Mme Annie David. Aussi, nous avons véritablement besoin d’éclaircissements sur le financement de cette mesure et sur sa finalité.
Le deuxième argument auquel recourent les auteurs de la proposition de résolution est la volonté de simplifier les minima sociaux, notamment face à la complexité des dispositifs et du taux de non-recours qui en découle.
Si je souscris également à cet argument, je m’interroge, car, lorsqu’il est question de simplification, le résultat n’est pas toujours celui que l’on attendait. La droite y voit, d’ailleurs, un bon moyen d’en finir avec notre système de sécurité sociale !
De plus, cette simplification risque de se conclure par de nombreuses suppressions de postes, même si Jean Desessard a affirmé vouloir réorienter les ressources ainsi libérées.
Enfin, les auteurs de la proposition de résolution invoquent un troisième argument : selon eux, le revenu de base est une solution pour accompagner dignement les mutations de l’économie française.
C’est sans doute cet argument que je conteste le plus. En effet, le revenu de base n’ouvre pas la voie à une sortie du système économique à l’œuvre dans notre pays et dans le monde, avec les conséquences que l’on connaît, que cette proposition de résolution, d'ailleurs, tente d’atténuer. Le risque est grand qu’il ne soit utilisé pour libéraliser encore un peu plus notre économie !
Les membres de mon groupe refusent de voir notre modèle de protection sociale remis en question au profit d’un revenu de base minimal dont on n’appréhende ni le financement ni la finalité au travers de la présente proposition de résolution.
De ce point de vue, la création de la mission d’information sur l’intérêt et les formes possibles de mise en place d’un revenu de base en France, dont les membres ont été désignés cette semaine, arrive fort à propos.
Pour notre part, nous défendons un projet de société qui s’appuie sur l’émancipation des salariés, crée les conditions leur permettant de choisir librement ce qu’ils veulent apporter à la société et leur donne des droits nouveaux pour intervenir dans les décisions des entreprises.
Nous voulons construire une société sans chômage et n’avons pas abandonné l’idée, défendue par Ambroise Croizat, d’un système de sécurité sociale qui refuse la perspective d’un salariat éternellement condamné à devoir consacrer sa vie à la gagner, parfois au risque de la perdre.
Nous voulons amplifier le combat pour l’emploi. Or la proposition de résolution capitule devant les conséquences de la révolution numérique, qui, pourtant, devrait permettre à toutes et à tous d’engranger des bénéfices.
Nous voulons moderniser notre sécurité sociale et lui donner les moyens de cette modernité, en commençant par une augmentation générale des salaires, la reconnaissance des qualifications et la diminution du temps de travail à 32 heures par semaine. Nous voulons permettre un véritable accès à la formation professionnelle et revenir sur l’âge de départ à la retraite, pour le fixer à 60 ans pour toutes et tous et à 55 ans pour celles et ceux qui exercent des métiers pénibles.
Permettre à chacune et chacun de se consacrer à un travail librement choisi ou à une activité non marchande, d’avoir des loisirs et de bénéficier d’une pension de retraite acquise au regard de sa qualification, voilà la modernité !
Au reste, encore faut-il que la révolution fiscale nécessaire pour assurer un montant suffisant à ce revenu universel soit acceptée…
Sur ce point, je suis un peu moins optimiste que ne l’est Jean Desessard, compte tenu du vote intervenu en séance publique, hier après-midi, sur notre proposition de loi tendant à assurer la transparence financière et fiscale des entreprises à vocation internationale. Ce vote ne laisse rien présager de bon en ce sens.
Telle est notre vision de ce que doit être un revenu universel, lequel consiste à instaurer une sécurisation des parcours professionnels de toutes les personnes, en emploi ou non, salariées ou indépendantes. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Evelyne Yonnet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-François Husson.
M. Jean-François Husson. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, l’examen de la proposition de résolution visant à mettre en place un revenu de base arrive dans un contexte particulièrement préoccupant pour notre politique de protection sociale. La célébration du soixante-dixième anniversaire de la sécurité sociale l’année dernière doit, d'ailleurs, nous inciter à dessiner de nouvelles perspectives d’avenir.
Fondé sur un principe de redistributivité, notre système se caractérise par la solidarité qui unit les actifs aux inactifs, les personnes bien portantes aux malades, les jeunes aux retraités.
Mais, si le régime français est considéré comme l’un des plus généreux au monde, son efficience est aujourd’hui source d’interrogations. Les chiffres du chômage sont là pour nous le rappeler chaque mois : l’argent dépensé par l’État n’est pas à la hauteur des résultats constatés.
La question de la pauvreté est tout aussi préoccupante, puisque les chiffres de l’INSEE nous montrent que plus de 14 % de notre population vit sous le seuil de pauvreté.
Face à ces maux, les politiques mises en place par les gouvernements successifs paraissent segmentées, peu lisibles et trop peu efficaces.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Tout à fait !
M. Jean-François Husson. Elles sont parfois même injustes.
Notre système de protection sociale et d’indemnisation se complexifie d’année en année, avec une multiplication des dispositifs d’aide. Il est donc indispensable et même urgent de lui redonner à la fois cohérence et lisibilité.
Enfin, la situation de nos économies est à l’origine d’une transformation profonde du marché du travail qui bouleverse les rapports traditionnels entre employés et employeurs. Le développement du nombre d’auto-entrepreneurs, la montée en puissance de l’économie collaborative, l’automatisation des tâches, ou encore la segmentation des périodes d’emploi sont autant de remises en cause du modèle de travail pour lequel et sur lequel a été bâtie notre protection sociale.
Ce sont par conséquent ces raisons qui nous poussent à nous interroger aujourd'hui sur l’instauration d’un revenu de base, ou revenu universel, garanti à chacun, quelle que soit sa situation.
La France ne peut passer à côté de ces réflexions et doit avoir l’audace de regarder ce qui se fait à l’extérieur de ses frontières.
Pour ma part, je viens de me rendre en Finlande, avec une délégation du groupe interparlementaire d’amitié qui nous unit à ce pays et que j’ai l’honneur de présider.
La Finlande propose d’instaurer, à compter du 1er janvier 2017, un revenu universel partiel, qui s’élèverait à 550 euros par personne – et non à 800 euros, contrairement à ce que j’ai entendu tout à l'heure. Il serait « partiel », parce que seraient maintenues, pour l’instant, les aides au logement, les allocations familiales, les allocations chômage et retraite. L’objectif est de simplifier les aides sociales servies et de favoriser le retour à l’emploi, notamment pour les personnes au salaire peu élevé.
Ces travaux sont aujourd'hui pilotés par le régime général de sécurité sociale finlandaise. Il est prévu d’y consacrer 20 millions d’euros sur une période de deux années.
Mme Nicole Bricq. Cela ne permettra pas d’aller bien loin !
M. Jean-François Husson. Serait concerné un échantillon de petite taille,…
Mme Nicole Bricq. Ah !
M. Jean-François Husson. … composé de 1 500 à 2 000 personnes, choisies de manière aléatoire dans les différentes régions du pays.
À l’issue du délai de deux ans, la Finlande arbitrera en faveur de la poursuite ou de la modification du projet, actuellement en cours d’examen devant le Parlement.
D’après les éléments qui nous ont été communiqués, le montant de 550 euros équivaut à celui du revenu minimum et est supérieur aux allocations aujourd'hui servies aux étudiants. Cependant, si ceux-ci sont concernés au premier chef par le dispositif, ils ne seront pas les seuls à en bénéficier : l’objectif est véritablement de réaliser une expérimentation sur un échantillon choisi aléatoirement dans le pays.
Cette idée est évidemment séduisante, mais elle ne doit pas nous faire oublier, à nous, en France, que sa réalisation se heurte à un certain nombre d’obstacles.
Il faut, bien sûr, s’entendre sur le type de prestation versée : doit-il s’agir d’une somme d’argent fixe délivrée à tous ou d’un système d’impôt négatif ? L’idée d’un revenu délivré sans aucune condition ne paraît pas encourager la lutte contre les inégalités.
De la même manière, la question des bénéficiaires doit être étudiée avec soin. L’idée, par exemple, de délivrer un revenu de la naissance jusqu’à la mort nous conduit à nous interroger. Quid encore des étrangers résidant sur le sol national ? Cette seule question montre la complexité de la réponse – ou des réponses – à apporter.
L’effet incitatif doit lui aussi être bien pris en considération, pour éviter que le revenu universel ne soit utilisé comme une nouvelle forme d’assistanat. Le revenu de base s’opposant par nature à toute forme de contrepartie, il faut être suffisamment vigilant sur la mesure des taux de retour effectif à l’emploi s’agissant des personnes en âge de travailler.
La mise en place d’un revenu universel nécessite également d’évoquer son coût pour nos finances publiques. Les pistes de financement étudiées ont souvent recours à l’impôt. Or je doute que nos concitoyens consentent actuellement à de nouvelles formes de prélèvements ! J’ajoute que le corollaire de la création d’un revenu universel doit être l’assujettissement de tous les ménages à l’impôt, ce qui me semble rencontrer l’assentiment général.
Enfin, mes chers collègues, la question de ce que doit être la protection sociale au XXIe siècle en France est posée. À ce titre, le revenu de base, le revenu universel fait partie des éléments que nous devons explorer.
Pour conclure, je veux saluer l’initiative prise par les membres du groupe écologiste au travers de la présente proposition de résolution. Néanmoins, cher collègue Jean Desessard, dans les conditions actuelles, notamment compte tenu du périmètre fixé à l’alinéa 10 de cette dernière pour le revenu de base que vous proposez d’instaurer, je m’abstiendrai sur ce texte. Veuillez toutefois considérer cette abstention comme bienveillante : je considère que nous devons débattre du sujet dans la sérénité et de la manière la plus constructive possible. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Jean Desessard et Mme Christine Prunaud applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les membres du groupe écologiste ont déposé, le 2 février dernier, la présente proposition de résolution, suite logique de la décision prise lors du congrès du parti Europe Écologie Les Verts qui s’est tenu au mois de novembre 2013.
Or, quand on lit attentivement cette proposition de résolution, on constate qu’elle est extrêmement exigeante, puisqu’elle invite le Gouvernement à mettre en œuvre une prestation non seulement universelle, mais aussi individualisée.
Comme vous l’aurez remarqué, le Gouvernement a déjà pas mal de choses à faire…
M. Jean-Claude Lenoir. Comme lutter contre le chômage !
Mme Nicole Bricq. Surtout, une proposition de résolution ne peut faire l’objet d’amendement.
Dans ces conditions, vous ne serez pas surpris d’apprendre que le groupe socialiste et républicain s’abstiendra.
Cela dit, la filiation de cette idée, qui remonte au XVIIIe siècle, peut aussi bien être revendiquée par la gauche que par la droite.
Je ne pense pas que l’on doive fermer le débat comme le fait Mme Duranton en parlant d’assistance généralisée. Je pourrais tout aussi bien me tourner vers les membres néolibéraux de la majorité sénatoriale et leur rappeler que le revenu de base universel pourrait constituer une bonne affaire en ce qu’il permet de solder tous les comptes de la protection sociale à laquelle nous sommes tous, les uns et les autres, très attachés. Ce serait aussi une façon de clore le débat.
À cet égard, on voit bien les difficultés – à la fois financières et techniques – rencontrées par M. Cameron, dont les idées penchent plutôt à droite.
Tâchons d’éviter tout procès a priori. Le groupe socialiste et républicain a choisi de s’abstenir afin de ne pas fermer la discussion, conformément au vœu de l’ensemble des groupes politiques de la Haute Assemblée.
Il faut être rationnel. J’ai regardé les derniers travaux, notamment le fameux rapport de janvier 2016 – les dates sont importantes – du Conseil national du numérique, que je connais bien par ailleurs. Que propose ce dernier ? Une série de mesures visant à conférer à ce revenu universel une vocation multi-cibles : lutter contre la précarité et la pauvreté, pallier les ruptures de la vie professionnelle, répondre au travail caché lié à la numérisation…
Il propose aussi des modes de financement variables : un surcroît de fiscalité, un surcroît de CSG, une cotisation employeur, une taxe sur les transactions financières… Bref, il s’agit bien d’une mesure multi-cibles qui ne me semble pas relever d’un travail sérieux. Cette question n’occupe d’ailleurs que six pages d’un rapport qui en compte deux cents et qui traite de bien d’autres sujets.
Autre thème, celui de l’intermittence des parcours. France Stratégie, qui s’est également penchée sur cette question, propose de bâtir un cadre adapté aux indépendants et aux salariés précaires. Son option la plus ambitieuse consiste dans l’instauration d’un statut de l’actif qui s’articulerait avec un CPA, ou compte personnel d’activité, maximum.
Le Gouvernement n’avait pas retenu cette recommandation de France Stratégie, préférant démarrer plus modestement et donner toutes ses chances de réussite au volet formation, comme nous le verrons lors de l’examen du projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs.
La Garantie jeunes, qui est plutôt un succès, devrait ainsi bientôt avoir une portée universelle. Il est important de souligner qu’un revenu est associé à ce dispositif.
La proposition de France Stratégie rejoint les travaux de Terra Nova qui imagine que le compte personnel d’activité, à l’horizon 2030, pourrait recueillir l’ensemble des droits et des minima sociaux. Cette voie me semble plus intéressante que celle qui nous est ici proposée en ce qu’elle se rattache à la valeur travail. Comme M. Vanlerenberghe, je partage l’idée selon laquelle le travail est une valeur cardinale de notre société contemporaine. Je refuse d’abandonner cette idée en cours de route – nous aurons l’occasion d’en discuter.
Le Mouvement français pour un revenu de base est parti, dans sa réflexion, des limites du RSA, notamment en termes de difficultés d’accès.
Ce mouvement, qui a le mérite de proposer un scénario progressif, étalé dans le temps, pose comme préalable le principe de l’individualisation, c’est-à-dire rien moins qu’une révolution fiscale ! L’individualisation – nous en avons déjà parlé dans cet hémicycle avec Jean Desessard – suppose une révolution du financement de la protection sociale. Or, quand je vois les difficultés à mettre en place la retenue à la source de l’impôt sur le revenu, je m’interroge sur la faisabilité d’un tel dispositif.
J’ai beaucoup travaillé depuis le mois de mars. J’ai reçu tout ce petit monde, et la réflexion la plus aboutie en faveur de l’instauration d’un revenu universel me semble être celle de l’AIRE qui propose LIBER. Pour faire court – les animateurs ont mis leur réflexion à l’ordre du jour et mènent un travail de persuasion auprès des autorités politiques –, ces associations proposent de s’en tenir, pour le prochain quinquennat, au scénario trois.
Il s’agit du scénario le plus ambitieux, développé par le député Christophe Sirugue – par ailleurs rapporteur, à l’Assemblée nationale, du projet de loi visant à instituer de nouvelles libertés et de nouvelles protections pour les entreprises et les actifs – dans le rapport fort important qu’il a remis au Premier ministre le 18 avril dernier.
Notre collègue recommande, comme l’ont fait les Allemands avec les accords Hartz, de fusionner les dix minima sociaux existants en une couverture socle d’un montant d’environ 400 euros dont bénéficierait, à l’horizon 2020, tout individu âgé de dix-huit ans.
Cette couverture socle serait ensuite complétée par une allocation d’insertion versée par les départements – vous savez que le Premier ministre est en discussion, voire en négociation, avec l’Assemblée des départements de France pour recentraliser une partie du RSA – d’un montant de 100 euros – soit un total de 500 euros – et par une allocation de soutien aux personnes handicapées et aux personnes âgées pour atteindre un montant d’environ 800 euros.
M. Sirugue ne va pas jusqu’à parler d’un revenu universel de base ni de la refonte de la protection sociale et de son financement. Il propose de simplifier et de faciliter l’accès aux droits par une ouverture automatique, sur le modèle de la prime pour l’activité, dont le succès ne se dément pas. Depuis le 1er janvier dernier, je vous ferai remarquer que cette prime est « familiarisée » et non individualisée…
M. le président. Veuillez conclure, chère collègue.
Mme Nicole Bricq. J’entends dire qu’il pourrait s’agir d’un débat important de la prochaine campagne présidentielle. Or je me méfie des pensées magiques. La magie, vous l’aurez remarqué, n’opère plus en politique.
Débattons de cette question dans cet hémicycle et à l’extérieur, mais faisons-le les yeux ouverts. Si nous choisissions de nous engager sur cette route, il faudra dire aux Français toutes les conséquences que cela implique.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, madame le secrétaire d'État, mes chers collègues, notre société persiste dans un paradoxe durable, fatal à ceux qui en sont victimes.
La valeur travail liée à l’emploi reste, comme vient de le souligner Mme Bricq, cardinale : elle est mise en perspective dès l’école ; elle est synonyme d’insertion et de réussite ; elle conditionne l’accès à de nombreuses mesures sociales ; elle permet – ou devrait permettre – un mode de vie correct ; elle assure à la société la transmission du savoir-faire. Vive le travail, vive l’emploi !
Toutefois, dans le même temps, la société ne fournit plus d’emplois pour tous : de bons diplômes ne sont plus une garantie absolue et tout candidat, lors de son entretien d’embauche, se voit jugé autant sur ses dires que sur son aisance et sa mine. Dès lors, pourquoi ne pas réfléchir, comme le propose Jean Desessard, à sortir de l’impasse ?
Nous entendons les critiques contre le revenu de base : la première va du café du commerce aux analyses comportementalistes : « Si l’on verse à chacun une somme suffisante pour vivre, les gens ne voudront plus travailler… »
Cette affirmation est contredite par l’expérience : au Canada, une expérimentation sociale du revenu de base, portant le nom de Programme MINCOME, a été réalisée avec les 7 000 habitants de la ville de Dauphin, au Manitoba. Toutes les familles qui vivaient dans la ville – et pas un simple échantillon – ont participé à l’expérience et ont reçu une allocation garantie si leur revenu était trop bas. L’évaluation a montré que l’effet sur la baisse du temps de travail a été extrêmement limité.
Dans une autre expérience, plus récente, menée avec les 930 habitants du village Otjivero, en Namibie, le revenu de base a permis d’accroître l’activité économique du village : le taux de chômage est passé de 60 à 45 % et les revenus issus d’activités de type auto-entrepreneurial ont bondi de 300 %.
Ainsi, loin d’inciter à l’inactivité, le revenu de base permet aux salariés d’envisager plus sereinement leur activité et aux entrepreneurs d’être sécurisés quant à leur rémunération.
Dans le monde réel, les femmes et les hommes ont besoin de ne pas se trouver dans la précarité pour avoir envie d’agir et de créer. Le revenu de base n’est pas un passeport pour l’oreiller, c’est un tremplin pour l’emploi.
Autre critique, mais formulée cette fois-ci par la gauche : le revenu de base ne serait qu’une roue de secours du capitalisme, permettant aux employeurs de comprimer les salaires.
Cette critique pose la question du montant du revenu : il est clair que, à seulement 200 ou 300 euros, le revenu de base ne permettrait pas aux travailleurs de vivre dignement, mais constituerait un avantage pour les seuls employeurs.
C’est là que se situe la différence entre le projet libéral et le projet soutenu par les écologistes et d’autres forces progressistes : nous considérons que le montant du revenu de base doit être suffisamment élevé pour renforcer le pouvoir de négociation des salariés sur le marché de l’emploi. L’objectif est de leur permettre de refuser des emplois dégradants, sous-payés, polluants, inintéressants, dans l’optique d’amener à la disparition pure et simple de ceux-ci dans les années à venir.
Il s’agit non pas d’une utopie, mais d’un projet politique, auquel sont en train de s’atteler les Suisses, qui mènent une réflexion en ce sens.
Si tout le monde dispose d’un revenu universel, plus personne ne voudra être éboueur ? Dès lors, comment fait-on pour ramasser les déchets ? Il suffira d’installer du matériel un peu plus digne et aux citoyens de gérer un peu mieux ce qu’ils abandonnent sur le trottoir. C’est toute une société qui est mise en mouvement.
M. Jean Desessard. Bravo !
Mme Marie-Christine Blandin. Enfin, le défi majeur est aussi social et budgétaire. Repenser la protection sociale n’est pas un luxe pour peu qu’on veuille la rendre plus juste, plus transparente et moins inconditionnellement articulée à cet emploi qui disparaît.
Oui, le revenu de base coûte cher ! Les calculs réalisés par Jean Desessard montrent que le coût d’un revenu de 500 euros pour chaque adulte majeur résidant en France s’élève – les chiffres qu’il nous donne augmentent tous les mois (Sourires.) – entre 300 et 400 milliards d’euros.
Toutefois, ce montant serait couvert en partie par le remplacement des minima sociaux et par la fusion avec une partie des régimes de retraite.
Cela impliquerait également de débattre démocratiquement d’une politique fiscale délibérément redistributive : rationalisation des niches fiscales, progressivité de la CSG, suppression du crédit d’impôt pour la compétitivité et pour l’emploi, le CICE, et des exonérations de charges sur les bas salaires, montée en puissance de la fiscalité écologique. Le revenu de base est un projet politique qui nécessite que les citoyens soient de nouveau impliqués dans les choix économiques de leur pays.
Il s’agit d’un chantier d’envergure, il faudra y consacrer des moyens humains et d’expertise, mais, une fois mené à bien, quelle simplicité, quelle lisibilité et, surtout, quelle dignité rendue à chacun.
M. Jean Desessard. Exactement !
Mme Marie-Christine Blandin. Certains citoyens ne seront plus soupçonnés d’assistanat, comme cela vient d’être dit dans cet hémicycle, pour chaque droit sollicité chaque mois. Si certains n’habitent plus à l’adresse indiquée, c’est que beaucoup se font expulser ! Avec le revenu de base, cela n’arriverait pas !
M. Jean Desessard. Bravo !
Mme Marie-Christine Blandin. La seule chose qui manque et qui dépend de nous, parlementaires, membres du Gouvernement, c’est une volonté politique forte de donner à chacun les moyens de son émancipation, de rendre à chacun son égale dignité.
J’ai entendu l’oratrice précédente dire à raison que ce serait compliqué à mettre en œuvre, qu’il s’agissait d’une véritable révolution. Tout cela est vrai, mais la société se trouve dans un état tel qu’il est de la responsabilité des personnes en mesure de réformer de faire des révolutions apaisées, mais ambitieuses. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. Jean Desessard. Vive la révolution sereine !
M. le président. La parole est à M. Daniel Percheron.
M. Daniel Percheron. Monsieur le président, madame le secrétaire d'État, mes chers collègues, on ne monte pas impunément à cette tribune pour parler du contrat social.
Quand il s’agit du revenu d’existence, qu’il soit de 100, 200, 300, 400 ou même 800 euros, on croise Jean-Jacques Rousseau, Milton Friedman et, bien évidemment, le socialisme utopique. Par conséquent, et même si le débat est discret, on se doit de peser ses mots.
Je remercie le groupe écologiste de ce débat qui fait avancer le progrès social et dans lequel l’élu du Nord-Pas-de-Calais que je suis retrouve naturellement des accents « vertblandins ». (Sourires.)
Je suis élu du département de Thomas Paine, député à la Grande Convention. J’aurai donc deux ou trois choses à dire sur cette question et je remercie notre président de se montrer aussi tolérant sur les temps de parole… (Sourires.)
Ce débat doit être une révélation ; il doit aussi être l’occasion d’une prise de conscience pour la France sociale et permettre l’expérimentation. Mettons donc nos pas dans ceux de Michel Rocard, de Lionel Stoleru, de Christophe Sirugue et de Martin Hirsch et avançons dans la direction du revenu universel, de base, car il s’agit d’une vraie réponse.
Nous sommes loin de la stratégie de Lisbonne, en 2000, quand l’Europe pensait que l’économie de la connaissance lui permettrait d’être le continent le plus riche – ce qui est vrai – et le plus intelligent du monde. Nous sommes loin de la stratégie de Lisbonne, quand nous étions persuadés d’empocher la valeur ajoutée et de faire travailler tous les ateliers du monde pour satisfaire nos besoins. Après quatre siècles de domination, expérience fait loi : nous nous sommes trompés. L’Europe hésite à se l’avouer.
Bien entendu, la paix toujours fragile et le nationalisme pèsent. Mais enfin, nous nous sommes trompés : l’Europe n’est pas au rendez-vous de cette prospérité que nous espérions, alors que les capitaux ruissellent à la surface de la planète et font sauter le bocage des États-nations.
L’État-nation, l’État-providence doutent. C'est la raison pour laquelle, madame le secrétaire d’État, le débat sur le revenu d’existence est plus que jamais nécessaire.
À cela s’ajoute l’angoisse de nos concitoyens face aux progrès foudroyants des nouvelles technologies. Dans le Nord-Pas-de-Calais, nous avons conclu un contrat, voilà quelques années, avec un homme qui murmure à l’oreille de la planète : Jeremy Rifkin. Ce qu’il nous annonçait – la fin du travail, la troisième révolution industrielle – se confirme aujourd’hui : entre 42 et 45 % des emplois pourraient disparaître en raison de la montée du numérique et de la robotisation dans les dix prochaines années.
Rappelez-vous que, au début du XIXe siècle, les ouvriers mettaient leurs sabots dans les machines textiles pour éviter le progrès et garder leur emploi – ils sabotaient ! Nous n’allons pas détruire nos robots, mais nous allons devoir avancer sur la voie de la solidarité et du progrès social en examinant, dans le cadre de cette mission commune d’information sur l’intérêt et les formes possibles de mise en place d’un revenu de base en France, cher collègue du Pas-de-Calais, ce qu’il est raisonnable d’entreprendre. Il s’agit donc d’une réponse.
En avons-nous les moyens ? Bien évidemment à prélèvements constants et à fiscalité rénovée ! Les chiffres, aurait dit Jaurès, sont têtus : nous consacrons entre 56 et 57 % de notre PIB à la dépense publique. Nous sommes en économie mixte : la dépense sociale représente 34 % du PIB – nous sommes champions du monde, avec le Danemark, loin devant l’Allemagne, où la dépense sociale ne représente que 30 % du PIB. L’État-providence est une réalité. D’autres chiffres mériteraient d’être vérifiés, mais nous pouvons en retenir l’ordre de grandeur : 1 % de la population mondiale représente entre 10 et 13 % de la dépense sociale à l’échelle de la planète.
L’État-nation, la république sociale que nous avons bâtie, notamment à travers le programme du Conseil national de la Résistance, aidé par les trente glorieuses, tout en faisant face, à partir de 1974, au premier choc pétrolier, a les moyens d’avancer vers le revenu universel, le revenu d’existence.
Notre régime d’indemnisation du chômage n’est-il pas l’un des plus complets ? Nous sommes passés de 4 à 8 millions de foyers bénéficiaires de l’APL, dans le silence. Que dire de nos lycéens, qui sont les mieux traités au monde, du transport jusqu’à l’examen ? Chère Nicole Bricq, toute de prudence et de compétence à cette tribune, nous avons les moyens d’avancer.
Nous avons besoin de traçabilité dans le domaine social – ce thème devrait plaire aux écologistes et à la gauche sociale et écologiste ! Je ne vous ai pas donné de chiffres à dormir debout, ils reflètent la réalité du pays. Nos électeurs, surtout à gauche, nous disent que nous ne faisons rien pour eux,…
Mme Nicole Bricq. Ce qui est faux !