M. Jean-Pierre Bosino. Dans le cadre duquel il est nettement moins bienvenu !
M. Michel Raison, rapporteur. Au reste, ce vocabulaire est peut-être mal choisi.
Sur la base des conclusions des travaux de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l’ANDRA, et du débat public de 2013, plusieurs tentatives ont été faites ces dernières années, dans le cadre de différents véhicules législatifs, pour relancer le projet Cigéo. Je pense au projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte et au projet de loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, dit projet de loi Macron. Aucune de ces tentatives n’a abouti. C’est pourquoi nous devons nous réjouir que le Sénat prenne aujourd’hui l’initiative et qu’il assume ses responsabilités dans un dossier crucial.
Le sujet est indiscutablement des plus délicats, mais la proposition de loi apporte une réponse pragmatique aux enjeux auxquels nous sommes confrontés, pour le coup, sans réversibilité, puisque les Présidents de la République successifs et les différentes majorités parlementaires ont fait le choix du nucléaire ; l’existence de déchets est donc une donnée, et il faut bien les traiter.
Plus précisément, la proposition de loi apporte quatre modifications principales à la loi du 28 juin 2006 : la définition de la notion de réversibilité, le lancement d’une phase industrielle pilote qui marquera le début de l’exploitation industrielle du site, l’adaptation de la procédure d’autorisation et celle du calendrier initialement prévu en 2006.
En premier lieu, la proposition de loi définit la réversibilité comme « la capacité, pour les générations successives, à revenir sur des décisions prises lors de la mise en œuvre progressive d’un système de stockage ». En d’autres termes, la réversibilité doit permettre à tout moment de réévaluer les choix de gestion et, le cas échéant, de les adapter. Le dispositif prévoit que la mise en œuvre du principe de réversibilité fera l’objet de revues périodiques, au moins une tous les dix ans ; nous aurons l’occasion de revenir sur cette durée lors de l’examen des amendements.
En deuxième lieu, la proposition de loi prévoit, conformément aux attentes exprimées lors du débat public organisé en 2013, que l’exploitation du centre de stockage Cigéo débutera par une phase industrielle pilote, permettant notamment de conforter le caractère réversible et la démonstration de sûreté de l’installation au moyen d’un programme d’essais in situ. Les colis de déchets devront rester aisément récupérables durant cette première phase.
La phase pilote fera l’objet d’une autorisation de mise en service restreinte. L’autorisation de mise en service pour les phases ultérieures ne pourra être accordée qu’après la promulgation d’une loi élaborée sur la base d’un rapport de l’ANDRA exposant les résultats de la phase industrielle pilote. Vous voyez, mes chers collègues, qu’on ne propose pas au législateur de signer un chèque en blanc pour la poursuite du projet Cigéo ! D’autres échéances législatives sont prévues, et la phase pilote nous garantit simplement l’identification précoce des problèmes, ainsi que, évidemment, la réalisation des ajustements nécessaires. (M. Gérard Longuet opine.)
En troisième lieu, enfin, l’article unique de la proposition de loi adapte le calendrier de mise en œuvre du projet.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a adopté, sur l’initiative des auteurs de la proposition de loi, trois amendements procédant à des ajustements de rédaction. En effet, le texte déposé, qui figurait déjà dans l’avant-projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte, était un peu daté, l’ANDRA ayant mené de nombreux travaux pour préciser le projet, en particulier le concept de réversibilité.
Pour finir, je tiens à souligner que le débat de cet après-midi n’oppose pas les pro-nucléaires aux anti-nucléaires (M. Ronan Dantec s’exclame.) : il s’agit, sans préjuger les choix de politique énergétique à venir, d’assurer la gestion des déchets radioactifs existants. Au demeurant, peut-être le Parlement débattra-t-il un jour du recyclage des panneaux photovoltaïques ou de l’approvisionnement en silicium… Car ne croyons pas que toutes les autres énergies sont simples à gérer !
La directive Euratom du 19 juillet 2011 nous impose de mettre en place un stockage des déchets radioactifs dans des installations appropriées qui serviront d’emplacement final, et non de lieu de stockage provisoire. Le simple entreposage des déchets, pratiqué par exemple à La Hague, ne peut donc constituer qu’une solution provisoire : il ne s’agit pas d’une alternative au stockage.
Quant au stockage à faible profondeur, Areva considère qu’il ne pourrait lui aussi qu’être provisoire ; sans doute ne s’agit-il que d’un avis, qui n’est pas forcément partagé dans tous les pays du monde, mais, sans faire une confiance aveugle aux scientifiques, comme l’a dit Gérard Longuet, on peut constater qu’Areva est reconnu comme l’un des principaux spécialistes mondiaux du nucléaire, voire le meilleur.
Pour autant, il nous faut nous prononcer avec humilité et prudence sur ces questions à la fois très techniques et à haut risque. De ce point de vue, le texte issu des travaux de notre commission offre de nombreuses garanties.
Premièrement, la phase industrielle pilote permettra de mesurer concrètement la faisabilité du projet et de tester les options de récupérabilité des colis de déchets.
Deuxièmement, la réversibilité impose un développement très progressif du stockage permettant de réévaluer régulièrement les choix opérés.
Troisièmement, le projet est placé sous le contrôle permanent de l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs et soumis à l’autorisation de l’Autorité de sûreté nucléaire.
Quatrièmement, la proposition de loi impose un droit de regard du Parlement en prévoyant un jalonnement législatif à chaque étape de développement.
Compte tenu de ces dispositions très sécurisantes, notre commission a adopté la proposition de loi à la quasi-unanimité.
Mes chers collègues, l’autorisation législative qu’il vous est proposé d’accorder constitue une responsabilité incontournable pour assumer les choix énergétiques passés – et présents, car le nucléaire existe toujours, jusqu’à preuve du contraire ! – et pour permettre aux générations futures de conserver leur liberté de choix.
Je vous invite donc à adopter la proposition de loi, afin de permettre la poursuite du projet Cigéo dans des conditions garantissant à la fois la sûreté des installations, la réversibilité des choix opérés et un droit de regard final du Parlement. En agissant rapidement, nous prendrons nos responsabilités par rapport aux conséquences de nos choix énergétiques passés et nous faciliterons les choix des générations suivantes. C’est une affaire d’éthique et de continuité de l’État ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. Rémy Pointereau, vice-président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, ainsi que Mme Nelly Tocqueville et M. Jean-Jacques Filleul applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le président, monsieur le vice-président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, au début de la discussion de cette proposition de loi, il me paraît utile de la replacer dans le travail de long terme mené depuis plus de vingt ans en matière de gestion des déchets nucléaires.
Je salue l’initiative que vous avez prise, monsieur Longuet, en liaison avec l’ensemble des députés et sénateurs qui ont travaillé sur ce sujet. En effet, la proposition de loi que vous présentez constitue une étape importante d’un processus de long terme, qui dépasse les clivages politiques et relève directement de notre responsabilité vis-à-vis des générations futures – un processus que le Gouvernement a également initié dans le cadre de la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques.
Comme vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, la France a fait le choix stratégique de l’énergie nucléaire en se dotant progressivement d’un parc de cinquante-huit réacteurs qui lui assurent la production d’une électricité décarbonée et compétitive.
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État. La filière d’excellence qui s’est structurée autour de ce choix a permis le déploiement d’installations industrielles productives et sûres, sous le contrôle permanent de l’État et des autorités de sûreté. Le maintien de l’énergie nucléaire comme une composante essentielle de notre production d’électricité a été confirmé dans le cadre de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, qui a fixé l’objectif de 50 % d’énergie nucléaire dans notre mix électrique à l’horizon de 2025.
Or nous savons tous que l’énergie nucléaire produit des déchets dont il nous faut assumer la gestion sur le long terme. Afin d’assumer pleinement les conséquences de cette orientation stratégique déterminante, la France s’est dotée d’un cadre législatif pour la gestion des déchets radioactifs par la loi du 30 décembre 1991 relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs, dite loi Bataille. Cette loi a notamment fixé des axes de recherches pour la gestion à long terme des déchets les plus radioactifs : les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue.
Ces déchets, principalement issus de l’exploitation des réacteurs nucléaires de production d’électricité, représentent environ 3 % du volume de l’ensemble des déchets radioactifs, mais 99 % de la radioactivité totale que ceux-ci contiennent. La loi Bataille a instauré un cadre de gestion responsable de ces déchets à la fois par le Gouvernement et par le Parlement ; elle représente un enjeu essentiel de responsabilité de nos générations vis-à-vis des générations futures.
L’un des axes de recherche identifiés par la loi Bataille pour les déchets de haute activité et de moyenne activité à vie longue est le stockage en couche géologique profonde. Les études dans ce domaine ont été confiées à l’Agence nationale pour la gestion des déchets radioactifs, l’ANDRA, établissement public créé par cette même loi et indépendant des producteurs de déchets.
Pour mener ses recherches sur le stockage de ces déchets, l’ANDRA a créé un laboratoire souterrain à Bure, dans le sud du département de la Meuse, à quelques centaines de mètres du département de la Haute-Marne. C’est dans la couche argileuse, située à 500 mètres de profondeur et âgée de 160 millions d’années, retenue pour ses propriétés de confinement de la radioactivité sur de très longues échelles de temps, que l’ANDRA a étudié la faisabilité du stockage de ces déchets.
En 2005, après quinze ans de recherches, l’ANDRA a remis au Gouvernement un rapport établissant la faisabilité industrielle du stockage des déchets dans la zone investiguée. Après évaluation de ces travaux scientifiques par la Commission nationale d’évaluation et par l’Autorité de sûreté nucléaire et au terme d’un débat public national, la loi du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs a retenu le stockage en couche géologique profonde comme solution de référence pour la gestion à long terme de ces déchets.
L’option retenue par la France en 2006 a d’ailleurs été confortée au niveau européen par la directive Euratom du 19 juillet 2011 établissant un cadre communautaire pour la gestion responsable et sûre du combustible usé et des déchets radioactifs, qui préconise le stockage géologique profond pour ce même type de déchets.
La loi du 28 juin 2006 confie à l’ANDRA le soin de concevoir et de préparer l’implantation d’un centre de stockage à proximité du laboratoire de Bure, où, parallèlement, les recherches en cours seront poursuivies.
Ce projet industriel d’envergure, nommé Centre industriel de stockage géologique, ou Cigéo, est prévu au centre de la région Grand Est, qui accueille depuis plus de quarante ans des installations importantes de l’ANDRA pour la gestion d’autres types de déchets radioactifs. Il aura un effet d’entraînement économique fort pour ce territoire.
La loi du 28 juin 2006 impose à l’ANDRA une caractéristique décisive pour la conception de son stockage : celui-ci doit être réversible. Elle prévoit qu’une loi nouvelle doit définir les conditions de cette réversibilité.
Ce complément que le législateur doit apporter à son travail de 2006 peut aujourd’hui bénéficier de dix années d’études supplémentaires, ainsi que des conclusions du second débat public national organisé sur ce projet, qui s’est tenu en 2013. Préciser le cadre dans lequel l’ANDRA doit poursuivre ses études permettra de rendre plus robuste le dossier de demande d’autorisation de création de Cigéo et fiabilisera la mise à disposition d’une solution de gestion pérenne et sûre.
La présente proposition de loi apporte les compléments prévus par la loi de 2006 : elle précise la notion de réversibilité applicable à Cigéo ; elle instaure une phase industrielle pilote au démarrage de l’installation, conformément aux conclusions du débat public de 2013 ; elle prévoit plusieurs dispositions techniques nécessaires à la poursuite du projet, notamment en ce qui concerne la maîtrise foncière, et aménage son calendrier pour mieux correspondre aux conditions de mise en œuvre du projet.
Ce texte n’est cependant en rien une autorisation du projet : celle-ci, qui n’interviendrait pas avant 2021, serait délivrée par décret en Conseil d’État après une instruction technique de l’Autorité de sûreté nucléaire, un avis de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, des collectivités territoriales concernées et de la Commission nationale d’évaluation et une enquête publique.
Cette autorisation permettra la réalisation de la phase pilote au cours de laquelle la démonstration de la sûreté de l’exploitation devra être pleinement apportée par l’ANDRA. Les résultats de la phase industrielle pilote feront l’objet d’un rapport de cet organisme, d’un avis de la Commission nationale d’évaluation et d’un avis de l’Autorité de sûreté nucléaire, transmis pour examen à l’OPECST. Si le rapport de l’OPECST en confirme la pertinence, le Gouvernement pourra alors déposer un projet de loi précisant les conditions du passage à l’exploitation courante du centre de stockage.
C’est au terme de l’analyse des résultats de la phase industrielle pilote que l’Autorité de sûreté nucléaire pourra délivrer l’autorisation de mise en service complète de l’installation, dont le caractère réversible sera réévalué tous les dix ans.
Le Gouvernement souscrit pleinement à la démarche des parlementaires d’horizons politiques différents qui proposent depuis plus d’un an des dispositions permettant de préciser les conditions de la poursuite du projet Cigéo.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous pouvons être fiers du dispositif élaboré en France depuis 1991 pour la gestion sûre et responsable de nos déchets radioactifs ; il marque notre souci de responsabilité vis-à-vis des générations futures. (M. Charles Revet opine.)
La présente proposition de loi complète et précise utilement ce dispositif. Aussi le Gouvernement la soutient-il sans réserve ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC. – M. Jacques Mézard applaudit également.)
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Christian Namy.
M. Christian Namy. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons cet après-midi et que nos collègues Gérard Longuet et Michel Raison ont déjà largement présentée constitue une adaptation de la loi du 28 juin 2006, après le débat public de 2013, sur lequel, du reste, les avis divergent.
Compte tenu des enjeux locaux, il est important que cette proposition de loi soit défendue par les deux sénateurs de la Meuse et soutenue par nos collègues de la Haute-Marne, ainsi que par vous tous. C’est à la fois un symbole de l’intérêt général porté à ce dossier et un signe que le territoire tout entier s’engage derrière le projet Cigéo, même si, aujourd’hui, nous ne disposons pas de toutes les réponses qui permettraient une adhésion totale de notre territoire.
Je ne reviendrai pas sur les aspects techniques du stockage réversible en couche géologique profonde des déchets radioactifs, ni sur la définition même de la réversibilité ; notre collègue Gérard Longuet en a parfaitement traité. Je soulignerai simplement que la réversibilité est une condition nécessaire pour laisser aux générations à venir la possibilité de faire des choix sur ces déchets. Être capable de faire des choix, laisser la possibilité de revenir sur ceux-ci ou bien de les conforter : c’est bien cela, le développement durable ; c’est s’inscrire dans le long terme sans jamais préjuger l’avenir.
Je souhaite également vous mettre en garde au sujet de la définition de la réversibilité. Il faut que celle-ci soit bien réelle, et non de façade. Je rejoins ainsi de nombreuses interrogations, qu’il faut savoir entendre.
Que l’on soit favorable ou non au développement de l’énergie nucléaire, ces déchets existent. Ils proviennent non seulement des centrales nucléaires, mais aussi de divers autres secteurs, notamment de la défense et de la santé. (M. Jacques Mézard opine.) En soi, nous pouvons être fiers de travailler au stockage de ces déchets, une opération qui nécessite des investissements importants pour les cent, voire cent cinquante années à venir.
La France, championne du nucléaire, doit être aussi la championne du retraitement et du stockage des déchets, d’autant qu’il s’agit de véritables filières économiques, que nous devons encore développer et conforter ; des milliers d’emplois industriels et de recherche sont concernés par ce secteur porteur pour notre pays.
Madame la secrétaire d’État, je regrette l’absence au banc du Gouvernement de la ministre chargée de l’énergie ; j’y vois une preuve supplémentaire de son désintérêt pour ce dossier. En revanche, compte tenu de mes propos à venir, votre présence devrait nous permettre d’obtenir des réponses aux questions liées au développement économique, en particulier à l’économie locale dans le département de la Meuse et son voisin. C’est sur cet aspect que je concentrerai la suite de mon intervention.
Les gouvernements successifs ont pris des engagements en matière d’accompagnement économique des territoires concernés par l’installation du centre de stockage des déchets. Cette contrepartie économique figurait même dans la loi Bataille de 1991. Il s’agissait alors de marquer la reconnaissance de la Nation pour les territoires participant aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs à haute activité à vie longue.
Or force est de constater que cet accompagnement économique, pourtant promis, est bien maigre. Je le regrette, nous le regrettons vivement.
Les différents acteurs – EDF, le CEA et Areva – s’étaient engagés à créer des emplois sur notre territoire, mais ils n’ont rien fait, ou du moins ils ne l’ont pas fait assez. Seule EDF tient en partie ses engagements. Au total, tout cela est bien insuffisant.
Gérard Longuet a rappelé tout à l’heure l’adhésion des départements de la Meuse et de la Haute-Marne à ce projet. Christian Bataille, dont je salue la fille, présente dans notre hémicycle, avait proposé un large soutien au développement économique local en accompagnement du projet.
Seulement voilà : aujourd’hui, le laboratoire de Bure fournit un peu moins de deux cents emplois, dont 40 % proviennent d’emplois locaux. C’est bien, mais largement inférieur à ce que l’on pourrait attendre.
Dans le cadre du comité de haut niveau installé en 2005 par Patrick Devedjian, alors ministre de l’industrie, les trois producteurs de déchets radioactifs se sont engagés en faveur du développement économique local, via l’accès des entreprises locales à leurs appels d’offres et le soutien aux projets économiques. Ils se sont également engagés en faveur du développement énergétique, par le biais du soutien aux projets des particuliers et des établissements publics pour la maîtrise de l’énergie et la valorisation de la filière biomasse. Je ne suis pas convaincu que toutes ces actions soient réellement mises en œuvre, alors qu’elles sont nécessaires à l’acceptation du projet d’enfouissement.
Pour progresser dans ce domaine, il me semblerait nécessaire de réunir ce fameux comité de haut niveau, afin de redéfinir les possibilités pour chacun de concrétiser cet accompagnement économique. En effet, ce comité, chargé de renforcer et de coordonner les efforts dans ce domaine, n’a pas été convoqué depuis plus de deux ans, malgré les demandes réitérées des élus nationaux des deux départements de la Meuse et de la Haute-Marne, et en dépit des différentes promesses que nous a faites la ministre Mme Ségolène Royal.
M. Bruno Sido. C’est vrai !
M. Christian Namy. Or cette absence de réunion du comité n’incite absolument pas les industriels de la filière nucléaire à respecter leurs promesses d’accompagnement économique de nos départements. Madame la secrétaire d’État, comptez-vous réunir ce comité, et quand ?
Par ailleurs, du côté des structures publiques, étant donné l’importance du site de Bure, pourquoi, madame la secrétaire d’État, ne pas envisager d’installer une agence comme l’ANDRA directement sur le territoire ? Cette implantation apporterait des emplois de haut niveau dans une zone qui en a fortement besoin ; elle serait aussi un bon signe de décentralisation.
Les objectifs généraux qui ont été convenus en accompagnement du laboratoire sont les soutiens au développement durable, au renforcement du potentiel scientifique local et au développement industriel et économique, ainsi qu’à la protection et à la valorisation de l’environnement dans une perspective d’insertion du laboratoire. Madame la secrétaire d’État, pouvez-vous faire le point sur les engagements de l’État en ce qui concerne ces différents axes d’accompagnement du territoire ?
J’imagine que vous ne pourrez pas répondre à toutes ces questions cet après-midi ; mais n’est-ce pas le moment de relancer un dialogue constructif entre nous ? Ce dossier ne devrait-il pas être suivi par le ministre chargé de l’industrie, comme cela fut le cas auparavant, plutôt que par celui qui est chargé de l’énergie, qui le refuse aujourd’hui ?
Vous l’aurez compris, j’ai à cœur, nous avons à cœur de défendre nos deux départements et leurs habitants. J’ai à cœur, nous avons à cœur, de les accompagner pour construire l’avenir, en ce qui concerne la réversibilité, mais aussi leur développement économique.
Je suis sûr que mon collègue Bruno Sido, avec qui j’ai fait avancer le dossier Cigéo, lui étant président du conseil général de la Haute-Marne et moi président du conseil général de la Meuse, et tous deux étant totalement en phase sur les objectifs, s’exprimera lui aussi en faveur des intérêts de son territoire. Nous avons toujours fait cause commune sur la gestion de ce dossier.
Mes chers collègues, vous ne serez pas surpris que mon groupe soutienne la proposition de loi. J’ajoute toutefois que l’État doit définir maintenant et clairement son action de soutien aux territoires par une forte incitation des opérateurs du nucléaire. Madame la secrétaire d’État, permettez-moi à nouveau d’insister sur ce point, c’est une clause sur laquelle nous, élus locaux, ne pouvons transiger. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. Jacques Mézard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bosino.
M. Jean-Pierre Bosino. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi dont nous entamons l’examen soulève une question essentielle, une question d’actualité dans notre pays depuis plusieurs années : quel mode de stockage des déchets nucléaires de longue vie choisir pour tenir compte au mieux des exigences très élevées de radioprotection et de sûreté de nos concitoyens et des générations futures, dans l’état actuel des connaissances ?
Dans un premier temps, je tiens à souligner que nous souscrivons au propos de M. le rapporteur : la recherche d’une solution de gestion des déchets radioactifs ne constitue pas par elle-même un moyen de pérenniser le recours à l’énergie nucléaire.
Ce dont il est question cet après-midi, c’est avant tout de la gestion des déchets passés et présents. Je rappelle que, en 2013, la France totalisait 1,4 million de mètres cubes de déchets radioactifs, dont environ 47 000 mètres cubes de déchets à vie longue et haute activité.
Même si la question des déchets futurs se posera aussi, évidemment, quand bien même il y aurait une évolution de notre mix énergétique avec une réduction de la part du nucléaire, ce dont il est question aujourd’hui, c’est de prendre nos responsabilités en mettant fin à un attentisme qui dure depuis trop longtemps.
Aucune solution satisfaisante n’a jusqu’à présent été trouvée pour éliminer les déchets radioactifs ni même pour réduire les risques qu’ils présentent, jusqu’à des centaines de milliers d’années pour certains d’entre eux. C’est pour cela que nous nous devons d’agir.
Nous pensons qu’il est essentiel de poser le principe de la phase industrielle pilote, qui verra le début de l’exploitation du site Cigéo. Il ne s’agit pas seulement de choix techniques dont les avantages et les inconvénients pourraient être discutés à l’infini, il s’agit aussi d’un choix politique. Un choix qui accompagne d’autres choix : celui du retraitement, de la valorisation du mox, du positionnement en matière de recherche, etc. C’est un choix politique en termes d’évaluation des risques et des priorités mises en avant pour assurer une meilleure sécurité et une prévention accrue des risques futurs. Ce n’est peut-être pas la meilleure solution, mais c’est sans doute la plus sûre à l’heure actuelle. Rappelons qu’au cours des vingt-cinq dernières années l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a publié dix rapports sur la question spécifique des déchets radioactifs, c’est-à-dire en moyenne un tous les trois ans !
Enfin, aujourd’hui, pour reprendre les termes d’un opposant au projet Cigéo : « Les immenses piscines de La Hague, en particulier, ont des toits qui ne sont pas plus solides que celui de ma maison et qui ne résisteraient pas à l’attaque d’un drone. » C’est pourquoi il nous semble opportun d’engager ce projet.
La proposition de loi donne, selon nous, une définition satisfaisante de la réversibilité, en précisant aussi la notion de récupérabilité et assure une intervention législative avant le lancement de la phase industrielle globale. C’est une bonne chose, car il s’agit justement de tester la récupérabilité des colis.
Toutefois, nous regrettons pour notre part la faiblesse de la concertation publique et de l’ensemble des parties prenantes, comme le proposait l’ANDRA à la suite du débat public - mon collègue Patrick Abate reviendra sur ce point crucial lors de la défense de l’amendement que nous avons déposé dans le sens d’une plus grande concertation, information et transparence, tant dans le plan directeur de l’exploitation que dans la périodicité de la revue de mise en œuvre du projet. En effet, si le risque est toujours présent, car il est intrinsèquement lié à la notion de déchets radioactifs, la perception de la menace qu’il représente ne pourra être atténuée que s’il y a une transparence totale à toutes les étapes du projet.
La gestion des déchets nucléaires représente un défi sans précédent qui requiert l’obtention d’une discipline et d’une vigilance de la société sur des durées bien plus longues que celles qu’ont connues les organisations humaines à ce jour.
C’est pourquoi, en plus du refus de l’opacité qui a trop longtemps prédominé dans la question nucléaire, il est déterminant de garantir l’indépendance de l’ANDRA, mais aussi de tous les acteurs publics - l’ASN, l’IRSN - qui interviendront dans ce projet, par des financements publics pérennes.
C’est pourquoi aussi nous sommes confortés dans l’idée qu’il faut une maîtrise publique du nucléaire dans toutes ses dimensions civiles et militaires, et de tous les acteurs, d’EDF à Areva, avec pour seul objectif, pour ces entreprises, non pas la rentabilité financière, mais la réponse aux besoins de notre pays, de nos concitoyens, une responsabilité sociétale.
Enfin, ne nous trompons pas : ce projet est un projet d’envergure, sur un temps très long qui nécessitera un financement très important aujourd’hui supporté notamment par les producteurs de déchets nucléaires via la taxe pour les recherches et études sur l’entreposage et le stockage des déchets. C’est la raison pour laquelle il faut initier le projet Cigéo aujourd'hui. De plus, les pays qui ont abandonné l’idée d’un stockage en couche géologique profonde l’ont souvent fait pour des questions budgétaires à court terme et non pour des questions environnementales. Nous pensons qu’il ne faut pas commettre les mêmes erreurs ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe Les Républicains. – M. Yves Détraigne applaudit également.)