Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2017, je voudrais vous faire part de mes réflexions en qualité de rapporteur spécial de la commission des finances sur les infrastructures de transport terrestre.
En premier lieu, je voudrais dire combien je regrette que le budget des infrastructures et services de transports ne bénéficie pas d’une mission à part entière, alors qu’il s’agit d’un enjeu financier et socio-économique considérable pour notre pays. J’ajoute que, d’un point de vue tant administratif que parlementaire, la politique publique des transports est bien distincte de la politique publique en faveur de l’écologie.
Plus profondément, je crains que cette faible visibilité budgétaire de la politique des transports et le rang de secrétaire d’État attribué au membre du Gouvernement qui en a la charge ne traduisent l’affaiblissement d’une politique dont notre pays s’est pourtant longtemps enorgueilli et qui reste stratégique pour notre avenir.
En second lieu, je voudrais resituer le rôle majeur joué par l’Agence de financement des infrastructures de transports de France, l’AFITF, dans le financement des grandes infrastructures.
Établissement public administratif de l’État créé en 2004 et placé sous la tutelle de la direction générale des infrastructures, des transports et de la mer, l’AFITF est financée par des taxes qui lui sont affectées par l’État : redevance domaniale des sociétés d’autoroutes, taxe d’aménagement du territoire, une partie des amendes des radars automatiques et une fraction du produit de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques. L’AFITF reverse ensuite une partie de son budget sous forme de fonds de concours, en ayant préalablement fléché les sommes ainsi reversées vers des projets précis : routes, projets ferroviaires ou de transport fluvial, etc.
Ainsi qu’elle le reconnaît elle-même, l’AFITF est un opérateur transparent, dont les décisions engagent l’État. Or, contrairement aux crédits budgétaires du programme 203, les fonds de concours ne sont qu’évaluatifs et le Parlement ne dispose pas du budget initial de l’AFITF au moment où il examine le projet de loi de finances.
M. Michel Bouvard. Eh oui !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Si je ne plaide pas pour une suppression de l’AFITF, qui est un lieu utile de débats et de sanctuarisation des crédits, je réclame une nouvelle fois que le budget prévisionnel de l’AFITF soit systématiquement transmis au Parlement avant l’examen du projet de loi de finances.
M. Michel Bouvard. Très bien !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est la condition sine qua non pour que le Parlement puisse se prononcer de façon éclairée sur le montant effectivement consacré par l’État au financement des infrastructures de transport et éviter que ce budget ne se retrouve comme simple variable d’ajustement du budget de l’État.
J’en viens à présent à l’analyse de la situation financière de l’AFITF.
Depuis sa création, l’AFITF a engagé 33 milliards d’euros. À la fin de l’année 2015, il lui restait à mandater une somme d’environ 11,3 milliards d’euros, soit un montant correspondant à un peu moins de six exercices au regard de son budget actuel. Son équilibre financier apparaît pour le moins instable.
Selon les premiers éléments fournis par le Gouvernement, l’AFITF pourrait disposer, en crédits de paiement, de 2,2 milliards d’euros en 2017, contre 1,9 milliard d’euros en 2016, soit une augmentation de 16 % de ses moyens. Une telle hausse demeure en réalité très insuffisante pour couvrir l’ensemble des besoins en crédits de paiement de l’AFITF en 2017, qui sont évalués par l’Agence elle-même à 2,8 milliards d’euros, soit 600 millions d’euros supplémentaires, d’autant que la hausse des besoins se poursuivra dans les années à venir pour atteindre 3,2 milliards d’euros en 2018 et 3,1 milliards d’euros en 2019.
Plus problématique encore, l’évaluation faite par le Gouvernement pour les ressources de l’AFITF en 2017 est pour le moins optimiste et, plus probablement, surévaluée d’environ 100 millions d’euros.
S’il « suffit » d’affecter 20 millions d’euros supplémentaires pour atteindre un volume de 735 millions d’euros de TICPE attribués à l’AFITF, comme le Gouvernement s’y engage dans le projet annuel de performances pour 2017, et si l’augmentation de 0,9 % des recettes de taxe d’aménagement du territoire paraît envisageable, les prévisions de recettes pour la taxe domaniale et sur les amendes radars, en forte hausse par rapport aux exercices précédents, paraissent totalement manquer de sincérité. C’est pourquoi j’estime qu’il sera nécessaire d’affecter à l’AFITF en 2017 une part plus importante du rehaussement de la TICPE qui avait été décidé en 2015 pour compenser l’abandon – malheureusement – de l’écotaxe poids lourds.
S’agissant du programme 203 proprement dit, les crédits sont en légère diminution de 1,3 %. Cependant, sur les 3,2 milliards d’euros du programme, l’essentiel de la dépense est constitué par la subvention versée à SNCF Réseau d’un montant de 2,5 milliards d’euros. L’entretien routier et la subvention à VNF resteront stables par rapport à 2016.
Pour les différentes raisons que j’ai mentionnées précédemment – absence de mission propre aux transports, illisibilité du budget qui leur est consacré, insuffisante couverture des besoins en crédits de paiement de l’AFITF et insincérité de ses prévisions de taxes affectées –, il n’est pas possible d’adopter les crédits de la mission « Écologie ».
Au-delà de cette situation, je veux rappeler un récent référé de la Cour des comptes montrant que l’État doit dégager entre 2017 et 2019 entre 1,6 milliard et 4,7 milliards d’euros en plus des ressources actuellement prévues pour permettre à l’AFITF d’honorer ses engagements.
Augmenter les ressources de l’AFITF est indispensable pour qu’elle fasse face à ses engagements, en particulier avec la montée en charge de la ligne Lyon-Turin et du canal Seine-Nord Europe.
M. Michel Bouvard. Très bien !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Enfin, l’État devra s’attaquer un jour ou l’autre au problème du cantonnement et/ou de la reprise, même partielle, de la dette de SNCF Réseau, qui atteint maintenant 44 milliards d’euros et dont les intérêts viennent grever son budget à hauteur de 1,2 milliard d’euros par an.
Mme Fabienne Keller. Absolument !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Il faut noter que la loi ferroviaire de 2015 a instauré une règle d’or selon laquelle SNCF Réseau ne peut financer de nouveaux projets d’investissement qu’à la condition de respecter un certain ratio d’endettement. C’était une très bonne chose ! Malheureusement, le décret d’application de ce ratio se fait toujours attendre. Il est ainsi beaucoup plus commode d’appliquer le texte…
Après l’abandon de l’écotaxe poids lourds, qui restera dans les annales des finances publiques comme le plus grand scandale jamais vérifié, le Gouvernement ayant annulé sans raison une recette de plus de 1 milliard d’euros par an, de nouvelles ressources doivent absolument être dégagées.
Les grandes infrastructures de transport constituent un enjeu décisif pour notre pays en matière économique, sociale et environnementale. Leur financement est un sujet épineux. Il n’a pas été pris en compte convenablement dans le projet de loi de finances pour 2017. Les conditions n’étant pas réunies pour l’adoption de cette loi de finances, je voterai la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Fabienne Keller.
Mme Fabienne Keller. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j’aborderai deux points.
Premièrement, je décrirai quelques-uns des motifs, parmi ceux qui ont déjà été présentés ou qui le seront demain, qui justifient l’adoption de la motion tendant à opposer la question préalable.
Deuxièmement, je partagerai quelques éléments d’analyse de la mission « Aide publique au développement », dont j’ai la charge avec Yvon Collin. En résumé, je dirai que ses crédits ne sont pas du tout à la hauteur de la mission de la France dans le monde.
Pourquoi adopter la motion tendant à opposer la question préalable ? Je donnerai trois explications simples, parmi tant d’autres.
Tout d’abord, la sincérité des hypothèses de recettes et de dépenses est douteuse. La commission des finances a établi que l’écart en termes de déficit supplémentaire se situait entre 8 milliards et 12 milliards d’euros – je m’exprime ici sous le contrôle du rapporteur général, qui a effectué un travail très précis. En effet, le chiffre de croissance est trop optimiste, un certain nombre de dépenses obligatoires sont oubliées, comme la recapitalisation d’Areva, et il y a bien d’autres surévaluations ou sous-évaluations. Vous me rétorquerez, monsieur le secrétaire d'État, « rien de nouveau ». Ce n’est pas faux, mais les montants cette année ont atteint des sommets.
Ensuite, vous abandonnez les efforts de maîtrise des dépenses de l’État, notamment en laissant filer la masse salariale par le dégel du point d’indice, mais vous continuez à baisser les dotations des collectivités locales, certes un peu moins que l’année précédente, mais tout de même de 2,6 milliards d’euros.
Enfin, le gouvernement auquel vous appartenez a été généreux en promesses – toutes électorales ! –, dont la charge sera reportée sur les années suivantes. Celle-ci est évaluée à 7,7 milliards d’euros en 2018 et à 25 milliards d’euros d’ici à 2021. Il s’agit bien, selon les termes consacrés, de promesses électorales à crédit. Il faut encore y ajouter le coût reporté du CICE, du fait de sa mécanique même. Un rapport l’a évalué à environ 20 milliards d’euros.
Toutes ces analyses seront détaillées demain dans le cadre de la discussion de la motion tendant à opposer la question préalable que défendront les groupes de la majorité sénatoriale.
J’en viens au budget de l’APD. Cette politique me tient particulièrement à cœur, comme à mon collègue Yvon Collin, qui en a parlé précédemment.
Entre 2008 et 2012, les dépenses consacrées par la France à l’APD se sont élevées à 16,8 milliards d’euros si l’on additionne les deux programmes qui sont le cœur de la mission. Au cours du quinquennat qui se termine, ces dépenses atteindraient entre 15,6 milliards et 15,8 milliards d’euros selon l’hypothèse que l’on retient pour le budget pour 2017. En d’autres termes, le quinquennat qui s’achève se solde par un triste bilan : 1 milliard d’euros en moins pour les pays en développement ! Certes, les crédits sont en hausse cette année, et nos collègues députés ont réussi à vous imposer une augmentation supplémentaire qui permettrait peut-être de dépasser légèrement leur niveau de 2012, mais il n’y a pas lieu de se réjouir de revenir au point de départ.
Par ailleurs, j’attends de voir ce que donnera cette hausse en exécution, car je rappelle que la volonté du Parlement, l’année dernière, d’affecter 270 millions d’euros à l’Agence française de développement pour augmenter nos dons bilatéraux a été très largement contournée, puisque 90 % de ce montant s’est substitué à des crédits budgétaires.
Pendant que la France diminuait son aide, nos voisins européens augmentaient la leur. Le Royaume-Uni respecte l’objectif de 0,7 % de son revenu national brut ou RNB pour l’aide publique au développement depuis plusieurs années, tandis que l’Allemagne nous distancie, avec une aide de 0,52 %, contre 0,37 % pour la France.
La tournée diplomatique d’Angela Merkel au Mali, au Niger et en Éthiopie il y a quelques semaines ainsi que ses entretiens avec les présidents tchadien et nigérian montrent que l’Allemagne croit au développement et qu’elle y voit la réponse de long terme à la crise migratoire, de même qu’un outil pouvant bénéficier au rayonnement et au dynamisme de son industrie.
Nous sommes confrontés à des défis considérables en matière de sécurité, de changement climatique, de flux migratoires, qu’il s’agisse de réfugiés, de migrants économiques ou de réfugiés climatiques. Chers collègues, nous le savons bien, l’aide publique au développement est le bon investissement et la solution à chacun de ces problèmes sur le long terme. Il est donc indispensable que la France s’inspire des exemples allemand et britannique et accorde de nouveau à cette politique toute la place qu’elle mérite, afin de se rapprocher de l’objectif de 0,7 % de son RNB, sur lequel je rappelle qu’elle s’est engagée.
Voilà, monsieur le secrétaire d'État, chers collègues, les réflexions que je voulais partager avec vous tant sur la motion tendant à opposer la question préalable que sur la priorité qui aurait dû être donnée à l’investissement dans le développement et l’aide Nord-Sud. Pour ces raisons, je voterai avec mon groupe la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Yves Détraigne applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie et des finances, chargé du budget et des comptes publics. Je veux remercier les orateurs, au nombre de trente-cinq si j’ai bien compté, ainsi que les sénatrices et les sénateurs qui ont pris la peine de rester avec nous tout l’après-midi. Certains autres – ils se reconnaîtront –, adeptes de la technique de Lourdes, font des apparitions, le temps de monter à la tribune…
Je voudrais juste faire quelques remarques – nous en avons déjà parlé jeudi et nous aurons l’occasion d’y revenir demain – au sujet de la prétendue insincérité du budget. Vous parlez de majoration des recettes et de minoration des dépenses. Vous commencez en avoir l’habitude : tous les ans, j’ai droit au même scénario et, tous les ans, on vous fait les mêmes réponses.
Cela fait deux ans, et j’espère bientôt trois, que nous faisons le même constat. L’année dernière, j’ai entendu qu’il allait manquer 10 milliards d’euros de recettes, parce que la croissance ne serait pas au rendez-vous. Or rien n’a manqué, au contraire : nous avons eu 1 milliard d’euros de recettes supplémentaires, même s’il est vrai que nos prévisions de croissance étaient peut-être un peu optimistes. Nous avons revu la croissance dans le projet de loi de finances rectificative en l’abaissant de 1,5 % à 1,4 %. Le Haut Conseil des finances publiques, dans un avis paru vendredi dernier – peut-être ne l’avez-vous pas lu –, a d’ailleurs qualifié cette hypothèse d’« atteignable » et par deux fois de « réaliste ».
Tout nous conduit à penser que nous pourrons vérifier ensemble au mois de février ou de mars, lorsque nous aurons les comptes définitifs de l’État et de l’ensemble des collectivités territoriales, que l’objectif de 3,3 % sera tenu en 2016.
M. Francis Delattre. Vous l’avez reporté deux fois !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Il y a un an, les mêmes doutes avaient pourtant été émis depuis cette même tribune quant à l’atteinte de cet objectif de déficit.
Nous prévoyons une croissance de 1,5 % pour l’année prochaine. On nous dit qu’on n’y arrivera jamais et qu’on sera bien en dessous. Outre le fait que la loi nous oblige à inscrire une prévision de croissance, ce qui est très bien ainsi, j’observe que la prévision du consensus des économistes est à peine inférieure. En effet, la plupart des conjoncturistes, qui devraient d’ailleurs faire preuve d’un peu plus d’humilité, prévoient 1,3 % de croissance. L’impact d’une différence de 0,2 point de croissance sur les finances publiques est-il immédiat et massif ? Cela dépend. On a l’habitude de dire que 0,1 point de croissance représente environ 1 milliard d’euros de recettes ; 0,2 point représenterait 2 milliards d’euros.
M. Francis Delattre. Cela représente tout de même une somme importante !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, cela dépasse certes l’épaisseur du trait, mais, pour importante que soit cette somme – admettons que la croissance soit de 1,3 % –, le déficit ne sera pas de 2,7 %, mais de 2,8 %.
Alors que tout le monde s’érige en juge de paix – le Haut Conseil des finances publiques, la Cour des comptes, les agences de notation, les rapporteurs généraux des deux assemblées –, que dit la Commission européenne ? J’entendais tout à l’heure que l’avis de la Commission européenne ne serait pas objectif du fait de la présence de M. Moscovici. C’est mal connaître le fonctionnement de la Commission ! D’abord, M. Moscovici n’est pas seul. Ensuite, les avis rendus par la Commission européenne sont rarement complaisants, beaucoup de pays l’ont mesuré, quand bien même ils avaient des représentants en son sein.
La Commission nous dit que, toutes choses égales par ailleurs, à politique inchangée, notre déficit serait de 2,9 %. Or je lis ici ou là qu’il sera à 4,7 %, qu’il représentera 10 milliards d’euros, 20 milliards d’euros…
C’est la troisième année que je fais cet exercice devant vous et, avec Michel Sapin, nous assumons : en 2015, nous avions prévu un déficit de 4 %, et il a finalement été de 3,5 % ; cette année, nous avions prévu 3,3 %, et nous ferons 3,3 %, c’est quasi certain aujourd'hui.
Concernant la dépense publique, j’observe que, durant ce quinquennat, elle a augmenté de 1,3 % en moyenne tous les ans, alors qu’elle avait augmenté de 3,5 % au cours du quinquennat précédent. Ces chiffres sont incontestables : les lois de règlement montrent que la dépense publique a augmenté environ trois fois moins en moyenne pendant ce quinquennat par rapport au quinquennat précédent. Pour être tout à fait objectif, l’inflation a probablement été inférieure durant notre quinquennat, ce qui relativise un peu ce chiffre. La dépense publique, vous aurez beau retourner les chiffres dans tous les sens, n’a pas augmenté plus que sous le quinquennat précédent ; elle a même augmenté beaucoup moins.
Certains m’ont reproché de les écouter plus ou moins attentivement. Il se trouve que j’ai la chance de pouvoir faire deux choses en même temps : écouter tout en traitant un ou deux dossiers. Je peux vous dire que j’ai noté que vous demandiez plus de crédits pour la défense – j’y reviendrai –, plus de crédits pour l’enseignement français à l’étranger, plus de crédits pour l’AFITF, plus de crédits pour l’entretien des bâtiments publics, plus de crédits pour les collectivités territoriales, plus de crédits pour l’ANAH, plus de crédits pour la justice, plus de crédits pour l’aide au développement, et j’en oublie probablement.
Or j’entends dire qu’il faudra faire 100 milliards d’euros d’économies durant le prochain quinquennat. J’ai demandé sans doute un peu sèchement tout à l’heure à l’un de vos collègues la liste des économies qu’il comptait réaliser. Il m’a répondu que la politique d’aide au logement mobilise 45 milliards d’euros. Entre les aides à la pierre, les allocations logement et les différentes dépenses fiscales, ce chiffre doit en effet être assez proche de la réalité. Mais lesquelles allez-vous supprimer ? Allez-vous diminuer les allocations logement ? Allez-vous proposer de diminuer les aides à la pierre ou les dispositifs de défiscalisation – Pinel, outre-mer, pour les logements sociaux ? Allez-vous revenir sur l’exonération d’impôts sur les sociétés sur les offices d’HLM ? Dites-le clairement !
Réaliser 100 milliards d’euros d’économies tout en allouant plus de crédits à tous les secteurs que je viens de mentionner s’apparente un peu à la quadrature du cercle.
Mme Des Esgaulx revient régulièrement sur la question de l’AFITF, et cette constance mérite d’être saluée. Ses analyses le méritent d’ailleurs aussi, et certaines des remarques qu’elle a formulées peuvent être approuvées. Seulement, madame la sénatrice, il faut le dire clairement : êtes-vous pour le retour de l’écotaxe ?
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Au Sénat, j’ai souvent entendu qu’on y était favorable, mais, à l’Assemblée nationale, je me souviens de M. Le Fur, bonnet rouge sur la tête, combattant l’écotaxe comme si c’était le diable en personne… Quelle est donc la position de l’actuelle opposition, et des candidats qui se sont déclarés en son sein, sur le financement des infrastructures de transport ? Dira-t-on aux Français que l’on veut mettre en place une écotaxe ?
Dans la catastrophe financière que vous avez décrite, madame la sénatrice, vous savez comme moi que les responsabilités sont assez largement partagées. Ce n’est pas à vous, qui avez présidé une commission d’enquête sur le sujet, que j’apprendrai que le marché pour la mise en œuvre de l’écotaxe a été conclu avant 2012.
Augmenter les moyens de l’AFITF peut, en effet, correspondre à un choix politique ; mais il faut dire comment on s’y prendra ! Majorera-t-on la contribution des sociétés d’autoroutes ? Passera-t-on celle qui est acquittée par les transporteurs sur le gazole de deux à trois, quatre, voire cinq centimes ? Il faut le dire !
De la même façon, je ne suis pas sourd aux observations qui ont été présentées sur les départements, mais je vois que, sur les 100 milliards d’euros d’économies prévues dans le programme de celui qui est maintenant le candidat de la droite à l’élection présidentielle, 20 % devraient être réalisées par les collectivités territoriales.
M. Francis Delattre. Vous avez bien fait de même !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Sans doute, monsieur le sénateur, mais nous l’avons assumé !
La Cour des comptes a constaté que la réduction des dotations aux collectivités territoriales avait eu cette vertu d’entraîner une diminution de la dépense locale ; elle a décrit quelles collectivités ont été concernées et comment les mécanismes de péréquation, que j’ai toujours soutenus, ont permis que cette diminution s’opère dans des conditions peut-être plus intelligentes ou moins dures.
J’entends dire qu’il faudrait supprimer 500 000 emplois de fonctionnaires, mais je reçois chaque semaine une douzaine de courriers de parlementaires qui me demandent de ne pas réduire les effectifs de telle trésorerie de leur circonscription ou d’augmenter ceux de tel bureau de douane de leur département, en annonçant à chaque fois une catastrophe s’ils ne sont pas exaucés…
M. Francis Delattre. On veut bien vous croire !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Où donc trouvera-t-on 500 000 postes de fonctionnaires à supprimer ? Augmenter le temps de travail des fonctionnaires permettra-t-il d’en réduire le nombre ? Prétend-on vraiment ne remplacer aucun départ à la retraite pendant cinq ans ?
Pour ce qui est des collectivités territoriales, sur quel principe constitutionnel se fonderait-on pour écrire dans la loi de notre République qu’elles n’auraient plus le droit de remplacer les départs à la retraite ? Au demeurant, cette règle pourrait-elle s’appliquer de la même façon dans un secteur rural où la population est stable, dans le meilleur des cas, et dans un secteur périurbain, où elle augmente ? Imposer aux collectivités territoriales de ne pas remplacer les départs à la retraite est irréalisable sur le plan constitutionnel et irréaliste sur le plan technique !
Pour ma part, j’assume le fait que la baisse des dotations aux collectivités territoriales les a souvent conduites, dans certaines conditions, à agir sur leur masse salariale, même si certaines ont fait d’autres choix, en augmentant leur fiscalité ou en réduisant voire en supprimant certains services. Elles ont, en tout cas, réduit leurs dépenses, notamment de fonctionnement, mais aussi, personne ne le nie, d’investissement. Cela, nous l’assumons.
La majorité sénatoriale a fait, très majoritairement, le choix de ne pas étudier le budget ; je crois qu’un seul de ses membres a pris, à titre personnel, une position différente. Je regrette cette attitude, parce qu’il eût été utile de pouvoir inscrire noir sur blanc vos propositions et en faire le bilan.
Il faut plus de crédits pour la justice ? D’accord, mais dites combien, et on inscrit le chiffre dans la colonne « dépenses ». Il faut plus de crédits pour la défense, à hauteur de 2 % du PIB ? D’accord, mais inscrivons-le aussi. Ajoutons toutes les autres dépenses que vous réclamez, et, dans la colonne « recettes », inscrivons les allégements fiscaux pour lesquels des engagements ont été pris ; je pense en particulier à la suppression de l’ISF, mesure qui parle le plus, même si elle n’est peut-être pas la plus importante en termes financiers, et à la réduction de l’impôt sur le revenu. Ensuite, faisons les totaux et voyons le résultat. Voilà qui serait un exercice de transparence et de vérité !
Nous saurions ainsi quels postes il faudrait selon vous supprimer et sur quels leviers vous voudriez que l’on agisse. Non pas certes dans le détail, mais au moins dans les grandes lignes. Michel Bouvard – ce n’est pas en raison de la position qu’il a prise que je le cite – a rappelé que les parlementaires ont le pouvoir de redéployer des crédits entre les programmes d’une même mission budgétaire.
M. Michel Bouvard. En effet !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Les parlementaires ont bien des moyens de faire valoir leurs propositions sans contrevenir à l’article 40 de la Constitution.
M. Michel Bouvard. C’est vrai !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Prenons l’exemple du budget de la défense, sur lequel s’est exprimé notamment M. de Legge, mais aussi M. Bockel, et, plus précisément, parlons de la vente des fréquences.
M. Dominique de Legge. Vous n’allez pas nous faire le coup de 2015 !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Il est de notoriété publique qu’il y a parfois une forme de compétition entre le secrétaire d’État au budget et le ministère de la défense : j’essaie de contenir les dépenses, tandis que le ministère de la défense, comme tous les autres – peut-être un peu plus qu’eux, peut-être aussi avec un peu plus de raisons –, essaie d’obtenir des crédits.
Nous avions proposé d’inscrire les recettes de la vente des fréquences dans le budget de l’année 2015, à hauteur, comme vous l’avez rappelé, monsieur de Legge, de 2 milliards d’euros. On a commencé par nous dire : impossible, les fréquences ne seront jamais vendues avant la fin de l’année ! Elles l’ont été.
M. Dominique de Legge. Sauf qu’elles n’ont toujours pas été payées !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous connaissez les règles comptables : dès lors que l’acte est signé, la recette est connue et les crédits peuvent être utilisés.
Mais ce n’est pas tout. On nous a dit aussi : jamais les fréquences ne seront vendues pour 2 milliards d’euros ! Elles l’ont été pour 2,7 milliards d’euros.
Ainsi donc, n’en déplaise à ceux qui étaient sceptiques, la conversion de ces recettes exceptionnelles en crédits budgétaires a profité au budget général de l’État, qui a gagné 700 millions d’euros.
En ce qui concerne le budget de la défense, j’ajoute que, pour la première fois sans doute dans l’histoire de notre République, une loi de programmation militaire est non seulement respectée, mais révisée à la hausse en cours de mandat, puisque, comme M. de Legge l’a signalé, les lois de finances ouvrent des crédits supérieurs à ceux qui sont prévus par la programmation.
Bien entendu, les circonstances nous y obligent ; je ne le conteste pas.