M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Attention à cette expression !
M. Bruno Gilles. Exact !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. … je pense que, en refusant de produire autre chose qu’une copie blanche, le Sénat ne répond pas aux attentes du juge constitutionnel.
Vous vous dessaisissez de l’examen du PLF. Ne vous étonnez donc pas que l’Assemblée nationale fixe seule les conditions budgétaires de l’année 2017 !
M. Christian Cambon. Pour les six premiers mois !
M. Jean-François Husson. C’est bancal !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Cela va bien se passer, monsieur Husson ! Ne vous énervez pas…
Enfin, être responsable, c’est être lisible. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. François Bonhomme. Parole d’expert…
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Hier, sur les trente-cinq orateurs qui se sont exprimés, dix-sept ont demandé l’inscription de crédits supplémentaires, qui pour la défense, qui pour l’aide publique au développement, qui pour l’Agence nationale de l’habitat, qui pour les collectivités locales, qui pour l’Agence de financement des infrastructures de transport de France… Et j’en oublie !
Être lisible, être responsable, c’eût été inscrire, dans une colonne, les dépenses que vous souhaitiez fixer pour l’État, en toute liberté, en pleine responsabilité, et, dans la colonne d’à côté, les recettes que vous prévoyiez pour le même budget de la Nation. Or, combien de ces mêmes orateurs ont, dans le même temps, dit qu’il fallait réduire les impôts, supprimer l’ISF et telle ou telle taxe ?
M. Bruno Sido. C’est vrai !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. La responsabilité aurait été, pour votre assemblée, surtout à la veille d’échéances électorales que chacun ici a en tête, de ne pas rendre une copie blanche. C’eût été plus clair pour nos concitoyens et pour le débat public !
Les années précédentes, vous aviez pris la responsabilité de rendre des copies incomplètes : vous n’aviez pas voté ou l’article liminaire, ou les tableaux d’équilibre. Vous avez même supprimé tous les articles d’équilibre du dernier PLFSS, sans indiquer dans quel sens l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM, devait être révisé.
Vous vous êtes contentés de regarder passer le défilé, en signalant, ici ou là, un manquement à la bonne tenue réglementaire.
M. Alain Gournac. Non !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, prenez vos responsabilités ! (Oui ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le Gouvernement prend les siennes et est évidemment défavorable à la question préalable. Même si, sur un plan pratique, il pourrait considérer que l’adoption de la motion facilitera le travail parlementaire, il regrette, mesdames, messieurs les sénateurs, que vous n’ayez pas eu le courage de la lisibilité, de la transparence et de la responsabilité ! (Mme la présidente de la commission des finances et M. Jean-Claude Requier applaudissent. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, prévisions économiques inconsidérément optimistes, encaissement de recettes par anticipation, absence de sincérité dans la programmation des dépenses,…
M. Éric Doligé. Il faut être gentil avec M. le secrétaire d'État…
Mme Marie-France Beaufils. … ponctions intolérables sur les collectivités locales, mesures de pure propagande électorale : voilà quelques-uns des reproches que formulent nos collègues de la majorité sénatoriale dans le texte de la question préalable.
Ajoutons le « trop d’impôts, trop de dépenses publiques, trop de fonctionnaires, trop de prélèvements obligatoires », et les points saillants des questions qui seront au cœur du débat des prochains mois sont résumés. (Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains.) Je sais bien que vous êtes en nombre, mais, nous aussi, nous sommes présents… Vous pourriez nous écouter un peu !
M. François Grosdidier. Parlez du budget !
Mme Marie-France Beaufils. Soyons clairs, le choix de cette question préalable par la majorité sénatoriale masque surtout votre refus, chers collègues, de mettre en débat, avant l’élection présidentielle, les intentions profondes et les projets dévastateurs de votre candidat.
François Fillon a pourtant déjà donné le ton.
M. Bruno Sido. Qu’a-t-il à voir avec ce budget ?
Mme Éliane Assassi. Nous nous projetons dans l’avenir !
M. François Grosdidier. Ce n’est pas son budget !
M. Éric Doligé. Parlez-nous de Mélenchon ?
Mme Marie-France Beaufils. Dès l’été prochain, le premier cadeau fiscal serait la suppression – idéologique – de l’impôt de solidarité sur la fortune. Pourtant, cet impôt pourrait être rendu plus rentable et utile, pour assurer une plus grande justice fiscale.
M. Christian Cambon. Où est le rapport ?
Mme Marie-France Beaufils. Il me semble que les recettes font partie du budget !
Demain, nul doute que, sans froncer les sourcils, M. Fillon (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.),…
M. Christian Cambon. Laissez-le tranquille !
Mme Marie-France Beaufils. … s'il était élu, nous inviterait à reprendre une dose de retraite par capitalisation, réduirait encore les prestations sociales, transformant les mutuelles en guichets d’assurances, engagerait à travailler plus pour gagner moins.
M. Éric Doligé. Que dit Mélenchon ?
Mme Marie-France Beaufils. Nous sommes en 2016 et nous vivons dans l’une des cinq ou six premières puissances économiques de la planète.
Il y a, dans les richesses de ce pays, dans ses potentiels encore inexplorés ou mésestimés, de quoi offrir un autre présent et un autre avenir à nos compatriotes, quel que soit leur âge.
M. François Grosdidier. Vous êtes en avance d’un débat !
Mme Marie-France Beaufils. Ainsi que le montrent les quelques amendements que nous avons déposés sur la première partie du projet de loi de finances pour 2017, nous aurions bien voulu discuter de la réforme fiscale, avec un barème de l’impôt sur le revenu comptant un nombre de tranches plus important, de manière à le rendre plus progressif et, ainsi, mieux prendre en compte la capacité contributive des redevables.
Nous aurions pu discuter aussi de l’évolution de l’impôt sur les sociétés. Ce n’est pas en baissant le taux de cet impôt que l’on atteindra l’objectif nécessaire et constitutionnel d’égalité de traitement entre contribuables ! C’est en s’attaquant à ce qui le mine aujourd’hui gravement et qui se traduit par un coût moins élevé de l’impôt pour les plus grosses sociétés.
Le coûteux dispositif du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi, le CICE, n’a aucunement atteint l’objectif assigné d’améliorer la compétitivité des entreprises. Nous n’avons toujours pas réussi, monsieur le rapporteur général, à analyser combien et comment pèse la rémunération du capital sur la compétitivité de nos entreprises. Le non moins coûteux crédit d’impôt recherche devrait être recentré vers l’emploi effectif des jeunes chercheurs, docteurs et diplômés que compte notre pays. Il est d'ailleurs regrettable que nous formions les cadres d’élite des entreprises britanniques, étatsuniennes ou allemandes au seul motif que les patrons français sont trop frileux ou peut-être trop craintifs pour embaucher les diplômés formés par nos universités et par nos grandes écoles.
Nous aurions aimé discuter également du renforcement du rendement de l’impôt de solidarité sur la fortune. Rien ne justifie que l’avantage fiscal consenti pour les investissements financiers des contribuables de cet impôt soit plus important que celui qui est accordé aux contribuables de l’impôt sur le revenu.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Très bien !
Mme Marie-France Beaufils. Pour la seule ville de Paris, le patrimoine imposable des redevables de l’ISF atteint plus de 220 milliards d’euros.
M. Pierre Laurent. Pas mal !
Mme Marie-France Beaufils. Il semble donc que les conditions soient réunies pour demander à ces contribuables un petit effort en direction de la collectivité.
Mme Éliane Assassi. Un petit effort suffira !
Mme Marie-France Beaufils. Quant à ceux qui préconisent je ne sais quel « impôt citoyen », ils oublient un peu vite que les ménages paient en réalité 100 milliards d’euros de contribution sociale généralisée, 100 milliards d’euros de TVA, plus de 50 milliards d’euros de fiscalité locale et près de 30 milliards d’euros de fiscalité énergétique, impôts qui, s’ils ne portent pas sur le revenu, pèsent quand même sur les ressources des foyers.
La concentration de l’impôt sur le revenu semble déranger M. le rapporteur général. Elle n’est que le produit de la concentration des revenus comme des patrimoines, fruit d’inégalités sociales accrues par dix ans de politique de droite, suivis d’un quinquennat Hollande qui, par manque de courage politique, n’a pas atteint les objectifs fixés.
La concentration n’est pas illogique, dans la mesure où les 10 % des contribuables les plus aisés déclarent 35 % des revenus imposables, quand les 25 % des plus modestes peinent à en déclarer 5 %. Dans cet ensemble, les 2 % des contribuables les plus aisés disposent même de près de 15 % des revenus déclarés.
Nous aurions pu discuter de la nécessité de stopper l’expansion continue de la fiscalité indirecte, alors qu’il s’agit, pour certains, de porter au maximum le taux normal de TVA, qui a servi à financer le CICE.
Je le rappelle d’ailleurs, le rapport du comité de suivi du CICE précise que les mesures de financement de ce crédit d’impôt « ont diminué le pouvoir d’achat des ménages et la demande adressée aux entreprises, pesant en retour sur l’emploi et l’investissement ». Nous ne savons toujours pas, pour le moment, ce que la majorité sénatoriale ferait de ce crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi.
Quant à la dépense publique, sa réévaluation est indispensable pour la rendre plus efficace. Mais les ponctions dont sont victimes les budgets locaux pèsent sur les services dont les populations ont besoin, particulièrement en une période où la pauvreté s’aggrave. Et l’utilisation encore plus grande des compensations d’exonérations d’impôt comme variables d’ajustement impactera encore les collectivités dont les populations sont les plus modestes.
La participation au redressement des comptes publics de l’État prive les collectivités de leviers d’intervention et de moyens d’investir dans les équipements et infrastructures, qui, pourtant, favoriseraient le plein usage des potentiels de notre pays : potentiels économiques, de création, de recherche et d’innovation, pour répondre aux défis de la protection de l’environnement, de l’habitat accessible à tous, de la santé publique et de la protection sociale, de la qualité de vie dans les villes comme dans les campagnes, dans le vivre-ensemble au quotidien comme dans l’imaginaire de la création artistique. (Brouhaha sur les travées du groupe Les Républicains. – Protestations sur les travées du groupe CRC.)
L’alternative que nous proposons à l’austérité prônée dans le projet de budget du Gouvernement comme par les mesures d’une droite impatiente de reprendre le pouvoir, c’est la justice fiscale et des politiques publiques justes et progressistes, apportant des réponses à tous ceux qui se sentent exclus de notre société.
Vous l’aurez compris, nous ne voterons pas la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, quand la majorité sénatoriale dépose une question préalable et quand le parti socialiste et républicain, qui soutient le Gouvernement, pratique la politique de la chaise vide, cela révèle certains des dysfonctionnements de notre démocratie parlementaire actuelle. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC et du groupe Les Républicains.)
Notre groupe respecte le choix de la majorité sénatoriale, mais le regrette. Certes, il est tout à fait normal d’utiliser les moyens de procédure parlementaire. Nous l’avons fait et ne le regrettons pas, notamment pour nous opposer à la loi visant à fusionner les régions. Le cas échéant, nous le referons d’ailleurs, si nécessaire. À partir du moment où ces moyens existent, à chacun d’apprécier s’il doit les utiliser ou non.
Aux termes de l’alinéa 3 de l’article 44 de notre règlement, la question préalable a pour objet « de faire décider soit que le Sénat s’oppose à l’ensemble du texte, soit qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération ». Cette procédure s’est avérée utile et bénéfique par le passé, notamment en 1971, pour sauver la liberté d’association, contre la volonté du gouvernement Chaban-Delmas et de l’Assemblée nationale d’alors.
Cependant, il faut remonter à 1992 et au gouvernement Bérégovoy pour découvrir une motion tendant à opposer la question préalable déposée sur un projet de loi de finances faisant l’objet d’une première lecture. L’événement est donc assez rare pour mériter d’être souligné. Le parallèle est intéressant, pour qui se souvient de l’atmosphère difficile qui régnait lors de cette autre fin de la législature…
Nous avons entendu vos arguments, monsieur le rapporteur général. Vous nous avez rappelé que, l’année dernière, le Gouvernement n’avait tenu aucun compte des observations, des amendements et du travail de la majorité sénatoriale, ce que l’on peut évidemment regretter. Pour notre part, nous considérons que, dans le respect des diverses sensibilités, il est bon que la majorité, quelle qu’elle soit, entende les observations et propositions de l’opposition, quelle qu’elle soit.
Vous estimez qu’il en aurait été de même cette année et qu’il vaut donc mieux se priver du débat. En cas d’alternance, toujours possible, la même chose pourrait se reproduire cinq années de suite, au motif que la nouvelle majorité n’aurait tenu aucun compte, une première fois, des observations de la nouvelle opposition ! Une telle situation doit nous faire réfléchir à la nécessité de valoriser l’action du Parlement, alors même que les gouvernements successifs ne nous facilitent pas toujours la tâche.
Nous qui sommes profondément attachés au bicamérisme, nous devons faire le maximum pour justifier la nécessité, dont nous sommes tous convaincus, d’une Haute Assemblée qui fait des propositions, alors même que d’aucuns évoquent un tirage au sort pour élire le Sénat et que d’autres, et non des moindres, proposent de supprimer la moitié des sénateurs. Il est bon de montrer notre capacité à proposer et à travailler ensemble, malgré ou grâce aux diverses sensibilités ici représentées.
Mme Éliane Assassi. Absolument !
M. Jacques Mézard. Ainsi le groupe du RDSE votera-t-il unanimement contre cette motion, justement pour affirmer que notre travail et nos échanges sont nécessaires.
Certes, monsieur le secrétaire d’État, dans ce budget, tout ne nous convient pas à nous non plus, et vous le savez. Vous l’avez établi en tenant compte du fait que nous étions en fin de quinquennat.
M. Philippe Dallier. C’est un budget électoraliste !
M. Jacques Mézard. Oui ! Mais qui n’en a pas fait, et qui n’en fera pas ?
M. Philippe Dallier. Oh !
M. Jacques Mézard. C’est la réalité ! Cela ne signifie pas que l’on peut faire n’importe quoi parce que l’on est en fin de législature.
Les prévisions de croissance semblent clairement trop optimistes. L’exécutif cède à la tentation d’une surestimation des recettes et d’une sous-évaluation des dépenses.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Ça fait beaucoup !
M. Jacques Mézard. Le verdict du Haut Conseil des finances publiques, rendu en septembre et rappelé par M. le rapporteur général, était pourtant sans appel : la réduction des déficits annoncée pour 2017 est jugée « improbable ».
Cela ne veut pas dire que tout est mauvais dans ce projet de budget, même si des modifications doivent y être apportées. Nous avons, malgré la motion qui sera opposée, déposé un certain nombre d’amendements, pour énoncer les choix qui nous paraissent fondamentaux.
Le groupe du RDSE prône donc la proposition et la concertation. Je souhaite que, en ces périodes électorales difficiles, nous fassions preuve du plus grand esprit de responsabilité. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Vincent Capo-Canellas, pour explication de vote. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Vincent Capo-Canellas. Monsieur le secrétaire d’État, au risque de vous surprendre, je commencerai par dire que ce projet de loi de finances pour 2017 ne manque pas d’intérêt. Il est très singulier, et n’a d’ailleurs laissé personne indifférent. On aura rarement entendu autant de qualificatifs s’agissant d’un austère projet de loi de finances : « improbable », « incertain », « jouable », selon les plus malicieux, « insincère », disons-nous avec le rapporteur général.
Selon le Haut Conseil des finances publiques, atteindre l’objectif fixé en matière de réduction des dépenses est « improbable ». Quant au niveau de déficit auquel le Gouvernement prétend parvenir, il est jugé « incertain ».
Selon M. Moscovici, qui souligne ainsi qu’il s’agit de jouer à la roulette les finances publiques de la France, ce projet de budget serait « jouable ».
Quant à la majorité sénatoriale, elle est unanime pour dénoncer l’insincérité de ce projet de budget, qui justifie en soi l’adoption d’une question préalable.
Ce projet de loi de finances est caractéristique du quinquennat qui s’achève et représente un bon résumé des erreurs commises. Il n’échappe pas à la « frénésie fiscale » – le terme, employé par de très grands journaux, a fait florès.
Ainsi le taux des prélèvements obligatoires devrait-il atteindre l’année prochaine 44,5 % du PIB, contre 43,8 % en 2012. Selon l’OFCE, l’Observatoire français des conjonctures économiques, les ménages auront subi, de 2012 à 2017, une hausse d’impôts de 35 milliards d’euros, alors même que la concentration de l’impôt sur le revenu s’est beaucoup accrue, seuls 43,8 % des foyers l’acquittant.
Surtout, ce projet de loi de finances prolonge non seulement votre frénésie, mais aussi votre maladresse fiscale, monsieur le secrétaire d’État. Je veux parler du prélèvement à la source, que M. le rapporteur général a longuement disséqué en commission des finances. Au demeurant, nous avons amplement étudié l’ensemble des aspects de ce texte, avec tous les rapporteurs.
On a l’impression, monsieur le secrétaire d’État, que vous voulez revivre les affres auxquelles a donné lieu la demi-part fiscale des veuves ! Toutes les personnes auditionnées par la commission des finances l’ont dit : si vous les avez rencontrées, votre décision n’a pas pour autant été concertée, malgré ce que vous avez affirmé dans le cadre de la discussion générale. Se concerter, cela signifie établir un calendrier, fixer des principes et voir comment on peut bâtir, ensemble, des solutions. Tous les intervenants ont insisté sur le fait que vous les aviez informés, sans prendre en compte les obstacles techniques posés, sur lesquels nous vous avons alertés, dans le sillage de M. le rapporteur général.
La construction que vous proposez nous paraît donc virtuelle, comme d’ailleurs cette réforme fiscale dont l’envie vous prend un peu tardivement et qui de toute façon, même si elle avait été faite, aurait été reportée à l’année d’après.
Outre la frénésie et la maladresse, j’évoquerai votre inefficacité pour ce qui concerne le déficit et la dette.
Alors que le déficit devait passer sous la barre des 3 % du PIB dès 2013 et que le retour à l’équilibre budgétaire semblait programmé pour 2017, l’écart entre les promesses et la réalité sera de 70 milliards d’euros selon vos estimations. Selon le rapporteur général, il manquera entre 80 milliards et 90 milliards d’euros, et je me rallie à son analyse.
Il existe deux raisons majeures à une telle situation. D’abord, les dépenses publiques ont augmenté deux fois plus que l’inflation, et elles augmenteront encore, si on vous suit, de 7,4 milliards d’euros en 2017. Ensuite, un doute stratégique a agité l’ensemble du quinquennat en matière de politique fiscale et économique. Le réalisme est différé, non assumé et quelquefois honteux, notamment à propos du CICE. Vous avez fait à l’aile gauche de nombreuses concessions, qui ont été accrues par l’Assemblée nationale, notamment lors de votes peu maîtrisés. Le ministre des finances a lui-même reconnu s’être fait déborder par les députés et espérer que les sénateurs viendraient corriger la copie !
Monsieur le secrétaire d’État, à la confusion dans la présentation de ce projet de loi de finances se sont ajoutées des incohérences, qui font qu’une chatte n’y retrouverait pas ses petits ! Avec des larmes de crocodile, vous nous avez affirmé qu’il serait dommage que le Sénat ne corrige pas la copie de l’Assemblée nationale. Il est vrai que les améliorations à apporter sont nombreuses.
Le bicamérisme a bien évidemment du bon. Il suppose que la chambre haute utilise l’ensemble de ses prérogatives : il s’agit non seulement de corriger, mais aussi de refuser un texte manifestement en trompe-l’œil. Nous censurons ainsi la politique du Gouvernement,…
M. Charles Revet. Exactement !
M. Vincent Capo-Canellas. … l’abandon de l’autorité, la cacophonie. Cette question préalable concerne l’ensemble de la politique menée par le Gouvernement.
Nos raisons sont nombreuses : surestimation de la croissance et des recettes, sous-budgétisation et renvoi des dépenses sur des budgets futurs. Je n’oublie pas les bombes à retardement, et notamment la ponction, même légèrement adoucie, des collectivités locales, dont l’effort aura été de 27 milliards d’euros depuis 2014 !
La singularité de ce projet de loi de finances ne tient pas aux techniques ancestrales, vielles comme le budget, qui sont utilisées, mais à la conjonction du tout, qui en fait un trompe-l’œil.
Nous estimons que de 11 milliards à 13 milliards d’euros supplémentaires auraient dû figurer au titre des dépenses, et que de 5 milliards à 7 milliards d’euros auraient dû être soustraits aux recettes. Par ailleurs, c’est 1,2 milliard d’euros d’acomptes qui sont injustement prélevés sur les entreprises.
Il suffit de comparer pour en juger : la France est à la traîne. Elle est en bas de classement pour la croissance, mais en haut s’agissant de la dépense publique.
Pourtant, vous avez bénéficié d’une formidable conjonction astrale, que vous n’avez pas su utiliser : la parité de l’euro et du dollar, l’inflation, la baisse des taux et un prix du pétrole bas. Tout cela nous a dangereusement anesthésiés !
Pour toutes ces raisons, le groupe UDI-UC votera cette motion censurant un budget d’ores et déjà caduc. Il convient de nous interroger sur le délai, au cours duquel la conjoncture a changé, qui sépare une prévision établie en juillet d’un vote intervenant en décembre.
Nous avons la conviction que le Sénat est dans son rôle en marquant son opposition globale à ce projet de loi de finances. La motion tendant à opposer la question préalable peut concerner tous les textes, y compris un projet de loi de finances. Un Sénat fort, restauré dans ses prérogatives, utilise celle de dire « non » à ce projet de budget. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin, pour explication de vote.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes le mercredi suivant la transmission du projet de loi de finances au Sénat. Rappelons que, l’an dernier, au même moment, nous avions déjà commencé la discussion de la seconde partie du texte. Autrement dit, la majorité sénatoriale aura cette année mis plus de temps à tenter de justifier son refus d’examiner la première partie du projet de loi de finances qu’elle aurait pu en mettre, formellement, à l’étudier.
Par une telle manœuvre, mes chers collègues, à qui pensez-vous sincèrement que le Sénat s’adresse encore, si ce n’est à lui-même ou, plus exactement, si on regarde l’hémicycle, à une partie de lui-même ?
Quels arguments peut-il bien nous rester pour donner tort à ceux de nos concitoyens qui ne cachent plus leur défiance à l’égard de la représentation nationale ?
En écoutant l’interminable succession d’interventions à laquelle nous avons été astreints hier, le fameux mot d’Edgar Faure « litanie, liturgie, léthargie » m’est soudain revenu. (Mme Hermeline Malherbe applaudit.)
Dans votre exposé des motifs, monsieur le rapporteur général, vous justifiez principalement la question préalable par l’électoralisme qui caractériserait ce budget. Vous êtes pourtant bien trop avisé pour ignorer que l’électoralisme est consubstantiel à la politique, en particulier en période préélectorale. Je crois sincèrement que vous avez tort de vouloir disqualifier a priori un budget dit « de campagne ».
D’abord, avec le chevauchement des calendriers politique et budgétaire, le dernier budget d’un quinquennat est, par définition, un budget de campagne. J’ai déjà eu l’occasion de le rappeler, ce n’est pas, tant s’en faut, l’apanage de la gauche. En effet, le dernier budget de droite que nous avons eu à examiner, celui de 2012, présentait un écart entre la prévision de croissance retenue et celle du consensus des économistes deux fois supérieur à celui qui est aujourd’hui dénoncé.
Ensuite, une campagne n’est pas méprisable ; c’est même l’essence de la démocratie. Précisément, dans une campagne, l’examen budgétaire exige une rigueur tout autre que les assertions médiatiques qui l’accompagnent souvent.
Un tel examen rend par exemple délicate la dénonciation de la baisse des dotations aux collectivités, alors qu’on propose en parallèle d’accroître l’effort de 20 milliards d’euros supplémentaires.
Il rend incohérente l’adoption de la plupart des missions, ainsi que le rejet de quelques autres pour manque de moyens, alors qu’on propose en parallèle 30 milliards d’économies pour l’État.
Il rend inconséquent l’appel à respecter les engagements européens de la France, alors que, par ailleurs, on propose de repousser à 2020 le retour du déficit sous la barre des 3 % du PIB.
M. Jean Desessard. Bravo, monsieur Gattolin !
M. André Gattolin. Cette question préalable a cependant à vos yeux une grande vertu : elle évite de soumettre vos propres propositions de campagne à l’examen rigoureux de la représentation nationale. Le Sénat serait pourtant sorti renforcé d’une telle confrontation, à la fois politique et technique, entre deux budgets de campagne différents.
Dans le long exposé des motifs de la question préalable, l’essentiel des arguments est d’ailleurs de cet ordre. Il s’agit, c’est incontestable, de très bons arguments de débat. Toutefois, ils deviennent absurdes dès lors qu’ils visent à démontrer la nécessité de renoncer à ce même débat !
Je n’ai relevé dans ce texte qu’un seul argument méritant selon moi d’être considéré. C’est l’impossibilité constitutionnelle que le Sénat aurait de rectifier convenablement le budget. Celle-ci doit bien sûr être relativisée, puisque, en 2012, dans une situation symétrique, la majorité sénatoriale de l’époque avait pris ses responsabilités et bel et bien adopté un contre-budget. Certes, on peut admettre qu’il n’était pas pleinement satisfaisant, tant il est vrai que, en matière budgétaire, le Parlement joue les utilités.
Permettez-moi de vous prendre au mot, monsieur le rapporteur général. Si, comme il est écrit dans cette question préalable, la LOLF – la loi organique relative aux lois de finances – bride le Sénat au point de le conduire à se saborder, pourquoi ne pas faire en même temps campagne pour la réformer ?