M. Jean Desessard. Bravo, monsieur Gattolin !
M. André Gattolin. Serions-nous condamnés à l’impuissance ? Pour ma part, j’ai déjà déposé des amendements d’appel en ce sens.
Il me semble que la première difficulté tient à la concentration de la discussion budgétaire en un temps extrêmement réduit. Pour la première lecture, le Sénat ne dispose que de vingt jours, très denses, qui ne permettent pas un travail serein. De plus, la vision d’ensemble que ce délai réduit était censé permettre n’est en fait qu’une illusion : les mesures d’équilibre sont éclatées entre le projet de loi de finances, le projet de loi de financement de la sécurité sociale et le projet de loi de finances rectificative de fin d’année, ce dernier étant systématiquement détourné de sa fonction première de rectification de l’année en cours.
Il conviendrait donc de respecter strictement la distinction entre le projet de loi de finances de l’année suivante et le projet de loi de finances rectificative de l’année en voie d’achèvement. Il faudrait également encadrer un minimum le droit d’amendement gouvernemental. Par exemple, il n’est pas acceptable que le CICE ait pu être introduit par un amendement déposé à l’Assemblée nationale le jour même de son examen.
De plus, afin d’alléger la discussion de l’automne, de nombreuses mesures d’ampleur pourraient très bien trouver leur place dans des projets de loi de finances rectificative présentés en cours d’année. Je pense notamment au prélèvement à la source, à la réforme de la DGF ou à la création du compte d’affectation spéciale « Transition énergétique ».
Une deuxième difficulté tient à la monopolisation des ressources de l’État par le Gouvernement. Des institutions comme le Conseil d’État ou la Cour des comptes devraient être davantage au service du pouvoir de contrôle exercé par les chambres, comme c’est le cas chez nombre de nos voisins.
Il en va de même pour les données. Malgré plusieurs mètres linéaires annuels de documents budgétaires, il reste impossible de retracer précisément les changements de périmètre d’une mission sur plusieurs années ou de procéder à de simples calculs d’impact de réformes fiscales. La quasi-exclusivité dont dispose le Gouvernement sur les données d’État n’est pas acceptable.
Enfin, la troisième grande difficulté tient bien sûr à l’article 40 de la Constitution. Je me garderai bien d’en ébaucher une réforme en si peu de temps. Toutefois, je crois que ni la jurisprudence, qui a bourgeonné au fil du temps, ni le principe des compensations intra-mission, qui n’ont que peu de sens politiques, ne sont satisfaisants.
Il ne s’agit ici, je le reconnais, que de quelques pistes de réponse à un véritable problème de fond. Le nombre d’amendements budgétaires déposés chaque année, si élevé par rapport à celui de nos voisins, est probablement l’un des symptômes des faibles pouvoirs budgétaires de notre Parlement.
Nous espérons donc que vous aurez à cœur, monsieur le rapporteur général, en cohérence avec le raisonnement que vous nous présentez, de porter ces débats au sein du Sénat.
En attendant, parce que nous pensons que les arguments politiques ont vocation plus à alimenter le débat parlementaire qu’à l’interdire, le groupe écologiste s’opposera à cette question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du RDSE. – Mme Éliane Assassi applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Philippe Dallier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi tout d’abord de vous faire part de notre étonnement, pour ne pas dire plus, face au comportement de nos collègues socialistes, qui se sont donnés hier en spectacle – aujourd'hui, ils font manifestement relâche –, pour s’opposer au dépôt de cette question préalable.
Certes, ils sont dans un jeu de rôles que nous comprenons parfaitement, bien que cela ne justifie en rien les termes utilisés hier à l’encontre du président du Sénat et de notre institution, que nous affaiblirions. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.) En la matière, nous n’avons aucune leçon à recevoir de ceux qui l’ont tellement affaiblie entre 2011 et 2014 ! (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
Dois-je vous rappeler ensuite que cette motion de procédure n’a rien d’exceptionnel pour une loi de finances ? À l’Assemblée nationale, entre 2007 et 2012, le groupe socialiste a déposé, chaque année, une motion de rejet préalable contre chacun de nos projets de loi de finances. Le groupe Les Républicains, depuis qu’il est dans l’opposition, fait de même.
Ici, au Sénat, où vous aviez la majorité, vous avez rejeté, en mars 2012, et par le même moyen, sans débat, le projet de loi de finances rectificative. Quant à nos collègues du groupe CRC, ils ont agi de manière identique, en 2014, pour rejeter votre projet de loi de finances pour 2015 !
Mme Éliane Assassi. Nous avions débattu des recettes !
M. Philippe Dallier. Jusqu’alors, c’est vrai, nous n’avions pas fait ce choix et nous avions essayé d’amender les projets de budget.
Mais, cette année, son examen attentif par la commission des finances et les autres commissions, examen auquel nous avons consacré neuf semaines, nous a conduits à la conclusion que ce budget était trop insincère pour que nous puissions nous prêter à votre jeu. (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Votre budget est un budget électoraliste, qui ouvre les vannes de la dépense publique en reportant la facture à plus tard ; nous ne l’acceptons pas.
Monsieur le secrétaire d’État, lors de la discussion générale qui s’est tenue jeudi dernier, vous réclamiez un débat argumenté et chiffré. Dont acte !
Votre hypothèse de croissance, personne n’y croit, ni le Haut Conseil des finances publiques, ni le consensus des économistes, ni même, peut-être, vous-même ! Elle entraîne une surestimation des recettes, évaluée par la commission des finances du Sénat entre 3,5 milliards et 6 milliards d’euros.
À cela, il faut ajouter vos tours de passe-passe sur les recettes : certaines, qui auraient dû être perçues en 2018, le seront en 2017, ce qui permet de gonfler artificiellement leur montant. En voici la liste : 500 millions d’euros de majoration d’acomptes d’impôt sur les sociétés, 100 millions d’euros de majoration d’acomptes de la TASCOM, la taxe sur les surfaces commerciales, 200 millions d’euros d’acomptes de TASCOM ajoutés par les députés, 400 millions d’euros d’acomptes de prélèvement forfaitaire. Le total atteint 1,2 milliard d’euros ! (Olé ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Une estimation prudente, tenant compte d’une hypothèse réaliste de croissance, sans perception de recettes par anticipation, conduit donc à minorer vos prévisions de recettes : il manque de 4,7 milliards à 7,2 milliards d’euros.
Mais ces tours de passe-passe budgétaires ne se limitent pas aux recettes. S’agissant des dépenses, vous avez modifié le pacte de responsabilité, pour transformer en crédits d’impôt, payables en 2018, des mesures qui devaient initialement impacter le budget 2017.
Et ce n’est pas tout ! Vos nouvelles promesses, dont le caractère électoral n’échappe à personne, seront presque exclusivement financées dans le cadre des budgets pour 2018 et les années ultérieures. Il y en a pour 10,3 milliards d’euros : excusez du peu !
En voici le détail : 1,12 milliard d’euros de montée en charge de la baisse de l’impôt sur les sociétés, qui passera de 331 millions d’euros en 2017 à 1,45 milliard d’euros en 2018 ; 1,6 milliard d’euros de hausse du CICE, le crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi ; 1,67 milliard d’euros de crédit d’impôt pour la transition énergétique ; 1,1 milliard d’euros de crédit d’impôt pour les services à la personne ; 600 millions d’euros de crédit d’impôt pour les associations ; 2 milliards d’euros annoncés, pour 2018, au titre du troisième programme d’investissements d’avenir, sans aucun crédit de paiement pour 2017 ; 1,16 milliard d’euros au titre du plan de lutte contre la surpopulation carcérale, sans aucun crédit de paiement pour 2017 ; 150 millions d’euros, sur les 250 millions annoncés, pour la police et la gendarmerie ; enfin, sur le milliard d’euros annoncé par François Hollande, en octobre dernier, pour la rénovation urbaine – les banlieues ont été les grandes oubliées de votre quinquennat, monsieur le secrétaire d’État ! –, seuls 100 millions d’euros de crédits sont inscrits pour 2017.
MM. Éric Doligé et Charles Revet. Incroyable !
M. Philippe Dallier. À ces 10,3 milliards d’euros de dépenses reportées en 2018 s’ajoutent des dépenses largement sous-estimées pour 2017.
La recapitalisation d’Areva, à hauteur de 2 milliards d’euros en 2017, aura aussi des incidences sur le solde public, non prises en compte dans le projet de budget. Les sous-budgétisations des missions sont par ailleurs récurrentes, s’agissant notamment des opérations extérieures, pour au moins 500 millions d’euros – nous nous sommes vus expliquer, en commission des finances, qu’il était tout naturel de ne pas estimer les OPEX à leur coût réel ; il y a là, tout de même, une drôle de manière d’apprécier les exigences de la LOLF !
Quant à l’hébergement d’urgence, les choses vont certes mieux cette année – vous avez rebasé quelque peu les crédits –, mais les crédits inscrits en projet de loi de finances sont d’ores et déjà inférieurs aux chiffres de l’exécution 2016. Si l’on ajoute au tableau les contrats aidés ou la masse salariale, les sous-budgétisations sont estimées par notre commission des finances entre 1,1 milliard et 2,1 milliards d’euros.
Une estimation sincère, sans reports sur l’exercice 2018, devrait ainsi conduire à majorer le montant des dépenses pour 2017 de 13,4 milliards à 14,4 milliards d’euros ; et encore, je ne compte pas les fonds de tiroirs que vous êtes allé faire chez Action logement, à la Caisse de garantie du logement locatif social, ou dans les chambres de commerce et d’industrie ! (M. Alain Bertrand proteste.)
Au total, mes chers collègues, si l’on fait le compte des sous-estimations de dépenses et des surestimations de recettes, il y en a à peu près pour 20 milliards d’euros.
M. Éric Doligé. Arrêtez le massacre !
M. Philippe Dallier. Le déficit budgétaire de l’État ne serait donc pas, en 2017, de 69,3 milliards d’euros, mais de près de 89 milliards d’euros !
M. Alain Bertrand. Ces chiffres ne veulent rien dire !
M. Philippe Dallier. Monsieur le secrétaire d’État, vous souhaitiez des arguments chiffrés ; vous les avez. Une telle sous-estimation du déficit public rend sa prévision absolument aléatoire.
C’est bel et bien pour cette raison que le groupe Les Républicains votera la motion tendant à opposer la question préalable présentée par la commission des finances, afin de rejeter ce projet de budget, que nous jugeons totalement insincère. (Bravo ! et vifs applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Adnot, pour explication de vote.
M. Philippe Adnot. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je n’entretiendrai pas de suspense inutile. (Ah ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Éric Doligé. Il n’y a aucun suspense ! Nous connaissons la réponse !
M. Philippe Adnot. Je ne voterai pas la question préalable. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. Allons bon !
M. Philippe Adnot. Comme vous, mes chers collègues, je désapprouve ce projet de budget. Comme vous, je le trouve insincère. Je pourrais reprendre à mon compte la totalité de l’analyse critique que vous avez faite, mais je n’en tire pas les mêmes conséquences. (Oh ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Gournac. Dommage !
M. Philippe Adnot. Je ne voterai pas la question préalable pour une raison de principe.
Ne pas examiner le projet de loi de finances, c’est nier le travail d’analyse que les commissions, les rapporteurs, les administrateurs ont accompli ; c’est renoncer à proposer des amendements ; c’est renoncer à porter la parole de nos concitoyens, qui sont venus nous voir et attendent que nous reprenions les différentes demandes qu’ils ont faites.
M. Bruno Sido. Nous les reprenons !
M. Philippe Adnot. Je ne suis pas dupe sur notre capacité réelle à faire évoluer les choses, mais nous pourrions au moins prendre date. Si l’on n’approuve pas un projet de budget, on vote contre, mais pas avant de l’avoir examiné !
En conséquence, comme je l’ai d’entrée indiqué, fidèle à la façon dont j’ai toujours procédé, quel que soit le gouvernement, je ne voterai pas cette question préalable. (Applaudissements sur les travées du RDSE. – M. Joël Labbé applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° I-37, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi de finances pour 2017.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public à la tribune est de droit.
Conformément à l'article 60 bis du règlement, il va être procédé à un scrutin public à la tribune, dans les conditions fixées par l'article 56 bis du règlement.
J’invite Mme Corinne Bouchoux et M. Christian Cambon, secrétaires du Sénat, à superviser les opérations de vote.
Je vais tirer au sort la lettre par laquelle commencera l’appel nominal.
(Le sort désigne la lettre D.)
M. le président. Le scrutin sera clos après la fin de l’appel nominal.
Le scrutin est ouvert.
Huissiers, veuillez commencer l’appel nominal.
(L’appel nominal a lieu.)
M. le président. Le premier appel nominal est terminé. Il va être procédé à un nouvel appel nominal.
(Le nouvel appel nominal a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
Mme et M. les secrétaires vont procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 68 :
Nombre de votants | 235 |
Nombre de suffrages exprimés | 234 |
Pour l’adoption | 183 |
Contre | 51 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, le projet de loi de finances pour 2017 est rejeté.
Mes chers collègues, je voudrais remercier Mme la présidente de la commission des finances, M. le rapporteur général de la commission des finances, M. le secrétaire d’État, ainsi que l’ensemble des membres de la commission des finances, qui abat toujours un travail considérable au cours de cette période. La configuration est certes particulière, mais les travaux ont bien été conduits, comme le démontre le fait que le Sénat a même consacré, au total, vingt heures de plus que l’année dernière à examiner les rapports et les avis budgétaires !
5
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée à demain, jeudi 1er décembre 2016 :
À dix heures trente :
Nouvelle lecture du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2017 ;
Rapport de M. Jean-Marie Vanlerenberghe, rapporteur général, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 156, 2016-2017).
À quinze heures : questions d’actualité au Gouvernement.
À seize heures quinze : suite de l’ordre du jour du matin.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à seize heures cinquante-cinq.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD