Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline. (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. David Assouline. J’ai présenté, comme auteur, la proposition de loi n° 416, je vais maintenant prendre part à la discussion au nom de mon groupe.
Il me semble important que nos échanges ne cèdent pas à la confusion. J’ai écouté attentivement Mme la rapporteur, laquelle, par un exposé assez précis, a justifié notre choix de légiférer sur ce sujet. Contrairement à M. Jean-Pierre Leleux, elle n’a pas considéré que la régulation se faisait « de façon naturelle ».
Le débat apparaît donc nécessaire, et j’entends la différence d’appréciation de ces propositions de loi entre, d’une part, les propos de Mme la rapporteur et, d’autre part, les déclarations tenues devant nous par certains patrons de presse et de médias et relayées presque exactement par M. Leleux.
La régulation naturelle n’existe pas et en matière de droit et d’indépendance de la presse et des médias, il n’a jamais été question de s’en remettre à cela.
Nous posons des droits, des règles et des principes, qui doivent précisément permettre une régulation qui ne soit pas naturelle et sauvage. Il ne s’agit pas, ici, de l’audiovisuel public, mais de groupes privés, au sein desquels les rapports de force sont clairs : ceux qui possèdent décident. S’agissant d’information, la définition de protections apparaît donc nécessaire.
Nous échangeons avec Mme la rapporteur à propos des précisions qu’il reste à apporter sur plusieurs sujets. Nous ne formulons sans doute pas les choses de la même manière, mais le débat porte sur le rôle du CSA, sur la désignation, la composition ou le champ d’action des comités indépendants d’éthique ou de déontologie, voire sur le regard que doit porter sur eux le CSA.
Il en va de même des chartes, à propos desquelles nous devons éviter toute confusion. Je soutiendrai ici que celles-ci ne pourront pas être des chartes maison déconnectées des principes généraux de la profession. Nous devons, à ce sujet, tenir compte des propos tenus par Pierre Laurent. Toutefois, la référence à des textes infralégislatifs qui n’offrent peut-être pas la stabilité juridique nécessaire ne me semble pas idoine pour fixer des principes généraux.
Tous ces débats sont légitimes. Comme nous légiférons sans doute un peu trop rapidement, je ne suis pas toujours certain de défendre la meilleure position. Pour cette raison, un de nos amendements vise, sinon à mettre en place une clause de revoyure, au moins à permettre au Parlement, ensuite, d’observer le fonctionnement des mesures adoptées et de juger de leur justesse ou de la nécessité de les compléter. Personne ne saurait affirmer aujourd’hui que ses choix sont les bons. Nous devons nous efforcer d’établir ces garde-fous.
Un autre débat est lancé par M. Leleux, lequel affirme qu’il ne s’agirait ici que d’embêter des entreprises déjà confrontées à des difficultés, plutôt que de leur venir en aide.
Franchement, je ne connais pas une entreprise de médias ou de presse qui, au vu de son capital ou de ses moyens propres, puisse se dire maltraitée par les pouvoirs publics, notamment en matière d’aide financière. Suivez mon regard ! Il conviendrait plutôt de remercier l’État de son aide, y compris en matière de distribution. L’implication de l’État au service de la défense de ce pluralisme doit être saluée.
Pour terminer, j’ajoute un élément que je compte introduire par amendement, relatif aux reventes spéculatives de fréquences. Mme Catherine Morin-Desailly avait introduit dans la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques, après un vote unanime du Sénat, la taxation à 20 % des plus-values tirées de ces opérations, afin de produire un effet dissuasif. Il y a longtemps, j’avais proposé 5 %, sans rencontrer l’unanimité ; elle se fait aujourd’hui sur 20 %, je suis pour !
Le CSA a ensuite réagi conformément aux souhaits de Mme Morin-Desailly à la vente spéculative de la chaîne Numéro 23. Le Conseil d’État a cassé cette décision. Je défendrai un amendement tendant à donner au CSA les moyens d’exercer sa mission sans être entravé, en soumettant les attributions de fréquences à une période probatoire. Cela permettra de s’assurer, après deux ans et demi, que les engagements pris sont tenus. Je m’en expliquerai.
À mon sens, nous devons être capables de légiférer en répondant aux situations concrètes qui s’imposent à nous. Nous avions unanimement considéré que les reventes spéculatives de fréquences étaient néfastes à la démocratie ; la situation actuelle constitue pour nous un véritable camouflet.
Mme la présidente. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Patricia Morhet-Richaud. Madame la présidente, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mes chers collègues, nous sommes réunis aujourd’hui pour examiner conjointement une proposition de loi émanant de l’Assemblée nationale visant à renforcer l’indépendance et le pluralisme des médias et une proposition de loi relative à l’indépendance des rédactions, à l’initiative de nos collègues du groupe socialiste et républicain.
Faudrait-il voir dans ce tir croisé de nos collègues de la majorité gouvernementale la réponse à un danger réel menaçant la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias en France ?
Il est vrai que l’émergence de nouveaux groupes de presse et les prises de participation dans les médias doivent nous conduire à une grande vigilance pour préserver la liberté de l’information et la liberté d’expression, lesquelles constituent les fondements de toute démocratie.
Comme beaucoup de mes collègues, je n’ai pas constaté de raréfaction de l’information, bien au contraire. Nous avons, en France, la chance de pouvoir accéder à une multitude d’informations grâce à la pluralité des supports : radio, télévision, presse écrite ou encore internet.
Il est vrai que l’accès à internet ne garantit pas d’avoir affaire à une information vérifiée par des journalistes ayant, d’une part, identifié la source et, d’autre part, recoupé les faits. Mais il s’agit également d’un formidable moyen de faire circuler l’information.
Il convient donc de garantir qu’un véritable travail de journaliste a été effectué en amont. Il doit être indépendant et sa ligne éditoriale ne doit pas être dictée par un intérêt quelconque, d’ordre personnel ou professionnel, comme le souci de ne pas déplaire à certains annonceurs.
Nous sommes réunis pour débattre de ce texte, mais je me demande si l’indépendance éditoriale de l’audiovisuel français est menacée au point de vouloir accorder au CSA plus de pouvoirs et lui conférer un rôle supplémentaire de veille sur les bonnes pratiques.
Je ne sais pas ce qu’il en est pour vous, mais moi, après la diffusion hier soir du magazine Cash investigation consacré aux « Panama papers », je ne n’ai pas le sentiment qu’il existe une véritable connivence entre le monde des affaires et le monde des médias !
M. David Assouline. Évidemment, cette émission était diffusée sur l’audiovisuel public, pas sur BFM TV ! Vous ne savez pas de quoi vous parlez !
Mme Patricia Morhet-Richaud. La régulation exercée par le CSA semble plutôt bien fonctionner et je m’étonne de la volonté de nos collègues de vouloir légiférer, ou tout au moins de vouloir le faire dans la précipitation.
Nos concitoyens entretiennent certes à l’égard des médias, comme envers les politiques, d’ailleurs, une grande méfiance. La question de l’indépendance et de l’honnêteté de l’information mérite donc d’être posée, mais certainement pas dans le cadre d’une procédure accélérée ! Elle nécessite un large débat public tenant compte de tous ses aspects, au-delà du seul respect de l’indépendance éditoriale, du pluralisme des opinions ou du contrôle déontologique.
Je me félicite d’ailleurs de l’important travail réalisé en commission par nos collègues et en particulier par notre rapporteur Catherine Morin-Desailly.
Comme un certain nombre de sénateurs, j’ai été saisie par des entreprises de presse locales publiant des annonces légales. Je suis, pour ma part, favorable au maintien de l’obligation de ces publicités dans la presse papier, car ces supports sont encore très lus et attendus dans nos territoires ruraux et de nombreux emplois sont concernés. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions. – Mme Françoise Gatel et M. Jean-François Longeot applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.
M. David Assouline. Tous les courants du parti sont présents, on sent que la primaire approche !
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, permettez-moi de féliciter en premier lieu notre collègue Catherine Morin-Desailly pour sa rigueur et son travail, effectué au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. (Bravo ! et applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et sur les travées de l’UDI-UC.)
Nous aurions facilement pu rejeter ce texte, lequel, je le rappelle, est une loi de circonstances, au caractère démagogique.
M. David Assouline. Ah bon ?
Mme Nicole Duranton. Le texte a été amendé afin, notamment, d’en supprimer les principales contraintes imposées aux sociétés de presse ou audiovisuelles. Je salue également le travail de mon collègue Hugues Portelli concernant la protection des sources des journalistes. Il a fait adopter plusieurs amendements visant à assurer le respect des enquêtes et de l’instruction, et, plus largement, de l’intérêt public.
La liberté d’information, l’indépendance vis-à-vis du pouvoir politique et le pluralisme sont intimement liés à la démocratie et sont, évidemment, indispensables à la vitalité de nos débats.
Force est pourtant de constater que cette proposition de loi telle qu’elle avait été rédigée posait davantage de questions qu’elle ne résolvait les problèmes dénoncés.
Mme Isabelle Debré. Eh oui !
Mme Nicole Duranton. De plus, nous savons tous que les textes de circonstances et la précipitation débouchent rarement sur de bonnes lois.
M. Michel Savin. Bien sûr !
Mme Isabelle Debré. Tout à fait !
M. David Assouline. Alors, votez contre !
Mme Nicole Duranton. J’en veux pour preuve la méthode douteuse consistant à confier au Conseil supérieur de l’audiovisuel une nouvelle mission : garantir « l’honnêteté, l’indépendance et le pluralisme de l’information et des programmes ». Le procédé est douteux, puisqu’il est tout de même permis d’émettre des réserves sur l’indépendance du CSA en raison, notamment, des modalités de nomination de son président, par le président de la République, sans aucune exigence de compétences !
M. David Assouline. Comment cela ? Parlons-en !
Mme Nicole Duranton. De plus, le CSA éprouve déjà des difficultés à s’acquitter de ses missions traditionnelles, à savoir veiller au respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion.
La commission de la culture a restreint les pouvoirs exorbitants conférés par l’article 2 au CSA. Elle a supprimé le pouvoir du CSA d’adapter les conventions qu’il conclut avec les éditeurs de services de télévision ou de radio, pour assurer le respect des principes de pluralisme, d’honnêteté et d’indépendance de l’information et des programmes.
Le 23 mars dernier, Olivier Schrameck, président du CSA, nous a clairement indiqué que le Conseil n’avait jamais demandé de modifications législatives.
La liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias, pour reprendre l’intitulé de cette proposition de loi, seraient-ils menacés en France ? Est-il urgent de légiférer, de surcroît en procédure accélérée, sans nous donner le temps de la concertation ni de l’étude d’impact ?
Il est vrai que notre pays a mis énormément de temps à prendre conscience des bouleversements que représentent le développement d’une presse gratuite, la révolution du numérique, l’apparition des réseaux sociaux, etc. Tout cela a changé les usages de nos concitoyens et, surtout, a remis en cause le modèle économique des médias traditionnels.
Je doute que cette proposition de loi soit à la hauteur des enjeux qui intéressent les médias aujourd’hui (M. David Assouline s’exclame.), même si certains dispositifs me paraissent utiles. Ce texte permettra-t-il de garantir l’indépendance et le pluralisme des médias ? Aujourd’hui, l’enjeu réside surtout dans la survie des entreprises de presse et d’audiovisuel face aux géants d’internet que sont Google ou Facebook.
Permettez-moi de rappeler également le contexte dans lequel nous avons dû examiner cette proposition de loi : quatre semaines après le vote à l’Assemblée, en procédure accélérée, alors que le nombre d’articles avait doublé. Ces conditions ne permettent pas un travail de fond sérieux au regard des enjeux que j’ai indiqués précédemment.
C’est pourquoi je félicite notre rapporteur qui, par ses amendements, a réussi à définir un socle de principes applicables aux groupes audiovisuels et aux entreprises de presse. Ses amendements préservent la liberté éditoriale, l’indépendance des journalistes vis-à-vis du CSA et le rôle de régulateur que celui-ci doit jouer. Comme à chaque fois, la majorité sénatoriale travaille dans un esprit constructif et l’examen de cette proposition de loi en est un exemple, je tenais à le rappeler. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et au banc des commissions. – MM. Claude Kern et Philippe Bonnecarrère applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Audrey Azoulay, ministre. Je reviendrai sur certains des points qui viennent d’être abordés.
Tout d’abord, l’opposition entre viabilité économique et indépendance de la presse me semble fallacieuse. À mon sens, l’une nourrit l’autre. Mesdames, messieurs les sénateurs, en restaurant, par cette proposition de loi, la confiance du public dans les médias, vous participerez au renforcement de la viabilité économique des titres de presse. Les chiffres cités par plusieurs intervenants, notamment Mme la rapporteur, montrent que c’est nécessaire.
Néanmoins, et vous l’avez évoqué, l’enjeu du partage de la valeur et du modèle économique de la presse et de l’audiovisuel constitue un véritable débat – un débat complémentaire – auquel le Gouvernement participe pleinement, notamment à Bruxelles, dans ses discussions avec la Commission européenne. On assiste depuis une quinzaine d’années, avec le développement des plateformes numériques – plusieurs d’entre vous ont souligné le rôle de ces dernières dans la distribution de l’information –, à un phénomène de monétisation de l’information par les géants du numérique, au détriment de ceux qui la produisent.
Nous avons l’impression que l’information est partout et qu’elle est gratuite. En réalité, ceux qui la produisent en tirent moins de bénéfices, ce qui entraîne une fragilisation économique de la presse dans son ensemble, alors que l’on a l’illusion d’une profusion de l’information, point qui a également été relevé, notamment par Sylvie Robert.
En renforçant les capacités d’investigation et d’approfondissement des sujets de la presse, nous renforçons le travail d’information au détriment de sa prolifération illusoire et de la fragilisation économique du secteur.
Nous aurons l’occasion de revenir à la question du secret des sources. M. Portelli a évoqué l’égalité de tous les citoyens devant la loi, pour s’étonner que les journalistes jouissent de droits spécifiques, liés à l’exercice de leur métier. Il s’agit pourtant d’un mécanisme bien connu : en témoignent le droit au secret médical, le droit des avocats au secret dans leurs rapports avec leurs clients, qui protègent la démocratie. C’est pourquoi il existe un droit spécifique à la protection du secret des sources, au service de l’intérêt général. Cet argument ne me semble donc pas devoir prospérer.
Sur la conciliation du secret des sources et des exigences de la sécurité nationale, qui a également été évoquée, la proposition du Gouvernement – largement reprise par l’Assemblée nationale – visait justement à concilier les impératifs de la sécurité publique et la nécessité de protéger les sources des journalistes.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous connaissez les insuffisances de la loi du 4 janvier 2010 relative à la protection du secret des sources des journalistes, à laquelle vous souhaitez revenir. Vous avez ainsi évoqué le recel de la violation du secret de l’instruction, auquel, à mon sens, la loi n’apporte pas une réponse satisfaisante.
Il importe en effet de préciser que le secret des sources est protégé uniquement dans le cas où ce recel a pour but l’intérêt général. L’exemple particulièrement scabreux qui a été cité ne me semble pas répondre à cette exigence. Les journalistes ne sont ni hors sol ni hors-la-loi, mais ils ont droit à une protection particulière, lorsqu’ils défendent l’intérêt général.
Sur ce sujet, j’appelle votre attention sur la notion d’impératif prépondérant d’intérêt public, que vous avez citée et qui me semble assez floue. Elle est utilisée, c’est vrai, par la Cour européenne des droits de l’homme, mais le Conseil d’État, consulté sur le texte que nous avons élaboré en 2013 et qui est resté en suspens depuis, a validé, dans la nouvelle proposition qui vous est soumise, la nécessité que soit établie une liste précise des cas où l’impératif prépondérant d’intérêt public peut être invoqué, afin de mieux les encadrer. On aura ainsi la possibilité de savoir précisément ce que cela recouvre.
Cette liste a été dressée et le Gouvernement a choisi d’inclure dans ces infractions les délits prévus par les titres I, « Des atteintes aux intérêts fondamentaux de la Nation », et II, « Du terrorisme », du livre IV du code pénal, en stricte conformité avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et les recommandations du Conseil d'État du mois de juin 2013.
Enfin, nous vous proposerons de rétablir le statut particulier des lanceurs d’alerte – question évoquée par Mme Jouve –, réservé aux personnes qui confient aux journalistes des faits tenus secrets méritant d’être portés à la connaissance du public. Cela s’inscrit dans un mouvement d’ensemble de protection des lanceurs d’alerte, puisque le projet de loi dit « Sapin II » prévoit également de les protéger quand cela concerne des matières financières. Cela me semble parfaitement utile à nos démocraties et nous savons qu’un certain nombre de pays ont pris des dispositions en ce sens. (M. David Assouline applaudit.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Madame la ministre, mes chers collègues, je vous rappelle que la présente proposition de loi a été inscrite par la conférence des présidents dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe socialiste et républicain pour une durée de quatre heures, c'est-à-dire, compte tenu des rappels au règlement et de la brève suspension de séance intervenue tout à l’heure, jusqu’à dix-huit heures quarante-cinq.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
proposition de loi visant à renforcer la liberté, l’indépendance et le pluralisme des médias
Article 1er
Après l’article 2 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, il est inséré un article 2 bis ainsi rédigé :
« Art. 2 bis. – Tout journaliste, au sens du 1° du I de l’article 2, a le droit de refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources et de refuser de signer un article, une émission, une partie d’émission ou une contribution dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté. Il ne peut être contraint à accepter un acte contraire à la charte déontologique de son entreprise ou de sa société éditrice.
« Toute convention ou tout contrat de travail signé entre un journaliste professionnel et une entreprise ou une société éditrice de presse ou de communication audiovisuelle entraîne l’adhésion à la charte déontologique de l’entreprise ou de la société éditrice.
« Les entreprises ou sociétés éditrices de presse ou audiovisuelles qui en sont dénuées se dotent d’une charte déontologique avant le 1er juillet 2017. Pour les entreprises ou sociétés éditrices audiovisuelles, le comité institué à l’article 30-8 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication est consulté dans le cadre de l’élaboration de la charte. »
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur. En introduction à l’article 1er, je souhaite apporter quelques précisions utiles à notre réflexion. Je rappellerai tout d’abord les deux principes qui ont présidé à nos travaux et conduit la commission à apporter plusieurs modifications d’importance à cet article, lorsque, la semaine dernière, elle a établi le texte sur lequel nous nous prononçons aujourd’hui.
Le premier principe est l’exigence de clarté et d’intelligibilité de la loi. Dans ce cadre, si la commission partage la volonté de l’auteur de la proposition de loi de voir les journalistes bénéficier des garanties nécessaires au libre exercice de leur profession, elle s’est interrogée sur la pertinence d’une partie du dispositif proposé.
Si elle a bien retenu le principe du droit d’opposition des journalistes – contrairement à ce que vous avez peut-être compris, madame Jouve –, elle s’est prononcée contre l’introduction, dans la loi fondatrice du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, de la notion d’« intime conviction professionnelle », dont la subjectivité, alors même qu’elle fonde un droit nouveau, pose réellement question. Sa constitutionnalité même est douteuse, car l’absence de définition de cette notion rend manifeste l’incompétence négative du législateur à son endroit et, partant, l’établit en contrariété avec l’article 34 de la Constitution. Le Conseil constitutionnel, en effet, se montre traditionnellement attentif à ce que le législateur épuise sa compétence pour fixer les conditions d’exercice d’une liberté, en particulier lorsqu’elle entre dans le champ de la liberté d’expression.
Or, à la différence de la clause de conscience et de la clause de cession, dont les conditions d’application sont parfaitement définies par le code du travail, l’intime conviction professionnelle du journaliste s’apparente plutôt à un droit moral, par nature difficile à encadrer.
Le second principe est celui de la recherche de l’efficacité des dispositions votées et, en l’espèce, de leur cohérence avec la réalité du fonctionnement des entreprises de presse et audiovisuelles.
La généralisation des chartes déontologiques à l’ensemble des entreprises de presse représente ainsi une avancée significative, réclamée de longue date par le Syndicat national des journalistes.
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Catherine Morin-Desailly, rapporteur. Si de grands textes nationaux ont progressivement émergé, ces chartes déontologiques sont loin d’être systématiques à l’échelle de l’entreprise.
Néanmoins, l’échec de la généralisation de ces chartes comme de l’élaboration d’un texte unique envisagée par les états généraux de la presse écrite de 2009 plaide, par réalisme, pour des chartes d’entreprise ou de groupe. Je réponds donc par anticipation à mes collègues qui souhaiteraient une charte unique.
Selon le même principe d’efficacité, j’ai proposé à notre commission de laisser les modalités d’élaboration de la charte s’adapter à la réalité de l’entreprise.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, sur l'article.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je remercie mes collègues, M. Assouline et Mme Robert entre autres, d’avoir inscrit ce texte dans le temps réservé au groupe socialiste et républicain.
Aux termes de l’article 1er, « tout journaliste […] a le droit de refuser toute pression, de refuser de divulguer ses sources ». En outre, il ne peut se voir contraint de signer une contribution avec laquelle il serait en désaccord.
Cet article pose des principes fondamentaux qui sont ensuite illustrés dans le texte. L’article 1er ter précise notamment que toute personne exerçant la profession de journaliste ou des fonctions de direction de la publication ou de la rédaction au sein des entreprises de presse est protégée au titre du secret des sources. Ce point est très important.
De même, il est essentiel que soit écrit noir sur blanc qu’il ne peut être porté atteinte au secret des sources seulement si cette atteinte est justifiée, soit par la prévention et la répression d’un crime, soit par la prévention d’un délit par ailleurs défini.
Mes chers collègues, il s’agit là des fondements de la démocratie. Je regrette que les débats auxquels j’assiste depuis plusieurs années dans cet hémicycle n’aient pas été conclusifs et n’aient pas affirmé ces fondements.
Nous ne parviendrons malheureusement pas à terminer l’examen de ce texte aujourd'hui. Or il est grand temps, il est plus que temps d’adopter enfin un texte sur le sujet.
C’est pourquoi je me réjouis d’avoir entendu dire – peut-être le confirmerez-vous, madame la ministre – que le Gouvernement prendrait des dispositions pour que les textes de cette nature qui sont venus devant le Sénat ou devant l’Assemblée nationale puissent aller à leur terme. Il s’agit d’un engagement du Président de la République et il serait vraiment incompréhensible que la protection du secret des sources des journalistes ne fût pas inscrite le plus vite possible dans notre législation.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 34 rectifié, présenté par Mme Jouve, MM. Amiel, Barbier, Collombat et Guérini, Mme Laborde et M. Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 2, seconde phrase
Après les mots :
contraire à
insérer les mots :
son intime conviction professionnelle formée dans le respect de
La parole est à Mme Mireille Jouve.
Mme Mireille Jouve. Madame le rapporteur, je crois avoir compris le sens de l’article 1er et je pense que l’amendement que je m’apprête à défendre, relatif à l’intime conviction, est important.
Cet amendement vise en effet à rétablir la notion d’intime conviction professionnelle que le journaliste peut opposer à sa direction pour refuser toute pression ou refuser de signer un article, une émission ou une contribution dont la forme ou le contenu auraient été modifiés à son insu ou contre sa volonté.
J’ai entendu en commission les craintes de contentieux que pourrait faire peser cette mesure. Or une telle disposition existe pour les journalistes de l’audiovisuel public depuis près de trente ans et n’a donné lieu à aucun contentieux. En outre, en 2009, la majorité précédente a conféré une valeur législative à cette notion pour tous les journalistes de l’audiovisuel public. Pourquoi une mesure qui serait juste pour les journalistes de l’audiovisuel public ne le serait-elle pas pour tous les autres ?
Par ailleurs, le débat sur la légitimité de cette notion qui a eu lieu à l’Assemblée nationale a conduit à asseoir cette intime conviction professionnelle sur des fondements déontologiques issus de la charte de l’entreprise, donc sur des principes clairs et précis.
La notion d’intime conviction professionnelle fonde à mon sens la responsabilité du journaliste dans l’exercice de sa profession et le respect dont celle-ci doit faire l’objet.