Article 47
Le titre II du livre VII du code de commerce est ainsi modifié :
1° Au 1° de l’article L. 721-3, après le mot : « commerçants, », sont insérés les mots : « entre artisans, » ;
2° Le chapitre II est ainsi modifié :
a) L’intitulé de la section 2 est ainsi rédigé : « Du statut des juges des tribunaux de commerce » ;
b) Il est inséré une sous-section 1 intitulée : « Du mandat » et comprenant les articles L. 722-6 à L. 722-16 ;
c) (nouveau) À la fin de la seconde phrase du premier alinéa de l’article L. 722-6, les mots : « , sans que puisse être dépassé le nombre maximal de mandats prévu à l’article L. 723-7 » sont supprimés ;
d) (nouveau) Après l’article L. 722-6, sont insérés trois articles L. 722-6–1 à L. 722-6-3 ainsi rédigés :
« Art. L. 722–6–1. – Le mandat de juge d’un tribunal de commerce est incompatible avec l’exercice d’un mandat de conseiller prud’homal ou d’un autre mandat de juge de tribunal de commerce.
« Les juges des tribunaux de commerce ne peuvent exercer la profession d’avocat, de notaire, d’huissier de justice, de commissaire-priseur judiciaire, de greffier de tribunal de commerce, d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire ou travailler au service d’un membre de ces professions pendant la durée de leur mandat.
« Art. L. 722–6–2. – Le mandat de juge d’un tribunal de commerce est incompatible avec l’exercice d’un mandat de représentant au Parlement européen.
« Il est également incompatible avec l’exercice d’un mandat de conseiller régional, de conseiller départemental, de conseiller d’arrondissement, de conseiller de Paris, de conseiller de la métropole de Lyon, de conseiller à l’Assemblée de Corse, de conseiller à l’Assemblée de Guyane ou de conseiller à l’Assemblée de Martinique, dans le ressort de la juridiction au sein de laquelle l’intéressé exerce ses fonctions.
« Il est également incompatible avec les fonctions de maire ou d’adjoint au maire.
« Art. L. 722–6–3. – Tout candidat élu au mandat de juge d’un tribunal de commerce qui se trouve dans un des cas d’incompatibilités mentionnés aux articles L. 722-6-1 et L. 722-6-2 ne peut être installé tant qu’il n’a pas mis fin à cette situation, dans le délai d’un mois, en mettant fin à l’exercice de la profession incompatible ou en démissionnant du mandat de son choix. À défaut d’option dans le délai imparti, le mandat de juge d’un tribunal de commerce prend fin de plein droit. Si la cause d’incompatibilité survient postérieurement à l’installation, il est réputé démissionnaire. » ;
e) Sont ajoutées deux sous-sections ainsi rédigées :
« Sous-section 2
« De l’obligation de formation
« Art. L. 722–17. – Les juges des tribunaux de commerce sont soumis à une obligation de formation initiale et de formation continue organisées dans des conditions fixées par décret.
« Tout juge d’un tribunal de commerce qui n’a pas satisfait à l’obligation de formation initiale dans un délai fixé par décret est réputé démissionnaire.
« Sous-section 3
« De la déontologie
« Art. L. 722–18. – Les juges des tribunaux de commerce exercent leurs fonctions en toute indépendance, impartialité, dignité et probité et se comportent de façon à prévenir tout doute légitime à cet égard.
« Toute manifestation d’hostilité au principe ou à la forme du gouvernement de la République est interdite aux juges des tribunaux de commerce, de même que toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions.
« Est également interdite toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions.
« Art. L. 722–19. – Indépendamment des règles fixées par le code pénal et les lois spéciales, les juges des tribunaux de commerce sont protégés contre les menaces, attaques de quelque nature que ce soit, dont ils peuvent être l’objet dans l’exercice ou à l’occasion de leurs fonctions. L’État doit réparer le préjudice direct qui en résulte, dans tous les cas non prévus par la législation des pensions.
« Un décret en Conseil d’État précise les conditions et limites de la prise en charge par l’État, au titre de la protection, des frais exposés par le juge dans le cadre d’instances civiles ou pénales.
« Art. L. 722–20. – Les juges des tribunaux de commerce veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement les situations de conflit d’intérêts.
« Constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction.
« Art. L. 722–21. – Dans les deux mois qui suivent l’installation dans leurs fonctions, les juges des tribunaux de commerce remettent une déclaration d’intérêts :
« 1° Au président du tribunal, pour les juges du tribunal de commerce ;
« 2° Au premier président de la cour, pour les présidents des tribunaux de commerce du ressort de cette cour ;
« La déclaration d’intérêts mentionne les liens et les intérêts détenus de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif des fonctions, que le déclarant a ou qu’il a eu pendant les cinq années précédant l’installation dans ses fonctions.
« La remise de la déclaration d’intérêts donne lieu à un entretien déontologique du juge avec l’autorité à laquelle la déclaration a été remise, ayant pour objet de prévenir tout éventuel conflit d’intérêts. L’entretien peut être renouvelé à tout moment à la demande du juge ou de l’autorité. Tout entretien donne lieu à l’établissement d’un compte rendu.
« Toute modification substantielle des liens et intérêts détenus fait l’objet, dans un délai de deux mois, d’une déclaration complémentaire dans les mêmes formes et peut donner lieu à un entretien déontologique.
« La déclaration d’intérêts ne peut pas être communiquée aux tiers.
« À défaut de remise de la déclaration d’intérêts dans les délais prévus, le juge concerné est réputé démissionnaire.
« Un décret en Conseil d’État précise les conditions d’application du présent article, notamment le modèle, le contenu et les conditions de remise, de mise à jour et de conservation de la déclaration d’intérêts, ainsi que le modèle, le contenu et les conditions de conservation du compte rendu de l’entretien.
« Art. L. 722–22. – Les présidents des tribunaux de commerce adressent au président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique une déclaration de situation patrimoniale, dans les deux mois qui suivent l’installation dans leurs fonctions et dans les deux mois qui suivent la cessation de leurs fonctions.
« La déclaration de situation patrimoniale est établie, contrôlée et sanctionnée dans les conditions et selon les modalités prévues aux premier et quatrième alinéas du I et aux II et V de l’article 4 et aux articles 6, 7 et 26 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.
« Toute modification substantielle de la situation patrimoniale fait l’objet, dans un délai de deux mois, d’une déclaration complémentaire dans les mêmes formes.
« Aucune nouvelle déclaration n’est exigée du président qui a établi depuis moins de six mois une déclaration en application du présent article, des articles 4 ou 11 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 précitée ou de l’article L.O. 135-1 du code électoral.
« La déclaration de situation patrimoniale ne peut pas être communiquée aux tiers.
« Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, précise les conditions d’application du présent article, notamment le modèle, le contenu et les conditions de mise à jour et de conservation des déclarations de situation patrimoniale. » ;
3° (nouveau) Le chapitre III est ainsi modifié :
a) À la fin du 2° de l’article L. 723-1, les mots : « ayant demandé à être inscrits sur la liste électorale » sont supprimés ;
b) Au 5° de l’article L. 723-4, les mots : « les cinq dernières années au moins » sont remplacés par les mots : « cinq années » et après le mot : « sociétés », sont insérés les mots : « ou au répertoire des métiers » ;
c) Les articles L. 723-5 et L. 723-6 sont abrogés ;
d) L’article L. 723-7 est ainsi rédigé :
« Nul ne peut être élu juge d’un tribunal de commerce s’il a plus de soixante-dix ans révolus. » ;
e) L’article L. 723–8 est abrogé ;
4° Le chapitre IV est ainsi modifié :
a) L’article L. 724–1 est ainsi rédigé :
« Art. L. 724–1. – Tout manquement par un juge d’un tribunal de commerce aux devoirs de son état, à l’honneur, à la probité ou à la dignité constitue une faute disciplinaire. » ;
b) Après l’article L. 724–1, il est inséré un article L. 724-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 724–1–1. – En dehors de toute action disciplinaire, les premiers présidents de cour d’appel ont le pouvoir de donner un avertissement aux juges des tribunaux de commerce situés dans le ressort de leur cour, après avoir recueilli l’avis du président du tribunal de commerce et du procureur de la République. Aux mêmes fins, les procureurs généraux peuvent saisir les premiers présidents. »
5° L’article L. 724–3 est ainsi rédigé :
« Art. L. 724–3. – Après audition de l’intéressé par le premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle le tribunal de commerce a son siège, assisté du président du tribunal, la commission nationale de discipline peut être saisie par le ministre de la justice ou par le premier président. »
6° Après le même article L. 724–3, sont insérés des articles L. 724-3–1 et L. 724-3–2 ainsi rédigés :
« Art. L. 724–3–1. – Les sanctions disciplinaires applicables aux juges des tribunaux de commerce sont :
« 1° Le blâme ;
« 2° L’interdiction d’être désigné dans des fonctions de juge unique pendant une durée maximale de cinq ans ;
« 3° La déchéance assortie de l’inéligibilité pour une durée maximale de dix ans ;
« 4° La déchéance assortie de l’inéligibilité définitive.
« Art. L. 724–3–2. – La cessation des fonctions pour quelque cause que ce soit ne fait pas obstacle à l’engagement de poursuites et au prononcé de sanctions disciplinaires.
« Dans ce cas, les sanctions disciplinaires applicables sont :
« 1° Le retrait temporaire ou définitif de l’honorariat ;
« 2° L’inéligibilité pour une durée maximale de dix ans ;
« 3° L’inéligibilité définitive ;
7° La première phrase de l’article L. 724-4 est ainsi rédigée :
« Sur proposition du ministre de la justice ou du premier président de la cour d’appel dans le ressort de laquelle le tribunal de commerce a son siège, le président de la commission nationale de discipline peut suspendre un juge d’un tribunal de commerce, préalablement entendu par le premier président, pour une durée qui ne peut excéder six mois, lorsqu’il existe contre l’intéressé des faits de nature à entraîner une sanction disciplinaire. »
Mme la présidente. L'amendement n° 229, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cet amendement vise à supprimer une disposition introduite par la commission des lois du Sénat et ayant pour objet d’étendre la compétence des tribunaux de commerce aux litiges entre artisans.
Nous voulons faire valoir que la catégorie des artisans recouvre des activités extrêmement diverses. Pour les artisans commerçants, il est logique que les contentieux les concernant soient traités par le tribunal de commerce. En revanche, les contentieux des artisans non commerçants relèvent du tribunal de grande instance.
Le fait d’étendre systématiquement les contentieux des artisans aux tribunaux de commerce nous paraît introduire une rigidité qui ne correspond pas à la réalité et à la diversité des contentieux.
Pour ces raisons, nous proposons la suppression de cette disposition introduite en commission.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, rapporteur. J’aurais aimé pouvoir vous dire que nous améliorerions le dispositif au cours de la navette parlementaire, mais, malheureusement, le projet de loi est examiné en procédure accélérée.
La commission s’est prononcée hier matin ; elle a émis un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. À la suite du débat que nous avons eu hier en commission, et après vérification, j’ai pu constater qu’il n’y avait pas de consensus à ce sujet parmi les organisations représentatives des artisans.
C'est pourquoi nous soutenons l’amendement du Gouvernement.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Je suis d’accord avec M. Sueur ; je ne crois pas que cette disposition soit une bonne chose et je soutiens la position du Gouvernement. Il est évident que le fait de changer de juridiction n’est pas forcément un plus pour les artisans.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Yves Détraigne, rapporteur. Je souhaite préciser que cette idée n’a pas germé toute seule dans ma tête : j’ai consulté les instances nationales représentant les artisans, les chambres de métiers et de l’artisanat, qui se sont déclarées favorables à cette proposition.
Mme la présidente. L'amendement n° 117 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Amiel, Arnell, Barbier, Bertrand, Guérini, Castelli, Collin, Esnol et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Après les mots :
commissaire-priseur judiciaire
insérer les mots :
, d’expert-comptable, de commissaire aux comptes
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. L’article 47 énumère un certain nombre d’incompatibilités pour être juge au tribunal de commerce. Il est précisé, à l’alinéa 9 : « Les juges des tribunaux de commerce ne peuvent exercer la profession d’avocat, de notaire, d’huissier de justice, de commissaire-priseur judiciaire, de greffier de tribunal de commerce, d’administrateur judiciaire et de mandataire judiciaire ou travailler au service d’un membre de ces professions ».
Je propose d’ajouter les professions d’expert-comptable et de commissaire aux comptes. Je pense en particulier aux juridictions dans les départements faiblement peuplés, où les experts-comptables et les commissaires aux comptes possèdent une connaissance évidente de tout le milieu économique. Cette solution me paraît raisonnable et sage. Si les notaires ne peuvent pas être juges au tribunal de commerce, par exemple, il est logique d’exclure également les experts-comptables et les commissaires aux comptes.
Que la juridiction commerciale les nomme comme experts, c’est tout à fait logique ! J’entends bien qu’on interdise, à juste titre d’ailleurs, aux notaires ou aux avocats de siéger comme juges dans les tribunaux de commerce. Mais permettre aux représentants du chiffre, qui œuvrent dans le domaine économique, de continuer à y siéger me paraît tout de même une aberration.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, rapporteur. En matière d’incompatibilités professionnelles pour les juges consulaires, le projet de loi procède par assimilation avec le statut de la magistrature.
Ainsi, l’article 9–1 de l’ordonnance portant loi organique relative au statut de la magistrature prévoit que les magistrats et anciens magistrats ne peuvent travailler pour des professions judiciaires, c’est-à-dire en lien direct avec le travail quotidien des juridictions, tels les avocats, greffiers de tribunal de commerce ou administrateurs judiciaires, afin de prévenir les risques de conflit d’intérêts. On ne peut pas prétendre, me semble-t-il, qu’un expert-comptable ou un commissaire aux comptes travaille en fonction des décisions du tribunal de commerce ou des désignations auxquelles il procède.
Sur le fond, cet amendement ne semble donc pas justifié, sauf à allonger la liste à tous les prestataires qui accompagnent les entreprises.
En outre, l’adoption de cet amendement créerait une rupture dans le parallèle statutaire entre les juges consulaires et les magistrats professionnels. Or, sur ce point, le projet de loi organique n’a pas modifié les incompatibilités professionnelles des magistrats judiciaires.
C’est pourquoi je demande le retrait de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le sujet des incompatibilités n’est pas anodin. Je dois vous l’avouer, il s’agit à chaque fois d’un casse-tête. Inclut-on trop de catégories ? N’oublie-t-on pas des catégories qui seraient en situation objective ou, à tout le moins, potentielle de conflit d’intérêts ? C’est une réalité.
Nous essayons toujours de trouver un principe lisible, intelligible, stable, et c’est ce que nous avons fait ici. Ainsi, nous avons retenu toutes les catégories qui participent à l’œuvre de justice, les professions judiciaires ou juridiques, à savoir les auxiliaires de justice, les notaires, les avocats, les commissaires-priseurs. C’est sur cette base que nous nous sommes fondés.
Il y a toujours des incompatibilités évidentes et des incompatibilités farfelues – certains ne voient pas pourquoi il serait gênant que telle profession siège ! Mais il y a aussi des catégories qui se situent entre les deux et sur lesquelles on peut s’interroger.
Vous avez raison, on peut s’interroger sur la présence des experts-comptables et des commissaires aux comptes. Quelles raisons peuvent nous conduire à trancher ?
D’une part, les compétences de ces professionnels sont-elles susceptibles d’être utiles à la juridiction commerciale ? Incontestablement, oui.
D’autre part, le risque de conflit d’intérêts est-il prévenu ? Oui aussi, dans la mesure où, au regard de la clause d’impartialité, ces professions ne sauraient siéger dans une juridiction commerciale pour des affaires concernant des entreprises, des unités économiques dont elles auraient eu à connaître.
Je le sais, le système n’est jamais parfait. Moi-même, après avoir hésité, je présenterai dans quelques instants un amendement visant à introduire une autre catégorie.
Aussi, je ne dirai pas que vous avez tort de vouloir exclure les experts-comptables et les commissaires aux comptes. Nous considérons que ces professionnels peuvent apporter leur expertise et leur connaissance dans les audiences des tribunaux de commerce et qu’ils seront empêchés de siéger en cas de conflit d’intérêts. Cette solution est sans doute imparfaite, mais elle me paraît être… celle qu’il faut retenir – vous m’en auriez voulu éternellement si je n’avais pas terminé cette phrase (Sourires. – Mais non ! sur plusieurs travées.)
Mme la présidente. Madame la garde des sceaux, personne ne saurait vous en vouloir ici : c’est une grande Maison !
La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Je le comprends très bien, il n’est pas facile de dresser une liste des incompatibilités, et je comprends aussi la position de la commission.
Cependant, à travers l’amendement n° 117 rectifié, notre collègue Jacques Mézard pose là un vrai problème. Les experts-comptables ou les commissaires aux comptes peuvent avoir à connaître des informations, surtout dans les petits tribunaux de province où tout circule : les choses sont interactives et les gens se connaissent. La question du conflit d’intérêts se pose donc.
La position de la commission est aussi défendable. Il y a là une véritable difficulté, et il faut arbitrer.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Yves Détraigne, rapporteur. Je le souligne, il existe une obligation de déport si les juges ont une connaissance particulière de l’affaire concernée. (M. Jacques Mézard fait une moue dubitative.) C’est de cette manière que le problème doit se régler, même si je ne semble pas convaincre mon collègue Jacques Mézard… Je le répète : il existe une obligation de déport.
M. Pierre-Yves Collombat. Une restriction mentale, comme chez les jésuites !
Mme la présidente. Monsieur Mézard, l'amendement n° 117 rectifié est-il maintenu ?
M. Jacques Mézard. Oui, je le maintiens, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 230, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 11
Après les mots :
de conseiller départemental,
insérer les mots :
de conseiller municipal,
II. – Alinéa 12
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cet amendement vise à rétablir l’incompatibilité entre un mandat de juge consulaire et un mandat de conseiller municipal.
Je viens de l’évoquer, j’ai eu une hésitation sur ce point. La commission des lois a limité l’incompatibilité du mandat de juge du tribunal de commerce aux fonctions de maire ou d’adjoint au maire, alors que nous avions prévu une incompatibilité avec la fonction de conseiller municipal.
Je le répète, j’ai hésité, le conseiller municipal, qu’il appartienne à la majorité ou à l’opposition du conseil municipal, est généralement impliqué sur le plan local et n’a pas d’influence particulière. Il arrive qu’un conseiller municipal ait une délégation, mais ce n’est pas un adjoint au maire.
Certes, j’étais quelque peu gênée de rendre incompatible la participation à la juridiction commerciale et la participation à la vie civile et à la vie publique au sein de la mairie. Mais il se trouve que les juges consulaires, que nous avons consultés, souhaitent le maintien de cette incompatibilité au motif, qui me paraît d’ailleurs complètement invraisemblable, que seul le conseiller municipal de la ville serait concerné. Le conseiller municipal d’une autre ville pourrait siéger au tribunal de commerce. Je ne vois pas très bien pourquoi un conseiller municipal d’une autre ville viendrait siéger dans la ville voisine ; cette hypothèse me paraît fortement improbable. Mais ce raisonnement peut se concevoir.
Je le disais, j’ai hésité, mais le Gouvernement souhaite rétablir cette incompatibilité, car la profession elle-même considère que cette disposition doit être maintenue.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, rapporteur. Avant de limiter l’incompatibilité aux seuls maire ou adjoint au maire, j’ai évidemment interrogé les représentants de la profession. Or ceux-ci ne m’ont visiblement pas dit la même chose, madame la garde des sceaux… Sauf s’ils ont des représentations à géométrie variable ! L’incompatibilité avec les fonctions de maire et d’adjoint au maire leur semblait suffisante.
Pour ma part, je suis maire depuis vingt-six ans et conseiller municipal depuis trente et un ans. Quand une entreprise rencontre une difficulté, elle ne la porte généralement pas sur la place publique. Elle avertit le maire – elle craint que la presse ne s’en fasse l’écho –, mais pas les autres conseillers municipaux.
Je ne m’appesantirai pas sur cette question, mais la disposition que nous avons proposée ne me semble pas poser de problème particulier.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. J’irai dans le sens des propos tenus par le rapporteur.
Tout d’abord, la restriction proposée par le Gouvernement me semble quelque peu sévère d’autant que le conseiller municipal n’appartient pas à l’exécutif municipal de la ville. Si je lis bien l’alinéa 11, le mandat de juge d’un tribunal de commerce serait incompatible avec la fonction de conseiller municipal dans le ressort du tribunal. Cela vise donc tous les conseillers municipaux.
Ensuite, si l’on prend le problème à l’envers, cela signifie que ne pourraient pas siéger dans les conseils municipaux des personnes qui, par ailleurs, exercent une activité commerciale ou autre, ce qui est fâcheux.
Enfin, après le plaidoyer pour les professionnels du chiffre – ils sont du même milieu, travaillent dans les mêmes sphères ! –, l’indulgence dont on a fait preuve à leur égard…
M. Pierre-Yves Collombat. … me paraît quelque peu plus laxiste que celle que nous montrons envers les conseillers municipaux.
C’est pourquoi la rédaction proposée par la commission est tout de même satisfaisante.
Mme la présidente. L'amendement n° 210, présenté par MM. Sueur, Bigot, Richard, Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 27
Supprimer les mots :
ou paraître influencer
La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Notre position est très claire : nous pensons qu’il est profondément anormal de statuer sur un conflit d’intérêts sur la base des apparences. Il y a conflit d’intérêts s’il y a des faits, et non des apparences.
Comme nous avons déjà eu ce débat longuement hier, me semble-t-il, je me bornerai à cette déclaration, qui vaudra également pour l’amendement n° 211.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, rapporteur. Les amendements nos 210 et 211 – l’un porte sur l’alinéa 27 et l’autre sur l’alinéa 31 – visent à supprimer la « théorie des apparences » de la définition du conflit d’intérêts applicable aux fonctions juridictionnelles.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. Yves Détraigne, rapporteur. Pour définir la notion de conflit d’intérêts, le projet de loi organique et le présent projet de loi ont simplement repris la définition posée par le législateur, sur l’initiative du Gouvernement, dans la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est pour cette raison que nous voulons y revenir !
M. Yves Détraigne, rapporteur. À l’époque, la question de la théorie des apparences – la question du « paraître influencer » – avait suscité beaucoup de débats, en particulier dans notre assemblée. Mais cette rédaction avait finalement été maintenue dans la loi.
La semaine dernière, la commission des lois a conservé cette définition, qui est reprise à l’identique dans les différents textes législatifs relatifs à la déontologie. C’est, par exemple, le cas dans le projet de loi relatif à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires, s’agissant, notamment, de la déontologie des membres du Conseil d’État, des magistrats administratifs et des magistrats financiers. Toutes les définitions législatives sont identiques et comportent, depuis 2013, les termes « paraître influencer ».
Aussi, le débat soulevé par cet amendement semble anachronique.
M. Jean-Pierre Sueur. Ah non !
M. Yves Détraigne, rapporteur. Il me semble donc curieux de vouloir aujourd'hui écarter cet aspect de la définition, sous prétexte que des magistrats seraient concernés. La justice doit, au contraire, être aussi impartiale dans les faits que dans l’apparence. Il n’y a donc pas lieu de modifier ces alinéas.
C’est pourquoi j’émets un avis défavorable sur ces deux amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Sueur, nous avons déjà débattu de cette question hier, lors de l’examen du projet de loi organique.
Comme M. le rapporteur vient de l’expliquer, la formule que vous contestez est celle qui est généralement en usage. Or, en droit, il est nécessaire d’user de la même formulation pour désigner le même contentieux, la même sanction ou, de façon générale, le même objet. Si celle-ci vous choque, monsieur le sénateur, il faut la modifier partout où elle est employée,…
M. Jean-Pierre Sueur. Mais certainement !
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle. Après avoir entendu M. le rapporteur puis Mme le garde des sceaux, je me range à la conclusion de celle-ci : si nous devions modifier l’article 47 du projet de loi dans le sens souhaité par M. Sueur, il faudrait, pour le parallélisme, modifier également la loi relative à la transparence de la vie publique et toutes les dispositions qui comportent la même formulation. Dans ces conditions, je serais prêt à voter les amendements nos 210 et 211, si le Gouvernement s’engageait à faire disparaître cette formule partout où elle est employée.
De fait, monsieur Sueur, je suis assez d’accord avec vous. Je suis, si l’on peut dire, cartésien : je considère que l’influence doit être établie par des faits réels, en l’absence desquels l’expression « peut paraître » ouvre la porte à toutes les interprétations. Si l’on voulait appliquer le principe de précaution sur un tel fondement, je pense que de nombreuses personnes seraient forcées d’abandonner leur fonction !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. La nature des arguments que viennent d’avancer M. le rapporteur puis Mme la garde des sceaux me conduit à reprendre la parole. En fin de compte, le seul argument que l’on trouve à m’opposer tient à l’utilisation de la même formulation dans les dispositions relatives aux conseillers d’État, aux magistrats des tribunaux de commerce, aux magistrats de la Cour des comptes, à ceux de la Cour de cassation – bref, à tout le monde.
Seulement voilà : cette formulation, je la conteste, car je ne comprends pas comment on peut fonder la législation relative aux conflits d’intérêts sur les apparences, c’est-à-dire sur la rumeur.
La rumeur, je la connais bien.
M. Pierre-Yves Collombat. En effet, Mme la garde des sceaux n’a été épargnée ni par la rumeur ni par la calomnie !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous sommes plusieurs à la connaître, mais, lorsqu’on a été longtemps l’élu d’Orléans, on la connaît particulièrement bien. Or la rumeur est détestable.
On m’objecte que, puisque tous les textes font référence aux apparences, il faut y faire référence aussi dans ce projet de loi. C’est une pétition de principe. Je souhaite, moi, que l’on supprime cette référence partout. En effet, le conflit d’intérêts doit être fondé sur des faits, et non sur le qu’en-dira-t-on, des présomptions, des bruits ou des on-dit. Tout cela n’est ni sain, ni correct, ni conforme au droit ! (Mme Christiane Kammermann opine.)
En conséquence, j’inclinerais volontiers à préparer une proposition de loi tendant à supprimer l’ensemble des références aux apparences – en somme, une proposition de loi sur la réalité des choses. Cette initiative serait intéressante sur le plan philosophique, cher à M. Collombat !
Dans l’immédiat, nous avons l’occasion de lancer le mouvement. Rien ne nous empêchera de l’amplifier par la suite.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. En toute bonne camaraderie, je tiens à faire remarquer à tous ceux qui, contrairement à moi, ont voté cette magnifique loi que la notion de conflit d’intérêts qu’ils ont introduite dans notre droit qui, jusqu’alors, ne connaissait que celle de délit n’a pas de sens indépendamment des apparences. Quand on commet un acte délictuel, on est éventuellement sanctionné. Le conflit d’intérêts, c’est tout autre chose : c’est toujours l’apparence d’un conflit d’intérêts. Chers collègues qui avez accepté que l’on change ainsi la donne, il est un peu tard pour vous étonner !
M. Gérard Longuet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote.
M. Thani Mohamed Soilihi. Je suis favorable à la suppression de la référence aux apparences de la définition du conflit d’intérêts. Je suis persuadé que, si nous commençons par le faire pour les magistrats, nous pourrons, à l’avenir, modifier partout où elle figure cette définition qui n’est pas acceptable, car elle est trop large et permet trop d’interprétations. Chiche, commençons maintenant !
Mme la présidente. L’amendement n° 211, présenté par MM. Sueur, Bigot, Richard, Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 31
Supprimer les mots :
ou paraître influencer
Cet amendement a été précédemment défendu.
La commission et le Gouvernement ont déjà fait connaître que leurs avis sont défavorables.
Je mets aux voix l’amendement n° 211.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Mme la présidente. L’amendement n° 254, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 35
Insérer un alinéa ainsi rédigé
« Lorsqu’une procédure disciplinaire est engagée, la commission nationale de discipline et le ministre de la justice peuvent obtenir communication de la déclaration d’intérêts et du compte rendu de l’entretien déontologique.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Yves Détraigne, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination entre le statut des juges consulaires et le statut de la magistrature en ce qui concerne la communication de la déclaration d’intérêts et le compte rendu de l’entretien déontologique en cas de procédure disciplinaire.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L’amendement n° 52 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Amiel, Arnell, Barbier, Bertrand, Guérini, Castelli, Collin et Fortassin, Mmes Jouve et Laborde, MM. Requier et Vall et Mme Malherbe, est ainsi libellé :
Alinéa 38
Après la référence :
article 4
insérer la référence :
, au premier alinéa de l’article 5
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Il s’agit de s’assurer que la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique pourra transmettre à l’administration fiscale la déclaration de situation patrimoniale des juges des tribunaux de commerce.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, rapporteur. Cet amendement est similaire à l’amendement n° 12 qui a été présenté à l’article 21 du projet de loi organique. Or cet article, dans la rédaction adoptée par la commission des lois et confirmée par notre assemblée, ne prévoit pas l’application de la disposition proposée aux chefs de juridiction soumis à l’obligation de déclarer leur patrimoine. Au nom de la cohérence entre les deux textes, et avec le souci d’harmoniser autant que possible les dispositions applicables aux juges consulaires et aux magistrats professionnels en matière de déontologie, je sollicite le retrait de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement va plus loin ; il émet un avis de sagesse sur cet amendement.
Mme la présidente. Monsieur Collombat, l’amendement n° 52 rectifié est-il maintenu ?
M. Pierre-Yves Collombat. Ce n’est pas moi qui me battrai pour ce genre de mesures. Reste que, s’il y a bien des magistrats pour lesquels elles pourraient malgré tout avoir un sens, ce sont ceux des tribunaux de commerce !
M. Gérard Longuet. Évidemment !
M. Pierre-Yves Collombat. Franchement, on nage en plein paradoxe…
Mme la présidente. L’amendement n° 231, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 44
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
...) Au 3° de l’article L. 723–4, les mots : « de sauvegarde, » sont supprimés ;
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cet amendement tend à supprimer le motif d’inéligibilité au mandat de juge consulaire résultant de l’existence d’une procédure de sauvegarde.
Je me permets de rappeler aux honorables sénateurs que nous avons modifié la législation en matière de prévention des difficultés des entreprises et de procédures collectives, dans l’intention d’améliorer l’anticipation. C’est ainsi que nous avons instauré une procédure de rétablissement du chef d’entreprise, afin d’inciter les chefs d’entreprise à réagir le plus tôt possible, de sorte que l’on puisse sauver l’entreprise et les emplois. Cette amélioration du dispositif de sauvegarde vise à encourager les chefs d’entreprise à appeler au secours suffisamment tôt, afin que l’entreprise ait le plus de chances d’être sauvée. Or ces chefs d’entreprise seraient pénalisés si l’ouverture d’une procédure de sauvegarde entraînait leur inéligibilité au mandat de juge consulaire.
On sait bien quel mécanisme psychologique joue lorsqu’une entreprise rencontre des difficultés, surtout si elle est très petite, petite ou moyenne : quand les problèmes commencent à s’amonceler et que le chef d’entreprise ne sait plus comment s’y prendre, il a tendance à se refermer sur lui. Nous avons souhaité, au contraire, favoriser la réaction précoce et l’appel, sinon à l’aide, du moins à l’accompagnement. Il serait illogique que, ayant rendu plus attractive la procédure de sauvegarde, nous punissions, d’une certaine manière, les chefs d’entreprise qui réagissent assez tôt.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. C’est une position raisonnable.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Yves Détraigne, rapporteur. Avis favorable.