M. Daniel Percheron. … alors que nous vivons dans le pays le plus protégé au monde !
Pouvons-nous expérimenter ? Bien entendu ! Je me place sous la sagesse de Jean Tirole, prix Nobel d’économie, selon lequel le rôle de l’État est de réguler le marché et d’assurer la protection sociale. Dès lors, madame le secrétaire d’État, expérimentons !
Savez-vous que l’Europe pratique déjà le revenu de base ? N’a-t-elle pas déconnecté les subventions allouées aux paysans de la production et du travail agricoles ? Cette situation illustre d’ailleurs les difficultés, l’ambiguïté, l’ambivalence du revenu de base : nos paysans veulent vivre non pas des subventions, mais des fruits de leur travail. La mission commune d’information pourra explorer cette dialectique si difficile, au cœur de notre protection sociale.
Intéressons-nous aux territoires où le marché ne fait pas son travail. Je suis élu de l’un d’entre eux, où la première révolution industrielle a laissé ses friches et qui souffre depuis quarante ans. L’arrondissement de Lens, dans le Pas-de-Calais, est celui, avec l’arrondissement de Longwy, dans l’arc Nord Est, qui crée le moins de richesses en termes d’économie marchande : 1 000 euros par an et par habitant. Cette valeur atteint 8 000 euros dans une vallée des Alpes, rien qu’avec l’économie résidentielle et la neige qui tombe, et 3 600 euros à Toulouse. Il y a des terres en déshérence, il y a des terres en difficulté ! Expérimentons, nous en avons les moyens. Ce sera à la mission de le dire.
Nous avons pris le temps de parler, en ces quelques minutes trop brèves et parfois trop longues, de la France sociale et de la république la plus sociale du monde. Mais le pays qui ose avancer vers le revenu universel, c’est la Finlande.
Le modèle nordique est aujourd’hui le seul modèle à tutoyer la mondialisation presque à égalité, alors que le rapport de force entre capital et travail est si déséquilibré. La Finlande, c’est 5 millions d’habitants et 2 millions de syndiqués – nous en sommes encore loin.
Le monde est difficile, nous le savons ; le modèle français est fragile. J’ai parlé de prélèvements constants et de Jean Tirole : n’oublions jamais que ce sont les entreprises et le travail qui financent l’essentiel…
M. le président. Monsieur Percheron, si je vous laisse poursuivre, nous serons encore là tard ce soir ! (Sourires.)
M. Daniel Percheron. Je vais donc conclure, monsieur le président !
Saint-Just disait : « Les malheureux sont les puissants de la terre ; ils ont le droit de parler en maître aux gouvernements qui les négligent ». Faisons en sorte, au Sénat, au cœur de la sagesse républicaine, de penser à cette maxime. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – MM. Michel Le Scouarnec et Jean-Marie Vanlerenberghe applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Je tiens à remercier Jean Desessard de cette proposition de résolution relative à l’instauration d’un revenu de base. Le temps d’une heure, nous avons « levé le nez du guidon », serais-je tenté de dire, pour nous projeter dans l’univers des possibles pour demain.
Car la réflexion qui est ouverte par ce concept est peut-être une heureuse tentative d’apporter une réponse au tristement résigné « on a tout essayé… » Non, on n’a pas tout essayé ! Peut-être n’avons-nous pas osé, collectivement, sortir du cadre, des schémas établis. C’est donc un débat passionnant, je l’espère fécond, que nous abordons, tant les clivages explosent sur ce sujet-là.
Cela prend tout son sens aujourd’hui, car je pense que l’ère des petits ajustements a vécu. Bouger des curseurs sur tel ou tel dispositif existant ne suffit plus. Nous avons sûrement quelques big-bang à réaliser pour libérer les énergies. Tout changer, pour tout changer vraiment, et faire mentir Lampedusa, l’auteur du Guépard.
D’ailleurs, avons-nous seulement le choix ? Nous le discernons bien, nous le vivons : l’économie est en pleine mutation. Les effets, positifs comme négatifs, de la révolution numérique se font sentir chaque jour un peu plus.
Face à cela, même les déséquilibres financiers de notre protection sociale ne garantissent plus un équilibre social. En dépit des montants importants consacrés à la protection sociale, des inégalités demeurent, des personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté, le nombre de demandeurs d’emploi atteint un niveau historique…
La proposition de résolution qui nous est soumise tend donc à nous faire réfléchir à la mise en place d’un revenu de base, inconditionnel, cumulable avec d’autres revenus et distribué par l’État.
Je l’avoue, je n’émettrai pas d’affirmation définitive aujourd’hui. Cependant, mes convictions, comme celles de mon ami Frédéric Lefebvre, me poussent à regarder ce sujet avec attention, tout comme d’autres dans cet hémicycle, même si nous puisons la force de notre engagement à des sources différentes.
Pour ma part, je veux rappeler les travaux à la fois des personnalistes et des libéraux sur ce dispositif, qu’ils appellent respectivement le « minimum social garanti » et « l’impôt négatif ».
Il est d’ailleurs intéressant de constater que deux philosophies, pourtant distinctes, arrivent à se rencontrer, même si les mots ne sont pas les mêmes.
Et pour cause, il y a un point commun : favoriser l’autonomie de chacun et promouvoir une souveraineté ascendante, de l’homme vers l’humanité. Bref, une société subsidiaire.
Mme Nicole Bricq. Vous voterez donc l’article 21 du projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Oui, madame Bricq, il s’agit bien d’un débat d’actualité sur l’articulation des différents niveaux de négociation collective, du terrain vers le haut.
La proposition de résolution n’évoque pas la contribution des personnalistes, dans les années trente, autour d’Emmanuel Mounier ou d’Alexandre Marc.
Face à la crise, que ce dernier décrit comme la rupture entre élites et masses, le schisme social, un étatisme envahissant – ce qui nous parle aussi aujourd’hui –, le fédéralisme global qu’ils élaborent a vocation à s’appliquer dans tous les ordres : dans l’ordre politique, avec la valorisation des communes, des « petites patries » ; dans l’ordre économique, avec la valorisation d’une association harmonieuse entre le capital et le travail ; dans l’ordre social enfin, avec ce minimum social garanti.
Nous sommes donc à la confluence de Pierre-Joseph Proudhon, d’Albert de Mun et de Fernand Pelloutier, le promoteur des bourses du travail et de la libre association de producteurs.
Pour les personnalistes, et je sais que notre collègue Yves Pozzo di Borgo s’attache à mieux faire connaître ce courant de pensée, le minimum social garanti est une condition de départ pour atteindre et concrétiser une véritable dignité pour chacun.
C’est le fondement pour que l’homme soit un être libre, responsable et créateur. Le revenu de base libère, donne la capacité d’oser, de prendre des risques.
Les libéraux ont, eux aussi, vu le caractère émancipateur du revenu universel. Maurice Allais et Milton Friedman, cela a été dit, en ont largement débattu. Gaspard Koenig remet aujourd’hui le concept au goût du jour avec son LIBER.
Pour eux, il s’agit non pas tant d’une somme distribuée à tous que d’un crédit d’impôt universel, dans lequel la simple soustraction du montant du revenu de base, déterminé en fonction des besoins fondamentaux, aboutit soit à une contribution nette à la collectivité pour les plus hauts revenus, soit à un impôt négatif versé directement par l’État pour les plus faibles revenus.
Ce système a pour intérêt, et la proposition de résolution l’évoque, de considérables simplifications et une réduction des coûts bureaucratiques. En poussant la logique jusqu’au bout, le pendant d’un revenu universel pourrait aussi être un impôt universel, fût-il symbolique. On est là également dans la cohérence.
On le constate, d’un point de vue théorique, tout cela est riche et intéressant. Toutefois, en tant que législateurs et évaluateurs des politiques publiques, il nous revient de penser la mise en œuvre, le passage de la théorie à la pratique, avec toutes les difficultés, les complexités déjà évoquées.
Du coup, nos convergences ne sont-elles pas dues au fait que nous en restons aux généralités ? Dès lors qu’il faudra mettre un chiffre derrière ce revenu de base, nos divergences ne risquent-elles pas de ressurgir ? Ce revenu doit être suffisant pour couvrir les besoins de base sans inciter pour autant à l’inactivité, car l’activité et le travail sont une façon de se réaliser.
Les questions du périmètre et du montant du revenu de base sont posées. Les travaux de la mission d’information sur l’intérêt et les formes possibles de mise en place d’un revenu de base en France permettront d’y répondre.
D’autres interrogations se font jour. C’est la raison pour laquelle nous devons être attentifs aux expérimentations qui se mettent en place ici et là, en particulier en Europe. On a parlé de la Finlande et des Pays-Bas, ce qui me paraît plus pertinent que d’évoquer l’Inde ou la Namibie, exemples un peu moins « vendeurs » aux yeux de nos administrés.
On le constate, le revenu universel peut et doit être un outil de libération permettant à chacun de devenir entrepreneur de lui-même. C’est à la fois banal et révolutionnaire. Alors aux actes, citoyens !
M. Jean Desessard. Oui, de l’audace, madame la secrétaire d’État !
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Malgré une position nuancée sur cette proposition de résolution, je la voterai. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Ericka Bareigts, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de l'égalité réelle. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis cet après-midi pour discuter d’un sujet au centre de nombreuses réflexions depuis plusieurs mois, alimenté par des expériences internationales, à savoir la création d’un revenu de base, inconditionnel et universel.
Je tiens tout d’abord à remercier les différents orateurs et oratrices qui se sont exprimés à cette tribune. Ce débat a trait à notre vision de notre projet de société, de notre modèle social et de son évolution. Il est donc d’une importance fondamentale.
Le revenu de base n’est pas une idée nouvelle. Comment ne pas rappeler que, sur cette question, la France a été à l’avant-garde, en 1988, sous le gouvernement de Michel Rocard, en instaurant le revenu minimum d’insertion, qui allait constituer, selon les mots mêmes de Michel Rocard, « une innovation d’une portée considérable » ?
Cette aide était motivée par une idée humaniste et simple : permettre aux plus modestes d’être pleinement reconnus par notre société et d’accéder ainsi à un droit essentiel, la dignité, et non pas l’assistanat.
Par ce revenu, il s’agissait d’offrir à ses bénéficiaires une chance de réinsertion dans la société. Cette ambition réformatrice et généreuse n’a jamais été remise en cause. Elle a été poursuivie avec la création du revenu de solidarité active. Plus récemment, nous avons transformé le RSA activité et la prime pour l’emploi qui ne remplissaient pas leur rôle d’encouragement de l’activité en prime d’activité, sur laquelle je reviendrai.
La proposition de résolution soumise à la Haute Assemblée cet après-midi invite le Gouvernement à mettre en place « un revenu de base, inconditionnel, cumulable avec d’autres revenus, notamment d’activité, distribué par l’État à toutes les personnes résidant sur le territoire national […], sur base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie ».
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement partage plusieurs des objectifs de cette proposition de résolution. En effet, il s’agit d’abord de garantir à chaque personne un revenu minimal pour se loger, se soigner et assurer son bien-être élémentaire. Mieux protéger les plus modestes, c’est l’objectif de long terme que le Gouvernement s’est fixé avec le plan pluriannuel de lutte contre la pauvreté et pour l’inclusion sociale 2013-2017.
Aujourd’hui, en France, un ménage sur sept vit au-dessous du seuil de pauvreté et un enfant sur cinq est confronté à la grande précarité. C’est à ce défi considérable que le plan précité entend répondre, en renforçant les mesures de soutien et d’insertion destinées aux personnes qui vivent dans la pauvreté, sans oublier les mesures permettant de prévenir les ruptures sociales propres à faire basculer les personnes dans l’exclusion.
Présentée voilà un an par le Premier ministre, la feuille de route 2015-2017 rassemble quarante-neuf mesures concrètes. Je veux citer le plan d’aide renforcé visant les familles pauvres avec enfants, la garantie des loyers pour les étudiants et les travailleurs précaires, ou encore les mesures pour lutter contre le chômage de longue durée.
Mais surtout, il est essentiel de rappeler que l’engagement du Gouvernement au travers de ce plan est aussi financier. Les efforts sont extrêmement importants. Ainsi, au terme de la montée en charge du plan, c'est-à-dire en 2017, chaque année, 2,6 milliards d’euros supplémentaires seront redistribués à 2,7 millions de ménages modestes. Cela représente en moyenne 1 000 euros par an et par ménage.
D’ores et déjà, cette forte mobilisation a eu des effets : la hausse du taux de pauvreté constatée en France entre 2008 et 2012 a été enrayée.
Il est un autre objectif que nous partageons avec les auteurs de la proposition de résolution : simplifier les minima sociaux, pour clarifier ce à quoi chacun peut prétendre et pour lutter contre le non-recours aux droits. En effet, actuellement, la multiplicité des dispositifs entraîne une faible lisibilité pour ceux qui pourraient en bénéficier et, donc, une inégalité en termes d’accès aux droits.
C’est le sens même de la mission que le Premier ministre a confiée, au mois d’octobre dernier, au député Christophe Sirugue, dont les travaux menés en 2013 pour la réforme des dispositifs de soutien aux revenus d’activité modestes ont fait autorité.
Au terme d’une réflexion et d’un dialogue que je sais essentiel avec la société civile, les partenaires sociaux, les collectivités et les associations, Christophe Sirugue a formulé dans son rapport des propositions pour réduire la complexité des dispositifs existants et, surtout, pour accroître l’efficacité et la cohérence des politiques d’insertion. Les mesures proposées nous permettront d’améliorer le système des minima sociaux, pour le rendre plus simple et plus lisible. Il existe aujourd’hui dix minima sociaux différents, avec des règles et des logiques différentes. Les Français peuvent s’y perdre !
C’est pourquoi, comme le Premier ministre l’a annoncé, le Gouvernement souhaite mettre en œuvre dans les mois à venir les premières mesures de simplification. Il travaillera à un chantier de réforme des minima sociaux, afin de définir une couverture socle complétée en fonction des situations individuelles.
Notre objectif, que je sais partagé, est de rendre notre système de solidarité plus simple, plus lisible, plus équitable, plus accessible. Je ne doute pas que nous puissions avancer ensemble dans cette voie.
L’un des enjeux de cette réforme, c’est de garantir aux jeunes en difficulté le droit à la solidarité, dans les mêmes conditions que les autres. Vous le savez, la Garantie jeunes va bientôt devenir un droit pour tous les jeunes âgés moins de vingt-cinq ans en situation de rupture. Le rapport Sirugue nous invite à aller plus loin. Nous entendons conduire cette réflexion.
Vous le constatez, nombre des objectifs de cette proposition de résolution sont au cœur de l’action du Gouvernement.
Toutefois, l’instauration d’un revenu de base soulève de nombreuses questions. (M. Jean Desessard s’exclame.) Les auteurs de cette proposition de résolution en conviennent, il existe plusieurs définitions et plusieurs dénominations de l’allocation universelle, sans doute parce que les approches sont souvent différentes, comme le met en lumière le projet que nous examinons cet après-midi. Ainsi, plusieurs propositions ont été faites : revenu d’existence, revenu de base, revenu minimum garanti… Au-delà des différences de termes, il existe d’importantes différences de conceptions qui se traduisent par des approches divergentes sur des points essentiels.
Tout d’abord, j’évoquerai l’articulation avec les prestations sociales existantes.
Le présent texte n’indique pas à quelles prestations se substituera le revenu universel. S’agit-il des allocations de solidarité ? Ces dernières doivent-elles alors s’entendre comme se limitant aux seuls minima sociaux ? Les prestations familiales ou les aides au logement ont-elles également vocation à être remplacées par le revenu universel ? Souhaitez-vous, comme Jacques Marseille, que vous avez cité, monsieur Desessard, y réaffecter toutes les prestations en espèces, y compris les prestations contributives comme les pensions de retraite et les allocations chômage ? Souhaitez-vous mobiliser d’autres ressources que le redéploiement de ces prestations ? Si oui, lesquelles ? L’Alaska verse à ses habitants une partie de la rente pétrolière : dans le cadre français, quelles ressources pensez-vous mobiliser ?
Ces questions en appellent une autre, essentielle, celle du montant. Si vous ne financez le revenu de base qu’à partir des prestations de solidarité, in fine, les montants distribués seront extrêmement faibles, parce que le caractère universel et inconditionnel du revenu de base conduirait à verser à toute la population les sommes aujourd’hui ciblées sur les individus et foyers dont la collectivité a estimé qu’ils en avaient le plus besoin.
Ce n’est qu’en mobilisant les prestations contributives, à savoir les pensions de retraite et les allocations chômage, qu’on peut atteindre des montants proches des 750 euros que vous mentionnez en citant les travaux de Jacques Marseille. Mais si on remplaçait ces prestations par un montant uniforme et assez limité, on pourrait craindre un affaiblissement du consentement des uns et des autres à contribuer au système.
Imaginons que tous les retraités perçoivent, pour toute pension de retraite, 750 euros par mois, soit une somme inférieure au seuil de pauvreté… C’est évidemment inacceptable !
M. Jean Desessard. Ce n’est pas mon projet !
Mme Ericka Bareigts, secrétaire d'État. Ce sont d’ailleurs les questions que se pose actuellement le gouvernement finlandais dans le cadre de la préparation de l’expérimentation que vous avez mentionnée. Les travaux conduits au cours de cette année devront trancher entre plusieurs options : une prestation d’un montant élevé – 800 euros par mois –, qui aurait vocation à remplacer l’ensemble des allocations versées par l’État, ou bien une prestation d’un montant plus faible, qui remplacerait les prestations de base sans modifier les assurances sociales contributives.
La question du montant du revenu de base n’est pas qu’une affaire de chiffres. Elle engage la conception même de la réforme : selon le montant retenu, le revenu de base peut ne constituer qu’une réforme de simplification des aides sociales ou s’apparenter à un accompagnement d’une flexibilisation radicale du marché du travail allant jusqu’à remettre en cause le salaire minimum, dès lors qu’un revenu universel minimum serait par ailleurs garanti. Telle n’est pas votre approche, monsieur Desessard, mais celle-ci existe chez les ultralibéraux, qui défendent cette idée.
Le revenu de base pourrait aussi permettre un véritable changement de modèle économique et social, mettant fin aux situations de travail contraintes et permettant aux individus de mener des activités positives pour la collectivité, bien que peu rémunérées économiquement.
Toutefois, en présentant ce projet, ne remettez-vous pas en cause ce que le travail peut apporter aux individus en termes d’intégration dans la vie sociale et d’émancipation par rapport au cadre domestique ? Je pense notamment aux femmes : une telle réforme ne reviendrait-elle pas à créer un revenu domestique pour les femmes au foyer, maintenant ces dernières dans les rôles qui leur sont assignés ?
Mme Nicole Bricq. Bonne question !
Mme Ericka Bareigts, secrétaire d'État. Par ailleurs, ne peut-on craindre qu’une telle réforme, en faisant reposer l’existence sur une somme distribuée de façon individuelle, ne conduise à remettre en cause les espaces de vie commune que sont le travail, les solidarités, les services publics ? Bref, cela ne renverrait-il pas chacun à sa responsabilité individuelle dans l’usage de ses deniers ?
Il me semble que répondre à ces questions, qui n’ont rien de technique, mais engagent la conception politique de votre projet, constitue une condition pour que le Gouvernement puisse être favorable à cette proposition de résolution.
L’action du Gouvernement et les réformes engagées contribuent à répondre à certains objectifs que vous visez et, j’en suis convaincue, à nous rassembler. Face aux dégâts que font chaque jour les amalgames populistes entretenus par certains entre solidarité et assistanat, le défi que nous devons relever, c’est celui de la sauvegarde de notre modèle social. C’est un modèle que nous devons défendre, et c’est pour cette raison que nous devons le réformer.
Notre système de minima sociaux a joué un rôle décisif pour limiter l’incidence de la crise sur nos concitoyens. La revalorisation du revenu de solidarité active, décidée au mois de janvier 2013, dans le cadre du plan de lutte contre la pauvreté, a contribué à infléchir le taux de pauvreté dans notre pays. Ce plan, que j’ai déjà évoqué, a pour objectif de simplifier et clarifier les aides et droits dont les personnes en situation de pauvreté peuvent bénéficier.
En témoigne la prime d’activité, véritable rupture avec les logiques habituelles de l’action sociale, laquelle s’inscrit dans les objectifs de simplification, de suppression des effets de seuil, de lutte contre le non-recours, mais aussi de stabilité et d’individualisation des droits, que vous visez avec cette proposition de résolution.
La prime d’activité rompt notamment avec les défauts liés aux conditions de ressources des autres prestations dont le caractère « intrusif » disparaît, ce qui permet de les simplifier et de les alléger.
Elle répond à une logique plus individualisée, et s’inscrit par conséquent dans une logique d’émancipation. Le système des « droits figés » met fin à la mécanique angoissante des régularisations.
Le succès de cette prime est indéniable. Depuis le début de l’année, plus de 2,3 millions de foyers, représentant plus de 3,8 millions de personnes, ont bénéficié de ce dispositif. Nous avons d’ores et déjà dépassé la prévision initiale de 2 millions de ménages. La prime d’activité permet donc à de nombreux ménages de bénéficier d’un apport financier significatif : en moyenne, le montant versé est de 164 euros par mois.
Vous le constatez, mesdames, messieurs les sénateurs, notre action produit ses effets, alors même que nous concentrons nos efforts sur les foyers les plus modestes.
Léon Blum écrivait : « Toute société qui prétend assurer aux hommes la liberté doit commencer par leur garantir l’existence. » En agissant pour que chacun puisse trouver sa place, exister, être reconnu dans notre société, nous garantissons la liberté de tous.
Par conséquent, il me semble qu’il faut poursuivre les travaux, chiffrer les principales propositions, afin d’éclairer un débat potentiellement central pour notre modèle social. Aussi l’adoption de cette proposition de résolution me paraît prématurée.
proposition de résolution pour l’instauration d’un revenu de base
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Affirmant, en accord avec l’article 25 de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, que : « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires (…) » ;
Reconnaissant la nécessité de lutter contre la précarité sociale pour améliorer le bien-être individuel et collectif des travailleurs ;
Constatant que de nombreuses activités, pourtant génératrices de valeur d’usage, notamment dans les domaines social, sanitaire et culturel, ne donnent droit aujourd’hui à aucune rémunération ;
Prenant acte des évolutions du monde du travail dues à l’émergence de l’économie numérique qui diminue la demande de main d’œuvre et à des délocalisations durables de nombreux sites de production engendrant la disparition d’un grand nombre d’emplois ;
Reconnaissant la nécessité de réformer le système dit des « minima sociaux », à savoir des allocations relevant de la solidarité nationale, dans un but de simplification mais aussi de généralisation aux bénéficiaires potentiels ;
Considérant qu’un revenu de base, loin de constituer un effet d’aubaine éloignant de l’emploi, crée au contraire les conditions de dignité et de confiance favorisant l’employabilité ;
Prenant acte et s’inspirant des diverses initiatives et expérimentations lancées à travers le monde sur la question du revenu de base ;
Souhaite que le Gouvernement prenne les mesures nécessaires pour mettre en place un revenu de base, inconditionnel, cumulable avec d’autres revenus, notamment d’activité, distribué par l’État à toutes les personnes résidant sur le territoire national, de la naissance à la mort, sur base individuelle, sans contrôle des ressources ni exigence de contrepartie, dont le montant et le financement seront ajustés démocratiquement.
M. le président. Mes chers collègues, je rappelle que la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 227 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 211 |
Pour l’adoption | 11 |
Contre | 200 |
Le Sénat n'a pas adopté.