M. Jean-Claude Carle. Très bien !
M. Philippe Dallier. Voilà pourquoi nous jugeons que la réponse proposée ici par le Gouvernement est bien trop parcellaire et passe à côté des véritables enjeux.
M. Jean-Claude Carle. Très bien !
M. Philippe Dallier. Ce qui fait fondamentalement défaut à ce texte, c’est bien la réaffirmation d’un modèle envisagé dans sa globalité, c’est-à-dire avec ses droits et ses libertés, mais aussi avec ses devoirs et ses responsabilités, qui structurent le modèle républicain. Sans vision d’ensemble, ce projet de loi ne peut ni fixer de cap ni poser une réelle ambition.
Deuxième défaut majeur de ce texte, il est devenu, au fil de la discussion, un véritable fourre-tout législatif, passant de 41 à 215 articles, égrenant des mesures disparates, oscillant souvent entre l’anecdotique et l’incantatoire, allant des questions d’alimentation durable aux règles de vente au déballage, du bizutage à la portabilité du lundi de Pentecôte, en passant par les gens du voyage et les langues régionales…
Ce matin même, en commission spéciale, nous avons examiné nombre d’amendements déposés dans la nuit par le Gouvernement et n’ayant, pour la plupart, aucun rapport avec l’objet du texte. Certains accusent le Parlement de lenteur : que l’on me permette de conseiller au Gouvernement de commencer par balayer devant sa porte ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)
Un texte censé répondre à un problème aussi grave que celui du délitement de notre pacte républicain ne peut pas être utilisé comme le dernier véhicule législatif avant le terminus de 2017. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Fort heureusement, la commission spéciale du Sénat et ses rapporteurs se sont livrés à un important travail de toilettage, qui, à défaut de rendre ce texte décisif, le rend du moins plus acceptable en termes de procédure.
Reste des sujets d’importance, plus directement liés au problème posé, comme la place des jeunes dans notre société ou la mixité dans le logement social.
Malheureusement, ce projet de loi – c’est là son troisième défaut majeur – est fortement teinté de l’idéologie du « toujours plus de droits individuels » et d’une suspicion généralisée à l’égard de tous ceux qui détiennent une parcelle d’autorité ou de pouvoir.
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. Philippe Dallier. Mais peut-être faut-il ne voir là que l’ultime tentative de recoller les morceaux d’une majorité éclatée…
On connaissait les hésitations et les volte-face du Président de la République sur le plan économique, qui ont tant perturbé certains ; on prend maintenant la mesure de sa ligne sur le plan sociétal : c’est celle de l’émancipation de l’individu sans véritable contrepartie, avec son inéluctable conséquence, à savoir l’effritement de la cohésion sociale !
Ainsi, ce que vous appelez « égalité réelle », notion dont on aimerait d’ailleurs avoir une définition précise, se réduit souvent à une juxtaposition de droits spécifiques en faveur de tel ou tel groupe ou répondant à des demandes particulières de lobbies, comme lorsqu’il est proposé d’inscrire la notion d’identité de genre dans notre droit pénal ou l’obligation, pour le Conseil supérieur de l’audiovisuel, de « veiller à la représentation de la diversité de la société française et à l’absence de préjugés dans les programmes audiovisuels » ; bon courage à ceux qui devront effectuer ce travail ! (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Un voile de suspicion est également jeté sur nombre de symboles de l’autorité, forcément suspectés d’opprimer ou de freiner l’émancipation des individus, et dont on ne voit pas qu’ils participent aussi, de manière essentielle, à la construction de ces derniers.
Un nouveau discrédit est ainsi porté aux représentants de l’ordre par des mesures faisant de ceux qui ont la charge de notre protection des suspects. Pour attester de leur probité, les services de police devraient filmer leurs interventions lors de chaque contrôle d’identité.
L’État s’autorise à s’immiscer un peu plus dans la sphère familiale, empiétant encore sur la liberté des parents en matière d’autorité parentale. Et vous voudriez réduire encore cette autorité en conférant de nouvelles capacités d’ordre juridique aux mineurs de seize ans, évidemment sans débattre des conséquences en termes de responsabilité !
Cette défiance à l’égard de toute forme d’autorité va jusqu’à contester l’incarnation même de la démocratie représentative, à savoir les maires, qui voient leur légitimité remise en cause par les prérogatives données aux conseils citoyens, notamment leur capacité d’interpellation du préfet.
En matière d’attribution de logements sociaux, au nom de la nécessaire mixité sociale – objectif auquel je souscris, je le souligne une nouvelle fois à cette tribune –, tous les membres des commissions d’attribution, tous les réservataires et même les bailleurs sont a priori considérés comme suspects. Votre texte prévoit, pour les contraindre, une série de mesures dont la complexité de mise en œuvre effraie déjà tous les acteurs. À la clef, bien sûr, les sanctions pleuvent, privant les uns et les autres de leurs droits d’attribution pourtant souvent très chers payés !
Quant au fameux article 55 de la loi SRU, vous n’avez tiré aucun enseignement du rapport du CGEDD, le Conseil général de l’environnement et du développement durable – une instance pourtant présidée par Mme la ministre Ségolène Royal –, qui établit clairement que, pour nombre de communes, l’objectif de 25 % de logements sociaux en 2025 est inatteignable.
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Philippe Dallier. Je le répète : les communes carencées aujourd'hui sont un peu plus de 200 sur 1 100 communes soumises à l’article 55 de la loi SRU. Avec les objectifs de Mme Duflot, plus de la moitié des communes iront dans le mur pour la prochaine période triennale, et vous faites semblant de ne pas vous en apercevoir.
Vous vous enfermez dans une logique absurde de matraquage des communes, qui finira, madame la ministre, je vous le dis parce que je me considère comme un maire bâtisseur, par dégoûter les élus de bonne volonté de faire quoi que ce soit de plus ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Eh bien, pour nous, à l’impossible nul ne devrait être tenu ; c’est pourquoi, à votre logique du bâton, nous allons substituer celle du contrat entre l’État et la commune. Sur la base d’un constat partagé, tenant compte de la tension du marché, du foncier disponible et des moyens budgétaires des collectivités – elles en ont de moins en moins, alors qu’on leur demande de construire de plus en plus –, seront fixés l’objectif à atteindre et le rythme de construction.
Entre 15 % et 25 % de logements, cela ne signifie pas, comme je l’ai entendu, que tout le monde produira 15 % de logements sociaux : cela se fera en fonction du terrain et des réalités !
M. Christian Cambon. Voilà !
M. Philippe Dallier. Enfin, on ne peut qu’être frappé de la vision qui est développée s'agissant de l’avenir professionnel des jeunes. Après les emplois d’avenir subventionnés, votre projet prône le « tout associatif », ce qui consiste en réalité à élargir l’accès des jeunes à une fonction publique ou parapublique déjà pléthorique.
Croyez-vous vraiment que ce soit ce dont rêvent les jeunes Français ? Si tel était le cas, pourquoi autant d’entre eux, parmi les plus diplômés, mais pas seulement, partent-ils à l’étranger pour tenter de trouver les chances de se réaliser qu’ils n’ont pas chez nous ? (Mme Hélène Conway-Mouret s’exclame.)
Au-delà des articles, pris un par un, c’est donc la conception même de l’égalité et surtout de la citoyenneté proposée par ce texte qui nous pose problème.
La bonne conscience et la candeur avec laquelle vous croyez changer le monde nous semblent aux antipodes des besoins de cette jeunesse en quête d’un destin collectif et surtout de repères. (Mme Dominique Gillot proteste.) En les gommant toujours plus, vous laissez dans les interstices un vide propice au développement de toutes les idéologies de remplacement.
Votre propension à penser une société hors-sol, fondée sur une conception purement théorique de la liberté et une vision désincarnée de la citoyenneté marque une distance toujours plus grande avec le réel. Ce n’est certainement pas de cette manière-là que nous ramènerons dans son giron « les enfants de ces territoires perdus de la République » ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Christian Cambon. Excellent !
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois.
M. Daniel Dubois. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames les rapporteurs, mes chers collègues, dans le cadre de l’examen en séance publique du projet de loi relatif à l’égalité et à la citoyenneté, je souhaite pour ma part attirer votre attention sur le titre II, consacré au logement social, plus particulièrement sur l’article 20, qui vise à réviser et à encadrer considérablement les règles d’attribution des logements sociaux, et ce au nom de la mixité sociale.
En effet, cet article prévoit entre autres que tous les bailleurs sociaux devront consacrer au moins 25 % des attributions de logements situés en dehors des QPV au quartile des demandeurs les plus pauvres et, à l’inverse, fixer un objectif d’attribution dans les quartiers les plus en difficulté aux demandeurs plus aisés. Il prévoit également de rendre publics, d’ici à 2022, les critères d’attribution comme les données sur les immeubles et les logements vacants. Il encourage enfin la « location choisie », permettant au demandeur de faire des demandes spécifiques pour les logements qui l’intéressent le plus.
Mes chers collègues, je me pose une question simple : ces mesures seraient-elles de nature à résoudre les problèmes de mixité sociale ? Je pense très franchement que non ! Je crois même qu’elles seraient contre-productives.
Grâce à mon expérience en la matière, je connais l’engagement et le dévouement des maires et des bailleurs sociaux. Il ne sert à rien de passer d’une politique de la carotte et du bâton à une politique du bâton et du bâton.
Le texte du Gouvernement multiplie les nouveaux critères de priorité pour l’attribution des logements sociaux. Avec une telle multiplicité de priorités, y a-t-il encore des priorités ? Le rôle du Gouvernement n’est pas d’organiser le concours Lépine de la meilleure ou de la moins mauvaise priorité. Nous savons bien que trop de priorités tue la priorité !
Quelles sont les missions des organismes d’HLM ? Assurer la mixité sociale et loger nos concitoyens les plus modestes.
Pourquoi alors intégrer dans le droit commun les personnes relevant du droit opposable au logement, qui doit rester une voie de recours exceptionnelle ?
Pourquoi loger prioritairement des personnes qui, si elles sont en situation d’expulsion, ne sont pas dans la légalité ? Cette prime à la mauvaise foi pose d’ailleurs un sérieux problème de principe !
Pourquoi demander aux bailleurs sociaux de loger prioritairement les personnes connaissant un cumul de difficultés financières et d’insertion ? Nous le savons, l’insertion est une compétence relevant principalement de l’État. Ce dernier doit l’assumer au travers de ses centres d’hébergement et de réinsertion sociale, dans lesquels le public le plus en difficulté doit pouvoir bénéficier de l’accompagnement de professionnels de l’insertion.
Avec ce texte, le Gouvernement fait entrer le logement social dans une logique de quotas. Où est la confiance ? Où est l’autonomie des acteurs de terrain ? Ce sont les élus locaux et les organismes d’HLM, avec leur connaissance des spécificités locales, qui sont en mesure d’assurer une politique de peuplement efficace et équilibrée.
Comment pouvez-vous croire, madame la ministre, monsieur le ministre, que vous serez plus efficaces dans vos ministères parisiens que ces acteurs de proximité ? C’est, au pire, un péché d’orgueil, au mieux, le témoignage d’une certaine méconnaissance de la réalité de la gestion opérationnelle des bailleurs sociaux.
À trop les occuper à devoir remplir des cases, vous allez les détourner de l’essentiel. Comment espérer, d’ailleurs, qu’ils puissent ainsi sereinement s’atteler à la construction de nouveaux logements, alors que, vous le savez, nous ne construisons pas suffisamment ?
Concernant la question des attributions, le Sénat a redonné de l’oxygène à ce texte. Je remercie Mme la rapporteur Dominique Estrosi Sassone de son travail, de sa disponibilité et de son écoute sur ce sujet.
Nous ne sommes pas dupes : avec un tel contrôle des attributions, ce texte participe au final de la tentative de nationalisation de la politique du logement par l’État, au mépris des réalités locales et des élus locaux.
Voilà, mes chers collègues, l’essentiel de ce que je souhaitais vous dire en quatre minutes à l’occasion de cette discussion générale. Je laisserai ma collègue Valérie Létard s’exprimer au nom du groupe UDI-UC au sujet des modifications apportées par le Sénat à l’article 55 de la loi SRU.
Je conclurai mon intervention par un appel. Le logement social mérite un vrai débat national. Il mérite bien plus que quelques chapitres au sein d’un projet de loi de réconciliation de la gauche, à huit mois de l’élection présidentielle ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, à plusieurs occasions le Président de la République a déclaré que la France avait un grand besoin de simplification.
Dans une étude publiée le 27 septembre dernier, comme Mme la rapporteur l’a rappelé, le Conseil d’État s’est alarmé de notre « logorrhée législative », qui « est un enjeu de compétitivité » et « l’un des premiers facteurs d’exclusion » ajoutant que les lois sont souvent prises « en réaction au journal de vingt heures ». Ce texte, après d’autres, est un parfait modèle de cette logorrhée.
Au détour de ses 217 articles, le texte issu de l’Assemblée nationale et soumis à la procédure accélérée comporte en effet des dispositions très hétéroclites, touchant au logement, aux gens du voyage, au service civique, en passant par le bizutage, la portabilité du lundi de Pentecôte, la représentation des classes d’âge au sein du CESER, la définition légale des auberges de jeunesse, les conditions de nationalité pour les chirurgiens-dentistes et les débitants de boisson et, pour finir, par l’abrogation d’une ordonnance de Charles X. Cette dernière, je n’en doute pas, est certainement aujourd’hui la première préoccupation de nos compatriotes !
M. Charles Revet. Heureusement que le Sénat est là pour remettre de l’ordre !
M. Jean-Claude Carle. Ce texte, si vous me permettez l’expression, est un véritable « vide-grenier » – cette opération que l’on effectue lorsque l’on quitte sa maison ou lorsque le propriétaire décide de mettre fin au bail. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.) Pris par le temps, on empile pêle-mêle dans les cartons les bijoux de famille, l’argenterie et la pacotille, au risque d’endommager ou de ne pas retrouver l’important au profit du détail.
Or le diable se cache, comme souvent, dans le détail. C’est bien le cas ici ! Permettez-moi de prendre deux exemples.
Premièrement, les articles 14 bis et 14 undecies, sous couvert de lutte contre la radicalisation, remettent en cause une liberté constitutionnelle : la liberté d’enseignement, que l’instruction ait lieu dans la famille ou dans un établissement privé. L’arsenal juridique permettant de lutter contre ces risques existe pourtant, notamment la loi Royal de 1998. J’y reviendrai lors de la discussion de ces articles.
Deuxièmement, l’article 47, qui concerne la restauration scolaire, rend obligatoire une compétence facultative des communes, des EPCI, sans même avoir effectué la moindre étude d’impact, et ce à l’heure où les dotations de l’État envers les collectivités ne cessent de diminuer. L’absence d’études d’impact fait d’ailleurs partie des remarques formulées par le Conseil d’État. Le Sénat, à la demande de Françoise Laborde et de moi-même, a rejeté à une très large majorité cette proposition lors de la discussion du texte.
Ce projet de loi, comme nombre de textes précédents, démontre la volonté du Gouvernement, mais aussi de sa majorité à l’Assemblée nationale, de tout normer et de tout encadrer.
Je veux donc remercier et féliciter nos deux rapporteurs, Françoise Gatel et Dominique Estrosi Sassone, d’apporter un peu de cohérence et de lisibilité en effectuant un tri salutaire. Ainsi, 117 amendements sur les 648 déposés ont été déclarés irrecevables au titre de l’article 41 ou de l’article 45 de la Constitution. De même, la commission spéciale sur proposition de ses rapporteurs a supprimé quinze demandes de rapports. Nous savons tous quel est l’avenir de tels documents…
En conclusion, ce texte est révélateur de la contradiction patente qui existe entre les déclarations du Président de la République, prônant la simplification, et la réalité à laquelle il est confronté : celle de satisfaire peu ou prou sa majorité composite, qui le contraint à faire l’inverse de ce qu’il prône.
Ce texte est également révélateur de la volonté du Gouvernement et de sa majorité à l’Assemblée nationale de vouloir tout régler par la loi, donc d’y faire figurer ce qui relève du décret, voire de la circulaire ou du règlement, ajoutant ainsi de la complexité à la complexité.
Certes la loi doit être la même partout et pour tous. Toutefois, si la France est une et indivisible, elle n’est pas uniforme. Le respect de cette diversité relève davantage du contrat que de la contrainte.
C’est d’ailleurs le sens des propositions de nos deux rapporteurs. Je les en remercie, d’autant plus qu’elles ont effectué ce travail dans un temps particulièrement contraint. J’associe à ces remerciements le président de la commission spéciale, Jean-Claude Lenoir. Le groupe Les Républicains leur apportera son soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Henri de Raincourt. Bravo !
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard. Monsieur le président, madame, monsieur les ministres, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord saluer le président de la commission spéciale, Jean-Claude Lenoir, ainsi que les rapporteurs, Dominique Estrosi Sassone et Françoise Gatel, car nous savons tous que leur travail, durant la période estivale, a été important et nourri. Je salue également l’ensemble des membres de la commission spéciale.
Nous le savons, en politique, il y a des totems et des tabous. L’article 29, qui vise à renforcer une fois de plus les modalités d’application de l’article 55 de la loi SRU fait sans conteste partie de ces symboles qui constituent de véritables marqueurs, suscitant toujours des discussions denses et passionnées.
Lors du débat sur la loi du 18 janvier 2013, le Gouvernement a franchi un cap supplémentaire dans le durcissement de cette loi. Nombre d’entre nous avaient souligné les risques d’un élargissement excessif du champ d’application, du passage du taux à 25 %, des conséquences du renchérissement des pénalités et de l’impraticabilité d’une date butoir en 2025. Quand le Gouvernement souhaite raidir encore les choses trois ans après, cela tient un peu de l’acharnement !
Ma position est claire : j’ai toujours défendu dans cet hémicycle, avec un certain nombre de mes collègues centristes déjà présents à l’époque, le bien-fondé de l’article 55 de la loi SRU lorsque se sont fait jour certaines velléités de le « détricoter ». En effet, il a permis la construction de 480 000 logements locatifs sociaux en quinze ans. À part une poignée de communes vraiment récalcitrantes, les autres se sont toutes mobilisées et ont fait des efforts importants de production de logements sociaux.
M. Hubert Falco. Tout à fait !
Mme Valérie Létard. Donc, oui, ce dispositif est utile, mais il n’a pas besoin d’être punitif à l’excès. C’est pourtant ce qu’il est devenu au fil du temps et des textes, ce qui le rend trop souvent impossible à mettre en œuvre.
C’est la raison pour laquelle je suis favorable à la proposition de Mme la rapporteur de la commission spéciale, notre collègue Dominique Estrosi Sassone, d’entrer dans un processus de contractualisation qui permette de fixer des objectifs au cas par cas et de tenir compte des réalités locales.
M. Hubert Falco. C’est du bon sens !
Mme Valérie Létard. La contractualisation, comme je l’ai souligné et comme l’a montré Dominique Estrosi Sassone, doit permettre de redonner à ce dispositif toute la souplesse nécessaire, mais nous devons dans le même temps conserver l’objectif initial de la loi, qui est bien la construction de logements locatifs sociaux là où les besoins s’en font sentir.
Or la loi de 2013 a multiplié les contraintes, au risque de démobiliser les meilleures bonnes volontés.
M. Philippe Dallier. Eh oui !
Mme Valérie Létard. Le résultat, c’est le constat établi par le deuxième rapport du CGEDD sur l’application de l’article 55. L’objectif de 25 % de logements sociaux en 2025 sera impossible à tenir pour de très nombreuses communes. Il faut donc revenir à la raison.
Néanmoins, devons-nous pour autant abandonner tout cadrage et laisser à la contractualisation la liberté de tout fixer ? Je ne le crois pas, car dans certains cas cela pourrait revenir à supprimer l’article 55 sans le dire.
M. Philippe Dallier. Mais pourquoi ? C’est le préfet qui décide !
Mme Valérie Létard. À mon sens, et en l’inscrivant dans le dispositif proposé par la commission spéciale et Mme la rapporteur, il me semble possible d’adopter une voie médiane, qui « décorsète » l’article 55 – il en a besoin – sans le dénaturer. C’est d’ailleurs l’objet des principaux amendements que j’ai déposés, avec le soutien d’un grand nombre de mes collègues du groupe UDI-UC.
Ces amendements visent notamment la question des catégories de logement assimilées à du logement social : où est-il pertinent de placer le curseur ? Ils ont également pour objet la détermination du taux de logements locatifs sociaux. Retenir une fourchette allant de 15 % à 25 % me paraît trop large. Il est possible d’envisager une approche différenciée.
Ils portent ensuite sur la place de l’intercommunalité sur ce dispositif au côté des communes et de l’État. Je rappelle que les organismes de logements sociaux municipaux seront transférés à l’intercommunalité dès 2017 et que les EPCI sont, au travers des PLH, le lieu de programmation et de contractualisation des politiques locales de l’habitat. Nous devons le prendre en compte. N’oublions pas non plus que, souvent, les porteurs de la garantie d’emprunt pour la construction de logements sociaux sont les EPCI.
M. Philippe Dallier. Pas partout !
Mme Valérie Létard. C’est très souvent le cas, mon cher collègue : l’Île-de-France ne doit pas édicter les règles qui s’appliqueront à la France entière !
M. Philippe Dallier. Mais il y a aussi l’Île-de-France !
Mme Valérie Létard. Ces amendements visent enfin la place du logement intermédiaire, qui n’est pas la même dans les zones hypertendues et dans le reste des territoires.
Ne faisons pas de l’article L. 302-5 une coquille qui ne serait pas assez remplie quand des besoins nombreux existent encore. Ne stoppons pas l’effort aujourd’hui, ce qui reviendrait à en exonérer les communes qui ont été les moins vertueuses ! Ne passons pas d’un excès à l’autre.
En même temps, gardons à l’esprit que la mixité sociale ne se décrète pas ; cela se construit en s’inscrivant dans des stratégies locales englobant non seulement le logement et l’accompagnement social, mais aussi l’économie, les transports et les services aux populations. Soyons justes et équitables. Faisons confiance aux collectivités et laissons-les garder la main sur les politiques qu’elles financent afin d’être au plus proche des besoins des habitants.
M. Hubert Falco. Très bien !
Mme Valérie Létard. Oui pour des règles, mais avec de la souplesse et de l’adaptation. La voie médiane est possible, c’est la solution que nous défendons et autour de laquelle nous pouvons tous nous retrouver ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du RDSE. – M. Hubert Falco applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi inscrit en urgence présente toutes les caractéristiques, pour ne pas dire tous les défauts, d’un projet de loi socialiste. (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
Le premier défaut est qu’il s’agit d’une loi fourre-tout, comme notre collègue Jean-Claude Carle l’a souligné. Néanmoins, son énumération n’a pas été complète, puisqu’il a oublié de citer la fessée donnée aux enfants !
Le deuxième défaut est l’enflure, qui frappe tant le volume que le langage du projet de loi.
M. Mathieu Darnaud. C’est un pachyderme !
M. Dominique de Legge. Le texte est passé de 41 à 217 articles. C’est dire la difficulté qu’il y a à rendre cohérent cet inventaire à la Prévert.
Parallèlement, cette logorrhée est doublée d’une rhétorique caricaturale. « Faire vivre la fraternité », « principe d’ardente obligation de la Nation tout entière de permettre la réalisation d’un engagement citoyen », « République en actes », « égalité réelle », « parcours citoyen généralisé »,…
M. Jean-Pierre Sueur. Magnifique !
M. Dominique de Legge. … autant de formules relevées dans l’exposé des motifs et dont on ne discerne ni les contours ni l’aspect concret !
M. Jean-Pierre Sueur. Ce ne sont pas des formules, ce sont des valeurs !
M. Jacques Mézard. Ce sont des mots !
M. Dominique de Legge. Je crois à la citoyenneté, à la fraternité, à l’égalité. Toutefois, je ne suis pas certain que le meilleur moyen de les promouvoir soit de les invoquer sous forme incantatoire pour habiller des dispositions qui, par leur caractère irréaliste et caricatural, les discréditent.
Ces incantations signent un aveu d’impuissance. Que peut par exemple signifier « l’égalité réelle », qui supposerait l’existence fumeuse d’une « égalité irréelle » ? Où est la dimension juridique ?
On le comprend, il s’agit donc d’une loi avant tout conceptuelle et idéologique, dans laquelle les socialistes parlent avec les socialistes.
M. Didier Guillaume. Pourquoi, vous n’êtes jamais dans l’idéologie, vous ?
M. Dominique de Legge. Le troisième défaut est cette obsession de vouloir tout sanctionner, verrouiller, imposer, uniformiser, au mépris des réalités du terrain, et au profit d’une vision autoritaire et moralisante de l’action publique, exercée par un État centralisateur.
Renforcer les sanctions infligées aux communes carencées, élargir les prérogatives des EPCI et du préfet par substitution aux maires, autant de mesures manquant de pragmatisme au nom de l’idéologie. En conséquence, de nombreuses mesures sont, en l’état, inapplicables. D’où le recours aux ordonnances, pourtant violemment critiqué en 2005 par un député devenu depuis lors Président de la République, qui y voyait un « dessaisissement du Parlement » et une « renonciation à la confrontation démocratique ». Il critiquait d’ailleurs de la même manière le recours perpétuel à la procédure d’urgence…
Le quatrième défaut est que l’État légifère et envoie la facture à d’autres, en l’occurrence aux collectivités territoriales dans un contexte de baisse des dotations.