M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Je ne peux m’exprimer qu’à titre personnel, cet amendement n’ayant pas été étudié par la commission des lois, dans la mesure où il n’avait pas encore été transmis ce matin. Mais, heureusement, l’erreur est réparée, ce qui permet à notre collègue Pierre-Yves Collombat de redire d’un mot, avec une malice que je crois sérieuse, tout ce qu’il a développé au cours de nos débats.
C’est vrai, on peut s’étonner qu’un gouvernement qui tire sa légitimité d’un discours fondée sur la défense des libertés individuelles et de grands principes puisse proposer un texte comme celui-ci.
Pour ma part, je me félicite que certains nous aient rejoints dans l’appréciation des faits et sur la législation qui doit en découler.
Pour autant, cela reste surprenant. La majorité sénatoriale est satisfaite du grand pas en avant qui a été fait, tellement grand que nous avons d’ailleurs dû calmer le jeu, certains principes devant être respectés.
Je laisse le Sénat libre d’apprécier la proposition de M. Collombat. Toutefois, à titre personnel, je ne voterai pas cet amendement. J’espère que notre collègue ne m’en voudra pas ! (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre. Très sensible à la malice et à l’humour, je prendrai cet amendement sur le même ton…
Cela étant, le Gouvernement émet bien entendu un avis défavorable.
Mesdames, messieurs les sénateurs, j’en prends acte, vous considérez qu’il existe d’autres chemins que celui que propose le Gouvernement pour aboutir à l’efficacité recherchée dans la transmission d’informations par la justice, notamment à l’éducation nationale.
Je le regrette, car j’aurais souhaité que nous ayons dans cette assemblée la même unanimité que celle qui a prévalu à l’Assemblée nationale. Quoi qu’il en soit, ma détermination reste la même pour faire adopter, en l’améliorant sur certains points, le projet de loi tel que nous l’avons rédigé. En effet, l’équilibre que nous avons savamment obtenu et qui a été conforté par le Conseil d’État nous semble indispensable pour la protection des mineurs, tout en garantissant la présomption d’innocence.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 6.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi dans le texte de la commission modifié, je donne la parole à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Madame la ministre, le Gouvernement a su proposer un texte qui permettra de trouver, pour l’essentiel, un équilibre difficile – M. Collombat vient de le dire – entre le principe de précaution et la présomption d’innocence.
Le principe de précaution doit s’appliquer, comme l’indique le Conseil d’État, lorsqu’il existe des risques de trouble grave à l’ordre public, en particulier lorsqu’il s’agit de protéger des enfants.
En fait, vous avez eu raison, monsieur le rapporteur, d’évoquer l’autorité judiciaire. Par ce texte, vous avez voulu lui donner, comme le préconisaient les rédacteurs du rapport de la mission, la possibilité d’établir une meilleure communication sur des sujets compliqués.
En effet, si l’information est évidente en cas de condamnation, même non définitive, elle demeure délicate pour ce qui concerne les procédures de mise en examen, et je ne reviens pas sur la position que nous avons clairement exprimée s’agissant de la garde à vue.
Pourtant, nous ne pourrons pas voter le texte tel qu’il a été modifié par la majorité sénatoriale, en raison de la défiance qu’il traduit à l’égard de l’autorité judiciaire, nous nous sommes déjà expliqués sur ce point. C’est dommage, c’était un bon texte. Nous nous abstiendrons donc avec regret, dans la mesure où nous aurions préféré retrouver, nonobstant des modifications, madame la ministre, l’unanimité que vous avez recueillie à l’Assemblée nationale.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Contrairement à ce que vient de dire mon collègue, ce texte n’introduit aucun équilibre entre deux principes. La question est-elle d’ailleurs celle de l’équilibre ? Selon moi, il s’agirait plutôt de choisir la moins mauvaise solution…
Je regrette que l’on n’ait pas poussé plus loin l’analyse pour savoir combien de personnes pouvaient être concernées dans un cas et dans un autre. Et tout cela pour faire une loi de circonstance !
Pour ma part, j’ai toujours en mémoire l’affaire d’Outreau. Pendant des années, on a durci les lois et la procédure, parce qu’il fallait, disait-on, sauver les enfants et protéger les victimes. Et, un beau jour, on s’est aperçu que les victimes pouvaient aussi être celles d’une procédure un peu trop rapide, un peu trop accélérée. Conservons cette idée à l’esprit : aller trop loin dans un sens, c’est véritablement entraîner des dégâts considérables.
C’est pour cette raison que j’ai pris la peine d’essayer de déterminer combien de personnes pouvaient potentiellement être concernées. Nous sommes loin de l’équilibre, je ne reviendrai pas sur ce point. Progressivement, la présomption d’innocence se délite. Il n’en restera bientôt plus grand-chose !
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?…
Je mets aux voix, dans le texte de la commission modifié, l'ensemble du projet de loi relatif à l’information de l’administration par l’autorité judiciaire et à la protection des mineurs.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 134 :
Nombre de votants | 342 |
Nombre de suffrages exprimés | 210 |
Pour l’adoption | 186 |
Contre | 24 |
Le Sénat a adopté.
11
Déontologie, droits et obligations des fonctionnaires
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires (projet n° 41, texte de la commission n° 275, rapport n° 274).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre.
Mme Marylise Lebranchu, ministre de la décentralisation et de la fonction publique. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, dans le moment de crise nationale que nous traversons – que nous avons traversé, je l’espère –, prend un relief particulier.
Les événements tragiques de l’année 2015 nous ont rappelé la solidité du lien qui unit les Français à leur fonction publique. Lorsque certains veulent attenter aux valeurs de notre République – en semant la terreur, en mettant à mal nos libertés fondamentales –, ils se heurtent à l’engagement sans faille de celles et ceux qui, chaque jour, œuvrent pour protéger, soigner, servir nos concitoyens.
Ne l’oublions pas : chaque jour, par leurs actes, tous les fonctionnaires construisent la République, chacun dans l’exercice de sa mission – qu’il s’agisse d’une mission de sécurité, de secours, de soins, ou de justice, d’éducation, de solidarité, de cohésion. Le service public est un édifice ; chaque agent participe de sa solidité.
Dans les temps troublés que nous vivons, il est important de se souvenir que l’action publique n’est pas désincarnée et qu’elle est portée par des hommes et des femmes qui, dans l’accomplissement de leur tâche, contribuent à enraciner la République dans tous les territoires de notre pays.
Le texte que vous vous apprêtez à examiner aujourd’hui rappelle l’importance du rôle dévolu aux fonctionnaires. Il ne se contente pourtant pas d’énoncer quelques principes symboliques : il contient des mesures précises qui, parce qu’elles s’intéressent aux droits et obligations des fonctionnaires, contribuent à renforcer la qualité de notre action publique.
Les enrichissements successifs dont ce projet de loi a bénéficié témoignent de l’intérêt que son élaboration a suscité.
Permettez-moi de rappeler que le projet de loi initial comprenait 59 articles ; nous avions fait le choix, en juin dernier, de réduire leur nombre à 25. Le projet de loi adopté en première lecture à l’Assemblée nationale, le 6 octobre dernier, compte 79 articles. Si tous les amendements qui visent à créer de nouveaux articles étaient adoptés, le texte final comporterait plus de 100 articles !
Une des grandes forces de ce texte – vous avez été nombreux à le souligner – est d’être commun aux trois versants de la fonction publique – d’État, territoriale et hospitalière. Ce projet de loi rappelle que, dans notre pays, l’action publique est une, et qu’elle est portée conjointement par les trois versants de notre fonction publique, qui est elle-même une.
En faisant le choix d’un texte commun à ces trois versants, nous réaffirmons la force de notre action publique. C’est important pour nos concitoyens, mais aussi pour les fonctionnaires eux-mêmes.
D’une part, nos concitoyens sont d’autant plus convaincus de l’utilité des fonctionnaires qu’ils bénéficient des fruits d’une action publique forte, une action publique qui concerne tous les aspects de la vie, sur tous les territoires.
D’autre part, en rappelant aux fonctionnaires l’importance de leur mission, nous les aidons à ne pas perdre le sens de ce qu’ils font et des valeurs qu’ils incarnent dans l’exercice quotidien de leurs tâches.
C’est une des raisons pour lesquelles ce texte, puisqu’il est commun aux trois piliers de la fonction publique, ne prévoit qu’une réforme limitée des centres de gestion, mesure qui concerne la seule fonction publique territoriale.
Consolider notre action publique, cela suppose également de disposer d’une fonction publique qui soit, pour les citoyens, exemplaire. C’est tout le sens du texte que vous examinez aujourd’hui.
Plusieurs mesures viennent renforcer l’exemplarité de notre fonction publique, qu’il s’agisse d’assurer la transparence des recrutements sans concours au premier grade de la catégorie C, ou de mieux encadrer la possibilité du cumul d’activités – sans l’interdire pour autant.
Sur ce dernier point, il me semble qu’un bon équilibre a été trouvé lors de l’examen du texte à l’Assemblée nationale, même si quelques problèmes demeurent avec un certain nombre d’entreprises s’agissant du cumul de l’occupation d’un emploi de fonctionnaire à temps complet avec le statut d’auto-entrepreneur – nous y reviendrons.
Dans le même ordre d’idées, ce projet de loi prévoit l’harmonisation des sanctions disciplinaires dans les trois versants de la fonction publique.
S’agissant de l’exclusion temporaire d’activité, je suis attachée à ce que l’exclusion de trois jours demeure une sanction du deuxième groupe, soumise donc à un conseil de discipline. Il s’agit d’une mesure aux conséquences lourdes pour les agents : l’interdiction, pour une durée maximale de trois jours, de se rendre sur son lieu de travail et la privation de salaire pendant la même période.
J’ajoute – en off , devrais-je dire, mais en on , parce que nous sommes au Sénat (Sourires.) – que ce type de sanction fait souvent naître une forme de sentiment d’humiliation et d’indignité dont la portée dépasse largement la sanction elle-même – nous en reparlerons au cours de notre débat.
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Oui, nous aurons un débat sur cette question !
Mme Marylise Lebranchu, ministre. Il y va de la préservation des droits de la défense des fonctionnaires concernés, liberté fondamentale de notre République.
Ce texte vise justement à conforter les libertés fondamentales des fonctionnaires, notamment grâce aux dispositions qui permettent de protéger les lanceurs d’alerte dans la fonction publique, ou de réformer la suspension de fonctions ou la procédure disciplinaire par l’instauration de la prescription de l’acte.
J’insiste sur le fait que ces libertés fondamentales sont les mêmes pour tous les fonctionnaires. De la même façon que ce texte assigne à tous les fonctionnaires, qu’ils soient civils ou militaires, des obligations déontologiques comparables, il leur reconnaît également des droits identiques.
Nombreux sont les agents publics qui ont le sentiment d’entretenir une relation distante avec leur hiérarchie. Ce projet de loi, en rénovant profondément le dispositif déontologique, remédier en partie à cet état de fait – du moins je l’espère. Il assigne au supérieur hiérarchique une responsabilité spécifique : celui-ci devient responsable du contrôle déontologique des missions exercées par les agents placés sous son autorité.
C’est dans cette optique qu’ont été renforcées les prérogatives de la Commission de déontologie de la fonction publique : elle se voit confortée dans sa mission de contrôle des départs des agents vers le secteur privé, et lui sont également confiées de nouvelles missions de conseil et d’accompagnement des chefs de service dans l’exercice de leurs nouvelles responsabilités déontologiques.
En ce qui concerne la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, le texte adopté en première lecture à l’Assemblée nationale me semble équilibré – nous en avons parlé en commission. L’équilibre trouvé entre les missions de la Commission de déontologie et les prérogatives de la HATVP me paraît satisfaisant.
Renforcer le dispositif déontologique, permettre aux agents de bénéficier des conseils de référents déontologues, c’est aussi une manière de mieux prendre en compte l’aspiration des fonctionnaires à davantage de responsabilités dans la conduite de leur carrière.
Ces référents devront être généralisés, de telle façon que chaque agent public puisse en disposer. Leur mise en place se fera sous la responsabilité des employeurs, avec le maximum de souplesse, selon les spécificités de leur organisation.
Le texte qui vous est soumis aujourd’hui tend d’ailleurs à simplifier la mobilité des fonctionnaires grâce à la simplification des positions statutaires, une initiative très attendue par nombre d’entre vous.
Sur ce point, permettez-moi d’indiquer ici que la mise en œuvre du protocole Parcours professionnels, carrières et rémunérations, voulu par le Gouvernement, renouvellera les opportunités de carrière des fonctionnaires. Qu’il soit de catégorie C ou de catégorie A+, chaque fonctionnaire doit bénéficier d’un égal accès à la mobilité, c’est-à-dire du droit à la carrière. J’insiste : les fonctionnaires n’ont pas la garantie de l’emploi, mais la garantie de la carrière.
Dans le même esprit, j’ai souhaité que ce projet de loi contribue à l’amélioration de la situation des contractuels. Le dispositif de résorption de la précarité mis en place par la loi du 12 mars 2012 dite « loi Sauvadet » – du nom de mon prédécesseur – sera ainsi prolongé jusqu’en 2018 - et non pas 2020, si vous adoptez l’amendement qui a été déposé pour en modifier le terme. Il permettra aux contractuels éligibles d’accéder à la titularisation comme fonctionnaires.
Ces mesures sont l’occasion de rappeler aux employeurs publics leur obligation d’accompagner leurs agents dans l’exercice de leurs missions, notamment dans leurs relations avec les usagers du service public, lesquelles sont malheureusement parfois difficiles, dans notre pays où le lien social se distend.
Ainsi, le rappel, à l’article 1er du projet de loi, de la laïcité comme valeur fondamentale de notre République suppose que les employeurs publics proposent à leurs agents des formations à la laïcité, dans le cadre de leur formation initiale ou de leur formation continue.
Chaque fonctionnaire doit avoir connaissance des textes qui lui interdisent le port de signes religieux dans l’exercice de sa mission, mais aussi qui encadrent l’affichage de signes religieux dans l’espace public ou les lieux de service public.
Surtout, chaque fonctionnaire doit savoir pourquoi il est garant des principes de laïcité. Il doit savoir qu’il porte les valeurs de la République et contribue à ce que son pays soit celui des valeurs de la République, valeurs qui non seulement font la France, mais nous permettent de résister à toutes les tentatives de déstabilisation.
En ce début d’année 2016, ces valeurs nous permettent d’espérer.
En matière de laïcité, c’est souvent la méconnaissance du droit qui crée des interrogations, et donc de l’inquiétude. Un module de formation à la laïcité a d’ailleurs été mis en place il y a un an dans la fonction publique de l’État et est en voie de généralisation. À l’université, une douzaine de facultés de droit proposent un diplôme universitaire intitulé « Religions et société démocratique », également accessible aux fonctionnaires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’achever mon propos en rappelant certaines des priorités que nous devons nous fixer pour bâtir la fonction publique de demain, une fonction publique qui soit à l’image de notre société et en reflète toute la diversité.
Dans le sillage des orientations dégagées par les comités interministériels à l’égalité et à la citoyenneté, nous devons travailler à ouvrir le recrutement dans la fonction publique à toutes les catégories sociales. Il est nécessaire de permettre aux jeunes issus de tous les territoires de la République de rejoindre, s’ils le souhaitent, les rangs de la fonction publique.
À cet égard, le CNFPT, le Centre national de la fonction publique territoriale, s’engage à faciliter le déploiement de l’apprentissage dans la fonction publique territoriale en prenant en charge une partie des coûts de formation des apprentis. Si vous adoptez l’amendement du Gouvernement déposé en ce sens, le texte que vous examinez aujourd’hui consacrera cette nouvelle mission du CNFPT.
Nous avons, ensemble, un message fort à envoyer à nos jeunes concitoyens : la fonction publique a besoin d’eux et de leurs talents !
Ces mesures d’ouverture de la fonction publique nous aideront à consolider les liens qui unissent nos concitoyens à leur service public. Je garde en mémoire le souvenir marquant de ces élèves de classes préparatoires intégrées nous expliquant à quel point ils pensaient, auparavant, que la fonction publique n’était pas pour eux !
Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, ce texte est porteur de notre ambition pour la fonction publique, à la fois parce qu’il garantit que les missions des agents publics s’exercent dans le respect des valeurs républicaines, et parce qu’il assure à l’ensemble de nos concitoyens un service public exemplaire.
Je suis convaincue qu’en confortant l’exemplarité de sa fonction publique, notre nation se donne les moyens de relever les défis auxquels elle doit faire face, et d’être ainsi à la hauteur de ses responsabilités en Europe et dans le monde. Nous avons, en effet, trop souvent oublié de rappeler nos valeurs, de faire République, de faire Nation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Vasselle, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’évoquerai tout d’abord le contexte dans lequel nous examinons le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires.
Je le rappelle, ce texte a été adopté par l’Assemblée nationale le 7 octobre dernier, après engagement de la procédure accélérée. Initialement, il avait été déposé par le Gouvernement au mois de juillet 2013 ; il a fait l’objet d’une lettre rectificative au mois de juin 2015.
Le Gouvernement souhaitait réduire le volume du projet de loi en renvoyant certaines dispositions à des ordonnances. Cette méthode a cependant échoué à l’Assemblée nationale, nos collègues députés ayant réintroduit la plupart de ces dispositions dans le texte, qui ne comporte aujourd’hui pas moins de 80 articles.
On ne peut que déplorer la dispersion entre plusieurs textes adoptés depuis 2013 des dispositifs de transparence de la vie publique. À mon sens, il aurait été plus cohérent d’examiner ce texte en même temps que la loi sur la transparence de la vie publique : leurs objectifs sont comparables.
Ainsi que Mme la ministre l’a rappelé, le projet de loi comporte deux volets : l’un de clarification des obligations déontologiques des agents publics, l’autre de traduction des résultats du dialogue social dans la loi.
Au mois de décembre dernier, la commission des lois a adopté 138 amendements, en cherchant à atteindre deux objectifs.
Le premier objectif était d’articuler et de définir les dispositifs déontologiques applicables aux agents publics, afin d’en assurer l’efficacité et la lisibilité, en vue d’une harmonisation avec les dispositions adoptées antérieurement, pour les parlementaires, les membres du Gouvernement et les magistrats de l’ordre judiciaire.
Le second objectif que je me suis fixé en qualité de rapporteur est de garantir les droits des agents publics tout en préservant les marges de manœuvre des employeurs.
Comme je le disais en commençant, il est utile de rappeler le contexte. Le statut général est un socle fondamental, apte à évoluer. Mme la ministre a insisté tout à l’heure sur l’unicité de la fonction publique.
Le secteur public comprend 5,4 millions d’agents, dont 40 % travaillent pour l’État, 35 % pour les collectivités territoriales et 21 % pour le secteur hospitalier. Parmi tous ces agents, seuls 70 % ont le statut de fonctionnaire.
Les agents de la fonction publique sont régis par un statut général constitué de quatre lois, adoptées entre 1983 et 1986.
Ce statut n’est évidemment pas intangible. Il a évolué pour répondre à l’évolution des modes d’exercice de l’action publique. Pas moins de 212 lois l’ont modifié depuis 1983 ! Il a aujourd'hui de nouveau vocation à évoluer, et ce pour deux raisons.
Premièrement, de nombreux principes déontologiques applicables aux fonctionnaires ne figurent pas explicitement dans le statut général.
En outre, l’effet dissuasif des sanctions disciplinaires ou pénales prévaut aujourd'hui en matière de déontologie, au détriment de l’action préventive. Le texte a également pour objectif de prévenir les conflits d’intérêts. En l’occurrence, le droit en vigueur prévoit uniquement un cadre répressif. Il manque aux agents un cadre préventif qui leur donne la possibilité d’éviter ou de faire cesser d’eux-mêmes un tel conflit. Nous changeons donc d’état d’esprit et de logique, en privilégiant la prévention par rapport à la sanction ou aux mesures répressives.
Deuxièmement, il faut mettre en œuvre les accords sociaux conclus entre l’État et les partenaires sociaux. Je pense notamment à l’accord relatif aux parcours professionnels, carrières et rémunérations, ou PPCR.
Il importe de poursuivre certaines réformes du droit de la fonction publique. Je pense notamment à la loi du 12 mars 2012, dite « loi Sauvadet », dont l’ambition était de résorber la précarité dans la fonction publique.
Mme la ministre ayant déjà présenté les grands axes du projet de loi de manière pédagogique et exhaustive, je puis vous faire grâce d’une partie de l’intervention que j’avais préparée. (Sourires.) J’aborderai donc dès à présent les apports de la commission des lois du Sénat. Car nous avons pris des initiatives.
Tout d’abord, nous nous sommes fixé comme objectif de renforcer l’efficacité du contrôle déontologique en simplifiant les procédures.
Il s’agit de mieux articuler et de définir les différents dispositifs déontologiques.
Nous vous proposons de consacrer au plan législatif le devoir de réserve, en vue non de remettre en cause la jurisprudence en la matière, mais de la conforter.
Nous souhaitons doter la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique des mêmes prérogatives pour le contrôle des déclarations des fonctionnaires que celles qu’elle exerce pour le contrôle des responsables politiques.
Nous suggérons également d’assurer la constitutionnalité des dispositifs déontologiques.
D’abord, il faut écarter l’insertion de la déclaration d’intérêts dans le dossier du fonctionnaire. Ensuite, il importe de circonscrire plus précisément le périmètre des fonctionnaires tenus de confier la gestion de leurs instruments financiers à des tiers. Enfin, il convient de prévoir l’envoi de la déclaration patrimoniale après la nomination du fonctionnaire, et non avant, car elle permet de contrôler l’évolution du patrimoine uniquement pendant l’exercice des fonctions publiques, et non antérieurement à celui-ci.
Nous recommandons aussi de débattre du rôle de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique. J’avais proposé que la Commission de déontologie soit intégrée à la Haute Autorité à compter du 1er janvier 2019, afin d’assurer une meilleure lisibilité et une meilleure efficacité du dispositif. Au terme d’un débat approfondi, notre commission a toutefois considéré qu’il convenait, avant cette extension des compétences de la Haute Autorité, de dresser un premier bilan de son action depuis sa création, en 2013. D’ailleurs, nous avons eu ce matin un débat sur l’opportunité d’adopter des amendements, en considérant qu’il faudrait peut-être procéder à une évaluation avant d’aller plus loin dans certaines dispositions.
Certains remettent également en cause la pertinence de confier les missions de la Commission de déontologie à une autorité administrative indépendante. Le débat demeure. Mme Di Folco défendra un amendement dont le dispositif reprend ce que j’avais proposé. Cela permettra à chacun de s’exprimer sur l’intérêt d’adopter une telle mesure, sinon aujourd'hui, du moins à terme.
Nous avons aussi pour objectifs d’harmoniser et de préciser les règles applicables aux magistrats administratifs et financiers. Cette proposition a été retenue par la commission.
Nous souhaitons harmoniser ce texte et le projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société, que nous avons adopté au mois de novembre dernier, notre collègue François Pillet étant rapporteur.
C’est le cas de la transmission de la déclaration d’intérêts après l’entretien déontologique, et non avant, et de la transmission de la déclaration d’intérêts au collège de déontologie uniquement en cas de doute du supérieur hiérarchique, afin de ne pas surcharger le collège.
Ce matin, la commission a adopté, sur ma proposition, un amendement visant à donner la possibilité au candidat de modifier sa déclaration d’intérêts après cet entretien.
Un travail préalable a été réalisé au début du mois de janvier avec le ministère de la défense et la DGFAP, la Direction générale de l'administration et de la fonction publique, pour étendre les dispositions déontologiques du présent projet de loi aux militaires. Un équilibre globalement satisfaisant semble avoir été trouvé ; nous le verrons en examinant les amendements de séance que le Gouvernement a déposés et que nous avons examinés en toute fin de parcours.
Nous voulons aussi garantir les droits des agents publics tout en préservant les marges de manœuvre des employeurs. Nous voici dans le deuxième volet.
Afin de garantir les droits des agents publics, nous souhaitons un assouplissement du régime de cumul d’activités, pour ne pas supprimer la capacité entrepreneuriale des fonctionnaires, et la prolongation du plan de titularisation « Sauvadet » jusqu’en 2020. Je propose également l’aménagement de l’exclusion temporaire pour une durée maximale de trois jours, avec la faculté pour le fonctionnaire de demander la réunion préalable du conseil de discipline.
J’ai bien noté qu’il y avait débat sur ce point, madame la ministre. J’ai essayé de trouver une solution de compromis, mais je n’ai pas l’assurance qu’elle pourra satisfaire à la fois les personnes qui partagent votre position en faveur du maintien de cette sanction dans le deuxième groupe et les autres, qui voudraient qu’elle relève du premier groupe. Le débat n’est donc pas clos.
Je propose également le rétablissement de la présidence par un magistrat administratif des conseils de discipline de la fonction publique territoriale. Lors des auditions, cette demande était unanime.
Je vous propose encore de renforcer la fluidité de la gestion des ressources humaines par le maintien de la faculté de recourir au travail intérimaire et par la modulation dans la fonction publique territoriale de la part de la prime d’intéressement collectif perçue par chaque fonctionnaire d’un service en fonction de son engagement professionnel et de sa manière de servir. Je suggère aussi de porter de deux à trois ans la durée maximale, dans la fonction publique territoriale, des contrats destinés à pourvoir des vacances temporaires d’emploi dans l’attente du recrutement d’un fonctionnaire.
Nous avons la volonté de ne pas alourdir la procédure de recrutement sans concours d’agents de catégorie C.
Enfin, pour réformer les centres de gestion, nous suggérons d’accroître la mutualisation au niveau régional et de conforter certaines compétences. Le débat se poursuivra en séance. Quatre amendements ont été déposés sur ce thème, notamment par notre collègue Catherine Di Folco.
En conclusion, mes chers collègues, la commission des lois a clarifié ce texte et en a accru l’efficacité. J’espère que, sous le bénéfice de ces observations, nous serons unanimes pour adopter le présent projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Demande de réserve