M. le président. Mes chers collègues, je demande de nouveau à chacun de respecter son temps de parole. C’est une question de respect des autres intervenants.
La parole est à M. André Reichardt, sur l'article.
M. André Reichardt. Je suis, tout comme les membres du groupe Les Républicains, bien évidemment tout à fait favorable à la lutte contre les contrôles d’identité abusifs. Ceux-ci portent atteinte à l’égalité des citoyens devant la loi et nourrissent, dans certaines catégories de la population, le sentiment d’une sous-citoyenneté inacceptable ne pouvant que nuire gravement à la cohésion sociale.
Chers collègues du groupe CRC, je ne peux donc que me féliciter d’une volonté parlementaire de recourir à des termes suffisamment clairs et précis pour exclure tout risque d’arbitraire. C’est une question sur laquelle j’ai d’ailleurs travaillé il y a peu de temps. Elle a même fait l’objet de l’un des articles de la proposition de loi que j’ai déposée, avec vingt-six de mes collègues, tendant à la simplification et l’équilibre du droit pénal et de la procédure pénale. Malheureusement, ce texte n’a pas encore été inscrit à l’ordre du jour.
Pour autant, je regrette le contenu de l’article 1er, que je ne pourrai pas voter, pour deux raisons.
D’une part, la notion de « raisons objectives et individualisées » est trop restrictive. Elle limite trop, à mon sens, l’appréciation personnelle que peut faire un fonctionnaire de police ou un militaire de la gendarmerie nationale d’un fait dont il est témoin. Cela risque de dégrader significativement l’efficacité des contrôles d’identité de police judiciaire. Je considère qu’il importe de préserver la capacité d’analyse et de déduction de l’officier ou de l’agent de police judiciaire. L’adjectif « plausible » signifie « qui semble devoir être admis ». Il implique donc nécessairement la mise en œuvre d’un processus intellectuel dont l’objet est l’analyse d’une situation matérielle donnée et la formulation d’une déduction.
D’autre part, l’article 1er de la proposition de loi a pour objet d’interdire les contrôles d’identité discriminatoires. Or cette interdiction figure déjà aux articles R. 434-11 et R. 434-16 du code de la sécurité intérieure. Plutôt qu’une inutile répétition, il aurait été préférable de rappeler que tout contrôle d’identité opéré sur des motifs discriminatoires engage la responsabilité de l’État. Il aurait également été préférable de définir le contrôle discriminatoire comme celui qui est réalisé sous l’influence d’une erreur tellement manifeste qu’un officier de police judiciaire normalement soucieux de ses devoirs n’y aurait pas été entraîné ou encore comme celui qui révèle l’animosité personnelle, l’intention de nuire ou qui procède d’un comportement anormalement déficient.
Ainsi, le contrôle d’identité ne serait pas limité ab initio,…
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. André Reichardt. … et les abus seraient sanctionnés a posteriori. Une telle sanction aurait plus d’effet. C’est dans ce sens qu’auraient dû aller les auteurs de la proposition de loi.
Mme Esther Benbassa. Heureusement !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 2, présenté par M. Pozzo di Borgo, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer cet alinéa par neuf alinéas ainsi rédigés :
« Les contrôles d'identité réalisés en application du présent article donnent lieu, à peine de nullité, à l'établissement d'un procès-verbal. Il mentionne :
« - l'identité de la personne contrôlée ;
« - le(s) motif(s) du contrôle ;
« - le jour, le lieu, et l'heure du contrôle d'identité ;
« - le matricule de l'agent ayant procédé au contrôle d'identité ;
« - l'aboutissement du contrôle d'identité ;
« - les observations éventuelles de la personne ayant fait l'objet du contrôle.
« Un décret en Conseil d'État fixe les modalités de publicité de l'immatriculation des officiers de police judiciaire, des agents de police judiciaire et des agents de police judiciaire adjoints mentionnés aux articles 20 et 21-1 du présent code. Il fixe également les modalités de garantie de l'anonymat des personnes contrôlées. Il détermine les voies de recours administratifs, auprès de l'Inspection générale de la police nationale, ouvertes au bénéfice des personnes soumises à des contrôles d'identité non justifiés au sens du présent article.
« La loi de finances de l'année détermine les indicateurs de performance pertinents pour mesurer l'évolution de la fréquence de ces recours. »
La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. L’étude du CNRS, à laquelle j’ai fait référence lors de la discussion générale, du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales ainsi que les travaux de l’organisation non gouvernementale Human Rights Watch démontrent que les personnes perçues comme « arabes » ou « noires » subissent des contrôles de police à une fréquence six à huit fois plus élevée que des individus perçus comme « blancs ». Selon ces différents rapports, le contrôle au faciès serait donc une réalité. Entre 2011 et 2015, la suppression de la police de proximité a aggravé ces dysfonctionnements.
Dans mon amendement, j’ai essayé de me placer dans la logique de la police – j’ai d’ailleurs travaillé en lien avec la préfecture de police. Afin de lutter contre les éventuelles discriminations subies par certaines personnes, notamment du fait de leur apparence physique, lors des contrôles d’identité, je propose de préciser les mentions nécessaires dans le procès-verbal, notamment l’identité de la personne contrôlée, le jour, le lieu et l’heure du contrôle, le matricule de l’agent y ayant procédé, les observations éventuelles de la personne contrôlée. Ces mentions permettraient de protéger aussi bien l’agent de police que la personne contrôlée. La délivrance de ces récépissés serait placée sous l’autorité de l’Inspection générale de la police nationale.
Pour ne citer que quelques exemples chez nos voisins européens, en Grande-Bretagne, en Espagne ou encore en Hongrie, les services de police remettent un récépissé après un contrôle d’identité. En Grande-Bretagne, pays pionnier en Europe pour l’avoir adopté dès 1984, le récépissé mentionne l’origine ethnique de la personne contrôlée – toute mention de ce type est interdite en France puisque la constitution de fichiers ethniques n’est pas autorisée –, le nom du policier, la date, l’heure, le lieu et la raison du contrôle. L’expérience s’est révélée positive.
En Espagne, les policiers doivent également donner aux citoyens un récépissé sur lequel figurent les recours qu’ils peuvent former.
À Fuenlabrada, ville située dans la banlieue de Madrid et comptant 210 000 habitants, dont 16 % d’immigrés et 250 policiers, les effets du programme lancé en 2007 ont été immédiats : en six mois, le nombre de contrôles par la police a été réduit de moitié, passant de 8 000 à 4 000, et le taux d’efficacité de la lutte contre la délinquance n’a cessé d’augmenter, permettant de réduire cette délinquance.
La mise en place du récépissé dans ces pays a permis de cibler des contrôles sur la base du comportement de l’individu plutôt que sur son apparence physique ou sa couleur de peau.
En ce qui concerne l’agent de police, ce dispositif contribue à détecter et à suivre des comportements qui peuvent être inappropriés.
C’est la raison pour laquelle j’ai déposé cet amendement, qui reprend le texte de ma proposition de loi.
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par Mme Benbassa et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer cet alinéa par sept alinéas ainsi rédigés :
« Les contrôles d’identité réalisés en application du présent article donnent lieu, à peine de nullité, à l’établissement d’un document spécifiant :
« 1° Les motifs justifiant le contrôle ainsi que la vérification d’identité ou la fouille ;
« 2° Le jour et l’heure à partir desquels le contrôle ou la fouille a été effectué ;
« 3° Le matricule de l’agent ayant procédé au contrôle ou à la fouille ;
« 4° Les observations de la personne ayant fait l’objet du contrôle ou de la fouille.
« Ce document est signé par l’intéressé ; en cas de refus de signer, mention en est faite. Un double est remis à l’intéressé.
« Un procès-verbal retraçant l’ensemble des contrôles est transmis au procureur de la République.
La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Je l’ai dit au cours de la discussion générale, nous souscrivons sans réserve à la proposition de loi de nos collègues communistes.
Le présent amendement vise simplement à formaliser le récépissé au contrôle d’identité que nous appelons de nos vœux depuis de nombreuses années. Il ne s’agit en aucun cas de défiance envers la police ; il s’agit d’un outil de pacification des relations entre les forces de l’ordre et la population.
Avec ce récépissé, chaque personne contrôlée disposera d’une preuve du contrôle lui permettant, le cas échéant, de faire valoir le caractère abusif des contrôles dont elle fait l’objet auprès des autorités administratives indépendantes compétentes.
Aujourd’hui, plusieurs syndicats de police ont appelé à des rassemblements, notamment pour dénoncer la « haine anti-flics ». Cette haine nous la dénonçons avec force, tout comme les actes de violence intolérables dans certains policiers ont été victimes. Nous dénonçons aussi avec force – ce n’est pas incompatible – les contrôles d’identité abusifs et discriminatoires dont de nombreux jeunes font l’objet.
J’en suis convaincue, seul le récépissé sera à même de recentrer le contrôle d’identité sur sa raison d’être et de restaurer une part de la confiance que la population doit avoir en sa police.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Marc, rapporteur. Ces deux amendements visent à préciser le contenu du récépissé qui serait délivré après chaque contrôle d’identité. Puisque la commission a proposé le rejet de la proposition de loi, elle demande donc, par cohérence, le retrait des amendements ; à défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet un avis défavorable.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer, depuis 2012, des outils ont été mis en place et des garanties ont été apportées permettant d’éviter ces discriminations.
Mme Esther Benbassa. Pour quels résultats ?
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. L’adoption de ces deux amendements, en particulier celui de Mme Benbassa, aboutirait véritablement à créer non pas un récépissé, mais un procès-verbal d’interpellation. En conséquence de quoi, les policiers ou les gendarmes procédant à un contrôle pourraient retenir la personne contrôlée, dans un véhicule automobile, par exemple, le temps d’établir le récépissé… Une telle disposition conduirait à un excès qui irait à l’encontre de l’objectif visé par les auteurs de la proposition de loi.
L’idée du récépissé n’est pas à balayer d’un revers de main pour l’avenir, mais, comme je l’ai dit précédemment, il faut laisser travailler la police en tenant compte des nouveaux paramètres – le code de déontologie, la formation, les caméras-piétons, l’immatriculation et le signalement sur internet –, qui permettront de contrôler les abus. Si ceux-ci persistent sans qu’il soit moyen de les réduire par l’éthique et la déontologie, il faudra peut-être adopter des solutions plus coercitives pour les policiers. Toujours est-il que le moment n’est pas venu.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote sur l'article.
Mme Éliane Assassi. Je sais bien que M. Masson n’est pas là et qu’il n’a pas défendu son amendement. J’aimerais néanmoins revenir sur son contenu, qui est proprement scandaleux, comme l’a dit Laurence Cohen dans son intervention.
Outre le fait que M. Masson n’a pas de courage, je voudrais lui rappeler, par micro interposé, qu’il a une chance inouïe, celle de pouvoir bénéficier de l’immunité parlementaire, car ce qui est écrit dans l’objet de son amendement relève d’une infraction : l’incitation à la discrimination religieuse.
En dehors de cet hémicycle, les propos de M. Masson seraient un délit. Je tenais à le dire avant la fin de notre débat. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste et républicain. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 226 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 335 |
Pour l’adoption | 33 |
Contre | 302 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il est dix-huit heures trente.
Je vous rappelle que la présente proposition de loi a été inscrite par la conférence des présidents dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe communiste républicain et citoyen, c’est-à-dire pour une durée de quatre heures.
Ces quatre heures étant écoulées, je me vois dans l’obligation d’interrompre l’examen du texte.
Il appartiendra à la conférence des présidents d’inscrire à l’ordre du jour d’une prochaine séance la suite de la discussion de cette proposition de loi.
Avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures trente, est reprise à dix-huit heures trente-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
10
Protection du crédit immobilier français
Adoption d’une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution visant à protéger le système du crédit immobilier français dans le cadre des négociations de Bâle présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par MM. Didier Guillaume, Richard Yung et les membres du groupe socialiste et républicain (proposition n° 523).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Didier Guillaume, auteur de la proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Didier Guillaume, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’aborder la proposition de résolution visant à protéger le système du crédit immobilier français dans le cadre des négociations de Bâle, je voudrais, en mon nom personnel et au nom du groupe socialiste et républicain, m’élever très vivement contre les exactions commises cet après-midi à l’encontre des forces de l’ordre. Nous avons vu des images inacceptables, dont une voiture de police brûlée. Ces faits doivent être dénoncés haut et fort et leurs auteurs condamnés. Je veux rappeler, au nom de tous les sénateurs, sur quelque travée qu’ils siègent, notre entier soutien aux forces de police et aux forces de l’ordre, dont nous avons bien besoin pour le maintien de la sécurité dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Il y a huit ans, la crise des subprimes éclatait aux États-Unis. Cette crise a débouché par la suite sur celle des dettes souveraines, notamment en Europe, empêchant la reprise économique et la retardant jusqu’à récemment. Nous sortons à peine de cette crise majeure. Pourtant, les failles qui ont éclaté au grand jour à l’occasion de la crise des subprimes font de nouveau peser un risque sur notre économie.
La source de cette inquiétude réside à Bâle, au sein du Comité des banques centrales qui s’y réunit. Cette instance, créée en 1974 par les banques centrales elles-mêmes, est chargée de veiller à la solidité du système financier, objectif tout à fait louable et utile pour la stabilité de notre économie. Après 2008, ce comité a d’ailleurs pris des mesures prudentielles utiles avec les accords dits de « Bâle III », notamment en renforçant les niveaux de garanties demandées aux banques.
Aujourd’hui, la révision de ces mesures suscite l’inquiétude du groupe socialiste et républicain et, bien au-delà, celle de tous nos collègues ; elle a motivé le dépôt de cette proposition de résolution.
Les travaux actuels du comité de Bâle, s’ils devaient se poursuivre dans cette direction, menaceraient gravement le système français du crédit immobilier, le modèle de financement de l’habitat dans notre pays. Ce serait une véritable remise en cause du modèle français du crédit.
Tout crédit recèle un risque inhérent. Toutefois, le système français a la vertu de faire peser ce risque en partie sur les banques, en faisant du taux fixe la généralité. Ce premier principe, le comité de Bâle veut le remettre en cause au profit des taux variables.
Le système français protège également les emprunteurs du défaut de paiement en évaluant leur capacité à rembourser. Ce principe serait aussi remis en cause, faisant peser des risques d’impayés sur les emprunteurs et sur les banques.
Enfin, en France, les crédits sont garantis principalement par cautionnement, un fonctionnement qui permet de pallier les défauts et d’assurer une stabilité. Le comité envisage également de remettre en cause ce principe, au profit de l’hypothèque dont les limites sont connues depuis les subprimes, ce qui serait inacceptable.
Les trois principes du crédit immobilier à la française sont donc ainsi contestés, au nom de visions techniques, voire technocratiques, et par méconnaissance de la réalité du fonctionnement des crédits dans notre pays.
Nous devons le rappeler, en France, 80 % des crédits aux particuliers sont des crédits à l’habitat. C’est un signe de vitalité pour un système qui produit moins de 1 % d’impayés. L’alignement sur le modèle américain serait source d’instabilité pour les ménages qui empruntent et augmenterait fortement les risques de surendettement.
Les premières personnes qui souffriraient de ces nouvelles règles sont nos concitoyens, notamment les plus modestes. Ce sont eux qui ont déjà été les plus durement frappés par la crise de 2008. Ce sont eux que nous proposons aujourd’hui de protéger, car nous ne voulons pas voir dans notre pays les drames humains qui ont suivi directement la crise des subprimes. Plus largement, c’est tout l’équilibre économique du logement en France qui serait remis en question, jusqu’au financement de la construction, alors que le secteur redémarre tout juste et qu’il s’agit d’un pilier indispensable à la croissance.
Nous ne pouvons accepter cette remise en cause, ce risque, cette menace contre le financement du logement dans notre pays. C’est un danger économique et social que nous devons contrer tant qu’il en est encore temps.
La France agit pour améliorer le système financier international, pour le stabiliser, afin que les banques soient au service de l’économie réelle. Des mesures ont été prises, notamment depuis 2012, pour sécuriser le système bancaire européen ou encadrer les activités spéculatives.
La régulation en matière bancaire est indispensable. C’est pour cela que nous sommes attentifs aux travaux de Bâle. C’est aussi pour ces raisons que nous sommes opposés aux premiers éléments qui sortent de ces travaux. Le comité de Bâle fait fausse route : réglementer ne signifie pas standardiser.
En matière d’accès au marché immobilier, le modèle français est juste et équilibré. Il doit perdurer, car il permet au plus grand nombre l’accès à la propriété, il permet de transmettre un patrimoine, il permet à ceux qui ont travaillé toute leur vie de laisser un bien à leurs enfants. Il est donc nécessaire, je dirais même vital, pour notre économie, que les banquiers de Bâle prennent en compte ces spécificités économiques de notre pays.
Les principes du crédit immobilier français, que j’ai déjà exposés, sont des atouts qui devraient plus inspirer qu’être gommés. Ce sont des règles qui permettent de maintenir le dynamisme de l’accession à la propriété dans notre pays. La volonté du comité est d’augmenter la stabilité du système. Pourquoi, alors, renier un modèle stable ?
Le débat d’aujourd’hui soulève une autre question, celle de la place de la politique face à des institutions financières internationales, non élues, qui ne disposent pas d’une légitimité populaire. Bref, c’est la question démocratique qui doit être au cœur de la réflexion.
L’instance qui menace aujourd’hui le financement français de l’habitat ne dispose d’aucun espace démocratique, d’aucun lieu d’échange avec les parlements, qu’ils soient européens ou nationaux. Pourtant, les conséquences seront directes sur la vie quotidienne de nos concitoyens.
L’opacité qui règne dans cette instance, la même que celle qui prévaut dans les négociations sur le traité transatlantique, n’est pas admissible pour nous, législateurs. Elle n’est plus admissible pour les citoyens. Elle alimente la défiance envers les institutions. Dans la crise démocratique que nous vivons, les citoyens veulent savoir que leurs parlementaires les défendent.
La réalité est donc la suivante : si nous, sénateurs, comme les députés, ne lançons pas l’alerte sur ce sujet, alors personne ne pourra s’opposer aux décisions du comité. Elles s’imposeront à l’ensemble de nos banques dans les prochains mois.
Monsieur le secrétaire d’État, je sais que vous-même et M. Sapin êtes très impliqués sur ces questions, très attentifs quant à la stabilité du système financier. Nous soutenons vos efforts en présentant cette proposition de résolution, qui, nous l’espérons, sera adoptée.
M. Richard Yung. Très bien !
M. Didier Guillaume. C’est ainsi que nous assumons notre rôle de législateurs. Nous devons affirmer, plus que jamais, notre pouvoir de décision et de contrôle sur ce qui régit le quotidien des Français. C’est l’un des enjeux de la démocratie moderne face à ces comités internationaux. Le huis clos technocratique ne doit pas prendre le dessus sur l’assemblée démocratique : c’est ainsi que nous redonnerons confiance aux peuples dans la politique.
C’est pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les sénateurs socialistes et républicains proposent à l’ensemble du Sénat de voter une résolution pour donner mandat à la Banque de France et au Gouvernement de défendre le modèle français du crédit immobilier.
La crise de 2008 n’est pas venue de l’Europe. Ne nous laissons pas imposer les règles qui ont mené l’économie mondiale dans le mur. Assumons notre modèle de financement du logement qui est juste, qui permet à des millions de Français d’avoir un appartement, une maison. Défendons un système qui est moins risqué que celui qui nous est proposé. Affirmons que la régulation financière est un sujet avant tout politique, parce qu’elle concerne chaque citoyen. Remettons de la démocratie dans tous les espaces de décision, de la transparence dans toutes les instances.
Les citoyens nous attendent. Cette résolution ne concerne pas qu’un enjeu économique ; c’est aussi une responsabilité démocratique, une responsabilité politique, une responsabilité pour la France, pour son patrimoine, pour notre histoire. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous appelle à voter le plus largement possible cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. André Gattolin.
M. André Gattolin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le comité de Bâle, en charge de la modernisation des règles internationales en matière de contrôle prudentiel, a vu son rôle s’accroître considérablement avec la crise de 2008.
Constatant que la faiblesse des liquidités et des fonds propres avaient catalysé la contagion des défauts, les accords dits de « Bâle III » ont, en 2010, renforcé les ratios exigibles des banques. Les discussions du comité se poursuivent, depuis, avec régularité. Le bruit court aujourd’hui que de nouvelles contraintes prudentielles seraient à l’étude.
Malheureusement, l’opacité qui préside à ces travaux – par ailleurs très techniques – nous force à nous contenter de rumeurs qui, en l’occurrence, évoquent un nouveau renforcement des fonds propres, pour mieux couvrir les prêts de long terme à taux fixe. En effet, les banques qui les consentent sur la base actuelle de taux très bas prennent un risque substantiel en cas de remontée des taux plus ou moins rapide. Augmenter les capitaux propres associés permettrait donc aux banques de mieux se prémunir contre ce risque.
Une telle mesure affecterait particulièrement les banques françaises, dont les crédits immobiliers sont très majoritairement à taux fixe. Il n’en fallait pas moins pour susciter une offensive du puissant lobby bancaire français, suivi de très près par les non moins puissants acteurs de l’immobilier : promoteurs, constructeurs, agences, etc.
La présente résolution me semble s’inscrire en relais politique de ce discours.
Comme l’a fort bien exprimé tout à l’heure M. Guillaume, il consiste d’abord à rappeler les trois spécificités du modèle français de crédit immobilier, par rapport au modèle anglo-saxon : d’abord, des taux fixes, qui protègent les ménages du risque de volatilité des marchés ; ensuite, des critères d’éligibilité fondés sur la solvabilité de l’emprunteur et non pas sur la valeur du bien acquis, enfin, une garantie par le cautionnement plutôt que par l’hypothèque.
Il faut reconnaître que, si ce modèle français avait prévalu aux États-Unis en 2007, cela nous aurait probablement épargné la crise des subprimes et toutes ses désastreuses conséquences en chaîne. Ces caractéristiques du système français doivent absolument être préservées. Sur ce point, nous rejoignons tout à fait la résolution proposée par le groupe socialiste et républicain.
En revanche, en tirer la conclusion que toute nouvelle exigence de fonds propres conduirait à un renchérissement du coût du crédit pour l’emprunteur, puis à la destruction pure et simple de ce modèle est, à notre sens, beaucoup plus discutable.
D’abord, les banques françaises possédaient, à la fin du mois de février, l’encours important de 868 milliards d’euros de crédits immobiliers, dont l’essentiel est à taux fixe. Malgré les caractéristiques sécurisantes du système français, il n’est donc pas interdit de s’interroger, compte tenu du niveau des taux aujourd’hui, sur les conséquences de leur éventuelle remontée, d’autant plus que les banques françaises ont une responsabilité directe dans la faiblesse actuelle des taux. En effet, celles-ci se livrent entre elles à une féroce concurrence à la baisse, se servant des crédits immobiliers comme des produits d’appel pour fidéliser la clientèle. Les établissements se rattrapent ensuite sur le coût de l’assurance, ainsi que sur les frais courants, les clients ayant souvent tendance à domicilier leur compte dans la même banque que leur prêt.
À conjoncture identique, on pourrait donc déjà relever légèrement les taux immobiliers en baissant les coûts annexes du crédit, dans une opération relativement neutre pour les consommateurs. Cela permettrait de commencer à amoindrir le risque. Pour cela, il ne tient qu’aux banques françaises de changer leurs pratiques commerciales.
En réalité, le véritable problème est ailleurs : renforcer le capital des banques diminue mécaniquement leur rentabilité, donc leur cours boursier, sur lequel sont indexées les stock-options de leurs dirigeants. En effet, les banques pourraient très bien augmenter encore un peu leur capital, sans avoir à faire voler en éclats notre système de crédit immobilier. Il suffirait tout simplement de distribuer un peu moins de résultat aux actionnaires…
Or M. Hyun Song Shin, le chef économiste de la Banque des règlements internationaux, la fameuse BRI, vient justement de dénoncer, le 7 avril dernier, la trop généreuse politique de dividendes des banques européennes, qui nuit selon lui à l’économie. Étudiant un échantillon de 90 banques européennes entre 2007 et 2014, il montre que leurs dividendes se sont élevés à 75 % de leur mise en réserve, alors même que la crise aurait pu inciter à la retenue. Pour les banques françaises, qui sont les plus rémunératrices de l’échantillon, les dividendes atteignent même 173 % de la mise en réserve !
Mes chers collègues, notre modèle de crédit immobilier ne doit pas servir ici d’alibi au regrettable choix d’affectation du résultat des banques, notamment françaises, dont toute notre économie pâtit. Nous ne souscrivons donc pas à cette partie du raisonnement qui sous-tend la résolution, lui préférant le commentaire formulé à ce propos par le gouverneur de la Banque de France devant la commission des finances du Sénat : « Les banques françaises sont parfois un peu trop promptes à lancer des alertes… »
Néanmoins, parce que nous partageons pleinement le plaidoyer pour le système français de crédit immobilier et qu’il nous semble que les discussions de Bâle devraient être beaucoup plus transparentes et légitimes, le groupe écologiste s’abstiendra sur ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)