M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le secrétaire d’État, je n’avais pas l’intention de prendre la parole, jusqu’à ce que j’entende plusieurs de mes collègues, notamment MM. Allizard et Sutour, faire allusion aux problèmes des sanctions relatives à la Russie, liés à l’affaire de Crimée et d’Ukraine.
À ces questions, vous avez apporté votre réponse habituelle : la suspension des sanctions dépendra de la mise en œuvre des accords de Minsk. Toutefois, quelques explications complémentaires me semblent nécessaires, compte tenu de la situation actuelle de l’Ukraine et des conséquences des sanctions décidées.
Je peux l’affirmer, car j’en ai été le témoin : la France, notamment grâce au Président de la République, a été l’un des principaux acteurs des accords de Minsk. Le chef de l’État a fait preuve d’énergie, en se rendant à Astana, puis auprès de Vladimir Poutine. En outre, la détermination de la France s’est confirmée au cours du Conseil européen de l’hiver 2015 : la ligne directrice traduite par les accords de Minsk a été imposée par la France. On a prétendu que Mme Merkel l’avait fixée ; en fait, c’est notre pays, et Mme Merkel a suivi.
Des sanctions ont été adoptées. Elles sont sévères et, on l’observe clairement, elles affectent davantage les Européens que les Russes. Plusieurs orateurs ont évoqué les conséquences de ces mesures, notamment en matière agricole.
Or manifestement la France semble avoir perdu toute énergie pour se battre s’agissant de ces sanctions.
Le ministre de l’agriculture, qui est aussi le porte-parole du Gouvernement, demande, lui, leur suppression. Or, de votre côté, en tant que secrétaire d’État chargé des affaires européennes, accompagnant le Président de la République au Conseil européen, vous déclarez attendre l’application des accords de Minsk.
On le sait très bien : pour leur part, les Russes en ont assez de cette situation, ils n’ont plus envie de cette affaire du Donbass. Le blocage actuel vient de l’affaiblissement du pouvoir ukrainien, qui ne respecte pas les conditions précédemment fixées, notamment l’instauration, par le biais d’un vote, de structures fédérales pour certaines régions.
Parallèlement, on le sait très bien également, les Américains se montrent très combattifs… pour faire traîner les choses.
En face, on a l’impression que la France, alors qu’elle était véritablement en pointe s’agissant des accords de Minsk, se tient désormais en retrait. Elle se laisse un peu dominer par les États baltes, par la Pologne, par les Américains, et n’ose pas affirmer une position forte dans cette affaire.
Je remercie donc le ministre de l’agriculture, porte-parole du Gouvernement, d’avoir dit qu’il fallait mettre fin à ces sanctions. En revanche, nous n’avons pas l’impression que ni vous ni le Président de la République n’appuyiez son discours…
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, votre question ne m’étonne pas. Comme vous l’avez dit, je suis amenée à faire souvent la même réponse, sans doute parce que l’on me pose souvent la même question ! (Sourires.) Mais votre question étant aujourd’hui formulée de façon un peu différente, je répondrai sur les éléments nouveaux que vous avez soulevés.
Je rappelle d’abord que le ministre de l’agriculture a demandé à la Russie la levée des sanctions sanitaires, lesquelles n’ont pas de lien avec l’affaire ukrainienne, l’annexion de la Crimée ou la mise en œuvre des accords de Minsk. Ces restrictions commerciales ont été prises par la Russie avant ces évènements pour faire face à l’épidémie de peste porcine qui touchait certains États membres de l’Union européenne, mais non la majorité d’entre eux, en tout cas pas la France.
C’est vrai qu’il y a là un sujet de discussion. Nous considérons qu’il serait justifié que la Commission européenne plaide, tout comme nous, auprès de la Russie en faveur de la levée des restrictions pour les pays qui ne sont pas concernés par ce problème sanitaire.
Le ministre de l’agriculture, qui est également, vous l’avez rappelé, le porte-parole du Gouvernement, est bien évidemment totalement solidaire de la position de ce dernier s’agissant des sanctions sectorielles prises par l’Union européenne à la suite de l’annexion de la Crimée et de la situation dans l’est de la Russie.
Notre position est également celle de l’Europe, et elle est liée aux négociations qui ont lieu sur la mise en œuvre des accords de Minsk. Et là, vous ne pouvez pas dire que nous sommes en retrait ! La France et l’Allemagne représentent aujourd’hui la communauté internationale dans les discussions avec la Russie et l’Ukraine. L’Union européenne soutient l’action de nos deux États dans le cadre du format Normandie. Une réunion s’est tenue à Paris le 3 mars dernier, sur l’initiative du ministre des affaires étrangères, Jean-Marc Ayrault.
Pour mémoire, je rappelle que l’on parle du « format Normandie » parce que sa première réunion a eu lieu sur l’initiative du Président de la République François Hollande, en Normandie, lors de la célébration du soixante-dixième anniversaire du débarquement, manifestations auxquelles ont assisté le président Poutine, le président Porochenko et la chancelière Merkel.
C’est donc sur proposition de la France que cette négociation a lieu. Elle est la seule voie diplomatique pour mettre fin au conflit entre l’Ukraine et son voisin la Russie.
Nous avons effectivement lié, avec l’accord des autres États membres de l’Union européenne, la levée des sanctions à la mise en œuvre des engagements pris par les deux parties, l’Ukraine et la Russie, dans le cadre des accords de Minsk. Notre objectif est, je le répète, de faire respecter ces accords afin que les sanctions puissent être levées.
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. J’aborderai pour ma part un sujet d’ordre plus général.
Je suis européen depuis toujours, et je le reste, car l’Europe a apporté la paix ces dernières décennies ; elle a soutenu nos échanges commerciaux, nous a garanti plus de sécurité grâce à Schengen et nous a permis de peser face aux géants économiques de la planète, sans parler de l’apport très important que fut l’euro pour certains États.
Mais l’Europe, c’est aussi aujourd’hui bien des situations que je regrette et qui m’attristent : Schengen explose de toutes parts ; il n’y a pas de politique européenne pour les migrants ; le Brexit est un véritable sujet d’inquiétude pour l’avenir. Je pense aussi à la cacophonie face aux problèmes agricoles – j’ose espérer que les résultats obtenus hier auront des répercussions concrètes – ; à l’absence de politique identique s’agissant des travailleurs détachés – on sait combien cela coûte à notre économie –, à l’absence aussi de politique européenne face à Daech, en Syrie ou en Libye, sans oublier l’opacité totale des négociations commerciales entre l’Europe et les États-Unis.
Tous ces sujets interpellent nos concitoyens. Certes, la situation n’est pas facile, mais, vous qui êtes chargé des affaires européennes à l’heure où l’Europe se délite de toutes parts, comme je viens de le montrer et comme l’ont relevé plusieurs de mes collègues, pensez-vous, monsieur le secrétaire d’État, que la France a vraiment joué ces dernières années le rôle qu’elle a assumé au cours des dernières décennies grâce à son poids politique et à sa diplomatie ? Pensez-vous que nos concitoyens seront encore européens lors des prochaines échéances électorales, plus particulièrement au moment des élections européennes ? J’en doute, je le regrette et je le crains, pour mon pays et pour l’Europe !
M. le président. La parole est à M. Harlem Désir, secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur Bailly, ma conviction est que l’Europe est plus que jamais nécessaire. Vous avez affirmé être un européen convaincu et vous avez décrit très justement l’ensemble des crises auxquelles l’Union est confrontée et auxquelles elle doit apporter des réponses.
Le fait est que l’Union européenne n’était pas préparée à faire face à des urgences ayant trait à la sécurité collective, qu’il s’agisse de la crise des réfugiés, du terrorisme ou du contrôle de ses frontières. Or ce sont ces défis qu’elle doit relever aujourd’hui.
L’Europe est démunie parce qu’elle ne s’est pas construite autour de ces questions. Pourtant, c’est là aujourd’hui que se joue en grande partie sa crédibilité aux yeux des citoyens. Chacun comprend qu’il ne peut pas y avoir vingt-huit réponses différentes à la crise syrienne et à la question des réfugiés. Les réponses unilatérales, nationales, ne font que reporter les problèmes d’un pays à l’autre et aggraver la situation.
L’Europe doit donc apporter des réponses collectives dans des domaines dans lesquels, jusqu’à présent, il n’y avait pas forcément de compétence européenne, de budget européen ou d’expérience européenne. Dans le même temps, elle doit aussi faire mieux fonctionner des secteurs dans lesquels il existe une politique européenne depuis longtemps, mais qui n’est pas aujourd'hui à la hauteur de la situation.
Vous avez ainsi évoqué le cas des travailleurs détachés : nous avons un marché intérieur, mais pas d’harmonisation sociale et fiscale !
Nous évoquions précédemment la fiscalité, les recommandations de la Commission, l’examen de la situation de la zone euro, l’insuffisance de notre croissance. Nous avons certes une politique monétaire très volontariste grâce à la Banque centrale européenne et à Mario Draghi, mais il faut soutenir les investissements de manière plus importante. Nous venons à peine de mettre en œuvre le plan Juncker ; nous aurons probablement besoin d’autres outils financiers pour soutenir les investissements.
Face à ces défis, il ne faut pas se laisser aller à l'autoflagellation ou renoncer, au motif que nous sommes vingt-huit, que nous avons des points de vue très différents ou qu’un État risque de sortir de l’Union. Des risques existent, c’est vrai, et, si nous n’agissons pas, ils peuvent entraîner une dislocation de l’Union européenne.
Mais nous ne choisissons pas ces crises, ni le moment auquel elles surviennent, et elles ne dépendent pas que de l’Europe, car nombre d’entre elles viennent de l’extérieur, même si certaines tiennent à nos insuffisances dans nos propres dispositifs, par exemple, à l’intérieur de la zone euro, comme nous l’avons vu l’été dernier avec la Grèce.
Notre devoir, le devoir de la France est d’apporter des réponses. C’est ce que nous faisons avec nos partenaires lorsque nous proposons d’aller de l’avant, qu’il s’agisse des pays fondateurs, l’Allemagne ou l’Italie, lesquels sont évidemment les plus attachés au projet européen, ou de ceux ayant rejoint l’Union européenne par la suite – je pense à l’Espagne, au Portugal et à tous les États membres de la zone euro.
Demain, il existera peut-être une Europe différenciée, car certains pays ne veulent sans doute pas approfondir autant que nous le souhaitons le projet européen. À vingt-huit, il faudra continuer de mener des politiques importantes dans les domaines de l’énergie et du climat, de l’immigration, etc. Mais la réponse des pays les plus attachés au projet européen, comme nous le sommes, vous et moi, monsieur le sénateur, est d’aller encore plus loin, d’aller encore plus vite. C’est le sens des efforts que nous déployons dans tous les domaines que vous avez cités.
M. le président. La parole est à M. Daniel Gremillet.
M. Daniel Gremillet. Monsieur le secrétaire d'État, vous avez souligné les avancées intervenues, notamment en début de semaine, s’agissant de la prise en considération par la Commission européenne de la crise agricole.
Pour la première fois, effectivement, le commissaire européen reconnaît l’état de crise dans lequel se trouve l’agriculture européenne. Néanmoins, il faut être très vigilant concernant les décisions qui ont été prises. Votre propos pourrait laisser penser que le travail est fini. Or il ne fait que commencer. Si la situation de crise est aujourd’hui prise en compte, rien n’a été dit, par exemple, sur l’organisation de la réduction des volumes dans le secteur laitier.
Je rappelle que, à ce jour, la seule décision qui a été prise a été de permettre à des entreprises de conclure des accords volontaires de gestion, c'est-à-dire des ententes sur des diminutions de volumes. Or l’expérience a montré, à la suite notamment de la fermeture des frontières avec la Russie, que la France était plus exposée que d’autres pays exportant beaucoup vers la Russie, tout simplement parce que notre agriculture connaît des problèmes de compétitivité. Des volumes très importants de produits laitiers en provenance d’Allemagne sont arrivés sur le marché, y compris sur le marché national. Les chiffres sont d’ailleurs assez inquiétants : les exportations communautaires de produits laitiers sont en baisse de 50 millions d’euros, alors que les importations de ces mêmes produits connaissent une hausse de plus de 58 millions d’euros…
Je le répète, monsieur le secrétaire d'État, il faut être très vigilant.
Par ailleurs, il n’y a pas d’accord non plus sur l’utilisation des 440 millions d’euros gérés à l’échelon communautaire pour faire face aux crises. Là non plus, rien n’est dit, et tout reste à faire.
Enfin, je me réjouis de la décision concernant l’étiquetage des produits laitiers et des produits carnés, qui fait l’objet de l’article 3 de la proposition de loi dont j’ai l’honneur d’être le rapporteur.
Monsieur le secrétaire d'État, encore une fois, soyons vigilants, car, si nous avons remporté une première bataille, le plus dur reste à faire !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Monsieur le sénateur, vous avez raison, nous allons maintenant devoir veiller au suivi de la mise en œuvre de l’accord auxquels nous sommes parvenus lors du conseil Agriculture et pêche du 14 mars.
Sur le suivi, nous discuterons de la situation des marchés et de la mise en œuvre des mesures lors du comité spécial Agriculture. Des points d’information sont prévus lors des prochaines sessions du conseil Agriculture et pêche les 11 et 12 avril prochain, peut-être également le 10 mai. Enfin, une nouvelle discussion complète est prévue lors du conseil Agriculture des 27 et 28 juin, voire plus tôt si la situation l’exige.
Nous sommes tout à fait d’accord avec vous, il va falloir maintenant veiller à ce que les dispositions prises soient suivies d’effet et permettent de gérer l’évolution des marchés. On ne peut pas considérer que le problème est réglé simplement parce qu’un accord a été obtenu lors d’une réunion des ministres de l’agriculture.
L’accord obtenu pose des bases, permet de prendre des décisions et d’activer les articles pertinents des traités afin de mettre en œuvre cette gestion des marchés, d’obtenir une baisse de la production et une remontée des prix, et, pour la France, de mettre en œuvre l’étiquetage des produits transformés.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Je tiens de nouveau à vous remercier, monsieur le secrétaire d'État, pour la qualité de nos échanges au cours de cet exercice.
Permettez-moi toutefois d’attirer votre attention sur deux points particuliers : Schengen, d’une part, le semestre européen et le conseil Agriculture et pêche de lundi dernier, d’autre part.
Je rappelle que Schengen reste malgré tout un marqueur essentiel de l’Union et qu’il est très important de le conserver, même s’il n’a pas été spécialement conçu pour faire face à l’afflux des migrants que nous connaissons depuis quelques mois.
Je m’étais permis, lors de la quinzième session de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, à Vienne, de souligner deux points particuliers importants.
J’ai tout d’abord évoqué les sanctions contre les passeurs, lesquels sont aujourd’hui dûment identifiés par les services de renseignement. Or il ne m’a pas semblé que l’Union européenne était très sévère à leur égard. Il est pourtant important de sanctionner les passeurs, car il y va de la lisibilité et de la crédibilité de Schengen auprès de nos concitoyens.
J’ai ensuite évoqué le problème de l’intervention des gardes-frontières dans les États qui se révéleraient défaillants dans la maîtrise des frontières extérieures, car il est bien évident que cela pose un problème de souveraineté. Mais, si l’on veut donner toute sa crédibilité à Schengen et, surtout, à FRONTEX, il faut régler cette question très rapidement.
Le coût d’un rétablissement des frontières intérieures a été souligné, car, dans l’hypothèse où l’on signerait dans quelques années le traité transatlantique, un tel rétablissement serait dramatique pour les flux commerciaux en provenance d’outre-Atlantique.
Par ailleurs, je partage tout à fait les propos de notre collègue Daniel Gremillet concernant le conseil Agriculture et pêche. Au-delà des recommandations qui ont été faites à cette occasion, j’insiste sur le fait que nous devrons, par le biais d’une coopération renforcée, nous engager vers une convergence fiscale. Face aux divergences entre certains États membres, la souplesse que pourrait apporter le projet de loi sur le travail et la diminution des dépenses publiques seraient des éléments essentiels pour parvenir à une convergence, laquelle se ferait au minimum à neuf, comme cela a été le cas pour la taxe sur les transactions financières.
Enfin, je souhaite que l’on mette véritablement l’accent sur le Fonds européen d’investissement stratégique consacré aux problématiques agricoles. Si les filières laitières se sont restructurées pour ce qui est de leurs outils de transformation, c’est loin d’être le cas de la filière « viande rouge », par comparaison avec certains États membres. Si nous devions signer demain le traité transatlantique, cela nous placerait là encore en situation de distorsion de compétitivité et de concurrence.
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat préalable à la réunion du Conseil européen des 17 et 18 mars 2016.
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Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 16 mars 2016, à quatorze heures trente et le soir :
Projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, de protection de la Nation (n° 395, 2015-2016) ;
Rapport de M. Philippe Bas, fait au nom de la commission des lois (n° 447, 2015-2016).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt heures cinquante.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD