Mme la présidente. La parole est à M. Michel Le Scouarnec.
M. Michel Le Scouarnec. Je vais donner mon point de vue, malgré les certitudes de M. le ministre ! Même s’il sait par avance ce que je vais dire, je vais tout de même m’exprimer… (Sourires.)
Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous partageons les constats dressés dans l’exposé des motifs de la présente proposition de loi. Il est vrai que l’Europe n’est plus aujourd’hui en capacité de compenser avec justesse cette volatilité des prix et des revenus.
Il est vrai, aussi, que le libéralisme effréné entraîne la course sans fin aux prix tirés vers le bas.
Nous souscrivons à l’idée selon laquelle, pour remédier à cette crise, il est juste de mettre en place des outils de gestion des risques en agriculture. Le rapport sur ce point va dans le même sens puisqu’il y est indiqué que l’orientation de la PAC vers les marchés a entraîné un accroissement de l’exposition des agriculteurs aux risques. Et de continuer : elle « aurait même contribué ces dernières années à accroître la volatilité sur les marchés agricoles, en encourageant la libéralisation non régulée. Les accords de libre-échange actuellement en négociation entre l’Union européenne et ses partenaires commerciaux accroîtraient encore les risques. »
Que penser, alors, des discussions autour de l’accord commercial transatlantique, le TAFTA, et de l’accord de libre-échange entre l’Union européenne et le Canada, le CETA ? Si notre pays ratifiait ces accords, il abandonnerait ses agriculteurs aux seules lois du marché.
Le texte relève, comme nous le faisons à chaque débat, les limites des aides découplées et surtout, au-delà des primes ponctuelles, la nécessité de prix garantis. Pour mes collègues auteurs de la présente proposition de loi, cela se traduit par « des mécanismes de soutien aux agriculteurs qui leur apportent une aide dans les périodes difficiles et une capacité d’épargne attractive dans les périodes plus favorables »… lorsqu’il y en aura !
Cette proposition de loi vise donc à offrir de nouveaux outils aux agriculteurs pour prévenir et gérer les risques et à poser les bases du débat sur la future réforme de la PAC en 2020. Il s’agit avant tout de couvrir le risque économique, en passant d’une politique de soutien direct à l’hectare à une politique de gestion des risques mutualisée.
Toutefois, nous sommes non pas dans la prévention, mais plutôt dans une intervention a posteriori, pour faire face à la volatilité des prix.
L’idée d’un fonds régional de stabilisation des revenus agricoles est intéressante. Mais il nous aurait semblé plus opportun d’élargir le périmètre de ce fonds à l’échelon national, comme vous l’avez dit, monsieur le ministre. Vous ne pensiez pas que j’allais dire cela, n’est-ce pas ?
M. Michel Le Scouarnec. En effet, l’alimentation du fonds pourrait connaître de fortes variations régionales, de même que les besoins en matière d’indemnisation. Ce point est pour nous fondamental !
De plus, ce fonds nécessitera des arbitrages régionaux, car les programmes européens de développement rural régionaux, qui en sont la première source de financement, constituent une enveloppe budgétaire fermée. Il y aura donc des compromis sur d’autres politiques existantes, faute de moyens nouveaux, du moins à la hauteur des besoins. Je souligne que l’article 2 prévoit, dans les modalités de financement de ce fonds, une augmentation de la taxe sur les surfaces commerciales de plus de 2 500 mètres carrés, proposition que le groupe CRC avait déjà faite à l’occasion du débat sur la loi Macron… C’est donc une bonne idée ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
De même, la hausse de la contribution de la taxe sur la cession à titre onéreux de terrains nus rendus constructibles mérite toute notre attention.
La proposition de loi contient donc des éléments positifs.
Je veux évoquer deux points particuliers.
Le premier concerne l’artificialisation des sols que la taxe précitée vise à amoindrir, tout en permettant de s’assurer d’un retour d’une partie de la plus-value de cession vers l’agriculture.
Alors que le renouvellement des PLU est en cours dans de nombreuses communes, la préservation du foncier agricole est de plus en plus délicate, entraînant des difficultés supplémentaires pour les exploitants. Gardons d’abord les terres cultivables pour l’agriculture avant de les transformer en lotissements géants. C’est aussi cela, la prévention des risques économiques en agriculture : permettre à nos jeunes agriculteurs de s’installer !
Le second point porte sur la constructibilité des dents creuses dans les hameaux.
Souvent inexploitables, ces terrains provoquent des situations délicates dans nos territoires ruraux et du littoral. Permettre la construction dans les dents creuses, ce n’est pas ouvrir de nouvelles terres à l’urbanisation, c’est densifier les centres-bourgs ou les hameaux. Notre vision reste celle d’un aménagement équilibré et d’une utilisation économe de l’espace, tout en prenant en compte les besoins de logements et de diversification des activités.
Alors que la gestion des marchés et la régulation des productions ne sont plus à l’ordre du jour, que les crédits alloués par la PAC aux situations de crise sont insignifiants au regard des besoins, nous pensons qu’il faut sortir l’agriculture des logiques marchande et financière.
Il faut s’attaquer aux véritables causes de la situation en concertation avec l’ensemble des producteurs et des professionnels. Si l’on n’instaure pas des règles à l’échelon européen, on ne s’en sortira pas !
Pour garantir des revenus dignes à nos agriculteurs, pour assurer sur nos territoires une production alimentaire de qualité, notre agriculture a besoin de stabilité. C'est essentiel et urgent. En effet, la suppression de toutes les mesures d’orientation des prix place les exploitants agricoles dans un face-à-face déséquilibré avec les opérateurs de marché, les transformateurs et la grande distribution. Selon nous, il faut, au contraire, réhabiliter le principe d’une véritable régulation permettant de garantir un prix décent.
Dès lors, une maîtrise des volumes de production est nécessaire, car 1 % de lait ou de viande en trop sur le marché entraîne 10 % de baisse de prix !
L’absence de régulation est le vice de la PAC : seuls les prix payés au-dessus des coûts de production peuvent redonner espoir et sauver nos agriculteurs. Cela passe obligatoirement par une régulation de la production et des marchés sans laquelle la PAC ne peut atteindre aucun de ces objectifs.
Par ailleurs, nous avons défendu de nombreux amendements tendant à l’institution d’un fonds de mutualisation des risques que le Sénat n’a jamais adoptés.
Cette proposition de loi vise à mettre en place un tel fonds, qui sera alimenté par différents acteurs, solution plus pérenne que le seul système assurantiel. Mais, malheureusement, cette enveloppe fermée sera uniquement régionale. Quel dommage ! Il faut élargir la base, comme l’a dit M. le ministre. Si elle avait été prévue à l’échelon national, nous y aurions été favorables.
Cependant, nous ne voterons pas contre cette proposition de loi, puisque nous reconnaissons qu’elle comporte des points très positifs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Henri Cabanel.
M. Henri Cabanel. Je voudrais d’abord remercier le rapporteur des propos qu’il a tenus et lui garantir que nous sommes dans le même état d’esprit constructif. Nous serons amenés à travailler de nouveau ensemble.
Le 6 avril dernier, lors de l’examen de la proposition de résolution visant à encourager le développement d’outils de gestion de l’aléa économique en agriculture, j’avais présenté dans le détail le contexte et les enjeux de ce texte. La proposition de loi que nous vous présentons aujourd’hui, mes chers collègues, s’inscrit dans la continuité de celui-ci. Elle poursuit un objectif très clair : la mise en œuvre de mécanismes de gestion des risques en agriculture.
Il est inutile de revenir sur le contexte de crise profonde que vous connaissez toutes et tous : il y a urgence à agir.
Si l’État a su répondre aux pics conjoncturels par un soutien financier important, l’enracinement de cette crise nous place devant une évidente crise structurelle à l’échelon non seulement français, mais également européen. Aujourd’hui, la filière tout autant que les élus s’accordent à dire qu’il faut revoir notre modèle agricole. Il faut le faire coller à la réalité du marché mondialisé, à l’attente sociétale sur les questions environnementales, à l’évolution des goûts des consommateurs…
La semaine dernière, l’AFP s’est fait l’écho de la situation de précarité du monde agricole en donnant les chiffres de l’évolution des demandes de la prime d’activité, qui remplace le RSA activité et représente en moyenne 183 euros par mois. La mutualité sociale agricole témoigne de cette augmentation de demandes provenant aujourd’hui à 34 % d’exploitants agricoles. Selon son président national, Pascal Cormery, en raison d’une conjonction de facteurs, « les mois de septembre et octobre peuvent être à haut risque pour le monde agricole ». À la crise économique et sanitaire – fièvre catarrhale ovine et grippe aviaire – s’ajoutent, ces jours derniers, les intempéries qui ont encore plus fragilisé ceux qui l’étaient déjà et touché des professionnels qui ne l’étaient pas encore, comme les maraîchers. Il faut donc déployer très rapidement des outils de protection pour permettre à nos agriculteurs d’avoir une visibilité économique nécessaire pour construire une véritable stratégie.
Nous le savons, les risques en agriculture représentent un sujet très technique et complexe. Des chercheurs y travaillent depuis des années. L’unanimité aujourd’hui est faite sur le manque évident. Ce constat est dressé, mais nous restons dans un immobilisme qui sclérose la filière.
Nos voisins européens, comme l’Allemagne et l’Espagne, mais aussi les États-Unis, se sont déjà dotés d’outils qui répondent à cette problématique. Dans le cadre de notre proposition de loi, nous avons demandé aux services du Sénat une étude de législation comparée avec ces trois pays significatifs.
Les trois exemples étudiés démontrent une part variable de l’assurance et de la compensation des dommages occasionnés par les catastrophes naturelles.
En Allemagne, le recours à l’assurance privée s’effectue sur la base exclusive du volontariat, la gestion du risque agricole étant en principe du ressort de l’agriculteur. Le régime des indemnités versées par les collectivités publiques qui résulte d’une intervention de la fédération ou d’un Land peut être lié à la souscription préalable d’un produit d’assurance privé : à défaut, le montant des aides est susceptible de diminuer.
En Espagne, un dispositif d’assurance agricole ancien et spécifique tend à se généraliser sous la forme d’un partenariat public-privé, les compensations versées en cas de catastrophe revêtant un caractère résiduel.
Le cas des États-Unis a été évoqué par Franck Montaugé ; je n’y reviens donc pas.
L’Europe a pris en compte la question de la baisse de revenus : des fonds européens peuvent être déployés dans le cadre de l’instrument de stabilisation des revenus, sur la base des articles 36 et 39 du règlement européen relatif au soutien au développement rural par le FEADER. Mais aucun pays ne les a activés, les régions qui sont responsables de la gestion de ces fonds ayant opté pour d’autres priorités.
Pourtant, une mise en œuvre dans les plus brefs délais nous paraît plus que nécessaire. Nous sommes conscients des arbitrages et des compromis que devront opérer les régions dans ce cadre avec les filières.
Ce mécanisme pourrait, en effet, être activé en cas de baisse du revenu importante de l’agriculteur concerné. Les paiements effectués par ce fonds compenseront jusqu’à 70 % de la perte de revenu. C’est tout l’enjeu de l’article 1er de notre proposition de loi.
Le fonds de stabilisation des revenus agricoles serait mis en place dans les régions au plus tard au 1er janvier 2018, et cofinancé par le FEADER, l’État, les collectivités territoriales et les personnes physiques ou morales exerçant des activités agricoles. Cela permettrait la mise en place d’un soutien et d’un accompagnement plus pérennes.
Nous connaissons aussi l’iniquité actuelle de la répartition des crédits de la PAC.
Nous devons parler d’une même voix pour tenir un discours honnête et réaliste face aux exigences européennes et à l’obligation de gérer des problématiques lourdes et d’actualité – je pense notamment à la question migratoire, au Brexit et aux moyens qu’il nous faudra capter pour redéfinir une stratégie politique et économique européenne. Nous ne pouvons nier la réalité probable de la baisse des crédits de la PAC post-2020.
Mes chers collègues, certains d’entre vous se sont abstenus lors du vote de notre proposition de résolution. Celle-ci a donc été adoptée à l’unanimité des suffrages exprimés le 6 avril dernier.
Vous avez déposé sur la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui des amendements de pure forme qui ne donnent pas d’axe précis sur votre positionnement.
Il est donc temps d’agir pour relever les enjeux en dépassant nos clivages et nos différences d’idéologie. Une union en faveur de la gestion des risques en agriculture donnerait de notre assemblée une image de raison, de construction, d’action, et non une image de parti pris systématique que les citoyens rejettent aujourd’hui. Le Brexit est un exemple éloquent d’un monde politique éloigné des réalités et des peuples, et incapable de communiquer sur ses actions.
Les agriculteurs nous font confiance, car nous sommes les élus des territoires et donc de la ruralité. Que deviendront ces territoires si, demain, l’agriculture disparaissait pour n’avoir pas su se doter d’outils modernes accompagnant ses mutations ? La gestion des risques en fait partie dans une agriculture mondialisée.
Plutôt qu’un vote d’abstention positive, je vous propose – une fois n’est pas coutume – un vote d’adhésion positive qui sera beaucoup plus porteur : ce sera un signe fort envoyé à nos collègues députés.
Ce vote d’adhésion positive sera aussi un signe fort adressé à nos agriculteurs, en faveur de la défense de leurs revenus, de l’aménagement de nos territoires, tout autant que du maintien de notre sécurité alimentaire.
Je fonde tous mes espoirs sur votre proximité avec nos terroirs et votre connaissance de notre monde rural. Nos paysans méritent notre prise de responsabilité, notre union sacrée ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Joël Labbé.
M. Joël Labbé. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous nous retrouvons aujourd’hui autour d’une proposition de loi visant à mettre en place des outils de gestion des risques en agriculture.
Depuis toujours, et partout dans le monde, l’activité agricole est exposée à de nombreux aléas naturels. Les aléas climatiques touchent de manière dramatique certains pays, notamment du Sud –je pense en particulier aux pays affectés par l’avancée des zones désertiques. Ils doivent aussi être l’une de nos préoccupations. Dans notre pays, un certain nombre de réponses ont été apportées, notamment pour lutter contre les risques climatiques, sanitaires ou environnementaux.
Mais aujourd’hui, dans une économie mondialisée, dérégulée, les agriculteurs doivent aussi faire face à un risque économique lié aux fluctuations du marché.
Pendant des décennies, la politique agricole commune a permis une certaine stabilité des prix agricoles en mettant en place de puissants outils de régulation. La dérégulation progressive résulte des choix politiques qui ont été faits, tournés vers les volumes plutôt que vers la qualité et, pour une part importante, vers l’exportation plutôt que de répondre prioritairement aux besoins des populations européennes.
On ne refait pas l’histoire, mais il importe de la rappeler. Ces orientations sont dues aussi à l’influence majeure de ce que l’on a coutume d’appeler la profession, ou du moins sa représentation majoritaire, et de tout un système, toute une organisation qui tourne autour, soucieuse avant tout de défendre ses propres intérêts… Il faut se souvenir que, depuis des années, une partie de la profession agricole, certes minoritaire, et une partie du monde politique, certes très minoritaire, ont tenté de tirer la sonnette d’alarme, sans avoir été entendues.
Pour en revenir au texte qui nous est proposé, son objectif majeur est d’offrir de nouveaux outils aux agriculteurs pour prévenir et gérer les risques, et de poser les bases du débat sur la future réforme de la politique agricole commune d’après 2020. Il vise aussi à préparer le rendez-vous à mi-parcours de la PAC en 2018 qui doit permettre aux États membres de faire de nouveaux arbitrages sur la manière d’appliquer la PAC.
Aujourd’hui, telle qu’elle fonctionne, l’Europe n’est plus à même d’assurer ses objectifs, inscrits dans le traité de Rome, sans une profonde remise en question des fondements même de l’Organisation mondiale du commerce, basée sur un libéralisme sans contrainte pour lequel la concurrence est religion !
Puisque j’évoque l’esprit initial de la PAC, je voudrais en profiter pour saluer la mémoire d’Edgar Pisani, l’un des pères fondateurs de la politique agricole commune, qui vient de nous quitter. Il a eu la lucidité et l’honnêteté intellectuelle de reconnaître les dérives de celle-ci, et de plaider ensuite pour une gouvernance mondiale de l’alimentation. Il faudra bien que l’on y arrive. Là aussi, il y a urgence ! Dans le domaine de l’alimentation, les règles de l’OMC sont humainement inacceptables.
Revenons au texte : à l’article 1er, les auteurs proposent la création, dans chaque région, d’un fonds de stabilisation des revenus agricoles. Cette mesure nous convient, mais nous émettons toutefois nous aussi une réserve sur le choix d’un échelon régional.
L’article 2 concerne les modalités de financement via un rapport du Gouvernement. Les pistes de réflexion pour trouver les fonds nous conviennent : la contribution des agriculteurs eux-mêmes, à condition que celle-ci soit équitable et solidaire ; l’augmentation de la taxe sur les surfaces commerciales, bien évidemment ; la mise en place d’une taxe sur les transactions financières agricoles – même si nous n’y sommes pas encore arrivés, on l’évoque enfin ! ; l’augmentation de la taxe sur la cession de terrains agricoles rendus constructibles, dans la mesure où l’aide à l’installation de nouveaux agriculteurs, déjà financée par cette taxe, n’est pas affectée par cette mesure.
L’ensemble des propositions de ce texte d’appel va dans le sens d’une réponse positive aux nécessaires mesures d’urgence ; ces dispositions posent également les bases du débat sur la réorientation de la PAC actuelle et de la préparation de la PAC d’après-2020.
Aussi, au nom du groupe écologiste, j’émettrai un vote favorable sur cette proposition de loi.
En conclusion de mon propos, je voudrais citer M. le rapporteur qui, à la page 26 de son rapport bien argumenté, indique : « Votre rapporteur souligne qu’une autre réponse à la volatilité des marchés agricoles réside non pas dans des politiques publiques de soutien, mais dans la recherche d’une plus forte résilience des exploitations aux risques, à travers des choix de productions diversifiées, des modèles de développement raisonnables, et des investissements mesurés. »
C’est pour nous une part de la définition d’une agriculture familiale et paysanne, moderne et progressiste, diversifiée, en polyculture élevage, pratiquant le système herbager, ancrée sur son territoire pour des productions de qualité, de proximité, respectueuse des équilibres environnementaux et génératrice d’emplois. Cette agriculture sera également rémunératrice pour les producteurs, agriculteurs et éleveurs. C’est une rupture avec le discours ambiant qui nous fait plaisir.
J’ai apprécié de vous lire, monsieur le rapporteur, et renouvelle le vote favorable des écologistes. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, vous le savez, le Sénat, toujours à l’écoute des territoires, a pris ces derniers mois plusieurs initiatives pour tenter d’apporter des réponses aux graves difficultés que rencontre notre agriculture.
Je rappellerai la proposition de loi en faveur de la compétitivité de l’agriculture et de la filière agroalimentaire, à laquelle le groupe du RDSE a apporté son soutien. Mon groupe a également approuvé la proposition de résolution visant à encourager le développement d’outils de gestion de l’aléa économique en agriculture, laquelle est en lien avec le texte qui nous est aujourd'hui proposé par notre excellent collègue Franck Montaugé et les membres du groupe socialiste et républicain.
C’est donc avec le même intérêt que nous examinons ce nouveau texte, tant la crise qui frappe en particulier l’élevage ne s’améliore pas franchement. Malgré les différents plans de soutien que vous avez mis en œuvre, monsieur le ministre, ce dont nous vous remercions, et malgré l’intervention européenne, notamment dans le cadre de l’article 222 du règlement portant organisation commune des marchés des produits agricoles, la situation reste critique.
En effet, vous le savez, si l’on observe des progrès pour la filière porcine, les prix restent bas pour ce qui concerne la filière bovine et très préoccupants quant au secteur du lait.
J’ai eu l’occasion de l’exprimer la semaine dernière lors de notre dernière séance de questions d’actualité, le prix actuel du litre de lait se situe largement en deçà du seuil de rentabilité. Avec un tel niveau de prix, les revenus des agriculteurs sont fortement affectés, au point que l’on constate, depuis la chute des cours mondiaux, le développement de la revente de contrats laitiers. C’est le signe alarmant d’un découragement de la profession.
C’est un sujet sur lequel nous reviendrons la semaine prochaine dans le cadre de l’examen du projet de loi dit Sapin II, puisque des mesures ont été introduites par nos collègues députés pour enrayer ce phénomène d’achat de débouchés qui risque de freiner l’installation de jeunes agriculteurs.
En attendant, mes chers collègues, il s’agit aujourd’hui de se pencher sur un mécanisme de stabilisation des revenus qui compenserait les pertes des agriculteurs en cas de forte volatilité des cours.
Bien entendu, sur le principe, on ne peut que souscrire à ce qui va dans le sens d’une meilleure sécurisation des revenus des agriculteurs. C’est d’ailleurs une préoccupation qui s’impose de plus en plus dans les débats, car – tout le monde en convient – le risque de volatilité des marchés s’est accru au cours de ces dernières années.
Nous en connaissons les principales raisons : une concurrence de plus en plus vive sur le plan mondial et, dans le même temps, l’extinction progressive des outils de régulation pour ce qui concerne l’agriculture européenne. Nous en mesurons aujourd’hui, hélas, les dégâts avec la fin des quotas laitiers, alors même que la PAC avait, entre autres objectifs, celui de stabiliser les marchés. On en est désormais très loin…
Aussi, la prochaine réforme devra approfondir cette question de la constitution d’un instrument de stabilisation des revenus et, plus globalement, de la mise en œuvre d’une politique contracyclique. D’autant que l’article 39 du règlement européen de 2013 relatif au soutien au développement rural fournit déjà un cadre, avec l’exigence récurrente d’un financement public limité à 65 % et d’un taux de 30 % de pertes pour le déclenchement du dispositif.
Il faudra donc aller plus loin. Mais cela suppose au préalable de convaincre nos partenaires, notamment les pays qui considèrent que l’agriculture doit trouver seule les moyens de faire face à ses difficultés. Suivre un tel principe, c’est oublier que l’agriculture peut cumuler, comme aucun autre secteur, tous les aléas, comme l’ont rappelé les différents orateurs précédents : climatique, sanitaire, de marché et même politique, si l’on songe à l’embargo russe. Privilégier le laisser-faire, c’est aussi oublier la dimension stratégique – je dirais même vitale – de l’agriculture et, partant de là, la nécessité de conserver au sein de l’Europe plusieurs grandes nations agricoles.
En attendant, c’est dans cette perspective des discussions européennes que les auteurs de la proposition de loi ont souhaité d’ores et déjà jeter les bases de nouveaux outils pour mieux gérer les risques agricoles.
Comme l’a souligné M. le rapporteur, tout l’intérêt du texte réside dans le fait qu’il pose le débat, car, dans le détail, on relève quelques incohérences. Si j’ose dire, on met un peu la charrue avant les bœufs, notamment en instituant le mécanisme à l’article 1er sans que soit garantie l’efficience des pistes de financement.
J’évoquerai, pour terminer, l’article 5, qui concerne l’assurance des risques climatiques. Vous le savez, monsieur le ministre, c’est un sujet qui me tient à cœur. J’avais déposé en 2008 une proposition de loi tendant à la généralisation de la couverture des risques climatiques que le Sénat n’avait pas adoptée. Depuis, le cadre de cette assurance s’est un peu enrichi, notamment au travers du contrat socle.
Mais sur le terrain, le taux de pénétration de l’assurance ne progresse pas suffisamment. Si l’on atteint 30 % dans les exploitations en grandes cultures, le taux reste marginal dans les secteurs de l’arboriculture, de l’horticulture et du maraîchage. Il faut donc encourager encore davantage les agriculteurs à s’assurer contre les aléas climatiques et, pour cela, améliorer le taux de soutien. Or celui-ci fonctionne à enveloppe fermée, ce qui ne garantit pas le niveau de prise en charge des primes des agriculteurs.
Sachez en tout cas, monsieur le ministre, que le groupe du RDSE travaille sur cette question. Nous ferons de nouvelles propositions dans les prochaines semaines.
Mes chers collègues, comme je l’ai dit, nous sommes tous attachés dans cette enceinte à l’agriculture, car, au-delà des enjeux économiques, c’est aussi l’équilibre de nos territoires ruraux qui se joue au travers du maintien des exploitations agricoles.
Aussi, pour toutes ces raisons et en cohérence avec les précédentes initiatives ou votes du groupe du RDSE, les membres de ce dernier approuveront à l’unanimité la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir.
M. Jean-Claude Lenoir. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà de nouveau réunis pour parler d’agriculture. Le Sénat a souvent eu l’occasion de travailler sur ce sujet, tout comme de vous rencontrer, monsieur le ministre, vous qui ne boudez jamais votre plaisir à être parmi nous. (Sourires.) Vous l’avez d’ailleurs encore exprimé voilà trois semaines, lorsque nous avons examiné la proposition de résolution européenne. Vous l’avez manifesté aujourd'hui à la tribune, et cela se lit sur votre visage !
M. Jean-Claude Lenoir. Je viens de le dire, le Sénat a beaucoup travaillé. La commission des affaires économiques s’est employée d’ailleurs depuis l’année dernière, lorsque la crise a affecté le monde agricole, à rechercher des solutions. Le président du Sénat, Gérard Larcher, a apporté une contribution importante à nos réflexions.
Nous avions donc déposé une proposition de loi qui a été débattue dans cet hémicycle et qui a recueilli un large assentiment, puisqu’elle n’a obtenu que très peu de voix contre. Elle n’a malheureusement pas pu aboutir à l'Assemblée nationale, où une motion tendant à opposer la question préalable a été adoptée, empêchant toute discussion. Mais nous en avons débattu ici avec beaucoup de détermination et avec une persévérance qui n’a échappé à personne.
Dans le même temps, nous avons confié des groupes de travail à plusieurs de nos collègues. Je veux notamment saluer Jean-Jacques Lasserre, qui, sur le sujet qui nous réunit aujourd'hui, a apporté une contribution intéressante à laquelle plusieurs d’entre nous se sont référés. Je veux aussi relever la part que prend Daniel Dubois sur l’importante question des normes agricoles.
On peut regretter, si l’on est pessimiste, que nos propositions, d’ailleurs soutenues par la profession, n’aient pas toujours rencontré le succès qu’elles méritaient. Toutefois, si je suis plus optimiste ou, en tout cas, plus positif, je remarque que le Gouvernement a trouvé dans ces propositions une sorte de boîte à idées.
De cette boîte à idées sont sorties un certain nombre d’initiatives et de dispositions, que nous avons retrouvées dans la loi de finances rectificative pour 2015, dans la loi de finances initiale pour 2016, et que nous retrouverons, la semaine prochaine, dans le texte dit projet de loi Sapin II. Cela montre que le travail entrepris par l’opposition nationale, dans cette enceinte, relayé par la majorité sénatoriale, n’est pas inutile !
Je veux d’ailleurs saluer de façon tout à fait objective l’esprit dans lequel nous apportons nos contributions : lors de nos discussions, nous nous retrouvons sur l’essentiel des propositions qui sont faites.
Aujourd’hui, il s’agit de parler de l’assurance, c'est-à-dire des moyens de lutter contre les aléas qui affectent le monde agricole, qu’ils soient climatiques, sanitaires ou économiques. L’article 6 de la proposition de loi dont j’étais le premier signataire et que je viens d’évoquer était d’ailleurs consacré à cette question. Nous avions proposé que la déduction pour aléas soit remplacée par une réserve spéciale pour l’exploitation agricole qui permettait, avec davantage de souplesse et, certainement, d’efficacité, d’apporter les réponses attendues par le monde agricole. Cette réserve constituait en quelque sorte une provision qui pouvait être utilisée. Je ne reviens pas sur le détail des dispositions, qui sont connues. Les propositions qui sont faites aujourd'hui s’en rapprochent.
Monsieur le ministre, je m’aperçois que souvent un consensus se crée sur les questions agricoles. La profession le reconnaît d’ailleurs. C'est une bonne réponse au cri de détresse qui nous est envoyé.
Pour autant, je constate que, si les préliminaires sont prometteurs – si vous me permettez cette expression –, un certain nombre de personnes manquent à l’appel quand il faut passer à l’acte. Les propositions de la majorité sénatoriale n’entraînent pas une adhésion soutenue de nos collègues du groupe socialiste et républicain et, éventuellement, d’autres groupes qui siègent à côté. Pour être franc et objectif, la réciproque est vraie.
J’ai lu la réponse que vous avez apportée à l’Assemblée nationale aux propositions formulées par les sénateurs. Vous estimiez qu’elles étaient intéressantes – vous avez eu d’ailleurs des mots qui nous ont touchés, car, venant de votre part, c'était un compliment sur le travail qui avait été accompli –, mais que le financement ne convenait pas. J’ai donc étudié la proposition de loi déposée par mes collègues socialistes.
Le financement ne pèche pas par son originalité, on en revient au tabac et donc à la fumée du tabac. Toutefois, ce qui est plus singulier, un article explore certaines pistes qui pourraient être des ressources pour soutenir vos préconisations : la mutualisation volontaire de la part des agriculteurs, l’augmentation de la taxe sur les surfaces commerciales, une taxe sur les transactions financières agricoles, l’augmentation de la taxe sur les terrains nus rendus constructibles, ainsi évidemment qu’une ressource apportée par l’État. L’article 2 du présent texte ne constitue pas une atteinte à l’article 40 de la Constitution puisqu’il vise un rapport tendant à suggérer des solutions.
Monsieur le ministre, je ne vous ai pas vraiment entendu répondre sur ce point. J’ai senti que vous souteniez cette proposition de loi, mais que vous étiez un peu dubitatif sur le sort qui pourrait, au final, lui être réservé. Si vous avez l’intention d’aller jusqu’au bout, de passer à l’acte, j’aimerais savoir quelles ressources financières vous apporteriez en garantie pour permettre à ces solutions intéressantes, nous l’avons dit, de prospérer.
Dans l’attente, le groupe auquel j’appartiens s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du RDSE. – M. le rapporteur applaudit également.)