Mme Aline Archimbaud. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la question de la lutte contre la fraude réapparaît régulièrement dans le discours politique.
Oui, la lutte contre la fraude en général doit être menée. Elle est absolument nécessaire – là n’est pas la question. En effet, la fraude contourne la loi et réduit considérablement le budget de l’État, de plusieurs dizaines de milliards d’euros d’argent public toutes fraudes confondues. Lorsque l’on cherche sans arrêt des financements publics, c’est une manne financière importante.
Malheureusement, le sujet donne bien souvent lieu à des raccourcis et à des fantasmes idéologiques.
Dans son intitulé, cette proposition de loi vise la « lutte contre la fraude sociale ».
Rappelons tout d’abord que ce qui est désigné par l’expression « fraude sociale » concerne deux phénomènes différents : d’une part, la fraude aux cotisations sociales, c’est-à-dire le non-paiement des cotisations sociales par les entreprises – c’est le travail non déclaré, le travail au noir, le travail dissimulé… –, et, d’autre part, la fraude aux prestations sociales touchées par les personnes qui y ont droit compte tenu de leurs difficultés. La même expression désigne donc deux réalités très différentes.
Citons quelques chiffres éloquents pour mettre les choses en perspective : selon le rapport de la Cour des comptes sur la fraude aux cotisations sociales, c'est-à-dire la fraude des employeurs – le travail non déclaré –, publié en 2014, celle-ci serait évaluée, en 2013, à au moins 20 milliards d’euros par an. Pour mémoire, le déficit de la sécurité sociale s’élevait, cette année-là, à 12 milliards d’euros. Le montant en jeu est donc considérable!
Par ailleurs, selon la Caisse nationale d’allocations familiales, la CNAF, la fraude aux prestations sociales de la branche famille, d’après les chiffres dont nous disposons, se montait, toujours en 2013, à 141 millions d’euros, soit plus de cent quarante fois moins.
Ne confondons pas milliards et millions !
« La fraude des pauvres est une pauvre fraude », estimait le Conseil d'État en 2011. Cette formule peut bien s’appliquer à la fraude au RSA, qui s’élevait, selon la CNAF, à 44 millions d’euros en 2012.
L’expression « fraude sociale », utilisée dans l’intitulé de la proposition de loi, est donc de nature à entretenir une grande confusion. Mais l’amalgame ne résiste pas aux chiffres officiels.
Certes, il faut lutter contre toute la fraude sociale. Mais pourquoi limiter la lutte, comme le fait la proposition de loi, au travers de ses dix-huit articles, à la fraude au RSA ? Puisque l’objectif affiché par les auteurs du texte est de chercher de l’argent pour assurer la pérennité de notre système social, pourquoi ne pas aussi citer avec force la nécessité de lutter contre ce qui nous coûte le plus cher, à savoir la fraude qui découle du travail non déclaré ? Il faudrait, par exemple, recruter fortement des inspecteurs du travail pour lutter contre le travail dissimulé, améliorer la coordination entre les services… Pourquoi ne pas le proposer dans le même texte ?
Par ailleurs, rappelons une vérité importante, qui concerne le recouvrement des différentes fraudes à l’argent public. Des écarts importants existent en la matière, entre un faible recouvrement, malgré les efforts, de la fraude fiscale – moins de 50 % en moyenne aujourd'hui – et le très faible recouvrement de la fraude aux cotisations sociales des employeurs – de 5,9 % à 7,3 % en 2012 pour ce qui relève de la sécurité sociale, toujours selon la Cour des comptes.
Quant aux fraudes aux prestations sociales, dont le RSA – donc les fraudes des particuliers –, elles sont en très grande partie recouvrées. Un rapport de la CNAF de mai 2014, portant sur la politique de la famille, indique qu’une grande partie des indus qualifiés de « fraudes » seraient recouvrés et que 95 % des fraudes repérées comme telles seraient sanctionnées. Tels sont les faits !
Enfin, la proposition de loi affirme, dans son intitulé, que son premier objectif est d’améliorer l’accès aux droits. Comme vous le savez, mes chers collègues, cette question nous est particulièrement chère. Mais, à notre grande déception, ce texte ne fait aucune proposition pour lutter contre le non-recours aux droits.
Le problème est pourtant grave, préoccupant et massif. En 2011, 35 % des personnes éligibles au RSA socle n’en bénéficiaient pas. En 2013, selon le Fonds CMU, 20 % des personnes éligibles à la CMU complémentaire, soit un million de personnes, n’avaient pas ouvert leurs droits. Par ailleurs, dans un rapport rédigé en 2014, François Chérèque, alors inspecteur général des affaires sociales, a estimé que le non-recours au RSA, par exemple, se montait à 5,4 milliards d’euros – le chiffre a été cité tout à l'heure.
Ce non-recours s’explique par le manque d’information, la complexité des démarches, le parcours du combattant pour ouvrir ses droits, le manque d’accompagnement… Autant de raisons qui conduisent nombre de nos concitoyens à abandonner.
En conclusion, mes chers collègues, en amalgamant fraude aux cotisations sociales et fraude au RSA, le texte pose vraiment problème. De fait, je rejoins mes collègues sur ce constat : il stigmatise les plus pauvres et les plus fragiles aux yeux de nos concitoyens. Il jette sur eux la suspicion.
Il ne fait pas de propositions pour améliorer l’accès aux droits. Au contraire – les associations de lutte contre la pauvreté nous ont alertés sur ce point –, il risquerait de renforcer le non-recours : ayant peur de se tromper, d’être accablés, soupçonnés et inculpés, beaucoup renonceraient tout simplement à remplir les dossiers, déjà extrêmement complexes, pour ouvrir leurs droits.
Cette proposition de loi ne contient aucune suggestion pour renforcer l’accompagnement des personnes dans leurs démarches.
En outre, si elle était adoptée, elle serait propre à diviser davantage encore la société française, en opposant, par exemple, les salariés pauvres et les personnes sans emploi. Or, en cette période d’épreuves, liées à la fois aux menaces terroristes et aux difficultés économiques et sociales, notre pays a, au contraire, besoin de paroles, de propositions et d’actions de rassemblement.
C’est pour cette raison que les membres de notre groupe voteront contre ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Amiel.
M. Michel Amiel. Madame la présidente, madame la rapporteur, mes chers collègues, à l’heure où les journaux nationaux rapportent que certains départements demandent aux bénéficiaires du RSA de leur fournir leurs relevés bancaires pour contrôle, je m’interroge sur l’opportunité même du texte qui nous est présenté.
Loin de moi tout angélisme : la fraude est bien une plaie que l’on doit combattre. Quand on triche, via la fraude sociale ou fiscale, c’est la société que l’on vole, le contrat social que l’on déchire, ce que nous ne pouvons bien évidemment accepter.
Mais que nous propose-t-on à travers ce texte, sinon de stigmatiser la seule fraude aux prestations sociales ? Je ne peux accepter cette démarche volontairement clivante qui alimente l’idée reçue selon laquelle certains vivraient aux crochets de la société, le fameux mythe de l’assistanat et de ses dérives qui seraient « le cancer de la société française ».
Oui, le problème de la fraude est bien réel ! Mais avons-nous réellement besoin de légiférer pour lutter contre ce phénomène ? Devons-nous vraiment concentrer nos efforts sur cette fraude sociale-là ?
Ce serait faire preuve d’une étrange amnésie que de négliger parallèlement l’autre fraude sociale du travail illégal et du non-paiement des cotisations qu’il induit. Cette fraude aux cotisations sociales explose : elle représente un manque à gagner de plus de 20 milliards d’euros par an, selon la Cour des comptes.
M. Hubert Falco. Que fait le Gouvernement ?
M. Michel Amiel. La proportion réelle de fraudeurs aux aides sociales est estimée entre 2,9 % et 3,7 %, mais varie fortement d’une allocation à une autre. La part exacte du RSA dans le montant de la fraude aux allocations sociales par rapport aux autres allocations – allocation équivalent retraite, allocation aux adultes handicapés… – n’est pas précisée, mais le coût total du RSA est estimé à 9,3 milliards d’euros en 2014.
Je me pose donc la question plus large de la mise en œuvre de l’aide sociale de manière plus globale, ce qui me paraît plus approprié qu’une chasse aux sorcières.
La fraude volontaire existe, mais les difficultés générales liées aux recours restent problématiques : du fait d’un manque d’accompagnement, de suivi et de compréhension du système, certaines personnes ne perçoivent pas ce qu’il leur revient. Selon l’INSEE, 35 % des personnes éligibles au RSA socle n’y ont ainsi pas recours.
Notre rapporteur nous l’a bien dit : « 166 millions sur les 248 millions de fraude identifiés en 2015 » sont liés au RSA. Cela tient à son caractère déclaratif. Si vraiment l’intention des auteurs de cette proposition de loi est de lutter contre les fraudes, pourquoi ne pas s’orienter vers l’idée du guichet unique, un pour les déclarations et un pour les prestations ?
Voilà qui se rapproche de l’idée d’origine libérale – dans ma bouche, c’est loin d’être un gros mot ! – du revenu de base, que certains appellent le « revenu de subsistance » ou « l’allocation unique », dont nous avons récemment débattu et qui fait désormais l’objet d’une mission commune d’information au sein de notre assemblée, tant le sujet est prégnant dans plusieurs pays modernes tels que la Finlande ou la Suisse.
Ces deux pistes représenteraient certainement à terme une simplification nécessaire dans l’appréhension de notre système d’aide sociale, si fortement ancré dans notre Constitution.
Et pourquoi ne pas aller vers un retour à l’échelon national du RSA, l’ordonnateur, à savoir la CAF, n’étant pas aujourd’hui le payeur, à savoir le département ? M. Cardoux le rappelait en commission : « le Gouvernement avait envisagé la mise en place d’un imprimé unique qui servirait de base pour l’ensemble des prestations. Après plusieurs réunions, les convocations ont cessé et le projet est resté lettre morte. »
Dans sa globalité, ce texte n’est pas dépourvu de sens pratique et entend répondre aux problématiques de la vraie vie. Toutefois, s’il convient d’améliorer l’échange de données afin d’identifier les fraudeurs, il reste indispensable d’éviter toute fragilisation inutile d’une population déjà en grande précarité.
Avons-nous à ce point peur de la pauvreté que nous avons peur des pauvres ? Quand j’entends certains parler de travaux d’intérêt général, c’est-à-dire d’une mesure judiciaire qui ressortit à l’arsenal du droit pénal, je me demande s’il s’agit d’une bonne solution pour lutter contre la fraude sociale…
En 2011 déjà, M. Wauquiez appelait, selon le principe des droits et devoirs, à cinq heures de travail social pour les bénéficiaires du RSA. Condamnons-nous ces gens en raison de leur pauvreté ? (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau. Il s’agit simplement de les faire travailler !
M. Hubert Falco. Travailler, ce n’est pas être condamné !
M. Michel Amiel. C’est bien le pauvre que l’on stigmatise, chose impensable selon Pierre-Yves Madignier, ancien président d’ATD Quart Monde : ces personnes qui sont les plus pauvres souhaitent contribuer à l’effort national, mais via l’emploi ! Les gens veulent travailler : qu’on les aide donc à travailler ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
M. Hubert Falco. Voilà !
M. Michel Amiel. Une certaine catégorie de fraude, la fraude aux prestations, qui touche les plus démunis, serait donc érigée en LA pire des fraudes, devant la fraude aux cotisations ! J’ai la pénible impression de voir se développer sous mes yeux une lutte contre les fraudes à géométrie variable.
Je regrette que nous en soyons arrivés là. Le mépris, la défiance, le soupçon envers les plus écartés de notre système ne sauraient être sans conséquence à une époque où, pardonnez-moi le mauvais jeu de mots, les « sans-dents » ont les crocs ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Alors que notre pays a grand besoin de cohésion, il ne faut pas encourager la confusion entre pauvres et fraudeurs. Ne nous trompons pas de priorité, ne nous trompons pas de combat, ne sombrons pas dans une démagogie qui diviserait encore plus la société française ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées de l'UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Roche.
M. Gérard Roche. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je dois avouer que ma première réaction, à la lecture de la proposition de loi dont nous allons discuter, n’a pas été positive.
Bien évidemment, je connais trop M. Doligé pour l’accuser de vouloir stigmatiser les populations bénéficiaires de prestations sociales. Je tiens également à saluer la qualité du travail de notre rapporteur, soucieuse de justice et d’équilibre dans la présentation de cette proposition de loi.
Toutefois, je tiens à vous faire part de ma réticence à l’égard de ce texte. Naturellement, ceux qui abusent d’un dispositif le discréditent, et les dispositifs sociaux n’échappent pas à cette règle.
Ces gens-là existent : lorsque je présidais la commission du RMI de mon département, j’ai vu arriver un allocataire en décapotable de luxe manifestement payée avec les revenus de l’économie souterraine… Mais ce n’est pas parce que de tels cas existent qu’ils sont majoritaires ! Et ce n’est pas parce qu’il y a des resquilleurs dans le métro qu’on parle de le supprimer ! (Sourires.)
Or il est aujourd’hui de bon ton, dans une certaine population, de vilipender le RSA. Certains, bien connus dans mon département, la Haute-Loire, vont même jusqu’à parler d’un « cancer » de notre société ! Comment est-il possible de parler ainsi d’un outil de solidarité qui honore notre pays ?
Que deviendraient ces femmes, ces mères de famille, ces veuves, ces divorcées n’ayant jamais pu travailler et qui se trouvent seules et sans ressources ? Que deviendraient toutes ces personnes sans emploi et qui ont perdu leurs droits à l’allocation chômage ? Je ne cite que ces deux exemples, mais il y en a tant d’autres…
Personne ne fait exprès d’être pauvre ; personne ne doit être stigmatisé en raison d’une situation subie. Or certaines dispositions de cette proposition de loi risquent de stigmatiser les bénéficiaires de la solidarité nationale.
Je veux ici parler de l’obligation de réaliser des travaux d’intérêt général en contrepartie du bénéfice du RSA. J’ai bien dit des travaux d’intérêt général, ceux-là mêmes qui sanctionnent un comportement illégal ! Si, au sein de cet hémicycle, nous savons qu’une même expression désigne ici des réalités différentes, nous devons être conscients de l’impact d’un tel rapprochement sur l’opinion publique.
En leur demandant de travailler gratuitement pour des collectivités ou des associations, ne risque-t-on pas de laisser à penser que ces personnes, frappées par le destin et entraînées dans le monde de l’exclusion, sont un poids pour notre société ? C’est un peu comme si elles avaient une dette à rembourser alors qu’elles sont victimes !
Ces gens sont des exclus, soit parce qu’ils ont traversé une trop longue période sans travailler, soit en raison de conduites addictives ou de troubles du comportement, par exemple. Nul ne sait ce qui se passe dans une maison quand les volets sont fermés, comme on dit en Haute-Loire... Lequel d’entre nous a-t-il le droit de juger son prochain ?
J’ai beaucoup appris sur l’insertion en tant que médecin, puis en tant que président de conseil départemental. Comme beaucoup d’entre vous qui le pratiquez au quotidien, j’ai appris qu’il s’agit d’un véritable métier pour l’élu. J’ai aussi compris une chose essentielle et fondamentale : entre le monde de l’exclusion et celui du travail, il existe un fossé très profond.
Or notre société a le devoir de constituer des passerelles, des ponts, de part et d’autre de ce fossé. C’est l’insertion par le travail, bien sûr, mais aussi par la vie familiale, le logement et la santé.
La solidarité nationale est un outil indispensable aux bénéficiaires des minima sociaux pour parvenir à reconstruire ces passerelles. Priver les allocataires du RSA du bénéfice du dispositif pendant l’instruction de leur dossier n’est pas de nature à reconstruire les ponts. Il ne faut pas que les plus démunis se retrouvent sans ressources pendant des mois.
Il ne s’agit pas pour moi de nier l’existence des fraudeurs. Ils existent, nul ne remet en cause ce fait, et doivent être punis, car ils discréditent notre solidarité nationale. Pour autant, suspecter tous ceux qui connaissent des difficultés d’être des fraudeurs serait grave et contre-productif. Notre société doit, au contraire, leur tendre la main ; les mettre à l’index ne reviendrait qu’à les isoler encore davantage.
Si l’on peut évidemment admettre que des comportements délictuels induisent la suspension de l’allocation, demander aux bénéficiaires de signer une charte n’est-il pas discriminatoire ? Ne risquerait-on pas de tomber dans les travers que je dénonçais ? Être un exclu rend-il automatiquement suspect d’être un mauvais citoyen, tenu de prouver le contraire à la société ?
Par ailleurs, s’il est normal que le président du conseil départemental, qui a la responsabilité de la compétence sociale, puisse avoir accès aux données des allocataires, il faut veiller à ne pas le transformer en une sorte de juge d’instruction.
En tenant compte de ces précautions, nous ne pouvons qu’être d’accord avec l’échange de données afin de rendre les attributions plus adaptées et plus justes.
Affirmer le rôle du département comme chef de file de la compétence sociale est tout autant nécessaire. Éric Doligé, René-Paul Savary, Yves Daudigny, Georges Labazée, Yves Rome, moi-même et bien d’autres nous sommes battus pendant des années, sous deux gouvernements, pour résoudre le problème du financement du RSA, beaucoup trop lourd pour les assemblées départementales. J’espère que l’Assemblée des départements de France va enfin trouver un bon compromis avec l’État, car il ne faut pas qu’un problème financier interfère avec un problème social.
Dans ce contexte, la lutte contre la fraude sociale peut recouvrir le pire comme le meilleur : le meilleur, si les mesures proposées ont pour but de sauvegarder un dispositif social fondamental, d’éviter le discrédit et de respecter la dignité humaine des bénéficiaires ; le pire, par contre, s’il ne s’agit que d’un marqueur politique visant à exacerber le climat de tension existant au sein de notre société et à opposer les uns aux autres.
Vous l’aurez compris, je ne saurais voter une proposition de loi pouvant laisser entendre que le rôle essentiel de notre société n’est plus de tendre la main à ceux qui sont abandonnés sur le bord de la route – et je sais que la majorité de mes amis du groupe UDI-UC pensent comme moi. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur les travées du RDSE, du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. René-Paul Savary. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Hubert Falco. Rétablissez la vérité !
M. René-Paul Savary. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, cette proposition de loi, déposée par notre collègue Éric Doligé, a suscité quelques débats au sein de la commission des affaires sociales et donné lieu à des postures caricaturales.
M. Jean-Louis Carrère. Lesquelles ?
M. René-Paul Savary. À travers ce texte, Éric Doligé, que je connais bien, cherche à améliorer le système en apportant aux pouvoirs publics et aux collectivités territoriales les outils nécessaires pour dissuader la fraude fiscale. (Sociale ! sur les travées du groupe socialiste et républicain.) Je voulais dire contre la fraude sociale ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
Chaque chose en son temps, mes chers collègues. Comme l’a dit M. Cardoux, nous aurons l’occasion de débattre de la fraude fiscale le moment venu !
Ce terme de fraude sociale, je le conçois, peut être provocateur. Louis Gallois, le président de la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale, la FNARS, nous l’avait d’ailleurs fait remarquer lors de son audition. Il a toutefois vite compris que cette proposition de loi était davantage tournée vers la dissuasion et les indus.
C’est la raison pour laquelle en accord avec l’auteur du texte et le rapporteur, j’ai déposé un amendement tendant à remplacer, dans l’intitulé, les mots « fraude sociale » par ceux de « versements indus de prestations ». C’est bien de cela qu’il s’agit, alors autant appeler un chat un chat !
Mme Nicole Bricq. Vous avez eu des remords !
M. Claude Bérit-Débat. Vous avez peur des mots !
M. René-Paul Savary. Qui n’a pas rencontré, lors de ses permanences, de bénéficiaires ayant reçu des indus de prestations qui compliquent terriblement leur situation ?
Qui n’a pas rencontré de travailleurs indépendants confrontés aux ruptures professionnelles, toujours en décalage par rapport aux versements de la prestation en raison du délai d’instruction ?
Ne faut-il rien changer ? Je ne le crois pas. Le texte que nous examinons relève, me semble-t-il, du bon sens. Il y est ainsi précisé que l’ouverture des droits au RSA se met en place une fois le dossier complet et non au moment de son dépôt : il s’agit donc d’une vérification a priori plutôt que d’un contrôle a posteriori.
En théorie, les choses sont simples : soit on a droit au RSA, soit on n’y a pas droit ! Dans la pratique, la procédure est cependant source d’indus, et ce d’autant plus que les revenus sont variables.
D’ailleurs, les contrôleurs de la CNAF nous ont précisé que 60 % des fraudes provenaient de mauvaises déclarations probablement liées au système, 20 % de déclarations intentionnellement fausses, concernant notamment le RSA majoré ou des malversations sur comptes non déclarés, et 10 % d’indus gravement frauduleux.
Une gestion plus rigoureuse, plus collective dans le partage de l’information s’impose donc pour diminuer le taux des non-recours, pour conforter dans son bon droit celui qui touche la prestation, pour dissuader celui qui serait tenté d’abuser du dispositif et pour justifier l’existence de cette prestation vis-à-vis de ceux qui travaillent, qui payent leurs impôts et qui ont le droit de savoir comment l’argent public est dépensé. On est bien loin, me semble-t-il, de la stigmatisation ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
L’instauration d’une contrepartie sous forme d’activité, quelle qu’elle soit, est une idée intéressante qui mérite d’être affinée. En dehors des polémiques que cela engendre, il s’agit avant tout d’un symbole d’entraide au sens propre, ou de responsabilité.
La notion de droits et devoirs fait partie de la loi d’élaboration du RSA. Elle prend la forme d’un contrat signé, plus ou moins exigeant selon le profil du bénéficiaire, et donc accepté par ce dernier.
Malheureusement, le nombre de bénéficiaires ayant doublé depuis l’origine, un traitement de masse remplace l’accompagnement personnalisé. Le pire, pour les intéressés et pour les services départementaux d’insertion, c’est de ne rien pouvoir proposer ! C’est la porte ouverte à l’isolement, au désarroi, au repli sur soi.
Alors, ne critiquons pas trop vivement celles et ceux qui proposent quelque chose, même sous une apparence élémentaire. L’accompagnement social est toujours difficile à réaliser et à financer.
Il est regrettable que les conseils départementaux n’aient plus les moyens, eu égard à l’insuffisance insoutenable de la compensation des allocations de solidarité par l’État, d’engager des actions d’insertion qui sont pourtant au cœur de leur métier – et le problème est bien là !
Mes chers collègues, puisqu’il paraît que ça va mieux, que la reprise est là, tirons-en les conclusions : il est impératif d’allouer davantage de moyens pour soutenir plus massivement les personnes susceptibles de bénéficier de cette reprise tant attendue.
En guise de conclusion, je préciserai encore ma pensée. Pour regagner la confiance des Français et éviter les litiges, il est indispensable que les prestations soient davantage justifiées et donc vérifiées ou mieux ciblées.
C’est la raison pour laquelle j’ai déposé cette année une proposition de loi tendant au versement de certaines prestations sociales sous forme d’un titre spécial de paiement regroupant notamment la prestation d’accueil du jeune enfant et l’allocation de rentrée scolaire.
Aujourd’hui, je souhaite que le texte dont nous discutons aboutisse dans la sérénité. Je remercie Éric Doligé de sa détermination et Corinne Imbert de la qualité de ses travaux, des auditions qu’elle a menées et auxquelles j’ai participé, ainsi que de son intérêt à l’égard des bénéficiaires du RSA et des départements, privés des moyens de leurs ambitions.
Cette proposition de loi nous permet de prendre conscience que le système a atteint ses limites, que le cadre du droit de communication peut s’améliorer et qu’il faut développer le numérique au service du social – je pense notamment aux propositions des audités sur le Répertoire national commun de la protection sociale, le RNCPS, qui n’est pas suffisamment utilisé.
Une solution nous a été proposée : le numéro d’identifiant non signifiant peut, contrairement au numéro d’inscription au répertoire des personnes physiques, le NIR, garantir la confidentialité du partage de l’information. Ce serait une avancée déterminante à même d’aplanir bien des différends qui nous opposent aujourd’hui.
M. Hubert Falco. La solution est là !
M. René-Paul Savary. Madame la secrétaire d’État, j’espère que vous avez entendu le message. C’est le moment, dans le cadre d’une reprise économique tant proclamée, de nous donner les moyens nécessaires pour réussir, par l’insertion, à rapprocher du travail celles et ceux qui connaissent aujourd’hui des difficultés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Louis Carrère. Il a bafouillé !
M. Hubert Falco. Il a dit la vérité !
M. Jean-Louis Carrère. On peut dire la vérité en bafouillant !
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte adopté et présenté par notre commission des affaires sociales a le mérite d’être – je vous cite, madame la rapporteur – « profondément remanié sur la forme ». De fait, il était si confus et comportait tant d’erreurs de rédaction qu’il a été entièrement réécrit.
Toutefois, cette réécriture préserve, bien qu’atténuées, l’essentiel des mesures proposées. Elles sont de trois ordres : réduire l’accès au revenu de solidarité active, soumettre son bénéficiaire à l’exécution d’un travail d’intérêt général et à un contrôle du respect des principes et valeurs de la République, donner au conseil départemental le droit de suspendre l’allocation in limine litis, avant que l’intéressé ne soit entendu.
Il nous faut bien constater que cette proposition de loi, qui vise, selon son intitulé, « à améliorer l’accès aux droits et à lutter contre la fraude sociale », ne comporte aucune mesure d’amélioration. Quant aux allocations et prestations sociales existantes, seul le RSA est concerné.
Améliorer les droits aurait supposé de traiter du problème du non-recours qui touche un tiers des bénéficiaires potentiels, socialement les plus vulnérables et ne demandant rien. Or cette proposition de loi n’en fait nulle mention. Pourquoi n’avoir pas annoncé d’emblée la couleur et intitulé ce texte, conformément à son unique objet, proposition de loi visant la fraude au RSA ?
Les mesures qui nous sont soumises dans ce périmètre restreint sont-elles justifiées ? On comprend mal la logique qui conduit, dans la lutte contre la fraude, à focaliser l’attention et à concentrer les mesures spécifiques sur l’un des points d’entrée le plus faible quantitativement.
La délégation nationale à la lutte contre la fraude développe une démarche totalement inverse et cible prioritairement les fraudes les plus importantes grâce aux outils de data mining.
Ces méthodes sont également celles des comités opérationnels départementaux anti-fraude et des caisses d’allocations familiales délégataires, qui ont un large accès aux fichiers de données et au répertoire national commun de la protection sociale.
Des conventions de partenariat, l’une entre la CNAF, la police et la gendarmerie, l’autre avec le ministère des affaires étrangères, ont également été signées sur les typologies de fraude les plus difficiles à repérer.
Le rôle que cette proposition de loi entend faire jouer aux conseils départementaux sur le seul RSA apparaît pour le moins dérisoire au regard des services et des moyens d’ores et déjà dédiés à la lutte contre la fraude dans son ensemble.
Au surplus, comme le relève la Cour des comptes dans le référé transmis en septembre 2015 au Premier ministre à la suite de l’enquête menée sur l’ensemble des minima sociaux, le RSA est une allocation qui se caractérise déjà « par un régime comparativement restrictif » et apparaît comme « le dispositif le plus contrôlé ».
Il y a moins de logique encore à proposer la création de cellules de contrôle, ce qui nécessiterait l’engagement de nouvelles dépenses de fonctionnement, et à soutenir en même temps des programmes annonçant la suppression, l’un de 300 000, l’autre de 500 000, le dernier d’un million, de postes de fonctionnaires !
Par ailleurs, ce texte s’inscrit – je vous cite encore, madame la rapporteur – dans « un environnement en pleine mutation et non encore stabilisé, sur fond de négociations entre l’État et les départements en vue de la nationalisation de tout ou partie du financement du RSA ».
Un travail de fond est donc mené, en concertation avec les départements, pour réduire la complexité et accroître l’efficacité du revenu de solidarité active.
Plus largement, le rapport Sirugue, remis le 18 avril dernier au Premier ministre, prolonge les recommandations de la Cour des comptes, qui préconise le regroupement des minima sociaux autour de trois grandes allocations et une harmonisation des modalités de prise en compte des ressources pour la liquidation des droits.
Au mieux contre-productive, au pire inutile, dans tous les cas à contretemps et hors de propos à l’heure où s’engage une réforme d’ensemble des minima sociaux… Comment ne pas s’interroger sur les raisons d’être de cette proposition de loi dont les auteurs n’ignorent rien du contexte actuel ?
L’exposé des motifs invoque un système de protection sociale « à bout de souffle » et une sécurité sociale aux « marges de manœuvre fortement réduites ». Faux ! La publication des comptes des caisses mi-mars démontre que nos finances sociales connaissent leur meilleure situation depuis douze ans, et ce sans nouveau déremboursement ni réduction des prises en charge. Cet argument n’est donc pas recevable.
Dans ce même exposé, la nécessité de préserver notre pacte républicain, issu des principes posés par le Conseil national de la Résistance, est aussi mise en exergue et en regard d’un système qualifié de « généreux ». C’est entretenir une étrange contradiction entre une organisation fondée sur des droits reconnus à tout être humain et une organisation fondée sur une libéralité qui attribuerait au-delà de ce qui est dû. Est-ce ce même raisonnement qui justifierait l’instauration d’une contrepartie sous forme de travail d’intérêt général ?
L’imposition d’un service social n’est pas nouvelle. En 2011 – année de mon entrée dans la Haute Assemblée – le père du RSA, Martin Hirsch, l’analysait sans appel : « C’est absurde. La création du RSA vise justement à en finir avec l’assistanat. Contrairement aux RMIstes, les allocataires du RSA sont obligés, sauf problème de santé grave, de rechercher un emploi ». Et Martin Hirsch d’ajouter : « On n’a pas le droit de faire croire des choses fausses aux Français. Même quand on est en campagne électorale, tous les coups ne sont pas permis ! »
On ne saurait mieux qualifier la présente proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Fournier. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)