M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Cet amendement est visiblement inspiré par le souci de ne pas contrevenir au futur règlement européen. Il tend à supprimer les dispositions relatives à la portabilité des messages et des carnets d’adresses des services de communications électroniques, et vise à prévoir que le droit à la portabilité s’exerce « au-delà des dispositions de l’Union européenne relatives à la protection des données personnelles ».
De deux choses l’une : soit l’on considère que notre pays peut imposer aux opérateurs la portabilité des données autres que personnelles, au nom de la protection du consommateur et afin de favoriser le changement d’opérateur, et dans ce cas il est inutile de multiplier les « sans préjudice » ou les « au-delà du droit de l’Union européenne » – c’est le parti qu’a pris la commission ; soit, au contraire, on craint que ce ne soit pas possible, et alors il faut supprimer l’article 21 en totalité. La commission des lois s’est prononcée contre les amendements de suppression de cet article…
Dans un cas comme dans l’autre, l’amendement du Gouvernement ne me paraît pas justifié. J’émets donc un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Yves Leconte, pour explication de vote.
M. Jean-Yves Leconte. Cet article est très important.
Ma première question sera peut-être un peu ingénue, mais elle me semble mériter d’être posée : dès lors que toute personne résidant en France peut accéder à un certain nombre de services dont les opérateurs sont localisés à l’étranger, à quels services l’obligation de portabilité va-t-elle s’appliquer ? S’agira-t-il de tous ceux dont les opérateurs sont localisés au sein de l’Union européenne ? L’obligation de portabilité vaudra-t-elle aussi pour les opérateurs australiens ou russes ? Si la France impose des exigences particulières à cet égard, certaines entreprises étrangères voudront-elles proposer leurs services dans notre pays ?
Le droit à la récupération des données personnelles, en particulier celles des messageries électroniques, est essentiel. D'ailleurs, le règlement adopté par l’Union européenne témoigne bien d’un souci d’éviter qu’aucun usager puisse être prisonnier d’un fournisseur de services de courrier électronique.
Par ailleurs, étendre la portabilité à d’autres données, telles que les données bancaires ou les commentaires laissés sur un site, comme le proposent le Gouvernement et la commission, est intéressant, mais non dénué de certains risques : cela ouvre à de nouveaux arrivants sur le marché la possibilité de bénéficier du travail de leurs prédécesseurs. On nous dira que ces derniers sont gros et puissants et qu’il faut privilégier les nouveaux entrants et l’innovation. Il est possible que ce soit justifié dans un certain nombre de cas, mais, je le répète, cela présente certains risques. Je présenterai tout à l'heure un amendement sur ce sujet.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Je souhaite répondre aux arguments qui ont été opposés à l’amendement du Gouvernement par M. le rapporteur, dans l’espoir de le convaincre.
Effectivement, on pourrait considérer que la mention, dans le texte, des données personnelles liées au contenu du courrier électronique n’emporte aucune conséquence, sinon celle de rendre le droit français un peu bavard, puisque cela revient à reprendre une partie du contenu du règlement européen, d’applicabilité immédiate.
Cependant, l’amendement du Gouvernement vise à apporter certaines précisions ayant fait l’objet d’un travail minutieux de concertation avec les services juridiques de la Commission européenne et visant justement à bien articuler le champ du règlement européen sur la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel avec celui du droit de la consommation, qui concerne les données des utilisateurs. Par conséquent, ne pas adopter cet amendement serait se priver de la possibilité de couvrir tout le champ des données de consommation.
Monsieur Leconte, vous craignez qu’il soit difficile de faire appliquer les nouvelles règles en matière de portabilité des données. Or, il s’agit de se situer sur le terrain du droit de la consommation, tant français qu’européen : le critère est celui du lieu du domicile du consommateur ; dès lors, quand celui-ci réside en France, c’est le droit français qui s’applique, comme l’a confirmé une jurisprudence récente de la cour d’appel de Paris, à propos d’un contentieux ayant opposé Facebook à un internaute qui avait mis en ligne une reproduction de L’Origine du monde, le célèbre tableau de Courbet.
Enfin, il n’y a pas de risque que des données soient transférées à une autre entreprise : c’est l’utilisateur qui les récupérera ; libre à lui, ensuite, d’en faire l’usage qu’il souhaite et de choisir, le cas échéant, de les stocker chez un autre fournisseur de services de communication en ligne.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Madame la secrétaire d'État, je dois vous dire que votre amendement est curieusement rédigé… Que signifie l’expression « au-delà des dispositions de l’Union européenne » ? Je comprends que votre intention est de faire référence au futur règlement de l’Union européenne, mais celui-ci, une fois adopté, s’imposera de lui-même ! Il n’est pas besoin d’y faire référence.
De plus, les termes « au-delà de » ne sont pas interprétables par un juge. Si les dispositions de l’Union européenne s’appliquent, il faut écrire « sans préjudice des » ; si elles ne s’appliquent pas, la rédaction appropriée est « par dérogation aux ».
Vraiment, je ne sais pas ce que les termes « au-delà de » signifient en droit, même si je vois bien ce que vous voudriez leur faire dire… Je ne veux nullement me montrer désagréable, mais nous ne sommes pas en train de rédiger un exposé des motifs ! Excusez-moi d’être aussi pesant, mais un texte de loi ne saurait être rédigé ainsi.
Nous sommes obligés de nous opposer à cet amendement, même si nous ne sommes pas en désaccord avec vous sur le fond.
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Monsieur le président de la commission, j’apprécie la finesse de votre raisonnement juridique et j’entends tout à fait la critique que vous opposez à cet amendement.
À la vérité, l’expression « au-delà de » me paraît à moi-même assez intrigante… Je l’ai acceptée à la demande expresse des juristes de la Commission européenne. (Exclamations amusées.)
M. Philippe Dallier. C’est un comble !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Quel aveu !
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. Ce n’est pas la bonne référence…
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Dès lors que vous me dites viser le même objectif que le Gouvernement sur le fond, nous pourrions peut-être nous accorder sur une rédaction plus douce à vos oreilles de juriste comme aux miennes, en écrivant « en sus des dispositions de l’Union européenne », sachant que nous devons faire référence au règlement européen (M. le président de la commission des lois marque son scepticisme.), ou « sous réserve de l’application des dispositions de l’Union européenne ».
Sans doute aurions-nous dû déposer deux amendements, tendant l’un à supprimer la référence aux données personnelles et l’autre à procéder aux ajouts demandés par la Commission européenne, mais, à ce stade, je vous demande d’accepter cette version rectifiée. Je m’engage à y revenir lors de la réunion de la commission mixte paritaire.
En tout état de cause, il s'agit de s’assurer de l’applicabilité de la réglementation européenne sur les données personnelles, tout en allant au-delà, dans le champ du droit de la consommation, qui est plus large.
Si nous pouvions continuer à progresser vers l’articulation la plus juste possible, je vous en serais très reconnaissante. L’objectif est de mieux protéger les consommateurs et d’assurer une plus grande fluidité concurrentielle dans le secteur du numérique.
Mme la présidente. Je suis donc saisie d’un amendement n° 584 rectifié, présenté par le Gouvernement et ainsi libellé :
I. – Alinéas 6 à 13
Supprimer ces alinéas.
II. – Alinéa 14
Remplacer les mots :
Sans préjudice
par les mots :
Sous réserve de l'application des dispositions de l’Union européenne relatives à la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, ainsi que
Quel est l’avis de la commission ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur. À ce stade, la commission maintient son avis défavorable et propose que nous passions sans plus tarder au vote de l’amendement : nous aurons le temps d’approfondir la réflexion d’ici à la commission mixte paritaire.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.
Mme Corinne Bouchoux. Monsieur le président de la commission, je vous remercie de cet éclairage juridique très précis. Je me fais en direct l’écho d’un jeune qui suit nos débats : vous avez mis en évidence une difficulté, mais que proposez-vous pour la surmonter ? Pourquoi ne parvenons-nous pas, tous ensemble, à élaborer une solution ?
Avec ce texte, nous légiférons véritablement sur la place publique : montrons le meilleur de ce que nous sommes en mesure d’apporter ! J’insiste sur le côté atypique de l’examen de ce projet de loi, monsieur le président de la commission.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Madame Bouchoux, nous répondrons aux internautes sur internet ! Pour l’heure, nous sommes dans l’hémicycle du Sénat et, en tant que représentants de la Nation, nous écrivons la loi, seuls. Notre rôle n’est pas de le faire « en temps réel », pour reprendre une expression à la mode, avec les internautes. (Marques d’approbation sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Claude Requier. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président de la commission des lois, permettez-moi de vous faire observer que cette séance est publique.
Mme Catherine Morin-Desailly. Comme toutes nos séances !
M. Jean-Pierre Sueur. Les temps changent : aujourd'hui, le public ne se limite plus aux personnes présentes dans nos tribunes, chacun pouvant suivre nos débats sur le site internet du Sénat.
J’appelle le Gouvernement à poursuivre la réflexion. Peut-être une suspension de séance lui permettrait-elle de peaufiner sa rédaction…
Premièrement, je trouverais dommageable de supprimer les alinéas 6 à 13, dont le contenu est très positif.
Deuxièmement, est-il vraiment sage, madame la secrétaire d'État, d’écrire dans la loi qu’une disposition s’appliquera « sous réserve de » l’application d’un texte européen à venir ?
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État. Il a été adopté depuis ! Il n’est pas encore publié, mais il est déjà applicable.
M. Jean-Pierre Sueur. Je suis très attaché à ce que l’on écrive la loi compte tenu des textes existants.
M. Philippe Dallier. En effet, c’est mieux !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous pourrons toujours y revenir si les textes évoluent. En tout état de cause, il faut veiller à ne pas multiplier les conditionnels, les « sous réserve de », les « en sus de », les « à condition que », les « nonobstant le fait que »…
Mme la présidente. Quoi qu’il en soit, le droit européen prime le droit national.
M. Jean-Pierre Sueur. Ce n’est donc pas la peine de l’écrire !
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures cinquante, est reprise à vingt et une heures trente-cinq, sous la présidence de M. Hervé Marseille.)
PRÉSIDENCE DE M. Hervé Marseille
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
6
Candidature à une délégation sénatoriale
M. le président. J’informe le Sénat que le groupe écologiste a fait connaître à la présidence le nom du candidat qu’il propose pour siéger à l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, en remplacement de Mme Marie Christine Blandin, démissionnaire.
Cette candidature va être publiée et la nomination aura lieu conformément à l’article 8 du règlement.
7
République numérique
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, pour une République numérique.
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus, au sein de l’article 21, à l’amendement n° 27 rectifié bis.
Article 21 (suite)
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 27 rectifié bis, présenté par M. Commeinhes, Mmes Hummel et Deromedi, MM. Lefèvre et Grand, Mme Lopez, M. Trillard, Mme Gruny et MM. Gremillet, Houel et Vasselle, n’est pas soutenu.
L'amendement n° 72 rectifié, présenté par MM. Chaize, de Nicolaÿ, Mandelli, Mouiller et Calvet, Mme Cayeux, MM. Bignon, Bizet, de Legge, B. Fournier, Kennel et Masclet, Mmes Garriaud-Maylam et Deromedi, MM. Cornu et Vaspart, Mme Estrosi Sassone, MM. Rapin, Pellevat, Grand et P. Leroy, Mme Procaccia, MM. Bouchet et Vasselle, Mme Deroche et MM. Husson, Laménie, Trillard et Magras, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 15
Supprimer cet alinéa
II. – Alinéa 16
Remplacer les mots :
résultant de l’utilisation du compte d’utilisateur du
par les mots :
à caractère personnel, créées et fournies par le
III. – Alinéa 17, première phrase
Remplacer les mots :
fichiers ou données concernés
par les mots :
données concernées
La parole est à M. Patrick Chaize.
M. Patrick Chaize. L’article relatif au droit à la portabilité figurant dans la version présentant l’accord final sur le règlement européen limite le champ de ce droit aux données personnelles communiquées par l’utilisateur au responsable du traitement – c’est-à-dire aux données brutes – et prévoit que la portabilité ne peut avoir pour effet de porter atteinte aux droits et libertés d’autrui.
Il existe un risque de conflit entre l’article 21 du projet de loi et l'article 18 du règlement européen sur les données personnelles, ayant le même objet : ce dernier précise que la portabilité des données fournies par l’utilisateur doit être rendue possible.
Il est primordial, pour des questions de sécurité juridique et de respect de la hiérarchie des normes, ainsi que pour anticiper des contentieux à venir, que le projet de loi pour une République numérique n'entre pas en contradiction avec ledit règlement.
M. le président. L'amendement n° 192, présenté par M. Rome, est ainsi libellé :
Alinéa 16, première phrase
Supprimer les mots :
, au moment de la demande ou antérieurement,
La parole est à M. Yves Rome.
M. Yves Rome. Cet amendement vise à modifier l’alinéa 16 de l’article, afin de supprimer la précision selon laquelle sont récupérables les données consultables en ligne « au moment de la demande ou antérieurement ».
L’ajout de cette référence par la commission alourdit inutilement le dispositif en étendant le droit à la récupération aux données qui étaient consultables avant la demande, mais qui ne le sont plus. Cette rédaction pourrait entraîner des effets de bord non maîtrisés, qu’il convient d’éviter.
M. le président. L'amendement n° 191, présenté par M. Rome, est ainsi libellé :
Alinéa 16, première phrase
Supprimer les mots :
, à l’exception de celles ayant fait l’objet d’un enrichissement significatif par le fournisseur en cause
La parole est à M. Yves Rome.
M. Yves Rome. Cet amendement vise lui aussi à modifier l’alinéa 16 de l’article, afin de supprimer l’exception au droit à la récupération des données portant sur les données enrichies par le fournisseur.
L’ajout par la commission de cette exception restreint fortement la portée de la mesure instaurant la récupération des données.
De plus, l'exclusion introduite par l’alinéa 16 constitue un facteur d'insécurité juridique, car la notion d'enrichissement « significatif » n’est pas définie et paraît sujette à interprétation.
M. le président. L'amendement n° 190, présenté par M. Rome, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 16
Insérer quatre alinéas ainsi rédigés :
« 3° D’autres données associées au compte utilisateur du consommateur et répondant aux conditions suivantes :
« a) ces données facilitent le changement de fournisseur de service ou permettent d’accéder à d’autres services ;
« b) l’identification des données prend en compte l’importance économique des services concernés, l’intensité de la concurrence entre les fournisseurs, l’utilité pour le consommateur, la fréquence et les enjeux financiers de l’usage de ces services.
« Les données mentionnées au présent 3° sont précisées par voie réglementaire ;
La parole est à M. Yves Rome.
M. Yves Rome. Cet amendement vise à rétablir la troisième catégorie de données, celle des données associées, dont les consommateurs peuvent exiger la récupération auprès d’un fournisseur.
Cette catégorie de données récupérables a été supprimée lors de l’examen du texte en commission. Par cet amendement, je propose de définir ces données à l’aune de l’importance économique et de la fréquence d’usage des services concernés, qui devront être significatives. Ce critère permettra de préciser, pour les fournisseurs de services, le champ d’application de la mesure.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Christophe-André Frassa, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur Chaize, réduire le champ de la portabilité aux seules données personnelles n’aurait, à mon sens, que peu d’intérêt, dans la mesure où cette portabilité est prévue par le règlement européen. Au contraire, il faut la compléter en prévoyant la portabilité de données qui, sans être personnelles, sont nécessaires au consommateur pour changer facilement d’opérateur.
Par ailleurs, nous avons pris toutes précautions pour éviter un conflit entre le présent texte et le règlement européen.
Pour ces raisons, je vous demanderai de bien vouloir retirer l’amendement n° 72 rectifié ; à défaut, je me verrai contraint d’émettre un avis défavorable.
Les dispositions que l’amendement n° 192 vise à supprimer tendent à remédier au fait que certains opérateurs ne permettent la consultation en ligne de certaines données que pendant quelques mois. Or ces données peuvent être utiles pour changer d’opérateur : c’est le cas des données de consommation énergétique. La commission a donc proposé d’autoriser la portabilité des données consultables en ligne au moment de la demande ou antérieurement à celle-ci.
Il faut éviter que des entreprises, pour bloquer le droit à la portabilité ou en réduire l’effet, limitent la mise à disposition en ligne de certaines données. L’utilisateur doit rester maître de son historique de consommation ou de navigation.
C'est la raison pour laquelle, monsieur Rome, je vous demanderai de bien vouloir retirer cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
En supprimant l’exception introduite par la commission des lois, l’adoption de l’amendement n° 191 rendrait possible le transfert de données significativement enrichies par l’opérateur internet à un concurrent.
Il faut absolument éviter tout risque de pillage des investissements ou de la valeur ajoutée produite par un opérateur. Certes, le consommateur doit avoir la maîtrise de ses données, mais on ne peut, pour autant, exiger le transfert de données retraitées et significativement enrichies par l’opérateur.
Toutes les entreprises se sont inquiétées de ce risque lors des auditions que j’ai menées au nom de la commission des lois. Peut-être pouvons-nous travailler ensemble pour préciser l’exception, mais non la supprimer ; cela reviendrait à envoyer un très mauvais signal aux entreprises concernées.
Là encore, monsieur Rome, je vous demanderai de bien vouloir retirer votre amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.
L’amendement n° 190 vise à étendre le droit à la portabilité à un ensemble de données permettant d’assurer le changement d’opérateur.
Contrairement à ce qui est indiqué par l’auteur de l’amendement, la commission n’a pas supprimé purement et simplement cette catégorie de données. Elle a estimé qu’elle était incluse dans celle, plus générale, du 2° de l’article L. 224-42-3 du code de la consommation.
En effet, lorsque j’ai interrogé les services du Gouvernement pour savoir ce que pouvaient recouvrir ces données, ils m’ont indiqué qu’il s’agissait des données de consommation en énergie d’un consommateur, qui ne sont plus forcément disponibles à la consultation en ligne passé un certain délai. Nous avons donc prévu que le droit à la portabilité s’étende aux données archivées par l’opérateur que ce dernier avait mises en ligne à un moment.
J’ajoute que la rédaction proposée pèche par son imprécision : elle n’interdirait pas que le Gouvernement impose le transfert de données stratégiques ou à forte valeur ajoutée, qui constituent pourtant le trésor de l’économie numérique.
Enfin, on peut émettre de sérieux doutes sur la constitutionnalité du dispositif proposé : le législateur n’abandonne-t-il pas sa compétence au pouvoir réglementaire ? Surtout, le principe d’égalité sera-t-il respecté, alors que certains services seront soumis à l’obligation de portabilité de certaines données, mais pas d’autres ?
La réflexion doit se poursuivre sur le sujet ; évitons de l’engager sur des pistes aussi incertaines. Pour toutes ces raisons, monsieur Rome, je sollicite le retrait de cet amendement ; à défaut, je me verrai contraint d’émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. Je suis défavorable à l’amendement n° 72 rectifié. J’ai déjà eu l’occasion d’expliquer à quel point il était important, pour le Gouvernement français, d’opérer une distinction entre les données personnelles, au sens du règlement européen que nous avons négocié et qui a été adopté depuis, et les données de consommation liées à l’expérience des utilisateurs, amenées à se développer toujours davantage en raison de la massification numérique et de la multiplication des données.
Dans ce contexte, il est essentiel d’assurer non seulement la protection du consommateur, mais également une fluidité du marché, en évitant que des entreprises en situation de quasi-monopole ou d’oligopole n’enferment les consommateurs dans un écosystème et les empêchent de passer facilement d’un fournisseur de services à un autre.
Monsieur Rome, je suis favorable à l’amendement n° 192. Vous souhaitez supprimer la notion de données consultables en ligne « au moment de la demande ou antérieurement ».
Si votre préoccupation, monsieur le rapporteur, est de ne pas faire peser des obligations trop lourdes sur les entreprises, on peut considérer que l’expression « ou antérieurement » est beaucoup trop large. Une telle rédaction suppose en effet que les entreprises devront vérifier à chaque fois si les données à récupérer ont été un jour consultables en ligne. Cela suppose également que l’on puisse retracer l’historique sans aucune limitation.
Bien que la grande majorité d’entre elles reconnaissent tout à fait l’intérêt économique de la portabilité des données de consommation, les entreprises ne sont pas du tout favorables à cette formulation.
Je suis également favorable à l’amendement n° 191, très important à mes yeux. Il correspond en effet parfaitement à la dimension nouvelle ouverte par le numérique, en particulier par le stockage des données en ligne, c’est-à-dire l’informatique en nuage ou cloud.
La récupération doit porter sur les données enrichies par le fournisseur. Cette rédaction est issue d’une concertation avec les acteurs du numérique. La distinction entre données brutes et données enrichies est difficile à opérer, sinon quelque peu naïve. Si elle se limite simplement aux données explicitement fournies par l’utilisateur, la portabilité n’a pas d’intérêt, dans la mesure où ce dernier, par définition, en dispose déjà.
Je suis enfin tout aussi favorable à l’amendement n° 190.
La commission des lois du Sénat a supprimé cette troisième catégorie de données, qui nous semble pourtant fondamentale. La deuxième catégorie est assez large, mais ne prévoit pas ces cas spécifiques de données sectorielles qui ont pu disparaître de l’historique fourni par le consommateur au moment de la récupération.
Cette approche sectorielle est rendue nécessaire par le périmètre extraordinairement large du domaine concerné. Songeons, par exemple, à tous ces logiciels permettant de stocker en ligne l’ensemble des données d’une entreprise. Il faut pouvoir instaurer une limite entre ce qui est récupérable et ce qui ne l’est pas. Comme je l’ai déjà souligné, cette approche s’inspire de l’expérience britannique : les secteurs concernés –banque, énergie, transports ou électricité – ont décidé de définir le périmètre de récupération de certains types de données.
M. le président. La parole est à M. Patrick Chaize, pour explication de vote sur l'amendement n° 72 rectifié.
M. Patrick Chaize. Je ne peux lutter avec M. Rome, qui cumule les avis favorables du Gouvernement… (Sourires.)
Je retire l’amendement n° 72 rectifié, monsieur le président.
M. le président. L’amendement n° 72 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 192.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission des lois.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que celui du Gouvernement est favorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)