Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Esnol.
M. Philippe Esnol. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, madame la rapporteur, mes chers collègues, la pollution de l’air est, avec les pics enregistrés ces dernières années, un sujet qui intéresse particulièrement les Franciliens, d’autant que les mesures de circulation alternée viennent désormais perturber assez souvent leur quotidien. Si ceux-ci sont directement touchés, le rapport de la commission d’enquête nous fait prendre conscience que nous sommes tous concernés, en raison des effets néfastes sur notre santé, mais aussi parce que le champ des altérations provoquées par la pollution est en définitive bien plus vaste.
Forte de ces constats, la commission d’enquête a procédé à une évaluation inédite du coût économique et financier de la pollution de l’air dans notre pays. Il faut bien reconnaître qu’un tel « angle d’attaque » est pour le moins malin, puisqu’il permet de rallier ceux que les seuls arguments sanitaires ne suffiraient pas à convaincre.
Aussi, je partage l’analyse de la commission d’enquête sur la nécessité d’agir. Il le faut, parce que c’est un impératif de santé publique et pour que le droit reconnu à chacun de respirer un air qui ne nuise pas à sa santé ne reste pas un vœu pieux. On sait avec certitude que la pollution de l’air augmente le risque de développer un cancer du poumon, des maladies cardiovasculaires ou respiratoires. Plus de 40 000 décès prématurés lui sont attribués en France chaque année.
L’ampleur serait en outre minimisée, notamment parce que « l’effet cocktail », c'est-à-dire le fait d’être exposé à plusieurs polluants en même temps, n’est pas mesuré. De nouvelles études tendent de surcroît à démontrer que les particules fines auraient aussi un effet sur la santé mentale et seraient à l’origine de maladies dégénératives, telles que celles d’Alzheimer et de Parkinson.
Outre cet aspect sanitaire, la concentration de polluants provoque une baisse des rendements agricoles, dégrade la biodiversité, souille l’eau et se révèle même le principal facteur d’érosion des façades !
Une intervention se justifie encore pour la simple et bonne raison qu’il existe de véritables manquements. Ainsi, la France ne respecte pas ses obligations s’agissant des valeurs limites de particules fines, ce que la Commission européenne n’a pas manqué de lui rappeler au printemps 2015.
Reste que, s’il faut avant tout agir pour la reconquête de la qualité de l’air, c’est parce qu’on y aurait intérêt économiquement. En effet, le coût de la pollution de l’air n’a jamais vraiment été appréhendé par les pouvoirs publics. Il serait pourtant majeur ! La commission d’enquête l’a évalué au total à plus de 100 milliards d’euros par an.
Comment parvient-on à une telle somme ? Certes, les évaluations varient fortement selon la méthodologie employée, mais celle qu’a retenue la commission d’enquête, car elle l’a jugée la plus complète, a été établie dans le cadre du programme « Air pur pour l’Europe » de la Commission européenne. Elle s’élève à entre 68 milliards d'euros et 97 milliards d’euros, auxquels il convient d’ajouter le coût non sanitaire qui vient d’être évoqué, évalué à 4,3 milliards d’euros.
Ce qu’il faut retenir, c’est que les modélisations du rapport entre coûts et bénéfices montrent qu’il serait avantageux de réduire la pollution atmosphérique via une réglementation plus stricte et que cela induirait même des bénéfices. Ceux-ci permettraient de couvrir les coûts engendrés par exemple par les investissements nécessaires à la mise en conformité des secteurs émetteurs.
Si la question de l’opportunité d’agir ne fait pas débat, celui-ci peut en revanche s’engager sur ce qu’il convient de faire. Il existe aujourd’hui un « paquet » de normes et dispositifs qui ne sont pas appliqués ou qui le sont mal. Ainsi, les plans de protection de l’atmosphère ne couvrent que 47 % de la population et leur mise en œuvre mériterait d’être accélérée et mieux articulée avec d’autres outils tels que les schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie et le plan national de réduction des émissions de polluants.
De même, il serait souhaitable de ne pas créer de « contraintes inutiles » et de se contenter de renforcer les normes uniquement là où il y a des manques certains, notamment en matière de pollution de l’air intérieur, ainsi que de privilégier une action ciblée sur les principaux secteurs émetteurs, à savoir les transports, l’agriculture, l’industrie, etc. À cet égard, la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte prévoit des avancées concrètes. Elle prévoit, entre autres, d’accélérer le remplacement du parc automobile par des véhicules à faibles émissions et l’installation de points de recharge pour les véhicules électriques.
Améliorer l’information à destination du public serait également utile pour renforcer l’efficacité des mesures. À ce titre, je suis favorable à la généralisation des étiquetages sur les produits ménagers.
Vous l’aurez compris, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il me paraît primordial de laisser aux mesures le temps de produire leurs effets et de savoir raison garder, la situation n’étant pas ce qu’elle est dans d’autres pays du monde, et des bien plus grands que le nôtre. En effet, il ne faut pas négliger les efforts réalisés par les constructeurs de véhicules diesel pour mettre à jour des solutions. Je crois qu’il serait plus judicieux, au moment où le marché automobile français envoie des signaux de reprise, de renforcer la fiabilité d’homologation des véhicules quant à leurs niveaux d’émissions. Nous devons tirer les enseignements du scandale Volkswagen.
Enfin, en tant que Francilien, j’aspire à ce que soit conduite une véritable politique d’aménagement du territoire pour que cessent la concentration des activités économiques et la densification du logement en Île-de-France, qui conduisent des millions de nos concitoyens à subir, quotidiennement, souvent à grands coups d’anxiolytiques, les migrations pendulaires et la saturation des transports. Je suis bien placé pour en parler.
Pour conclure, je rappelle que, la pollution de l’air étant un phénomène transfrontalier, seule une action européenne coordonnée sera un gage d’efficacité. Je souhaite donc que la France, portée par le succès de la COP21, puisse défendre cette position qui permettrait de redonner à l’Europe son rôle clef, historique, dans la lutte contre la pollution de l’air puisque, pour mémoire, la loi LAURE de 1996 n’était que la transposition de directives européennes en la matière. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Mandelli.
M. Didier Mandelli. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, pour commencer, je tiens à féliciter nos collègues de la commission d’enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, notamment son rapporteur, Leila Aïchi, et son président, Jean-François Husson, qui ont participé à l’élaboration et à la rédaction de ce rapport, lequel fait l’unanimité. Mes propos s’éloigneront donc peu de ceux des intervenants précédents et sans doute de ceux qui suivront.
La commission d’enquête a réalisé un travail de grande qualité. Mme la rapporteur, M. le président et les membres de la commission ont eu l’ambition de mesurer des situations complexes et parfois méconnues. L’évaluation à laquelle ils ont procédé est inédite.
La commission d’enquête n’a pas effectué une simple évaluation des coûts de la pollution de l’air pour notre système de santé, une telle évaluation ayant déjà été réalisée l’an dernier. Elle a pris à bras-le-corps la pollution de l’air sous toutes ses formes, notamment la pollution intérieure, identifiant toutes ses causes, en particulier la pollution transfrontalière, ainsi que l’ensemble de ses conséquences, y compris en termes de compétitivité pour les entreprises.
Selon l’Organisation mondiale de la santé, la pollution de l’air se définit par la « contamination de l’environnement intérieur ou extérieur par un agent chimique, physique ou biologique qui modifie les caractéristiques atmosphériques ».
Certains constats et certains chiffres de ce rapport ont retenu mon attention. La pollution de l’air n’est pas seulement une pollution de l’air extérieur. Elle a des effets autres que sanitaires. Son coût, de plus de 100 milliards d’euros par an, est évidemment exorbitant. Des solutions identifiées doivent être rapidement mises en œuvre pour lutter efficacement contre ces effets.
J’insisterai pour ma part sur trois points qui me paraissent importants : la prise en compte de la pollution intérieure, les impacts et les coûts des pollutions autres que sanitaires et les nombreuses propositions de la commission.
La pollution de l’air n’est pas seulement extérieure. Jusqu’à présent, on parlait de pollution atmosphérique, de pollution chimique, comme celles qui sont liées au secteur des transports essentiellement, ce secteur étant le plus visible et le plus souvent cité, même s’il ne représente qu’une partie des émissions. En effet, l’impact négatif des carburants sur la qualité de l’air est connu depuis longtemps. Même si les véhicules thermiques émettent en moyenne moins de CO2 qu’il y a une vingtaine d’années, d’autres substances sont aujourd’hui en cause dans la pollution atmosphérique, comme les particules fines et les oxydes d’azote, que l’on retrouve dans les émissions.
Le rapport de la commission d’enquête met en avant une autre source de pollution plus méconnue et dont les impacts sont difficilement quantifiables, même si l'on estime son coût à 19 milliards d’euros par an : la pollution de l’air intérieur. L’OMS considère que cette pollution est un problème majeur de santé touchant l’ensemble des pays, en particulier les pays industrialisés et bien dotés en habitat.
Selon une étude de l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur datant de 2007, qu’il faudrait d’ailleurs réactualiser, quelque 9 % des logements français présentent des concentrations élevées de plusieurs polluants. Sachant que l’on passe entre 70 % et 90 % de son temps dans ces espaces confinés, la qualité de l’air respirée dans les espaces clos revêt une dimension de santé publique majeure.
« Des dizaines de substances chimiques issues de produits de la vie quotidienne sont présentes dans l’air et les poussières au sol de nos logements » révélait en juin 2015 une enquête de l’Observatoire de la qualité de l’air intérieur. Ces composés, comme les phtalates, le radon, les oxydes d’azote, les moisissures, sont « omniprésents » et certains « sont détectés dans quasiment tous les logements », affirme l’Observatoire.
Même si des dispositions législatives et réglementaires ont été adoptées sur ce sujet, la rapporteur fait un constat sans appel, que je partage : les dangers des polluants sont largement méconnus et, de fait, toutes les dispositions de protection les plus élémentaires n’ont pas été prises.
C’est en ce sens que je soutiens la mesure n° 16, qui a pour objet d’intégrer la qualité de l’air intérieur et extérieur dans les processus de formation initiale des professionnels du bâtiment, ainsi que la mesure n° 17, qui donne les moyens à l’Agence nationale chargée de la sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES, d’effectuer la surveillance des produits présentés comme des polluants de l’air.
J’en arrive au deuxième point de mon intervention. Selon le rapport de la commission d’enquête, la pollution de l’air coûterait plus de 100 milliards d’euros par an à notre pays. C’est une somme astronomique ! Or la rapporteur estime ce coût « largement sous-évalué », faute de données suffisantes. En effet, il est difficile de la quantifier précisément en raison du manque de recherches et d’études sur la question. Les effets sanitaires de certains polluants sont mal connus, notamment « l’effet cocktail » résultant de la présence de plusieurs polluants.
Le coût sanitaire total serait compris « entre 68 et 97 milliards d’euros par an », selon l’estimation menée dans le cadre du programme « Air pur pour l’Europe » : coût du système de santé – hospitalisation, soins de ville –, absentéisme et perte de productivité dans les entreprises et les administrations.
Il est donc important à mon sens de souligner que la pollution de l’air a des conséquences néfastes non seulement sur la santé, mais également sur les rendements agricoles, la biodiversité, la qualité des sols et le patrimoine bâti. L’INRA, l’Institut national de la recherche agronomique, estime par exemple que le rendement du blé en région parisienne est réduit en moyenne de 10 % par rapport à une région non polluée, sous l’effet de la pollution, en particulier à l’ozone.
La pollution entraîne une dégradation plus rapide des façades des bâtiments et un surcoût en termes de rénovation urbaine. Ces impacts non sanitaires restent encore mal connus et sont difficilement mesurables. Les quelques études existantes montrent toutefois que leur coût est loin d’être négligeable. Réalisant un premier chiffrage avec les données disponibles, la commission évalue a minima le coût non sanitaire à 4,3 milliards d’euros.
J’en viens au troisième et dernier point de mon intervention : les 61 propositions de la commission, sur lesquelles je ne reviendrai évidemment pas en détail. Ces propositions sont pertinentes. Elles doivent être prises en compte et mises en œuvre sans délai dans leur globalité, avec quelques fois des facilités. Cela a été évoqué lors de la présentation du travail de la commission.
Le diesel est un sujet récurrent. Les gouvernements successifs ont accordé une fiscalité avantageuse à ce carburant. Cela a conduit notre pays à devenir l’un des leaders mondiaux du secteur. Cela explique aussi la forte représentation du diesel dans le parc automobile français.
Conscients des risques liés aux particules fines, les constructeurs, en particulier nos leaders nationaux, ont fait évoluer la technologie diesel pour tenter de diminuer les émissions. L’actualité récente sur la mesure des émissions, plus particulièrement celle du jour d’ailleurs, nous incite à la vigilance, en attendant la mise en place de la norme Euro 6c en septembre 2017.
Comme la commission, je pense qu’il faut aligner progressivement d’ici à 2020 la fiscalité de l’essence et du gazole. Cela permettra aux entreprises s’équipant de véhicules à essence ou électriques de déduire la TVA, comme c’est le cas pour les voitures diesel. En octobre dernier, Matignon a d’ailleurs annoncé avoir tranché sur la fiscalité du diesel et prévu un alourdissement de 20 centimes d’euros en début de cette année, l’objectif étant de parvenir à un alignement en cinq ans.
Le 30 septembre 2015, le ministère de l’écologie, du développement durable et de l’énergie a créé une commission chargée d’effectuer une enquête approfondie sur les émissions de polluants des véhicules légers. Je souhaite que cette commission rende rapidement un rapport, ce qui nous permettra de disposer de tous les éléments d’appréciation.
Je soutiens par ailleurs toutes les mesures permettant de promouvoir les transports propres, à savoir les véhicules hybrides et électriques, le fret ferroviaire et l’autoroute de la mer. À cet égard, je regrette l’abandon de la ligne entre Saint-Nazaire et l’Espagne. Il est important de mettre l’accent sur le soutien à l’innovation, afin de produire « des ruptures technologiques », comme le souligne Jean-François Husson dans son rapport.
Enfin, dans le secteur agricole, la commission recommande d’étudier spécifiquement les causes de la surmortalité des agriculteurs, très exposés à certains risques qui entraînent de nombreux cancers ou d’autres maladies, et de mieux contrôler les dispersions de polluants.
En conclusion, cet excellent rapport permet d’appréhender au mieux les conséquences de la pollution de l’air d’un point de vue économique et financier, au-delà des dommages causés à l’homme et à son environnement. Le temps de l’action est venu, sur la base de ces 61 propositions ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Aline Archimbaud.
Mme Aline Archimbaud. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les écologistes sont engagés depuis très longtemps dans un combat contre la pollution de l’air, responsable, vous l’avez tous dit, d’un véritable désastre sanitaire.
Nous nous sommes donc réjouis de la création de la commission d’enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l’air et de l’estimation globale qu’elle allait pouvoir effectuer. Je tiens par conséquent, au nom de mon groupe, à remercier chaleureusement les membres de cette commission, qui ont fait un travail considérable et indispensable, nous permettant de mesurer l’ampleur de la lutte que nous devons mener contre la pollution de l’air.
La commission d’enquête l’a bien montré, le coût de l’inaction en la matière est gigantesque, de l’ordre d’au moins 100 milliards d’euros par an pour notre seul pays. Face à ce constat, il est désormais indispensable de mettre en place des mesures fortes et courageuses, à court et long terme.
À court terme, il faut endiguer les pics de pollution, qui sont réguliers dans de nombreuses agglomérations et de multiples territoires de notre pays. Face à ces pics, les réactions des pouvoirs publics sont encore bien trop lentes. Les seuils d’alerte établis par l’Organisation mondiale de la santé sont dépassés chaque année à plusieurs reprises, parfois pendant de longues durées, en particulier en ce qui concerne les niveaux de particules fines.
Les conséquences de l’exposition à la pollution de l’air sur la santé, notamment aux particules fines, sont dramatiques ; il suffit d’interroger les pneumologues et les pédiatres pour les mesurer.
Le nombre de morts prématurées liées à la pollution de l’air en France se compte en dizaines de milliers, entre 43 000 et 45 000 selon les estimations de la Commission européenne, l’immense majorité étant imputée aux particules fines, lesquelles sont particulièrement dangereuses pour les jeunes enfants, les personnes fragiles et les personnes âgées. Les particules fines provoquent souvent des dommages irréparables dans les organismes des jeunes enfants. Elles sont plus généralement responsables de multiples maladies respiratoires et cardiovasculaires, ainsi que de cancers chez de très nombreuses personnes, notamment les salariés qui sont à leur contact, qu’il s’agisse des agriculteurs ou des riverains des grandes voies routières, souvent d’ailleurs des populations très modestes. Plusieurs études internationales l’ont montré.
Une très récente étude américaine, qui a déjà été évoquée, indique que les particules fines sont très certainement également responsables d’une aggravation importante des maladies neurodégénératives comme Parkinson ou Alzheimer chez les patients déjà atteints.
Le groupe écologiste au Sénat est depuis plusieurs années à l’origine de multiples propositions visant à endiguer cette pollution. Nous avons ainsi défendu il y a plus d’un an une proposition de loi en ce sens, ainsi que, à plusieurs reprises, vous le savez, monsieur le secrétaire d’État, des amendements, notamment aux projets de loi de finances, afin d’essayer d’améliorer cette situation.
Les réactions des pouvoirs publics, il faut le dire, n’ont absolument pas été à la hauteur jusqu’à présent. La plupart du temps, loin de mettre la santé au premier rang des préoccupations, ils nous ont opposé les effets prétendument négatifs des mesures de lutte contre la pollution sur le développement de notre économie. Or les conclusions de la commission d’enquête confortent le constat que le coût de l’inaction en la matière est immense d’un point de vue non seulement sanitaire, mais également économique et financer.
Monsieur le secrétaire d’État, il faut dépasser cette fausse opposition entre emploi, développement économique et santé !
Les écologistes s’étaient réjouis des mesures fiscales annoncées à la fin de l’année dernière lors de l’examen des textes financiers et de la COP21. Un décret paru à la fin de décembre dernier modifie le bonus-malus, afin d’inciter les automobilistes à abandonner leurs vieux véhicules diesel et à acheter des véhicules moins polluants. C’est un début : nous espérons sincèrement que le Gouvernement prendra rapidement les autres mesures énergiques qui s’imposent concernant, par exemple, la fiscalité du diesel pour les véhicules d’entreprise ou la gestion immédiate des pics de pollution.
Le scandale Volkswagen a également permis de confirmer l’incohérence des tests d’émissions de polluants avant la mise sur le marché d’un nouveau véhicule, et cela ne concerne pas seulement le diesel. Si l’on veut atteindre les objectifs de réduction des gaz polluants, il est indispensable de savoir réellement où l’on en est.
Il est urgent que toutes ces mesures et ces études soient plus transparentes. Il faut engager rapidement selon nous un travail sur le déficit considérable de connaissances et d’expertises indépendantes en matière de pollution des nouveaux véhicules automobiles avant leur mise sur le marché. Les cycles de conduite, la commission l’a rappelé, qui servent aujourd’hui de référence aux tests d’émissions polluantes ne sont pas représentatifs des conditions réelles de circulation.
Il est par ailleurs inquiétant de constater que ceux qui sont payés pour conseiller l’industrie automobile sont les mêmes que ceux qui participent activement à l’élaboration et à l’évolution des réglementations nationales et internationales applicables aux véhicules en matière d’émissions polluantes. En somme, l’industrie automobile est dans un certain nombre de cas clairement juge et partie. Cette situation ne peut perdurer.
Monsieur le secrétaire d’État, nous comptons sur l’engagement énergique du Gouvernement. Le rapport de la commission d’enquête présente de très nombreuses propositions, précises, solides et travaillées, dont certaines sont applicables dès à présent, et d’autres à moyen et à long terme. Nous les soutenons fermement. Nous continuerons à intervenir pour que les constats implacables qui sont faits aujourd'hui soient suivis d’actes concrets.
Je ferai mien le souhait du président de la commission d’enquête, monsieur le secrétaire d’État : ce rapport ne doit pas rester dans un placard. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain. – Mme Fabienne Keller applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Fabienne Keller.
Mme Fabienne Keller. Madame la présidente, monsieur le président de la commission d’enquête sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, madame la rapporteur, bien des choses ont été dites et je vais les reprendre brièvement. Je voudrais tout d’abord saluer votre initiative : cette commission d’enquête a fait un travail original, et c’est la première fois qu’un enjeu écologique est traduit en euros ou en dollars. Je sais combien vous vous êtes impliqués, comme l’ensemble des membres de cette commission.
La pollution de l’air est un phénomène complexe répondant à de multiples causes, aux manifestations variées et dont les conséquences sont complexes à analyser. C’est aussi un phénomène aujourd'hui parfaitement mesuré et même anticipé par nos remarquables associations de surveillance de la qualité de l’air, les ASQA.
Vous avez estimé le coût économique de ce phénomène à 100 milliards d’euros, ce qui reflète parfaitement combien celui-ci est sous-estimé depuis de longues années. Le travail de recherche publié le 1er janvier dernier, qui a déjà été évoqué, a prouvé l’impact des particules fines PM 2,5 sur l’occurrence des maladies d’Alzheimer et de Parkinson. C’est un élément de plus, et d’autres apparaîtront vraisemblablement au fur et à mesure d’une meilleure connaissance des effets des différents polluants de l’air sur la santé et la vie, montrant que ce coût ne pourra aller que dans le sens d’une augmentation.
Cette évaluation est importante. Vous évoquez dans le rapport l’ensemble des mesures et actions qui peuvent être mises en œuvre. Il y a bien sûr les mesures d’urgence liées aux pics de pollution, comme la circulation alternée, mais aussi les actions de fond, comme la rénovation du parc automobile, le développement du transport public, l’isolation thermique des logements. Enfin, j’ai plaisir à le rappeler devant le secrétaire d'État chargé du budget la fiscalité sur les énergies fossiles, la fiscalité écologique recyclée pour faciliter l’investissement dans une économie plus sobre, ce qui est une action prioritaire.
La lecture de ce rapport nous invite à une prise de conscience et nous pousse à aller beaucoup plus loin que la gestion des pics de pollution. Elle nous invite aussi à traiter l’air intérieur, plusieurs collègues l’ont dit. Je voudrais, à cet égard, souligner un paradoxe sur le long terme : en isolant mieux les logements, en réduisant souvent leurs ouvertures, nous nous préparons à une aggravation de ce phénomène qui, s’il n’est pas anticipé, pourrait augmenter l’impact de la mauvaise qualité de l’air intérieur.
Je voudrais évoquer avant tout les actions concrètes, ce rapport étant intitulé Pollution de l’air : le coût de l’inaction. Il s’agit, monsieur le secrétaire d'État, d’un plan d’action. Vous répondrez tout à l’heure qu’il y en a eu plusieurs ; vous nous les décrirez longuement.
Je voudrais signaler quelques mesures utiles. Par exemple, l’appel à projets « villes respirables en cinq ans ». C’est pour demain, car chacun sait que la plupart des grandes villes françaises sont sous le coup d’un contentieux communautaire ! Nous ne respectons pas la directive européenne dans le domaine de la qualité de l’air des villes et nous risquons une amende ; j’alerte M. le secrétaire d'État du budget sur ce point. Cette directive s’est contentée de reprendre les taux de l’Organisation mondiale de la santé. Ce programme est donc un bel effort.
Deuxième action concrète annoncée : les certificats sur la qualité de l’air, dont la date d’application, toujours affichée sur le site du ministère, est prévue au 1er janvier. Difficile d’obtenir sa pastille… Leur édition est prévue, semble-t-il, pour le printemps.
C’est plutôt une bonne idée que de permettre la modulation des mesures pour les municipalités. Toutefois, on constate la difficulté de rendre effectifs des dispositifs qui ne s’appuient pas sur des critères existants et nécessitent une lourde organisation administrative. En tout cas, ces pastilles ne sont pas disponibles en ce mois de janvier 2016.
Troisième action annoncée par le Gouvernement ces derniers mois, monsieur le secrétaire d'État : les bonus pour les véhicules plus respectueux de l’environnement et moins émetteurs de gaz à effet de serre, de particules fines et de toutes sortes de polluants. Elle a été malheureusement limitée aux véhicules entièrement électriques, en tout cas pour le bonus significatif ; celui-ci est désormais trop faible, vous le savez bien, pour les véhicules hybrides, qui sont pourtant une bien meilleure réponse alternative aux véhicules essence ou diesel, puisqu’ils sont électriques sur de courtes distances, l’énergie fossile garantissant leur autonomie et donc la réalité de leur usage.
Quatrième action ou quatrième saga : les feux de cheminée. Le cas de la vallée de l’Arve a été cité tout à l’heure ; on sait combien, dans les zones alpines, le bois mal brûlé peut émettre de particules fines dangereuses pour la santé. Le bois peut être la meilleure comme la pire des énergies. La question de sa bonne combustion est centrale. Mme la maire de Paris interdit les feux de cheminée. Mme Royal lui interdit d’interdire. Le tribunal administratif a d'ailleurs désavoué la ministre de l’écologie. C’est dommage, parce qu’il aurait été bon de sensibiliser les populations au fait qu’une mauvaise combustion dans une cheminée contribue à l’émission de particules fines et d’autres polluants plus dangereux encore.
Au mois d’octobre dernier, dans le cadre des commissions techniques réunissant des groupes d’experts pour adapter les seuils d’émission des véhicules automobiles, c’est bien le gouvernement français qui a accepté le relèvement de ces seuils ! Je voudrais dire ici que c’est une action à l’envers, comme nous l’avons démontré dans le cadre de la commission thématique de l’OPCST, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, avec Denis Baupin, en présence à la fois d’un fonctionnaire du ministère français et d’un agent de la Commission européenne.
Enfin, dernier cas d’action, cette fois complètement à l’envers – vous avez bien compris que je décrivais les actions des plus positives aux moins efficaces, voire aux contreproductives, comme cette dernière –, la suppression de la taxe poids lourd.
Comment justifier l’abandon d’une mesure adoptée à l’unanimité dans le cadre du Grenelle ? Comment la comprendre quand on lit l’impact des émissions des poids lourds sur la qualité de l’air, la présence de particules fines et d’autres polluants ? Comment peut-on renoncer à cette ressource, monsieur le secrétaire d'État, qui devait alimenter l’Agence de financement des infrastructures de transport de France, l’AFITF ? Certes, le produit de l’augmentation de la taxe sur le gazole lui sera affecté, mais cette ressource aurait pu évoluer positivement dans le temps, permettant de rééquilibrer le coût de l’investissement entre le transport routier et le transport collectif.
Nous voyons donc, monsieur le secrétaire d'État, à travers ces rappels, que la question de la stratégie et de sa cohérence pour le Gouvernement est centrale.
Je soutiens l’ensemble des 61 propositions de la commission d’enquête, mais je voudrais, en conclusion, insister sur quelques-unes d’entre elles.
Quels financements de long terme prévoyez-vous pour les ASQA, organismes de qualité dont la viabilité est remise en cause ? Qu’en est-il de l’évolution de la fiscalité écologique, monsieur le secrétaire d’État ? Quand aurons-nous des stratégies cohérentes et des perspectives de moyen et long terme ? Enfin, quelle solution préconisez-vous, après l’abandon de la taxe poids lourd, pour faire face aux défis du financement du transport public ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, du RDSE, du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)