M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L’amendement n° 72 rectifié est présenté par MM. Pointereau, Bas, Chaize, Commeinhes et Mouiller, Mme Cayeux, MM. Pinton, de Nicolaÿ, Milon, Mayet, Vaspart, Cornu, Poniatowski et D. Laurent, Mme Lamure, MM. Danesi et Bockel, Mme Troendlé, MM. César, Laménie et Pierre, Mme Canayer, MM. Lenoir, P. Leroy et B. Fournier, Mme Gruny et MM. Raison, Savary et Gremillet.
L’amendement n° 247 rectifié est présenté par Mme Billon, MM. D. Dubois, Cadic, Guerriau et L. Hervé, Mme Loisier et MM. Luche et Longeot.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Gérard Cornu, pour présenter l’amendement n° 72 rectifié.
M. Gérard Cornu. Cet amendement vise à supprimer l’article au nom du respect des exigences d’une directive du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 établissant un cadre pour une politique communautaire dans le domaine de l’eau.
Cet article nous semble opérer une surtransposition de cette directive.
M. le président. L’amendement n° 247 rectifié n’est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 72 rectifié ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. La commission serait défavorable à l’amendement de suppression de l’article 51 octies s’il n’était pas retiré.
L’article ajoute à l’article L. 212-1 du code de l’environnement la prise en compte de la matrice biote, et il permet au pouvoir réglementaire d’ajuster les échéances de mise en conformité sur le bon état chimique des eaux. Actuellement, l’échéance est fixée à 2015, cela doit donc permettre de nous donner un délai complémentaire.
Je ne suis pas favorable à la suppression de cet article. D’une part, ses dispositions n’emportent aucune charge supplémentaire pour le monde agricole. Au contraire, elles permettent même un report de l’échéance d’atteinte du bon état chimique des eaux. D’autre part, une suppression de l’article exposerait la France à un risque de contentieux, ce que je ne saurais souhaiter !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre. Cet amendement est sans doute né d’un malentendu, puisque vous proposez la suppression de l’article au motif qu’il serait contraire à la directive-cadre sur l’eau. Je pense que la profession agricole, et je me propose d’ailleurs de repréciser ce point, fait une confusion entre cet article et la problématique des nitrates, sur laquelle nous travaillons par ailleurs.
L’article 51 octies ne concerne pas la directive-cadre sur l’eau, mais transpose une directive européenne sur les rejets de substances chimiques au titre de laquelle nous sommes en contentieux et d’ores et déjà mis en demeure.
M. le président. La parole est à M. Gérard Cornu, pour explication de vote.
M. Gérard Cornu. Je suis heureux de ces explications parce qu’il y a effectivement un grand malentendu avec les agriculteurs. Il serait bon en effet de repréciser les choses, car le monde agricole avait l’impression d’une surtransposition, or ce n’est visiblement pas le cas, au contraire.
Je retire donc l’amendement.
M. le président. L'amendement n° 72 rectifié est retiré.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 93 rectifié quater est présenté par M. Cardoux, Mmes Cayeux et Canayer, MM. Gilles, Pointereau, Milon, Mouiller et Dufaut, Mme Lopez, MM. Bouchet, Mandelli, César, Mayet, Morisset et Laménie, Mme Primas, M. Commeinhes, Mme Giudicelli, M. Charon, Mme Lamure, MM. Vaspart, Doligé, J.P. Fournier, Poniatowski, Genest, Danesi, Grand, Bizet, Pillet, Pellevat, Pinton, de Nicolaÿ, Revet, Lefèvre, B. Fournier, Longuet, Pintat, Vial et Darnaud, Mme Morhet-Richaud, MM. Allizard, Delattre, Masclet, P. Leroy et Lenoir, Mme Deseyne et MM. A. Marc, Dassault, Chasseing, Houpert, Savary, Médevielle, Husson, Guerriau, D. Dubois et Gournac.
L'amendement n° 549 rectifié est présenté par MM. Bertrand, Amiel, Barbier, Castelli, Collin, Collombat, Esnol, Fortassin, Guérini et Hue, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Mézard, Requier et Vall.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 2 et 3
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jean-Noël Cardoux, pour présenter l’amendement n° 93 rectifié quater.
M. Jean-Noël Cardoux. Cet amendement vise à supprimer les alinéas 2 et 3 de l’article 51 octies afin de conserver une compétence parlementaire pour la fixation des échéances applicables à l'état chimique des eaux.
M. le président. L'amendement n° 549 rectifié n'est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission sur l’amendement n° 93 rectifié quater ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. La suppression que vous proposez va à l’encontre de la souplesse nécessaire à la gestion des échéances d’atteinte du bon état chimique.
Pour déposer un projet de texte, le discuter, faire les navettes, prendre les arrêtés ou les décrets nécessaires, il faut entre dix-huit mois et deux ans. Il me semble que votre proposition risque ainsi de desservir les intérêts que vous souhaitez défendre.
Je comprends votre point de vue, mais nous sommes dans un État de droit. Les articles 37 et 34 de la Constitution font bien la part des choses entre le rôle du Parlement et celui du Gouvernement.
Les ajustements que vous visez relèvent typiquement du pouvoir réglementaire. Le Parlement ouvre le droit, puis le Gouvernement gère ce droit en fonction des nécessités.
Il est dans l’intérêt des agriculteurs et, d’une manière générale, des citoyens, que les échéances puissent être définies au moyen d’un outil souple et soient facilement modifiables. La solution que vous proposez contribuerait à rendre plus rigide encore un système qui l’est déjà bien assez !
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre. Je pense également que le résultat pourrait être contraire à l’objectif. Je comprends votre préoccupation : vous souhaitez que le Parlement délibère à chaque fois pour éviter que des normes qui ne sont pas prévues par la loi soient imposées par voie réglementaire.
Je perçois également dans cette proposition le souci de la profession agricole de ne pas subir de surtransposition des directives européennes. J’ai pris l’engagement à l’égard de la profession agricole de ne pas surtransposer les textes européens, mais de faire porter mes efforts sur l’évolution de la réglementation européenne afin d’éviter tout élément de compétitivité déloyale entre les différents pays. En la matière, c’est à la Commission de prendre ses responsabilités.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux redire devant vous mon engagement et celui du Gouvernement de ne pas faire de surtransposition des directives européennes, tout en gardant la possibilité d’adapter souplement les choses en partenariat avec la profession agricole dès lors que des décisions sont prises.
La profession agricole adhère de plus en plus à la démarche, il faut le reconnaître. Si elle a exprimé de très fortes réticences quand nous avons mis le doigt sur les problématiques des pesticides ou des polluants, nous sommes désormais dans des dynamiques beaucoup plus positives. Les agriculteurs savent d’ailleurs qu’ils sont les premières victimes, en termes de santé publique, de l’utilisation des produits phytosanitaires.
Il est très important, je le répète, que les agriculteurs aient des garanties sur la stabilité juridique par rapport aux décisions prises au niveau de la Commission européenne. Mais, compte tenu des enjeux économiques, il est tout aussi important que nous soyons en mesure de transposer ces décisions rapidement pour ne pas bloquer les investissements nécessaires.
Je pense ici notamment à la mise au point de produits de substitution, qui ouvrent à nos entreprises des marchés mondiaux sur lesquels je souhaite qu’elles prennent les premières places. Il faut dire que tous les pays à forte agriculture se réorientent à mesure que les connaissances scientifiques s’approfondissent s’agissant des dégâts causés par un certain nombre de produits sur les écosystèmes en général et sur la santé humaine en particulier.
M. le président. Monsieur Cardoux, l'amendement n° 93 rectifié quater est-il maintenu ?
M. Jean-Noël Cardoux. Madame la ministre, je pense que vos explications rassureront le monde agricole. Toutefois, dans un souci de transparence, je tiens à préciser que cet amendement a été déposé non sur l’initiative du monde agricole, mais sur l’initiative de la Fédération nationale pour la pêche en France !
Malgré cette apparente antinomie, je pense que les uns et les autres comprendront et je retire l’amendement, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 93 rectifié quater est retiré.
L'amendement n° 660, présenté par M. Bignon, au nom de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 3
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° À la seconde phrase du V de l'article L. 212-1, les mots : « ce délai » sont remplacés par les mots: « ces délais » ;
La parole est à M. le rapporteur.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 51 octies, modifié.
(L'article 51 octies est adopté.)
Article 51 nonies
(Non modifié)
La première phrase du V de l’article L. 213-10-8 du code de l’environnement est complétée par les mots : « , et valorisant notamment les projets de groupements d’intérêt écologique et économique ou les projets territoriaux visant la suppression des produits phytosanitaires de la famille des néonicotinoïdes ».
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 99 rectifié est présenté par MM. Lasserre et D. Dubois.
L'amendement n° 112 rectifié est présenté par MM. Pointereau, Bas, Revet, Raison, Bouchet, Pellevat, Commeinhes et D. Laurent, Mme Duchêne, MM. Pillet, Laménie, G. Bailly, Danesi et Milon, Mme Morhet-Richaud et MM. Savary, Charon, Mouiller, Mayet, Adnot, Gremillet, Husson, Bizet, B. Fournier et Delattre.
L'amendement n° 207 est présenté par Mme Primas, au nom de la commission des affaires économiques.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
Les amendements nos 99 rectifié et 112 rectifié ne sont pas soutenus.
La parole est à Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis, pour présenter l'amendement n° 207.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Cet amendement de suppression de l’article 51 nonies avait été adopté par notre commission puis rejeté par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable. Nous l’avons donc de nouveau déposé.
L’article 51 nonies, issu d’un amendement adopté par l’Assemblée nationale, réserve une partie des financements du plan Écophyto pour soutenir les groupements d’intérêt économique et environnemental, les GIEE, ou les projets territoriaux visant spécifiquement à supprimer les fameux néonicotinoïdes.
La révision du plan Écophyto a conduit à lui affecter des moyens nouveaux, l’enveloppe passant de 41 à 71 millions d'euros par an, et le plan poursuit un but général de réduction de l’usage des pesticides dans l’agriculture et de maîtrise des risques y afférents.
Cet article rentre plus dans le détail, en créant une sous-enveloppe pour les néonicotinoïdes. Or si les néonicotinoïdes sont très à la mode, d’autres substances et d’autres domaines d’intervention existent.
La loi doit-elle citer toutes les actions du plan Écophyto, et prévoir autant d’enveloppes spécifiques ? Si l’on doit prévoir une enveloppe pour l’expérimentation Dephy, une enveloppe pour le bio, une enveloppe pour le certiphyto, nous n’avons pas fini !
Je trouve dommage de rigidifier ainsi la gestion du plan Écophyto, qui dispose par ailleurs d’un comité scientifique dont certains d’entre vous font partie, d’un comité de gouvernance et de comités régionaux de pilotage. Il serait sage de laisser à ces organes, qui assurent une représentation pluraliste, le soin de gérer l’enveloppe financière.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. La commission, lors de ses délibérations préalables, avait été saisie de cet amendement adopté par la commission des affaires économiques et avait émis un avis défavorable.
Mme Primas vient d’expliquer l’objet de cet amendement. L’article 51 nonies ne prévoit pas à notre sens un fléchage prioritaire des fonds du plan Écophyto vers la réduction de l’usage des néonicotinoïdes. Cet article garantit seulement qu’un volet du plan s’attache de manière spécifique à traiter cette question.
Quoi que l’on pense des néonicotinoïdes, ce n’est pas en niant le problème que nous progresserons ! Ne pas accepter que ce problème soit mis sur la table et que des financements soient fléchés pour y répondre me paraît absurde.
La position de la commission est raisonnable : en garantissant que le plan s’attache de manière spécifique à traiter cette question, on ne fait insulte à personne. Les néonicotinoïdes sont là et, bien qu’il soit tentant de retarder le moment de s’atteler au problème, il nous faudra bien l’affronter un jour ou l’autre.
Mmes Laurence Cohen et Odette Herviaux. Très bien !
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Je comprends les positions de ceux qui veulent aller vite comme de ceux qui ne veulent rien faire. Je pense toutefois que la loyauté que nous devons à ceux qui nous élisent pour siéger dans cette assemblée, quel que soit leur point de vue, nous impose le pragmatisme. Il n’y a pas que des agriculteurs dans notre pays, et l’on peut imaginer que, parmi les gens de droite, certains soient favorables à la défense des abeilles.
Mme Laurence Cohen. Heureusement !
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Je souhaite que nous en restions au texte de la commission, qui a adopté une position pragmatique. Nous avons supprimé l’article qui visait à interdire purement et simplement ces substances, car il n’était pas conforme au droit européen, mais, par cet article 51 nonies, nous faisons de la réduction de l’usage des néonicotinoïdes une priorité politique. C’est un signal positif important, que je vous propose de ne pas supprimer.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre. Je vais donner un avis favorable sur cet amendement, sans pour autant me placer en contradiction avec vous, monsieur le rapporteur.
Le Gouvernement vient de publier le plan Écophyto II. J’y ai fait inscrire, avec le ministre de l’agriculture, une action 19 prévoyant sa déclinaison en région.
Concrètement, le plan Écophyto II vise non seulement les produits contenant des substances néonicotinoïdes, mais également tous les produits phytopharmaceutiques. Les produits néonicotinoïdes seront néanmoins bien présents dans ce texte de loi.
L’article 51 nonies est un peu bavard, et l’on voit bien l’objectif, au demeurant louable, qui est d’introduire le mot « néonicotinoïdes » dans le projet de loi. Mais, comme ces produits néonicotinoïdes figureront en d’autres endroits du texte, je n’ai aucune raison de m’opposer à cet amendement de suppression.
J’émets donc un avis favorable.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis.
Mme Sophie Primas, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques. Il ne s’agit pas de mettre le problème des néonicotinoïdes sous le tapis !
Pour aller dans le sens de Mme la ministre, je voudrais redire à M. Bignon que, sous l’action 12 du plan Écophyto II intitulée « Connaître, surveiller et réduire les effets non intentionnels liés à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques sur l’environnement », il est précisé qu’un effort particulier sera fait « sur la surveillance des pollinisateurs domestiques et sauvages, et notamment le suivi des effets sublétaux des substances actives, en particulier de la famille des néonicotinoïdes ».
Le problème des néonicotinoïdes est donc traité par le plan Écophyto II, qui est de plus doté d’instances de gouvernance. Ou alors ce n’est pas la peine de doter le plan d’une gouvernance…
Cet amendement de suppression se justifie donc pleinement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Filleul.
M. Jean-Jacques Filleul. Monsieur le président, je sollicite une brève suspension de séance.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt-cinq, est reprise à douze heures trente-cinq.)
M. Hervé Maurey, président de la commission de l'aménagement du territoire. La commission a maintenu l’article 51 nonies tel que rédigé par l'Assemblée nationale et a, en revanche, supprimé l’article, adopté par l'Assemblée nationale, visant à interdire les néonicotinoïdes.
Je rappelle que nous avons pris ces positions au mois de juillet dernier, alors même que n’avait pas encore été élaboré le plan Ecophyto, qui cible les néonicotinoïdes comme devant faire l’objet d’une attention toute particulière.
Compte tenu de ces éléments nouveaux et des précisions apportées par Mme la ministre, nous sommes désormais favorables à l’amendement n° 207.
M. le président. En conséquence, l'article 51 nonies est supprimé.
Articles additionnels après l'article 51 nonies
M. le président. L'amendement n° 214 rectifié, présenté par Mme Bonnefoy, MM. Duran, Kaltenbach, Boutant et Poher, Mmes Cartron et Schillinger, MM. Labazée et Lalande, Mmes Campion et Jourda, MM. Cazeau, Courteau et Marie, Mme S. Robert, M. Madrelle, Mme Lienemann, MM. Lozach et Antiste, Mme Bataille, M. Jeansannetas, Mme Emery-Dumas, M. F. Marc, Mme Blondin, M. Mazuir, Mme Espagnac, MM. Manable et Sutour et Mmes Yonnet, Herviaux et Guillemot, est ainsi libellé :
Après l’article 51 nonies
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le sixième alinéa de l’article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
«…° Les zones à proximité des habitations. »
La parole est à Mme Nicole Bonnefoy.
Mme Nicole Bonnefoy. Cet amendement vise à ajouter les zones à proximité des habitations à la liste de celles pour lesquelles l’autorité administrative peut prendre des mesures d’encadrement ou d’interdiction d’utilisation des produits phytopharmaceutiques.
Cet amendement ne vise nullement à interdire de manière générale les épandages de pesticides à proximité des habitations, ni à rendre systématique la prise de mesures contraignantes pour les agriculteurs. Il tend seulement à donner la possibilité à l’autorité administrative de prendre des mesures de protection renforcée en faveur des riverains lorsque sont constatés sur le terrain, au cas par cas, des manquements aux règles d’épandage des produits pesticides.
Il ne s’agit là que de permettre ce qui est déjà prévu dans la loi pour les lieux dits « sensibles ». Le législateur a estimé qu’il était normal que l’autorité administrative puisse s’assurer du respect des règles d’épandage à proximité des lieux sensibles que sont les écoles, les maisons de retraite, les hôpitaux, etc. Il importe maintenant de permettre à l’autorité administrative, c'est-à-dire au préfet, de faire de même lorsqu’elle est alertée par un riverain confronté à des épandages non maîtrisés, qui peuvent venir contaminer son habitation ou le jardin dans lequel jouent ses enfants.
Nous ne devrions même pas avoir à débattre de cette question. Il est nécessaire que cela figure dans la loi pour offrir une possibilité de recours aux citoyens. Il est temps d’affronter les problématiques extrêmement graves en termes de santé publique liées aux épandages de pesticides ne respectant pas les règles d’utilisation. Nous parlons ici de maladies telles que la maladie de Parkinson, des cancers de la peau, de la prostate, des leucémies, qui se développent chez des enfants dont les mères ont été exposées. La communauté scientifique indépendante a établi des liens forts de causalité avec l’exposition aux pesticides.
L’Institut de veille sanitaire de la région Aquitaine Limousin Poitou-Charentes a ainsi publié en août 2015 les résultats d’une étude montrant que l’exposition aux pesticides dans une commune du Sud-Ouest avait conduit, en vingt ans, à une prévalence des cancers pédiatriques six fois plus élevée que la moyenne nationale.
Ce ne sont pas les dispositions favorables au développement des bonnes pratiques qui portent préjudice à une profession, mais les actes des quelques personnes qui s’affranchissent des règles acceptées par la majorité et dont les écarts rejaillissent sur une profession qui n’a pas à rougir de son travail et de ses pratiques : ce sont eux seuls que nous visons.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jérôme Bignon, rapporteur. Ce sujet a déjà été débattu lors de l’examen de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
Un amendement de même objet déposé alors par notre collègue Nicole Bonnefoy avait été adopté par le Sénat, mais l'Assemblée nationale l’avait supprimé par le biais de l’adoption d’un amendement gouvernemental, au motif qu’il n’était pas opportun d’interdire l’utilisation des produits phytosanitaires autour de toutes les zones bâties et qu’il était préférable de mettre en place des mesures de protection particulières pour les publics vulnérables. Il paraît en effet souhaitable de cibler les efforts à réaliser en la matière.
Par ailleurs, la configuration parfois très étalée de nombre de nos villages rendrait l’application de cette disposition très difficile.
C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Ségolène Royal, ministre. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
La priorité est de protéger les personnes vulnérables, ce qui est déjà difficile : je ne reviendrai pas sur le grave accident survenu en Gironde, qui a conduit le préfet à prendre un arrêté d’interdiction d’épandage à moins de 50 mètres des limites des établissements scolaires. (M. Joël Labbé acquiesce.) La moindre des choses est de mettre fin aux épandages autour des maisons de retraite, des hôpitaux, des écoles. En cas de fort vent, cette bande des 50 mètres est d’ailleurs encore trop large.
Il s’agit là d’un problème important, qui ne devrait plus susciter de résistances et de contestations. (MM. Ronan Dantec et Joël Labbé approuvent.) Les professions agricole et viticole devraient agir d’elles-mêmes en ce sens.
En la matière, il faut encourager les partenariats intelligents. Dans cette optique, la réglementation ne doit pas être excessive. Or si cet amendement était adopté, toutes les communes seraient concernées. Lorsque j’avais demandé que soient protégés les établissements sensibles, la profession agricole avait déformé les choses, en arguant que l’interdiction d’épandage toucherait des centaines de milliers d’hectares sur l’ensemble du territoire national !
N’instaurons donc pas une réglementation excessive, au risque d’inquiéter la profession agricole, alors même que nous peinons déjà à obtenir que soient prises des mesures de bon sens en matière de santé publique et de protection des populations vulnérables, qu’il s’agisse des malades, des personnes âgées ou des enfants des écoles. On pourra être d’autant plus ferme en termes de réglementation concernant les établissements sensibles que l’on n’aura pas ouvert la voie à une instabilité juridique et suscité l’inquiétude en prévoyant une application trop générale.
C’est pourquoi je ne peux émettre un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Hervé Poher, pour explication de vote.
M. Hervé Poher. Madame la ministre, nous entendons bien votre message et nous comprenons l’inquiétude du monde agricole, mais il y a une faille dans le raisonnement.
Si l’utilisation des pesticides doit être limitée, voire interdite, près des écoles, des crèches et des hôpitaux, bref des lieux dits « sensibles », c’est précisément parce que ces locaux abritent des personnes théoriquement plus vulnérables que d’autres. Ce ne sont pas les lieux en eux-mêmes qui sont sensibles, ce sont les personnes qui les occupent.
Bien entendu, les enfants, dont les systèmes neurologique et endocrinien sont beaucoup plus sensibles que ceux des adultes, sont concernés. De même, dans les hôpitaux, les personnes malades ou en convalescence sont théoriquement plus vulnérables que les autres. Toutefois, un enfant ou un malade reste sensible quand il a quitté l’école ou l’hôpital pour regagner son domicile. Si la loi est maintenue en l’état, cela signifie qu’un même enfant serait moins sensible chez lui qu’il ne l’est à l’école ! Ce raisonnement me semble quelque peu bizarre…
L’amendement n° 214 rectifié présenté par notre collègue Nicole Bonnefoy vise simplement à permettre de mieux protéger, au cas par cas, dans des situations spécifiques, certaines zones d’habitations, par exemple des lotissements situés au milieu des champs.
M. le président. La parole est à Mme Sophie Primas, pour explication de vote.
Mme Sophie Primas. Comme chaque fois qu’elle est débattue, cette question suscite beaucoup d’émotion et inspire de beaux plaidoyers.
Pour ma part, je me contenterai de faire observer que la liste des zones sensibles figurant à l’article L. 253-7 du code rural et de la pêche maritime est précédée de l’adverbe « notamment » : en d’autres termes, cet inventaire n’est pas exhaustif. À la vérité, toutes les dispositions juridiques permettant la mise en œuvre de restrictions en matière d’épandage existent déjà ! Je ne vois donc pas l’intérêt qu’il y aurait à adopter l’amendement n° 214 rectifié.
Au surplus, la notion d’« habitations » étant extrêmement large, cet amendement vise en définitive, comme Mme la ministre l’a signalé, l’ensemble du territoire.
En réalité, nous ferions mieux d’améliorer le contrôle des conditions d’utilisation, plutôt que d’instaurer de nouvelles normes dont l’application ne sera pas davantage contrôlée que celle des normes actuelles.
Pour ces raisons, et même si j’ai mené de concert avec Mme Bonnefoy, dans le cadre de la mission d’information sur les pesticides, un travail passionnant, je voterai, à titre personnel, contre l’amendement n° 214 rectifié.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bonnefoy, pour explication de vote.