kaltenbach. Il faut donc le voter !
M. Hugues Portelli. Nous ne sommes pas encore prêts à voter un texte définitif, mais nous devons montrer notre bonne volonté et laisser les voies ouvertes pour qu’à l’occasion des lectures suivantes nous puissions améliorer ce texte et lui donner une tenue juridique un peu plus sérieuse.
M. Philippe Kaltenbach. C’est une position raisonnable.
M. Hugues Portelli. Je voterai donc le texte de la commission des affaires sociales, même si je sais qu’il n’est pas parfait. Au moins, il évite des erreurs juridiques graves et laisse la porte ouverte à des améliorations futures.
De toute façon, madame la ministre, si par malheur les députés revenaient à leur texte initial et le votaient – c’est leur droit, puisqu’ils auront le dernier mot –, le Conseil constitutionnel et nos juridictions de droit commun, quand nous serons amenés à travailler sur les décrets d’application, nous diront qui avait raison sur le plan juridique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Je partage en partie ce que notre collègue vient de dire. Je crois que nous avons toutes et tous essayé d’améliorer le texte de l’Assemblée nationale pour permettre aux femmes qui cherchent des informations fiables sur les conditions de l’interruption volontaire de grossesse d’en trouver.
Monsieur Vasselle, les arguments d’autorité que vous assénez me semblent extrêmement présomptueux. À vous seul, vous avez l’air de représenter le Conseil constitutionnel. C’est tout de même un peu fort !
Par ailleurs, nous ne cherchons pas à favoriser les poursuites pour délit d’opinion, mais à sanctionner la désinformation voulue. Or la modification apportée par la rapporteur est de nature à sécuriser la proposition de loi, raison pour laquelle, je l’ai dit, le groupe communiste républicain et citoyen y est favorable.
Permettez-moi de vous faire part de mes interrogations concernant l’amendement présenté par Mme Gatel. Je ne porte pas de jugement, et j’observe qu’il procède d’une volonté d’essayer de trouver une solution, mais j’ai sous les yeux un communiqué de presse publié par les sites intentionnellement malhonnêtes qui ont été mis en cause par des orateurs sur différentes travées – ivg.net, sosbebe.org, etc. –, dans lequel ces derniers se réjouissent de l’amendement de Mme Gatel. Cherchez l’erreur ! (Mmes Nicole Bricq et Patricia Schillinger opinent.)
L’amendement de Mme Gatel n’est pas de nature à répondre à la problématique, et c’est pourquoi il me semble préférable de sécuriser la proposition de loi en votant le texte issu des travaux de la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et sur quelques travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Ce matin, la commission des affaires sociales a auditionné le futur président du CCNE, le Comité consultatif national d’éthique. Le climat était serein, constructif. Cet après-midi, en séance publique nous entrons, si je puis dire, dans les travaux pratiques, sur un sujet important qui en appelle à la conscience de chacun.
Oui, il y a un sujet d’éducation sexuelle. J’ai pu le constater en visitant le centre du service militaire volontaire de Montigny-lès-Metz, dont la caporal-chef me disait qu’elle devait elle-même revenir sur les fondamentaux, car les jeunes filles de dix-huit, dix-neuf ou vingt ans ne les connaissent pas forcément.
Un problème est posé, mais le texte n’y répond véritablement ni dans la version issue des travaux de l’Assemblée nationale – Mme la rapporteur l’a dit dans son intervention – ni dans la nouvelle rédaction proposée par la commission des affaires sociales qui, malgré les efforts de notre rapporteur, n’est pas réellement opérationnelle.
Dans cette nouvelle version, l’on comprend bien que « par tout moyen » vise, notamment, le téléphone. Mais les conversations n’étant pas enregistrées, comment prouver une volonté d’entrave ?
La question qui me taraude est celle de l’effectivité. J’ai rejoint cette assemblée depuis seulement deux ans, mais j’ai pu observer combien elle avait à cœur de légiférer avec sagesse, sans la pression de l’actualité qui s’exerce à l’Assemblée nationale et dans sa salle des Quatre colonnes.
À cet égard, l’argumentation développée par Michel Mercier en commission comme dans cet hémicycle me paraît particulièrement pertinente. Rappelant l’évolution du délit d’entrave, il a montré que ce texte introduisait une rupture par rapport au délit d’entrave tel qu’il a été conçu initialement, c'est-à-dire en lien avec un établissement.
Certes, le contexte évolue, mais nous sommes dans un monde complexe qui appelle une réponse forcément complexe. Gardons-nous d’essayer à tout prix d’apporter l’apparence d’une solution en votant un dispositif qui ne serait pas opérationnel.
Je ne voterai pas le texte, et je pense que notre assemblée s’honorerait si elle choisissait de poursuivre ultérieurement le débat, avec toutes les parties prenantes, afin de trouver une réponse précise, adaptée et effective.
M. le président. La parole est à M. Philippe Bas, pour explication de vote.
M. Philippe Bas. Il n’y a pas un texte meilleur ou plus mauvais que l’autre. Le texte adopté par l’Assemblée nationale et celui que propose la commission des affaires sociales ont des objets différents.
Le texte de l’Assemblée nationale porte sur les sites internet. Le texte de la commission des affaires sociales ne porte pas sur les sites internet, mais simplement sur des actions qui visent, par menace, pression ou intimidation, à dissuader d’avorter, quel que soit le lieu de ces actions. Ce sont deux sujets différents.
Le Gouvernement nous dit vouloir viser les sites internet. Pourtant, il se rallie à une proposition faite par la commission des affaires sociales qui ne les vise nullement. Il faut choisir : soit on veut viser les sites internet, et alors il faut opter pour le texte de l’Assemblée nationale ou l’une de ses variantes – je salue la créativité juridique de Mme Gatel, notamment –, et alors on se heurte à une difficulté juridique constitutionnelle ou conventionnelle qu’il est en notre pouvoir, à nous, sénateurs, d’abolir ; soit on rentre dans un débat sur les pressions, intimidations et menaces de toute nature, en tout lieu, à tout moment et par tout moyen qui peuvent dissuader une femme de recourir à l’IVG, mais c’est alors un tout autre débat.
Je partage le sentiment de beaucoup de mes collègues que, dans de telles conditions d’improvisation, une telle législation a de fortes chances de rater sa cible. Ce qui nous a différenciés dans tout ce débat n’est nullement le fond du problème, c'est-à-dire l’accès à l’IVG, mais une discussion sur le droit. C’est la noblesse de notre assemblée de se prononcer en droit. Le rapporteur pour avis de la commission des lois et le président de la commission des affaires sociales l’ont fait, et je crois qu’il faut nous tenir à cette approche.
Pour cette raison, je ne souscris à aucun des amendements proposés et je voterai contre la proposition de loi dans sa version retenue par la commission des affaires sociales. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Michel Raison, pour explication de vote.
M. Michel Raison. J’ai bien entendu toutes les explications de vote sur l’amendement n° 2 rectifié bis. Bien que, par certains aspects, il puisse sembler contestable sur le plan juridique, pour ma part je le voterai.
Je tiens à dire que personne n’a jamais remis en cause l’IVG au sein de notre groupe.
Madame la ministre, je note que le site du ministère de la santé ne met pas assez l’accent sur ce qu’est réellement l’IVG. Des psychiatres m’ont affirmé que l’on peut constater, trois, quatre, cinq ans après, des déprimes graves liées à une interruption de grossesse. Il faut souligner que l’IVG n’est pas un acte anodin, que c’est quelque chose de grave et que ce n’est pas une méthode de contraception.
Cela n’enlève rien à mon opposition aux sites mensongers derrière lesquels des associations anti-IVG se masquent et contre lesquels il faut en effet que nous luttions, raison pour laquelle je voterai l’amendement de notre collègue Françoise Gatel.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour explication de vote.
Mme Catherine Deroche. Permettez-moi d’insister sur le fait que nous avons eu trois versions successives du texte, et même une quatrième avec l’amendement de Mme Gatel. Cela montre bien dans quelle précipitation l’on nous demande de légiférer et les difficultés de s’exprimer de façon claire par rapport au problème que posent ces sites internet. On ne peut pas en toute responsabilité dire qu’une version est meilleure que l’autre.
Par ailleurs, je ne partage pas du tout l’avis de notre collègue Hugues Portelli, qui préconise que nous adoptions le texte de la commission des affaires sociales parce que, finalement, il n’y a rien dedans. Ce n’est pas ce que nous souhaitons !
La majeure partie de notre groupe demeure sur notre position initiale : toutes les versions successives ont leurs inconvénients, que Michel Mercier et Philippe Bas ont très bien montrés, et elle votera contre chacune d’elles.
M. le président. La parole est à M. Philippe Kaltenbach, pour explication de vote.
M. Philippe Kaltenbach. À ce stade du débat, je crois que l’on peut noter qu’il y a des points de convergence sur toutes les travées.
Le premier est que l’IVG est un droit, et que ce droit doit être maintenu. Le deuxième est que nous sommes tous attachés à la liberté d’opinion, et que personne ne saurait la remettre en cause. Enfin, le troisième est que nous sommes tous d’accord pour dénoncer les actions, que l’on peut qualifier d’escroqueries intellectuelles, entreprises à partir de sites internet auprès de personnes en situation de grande fragilité pour les amener à changer leur choix initial.
Ce n’est certes pas facile, mais, puisque nous sommes d’accord sur le constat, nous devons collectivement trouver une solution pour lutter contre les actions inacceptables de ces sites qui utilisent le contact créé par internet pour faire pression sur des femmes en détresse par des appels téléphoniques, des SMS ou des mails.
L’Assemblée nationale a proposé une solution que nous jugeons juridiquement dangereuse et susceptible d’être censurée par le Conseil constitutionnel. La commission des affaires sociales et la rapporteur ont fait une nouvelle proposition qui permet, me semble-t-il, de lever ce risque d’inconstitutionnalité tout en apportant une solution à une grande partie du problème soulevé par ces sites.
Alors qu’aujourd'hui le délit d’entrave ne s’applique que lorsque les personnes font pression physiquement dans les centres qui pratiquent l’IVG, la rédaction de la commission permettra à la justice d’intervenir en cas de pressions psychologiques par téléphone, par mail ou par SMS. C’est déjà un progrès considérable.
Je souscris pleinement à l’argumentaire de notre collègue Hugues Portelli. Si nous voulons lutter contre les personnes qui cherchent à utiliser la détresse des femmes pour faire passer des messages, nous devons voter le texte issu des travaux de la commission.
Les amendements nos 2 rectifié bis et 3 sont contradictoires. La logique veut que nous les rejetions afin de soutenir la position de la commission des affaires sociale, ce qui permettra de continuer le débat. (Mmes Nicole Bricq et Patricia Schillinger applaudissent.)
M. le président. La parole est à Mme Évelyne Yonnet, pour explication de vote.
Mme Évelyne Yonnet. Je remercie Mme la rapporteur d’avoir essayé de trouver le meilleur compromis.
Notre rôle, en tant que législateur, est de protéger les plus faibles, de leur donner une information correcte, droite et utile.
Nous ne traitons pas seulement des sites internet, mais également de l’entourage de ces femmes. Personne n’en parle ici, mais « par tout moyen » renvoie également à cela.
La désinformation a pour conséquence, mes chers collègues, que des enfants mort-nés sont trouvés dans les poubelles, que des infanticides de plus en plus nombreux sont commis, par des hommes comme par des femmes, d’ailleurs.
Nous ne pouvons pas laisser la situation en l’état. Il nous faudra légiférer non seulement sur l’IVG, mais également sur la santé, sur les sites djihadistes, sur les jeux qui mènent des enfants au suicide. L’information doit être précise, et elle doit être la meilleure possible pour que la personne puisse juger et faire son choix elle-même ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)