Mme Catherine Génisson. Nous verrons !
M. Alain Milon. … et qu’un nouveau projet négocié, porteur et fédérateur ne soit appelé à en prendre le relais.
La période est, semble-t-il, propice à l’éclosion de projets et de propositions. Certains d’entre eux, je l’espère, verront le jour. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Pascale Gruny.
Mme Pascale Gruny. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, la France est plongée depuis plusieurs semaines dans un climat social lourd. La jeunesse est dans la rue ; les grèves dans les transports publics pénalisent les travailleurs ; la pénurie de carburant a été évitée de justesse. Pour des raisons purement idéologiques, une minorité syndicale tente de paralyser le fonctionnement de l’ensemble du pays.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui est au cœur de ces tensions. Le constat est amer : est-il encore possible de réformer en France ?
Alors que la plupart de nos voisins européens ont engagé une réforme sociale et économique, la France est à la traîne. Les politiques menées en la matière depuis l’élection de François Hollande grèvent notre présent et, surtout, notre avenir. Le résultat est sans appel : la croissance française est très inférieure aux croissances allemande et italienne. Le temps de la réforme est venu !
Depuis de trop nombreuses années, notre pays est rongé par le chômage de masse. Ce constat n’a jamais été aussi vérifié qu’aujourd’hui, alors qu’un jeune sur quatre se retrouve sans emploi. Cette réalité n’est ni rassurante ni satisfaisante pour les 5,4 millions de personnes sans emploi et pour les chefs d’entreprise des TPE et PME.
Nous aurions tort, malgré tout, de croire que le seul code du travail expliquerait les difficultés économiques de notre pays. Ce serait oublier notamment la responsabilité des normes franco-françaises et de la pression fiscale qui pèsent sur nos entreprises et ne favorisent en rien leur développement.
Madame la ministre, depuis 2012, le Gouvernement a déposé trois textes visant à réformer le code du travail : les lois du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi, du 5 mars 2014 relative à la formation professionnelle, à l’emploi et à la démocratie sociale, et du 17 août 2015 relative au dialogue social et à l’emploi. Leur point commun ? La faiblesse de leur ambition ! Pourquoi en irait-il autrement avec ce quatrième volet ?
Votre texte a été vidé de sa substance, sous la pression de minorités de blocage. Vous proposiez initialement un remodelage du code du travail en lien avec les partenaires sociaux, employeurs et employés. Mais les mauvaises habitudes ont, comme toujours, pris le dessus, au gré de renoncements, de cadeaux faits aux uns et aux autres, et d’une refonte du texte visant à satisfaire les frondeurs de votre majorité.
M. Jean Desessard. Elle ne les a pas beaucoup satisfaits !
Mme Pascale Gruny. En définitive, qu’en reste-t-il ?
Malheureusement, la montagne semble avoir accouché d’une souris.
M. René-Paul Savary. D’une toute petite souris !
Mme Pascale Gruny. Madame la ministre, la paix sociale ne s’achète pas. Elle se construit avec de bonnes réformes et une vision d’avenir.
Je tiens tout particulièrement à féliciter nos rapporteurs, qui ont accompli un travail remarquable. Ils ont pris le recul nécessaire, afin d’analyser les attentes des entreprises et des salariés et d’y apporter des réponses concrètes et adaptées.
Les propositions du groupe Les Républicains vont dans ce sens. Il est important de s’extraire de la vision binaire qui oppose les uns aux autres.
Au sein d’une entreprise, chacun est interdépendant : sans entrepreneur, pas d’emploi ; sans employé, pas de travail. Non, la vie d’une entreprise n’est pas nécessairement fondée sur des rapports de force ! C’est un stéréotype d’un autre temps. Dans les petites et moyennes entreprises, le dialogue social est tissé de relations simples, qui fonctionnent bien. Pourquoi les compliquer ?
Les entreprises françaises, en particulier les TPE et les PME, attendent de vraies réponses, concrètes et efficaces. La pression du carnet de commande, les rapports avec les banquiers, le manque de trésorerie, la concurrence étrangère, la compétitivité, la peur de mal appliquer une législation parfois incompréhensible et modifiée chaque année, sont autant de contraintes quotidiennes pour nos entrepreneurs.
Dans mon département, l’Aisne, les exemples d’entreprises connaissant des défauts de trésorerie se multiplient. La détresse des chefs d’entreprise, notamment dans les PME, est bien présente. Je le dis haut et fort : les entrepreneurs français ont besoin qu’on les laisse respirer ! Laissons-les réaliser ce qu’ils savent faire le mieux : entreprendre, innover, créer.
Nos propositions vont dans le sens de l’intérêt commun, partagé, des employés et des employeurs : plus de négociation, de souplesse et de dialogue social.
Je citerai la promotion des accords d’entreprise, l’introduction d’une liberté de négociation pouvant aller jusqu’à la consultation des salariés, la création d’une clause de retour à « meilleure fortune », prévoyant les conditions d’une transformation des efforts des mauvais jours en bénéfices lorsque l’entreprise va mieux, ou encore les dispositions relatives à la participation des salariés ou à la conclusion des accords d’intéressement.
C’est aussi lever le frein des seuils de franchissement des effectifs, revenir au plafonnement des indemnités de certains licenciements et donner la possibilité de travailler trente-neuf heures par semaine. Nous proposons également plus de souplesse en matière de dépassements de durée du travail, de forfaits en jours et en heures, ainsi qu’une redéfinition du licenciement économique.
En matière de médecine du travail et pour répondre à la pénibilité, il est essentiel de faire de la prévention. Voilà pourquoi le médecin du travail doit rester au cœur du système ! Il est le seul à pouvoir aborder des sujets difficiles, comme le handicap, la dépression… La visite médicale d’embauche est essentielle aussi bien pour le salarié que pour la responsabilité de l’employeur.
Pour favoriser l’emploi des jeunes, l’apprentissage est le meilleur moyen d’une intégration rapide en entreprise. Nous proposons des simplifications et une meilleure adaptation aux métiers préparés. Il faut changer les mentalités en valorisant l’apprentissage.
Oui, les entreprises françaises, mais aussi les travailleurs et les demandeurs d’emploi, ont besoin de plus de souplesse et d’un marché du travail plus fluide ! Notre modèle économique a besoin d’un nouveau logiciel dans lequel l’entreprise redevient un acteur économique central.
Madame la ministre, le groupe Les Républicains s’opposera à tout ce qui crée des contraintes supplémentaires pour les entreprises. À titre plus personnel, je veillerai tout particulièrement au juste équilibre entre les intérêts des salariés et ceux des entreprises. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Joyandet.
M. Alain Joyandet. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce projet de loi est – hélas ! – un rendez-vous manqué pour la France.
Tout d’abord, c’est un rendez-vous manqué avec les Français. Alors que son exposé des motifs indique qu’il doit permettre une « refondation de notre modèle social », il est rejeté par une immense majorité de nos compatriotes. Plus encore : il est vilipendé par nombre de ceux qui ont voté pour François Hollande en 2012, car celui-ci n’avait pas annoncé une telle réforme du travail. Lorsqu’on ne dit pas les choses avant, il est un peu compliqué de les réaliser après !
Ensuite, c’est un rendez-vous manqué avec la lutte contre le chômage. Alors que la finalité première du projet de loi Travail est d’endiguer le cataclysme du chômage qui touche de façon endémique notre pays, il intervient étonnamment la dernière année du mandat présidentiel de François Hollande, et surtout après une augmentation record du nombre de chômeurs, toutes catégories confondues, depuis son élection en 2012.
Enfin, et surtout, c’est un rendez-vous manqué avec les entreprises.
Alors qu’il ambitionne de « restaurer la compétitivité de nos entreprises », de « leur permettre d’investir » et « de mieux anticiper les mutations économiques », ce texte ne s’attaque pas aux principaux maux qui les handicapent lourdement en France. Durant la seule année 2015, environ 60 000 très petites ou petites et moyennes entreprises ont disparu. Pas une seule d’entre elles n’aurait survécu grâce au projet de loi que nous devons examiner. Ce texte est largement inutile, comme je l’ai indiqué à notre rapporteur. Il n’est pas une priorité pour nos entreprises.
Je le dis en tant que chef d’entreprise : le chômage ne disparaîtra pas avec la réforme ou la libéralisation du code du travail. Il ne disparaîtra pas davantage grâce à une stigmatisation de la protection dont bénéficient les salariés. Il disparaîtra encore moins en faisant peur à ceux qui ont un emploi. Nos entreprises ont besoin de collaborateurs sereins, qui soient en mesure d’avoir un avenir lisible et puissent construire des projets personnels.
Plus que jamais, le travail doit être un élément de « fraternité nationale », et non un vecteur d’affrontements, de divisions et de tensions.
Pour que les entreprises soient de nouveau en mesure de créer des emplois, elles doivent renouer avec l’activité. Il est indispensable de les délester du poids des impositions obligatoires de toutes sortes qu’elles doivent payer, pour améliorer sensiblement leur compétitivité et leur rentabilité.
On me dira que tout cela n’est pas à l’ordre du jour. Mais comme je m’exprime en dernier, je dois m’efforcer de trouver des sujets qui n’ont pas été abordés.
Une mesure simple et efficace doit être prise rapidement : remplacer le CICE par la TVA compétitivité-emploi. On transformera ainsi les milliards d’euros de crédit d’impôt qui y sont consacrés actuellement en baisse structurelle, mécanique et généralisée des charges sociales pour toutes les entreprises françaises. Cela créera automatiquement des milliers d’emplois !
De la même manière, les heures supplémentaires défiscalisées, supprimées durant l’été 2012 par François Hollande pour des raisons idéologiques, doivent être rétablies. Certes, il a fait son mea culpa, mais n’en a pas tiré les conséquences. Quatre années après la disparition de ce dispositif, les familles françaises et les travailleurs de notre pays le regrettent encore fortement. Il est véritablement urgent de le rétablir. Des amendements seront proposés en ce sens.
Les entreprises ont également besoin que les pouvoirs publics cessent de les suspecter. Ils devraient plutôt leur faire confiance et les accompagner. À cet égard, il est nécessaire d’alléger, au même titre que les charges sociales, les contraintes normatives et les contrôles administratifs. L’excellent rapport d’information de notre collègue Annick Billon au nom de la délégation aux entreprises, Droit du travail : ce dont les entreprises ont besoin, propose des pistes intéressantes : création d’un rescrit social ; réaffirmation des missions d’information des inspecteurs du travail ; diminution des charges administratives ; majoration des seuils sociaux ; adaptation des accords de branche aux entreprises de moins de cinquante salariés. Il s’agit de réformes faciles à engager et qui ne coûtent rien ! Autant de vrais sujets qui devront être abordés par notre assemblée durant les débats à venir. Dans un contexte de très faible croissance économique et de chômage de masse, la priorité est de faciliter les recrutements ou les embauches par les entreprises.
Cela peut se faire sans remettre en cause la situation de nos salariés, qui n’est déjà pas si facile, notamment dans le privé. Oui à la réforme pour alléger les entreprises ! Mais la condition des salariés du privé ne doit pas être la variable d’ajustement parce que l’État ne réforme pas son administration !
Nous le voyons, le débat est politique. Nous cherchons de nouveaux modèles dans un monde qui bouge. Nous savons tous à quoi a mené le collectivisme. (Mme Laurence Cohen s’esclaffe.) Nous constatons aussi les méfaits du libéralisme échevelé. Entre les deux, une piste demeure à explorer : celle de la participation pour une entreprise fraternelle où le travail est un lien social plus que jamais utile ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi qu’au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Myriam El Khomri, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais essayer d’être synthétique, d’autant que j’aurai l’occasion de répondre plus précisément sur les différents sujets lors de l’examen des articles.
Beaucoup d’entre vous ont évoqué le contexte. Nous entrons dans la dernière année du quinquennat. Notre économie a recréé des emplois en 2015, après plusieurs années de destruction d’emplois. Pour autant, il convient de porter un diagnostic lucide sur notre pays. Les contournements au droit du travail se répandent. Nous perdons des emplois dans l’industrie depuis le premier trimestre de 2001. Un jeune accède au CDI à vingt-sept ans, contre vingt-deux ans voilà quinze ans.
Monsieur Watrin, je n’ai jamais opposé droit du travail et droit au travail. Néanmoins, l’hyper-flexibilité existe, et la réticence à embaucher en CDI, réelle ou ressentie, des employeurs doit être traitée. Nous devons répondre à cette problématique.
Certains intervenants ont affirmé que cette loi faciliterait les licenciements. C’est faux ! Si tel avait été le cas, je ne l’aurai jamais défendue. Cette loi encadre pour la première fois le licenciement économique. Je le rappelle, 5 % des inscriptions à Pôle emploi sont le fruit d’un licenciement économique. Or les TPE et les PME, qui créent de l’emploi dans notre pays, licencient très rarement pour motif économique. À 20 %, elles pratiquent des ruptures conventionnelles, contre 7 % pour les autres entreprises. Elles se servent davantage du licenciement pour motif personnel, notamment parce qu’elles n’arrivent pas à caractériser ce qui pourrait constituer des difficultés économiques.
Je ne mésestime absolument pas la charge symbolique et anxiogène qu’il y a à aborder le licenciement. La première version du texte, qui n’a jamais été présentée en conseil des ministres, a été reçue par bon nombre de nos concitoyens comme une gifle, en particulier à cause de la question du licenciement.
Néanmoins, il est important de le reconnaître entre nous, un salarié est beaucoup plus protégé dans le cadre d’un licenciement économique qu’en cas de rupture conventionnelle. Dans le premier cas de figure, il bénéficie d’un contrat de sécurisation professionnelle et de droits auxquels il n’a absolument pas accès lors d’une rupture conventionnelle ou d’un licenciement pour motif personnel.
Pourquoi les entreprises n’embauchent-elles pas en CDI ? Tout simplement parce qu’elles ont peur de perdre un client ou une commande. Pour embaucher, il faut évidemment d’abord un carnet de commandes.
Pourquoi notre pays est-il de deuxième pays utilisateur de CDD de moins d’un mois de l’Union européenne ? Pourquoi 82 % des embauches en CDD sont-elles des réembauches ?
Nous constatons un dysfonctionnement. Apporter de la clarté et de la prévisibilité aux employeurs est un enjeu d’intérêt général pour les salariés, en particulier pour les plus précaires d’entre eux. Je pense notamment aux jeunes issus des quartiers populaires, aux femmes et aux salariés les moins qualifiés. J’assume donc à 200 % cette réforme, car je n’ai pas une vision manichéenne de l’entreprise. Je sais parfaitement qu’il ne faut pas opposer l’économie et le social ; le progrès économique et le progrès social vont dans un même mouvement.
Ce qu’apporte la démocratie sociale dans l’entreprise, c’est une capacité d’adaptation. En cas de désaccord, c’est le droit actuel qui s’appliquera. Où est le scandale ? Une telle logique ne prévaudra pas dans tous les domaines. Bien évidemment, elle ne s’appliquera pas en matière de durée légale de santé ou de sécurité. Elle concerne l’organisation du travail.
Que prévoit ce texte ? Le taux de majoration des heures supplémentaires sera de 25 % et de 50 %, mais les organisations syndicales, si et seulement si elles le souhaitent, pourront signer, en échange de contreparties, un accord majoritaire à 10 %. À elles de juger ce qui est le plus favorable pour les salariés. Bref, il s’agit de faire confiance aux acteurs de la démocratie sociale. C’est cette vision que nous souhaitons promouvoir.
Nous devons en finir dans notre pays avec certaines postures.
Je pense tout d’abord aux postures d’organisations patronales qui veulent négocier, mais sans les syndicats. J’ai le débat sur le mandatement avec beaucoup d’employeurs sur le terrain. Pour eux, un salarié mandaté, c’est une personne étrangère à l’entreprise qui débarquera pour dire ce qui est bon ou non pour les salariés ! Ce n’est pas la réalité du mandatement. Nous avons une bataille culturelle à mener.
Je pense ensuite aux postures d’organisations syndicales, dont certaines ont une vraie cohérence. J’ai évoqué André Bergeron et les lois Auroux. Dire que tout doit être dans la loi, c’est, quelque part, un aveu de faiblesse.
Je pense enfin aux postures des pouvoirs publics, qui, depuis toujours, ne laissent pas suffisamment de respiration et souhaitent trop encadrer la négociation collective. Comment élargir l’objet de la négociation s’il n’y a pas en face d’accord majoritaire ? Cette exigence était d’ailleurs une position commune des organisations syndicales en 2008. Cela fait quinze ans, voire plus que nous parlons de développer la négociation collective.
La position commune signée en 2001 par toutes les organisations syndicales sauf la CGT était justement de développer la négociation collective et de trouver à chaque fois le niveau le plus pertinent. Tout sera-t-il décidé au niveau de l’entreprise ? Absolument pas ! La question du temps partiel sera traitée au niveau de la branche. Rien n’est donc systématique. Élargir l’objet de la négociation, c’est justement essayer de passer d’une culture de l’affrontement à une culture du compromis.
Monsieur Desessard, vous affirmez que nul progrès social ne saurait naître d’un accord d’entreprise. L’histoire sociale de notre pays ne nous apprend-elle pas que nous devons la troisième semaine de congés payés à la régie Renault ?
Mme Laurence Cohen. C’était une régie nationale !
Mme Myriam El Khomri, ministre. Oui, l’entreprise peut être un laboratoire social ! Renault en a fait la preuve en 1955 ! Sept ans plus tard, elle accordait une quatrième semaine de congés payés supplémentaire !
M. Dominique Watrin. Renault était une entreprise nationalisée ! C’était donc une décision de l’État !
Mme Myriam El Khomri, ministre. D’autres entreprises ont ensuite suivi, et le gouvernement de l’époque a généralisé le dispositif.
Il est souvent question du droit à la déconnexion. Mais il a été instauré dans certaines entreprises de notre pays. C’est la réalité !
Certains d’entre vous ont prétendu que ce projet de loi aurait été exigé par Bruxelles. Comme le complotisme est à la mode et comme l’Europe a souvent bon dos, le récit a pris corps. Cette loi Travail serait, à en croire certains, imposée par la vilaine bureaucratie bruxelloise, obsédée seulement par la mise en concurrence sauvage des salariés sur le continent. Cette loi chargée de tous les péchés souffrirait ainsi de la condamnation ultime. Voilà un récit trop gros pour être vrai !
M. Dominique Watrin. Ce n’est pas un récit ! J’ai là les recommandations de Bruxelles ! (M. Dominique Watrin brandit un document.)
Mme Myriam El Khomri, ministre. Oui, parlons de la recommandation du Conseil européen de mai 2015 !
Permettez-moi de rappeler la genèse du projet de loi. Au printemps 2015, dans le cadre des conférences sociales, le Premier ministre a demandé à Jean-Denis Combrexelle un rapport sur le développement de la négociation collective. M. Combrexelle a mené une concertation et a fait des propositions au Gouvernement. Selon lui, il aurait fallu trois ou quatre ans pour établir le champ accordé à la négociation collective sur l’intégralité du code du travail. Au vu du temps dont nous disposons, nous n’intégrons dans ce projet de loi qu’une partie des recommandations, celles qui concernent le temps de travail et les congés, c’est-à-dire le quotidien des salariés.
Dans le même temps, nous souhaitions développer le compte personnel d’activité, instauré par un article de la loi Rebsamen. C’était un point essentiel. Néanmoins, nous ne développons pas le compte personnel d’activité, parce que nous soutenons de l’autre côté une loi libérale ! J’assume ce texte à 200 %. Personne ne nous l’a imposé. Nous l’avons voulu parce que nous avons su examiner avec beaucoup de lucidité l’état de notre pays, et parce que nous défendons une vision sociale-démocrate de la démocratie dans l’entreprise.
De nombreux témoignages attestent aujourd'hui que nous n’avons pas toujours la capacité de répondre à un pic de commande ou d’activité. Je l’ai souligné, les contournements au droit du travail se multiplient. Regardons les chiffres en matière de travail détaché. Je suis d’ailleurs très heureuse de défendre des mesures pour lutter contre les fraudes en la matière. Regardons aussi les chiffres de l’intérim et du travail indépendant. Ce projet de loi, avant son examen en commission des affaires sociales au Sénat, comportait un article sur la responsabilité sociale des plateformes collaboratives. La société fordiste a vécu. Nos comportements en tant que consommateurs induisent une très forte évolution du monde du travail.
Certains d’entre vous ont établi des comparaisons avec ce qui se pratique à l’étranger. Le Gouvernement n’a pas souhaité les mini-jobs à l’allemande ou les contrats zéro heure. Même si le modèle d’Europe du Nord peut nous inspirer en matière de dialogue social, nous avons parfaitement conscience que notre démocratie sociale n’est pas au même niveau. Nous avons donc écrit un modèle : la social-démocratie à la française.
Certes, ce projet de loi ne répond pas à toutes les difficultés qui l’on rencontre dans le monde du travail. Modestement, il essaie, en ce qui concerne la partie relative au temps de travail, de développer la capacité d’adaptation des entreprises, grâce à l’enjeu essentiel que constitue la négociation. L’équation est simple : pas de souplesse, pas de négociation. Si les entreprises ont besoin de souplesse, elles négocieront. Le souci fondamental reste évidemment l’accord majoritaire.
Si nous comparons la situation de la France et de l’Allemagne en période de difficultés économiques, nous constatons des différences.
Dans notre pays, après la crise de 2008, les licenciements ont été nombreux. En Allemagne, grâce au dialogue social et au recours au chômage partiel – modalités que nous connaissons désormais, mais qui n’existaient pas encore à l’époque –, les salariés sont restés en poste et ont été formés. Ainsi, au moment de la reprise économique, la main-d’œuvre allemande était qualifiée et formée. En France, près de 50 000 emplois ont été perdus par mois jusqu’en 2012. Cette réalité, il faut la regarder en face !
Notre modèle social joue un rôle d’amortisseur social exceptionnel. Nous devons en avoir conscience. Il y a des comparaisons qui ne tiennent pas. Dans certains pays, il suffit de travailler une heure par mois pour sortir des chiffres du chômage !
Le rôle d’amortisseur social de l’assurance chômage est essentiel en France. Nombre de nos concitoyens souffrent de la précarité et du chômage. C’est pourquoi nous devons impérativement développer l’emploi durable. C’est l’enjeu du projet de loi.
Beaucoup d’interventions ont porté sur l’absence de travail pédagogique et sur les erreurs commises en la matière par le Gouvernement. Je les assume sans état d’âme. J’en prends toute ma part de responsabilité.
Erreurs de pédagogie ? Sans doute ! Car le droit du travail, matière complexe, intéresse tout le monde, et c’est légitime. Je suis ainsi donc très heureuse que nos concitoyens se soient emparés des enjeux de l’article 2, ceux de la démocratie sociale dans l’entreprise. Ce débat est nécessaire, même s’il se déroule dans un climat de tension et s’il n’y a pas d’unanimité des organisations syndicales sur le sujet.
Nicole Bricq le soulignait, l’enjeu est de s’adapter ou de disparaître.
Il nous faut nous adapter pour préserver, comme nous le souhaitons, notre modèle social. Il ne s’agit pas de réformer pour réformer ; l'objectif est de transformer la société. C’est pour cela que nous voulons développer la démocratie sociale dans l’entreprise.
Nombreux sont ceux qui s’interrogent sur la médecine du travail. Je suis d’accord, il faudrait mettre en place des visites d’embauche. Mais je suis aux responsabilités : lorsque je constate que, sur 20 millions d’embauches par an, seules 3 millions de visites médicales sont réalisées, je suis bien obligée de constater que ce droit est fictif.
Quand on est aux responsabilités et que l’on a affaire à un droit fictif, il faut bien traiter les situations ! Il y a ainsi des personnes occupant des emplois à risque qui ne bénéficient pas de visites médicales.
L’enjeu est que les salariés les plus exposés aux risques passent une visite médicale assurée par le médecin du travail, et qu’une équipe pluridisciplinaire mette en place ces visites pour l’ensemble des salariés. C’est notre ambition.
Je ne me contente pas de constater la pénurie de médecins du travail, que je regrette bien évidemment.
Mme Laurence Cohen. Il n’y a rien dans la loi sur le sujet !
Mme Myriam El Khomri, ministre. Il n’y a pas assez de candidats lorsque des postes de médecin du travail sont ouverts. Il faut donc travailler sur l’attractivité de ce métier. Or cela relève non pas du ministère non pas du travail, mais de la santé.
Nous devons faire confiance aux autres acteurs de la santé, notamment les infirmiers, qui travaillent sous le contrôle et l’autorité du médecin du travail, auquel on pourra toujours adresser un salarié.
On peut toujours se battre pour des droits fictifs. Mais, lorsqu’on est aux responsabilités, il faut aussi poser des actes afin que la société fonctionne mieux. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Je crois vraiment que la démocratie dans l’entreprise permettra de revitaliser les organisations syndicales.
Permettez-moi, même si cela peut vous étonner, de citer Philippe Martinez, qui intervenait ce matin sur Europe 1 à propos de l’accord intervenu à la SNCF. Il déclarait ceci : « Ce sont toujours les salariés qui sont les mieux placés pour dire ce qui est bon ou pas bon pour eux. » C’est justement cette idée que nous défendons avec l’article 2 du projet de loi ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Alain Milon, président de la commission des affaires sociales. J’informe les membres de la commission des affaires sociales que nous nous réunirons à vingt et une heures quarante-cinq.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures quarante-cinq, est reprise à vingt-deux heures quarante-cinq, sous la présidence de Mme Jacqueline Gourault.)