M. Philippe Dominati. Madame la ministre, je vous remercie de votre réponse très complète. Je ne savais pas que la situation de l’emploi était aussi bonne en France qu’en Allemagne ces dernières années. Je vous signale tout de même que nous avons appris aujourd’hui qu’il y avait en Allemagne 130 000 emplois non qualifiés non pourvus. J’aimerais que notre pays souffre de maux comparables…
Monsieur le rapporteur, le Premier ministre nous a dit tout à l’heure que l’opposition, dans cet hémicycle, dénaturait le projet de loi, mais, en réalité, nous souhaitons juste revenir au projet initial du Gouvernement, hormis pour les 35 heures.
J’observe que le Sénat n’est entendu ni sur le travail de nuit, ni sur le travail dominical, puisque vous avez refusé toute évolution, par exemple, pour la prestigieuse avenue des Champs-Élysées, ni sur des mesures du type de celle que je viens de proposer.
J’ai le regret de constater que la social-démocratie, même en France, a du mal à progresser. Ne parlons pas du libéralisme…
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Myriam El Khomri, ministre. Monsieur Dominati, ne me faites pas dire ce que je n’ai pas dit s’agissant de la comparaison avec l’Allemagne.
Je le répète, et j’y insiste, avec les « mini-jobs » à l’allemande, il suffit de travailler une heure par semaine pour sortir des chiffres du chômage, ce qui n’est pas le cas dans notre pays. En effet, notre choix a été de lutter contre le temps partiel subi, et l’accord national interprofessionnel de 2013 a imposé un plancher de 24 heures.
Il faut aussi comparer, par exemple, le taux de précarité. Si mon homologue allemande est actuellement en train de revenir sur l’idée des « mini-jobs », cela montre que nous avons aussi nos arguments à faire valoir, dans le cadre de notre propre social-démocratie.
Nous n’avons pas emprunté des voies similaires, mais nous pouvons aussi nous inspirer de l’Allemagne, par exemple sur le plan « 500 000 formations », car nous sommes bien moins bons que d’autres pays européens en la matière. Ainsi, quand l’Allemagne forme deux demandeurs d’emploi sur dix, nous nous contentons d’un sur dix. Quelle est la problématique dans notre pays aujourd’hui ? Nous avons de 150 000 à 250 000 offres d’emploi non pourvues, en raison d’un manque de qualification dans 95 % des cas.
C’est pourquoi nous avons mis en œuvre le plan que je viens de citer. La qualification est un investissement productif, car elle améliore la compétitivité de notre économie.
Il y a une autre différence de taille avec l’Allemagne : nous avons la chance, car c’en est bien une, de bénéficier d’une forte croissance démographique. Tous les ans, nous avons 700 000 départs en retraite pour 850 000 entrées sur le marché du travail. Pour l’économie française, le défi est donc de créer au minimum 150 000 emplois par an pour que le chômage n’augmente pas.
En Allemagne, en revanche, il y a environ 700 000 départs en retraite pour 400 000 entrées sur le marché du travail. Vous le voyez, l’équation…
M. Philippe Dominati. Si l’exemple allemand ne vous convient pas, prenez l’exemple suédois ou autrichien !
Ouvrez les yeux ! (Exclamations indignées sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Marc Daunis. On n’interrompt pas un ministre !
Mme Myriam El Khomri, ministre. Monsieur le sénateur, je ne suis ni obtuse ni animée par l’idéologie. Oui, nous devons apprendre de l’Allemagne en matière de formation professionnelle ; oui, nous devons apprendre de l’Allemagne en matière d’apprentissage, et je suis d’ailleurs allée visiter des centres d’apprentissage ; oui, nos organisations patronales, aussi, doivent apprendre des organisations patronales allemandes, qui s’investissent beaucoup sur la question de l’apprentissage ; oui, les organisations syndicales françaises doivent aussi apprendre de leurs homologues allemandes.
Si nous voulons développer, à travers l’article 2 notamment, le dialogue social au niveau de l’entreprise, c’est que nous pensons que le passage d’une culture de l’affrontement à une culture du compromis nous éviterait d’avoir à réagir au dernier moment, ce qui nous a fait perdre des emplois dans l’industrie depuis le deuxième trimestre de 2001.
Monsieur le sénateur, je le répète, lorsque vous faites des comparaisons, il faut tout prendre en compte, c’est-à-dire aussi la qualité de la formation et le taux de précarité. Il faut dire que l’assurance chômage dans notre pays a joué un vrai rôle d’amortisseur social au moment de la crise de 2008, mais il faut reconnaître également que nous avons fait le choix de la flexibilité externe par les licenciements en 2008.
Aussi, je vous ai proposé l’article 11 sur les accords pour le développement de l’emploi, qui sont destinés à créer les conditions pour se mettre d’accord, pendant un temps à durée déterminée, afin d’éviter les suppressions d’emplois par la suite.
Oui, nous pouvons apprendre de nos voisins, mais nous ne souhaitons pas plaquer un modèle extérieur sur le nôtre, non pas en raison de spécificités que nous voudrions garder à tout prix, mais parce que notre modèle a aussi des atouts, qu’il faut savoir conserver. Nous devons nous adapter, faute de quoi notre modèle social disparaîtra. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. Je souhaite intervenir par rapport à l’interprétation qu’a faite notre collègue Philippe Dominati de l’avis défavorable qui a été donné par M. le rapporteur.
Comme M. Gabouty l’a rappelé, la France a signé la convention n° 158 de l’OIT en 1989. Les pays qui ont adapté leur marché du travail dans le sens que vous nous proposez ont préalablement dénoncé cette convention. En ce qui nous concerne, depuis 1989, aucun Président de la République, aucun gouvernement n’a émis le souhait de le faire. Nous sommes donc liés par cette convention, qui nous empêche d’adopter votre amendement.
Vous pourriez à la rigueur demander à un des candidats Les Républicains à l’élection présidentielle de la dénoncer… (Sourires.)
Mme la présidente. Monsieur Dominati, maintenez-vous votre amendement ?
M. Philippe Dominati. Je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L’amendement n° 128 rectifié bis est retiré.
L’amendement n° 730, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 30
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 1233-2 du code du travail est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Est réputé dépourvu de cause réelle et sérieuse tout licenciement pour motif économique ou toute suppression d’emplois sous quelque forme que ce soit, décidé par un employeur dont l’entreprise a constitué des réserves ou réalisé un résultat net ou un résultat d’exploitation positif au cours des deux derniers exercices comptables.
« Est également dépourvu de cause réelle et sérieuse tout licenciement pour motif économique ou toute suppression d’emploi sous quelque forme que ce soit, décidé par un employeur dont l’entreprise a, au cours des deux derniers exercices comptables, distribué des dividendes ou des stock-options ou des actions gratuites ou procédé à une opération de rachat d’actions. »
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Avec cet amendement, nous souhaitons compléter l’article L. 1233-2 du code du travail, qui précise que le licenciement économique doit être justifié par une cause réelle et sérieuse.
Je profite du temps qui m’est accordé pour dire à notre collègue Nicole Bricq que je l’invite à venir en Isère pour rencontrer les salariés, comme je le fais régulièrement. (Mme Nicole Bricq montre des signes d’exaspération.) Je vous l’assure, il y a de très belles entreprises high-tech, comme les gens « branchés », à la mode, les appellent, mais celles-ci vivent quand même sous perfusion de subventions publiques, qu’elles proviennent de l’État, de la région, du département, de l’intercommunalité, voire de l’Europe.
Il y a sans doute un grand nombre de salariés, aussi, dans ces entreprises, mais il y a aussi beaucoup de plans de départs prétendument volontaires et bien des incertitudes sur le maintien de leurs activités, bien qu’elles vivent, je le répète, sous perfusion de subventions publiques.
À côté de ce secteur, il y a l’industrie traditionnelle. Dans mon département, l’Isère, ces activités faisaient sens. Savez-vous qu’Aristide Bergès, un ingénieur, a inventé la houille blanche ? Il se trouve que j’ai la chance de bien connaître ce procédé, car c’est dans ma commune qu’habitait cet inventeur, qui a déposé un brevet.
Schématiquement, la houille blanche, c’est la force de l’eau qui fait turbiner les machines. Dans nos entreprises, notamment les papeteries, le procédé était très présent. Dans la vallée de l’Isère, où je vis, il y avait, au pied de chaque colline, une entreprise qui fonctionnait grâce à ce turbinage inventé par Aristide Bergès. Si M. Savin était là, il pourrait parler de l’industrie traditionnelle des papeteries, puisque, sur sa commune, Domène, les usines ont fermé les unes après les autres.
Il n’y a plus d’industrie traditionnelle dans ma vallée, qu’il s’agisse de la papeterie, de la chimie ou de l’aluminium. Cette région a été saccagée en termes d’emploi, car, les unes après les autres, les entreprises ont fermé et ces salariés n’ont pas été embauchés par les entreprises high-tech, madame Bricq !
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue.
Mme Annie David. C’est pour cette raison qu’il faut aussi les soutenir.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. Dans votre exposé des motifs, certains arguments peuvent être recevables, mais vous faites quand même preuve d’une grande méconnaissance des réalités de l’entreprise.
Mme Évelyne Didier. Vous, c’est la méconnaissance des réalités des salariés !
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. Vous parlez d’une entreprise qui a eu des résultats positifs deux années de suite, mais tout dépend de l’ampleur des résultats. S’ils sont juste au-dessus de la barre, ils peuvent très bien plonger la troisième année si l’entreprise perd des marchés ou en cas d’événement conjoncturel.
La commission est bien sûr défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Myriam El Khomri, ministre. Je comprends bien évidemment cet amendement, mais la jurisprudence, fort heureusement, sanctionne déjà les entreprises procédant à des licenciements afin d’optimiser leurs cours de bourse ou seulement augmenter leurs profits. Je le dis haut et fort, ces deux motifs de licenciement ne constituent pas des causes réelles et sérieuses, et sont donc rejetés par les tribunaux. Comme je reçois tous les mois le rappel des condamnations des tribunaux sur ce type de motif, je puis vous dire qu’elles sont nombreuses.
La sauvegarde de la compétitivité, comme je l’ai indiqué tout à l’heure, obéit à des critères précis, tout comme les difficultés économiques. Je ne souhaite pas que l’on fasse une liste exhaustive, mais je vous rassure, la jurisprudence montre que la justice reste vigilante.
Le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 735, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 30
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code du travail est ainsi modifié :
1° À l’article L. 1233-25, les mots : « Lorsqu’au moins dix salariés » sont remplacés par les mots : « Lorsque plusieurs salariés » ;
2° À l’intitulé du paragraphe 2 de la sous-section 1 de la section 4 du chapitre III du titre III du livre II de la première partie les mots : « dix refus ou plus » sont remplacés par les mots : « plusieurs refus ».
La parole est à M. Bernard Vera.
M. Bernard Vera. Dans la législation actuelle, les entreprises ne sont pas dans l’obligation de présenter un plan de sauvegarde de l’emploi, un PSE, lors de licenciements économiques effectués à la suite d’un refus de modification du contrat de travail, quand le nombre d’emplois concernés est inférieur à dix, dans la durée d’un mois.
Cependant, dans de nombreux cas, les entreprises contournent cette obligation. Elles jouent par exemple sur la durée de trente jours consécutifs, ou contraignent les salariés à refuser une modification substantielle de leur contrat de travail, ce qui conduit à leur licenciement.
Pourtant, le PSE représente souvent l’unique possibilité pour les salariés de retrouver un emploi à la suite d’un licenciement économique.
Notre amendement vise donc à remplacer la mention « dix salariés » par la mention « plusieurs salariés ». Ainsi, il sera beaucoup plus difficile de déguiser un licenciement économique de plus de dix salariés en le fractionnant en plusieurs licenciements de différents types et en l’étalant sur la durée.
Il est de la responsabilité du législateur de s’assurer du respect de l’esprit de la loi, qui plus est quand celle-ci offre aux salariés une seule et unique possibilité de ne pas se retrouver dans des situations dramatiques, comme c’est très souvent le cas lors d’un licenciement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. Cet amendement est contraire à la directive européenne du 20 juillet 1998 sur les licenciements collectifs (Exclamations sur les travées du groupe CRC.) et à notre cadre juridique relatif aux plans de sauvegarde de l’emploi.
En effet, il vise à supprimer le plancher de dix salariés afin d’imposer la procédure de licenciement collectif à l’employeur, mais l’article 1er de la directive 98/59/CE du 20 juillet 1998 dispose qu’un licenciement économique doit concerner au moins dix personnes sur une période de trente jours dans les entreprises employant entre vingt et cent personnes.
L’avis de la commission est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Myriam El Khomri, ministre. L’objectif que vous visez, monsieur le sénateur, est certes légitime, mais votre amendement est déjà satisfait par le code du travail, qui s’attache à éviter les contournements du seuil de dix salariés, dans l’hypothèse, par exemple, où l’employeur licencie plusieurs fois moins de dix salariés par mois.
Ainsi, la loi prévoit que les règles du licenciement collectif s’appliquent au-delà de dix-huit licenciements économiques sur une année civile, et au-delà de dix licenciements sur une période de trois mois consécutifs.
Cette règle s’applique aux licenciements consécutifs à un refus de modification du contrat de travail, cas que vous avez visé dans votre amendement, ou à un autre motif économique.
C’est pourquoi je suis défavorable à votre amendement.
Mme la présidente. L’amendement n° 202 rectifié bis, présenté par Mme Deromedi, M. Bouchet, Mme Cayeux, MM. Chasseing, Doligé, Frassa, Gremillet, Husson et Laménie, Mme Lopez et MM. Magras, Masclet, Morisset, Pellevat et Soilihi, est ainsi libellé :
Après l’article 30
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 1234-1 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Dans tous les cas, la durée du préavis ne peut excéder trois mois. »
La parole est à Mme Jacky Deromedi.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. Le code du travail autorise les partenaires sociaux à fixer la durée du préavis, qui ne peut pas être inférieur à deux mois quand un salarié a plus de deux ans d’ancienneté et à un mois entre six mois et deux ans d’ancienneté.
Je pense qu’il faut faire confiance aux partenaires sociaux pour fixer la durée adéquate du préavis. L’avis de la commission est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Myriam El Khomri, ministre. En cas de licenciement, l’obligation de respecter un préavis s’impose bien sûr à l’employeur. Il s’agit d’une mesure protectrice pour le salarié, afin de lui éviter de se retrouver directement au chômage.
La loi fixe aujourd’hui une durée minimale d’un ou de deux mois selon l’ancienneté, mais une durée plus longue peut être instituée par un accord collectif – c’est pour cette raison que le rapporteur a déclaré qu’il préférait laisser les partenaires sociaux en décider – ou par le contrat de travail.
En pratique, certaines branches utilisent cette possibilité, notamment lorsqu’il s’agit de cadres.
Vous souhaitez fixer une durée maximale de trois mois. Je ne suis pas favorable à cette proposition, qui serait préjudiciable aux salariés concernés aujourd’hui par une durée plus longue. En outre, il est assez insécurisant pour les employeurs de fixer dans la loi une durée unique maximale de préavis trop courte, car un juge pourrait la déclarer non conforme à la convention n° 158 de l’OIT, que la France a ratifiée, et condamner l’employeur à ce titre.
Laissons donc les partenaires sociaux adapter les durées aux situations, en conformité avec l’esprit de ce texte.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Tourenne, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Tourenne. Jusqu’à présent, ainsi que vous l’avez indiqué, la durée du préavis est fixée en fonction de la carrière antérieure des salariés licenciés. Cela n’est pas forcément la meilleure mesure, car elle ne correspond pas nécessairement aux besoins.
Je prends l’exemple de ce qui s’est passé en Suède pour Sony-Ericsson. Lorsque l’entreprise a décidé de ne plus produire de téléphones et a fermé, la durée du préavis des salariés a été calculée en fonction du temps nécessaire pour les former afin d’intégrer un autre poste dans une autre entreprise.
La Suède est un exemple intéressant, car elle connaît déjà tout ce que nous sommes en train de voter en termes d’accords collectifs. C’est le moyen d’entendre une vérité, de la part des employeurs comme des salariés.
En France, j’ai discuté je ne sais combien de fois avec Philippe Varin et Carlos Tavares pour essayer de sauver le site de Rennes, et, à chaque fois, je n’ai rencontré que de l’opacité.
Chez Sony-Ericsson, un an avant que ne s’arrête la production, les syndicats et les employeurs s’étaient déjà retrouvés autour d’une table pour imaginer ensemble les solutions de reclassement, avec une étude sur la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences, y compris vers des emplois publics, pour que chacun ait les meilleures chances de trouver une porte de sortie. C’est d’ailleurs ce qui s’est produit, puisque 95 % des salariés licenciés sous cette forme ont retrouvé un emploi, avec une rémunération au moins égale à celle qu’ils touchaient auparavant, ce qui est déterminant dans pareil cas.
Mme Nicole Bricq. Très bien !
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 202 rectifié bis.
(L’amendement n’est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 729, présenté par M. Watrin, Mmes Cohen, David, Assassi et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 30
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La sous-section 1 de la section 2 du chapitre V du titre III du livre II de la première partie du code du travail est complétée par un article L. 1235-7-… ainsi rédigé :
« Art. L. 1235-7-… – Lorsque le juge constate que le licenciement pour motif économique ou les suppressions d’emploi sont dépourvus de cause réelle et sérieuse, il ordonne le remboursement du montant de la réduction de cotisations sociales patronales mentionnée à l’article L. 241-13 du code de la sécurité sociale dont a bénéficié l’entreprise pour les salariés concernés par le licenciement ou la suppression d’emplois envisagés.
« Dès lors que le juge prononce la nullité du licenciement pour motif économique ou de la suppression d’emploi, l’employeur perd le bénéfice des dispositifs prévus aux articles 244 quater B et 244 quater C du code général des impôts si son entreprise est déjà bénéficiaire, ou l’opportunité d’en bénéficier, pour une période ne pouvant excéder cinq ans. Le juge peut également condamner l’employeur à rembourser tout ou partie du montant dont son entreprise a bénéficié au titre de ces dispositifs. »
La parole est à Mme Laurence Cohen.
Mme Laurence Cohen. Au moment des débats en loi de finances autour du crédit d’impôt recherche, le CIR, et du crédit d’impôt pour la compétitivité l’emploi, le CICE, nous avions présenté plusieurs propositions, que nous voulons renouveler ici.
Pour rappel, le CICE a représenté en 2015 une créance fiscale de plus de 7,7 milliards d’euros, pour atteindre les 20 milliards d’euros depuis sa création.
Quant au CIR, son montant dépasse les 5 milliards d’euros en 2015, avec des résultats sur l’emploi scientifique bien atones, s’agissant notamment de l’embauche de jeunes docteurs.
En toute logique, donc, notre amendement a pour objet de prévoir le remboursement des aides publiques lorsque le licenciement pour motif économique aura été jugé sans cause réelle et sérieuse, notamment en cas de licenciement économique boursier, même s’il semble, d’après ce que l’on nous dit, que de telles pratiques n’existent plus. Permettez-nous d’en douter…
L’entreprise se verra alors condamnée à rembourser le montant des exonérations de cotisations sociales dont elle a bénéficié au titre de l’ensemble des salariés initialement concernés par le licenciement ou la suppression d’emplois.
Par ailleurs, l’entreprise perdra, le cas échéant, le bénéfice ou la possibilité de bénéficier du CIR et du CICE. Enfin, le juge pourra ordonner le remboursement de tout ou partie du montant dont aura bénéficié l’entreprise au titre de ces dispositifs fiscaux.
Voilà à quoi pourrait ressembler une vraie politique du donnant-donnant !
Je vous rappelle que seules seize branches sur les cinquante principales ont pour l’heure signé des accords dans la foulée du pacte de responsabilité, qui englobe le CICE, et trois seulement prévoient des créations nettes d’emplois.
Aussi, je vous encourage à adopter cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Marc Gabouty, rapporteur. Cet amendement reprend une partie de l’amendement n° 725, que nous venons de rejeter à l’article 30. Il tend à instituer le régime de la double, triple, voire quadruple peine pour l’entreprise.
Je pense que c’est totalement disproportionné. L’avis est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Myriam El Khomri, ministre. Je partage comme vous, madame Cohen, la volonté de sanctionner les comportements abusifs des employeurs. La loi le permet, mais cela n’est pas le rôle du CICE !
Comme M. Watrin l’a dit tout à l’heure, pour éviter des licenciements, il faut être en mesure d’investir, or le CICE sert justement à encourager l’investissement dans la recherche, l’innovation, la formation, le recrutement.
Vous citez le bilan que nous avons fait dans le cadre du comité de suivi des aides publiques aux entreprises. Des engagements ont été pris. Le problème, c’est que toutes les branches professionnelles ne disposent pas d’un observatoire de branche. La difficulté a donc consisté à mettre en place des outils d’évaluation. C’est ce que j’ai demandé, avec le Premier ministre et Michel Sapin, aux cinquante plus grandes branches lorsque nous les avons réunies. Lors du prochain comité, je pense qu’elles seront plus nombreuses que les seize que vous avez citées et qu’elles rendront compte de la mise en œuvre des engagements pris en matière d’apprentissage, de maintien dans l’emploi ou de contrats de génération.
En outre, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, il est bien sûr légitime que l’employeur rembourse par exemple d’éventuelles indemnités de chômage, mais il y est déjà tenu. Encore heureux ! Ces mécanismes existent, mais je crois qu’il ne faut pas confondre les outils.
Pour toutes ces raisons, le Gouvernement émet un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. M. le rapporteur juge, c’est là son appréciation, que la disposition que vise à introduire notre amendement constituerait une quadruple peine pour les entreprises. Il fait preuve d’une grande sévérité. Je ne l’ai pas entendu être aussi déterminé quand il s’agit de défendre les salariés. Nous ne devons pas vivre dans le même monde,…
Mme Sophie Primas. C’est sûr !
Mme Laurence Cohen. …parce que, lorsque j’entends notre rapporteur ou, sur certaines questions, Mme la ministre expliquer que tout est prévu, que des engagements sont pris et qu’ils sont tenus, que les entreprises remboursent les aides publiques, il semblerait que tout aille pour le mieux dans le meilleur des mondes. On se demande bien à quoi va servir cette loi ! Si tout va bien et si tout est déjà fait, pourquoi s’arc-bouter sur un projet de loi qui pousse une majorité de gens dans la rue,…
Mme Élisabeth Lamure. Quelle majorité ?
Mme Laurence Cohen. … qu’il s’agisse des syndicats ou des organisations de jeunesse, pour manifester leur opposition ? Et quand on fait une proposition, on nous répond soit qu’on n’a pas le bilan, soit qu’on n’a pas les bons éléments, soit qu’on n’a pas ceci, soit qu’on n’a pas cela ! Vraiment, nous ne vivons pas dans le même monde.
Je maintiens cet amendement parce que nous n’avons pas la même appréciation des réalités de l’entreprise et des salariés. Vous persévérez dans la sécurisation des entreprises, alors même qu’à côté des entreprises vertueuses – qu’il n’est pas question de pénaliser, nous l’avons dit cinquante fois –, d’autres ne jouent pas le jeu. Tout le monde le sait pertinemment, donc arrêtons ce jeu hypocrite !
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Myriam El Khomri, ministre. Ne caricaturons pas les débats. Je n’ai pas dit que les entreprises remboursaient les aides publiques. Ne me prêtez pas des propos que je n’ai pas tenus.
Quand une proposition, quel que soit le bord politique dont elle provient, est contraire à une convention de l’OIT, il est de ma responsabilité de vous le dire.
Ce matin, lors des débats autour du licenciement économique, nous avons beaucoup parlé de la question du contrôle du juge. J’ai précisé que ce contrôle s’appuie sur la réalité du droit existant. Ce n’est pas une interprétation de ma part, et il est légitime que, lorsque le droit prévoit déjà une disposition qu’un amendement tend à introduire, je le signale à ses auteurs, qu’ils se situent d’un côté ou de l’autre de cet hémicycle.
Mme la présidente. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.