Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre, sur l’article.
Mme Audrey Azoulay, ministre. J’évoquais tout à l’heure les points sur lesquels nous pouvions nous retrouver et ceux sur lesquels nous étions un peu éloignés, et c’est le cas de vos propositions sur les abords.
Je tiens à préciser qu’il n’a jamais été question, pour le Gouvernement, de mettre fin à la règle actuelle. L’amendement du Gouvernement le rappelle : nous avons affirmé clairement le maintien de la règle des 500 mètres, mais seulement en l’absence de périmètre délimité.
Il me semble en effet que le périmètre spécifique à chaque monument, proposé et défini par l’architecte des Bâtiments de France, ou ABF, est un atout important qui permet une protection tenant compte des spécificités locales, que l’ABF connaît bien.
Cette disposition permet également de mettre fin à la règle de la covisibilité, qui n’est pas forcément très bien comprise, et qui peut même parfois être vue comme une source de traitement inéquitable.
Vous doutez de la pertinence du périmètre délimité ou du périmètre « intelligent », que nous souhaitons instaurer comme règle de droit commun, et vous souhaitez permettre à la commune ou à l’intercommunalité de choisir entre la règle habituelle des 500 mètres et de la covisibilité, ou le nouveau périmètre délimité.
Ce qui me paraît gênant dans votre proposition, c’est qu’il n’y a plus de règle de droit commun, et il y a potentiellement des conflits pour des monuments historiques qui sont à cheval sur plusieurs territoires ou plusieurs collectivités, qui ne seraient pas forcément d’accord sur la règle à appliquer.
Il me semble donc important de maintenir une règle de droit commun.
La proposition du Gouvernement ne méconnaît pas l’avis des collectivités locales concernées, puisque le nouveau périmètre délimité ne peut être créé qu’avec l’accord de la commune ou de l’intercommunalité.
Telles sont les précisions que je souhaitais porter à la connaissance de la Haute Assemblée avant de commencer le débat sur cet article.
Mme la présidente. La parole est à Mme la rapporteur, sur l’article.
Mme Françoise Férat, rapporteur. Avec l’article 24, nous allons aborder l’une des dispositions phares du projet de loi, mais aussi l’une des plus sujettes à discussion – vous venez de le dire, madame la ministre –, à en juger par le nombre d’amendements déposés : la réforme des espaces protégés.
Il faut bien admettre que la perspective de la fin du délai de transformation des ZPPAUP l’été prochain n’imposait pas, à première vue, une réforme d’une telle ampleur.
Néanmoins, il faut aussi reconnaître que cette réforme apporte une simplification et une clarification tout à fait bienvenues sur plusieurs points, sur lesquels la commission n’a par conséquent pas jugé opportun de revenir. Distinction plus nette entre les protections au titre du code du patrimoine et du code de l’environnement, modernisation et alignement des régimes de travaux, suppression des chevauchements de servitudes d’utilité publique sont autant d’évolutions qui devraient permettre d’apporter de la lisibilité pour nos concitoyens.
La commission s’est efforcée de s’inscrire dans cette logique de simplification, sans remettre en cause le haut niveau de protection du patrimoine de notre législation et en gardant constamment à l’esprit la nécessité de préserver les intérêts des collectivités territoriales. Ces dernières ont largement manifesté leur besoin d’être mieux accompagnées, et c’est à cet effet que nous avons abandonné le recours au PLU au profit d’un document plus proche de celui du règlement des AVAP, renforcé le rôle de la Commission nationale ou rétabli l’élaboration conjointe du plan de sauvegarde et de mise en valeur.
L’article 24 présente aujourd’hui un équilibre entre la nécessaire protection du patrimoine, l’enjeu de simplification et de lisibilité des normes applicables en ce domaine et les intérêts des collectivités territoriales. Je forme l’espoir que nos travaux restent guidés par une même logique et ne viennent pas bouleverser l’équilibre que nous avons atteint, et qui a reçu, madame la ministre, des échos très très positifs.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché, sur l'article.
M. Alain Fouché. Je souhaite simplement attirer l’attention sur la portée des avis dits conformes des architectes des Bâtiments de France, les ABF.
En effet, je pense qu’il devient urgent que le Gouvernement travaille à une réforme du fonctionnement des ABF. Il est un fait que leur pouvoir est prépondérant dans les domaines des permis de construire ou de travaux, un pouvoir bien supérieur à celui des premiers magistrats des communes.
Leurs préconisations doivent naturellement être prises en compte dans les choix et les accords qui sont donnés. Toutefois, je voudrais, comme bon nombre de maires, que cet avis soit non plus conforme, mais seulement consultatif, particulièrement pour les travaux n’ayant qu’un impact limité sur l’aspect extérieur des bâtiments situés dans un périmètre protégé, et souvent non visible, sans compter que les décisions rendues sont très souvent arbitraires et divergentes d’un département à un autre, d’une commune à une autre, comme on peut le voir dans de nombreuses situations, et même entre deux architectes successifs.
Globalement, les maires font face à des tracasseries quotidiennes et permanentes. Au-delà des difficultés financières dues à la baisse des dotations, beaucoup de normes, de contraintes et de freins rendent la gestion communale compliquée. Le Sénat, chambre des communes, est là pour leur rendre la vie plus facile.
Par ailleurs, pour ce qui concerne le choix des entreprises qui interviennent sur ce type de travaux, il est assez limité, car elles doivent répondre à un certain nombre de contraintes souhaitées soit par les ABF, soit par les architectes des monuments historiques. Par conséquent, ce sont très souvent les mêmes entreprises qui bénéficient des chantiers après avoir obtenu le « label » de l’architecte. Il s’agit d’une vraie nébuleuse qui pose question. Sur quels critères sont-elles choisies ? Quelle est la réglementation en la matière ?
Celles qui n’ont pas ce label ne peuvent prétendre à ces travaux.
Il y a donc deux poids, deux mesures, madame la ministre.
Nous devons être pragmatiques dans nos décisions et introduire de la souplesse et de la vérité dans les procédures, en rendant aux maires leur rôle de décideurs en dernier ressort dans leur commune pour certains dossiers.
J’insiste sur les consultations des entreprises car ce sont bien souvent les mêmes entreprises qui tournent. Il y a quelque chose qui n’est pas clair, et il faut véritablement être attentif car les maires sont las de ces tracasseries de tous les jours. Si vous faites un sondage sur ce point, les résultats seront éloquents. (Mme Caroline Cayeux et M. Michel Magras applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, sur l'article.
M. David Assouline. Ce débat démontre clairement l’apport du travail parlementaire et l’écoute du Gouvernement. Sur ce qui a longuement été débattu à l’Assemblée nationale, les choses ont bougé dans un climat d’écoute mutuelle. Au Sénat, sur le fond, la tonalité a été à peu près la même.
Nous sentions déjà une inflexion du Gouvernement : il n’était pas possible de laisser la main aux seules municipalités, avec les risques d’abus ou des décisions dans lesquelles l’État était totalement évincé.
Cet équilibre, nous espérons le retrouver lors de la discussion des amendements. Nous remercions, en tout cas, le Gouvernement d’avoir fait preuve d’ouverture.
Tout à l’heure, à l’issue du débat pour choisir entre « les sites patrimoniaux protégés » et « les cités historiques », divergence d’appellation qui semblait le point de blocage majeur, nous avons salué par des applaudissements la décision prise par Mme la ministre, qui a accepté en séance de retirer son amendement. Elle a ainsi permis au Parlement d’apporter sa contribution à la rédaction du projet de loi.
Cette attitude mérite d’être soulignée, car elle annonce une poursuite de la discussion dans un climat constructif. Nous allons finalement surmonter ce qui paraissait être des points de discorde pour débattre les uns avec les autres, dans l’écoute du Gouvernement, et pour apporter au texte l’enrichissement du travail parlementaire.
Mme la présidente. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, sur l’article.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Nous considérons, au groupe communiste, républicain et citoyen, qu’un bâtiment protégé pour sa qualité architecturale et son importance historique appartient non à la collectivité dans laquelle il se trouve, mais au pays dans son intégralité. C’est pour cette raison que nous déplorons le recul de l’État opéré dans la version originale du texte.
On pourrait ajouter un certain nombre d’arguments plus pragmatiques.
Les collectivités territoriales ont-elles toutes les moyens humains suffisants pour réunir des compétences patrimoniales ? Nous ne le pensons pas.
Est-il de leur seule responsabilité de veiller à la protection du patrimoine ? Nous ne le pensons pas non plus.
C’est dans cette optique que nous proposerons un certain nombre d’amendements pour permettre à toutes les personnes intéressées une participation au processus de protection des monuments.
Par ailleurs, je regrette que le Gouvernement se soit lancé dans une réforme du régime de protection, alors même que certaines collectivités viennent tout juste d’intégrer le dispositif précédent et que les premières observations montrent que le système fonctionne globalement bien.
Concernant la réforme des abords, il nous semble préjudiciable de revenir sur le caractère automatique de la zone des abords, pourtant déjà adaptable en fonction des circonstances. Nous le comprenons d’autant moins que le dispositif actuel semblait satisfaire aux exigences de protection du patrimoine.
Ce qu’il nous apparaît, c’est qu’une certaine logique urbanistique prend le pas sur la logique patrimoniale. Le renforcement du pouvoir du maire en matière d’abords le place dans une situation de juge et partie, d’autant plus dans la période tendue que nous connaissons en matière de logements.
Pour finir, j’évoquerai les architectes des Bâtiments de France. Je crains que le débat qui s’ouvre à ce propos à partir de l’article 24 ne soit un prétexte pour les fragiliser les architectes des Bâtiments de France. Certes, comme vous, je pense qu’ils ne sont pas exempts de tout reproche.
M. Alain Fouché. C’est le moins qu’on puisse dire !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Cependant, ils montrent des compétences de plus en plus affirmées. Dans le même temps – peut-être est-ce là que réside l’un des problèmes – leur nombre a diminué au fur et à mesure des années.
Mme la présidente. Il faut conclure, ma chère collègue !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Si une nouvelle fois, nous pouvons entendre qu’une réflexion soit entreprise sur une réforme du corps des ABF, il nous apparaît injuste de le faire ainsi, alors même qu’ils sont deux cents et gèrent près de 44 000 monuments !
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, sur l’article.
Mme Marie-Pierre Monier. L’article 24 est réellement le cœur du volet « patrimoine » de cette loi.
Cet article est riche. Il contient de nombreuses dispositions qui concernent nos territoires, la gestion de leur patrimoine via des documents d’urbanisme réformés et les décisions de leurs élus. Ces dispositions peuvent, comme vous l’avez dit dans votre propos liminaire, madame la ministre, redonner un élan salutaire à la conservation, la mise en valeur et la protection du patrimoine auquel nos concitoyens sont très attachés. L’enjeu est donc majeur.
Nous avons la conviction que pour mieux protéger le patrimoine il faut simplifier, clarifier, apporter plus de cohérence, tant sur le fond que sur la forme.
En ce sens, l’objectif est clairement de mieux identifier les enjeux patrimoniaux via les documents de gestion, les noms et les types d’espaces protégés afin de permettre une meilleure lisibilité pour les porteurs de projets et pour les habitants.
Certains sujets abordés en commission ont fait l’objet d’un assez large consensus, avec des avancées notables, je pense notamment à la création de commissions locales ou à la Commission nationale, qui voit ses pouvoirs élargis.
À travers nos amendements, nous allons renforcer et préciser ces dispositions qui vont dans le bon sens, de manière constructive.
Quelques points de divergence sont apparus.
Tel est le cas de la question des abords : le périmètre dit « intelligent » délimité au cas par cas doit être réaffirmé. La nouvelle rédaction laisse les maires en première ligne sur cette question. Nous pensons, au contraire, que l’ABF doit rester maître d’œuvre en matière de tracé des abords.
Autre point de désaccord, la dénomination « cité historique », sur lequel je ne reviens pas.
S’agissant des domaines nationaux, nous n’approuvons pas le texte de la commission, qui limite drastiquement la constructibilité. Parce qu’elle tend à « figer » ces domaines, cette rédaction nous paraît inopportune.
Je tiens vraiment à saluer, après David Assouline et d’autres, l’évolution du Gouvernement sur le PLU patrimonial, qui était vraiment une grande préoccupation. Nous nous félicitons que vous en ayez tenu compte, madame la ministre.
Des questions importantes ont également été soulevées par cet article. Nous y reviendrons le moment venu. Je pense à la question de l’intercommunalité, qui ne doit pas affaiblir la volonté de protection patrimoniale de tel ou tel maire.
Dans tous les cas, nous souhaitons que l’État, par ses instances nationales et régionales, accompagne au mieux les maires et apporte une garantie nationale avec une assistance concrète sur les territoires. Ce point a été longuement abordé pendant nos travaux et nos auditions. Nous y avons été très sensibles.
Mme la présidente. Madame la ministre, compte tenu des contraintes de temps que vous savez, il serait préférable de ne pas entamer la discussion de votre amendement ce soir et de lever la séance. (Mme la ministre fait un signe d’assentiment.)
Mes chers collègues, nous avons examiné 110 amendements au cours de la journée ; il en reste 198.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
5
Communication du Conseil constitutionnel
Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le vendredi 12 février 2016, qu’en application de l’article 61–1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel deux décisions de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant :
- sur l’article LO. 52 du code des impôts de la Nouvelle-Calédonie (Imposition sur le revenu des personnes mariées n’ayant pas toutes deux leur domicile fiscal en Nouvelle-Calédonie) (2016–539 QPC) ;
- sur l’article L. 145-3 du code de l’urbanisme (Principes d’aménagement et de protection en zone de montagne) (2016-540 QPC).
Le texte de ces décisions de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
6
Ordre du jour
Mme la présidente. Par lettre en date de ce jour, le Gouvernement a demandé l’inscription à l’ordre du jour du mardi 16 février 2016 de la suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la liberté de la création, à l'architecture et au patrimoine.
Acte est donné de cette demande.
En conséquence, je vais vous donner lecture de l’ordre du jour du mardi 16 février 2016.
Mardi 16 février 2016 :
À quatorze heures trente :
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (n° 15, 2015-2016) ;
Rapport de M. Jean-Pierre Leleux et Mme Françoise Férat, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 340, tomes I et II, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 341, 2015-2016).
À seize heures quarante-cinq : questions d’actualité au Gouvernement.
À dix-sept heures quarante-cinq, le soir et la nuit :
Nouvelle lecture du projet de loi relatif au droit des étrangers en France (n° 339, 2015-2016) ;
Rapport de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois (n° 392, 2015-2016) ;
Résultat des travaux de la commission (n° 393, 2015-2016).
Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (n° 15, 2015-2016) ;
Rapport de M. Jean-Pierre Leleux et Mme Françoise Férat, fait au nom de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication (n° 340, tomes I et II, 2015-2016) ;
Texte de la commission (n° 341, 2015-2016).
La conférence des présidents pourra se réunir le mardi 16 février, en fin de matinée, pour examiner l’ordre du jour de la fin de la semaine gouvernementale du 15 février 2016 et fixer la date du scrutin solennel sur le projet de loi relatif à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine.
Madame la ministre, madame la présidente de la commission, madame la rapporteur, mes chers collègues, je vais lever la séance.
Je vous souhaite à toutes et à tous une bonne soirée. Madame la ministre, nous savons où vous allez vous rendre. Donc, bon baptême du feu ! (Sourires.)
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures quarante.)
Direction des comptes rendus
GISÈLE GODARD