Mme la présidente. La parole est à M. Loïc Hervé.
M. Loïc Hervé. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la lutte contre la pollution atmosphérique représente un enjeu sanitaire et écologique majeur. Toutefois, l’enjeu est tout autant économique et financier.
Tout le monde reconnaît le drame sanitaire que constitue la pollution de l’air. Si l’on a beaucoup parlé de CO2 ces dernières semaines, lors de la COP21, à cause de son impact sur le changement climatique, il ne faut pas pour autant oublier les autres substances rejetées dans l’atmosphère et qui sont responsables de millions de morts chaque année à la surface de la planète.
En France, l’exposition aux particules fines provoquerait quelque 43 000 morts prématurées par an et la pollution au dioxyde d’azote, plus de 7 000. En 2015, la commission d’enquête sénatoriale sur le coût économique et financier de la pollution de l’air a dressé un constat objectif et alarmant sur l’impact de la pollution de l’air.
J’en profite, d’ailleurs, en tant que membre et vice-président de cette commission, pour témoigner du travail de terrain réalisé en profondeur sur ce sujet et pour féliciter Jean-François Husson, son président, et Leïla Aïchi, son rapporteur, de la qualité de leur rapport. Ce dernier révèle que la pollution de l’air nous coûterait plus de 100 milliards d’euros chaque année, soit deux fois plus que le coût sanitaire lié au tabac.
Après avoir recensé les principales sources de pollution de l’air, la commission a dressé le bilan des actions engagées et a avancé 61 propositions, adoptées à l’unanimité par ses membres et porteuses d’un développement économique durable. Elle préconise notamment de mettre en place une véritable fiscalité écologique, juste, équitable, incitatrice et responsabilisante. Elle souhaite un discours uniforme et clair de l’État sur l’après-diesel. Elle appelle de ses vœux l’encouragement de l’innovation, le déploiement des alternatives technologiques crédibles existantes et l’incitation à l’usage des moyens de mobilité durable chez les salariés.
Quelques jours après la fin de la COP21, et alors qu’un accord contraignant sur les taux de rejets de dioxyde de carbone a, pour la première fois, été validé au niveau mondial, il serait inconcevable que la France ne prenne pas des mesures ambitieuses et assume des choix cohérents à l’échelle nationale. Cela risquerait de jeter le discrédit sur notre pays et sa parole.
En effet, ce phénomène de pollution de l’air n’est pas, tel qu’on le présente trop souvent, l’apanage des grandes villes, à l’image de Paris, ville chère à notre collègue Yves Pozzo di Borgo ici présent, Pékin, Mexico ou Katmandou, plongées dans un brouillard gris et opaque.
Il concerne également les vallées alpines. La situation de la vallée de l’Arve, en Haute-Savoie, est un exemple de pollution atmosphérique marquant et récurrent par les effets cumulatifs de la densité de la population et d’une concentration industrielle le long d’un axe de circulation routière internationale intense, en direction de l’Italie via le tunnel du Mont-Blanc. La commission d’enquête a eu l’occasion de se rendre sur place. Cette situation est paradoxale compte tenu de l’attractivité de ce territoire mondialement connu et reconnu pour la qualité exceptionnelle du site du Mont-Blanc et les forts enjeux touristiques qui s’y attachent.
Aussi a-t-il été mis en place un plan de protection atmosphérique de la vallée de l’Arve depuis février 2012. La création d’un fonds air-bois, cofinancé par l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie, l’ADEME, et les collectivités locales, a obtenu l’adhésion de nombreux habitants sensibles à leur cadre de vie. Cette initiative ne demande qu’à être élargie, comme l’a souligné la commission d’enquête.
Toutefois, les mesures appliquées, telles que la limitation de la vitesse sur l’autoroute A40, l’interdiction de la circulation des poids lourds de type Euro 3 ou encore la mise en œuvre du fonds air-bois cité précédemment, demeurent insuffisantes à l’échelle du bassin de vie.
À l’instar de la vallée de l’Arve, qui a su mobiliser et fédérer tous les acteurs autour d’un plan antipollution comportant 35 mesures, les collectivités locales sont prêtes à agir, mais manquent de moyens dans le contexte de restriction budgétaire qu’elles subissent. Sur un sujet de santé publique, mission régalienne de l’État, seule une approche intégrée air-climat-énergie permettrait d’assurer une véritable cohérence entre les actions menées localement pour traiter des problèmes de pollution atmosphérique et climatique.
Les mesures à prendre sont parfaitement connues ; elles concernent principalement la rénovation énergétique de l’habitat, le développement et le renforcement des transports en commun et l’accompagnement de nos entreprises industrielles.
Malheureusement, je déplore le manque de politique volontariste de l’État, en particulier dans deux domaines. En matière de recherche industrielle, peu est fait pour limiter les rejets nocifs, alors même que l’innovation technologique dans ce domaine est porteuse d’économie, de croissance et d’emploi. Dans le domaine des transports, monsieur le secrétaire d'État, sans même évoquer le report modal Lyon-Turin, qui peine tant à aboutir, je citerai l’absence totale de politique ambitieuse en matière de transports en commun, qui constituent pourtant l’un des rouages essentiels de la lutte contre la pollution de l’air.
En juillet dernier, j’étais intervenu lors d’une séance de questions orales sur la nécessité de réformer l’assiette du versement transport. Celle-ci est basée sur la masse salariale, en totale contradiction avec l’objectif partagé de baisser le coût du travail. Nous en parlions encore ici il y a quelques instants à l’occasion des questions d’actualité au Gouvernement.
De même, j’ai récemment regretté l’absence de concertation du Gouvernement avec les élus locaux quant à l’avenir des trains d’équilibre du territoire, alors qu’a été annoncée la suppression du train Paris-St Gervais, liaison qui dessert un territoire montagnard mondialement reconnu et, chacun le sait, fortement menacé par la pollution.
Monsieur le secrétaire d'État, face à un tel enjeu de santé publique et aux engagements indéniables et constants des collectivités locales pour la préservation de leur environnement, des mesures fortes doivent être engagées au niveau national.
La France a su ouvrir le chemin de la COP21 ; son opiniâtreté a payé. Elle a aujourd’hui le devoir de montrer l’exemple en instaurant une politique volontariste et d’entraîner les autres pays européens dans la définition d’objectifs ambitieux pour la qualité de l’air. Monsieur le secrétaire d'État, il y a urgence ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, du RDSE et du groupe écologiste. – Mme Fabienne Keller applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Évelyne Didier.
Mme Évelyne Didier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je veux tout d’abord féliciter nos collègues Leila Aïchi et Jean-François Husson du travail remarquable qu’ils ont conduit et qui a abouti à un rapport que nous avons adopté à l’unanimité.
Ce rapport, intitulé très justement Pollution de l’air : le coût de l’inaction, dresse un constat juste et équilibré. Les chiffres, qui s’appuient sur des fourchettes basses, sont incontestables. Pourtant, ils sont éloquents : la pollution de l’air coûte au bas mot – je le signale pour ceux qui aiment les chiffres – 100 milliards d’euros.
C’est un problème de santé publique ; pour cette raison, la loi du 30 décembre 1996 a défini dans son article 1er le « droit reconnu à chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé ». La pollution atmosphérique concerne quelque 60 % des Français ; elle est responsable d’environ 42 000 décès prématurés chaque année.
Ajoutons que si cette pollution est un problème pour l’homme, elle constitue aussi un problème pour l’environnement, car c’est bien l’ensemble du vivant que l’on empoisonne.
L’apport particulier de ce rapport est de montrer que la lutte contre la pollution de l’air constitue aussi un enjeu financier. Cette approche permettra, je l’espère, de mobiliser plus largement. À l’heure où l’austérité renforce les exigences en matière de bonne gestion de l’argent public, ce chiffre laisse aussi, et c’est positif, entrevoir les marges de manœuvre dont nous disposons.
Il s’agit d’une mission régalienne de l’État, qui en répond désormais devant les instances européennes et même internationales. Ainsi, il faut noter que, en mai dernier, la 68e Assemblée mondiale de la santé a adopté une résolution importante sur la pollution de l’air, qui propose des orientations pour les États membres et l’OMS. C’est une première et cela témoigne d’une avancée majeure.
Au niveau européen, le Parlement européen a adopté un projet de nouvelles directives sur les plafonds nationaux, qui prévoit le respect de seuils plus bas et plus stricts d’ici à 2025 pour limiter les émissions de méthane et d’ammoniac dans l’agriculture, mais aussi pour réduire l’émission dans l’air d’oxyde d’azote, de matières particulaires, de dioxyde de soufre et de composés organiques non volatils. C’est positif.
Nous souscrivons tout à fait, dans cette logique, à la proposition n° 8 du présent rapport, qui prévoit d’aligner progressivement les valeurs d’exposition européennes sur celles qui sont prévues par l’OMS. Les seuils doivent être revus à la baisse, c’est l’évidence.
Pour autant, si nous sommes d’accord pour reconnaître que la configuration économique et géographique des territoires renvoie à des mesures localisées et à l’action nécessaire des autorités locales, nous devons néanmoins aider, par des politiques de soutien nationales et différenciées, les territoires les plus lourdement pénalisés. Je le répète, c’est une compétence de l’État.
Je voudrais aujourd’hui revenir sur la qualité de l’air sur les lieux de travail, que j’avais déjà évoquée lors des auditions de la commission d’enquête. En effet, il faut savoir que les normes en vigueur y tolèrent des seuils bien supérieurs aux limites ordinaires, notamment dans le métro ou dans des endroits mal ventilés. Les salariés exerçant en milieu confiné sont soumis à un niveau de pollution invraisemblable, beaucoup plus fort, évidemment, que celui qui est subi par le commun des mortels.
Nous partageons donc la proposition n° 50 de ce rapport, qui invite à « former les membres des CHSCT aux problématiques liées à la pollution de l’air ». Nous croyons en effet que la vigilance des représentants du personnel permettra une évolution positive sur ce dossier dans les entreprises.
J’avais déposé un amendement, dans le cadre de la loi de transition énergétique, visant à ce que le taux d’exposition des salariés aux particules fines soit révisé. Le Gouvernement avait demandé le retrait de cet amendement, arguant de ce qu’il fallait attendre le rapport de l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, de l’environnement et du travail, l’ANSES. Ce rapport est paru en septembre dernier. Le moment d’agir est donc venu pour fixer des règles d’exposition aux particules fines plus protectrices de la santé des salariés.
Cette question est importante. Déjà plusieurs travaux réalisés par Airparif et par l’Observatoire régional de la santé, l’ORS, révèlent une présence importante de particules fines dans l’enceinte du métro : leur concentration y est jusqu’à quatre fois plus forte qu’à l’extérieur. L’ANSES, dans son rapport, confirme ainsi que l’expertise conclut à l’existence d’un risque sanitaire respiratoire et cardiovasculaire lié à l’exposition chronique des travailleurs aux particules de l’air des enceintes ferroviaires souterraines.
Les risques sanitaires sont particulièrement élevés pour les travailleurs en charge de la maintenance des infrastructures. Les données disponibles montrent notamment des niveaux importants d’exposition aux émissions de motrices Diesel.
Par ailleurs, l’ANSES souligne que « la priorité de santé publique concerne la réduction de la pollution de l’air ambiant dans son ensemble. Dans ce contexte, le report modal du transport routier motorisé vers d’autres modes de transport moins polluants, dont le transport ferroviaire, reste à encourager. » Et l’ANSES de poursuivre : « Ce report modal concourt en premier lieu à réduire la pollution de l’air extérieure en réduisant les émissions du trafic routier. »
Nous partageons absolument cette analyse et, pour cette raison, nous approuvons la proposition n° 40 sur le fret ferroviaire. Le rééquilibrage modal permettra concrètement d’améliorer la qualité de l’air et réduira les émissions de gaz à effet de serre. Pour cette raison, parmi d’autres, nous proposons de longue date de déclarer le fret ferroviaire d’intérêt général.
Concernant la fiscalité, qui reste très peu abordée par le rapport, je crois que nous avons besoin de faire le point sur l’existant. Nous devons avoir un débat cohérent et clair sur la fiscalité écologique : que peut-on appeler, véritablement, fiscalité écologique ? On peut en effet quelquefois considérer qu’une taxe sur l’essence est davantage destinée à faire entrer de l’argent dans les caisses de l’État qu’à faire véritablement évoluer les mœurs. Il faut donc que ce débat porte sur la fiscalité qui doit peser sur la pollution d’une manière générale, et sur celle de la pollution de l’air en particulier.
Or le Gouvernement y revient par touches, au travers des lois de finances. La fiscalité écologique reste donc éclatée et peu lisible pour nos concitoyens. Il faut bien avouer ici que notre fiscalité, héritée de l’histoire et gouvernée par Bercy, est totalement incompréhensible : elle fait plus penser, parfois, à des recettes de cuisine qu’à des outils de régulation et de justice sociale ! Mais peut-être, monsieur le secrétaire d'État, allez-vous me contredire sur ce point.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Sûrement ! (Sourires.)
Mme Évelyne Didier. Certes, la taxation du diesel va augmenter. Pourquoi pas ? L’idée de rééquilibrer les taxes entre diesel et essence est sans doute intéressante ; elle est d’ailleurs préconisée, à l’horizon 2020, dans la proposition n° 12 du rapport, et le Gouvernement s’est engagé dans cette voie. Pour autant, nous devons procéder à cette évolution en restant attentifs à notre politique industrielle en matière automobile, mais aussi aux capacités de nos concitoyens aux faibles revenus.
Par ailleurs, il faut savoir que les poids lourds contribuent aujourd’hui finalement assez peu, alors même qu’ils portent une forte responsabilité dans cette pollution. Ils seront soumis à une taxe supplémentaire de quatre centimes sur le gasoil – nous savons qu’on remplace ainsi l’écotaxe –, mais, dans le même temps, ils bénéficieront d’un remboursement de la TIPP, ce qui annule en partie l’effet souhaité. C’est pourquoi nous partageons la proposition n° 22, qui préconise d’engager des négociations au niveau européen pour une fiscalité commune sur les transports routiers de marchandises. Il faut de la lisibilité et de la cohérence.
La COP21 nous conduit à revoir notre rapport au vivant, à l’environnement, pour permettre un avenir à l’humanité. Cet avenir passe aussi évidemment par une qualité de l’air suffisante. Nous souscrivons donc pleinement aux travaux entrepris.
Pour conclure, nous soulignons que ces défis devraient nous conduire à remettre en cause de manière globale le modèle économique actuel. Nous avons du travail : nous avons réussi à trouver l’unanimité pour voter ce rapport, mais qu’en sera-t-il lorsque nous arriverons aux mesures concrètes ? C’est une autre histoire… (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nelly Tocqueville.
Mme Nelly Tocqueville. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission d’enquête, madame la rapporteur, mes chers collègues, la Haute Assemblée est réunie aujourd’hui afin de débattre des conclusions du rapport de la commission d’enquête sénatoriale sur le coût économique et financier de la pollution de l’air, commission dont je salue la qualité des échanges tout au long des auditions.
Ce rapport, rendu public le 15 juillet 2015, doit fortement nous alerter, puisqu’il évalue à 101,3 milliards d’euros le coût annuel de la pollution de l’air en France. Nous connaissons déjà, depuis longtemps, les conséquences néfastes pour la santé que suscite ce type de pollution. Toutefois, celles-ci sont désormais chiffrables et chiffrées, mais en partie seulement.
Il ne s’agit pas uniquement d’un problème de santé publique, mais également d’un problème environnemental et économique majeur.
Les estimations, au niveau mondial, que l’OMS a publiées en mars 2014 portent à 7 millions le nombre de décès dus en 2012 à la pollution atmosphérique. L’OMS rappelle que celle-ci constitue le principal risque environnemental pour la santé dans le monde, même si, au niveau européen, elle constate une baisse des décès prématurés. Néanmoins, la commission d’enquête a rappelé que la qualité de l’air est un sujet de plus en plus préoccupant pour les Français.
Nous ne pouvons pas, par conséquent, rester passifs face à cet état de fait ; nous nous devons de proposer des solutions durables, efficientes et efficaces.
Je salue à cet égard les récentes décisions prises par le Gouvernement visant à compléter le plan d’action pour lutter contre la pollution atmosphérique. Je pense, notamment, au bonus de 10 000 euros permettant de donner à tous les Français l’accès à un véhicule propre, au « certificat qualité de l’air », mais aussi à l’appel à projets « Villes respirables en cinq ans », les collectivités étant des acteurs majeurs de la lutte contre la pollution de l’air.
Il convient également de rappeler avec force les nouvelles mesures qui visent à prévenir cette pollution atmosphérique et qui sont inscrites dans la loi sur la transition énergétique pour la croissance verte, promulguée le 17 août 2015. Je fais référence ici aux zones à circulation restreinte, aux avantages de stationnement et de péage accordés aux véhicules les moins polluants, à l’incitation à une baisse des vitesses en ville ou encore à l’interdiction des produits phytosanitaires dans l’espace public. Je me félicite aussi de l’instauration d’une journée nationale de la qualité de l’air, laquelle s’est tenue pour la première fois le 25 septembre dernier.
Nous constatons une véritable prise de conscience des enjeux liés aux conséquences de la pollution atmosphérique. Pour cette raison, nous nous devons de continuer à agir afin de faire respecter et de renforcer les normes existantes, ce qui garantira une meilleure qualité de l’air pour nos populations.
Néanmoins, le rapport de la commission d’enquête mentionne avec une certaine sévérité l’échec des mesures prises depuis vingt ans. Sévérité, oui, car ce rapport constate bien que plusieurs polluants ont disparu ces dernières années et que l’air que l’on respire est moins pollué aujourd’hui qu’il y a vingt ans. En effet, comme il est indiqué dans ce même rapport, entre 1990 et 2003, la quantité de dioxyde de soufre émise dans l’air a été réduite de près de 83 %. Sur cette même période, les émissions de particules dans l’atmosphère ont également subi une réduction, celle-ci de 29 %.
Si ces chiffres nous incitent à faire une lecture objective de la réalité de la pollution de l’air, ils nous obligent aussi à poursuivre les études et les actions, ainsi qu’à exploiter les résultats des avancées technologiques et scientifiques.
Toutefois, ce bilan chiffré de 101,3 milliards d’euros annuels ne nous permet plus d’user d’excuses : nous devons agir au vu des connaissances dont nous disposons et des diagnostics posés par les différents acteurs que nous avons auditionnés.
La nature de la pollution de l’air est certes difficilement appréhendable, car elle est la résultante de plusieurs facteurs : les modes de vie, les moyens de transports et de chauffage, ou encore la pollution engendrée par le secteur industriel.
Cependant, la France ne doit pas et ne peut pas agir seule face aux enjeux de la pollution de l’air : elle doit intervenir en interaction et en conformité avec les normes européennes et internationales. C’est ce qu’elle a fait avec l’adoption de la loi du 30 décembre 1996 sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie, dite « loi LAURE », qui énonce le « droit reconnu à chacun à respirer un air qui ne nuise pas à sa santé », ainsi que l’a rappelé Évelyne Didier. Cette loi est fondamentale, car elle pose explicitement le lien de cause à effet entre la pollution de l’air et les problématiques sanitaires.
Cependant, traiter le problème de la pollution de l’air, c’est également être confronté à une autre réalité : la multitude des polluants identifiés aujourd’hui, laquelle explique, pour partie, le constat de la sous-évaluation du coût de ce type de pollution qu’a dressé la commission d’enquête.
Quoi qu’il en soit, les effets restent identiques. On observe que les personnes exposées aux polluants atmosphériques sont victimes de dysfonctionnements de l’appareil respiratoire et cardiovasculaire. On constate également des cas de pathologies pulmonaires comme la bronchite ou l’asthme. Des effets indésirables peuvent aussi apparaître en ce qui concerne le développement neurologique, celui du fœtus et de la fonction cognitive.
Force est donc de constater que la pollution de l’air a pour conséquence un impact sanitaire manifeste et multiforme. Les symptômes peuvent apparaître à court terme, mais également plusieurs années après l’exposition aux polluants. Cela justifie d’ailleurs la difficulté à chiffrer les conséquences sanitaires, en particulier auprès des populations les plus vulnérables : les jeunes enfants, les personnes âgées et les personnes souffrant de pathologies chroniques.
La commission d’enquête a aussi constaté à la lecture de plusieurs études une pollution d’origine anthropique, provoquée par l’activité humaine. Quatre grands secteurs ont été identifiés : les transports, le résidentiel tertiaire, l’industrie, l’agriculture. Toutefois, il faut également mentionner une pollution aérobiologique, celle qui émane des polluants d’origine biologique, comme les pollens ou les moisissures, et qui sont responsables en grande partie des allergies respiratoires, toujours plus nombreuses.
Ainsi, d’une manière générale, deux types de pollution de l’air peuvent être identifiés : la pollution de l’air extérieur et celle de l’air intérieur. Cette dernière a été pendant longtemps négligée, car elle était peu connue. Elle est pourtant très importante, puisque l’OMS estime que près de 4,3 millions de personnes meurent prématurément de maladies imputables à la pollution de l’air intérieur.
Par ailleurs, si nous sommes alertés par les impacts sanitaires de la pollution de l’air en général, il ne faut pas occulter ceux sur l’environnement et l’économie, ni leur coût économique et financier. Cependant, les causes de celle-ci nous interpellent d’abord par leur caractère protéiforme.
Que l’on évalue les coûts sanitaires ou non sanitaires, que l’on apprécie en coûts tangibles ou intangibles, les manifestations de la pollution de l’air sont multiples : impact sur le système de santé, absentéisme et perte de productivité, baisse des rendements agricoles et forestiers, dégradation des écosystèmes, perte de biodiversité ou encore nuisances psychologiques, olfactives ou esthétiques.
Même s’il est possible de mettre en lumière les différents types de coûts qu’entraîne la pollution de l’air, il reste cependant très difficile de les quantifier. En effet, nous ne disposons pas aujourd’hui des éléments permettant de calculer avec exactitude le coût des conséquences atmosphériques sur les écosystèmes et sur la biodiversité. Il en est de même des pertes financières des rendements agricoles.
C’est un fait, par ailleurs mis en avant dans le rapport, il n’existe pas d’étude exhaustive recensant l’ensemble des coûts de la pollution de l’air tant intérieur qu’extérieur.
Pour cette raison même, la commission d’enquête considère que le coût total annoncé dans ce rapport concernant cet état de fait est sous-estimé, en particulier parce que nous ne sommes pas en mesure actuellement d’évaluer ce que l’on appelle « l’effet cocktail », résultat de l’association de plusieurs polluants, par ailleurs peu dangereux, considérés séparément. De plus, les avancées scientifiques et technologiques amènent régulièrement à la découverte de nouveaux polluants.
Calculer le coût économique et financier de la pollution de l’air trouve donc ses limites, comme le confesse la commission d’enquête, que celles-ci soient liées aux incertitudes scientifiques ou à la non-prise en compte de ces « effets cocktails ».
D’une manière générale, il est pratiquement impossible, ou du moins très complexe, de procéder à une estimation précise et irréfutable des coûts dits « intangibles », qu’ils soient sanitaires ou non, ce qui laisse à penser que le coût annoncé de 101,3 milliards d’euros est sous-estimé. C’est pourquoi ce constat nous oblige désormais à prendre nos responsabilités, à proposer des solutions et à les appliquer.
Dans cet esprit, la commission d’enquête préconise de mettre en place une fiscalité écologique et de compléter les normes existantes. Je partage cet avis, même si une fiscalité incitative doit être privilégiée à une fiscalité punitive. Aussi, elle propose le renforcement et la création de normes au vu des enjeux sanitaires, mais aussi du coût économique et financier que cela induit.
Néanmoins, il faudrait prendre en compte le résultat d’études scientifiques approfondies et irréfutables, notamment en matière de pollution de l’air intérieur, avant d’envisager de légiférer, tant subsiste encore un nombre significatif de données inconnues.
Il semblerait préférable, dans un premier temps, d’inciter à l’innovation, à la recherche et au développement, afin de lutter contre la pollution de l’air, d’autant que, comme le rapport l’indique, la France dispose d’un savoir-faire reconnu, d’acteurs de pointe dans le secteur des énergies nouvelles. Il serait donc opportun de continuer à travailler dans cette voie.
Je salue ainsi l’action dans ce domaine du Gouvernement, qui mobilise le programme des investissements d’avenir, stimule l’innovation en matière d’équipements de lutte contre la pollution, comme les filtres à cheminées ou encore les équipements agricoles.
Par ailleurs, je partage tout à fait l’avis énoncé dans le rapport, qui préconise de veiller à ne pas renforcer les inégalités sociales dues aux inégalités environnementales. En effet, force est de constater que ce sont les populations défavorisées vivant dans des quartiers où l’habitat est peu cher, voire dégradé, souvent près de zones industrielles ou de grands axes routiers, exposées à toutes ces formes de pollution qui en sont les premières victimes.
Je partage également l’idée d’un nécessaire changement de modèle de production agricole, d’un soutien accru à l’agriculture biologique et, d’une manière générale, d’une accélération de la transition vers une agriculture verte.
Il en est de même du développement des actions de pédagogie sur les problématiques liées à la pollution de l’air, et ce tant pour les particuliers que pour les entreprises.
En tant que sénatrice de la Seine-Maritime, je suis particulièrement sensible aux problèmes que rencontre le milieu agricole. Je constate, lors de mes déplacements, que les exploitants agricoles, y compris les jeunes, ne sont pas suffisamment sensibilisés aux dangers liés à la pollution inhérente à leur activité. Un réel effort de mobilisation est indispensable dans ce secteur. Ne pensez-vous pas, monsieur le secrétaire d'État, qu’il est devenu urgent et indispensable d’engager une réflexion avec les chambres d’agriculture sur le sujet ?
Pour conclure, je souhaite rappeler que la pollution de l’air doit être perçue comme un problème non pas purement national, mais bien européen et international.
Tout comme pour la déréglementation climatique, la récente COP21 à Paris en étant un parfait exemple, les problématiques liées à la pollution de l’air devront être appréhendées à l’échelle mondiale, a minima européenne, dans un premier temps. C’est aussi la raison pour laquelle il faudra poursuivre les investigations. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)