M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui trois propositions de loi relatives aux modalités d’inscription sur les listes électorales, déposées par nos collègues députés Élisabeth Pochon et Jean-Luc Warsmann et adoptées par l’Assemblée nationale le 31 mai dernier.
Ces trois textes font suite au rapport d’information intitulé Mieux établir les listes électorales pour revitaliser la démocratie. Publié par les auteurs de ces propositions de loi en décembre 2014, ce rapport constatait notamment que « près de 9,5 millions d’électeurs sont mal inscrits ou non inscrits sur les listes électorales » et que « l’éloignement entre la date de clôture d’inscription sur les listes électorales et la date du scrutin est préjudiciable à l’implication des citoyens dans le processus électoral ».
L’enjeu est bien sûr de taille puisqu’il s’agit, dans un processus transpartisan, de lutter contre l’abstention et d’encourager nos concitoyens à reprendre le chemin des urnes.
Rappelons qu’en mars 2015, au lendemain du second tour des élections départementales, le constat fut frappant : près de 50 % des électeurs ne s’étaient pas déplacés.
Si le second tour des élections régionales de décembre 2015 a vu le taux d’abstention abaissé à 41,59 %, il n’en reste pas moins que la crise démocratique que connaît notre pays, non seulement perdure, mais aussi s’accentue.
Dès lors, il est de notre devoir de législateur de réfléchir aux causes institutionnelles de l’abstention et d’y apporter des réponses concrètes. À ce titre, les principales mesures contenues dans ces propositions de loi sont nécessaires, et les membres du groupe écologiste les voteront.
Ainsi, la possibilité pour tout électeur de s’inscrire jusqu’à trente jours avant l’élection et l’abandon de la révision annuelle des listes électorales sont de bonnes choses, à l’instar de l’extension des inscriptions d’office aux citoyens naturalisés.
Nous approuvons également la création d’un répertoire électoral unique tenu par l’INSEE, dont chaque liste communale ou consulaire serait un extrait.
Toutefois, à quelques mois d’échéances électorales majeures pour notre pays, nous ne pouvons pas nous contenter de ces mesures, qui, si elles sont nécessaires, sont loin d’être suffisantes. Qui sur les travées de cet hémicycle peut considérer de bonne foi que, si nos concitoyens s’abstiennent dans des proportions toujours plus grandes, c’est uniquement parce qu’ils ont des difficultés à s’inscrire sur les listes électorales ?
Il est urgent de réfléchir aux causes politiques de cette abstention massive. Ces causes, me semble-t-il, sont multiples, et il serait plus juste de parler « des abstentions ». Il existe en effet une abstention liée au scrutin : l’élection présidentielle, par exemple, bénéficie toujours d’une forte participation, tandis qu’en la matière les élections européennes battent tous les records. Seuls 40 % à 45 % des électeurs ont fait valoir leur voix lors des échéances de 2009 et 2014.
Comme le soulignent Cécile Braconnier et Jean-Yves Dormagen, professeurs de science politique, ne pas voter obéit également à de forts déterminismes sociaux constants dans le temps, en premier lieu l’âge, en particulier lors des scrutins locaux.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Eh oui !
Mme Esther Benbassa. « Contrairement aux jeunes, les seniors demeurent très mobilisés. La comparaison des taux de participation par tranches d’âge établie par l’Institut national de la statistique et des études économiques révèle des écarts d’une amplitude considérable : seuls 41,2 % des 18-24 ans se sont rendus aux urnes aux municipales de 2008, contre 80,2 % des 50-64 ans. En proportion, les seniors votent donc presque deux fois plus que les jeunes. »
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La sagesse de l’âge, sans doute ! (Sourires.)
Mme Esther Benbassa. La perception qu’ont les électeurs de l’offre politique est sans doute elle aussi un puissant facteur d’abstention.
Si l’on considère que les différences entre les programmes politiques s’amenuisent de plus en plus, que l’alternance n’est plus que symbolique, pourquoi prendre la peine de se déplacer ? Je vous le demande !
Nous ne pouvons plus éluder toutes ces questions. Le mouvement Nuit debout est venu nous rappeler que la mobilisation politique est bien vivante dans notre pays, mais que nos institutions sont peut-être à bout de souffle.
La rénovation des modalités d’inscription sur les listes électorales est une mesure importante ; celle des institutions de la Ve République est tout à fait urgente et nécessaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste. – Mme Hélène Conway-Mouret et M. Christian Favier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les trois textes que nous examinons aujourd’hui, s’ils ont une assez faible portée symbolique, seront en revanche, je le crois, d’une grande utilité pratique pour l’ensemble de nos concitoyens dans l’exercice de leur droit de vote.
La création d’un répertoire électoral unique et permanent permettant une demande d’inscription au plus tard trente jours avant la date du scrutin constitue une avancée indéniable, à condition bien entendu que les communes bénéficient des moyens nécessaires.
Au fil des ans, nous avons déjà adopté différents textes législatifs pour faciliter l’inscription sur les listes électorales des jeunes Français atteignant la majorité, ou encore des personnes sans domicile fixe ou incarcérées. Cependant, une part incompressible de citoyens non inscrits résiste. On l’estime à 7 % environ des Français en âge de voter, soit environ 3,5 millions de personnes.
Plus grande encore est la part des « mal-inscrits », qui représentent 6,5 millions de personnes. Ce sont ceux de nos concitoyens inscrits sur une liste électorale qui ne correspond pas à leur domiciliation effective. Ce phénomène, difficile à évaluer, affaiblit considérablement le principe de représentativité.
« Dans la démocratie, chaque génération est un peuple nouveau », écrivait Tocqueville : à nous de nous assurer que les jeunes électeurs prennent le chemin des urnes. Il y va de la force du principe du gouvernement représentatif, qui est au fondement même de notre démocratie. Il y va donc également du bon fonctionnement de nos institutions. Quoi que l’on dise, on n’a pas trouvé mieux que la démocratie représentative, tant la démocratie directe, dont l’exemple a été précédemment vanté, peut être source de démagogie et de dérives populistes.
Aujourd’hui, les plus jeunes de nos concitoyens sont les premiers concernés par la mal-inscription, en raison de la mobilité géographique liée à leurs études, puis à leur insertion professionnelle. Nombreux sont ceux qui, une fois installés dans la vie, tardent à régulariser leur situation électorale, qui se stabilise souvent un peu après leur situation matrimoniale, et ne peuvent prendre part aux élections locales qui les concernent, c’est-à-dire à l’endroit où ils résident. Le répertoire numérique unique permettra donc d’adapter utilement notre système électoral à la mobilité géographique en exploitant mieux les technologies actuelles.
L’issue de la phase de transition a été portée à 2019 sur l’initiative de notre excellent rapporteur Pierre-Yves Collombat, qui, dans l’examen de ce texte, a apporté son expérience d’élu local. Profitons-en, tant qu’il en reste au sein de la Haute Assemblée… Ce report devrait laisser aux communes et à l’INSEE un laps de temps raisonnable pour s’adapter à ces nouvelles exigences.
Le remplacement des commissions électorales par des commissions de contrôle ainsi que l’introduction d’un recours préalable obligatoire devant elles, mesures proposées très justement, elles aussi par M. le rapporteur, permettront de désengorger l’office du juge des élections. La sincérité du scrutin s’en trouvera d’autant plus renforcée.
Certains considèrent qu’une plus grande liberté devrait être accordée aux citoyens pour voter dans leur ville d’origine, ce qui est déjà possible s’ils y possèdent un bien ou y acquittent une imposition. Il est vrai que, pour quelques-uns de nos concitoyens, les périodes de scrutin sont aussi l’occasion d’un bref retour au pays natal, de retrouvailles et d’échanges autour de grandes tablées familiales.
Mes chers collègues, faut-il pour autant faire du vote un vecteur d’identités, en une période où les questions identitaires accaparent déjà trop le débat public ? Notre puissant attachement à la République nous conduit à refuser tout autre facteur d’identification et de cohésion que l’idéal républicain. Chaque citoyen doit être incité à prendre une part active à la vie de la cité où il réside, et non pas à celles où il est né ou où il a grandi, même si le cœur a ses raisons que la raison ne connaît pas. (Sourires.)
Plusieurs membres de la Haute Assemblée voudraient aller plus loin, en abaissant l’âge de bénéfice du droit de vote ou en rendant celui-ci obligatoire. Il me semble que de telles dispositions mériteraient un débat spécifique. Elles dépassent le cadre d’une discussion relative aux modalités d’inscription sur les listes électorales.
Pour l’heure, les membres du groupe du RDSE apporteront leur soutien à ces trois propositions de loi. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain. – M. Henri Tandonnet applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Lana Tetuanui.
Mme Lana Tetuanui. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le droit de vote est un acquis constitutionnel précieux. Il s’agit du fondement de notre démocratie et de la base de notre légitimité d’élus. Toutefois, il est apparu – cela n’est pas un phénomène nouveau ou isolé – que le régime de la tenue de nos listes électorales n’était plus adapté au rythme de la vie moderne et qu’il en résultait un grave problème démocratique.
La série de propositions de loi soumises à notre examen procède de l’initiative transpartisane de nos collègues députés Pochon et Warsmann. Ces derniers ont cherché à construire un large consensus autour de leurs trois textes et avec l’aide du Gouvernement. Je ne reviendrai pas sur les contours généraux de ce dispositif : ils ont déjà été détaillés. Je préfère relever devant vous les obstacles qui demeurent.
En tant qu’élue de Polynésie, je peux rendre compte du fait qu’une vaste consultation a été organisée dans notre territoire sur ce sujet. Les maires de Polynésie ainsi que les délégués du syndicat pour la promotion des communes de Polynésie française ont émis un avis favorable de principe sur l’initiative de nos collègues députés. Toutefois, au regard des spécificités géographiques de la Polynésie, nous avons souhaité qu’un groupe de travail soit réuni pour approfondir cette première analyse.
Nos communes sont parfois morcelées en plusieurs îles souvent distantes de plusieurs heures de bateau. Toutes n’ont pas de connexion internet et la communication peut donc être difficile.
Dans l’ensemble, de simples ajustements techniques locaux peuvent suffire à une application effective de ces dispositions. Néanmoins, le délai d’inscription de trente jours avant le scrutin poserait d’importants problèmes d’application en Polynésie. En effet, les modalités d’organisation du scrutin sont plus complexes dans certaines de nos communes, du fait de la distance et du mode de communication entre les îles. De même, lors de certaines années électorales, les scrutins se suivent dans des délais parfois très rapprochés.
En l’espèce, si le présent texte venait à s’appliquer tel quel en Polynésie, nous pourrions connaître un important contentieux électoral : certains services communaux pourraient ne pas avoir les moyens de poursuivre l’inscription sur les listes entre le scrutin présidentiel et les élections législatives. Dès lors, des électeurs pourraient ne pas être inscrits et voir ainsi leur droit de vote nié du fait d’un pur problème logistique. Ce n’est démocratiquement pas acceptable, et un tel problème ne pourrait qu’alimenter la contestation des résultats du scrutin.
Mes chers collègues, je vous présenterai dans la suite du débat un amendement sur ce sujet qui nous tient particulièrement à cœur en Polynésie française. Notre proposition permettra de résoudre cette difficulté, tout en respectant l’esprit de consensus qui a présidé à l’élaboration de ces textes de loi comme au travail de M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains, du RDSE et du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Hélène Conway-Mouret.
Mme Hélène Conway-Mouret. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les trois propositions de loi soumises à notre examen illustrent la volonté exprimée par le Gouvernement de simplifier et de moderniser les procédures administratives. Elles peuvent se résumer ainsi : plus de clarté, des contrôles et des recours mieux définis, une inscription facilitée, et la nouvelle réalité du monde dans lequel la mobilité est l’affaire de tous enfin prise en compte.
Un sursaut était nécessaire. Scrutin après scrutin, nous assistons à la progression inexorable du taux d’abstention. C’est la vie démocratique de notre pays qui est menacée.
Ainsi, le taux d’abstention en France croît quelle que soit l’élection. Il était de près de 20 % lors de l’élection présidentielle de 2012. Il atteignait 50 % lors du premier tour des élections régionales de décembre dernier. Ces chiffres s’entendent comme un taux d’abstention portant sur l’ensemble des inscrits. Il se rapporte donc aux 45 millions de Français inscrits sur les listes électorales.
À cet égard, il convient de rappeler que, si l’inscription est obligatoire, comme l’affirme l’article L. 9 du code électoral, aucune sanction n’est prévue pour les non-inscrits. Or ces derniers sont au nombre de trois millions, qui ne peuvent exercer leur droit de vote ou refusent de le faire.
J’ajoute que, sur ces 45 millions de Français, 6,5 millions sont inscrits dans un bureau de vote qui ne correspond plus à leur lieu de résidence actuel.
De plus, en 2007 comme en 2012, entre 20 000 et 25 000 de nos concitoyens inscrits sur les listes électorales consulaires qui étaient rentrés en France n’ont pas pu voter, au motif qu’ils étaient inscrits comme votants à l’étranger sur la liste d’émargement de leur commune.
L’éloignement des Français du processus électoral, que nous déplorons unanimement, s’explique non seulement par un désintérêt pour la chose publique, mais aussi par des raisons techniques qu’il nous appartient de résoudre. Je me félicite donc que ces textes s’emploient à encourager la participation électorale des citoyens. C’est une réforme qui va dans le bon sens, puisqu’elle facilite les conditions d’accès au scrutin.
Je ne reviendrai pas en détail sur les modifications déjà présentées par les précédents orateurs. Mon propos complétera celui de mon collègue Jean-Yves Leconte.
À l’instar de Christophe-André Frassa, je souhaite saisir l’occasion de notre discussion pour évoquer le lien très particulier de la communauté française résidant hors de France avec la nation. En effet, les Français vivant à l’étranger sont eux aussi directement concernés par les textes que nous étudions ce soir.
À l’heure actuelle, 1,7 million de Français à l’étranger sont inscrits au registre auprès de nos consulats. Ils effectuent souvent cette démarche dès leur arrivée dans leur pays de résidence, ce qui démontre leur volonté de ne pas couper le lien avec la France. Dans d’autres cas, ils s’inscrivent après plusieurs années, précisément pour retrouver ce lien.
L’inscription au registre entraîne l’inscription automatique sur les listes électorales consulaires, qui leur permet de prendre part aux élections nationales françaises, d’élire, depuis 2008, leurs députés et, depuis 2014, leurs représentants de proximité : les conseillers consulaires.
Nos compatriotes vivant à l’étranger sont très attachés à la possibilité qui leur est offerte de continuer à exercer leur citoyenneté malgré l’éloignement géographique. Pour eux, le droit de vote est un moyen de demeurer inclus dans la communauté nationale. Pour certains, il marque l’appartenance à la nation ; pour d’autres, il exprime simplement l’attachement à la France. D’après une étude menée en 2015 par l’IPSOS auprès des Français de l’étranger, 90 % des sondés déclaraient que cette démarche était importante ; 59 % la jugeaient même très importante.
Cette citoyenneté qu’exprime le droit de vote a cependant trouvé, à l’étranger, à s’enrichir d’une nouvelle représentation.
En 2013, la réforme de la représentation politique des Français de l’étranger, que j’ai conduite, a permis la création de conseils consulaires.
Les 442 conseillers consulaires élus au suffrage universel direct pour six ans jouent un rôle essentiel dans la représentation politique locale de nos communautés. Ils sont également des représentants de notre diplomatie d’influence par les relations qu’ils entretiennent avec les autorités locales. Comme tout élu, ils sont avant tout au service de nos concitoyens. Ils participent à la mise en place des politiques publiques. Ils contribuent également à ce que l’action de la France soit mieux comprise, mieux relayée auprès des opinions publiques. En un mot, ils repoussent nos frontières et font vivre la démocratie de proximité.
La création de cette représentation politique s’est également accompagnée d’importants efforts de la part de la direction des Français de l’étranger. Le but était de pallier le déficit de participation lié à l’éloignement géographique entre les personnes et les bureaux de vote, à l’absence de propagande électorale et parfois au choix d’une immersion totale de nos ressortissants dans leur pays de résidence.
La multiplication des bureaux de vote et l’introduction du vote électronique pour les élections législatives et consulaires ont enrayé la chute graduelle de participation enregistrée au fil des scrutins.
À mon sens, la clôture des listes électorales trente jours avant le scrutin sera un véritable défi pour l’Assemblée des Français de l’étranger.
Depuis quelques jours, l’inscription est facilitée par un accès à ses données personnelles en ligne. Je saisis cette occasion pour souligner la grande qualité du travail de simplification et de dématérialisation engagé par le Gouvernement, en particulier par Mme la secrétaire d’État.
La représentation politique des Français établis hors de France satisfait donc à un double principe de proximité et de représentativité qui contribuera, je l’espère, dans les années à venir, à faire progresser le taux de participation à l’ensemble des scrutins auxquels les Français à l’étranger prennent part.
Mes chers collègues, je l’affirme une nouvelle fois : les Français de l’étranger sont des Français à part entière. Ils n’ont pas plus mais pas moins de droits que les Français de l’Hexagone. Il convient donc de les faire bénéficier des mêmes modalités électorales.
Je ne doute pas que nos débats nous permettront d’améliorer encore les textes qui nous sont soumis. Pour ma part, je soutiendrai ces propositions de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Corinne Bouchoux et M. le rapporteur applaudissent également.)
M. le président. La discussion générale commune est close.
Nous passons à la discussion, dans le texte de la commission, de la proposition de loi rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales.
proposition de loi rénovant les modalités d’inscription sur les listes électorales
TITRE Ier
DISPOSITIONS RELATIVES AU RÉPERTOIRE ÉLECTORAL UNIQUE ET AUX LISTES ÉLECTORALES
Articles additionnels avant le titre Ier
M. le président. L'amendement n° 11 rectifié bis, présenté par M. Grand, Mme Lamure, M. Pointereau, Mme Giudicelli et MM. Houel, Joyandet, Charon, Raison et Panunzi, est ainsi libellé :
Avant le titre Ier (dispositions relatives au répertoire électoral unique et aux listes électorales)
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code électoral est ainsi modifié :
1° À l’article L. 1, les mots : « et universel » sont remplacés par les mots : « , universel et obligatoire » ;
2° Après l’article L. 1, il est inséré un article L. 1-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1-… – Les motifs d’exemption de vote doivent être liés à une obligation soudaine et incontournable.
« Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article. »
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Le présent amendement tend à rendre le vote obligatoire. Cette mesure va de pair avec la reconnaissance du vote blanc comme suffrage exprimé, disposition que je défendrai dans la suite de nos débats.
Dans une démocratie moderne, le vote obligatoire pourrait être un moyen de sensibiliser nos concitoyens, de les inciter à se rendre aux urnes. Est-ce normal qu’un député ait été élu il y a quelques jours, même s’il est de ma famille politique, avec une participation de 20 % du corps électoral ? Cela pose un problème !
Nous avons tenu un discours voilà quelque temps sur la représentativité syndicale. Le débat était recevable. Il faut transposer le raisonnement à la représentativité politique.
La démocratie, en France comme dans d’autres pays, est le fruit d’une longue histoire, parfois douloureuse ; il faut avoir le courage de le dire. Elle a bien souvent été conquise au péril de nombreuses vies. Je suis donc très attaché à ce que le droit de vote s’accompagne de l’obligation, pour chaque citoyen, de se rendre aux urnes.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre-Yves Collombat, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je voudrais en préambule présenter brièvement la façon dont j’ai abordé ce texte, ce qui expliquera aussi, pour l’essentiel, la position de la commission sur les amendements.
Mon intention est que nous parvenions à élaborer un texte qui puisse être adopté par la commission mixte paritaire, non parce que je suis un adepte du consensus, je crois l’avoir montré, notamment l’année dernière, mais parce que l’essentiel du contenu de ce texte est bon ; tous les orateurs l’ont souligné. Nous avons donc tout intérêt à ce qu’il passe malgré les difficultés.
Si je tiens à ce que les observations essentielles du Sénat puissent être prises en compte, c’est aussi parce que je souhaite que cette loi ne crée pas de rejet dans les communes. Les dispositions nouvelles que j’ai proposées visent précisément à éviter ces réactions qui aboutiraient à des effets contraires.
Souhaitant que nous parvenions à un accord avec nos collègues députés, j’ai émis un avis défavorable sur tous les amendements qui n’étaient pas en rapport immédiat avec le texte.
Sur le fond, personnellement, je ne pense pas que le fait de transformer le droit de vote en obligation soit une bonne chose. Si les gens ne veulent pas voter, pourquoi les y obliger ? Accessoirement, aucune pénalité n’étant prévue pour faire appliquer cette disposition, cela ne me paraît pas une bonne idée.
Pour les raisons que je viens d’évoquer, l’avis de la commission est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès de la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social, chargée de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Même avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Grand, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Grand. Cet amendement vise à ouvrir le débat. La question n’est pas anodine : à partir de quel seuil de votants devient-on légitime ? Recueillir 50 % de 20 % de votants permet certes d’être légalement élu, mais est-on légitime ?
Nous y reviendrons très certainement. J’imagine que les futurs candidats à l’élection présidentielle auront des idées sur le sujet. En attendant, je retire l’amendement.
M. le président. L'amendement n° 11 rectifié bis est retiré.
L'amendement n° 17, présenté par Mme Bouchoux, est ainsi libellé :
Avant le titre Ier
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À l’article L. 2 du code électoral, le mot : « dix-huit » est remplacé par le mot : « seize ».
La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Il s’agit d’un amendement d’appel que j’ai déposé après avoir suivi de nombreux conseils municipaux de jeunes.
Les jeunes de seize et dix-sept ans ont obtenu, au fil des années, l’accès à de nombreux droits très divers. Ils peuvent ainsi travailler, conduire via la conduite accompagnée ou encore payer par carte bancaire – la liste n’est pas exhaustive. Divers leviers ont contribué à développer leur expérience de la citoyenneté. Ils peuvent être, et c’est heureux, délégué de classe ou membre d’un conseil municipal de jeunes, voire d’autres conseils. En leur ouvrant ces droits, nous les considérons comme des citoyens en devenir, et ce beaucoup plus précocement qu’il n’était d’usage autrefois. Leur participation au débat citoyen prouve qu’ils ne sont nullement désintéressés des débats qui animent le pays et que leur conscience politique est réelle.
Cette autonomisation des jeunes allant crescendo, la question de la remise en cause de l’âge du droit de vote mérite d’être posée. L’abaissement à seize ans de la faculté de voter pour certaines élections a déjà été expérimenté en Suisse et en Allemagne, pour ne citer que des pays voisins. L’Autriche, pionnière en la matière, permet à ses jeunes de voter dès seize ans à toutes les élections.
Cette mesure permet - c’est en tout cas ce que disent ceux qui l’ont expérimentée - de lutter contre l’abstentionnisme en mobilisant de façon précoce des électeurs qui s’intéressent à la vie publique, parce que c’est quelque chose de neuf. Elle doit évidemment être assortie d’une réelle volonté d’éduquer les plus jeunes à la citoyenneté, au débat d’idées et au bien commun. N’oublions pas non plus de les accompagner afin qu’ils puissent construire et développer leur intérêt pour la chose publique sous toutes ses formes.
Aussi, comme je l’ai annoncé à mes jeunes interlocuteurs, je propose qu’a minima une étude de faisabilité suivie d’une éventuelle expérimentation soit engagée afin d’étudier les possibilités ouvertes par ce droit de vote élargi aux jeunes de seize et dix-sept ans.
Quant aux jeunes eux-mêmes, doutant de leur capacité à choisir, faisons leur confiance ! Mes chers collègues, je vous rappelle qu’ici même on craignait jadis que les femmes ne votent comme leur mari. Eh bien, ne craignons pas forcément que les jeunes ne votent comme leurs parents ! Essayons de répondre à la crise de confiance, ma collègue Esther Benbassa l’a souligné, par le pari de la jeunesse. Comme le disaient Daniel Cordier ou Lucie Aubrac, en 1939, on n’a pas demandé leur âge aux plus jeunes résistants. Il est heureux que les lycéens de Buffon se soient engagés ! Si les jeunes sont capables de s’engager, pourquoi ne pas leur permettre de voter ?