Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Fleur Pellerin, ministre. Vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, il s’agit là d’un sujet extrêmement délicat sur le plan juridique. Je vous invite donc à la plus grande prudence. Je l’ai déjà fait tout à l’heure concernant la copie privée. Peut-être auriez-vous dû m’écouter davantage…
Nous abordons des sujets qui touchent à des droits garantis par la Constitution. Les différents amendements posant tous le même problème, je vous inviterai, mesdames, messieurs les sénateurs, à les retirer.
L’article 10 nonies introduit par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, sur lequel le Gouvernement avait émis un avis de sagesse, ouvrait la possibilité pour un auteur de léguer le droit de suite attaché à son œuvre.
Les amendements proposés vont beaucoup trop loin parce qu’ils ont tous pour effet de modifier, pour les auteurs dont la succession a déjà été réglée, les actuels bénéficiaires du droit de suite.
Or le droit de suite détenu aujourd'hui par les actuels héritiers légitimes est entré dans leur patrimoine à la date de la liquidation de la succession.
Donc, en portant atteinte au droit des héritiers pour des successions déjà réglées, ces amendements constituent une forme d’expropriation à portée rétroactive.
Faute de justifications suffisantes et d’indemnisations, ces dispositions doivent être regardées comme contraires à la Constitution.
Pour toutes ces raisons, il me paraît extrêmement dangereux de légiférer dans ces conditions et je ne peux qu’être défavorable à ces amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. Madame la ministre, l’adoption de ces amendements conduirait, dites-vous, à une forme d’expropriation à l’égard des héritiers actuels qui ont déjà bénéficié de la succession, ce qui est effectivement assez grave. Cela signifie que la rédaction que nous proposons n’est pas encore suffisamment aboutie. On ne peut pas, aujourd'hui, cette mesure ayant nécessairement un effet rétroactif, récupérer ce que les héritiers, même non réservataires, ont pu acquérir dans le passé. Il y a là un vrai risque, j’en conviens.
Toutefois, j’aimerais qu’un texte puisse être mis au point. Si, comme je m’apprête à le faire, les auteurs des autres amendements acceptaient de les retirer, nous pourrions ensuite, au cours de la navette, soit à l’Assemblée nationale soit ici au Sénat, revenir sur cette question et élaborer un texte plus adapté. Avec votre aide et celle de vos services, madame la ministre, nous pourrions trouver une solution pour les fondations, qui, en France en tout cas, constituent une exception légitime. (Mme la ministre opine.)
Je retire donc mon amendement, en demandant aux auteurs des autres amendements en discussion commune de faire de même.
Mme la présidente. L’amendement n° 495 est retiré.
Madame Blondin, l'amendement n° 105 rectifié est-il maintenu ?
Mme Maryvonne Blondin. J’ai bien entendu votre volonté de poursuivre ce travail, monsieur le rapporteur. J’ose espérer qu’en deuxième lecture nous pourrons disposer d’un texte législativement correct, répondant à notre volonté qu’aucun légataire propre ni aucun ayant droit propre ne soient spoliés, tout en aidant les fondations à assurer le nécessaire devoir de protection des œuvres.
Donc, au regard de la proposition du rapporteur et de ce travail à venir, je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 105 rectifié est retiré.
Madame Lopez, l'amendement n° 296 rectifié est-il maintenu ?
Mme Vivette Lopez. Non, je le retire, madame la présidente. Je vais suivre la proposition du rapporteur, mais je serai très attentive à la discussion à venir.
Mme la présidente. L'amendement n° 296 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'article 10 nonies.
(L'article 10 nonies est adopté.)
Articles additionnels après l'article 10 nonies
Mme la présidente. L'amendement n° 373, présenté par Mmes Blandin, Bouchoux et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
I. – Après l’article 10 nonies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Néanmoins, ce droit est réputé éteint lorsque l’auteur, ou ses ayants droit, déclare, par une manifestation expresse de volonté à portée générale, renoncer à ce droit pour que son œuvre entre par anticipation dans le domaine public. Cette déclaration est alors irrévocable. Une telle manifestation de volonté ne peut être valablement insérée dans un contrat d’édition tel que défini à l’article L. 132-1 du présent code. »
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre…
Domaine public
La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Cet amendement est issu d’une préconisation du rapport Lescure. Il permet à un créateur, à un auteur, de renoncer, s’il le souhaite, à son droit d’auteur et de placer de son vivant les œuvres qu’il a créées dans le domaine public.
J’insiste bien sur le fait qu’il s’agit d’une possibilité et que ce n’est en aucun cas une obligation. Ainsi, les auteurs qui le souhaitent pourront donner, de leur vivant, leurs œuvres à tous ceux qui ont envie de s’en servir pour en écrire une suite, en faire une parodie ou un film, en tirer une pièce de théâtre, ou toute autre adaptation.
Plusieurs écrivains contemporains souhaitent offrir leurs œuvres à la société, faute d’héritier. Or ils ne le peuvent pas, car notre législation, contrairement au droit anglo-saxon, ne prévoit pas cette possibilité.
Notre amendement vise ainsi à combler cette lacune, dans un nombre restreint de cas.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. Cet amendement, qui tend à revenir sur l’inaliénabilité du droit moral de l’auteur, pose à ce titre plusieurs difficultés.
D’abord, les textes internationaux et européens qui nous lient imposent une durée minimale de protection, ainsi qu’un droit moral inaliénable.
Ensuite, le déséquilibre du rapport de force dans l’économie de la culture, notamment entre créateurs et diffuseurs de contenus, pourrait conduire à ce qu’une telle possibilité offerte aux auteurs se révèle in fine à leur désavantage.
Enfin, le code de la propriété intellectuelle permet déjà, dans des conditions, bien sûr, strictement encadrées, comme vous l’avez d'ailleurs dit, madame Bouchoux, à un auteur de mettre gratuitement une œuvre à la disposition du public en renonçant à ses droits voisins.
C'est pourquoi, compte tenu de ces trois éléments, je donne un avis défavorable à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Madame Bouchoux, l’amendement n° 373 est-il maintenu ?
Mme Corinne Bouchoux. Je remercie le rapporteur de l’éclairage qu’il a apporté. J’ai bien entendu ses arguments qui, pour partie, sont intéressants. Après l’inaliénabilité, il faut que soit prévue une disposition s’appliquant systématiquement. Nous maintenons donc cet amendement et nous défendrons les suivants.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 373.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que celui du Gouvernement.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 148 :
Nombre de votants | 344 |
Nombre de suffrages exprimés | 325 |
Pour l’adoption | 27 |
Contre | 298 |
Le Sénat n'a pas adopté.
L'amendement n° 375, présenté par Mmes Blandin, Bouchoux et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
I. – Après l’article 10 nonies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le a du 3° de l’article L. 122-5 du code de la propriété intellectuelle est ainsi rédigé :
« a) Les analyses et citations concernant une œuvre protégée au sens des articles L. 112-1 et L. 112-2 du présent code, justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elles sont incorporées et effectuées dans la mesure justifiée par le but poursuivi ; ».
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre…
Domaine public
La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Cet amendement a pour objet d’adapter dans le domaine de l’audiovisuel l’exception de courte citation, actuellement réservée au domaine de l’écrit.
La restriction actuelle du champ de cette exception représente une contrainte importante puisqu’elle interdit les citations musicales, graphiques et audiovisuelles.
Bien évidemment, cette possibilité de citation sera toujours subordonnée à certaines conditions cumulatives : l’autorisation préalable en cas de document inédit ; l’utilisation doit être justifiée par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information de l’œuvre à laquelle elle est incorporée ; la citation doit comporter la mention claire de la source de l’emprunt ; la citation doit être courte au sens habituel de la jurisprudence ; la citation ne doit pas porter atteinte au droit moral de l’auteur de l’œuvre originale.
J’ajoute que cet amendement traduit les propositions de Valérie-Laure Benabou qui figurent dans le rapport qu’elle a remis au Conseil supérieur de la propriété littéraire et artistique, le CSPLA, en décembre 2014. Ce rapport a notamment fait suite à la jurisprudence Eva-Maria Painer de la Cour de justice de l’Union européenne qui oblige le droit français à revoir les conditions de cette exception, à la fois dans la loi et dans la jurisprudence afin de se mettre en conformité avec le droit de l’Union, par son application à toutes les œuvres de l’esprit sans distinction.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. Cet amendement vise à assouplir les conditions d’application de l’exception de citation en remplaçant la condition « courte citation » par celle de « citation proportionnée au but poursuivi ». Cette définition nous apparaît trop imprécise et donc potentiellement très large, alors que toute exception aux droits d’auteur se doit d’être parfaitement encadrée.
Pour cette raison, nous y sommes défavorables.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Fleur Pellerin, ministre. Cet amendement soulève une question extrêmement intéressante, qui est celle de la portée à donner à l’exception de citation à la lumière des nouveaux usages qui sont rendus possibles par le numérique.
Vous nous proposez, madame la sénatrice, de supprimer le critère de la brièveté de la citation pour le remplacer par un critère relatif de proportionnalité.
Or votre amendement n’apporte pas nécessairement la bonne réponse à la question posée, car il ne vise qu’à étendre le champ de l’exception sans bien en maîtriser la portée. Faire disparaître l’exigence que la citation soit courte ou bien prétendre revenir sur les jurisprudences dans le domaine de l’audiovisuel ou de la musique est une entreprise assez périlleuse qui ne peut pas se traiter ainsi et qui ferait naître probablement une nouvelle incertitude juridique.
Cela reviendrait aussi à fragiliser des lignes de partage aujourd'hui très subtilement dessinées, mais qui demeurent très importantes et même cruciales pour l’économie de tous les secteurs culturels comme pour les prérogatives des créateurs.
De plus, au moment où les exceptions aux droits d’auteur sont un sujet très sensible dans le débat européen, je suis assez convaincue qu’il faut éviter de déstabiliser des acteurs et de brouiller notre message.
Je suis défavorable à cet amendement, même si je considère que le débat qu’il ouvre est extrêmement intéressant et stimulant intellectuellement.
Mme la présidente. L’amendement n° 374, présenté par Mmes Blandin, Bouchoux et les membres du groupe écologiste, est ainsi libellé :
I. – Après l’article 10 nonies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les articles L. 123-8 et L. 123-9 du code de la propriété intellectuelle sont abrogés.
II. – En conséquence, faire précéder cet article d’une division additionnelle et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre…
Domaine public
La parole est à Mme Corinne Bouchoux.
Mme Corinne Bouchoux. Le code de la propriété intellectuelle français prévoit un certain nombre de dérogations qui avaient leur sens au moment où elles ont été imaginées. Il existe notamment des prorogations pour les droits des auteurs morts pour la France ou pour temps de guerre.
Nous considérons que le maintien de ce système complique énormément le calcul des droits d’auteur.
S’il est totalement compréhensible que ces prorogations aient été introduites à l’époque en particulier pour rendre hommage à des auteurs tombés au champ d’honneur, aujourd’hui, ce mécanisme contribue à restreindre la diffusion de leurs œuvres et nuit à leur rayonnement.
Ainsi, depuis le début de l’année, les œuvres de Saint-Exupéry peuvent être librement adaptées au cinéma ou en bande dessinée dans tous les pays du monde, sauf dans celui de Saint-Exupéry ! Au mois de février, la Belgique a pu organiser toute une journée autour de Saint-Exupéry et du Petit Prince, ce que nous, Français, ne pouvons pas faire.
Nous souhaiterions donc, afin que ces auteurs, dont certains sont des héros, et dont beaucoup ont été honorés, puissent bénéficier de la plus large audience possible, revenir sur cette exception, qui devient contre-productive à l’heure de la francophonie, qui désavantage les initiatives prises en France et favorise celles qui naissent ailleurs, une situation qui nous semble totalement ubuesque.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. Cet amendement consiste en réalité à supprimer la règle de la prorogation de la durée des droits post mortem pendant une période de guerre, un mécanisme qui allonge la durée de protection d’une œuvre de la durée d’une ou deux guerres mondiales afin de compenser la moindre rentabilité de l’œuvre pendant ces périodes. Ce mécanisme ne s’oppose pas à l’application parallèle du régime spécifique des auteurs morts pour la France, qui vaut par exemple pour Saint-Exupéry.
La question des prorogations de guerre est effectivement source de contentieux et d’injustice, puisque le dispositif varie selon la situation de l’œuvre à la date prévue pour la transposition de la directive du 29 octobre 1993, soit le 1er juillet 1995, et sa nature – musicale, picturale, etc.
Néanmoins, on ne saurait modifier un droit aussi complexe que le droit d’auteur sans étudier plus finement les conséquences économiques d’une telle réforme.
J’aimerais recueillir l’avis du Gouvernement sur cet amendement et, éventuellement, j’émettrai un avis de sagesse, tout en vous invitant, mes chers collègues, à être très précautionneux.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Fleur Pellerin, ministre. L’avis est défavorable. Comme M. le rapporteur vient de le rappeler à l’instant, les prorogations de guerre visent à compenser les lourds préjudices subis par les auteurs pendant les hostilités liées à la Première et à la Seconde Guerre mondiale. Le motif d’intérêt général qui fonde ce dispositif me semble suffisamment important pour ne pas le remettre en question aujourd’hui.
Surtout, je tiens à rappeler, pour bien mesurer l’impact de ce dispositif, que le bénéfice de cette protection est aujourd’hui très limité. En effet, depuis un arrêt de la Cour de cassation de 2007, elle ne concerne que les auteurs et compositeurs de musique.
Mme la présidente. La parole est à Mme Corinne Bouchoux, pour explication de vote.
Mme Corinne Bouchoux. J’entends bien les différents arguments, y compris les messages d’alerte. Je remercie également M. le rapporteur pour l’avis de sagesse qu’il a émis.
Toutefois, ne s’agirait-il que des auteurs de musique, je ne pense pas qu’on leur rende hommage et qu’on les honore seulement à travers une logique économique. Nous persistons à penser qu’il y a là une symbolique historique qui, si elle avait toute sa portée auparavant, ne se justifie plus aujourd’hui, car elle a pour conséquence de rendre plus tardivement accessibles certaines œuvres.
Nous restons donc favorables à la modification de ce point.
Mme la présidente. L'amendement n° 491, présenté par M. Leleux, au nom de la commission, est ainsi libellé :
A. – Après l’article 10 nonies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. – Après l’article 1464 L du code général des impôts, il est inséré un article 1464 … ainsi rédigé :
« Art. 1464 … – Les communes et leurs établissements publics de coopération intercommunale dotés d’une fiscalité propre peuvent, par une délibération de portée générale prise dans les conditions prévues à l’article 1639 A bis, accorder une réduction d’impôt aux entreprises assujetties à la cotisation foncière des entreprises au titre de leurs établissements situés sur leur territoire lorsqu’elles ont mené des actions de mécénat sur ces mêmes territoires.
« Sont considérés comme des actions de mécénat au titre du présent article les versements effectués au profit d’œuvres ou d’organismes d’intérêt général ayant un caractère culturel ou concourant à la mise en valeur du patrimoine ou à la diffusion de la culture et de la langue françaises, notamment quand ces versements sont faits au bénéfice de fondations ou associations reconnues d’utilité publique.
« La réduction d’impôt est égale à 60 % du montant des versements dans la limite de 2 500 €.
« Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du présent article. »
II. – La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales du I du présent article est compensée, à due concurrence, par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.
III. – La perte de recettes résultant pour l’État du II du présent article est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
B. – En conséquence faire précéder cet article additionnel d’une division et de son intitulé ainsi rédigés :
Chapitre …
Soutien au mécénat
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. Nous sortons quelque peu du champ dont nous avons débattu jusqu’à présent, même si cet amendement conserve un lien avec le soutien à la création. Il vise à mettre en place un dispositif que nous avons appelé « le mécénat territorial ».
Il s’agit de mettre en place un dispositif de mécénat culturel sur le territoire, qui permettrait aux entreprises et aux commerçants d’une communauté, d’une métropole ou d’une commune de soutenir l’action d’un organisme associatif reconnu d’intérêt général dans le domaine de la culture, afin de l’aider financièrement. En contrepartie, ils pourraient déduire de leur taxe locale au profit du territoire une partie de ce don de mécénat.
Ce système est comparable au dispositif de mécénat actuel de la loi Aillagon, qui offre aux ménages une possibilité de déductibilité fiscale, et qui fonctionne d’ailleurs très bien.
Ce dispositif, qui serait une source supplémentaire d’alimentation du vivier culturel du territoire, favoriserait une plus grande proximité de connaissance entre les acteurs économiques locaux et les acteurs de la culture locale. La déduction fiscale sur la cotisation foncière des entreprises, impôt local payé soit à la commune, soit à l’EPCI, serait limitée à 60 %, comme dans les dispositifs nationaux, et plafonnée prudemment à 2 500 euros par don.
Ce dispositif original pourrait, dans le cadre d’une réduction des ressources publiques globales, territoriales ou nationales, générer par capillarité davantage de création et de diffusion artistique dans les territoires.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Fleur Pellerin, ministre. Vous proposez à travers cet amendement un dispositif extrêmement intéressant, monsieur le rapporteur.
Je comprends votre souhait de développer le mécénat en ouvrant une nouvelle possibilité de déduction pour les entreprises qui ne peuvent bénéficier du dispositif actuel, compte tenu de leur situation fiscale. J’y suis évidemment très sensible, et c’est pourquoi votre dispositif mérite d’être étudié de manière très approfondie, en concertation avec les collectivités territoriales.
S’agissant de la création d’une dépense fiscale pesant sur le budget des collectivités locales, il faut toujours être prudent, pour des raisons tenant à la nécessaire compensation lorsque c’est l’État qui prend une telle décision.
Évidemment, le Gouvernement ne pourrait envisager la création d’une nouvelle réduction d’impôt sans une évaluation aussi précise que possible de la dépense induite, en raison de la nécessaire compensation de la perte de recettes pour les collectivités territoriales.
J’émets donc un avis défavorable sur votre amendement, mais je suis évidemment favorable à ce que l’on puisse réfléchir aux moyens d’apporter de nouvelles ressources à la culture dans les territoires.
Mme la présidente. La parole est à Mme Sylvie Robert, pour explication de vote.
Mme Sylvie Robert. Nous avons débattu de cet amendement en commission, et l’intention de M. Leleux est bien sûr tout à fait louable. Nous partageons son objectif d’essayer de trouver de nouvelles ressources pour le mécénat, a fortiori dans les territoires.
Toutefois, ainsi que je l’ai indiqué, on peut également utiliser d’autres dispositifs, comme les fonds de dotation, qui permettent aux collectivités d’alimenter des fonds avec d’autres partenaires privés.
Ce dispositif ne me semble pas suffisamment abouti, et cela me dérange quelque peu, notamment parce qu’il touche aux finances des collectivités territoriales.
Tout à l’heure, la majorité sénatoriale a poussé des hauts cris sur le « 1 % artistique », prétendant qu’il serait difficile, dans le contexte budgétaire contraint actuel, qui se caractérise par une baisse des dotations des collectivités, de donner de l’argent pour les artistes.
Et là, à travers des dispositions de réduction fiscale pour les entreprises, on toucherait les collectivités territoriales pour faire du mécénat. J’y vois un petit paradoxe, mais, en même temps, je trouve l’intention louable et je demanderai surtout à M. le rapporteur d’améliorer son dispositif.
Nous ne sommes pas favorables, en l’état, à cette proposition, mais nous sommes prêts à poursuivre la réflexion avec lui.
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern, pour explication de vote.
M. Claude Kern. Je voudrais également souligner l’originalité de ce dispositif. À travers le mécénat, on favorise la participation des collectivités à la diffusion de la culture.
À l’heure où les collectivités rencontrent des problèmes financiers pour mettre en œuvre cette participation à la diffusion de la culture, c’est l’un des leviers que l’on devrait soutenir. Une déduction fiscale plafonnée à 2 500 euros, ce n’est pas grand-chose, mais cela permet de soutenir le mécénat et de faire participer plus largement les collectivités à la diffusion de la culture.
C’est pourquoi je soutiens cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Leleux, rapporteur. Je voudrais éclairer le paradoxe que vous avez souligné, madame Robert.
Il y a une différence entre le « 1 % artistique » et le dispositif que je propose. À terme, si le rapport était concluant et si la loi l’entérinait, le « 1 % » deviendrait obligatoire. À l’inverse, le dispositif de mécénat serait établi avec l’accord délibéré de la collectivité. (M. Claude Kern opine.) Celle-ci fera donc librement le choix de s’engager dans ce dispositif et de gérer son budget en conséquence.
Il s’agirait, au fond, de substituer au mode subventionnel une irrigation des territoires par capillarité, en déléguant aux acteurs du territoire une partie de la capacité des collectivités à soutenir la culture.
Par ailleurs, on m’a soutenu que, juridiquement, le gage était nécessaire pour respecter l’article 40 de la Constitution. L’idéal serait toutefois de le lever, car, évidemment, il serait inconcevable que cette « perte fiscale » pour la collectivité soit compensée par une augmentation de la DGF. Je comprendrais que le Gouvernement n’accepte pas cette demande. Notre objectif est de laisser la responsabilité aux collectivités, et l’on pourrait imaginer qu’elles délibèrent une fois par an sur ce sujet.
Le dispositif doit sans doute être peaufiné, j’en conviens, mais le concept me semble extrêmement intéressant. L’expérience mérite d’être tentée, et je pense que l’on en percevrait les effets bénéfiques dans les territoires au bout de deux ou trois ans.
Mme la présidente. La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. Si nous ne sommes pas d’accord, c’est parce que le dispositif ne nous semble pas complètement abouti.
Au-delà des problèmes que peut poser le gage, puisque vous souhaitez qu’il ne se traduise pas par une augmentation de la DGF pour l’État, il faudrait au moins un débat, au mieux une étude d’impact sur ce dispositif.
Je crains qu’il n’ait certains effets pervers. Sur un territoire donné, j’imagine que la recherche de mécénat pour des activités culturelles va donner lieu à une concurrence entre communes. Et les acteurs privés pourront choisir les destinataires de leurs dons. Tout cela peut devenir assez malsain. Je n’en suis pas certain, évidemment, mais c’est un risque qu’il faut prendre en compte, car tout le monde n’est pas toujours très vertueux.
Nous souhaitons toutefois continuer à travailler sur l’idée, et nous nous abstiendrons lors du vote sur cet amendement.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l’article 10 nonies.
Chapitre III
Promouvoir la diversité culturelle et élargir l’accès à l’offre culturelle
Article 11 A
Après l’article L. 7121-4 du code du travail, il est inséré un article L. 7121-4-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 7121–4–1. – I. – Est artiste amateur dans le domaine de la création artistique toute personne qui pratique seule ou en groupe une activité artistique à titre non professionnel et qui n’en tire aucune rémunération.
« L’amateur peut obtenir le remboursement des frais occasionnés par son activité sur présentation de justificatifs.
« II. – Par dérogation à l’article L. 8221-4, la représentation en public d’une œuvre de l’esprit par un amateur ou par un groupement d’amateurs relève d’un cadre non lucratif, y compris lorsque sa réalisation a lieu avec recours à la publicité et à l’utilisation de matériel professionnel.
« La représentation en public d’une œuvre de l’esprit effectuée par un amateur ou par un groupement d’amateurs et organisée dans un cadre non lucratif ne relève pas des articles L. 7121-3 et L. 7121-4.
« Le cadre non lucratif défini au premier alinéa du présent II n’interdit pas la mise en place d’une billetterie payante. La part de la recette attribuée à l’amateur ou au groupement d’amateurs sert à financer leurs activités et, le cas échéant, les frais engagés pour les représentations concernées.
« III. – Sans préjudice de la présomption de salariat prévue aux articles L. 7121-3 et L. 7121-4, les structures de création, de production, de diffusion, d’exploitation de lieux de spectacles mentionnées aux articles L. 7122-1 et L. 7122-2 dont les missions, établies par une convention signée avec une ou plusieurs personnes publiques, prévoient l’accompagnement de la pratique amateur et la valorisation des groupements d’amateurs peuvent faire participer des amateurs et des groupements d’amateurs à des représentations en public d’une œuvre de l’esprit sans être tenues de les rémunérer, dans la limite d’un nombre annuel de représentations défini par voie réglementaire, et dans le cadre d’un accompagnement de la pratique amateur ou d’actions pédagogiques et culturelles.
« La part de la recette des spectacles diffusés dans les conditions prévues au premier alinéa du présent III attribuée à l’amateur ou au groupement d’amateurs sert à financer leurs frais liés aux activités pédagogiques et culturelles et, le cas échéant, leurs frais engagés pour les représentations concernées. »