M. Michel Sapin, ministre. Ce texte est tellement riche qu’au moins trois ministres se succéderont au banc du Gouvernement au cours de son examen.
Le Gouvernement vous propose d’examiner aujourd’hui et demain les articles sur lesquels la commission des lois est saisie au fond. Nous pourrons examiner mercredi après-midi les articles sur lesquels la commission des affaires économiques est déléguée au fond, en présence de M. Macron. Puis, le mercredi soir et, si nécessaire, le jeudi, le Sénat pourra aborder les articles relatifs aux questions agricoles, en présence de M. Le Foll. Ensuite, nous pourrons reprendre les articles sur lesquels la commission des lois est saisie au fond, s’il en reste, et poursuivre avec les articles sur lesquels la commission des finances est déléguée au fond.
J’ignore si nous en aurons terminé avant vingt et une heures jeudi. (Exclamations.)
M. Philippe Dallier. Cela paraît peu probable !
M. Michel Sapin, ministre. Si tel n’est pas le cas, j’espère que nous pourrons reprendre à vingt-trois heures. Vous voyez à quoi je fais allusion : il y a match, ce soir-là ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Lenoir. Cela nous était sorti de l’esprit ! (Nouveaux sourires.)
M. Michel Sapin, ministre. En l’espèce, c’est plutôt l’Allemagne qu’il faut sortir ! (Rires.) Et c’est peut-être encore plus difficile !
Si nous n’avons pas achevé l’examen de ce texte jeudi soir, nous poursuivrons vendredi.
En clair, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, conformément à l’alinéa 6 de l’article 44 du règlement, le Gouvernement demande la réserve des articles 16 à 16 quinquies et l’examen en priorité des articles 36 à 48 bis, en vue de leur discussion le mercredi 6 juillet, à la suite des conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au Conseil supérieur de la magistrature, jusqu’à la suspension du dîner, puis, le jeudi 7 juillet, à la suite du débat sur l’orientation des finances publiques et du projet de loi de règlement du budget et d’approbation des comptes de l’année 2015.
Le Gouvernement demande par ailleurs que soient appelés en priorité les articles 30 AA jusqu’aux amendements portant articles additionnels après l’article 31 sexies le mercredi 6 juillet, le soir, et le jeudi 7 juillet, le matin, après la convention internationale examinée selon la procédure d’examen simplifiée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur ces demandes de réserve et de priorité ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Avis favorable, même si la commission n’en a pas délibéré.
M. le président. Il n’y a pas d’opposition ?…
Les réserves et les priorités sont ordonnées.
Nous passons à la discussion du projet de loi, dans le texte de la commission.
projet de loi relatif à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique
TITRE Ier
DE LA LUTTE CONTRE LES MANQUEMENTS À LA PROBITÉ
Chapitre Ier
De l’Agence de prévention de la corruption
M. le président. L'amendement n° 560 rectifié, présenté par MM. Collombat, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin et Guérini, Mmes Laborde et Malherbe et M. Requier, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet intitulé :
De l'Agence de prévention des crimes et délits à caractère financier
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Personnellement, au lieu d’avoir trois, quatre ou cinq ministres au banc, j’aurais préféré que nous n’en ayons que deux, en l’occurrence, vous, monsieur le ministre, et peut-être M. le garde des sceaux, pour s’occuper de la question essentielle à mes yeux : la lutte contre les délits financiers.
Comme je l’ai dit en discussion générale, c’est le fond du débat, la corruption étant un délit financier parmi d’autres. Cette lutte est une absolue nécessité.
Par conséquent, avec mon groupe, nous souhaitons que l’agence créée à l'article 1er ne soit pas seulement une agence de prévention. Elle doit également être un outil au service de la magistrature. Sur ce point, j’ai suivi ce qu’a dit notre rapporteur. C’est aux juges de prononcer les sanctions. Mais encore faut-il qu’ils disposent des outils d’investigation que l’agence leur fournira.
À quoi assiste-t-on ? L’Assemblée nationale a fait le choix de remettre en piste les sanctions administratives, avec les défauts qui ont été signalés. Mais le texte retenu par la commission des lois du Sénat ne fait plus référence qu’à la prévention ! Franchement, la prévention, c’est très bien ; mais, pour moi, ce qui importe, c’est l’efficacité des sanctions ! Or on cherche dans ce projet de loi où sont les mesures d’alourdissement des sanctions et les procédures autres que les procédures de négociation ; on en a même inventé une de plus !
Finalement, on n’enregistre aucun progrès dans la lutte contre la corruption, et encore moins contre l’ensemble des autres délits financiers. C’est cela ce que je regrette ! Si vraiment on veut aller jusqu’au bout, il faut prendre les décisions qui s’imposent ! À mon avis, la nouvelle agence doit assister les procureurs et les juridictions dans la lutte contre la délinquance financière.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Cet amendement vise à donner une nouvelle dénomination à l’agence, que nous avons déjà renommée, pour souligner qu’elle aura vocation à prévenir d’autres délits que ceux qui relèvent de la corruption, comme la prise illégale d’intérêt ou le détournement de fonds publics.
Il est vrai que l’agence a pour mission de prévenir d’autres faits que les délits de corruption. Pour autant, sa prétention est de prévenir non pas tous les crimes et délits à caractère financier, mais seulement les manquements les plus graves à la probité, à commencer par la corruption.
La plupart des agences qui luttent dans le monde contre de tels phénomènes font expressément mention de la corruption dans leur intitulé.
La commission sollicite donc le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Premièrement, je veux faire observer que, dans mon esprit, il ne s’agit pas uniquement de prévention ; il s’agit aussi de capacités d’investigation au service de la justice.
Deuxièmement, je voudrais attirer votre attention sur ce qui est en train de se passer. L’absence de toute mesure de lutte contre la délinquance financière sera complètement passée sous silence. En revanche, ce qui va occuper nos débats, ce qui va nous passionner, ce qu’on retrouvera dans les journaux, ce sont les lanceurs d’alerte !
Plutôt que de nous doter d’un outil de répression qui permettrait peut-être à certains d’éviter de prendre des risques pour que la justice passe, nous allons nous écharper pour savoir qui peut être considéré comme lanceur d’alerte, et comment faire…
C’est typique des procédés qui sont utilisés pour détourner l’attention des vrais problèmes ! Quand je dis que, dans ce pays, la délinquance financière n’est pas traitée comme le reste de la délinquance, en voilà une magnifique illustration ! Je le regrette.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Sapin, ministre. Monsieur Collombat, la suite des débats montrera que votre emportement n’est pas justifié. Ce texte contient des dispositions de lutte contre la corruption, au sens strict du terme. Nous le verrons lors de l’examen des articles suivants : des peines complémentaires sont créées ; un certain nombre d’associations et d’ONG, qui ne le pouvaient pas jusqu’à présent, pourront désormais saisir les tribunaux ; certaines peines seront alourdies. Nous nous préoccupons donc de la lutte contre la corruption en tant que telle. Là, il est question de l’agence, qui a principalement un rôle de prévention de la corruption. À cet égard, un désaccord subsiste entre la commission et le Gouvernement ; je considère qu’il est nécessaire de conserver à cette agence son pouvoir de sanction administrative. Nous en reparlerons.
Je le répète, ce texte renforce les moyens de lutte contre la corruption. Vous aurez les preuves de ce que j’avance dans quelques instants.
M. Pierre-Yves Collombat. Je les attends !
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 560 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 1er
L’Agence de prévention de la corruption est un service à compétence nationale, placé auprès du ministre de la justice et du ministre chargé du budget, ayant pour mission d’aider les autorités compétentes et les personnes qui y sont confrontées à prévenir et à détecter les faits de corruption, de trafic d’influence, de concussion, de prise illégale d’intérêt, de détournement de fonds publics et de favoritisme.
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, sur l'article.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous entrons de plain-pied dans le débat.
La création d’une agence de prévention et d’aide à la détection de la corruption nommée « Agence française anticorruption » à l’Assemblée nationale et renommée par notre commission des lois « Agence de prévention de la corruption » – après avoir été déchue de son pouvoir de sanction, qui a été renvoyé à la justice – pourrait, semble-t-il, aller dans le bon sens, cette agence se substituant à l’actuel service central de prévention de la corruption, créé par la loi Sapin I.
Le Gouvernement préconise que cette nouvelle autorité indépendante dispose de moyens renforcés et soit dotée d’une commission des sanctions chargée de prononcer des injonctions et des sanctions à l’encontre des sociétés ne respectant pas leurs obligations de prévention de la corruption.
Cependant, la création de cette nouvelle autorité « indépendante » pour prévenir, contrôler, voire sanctionner ce qui relève normalement, selon nous, des prérogatives de l’État, de la justice judiciaire nous laisse nous aussi dubitatifs.
Ne faudrait-il pas plutôt – nous avons adressé maintes interpellations en ce sens – renforcer les moyens d’agir de la justice et, notamment, du parquet national financier, récemment créé pour lutter contre la grande criminalité économique et financière, plutôt que de pallier artificiellement ces lacunes ?
Nous pouvons en outre déplorer le manque d’études d’impact en matière de corruption. De quoi parle-t-on concrètement ? Et, par conséquent, que sommes-nous amenés à contrôler ? Au final, ne s’agit-il pas d’une disposition creuse, à plus forte raison au regard de la réduction effectuée par la droite sénatoriale, tout juste efficace pour « redorer le blason » de la France en matière de corruption à l'échelon international ?
A minima, nous pourrons réfléchir, au cours du débat, si cette instance est amenée à être conservée, à y associer des citoyens, en plus d’organisations syndicales, dans le contrôle réellement opéré.
La création pléthorique d’autorités indépendantes est symptomatique d’un recul du politique. En suivant cette voie, l’exécutif fait souvent le choix du « jeu de la défausse », qui permet de l’éloigner des tensions économiques, sociales, et de se déresponsabiliser d’arbitrages qu’il ne veut pas assumer.
Ainsi, comme nous l’affirmons maintenant depuis de nombreuses années, la multiplication des autorités administratives conduit à un démembrement et à un délitement de l’État.
Le Conseil d’État lui-même, dans son rapport de 2001, n’était d’ailleurs pas favorable à cette multiplication d’agences, qui consiste à transformer progressivement un service de l’État en établissement public ou en commission consultative, puis en autorité administrative indépendante, et parfois enfin en autorité publique indépendante.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 127 rectifié bis, présenté par MM. Cabanel et Lalande, Mmes Claireaux et Lepage, M. Labazée, Mmes Guillemot et Yonnet, M. Duran, Mme Schillinger, MM. Courteau et J. Gillot, Mme Monier, M. Mazuir et Mme Tocqueville, n’est pas soutenu.
L'amendement n° 519 rectifié, présenté par MM. Collombat, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard, Requier, Vall, Guérini et Hue, est ainsi libellé :
Supprimer les mots :
et du ministre chargé du budget
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Je pense que la répression de la délinquance financière est l’affaire du garde des sceaux. Je préférerais donc que l’agence soit sous sa seule tutelle.
M. le président. L'amendement n° 593, présenté par M. Gattolin et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Dans les six mois suivant la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport qui étudie la possibilité de doter l'Agence de prévention de la corruption du statut d'autorité administrative indépendante.
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. J’aurais aimé que l’amendement n° 127 rectifié bis fût défendu ; cela m’aurait permis d’enchaîner.
La convention des Nations unies contre la corruption, qui engage la France, précise, en son article 6, que les organes nationaux de prévention de la corruption doivent bénéficier de l’indépendance nécessaire « pour leur permettre d’exercer efficacement leurs fonctions à l’abri de toute influence indue ».
Le Gouvernement a d’ailleurs jugé utile, dans le projet de loi soumis à l’Assemblée nationale, de préciser que le directeur de l’Agence de prévention de la corruption ne pouvait pas recevoir ni solliciter d’instruction d’aucune autorité administrative ou gouvernementale dans l’exercice de certaines de ses missions, notamment le contrôle des procédures de prévention que doivent mettre en œuvre la plupart des entités publiques ou semi-publiques.
En revanche, pour l’exercice d’autres missions, comme la coordination stratégique ou la représentation de la France, c’est le même directeur qui est soumis au pouvoir exécutif. C’est donc à une forme de schizophrénie qu’il va se trouver soumis, devant respecter sa hiérarchie le matin, mais étant censé ne plus l’entendre l’après-midi.
Il aurait été plus clair, et porteur de plus de garanties, de conférer une véritable indépendance à cette agence, en lui donnant le statut, par exemple, d’autorité administrative indépendante, quitte à ce que ses missions qui requièrent des instructions du pouvoir exécutif soient exercées par un autre service.
Tel est le sens de cet amendement, qui prend la forme d’une demande de rapport, l’article 40 de la Constitution ne permettant pas de créer une autorité administrative indépendante. Je le précise, dans cette chambre, les rapports sur les autorités administratives indépendantes ne se soldent pas souvent par leur promotion.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’amendement n° 519 rectifié est très intéressant, et nous serons attentifs à la position du Gouvernement à cet égard.
Il est proposé de rattacher l’Agence de prévention de la corruption au seul garde des sceaux, au lieu de la soumettre à une double tutelle, ce qui, il est vrai, ne facilite pas nécessairement l’affectation de moyens budgétaires. D’ailleurs, on ne sait pas à quelle mission budgétaire cette agence sera rattachée. Pourquoi avoir fait le choix de double tutelle alors que le Service central de prévention de la corruption dépend du seul garde des sceaux ?
Monsieur le ministre, la balle est dans votre camp ! Un débat peut exister sur ce thème. J’avoue que cet amendement pourrait nous séduire.
L’amendement n° 593 présente un tout petit peu moins d’intérêt, puisque l’amendement n° 127 rectifié bis n’a pas été soutenu.
Madame Blandin demande la remise au Parlement d’un rapport sur l’opportunité de conférer à l’Agence un statut d’autorité administrative indépendante. Un tel rapport me paraît inutile dans la mesure où ce travail peut parfaitement être mené par le Parlement.
La commission sollicite donc le retrait de cet amendement, faute de quoi l’avis serait défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Sapin, ministre. Les auteurs de ces amendements soulèvent le débat sur le rôle exact de la nouvelle autorité.
Le Gouvernement – nous y reviendrons lors de l’examen de l’article 2 – souhaite que cette autorité détienne une double compétence ; il ne s’agit évidemment pas d’avoir un dispositif hybride.
Le premier volet est la lutte pour la prévention de la corruption. Cela passe par le partage d’informations. À cet égard, mon ministère peut disposer d’un certain nombre d’informations qu’il est utile de partager. C’est pourquoi le législateur à l’Assemblée nationale a souhaité une double tutelle.
Le second volet est la possibilité de prononcer des sanctions. Évidemment, cela ne concerne pas les faits de corruption ; dans ces cas, c’est la justice qui est saisie, qui poursuit et qui prononce des condamnations. Là, il s’agit de la mise en œuvre obligatoire – c’est nouveau – dans un certain nombre d’entreprises des plans de prévention. Le texte initial prévoyait que les entreprises ne respectant pas leurs obligations à cet égard pouvaient être sanctionnées par l’autorité administrative.
Le premier volet ne rend pas nécessaire un statut d’autorité administrative indépendante. Cela relève, comme précédemment avec le service de lutte contre la corruption, d’un service interministériel qui peut recevoir un certain nombre d’instructions du Gouvernement.
En revanche, le second volet rend absolument indispensable l’indépendance. C’est la raison pour laquelle le texte initial prévoyait que le président et les autres membres ne pouvaient recevoir aucune instruction en matière de sanctions.
Le texte initial a été quelque peu bouleversé par la commission des lois du Sénat, qui ne souhaite pas retenir le volet sanctions. Elle préfère confier au juge – cela ne me paraît pas opportun ; nous en reparlerons – le suivi de la mise en œuvre, exacte ou non, dans les entreprises des plans de prévention, avec les éventuelles sanctions. Je pense que ce serait plus efficace avec une autorité administrative.
La question ne porte donc plus sur le bien-fondé d’une autorité administrative indépendante. Le débat a déjà eu lieu à l’Assemblée nationale. En plus, vous avez, les uns et les autres, plutôt envie de diminuer le nombre des autorités administratives indépendantes ; vous avez déjà adopté un texte en ce sens. Il eût été étrange d’en créer une nouvelle.
Mme Éliane Assassi. Oui !
M. Michel Sapin, ministre. Ma volonté est de protéger l’indépendance totale de cette autorité lorsqu’elle prononce des sanctions. Mais, dans son rôle d’animation, de conseil, d’échange d’informations, il s’agit d’un service interministériel.
C’est la raison pour laquelle il me paraît indispensable d’instaurer une double tutelle, monsieur Collombat. La tutelle du ministère des finances concerne principalement la prévention et l’échange d’informations ; celle du ministère de la justice est également nécessaire, car, dans ma vision des choses, il y a aussi un volet « sanctions ».
C’est pourquoi, même si nous avons une volonté commune sur ce texte, je sollicite le retrait des amendements nos 519 rectifié et 593. À défaut, l’avis serait défavorable.
Mme Marie-Christine Blandin. Je retire l’amendement n° 593, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 593 est retiré.
Qu’en est-il de l’amendement n° 519 rectifié, monsieur Collombat ?
M. Pierre-Yves Collombat. Je persiste et signe. Je n’ai pas du tout la même vision des choses. Quelle que soit l’importance technique des autres ministères, ce dont nous parlons doit rester l’affaire de la justice.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur. Personnellement, j’estime que cet amendement pourrait être accepté. Mais la commission a émis un avis de sagesse.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 521 rectifié, présenté par MM. Collombat, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard, Requier, Vall, Guérini et Hue, est ainsi libellé :
Remplacer le mot :
autorités
par le mot :
juridictions
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Le terme « juridictions » me paraît beaucoup mieux correspondre à la mission de l’agence.
M. le président. L'amendement n° 520 rectifié, présenté par MM. Collombat, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard, Requier, Vall, Guérini et Hue, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Elle assiste le procureur de la République financier, les juridictions interrégionales spécialisées et les autres services judiciaires compétents, dans le cadre de ses missions définies à l'article 3 de la présente loi.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement s’inscrit exactement dans le droit fil du précédent. Il s’agit de préciser les missions d’assistance de l’agence auprès du procureur de la République et des services judiciaires qui travaillent avec lui.
M. le président. L'amendement n° 557 rectifié, présenté par MM. Collombat, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Esnol, Fortassin et Guérini, Mmes Laborde et Malherbe et MM. Mézard, Requier, Vall et Hue, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Elle assiste l'autorité judiciaire, dans le cadre de ses missions définies à l'article 3 de la présente loi.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Il s’agit d’un amendement de repli, pour dire la même chose, avec la référence à l’article 3.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’amendement n° 521 rectifié vise à redéfinir les missions de l’agence.
Mais le fait de remplacer le mot : « autorités », par le mot : « juridictions » aurait pour effet de supprimer l’aide aux collectivités territoriales, aux administrations centrales et aux entreprises dans la lutte contre la corruption de ces missions.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. Collombat est cohérent. L’amendement n° 520 rectifié a pour objet de préciser les missions de l’Agence de prévention de la corruption, notamment son rôle d’assistance auprès des juridictions.
Or il ne s’agit pas de transformer l’agence en ressources supplémentaires pour le parquet national financier. D’abord, elle n’est pas uniquement composée de magistrats. Ensuite, ce service n’est pas rattaché à l’autorité judiciaire, qui doit rester indépendante et n’a, dès lors, pas à connaître des affaires judiciaires en particulier. Surtout, il existe déjà des services enquêteurs, notamment l’Office central de lutte contre la corruption et les infractions financières et fiscales, qui assurent une mission d’assistance aux autorités judiciaires.
D’un côté, les services de police judiciaire et les autorités judiciaires luttent contre la corruption. De l’autre, l’Agence de prévention de la corruption a pour mission de mettre en place des protocoles et de vérifier l’application de ceux-ci, afin de prévenir toute démarche de corruption.
Néanmoins, un rôle général d’assistance de l’agence auprès des juridictions est évidemment nécessaire. Mais j’attire votre attention sur le fait qu’il est déjà prévu par l’article 3 du présent projet de loi.
Par conséquent, la commission émet également un avis défavorable sur cet amendement.
L’amendement n° 557 rectifié a un objet quasi identique aux précédents. Là encore, il ne s’agit pas de transformer l’agence en ressources supplémentaires pour le parquet national financier. L’avis de la commission est donc aussi défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Sapin, ministre. Ce sera peut-être voué à l’échec, mais j’aimerais convaincre M. Collombat.
La mission de l’autorité créée par le texte adopté à l’Assemblée nationale comprenait, je le répète, deux volets qui s’inscrivaient dans le cadre de la prévention. Il y a par ailleurs des articles sur la sanction. Mais poursuivre la corruption relève du pouvoir judiciaire, c’est-à-dire du procureur, du parquet ou des magistrats qui, avec l’ensemble des organismes de police ou autres, peuvent juger et condamner.
Ces amendements concernent la prévention. S’ils étaient adoptés, l’agence créée aurait moins de pouvoirs que le service actuel de prévention de la corruption. Elle ne pourrait pas exercer son pouvoir d’influence, de conviction auprès d’un certain nombre d’organismes, collectivités territoriales ou établissements publics, qu’il faut aider à lutter contre la corruption. Or je ne pense pas que le souhait de M. Collombat soit de retirer à cette agence ce devoir et cette capacité de conseil. Sinon, il serait vain de vouloir maintenir l’agence en question, car elle n’aurait plus rien à faire.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable, sauf à ce que ma conviction soit contagieuse au point de devenir la vôtre, monsieur le sénateur. (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Je ne suis pas étonné de l’avis de M. le rapporteur. Ma conception de l’agence n’est pas du tout la sienne, qui consiste à lui donner un simple rôle de prévention. Pour moi, il s’agit d’un ensemble de moyens au service de la justice.
Je comprends l’avis négatif émis contre mon amendement n° 521 rectifié, car l’objection est valable.
Monsieur le ministre, je suis un vieux cartésien.
M. Pierre-Yves Collombat. Vous savez ce que dit notre père à tous.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Qui est aux cieux !
M. Pierre-Yves Collombat. Pour Descartes, il faut « des idées claires et distinctes ». Ce qui met la pagaille, c’est le fait de tout mélanger !
M. Pierre-Yves Collombat. Il ne le dit pas ainsi, mais il parle bien des idées claires et distinctes et de leur enchaînement. (M. Jean-François Husson acquiesce.) « Si vous ne vous trompez pas, vous allez à la vérité. » Je n’ai pas cette prétention.
Ce que je reproche, c’est cette nouvelle façon de concevoir les choses, qui est de créer à côté du monument « justice », chargé de la répression, une annexe où l’on s’occupe de totalement autre chose et où, subrepticement, on ne voit plus que cela. On ne réprime plus, on prévoit, on organise la prévention.