M. Jacques Mézard. Nous proposons d’insérer un alinéa visant à octroyer aux avocats les mêmes droits d’interrogation de la base de données du bureau d’ordre national automatisé des procédures judiciaires « Cassiopée » que les agents du greffe. Cela faciliterait les choses, mais ce serait tellement pratique qu’on va sans doute me demander de retirer cet amendement ! (Sourires.)

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Détraigne, rapporteur. Je m’empresse de rassurer notre collègue Mézard sur l’intérêt que nous portons à l’amendement qu’il nous présente !

L’accès à l’application pénale Cassiopée est évidemment très réglementé. L’idée est intéressante, mais sa mise en œuvre est-elle envisageable, sachant que seuls des agents spécialement habilités peuvent aujourd’hui accéder à Cassiopée ?

Sur cet amendement, la commission sollicite l’avis du Gouvernement.

Mme la présidente. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le président Mézard, personne n’a jamais exprimé l’idée que vos propositions seraient d’ordre purement pratique et qu’elles ne mériteraient pas intérêt. Au contraire, voyez les débats qu’elles suscitent ! Vous soulevez des questions de fond, des sujets souvent lourds de conséquences que je veille à prendre le temps d’expliciter, quitte parfois à vous importuner avec un excès de précisions, de détails ou d’analyses.

Vous proposez de permettre aux avocats d’accéder à Cassiopée. Cela m’étonne un peu, car je sais que vous êtes très attentif à la préservation des données personnelles.

Cassiopée est un applicatif qui collecte toute une série d’informations très personnelles concernant les auteurs, les victimes et les témoins impliqués dans un dossier. Cela pose la question de la qualité des personnes qui y ont accès et de l’usage qui est susceptible d’être fait de ces informations.

Les avocats disposent déjà de toutes les pièces concernant leurs dossiers au fur et à mesure du déroulement de l’enquête ou de l’information, mais il ne me semble pas envisageable de leur donner un accès direct à toutes les données collectées dans Cassiopée sans prendre les précautions nécessaires afin de maîtriser l’usage qui pourra en être fait.

J’émets donc un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Monsieur Mézard, l'amendement n° 29 rectifié est-il maintenu ?

M. Jacques Mézard. Dans le cadre de l’acharnement thérapeutique que je citais, je vais retirer mon amendement.

Je rappelle simplement que les avocats sont des auxiliaires de justice ayant prêté serment, et je constate à regret le fossé considérable qui existe entre la magistrature et les modestes, très modestes auxiliaires de justice !

Mme la présidente. L'amendement n° 29 rectifié est retiré.

Je mets aux voix l'article 2, modifié.

(L'article 2 est adopté.)

Article 2 (début)
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Discussion générale

5

Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire

Mme la présidente. Mes chers collègues, je suis particulièrement heureuse de saluer en votre nom la présence, dans notre tribune d’honneur, d’une délégation parlementaire du Sénat du royaume du Cambodge, conduite par M. Chea Cheth, président de la commission des finances. (Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)

Le séjour d’études en France de la délégation, qui s’inscrit dans le cadre du programme annuel de coopération conclu entre nos deux assemblées, porte cette année principalement sur les thématiques des finances publiques et des collectivités territoriales.

En outre, la délégation est accueillie par notre collègue Vincent Eblé, au nom du groupe d’amitié France-Cambodge.

Nous formons tous le vœu que ce séjour d’études soit profitable à l’ensemble de la délégation, et souhaitons à nos collègues cambodgiens la plus cordiale bienvenue ! (Applaudissements.)

6

Article 2 (interruption de la discussion)
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Articles additionnels après l'article 2

Justice du XXIe siècle

Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission

Mme la présidente. Nous reprenons la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle.

Nous poursuivons l’examen du texte de la commission.

Discussion générale
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Intitulé du titre II

Articles additionnels après l'article 2

Mme la présidente. Les amendements nos 83 et 82, présentés par MM. Rachline et Ravier, ne sont pas soutenus.

Titre II

FAVORISER LES MODES ALTERNATIFS DE RÈGLEMENT DES LITIGES

Articles additionnels après l'article 2
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Article 3

Mme la présidente. L'amendement n° 240, présenté par M. Détraigne, au nom de la commission, est ainsi libellé :

Dans l'intitulé de cette division, remplacer le mot :

litiges

par le mot :

différends

La parole est à M. le rapporteur.

M. Yves Détraigne, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Il s’agit d’un amendement de coordination.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Favorable.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 240.

(L'amendement est adopté.)

Mme la présidente. En conséquence, l’intitulé du titre II est ainsi modifié.

Intitulé du titre II
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Article 4

Article 3

À peine d’irrecevabilité que le juge peut relever d’office, la saisine de la juridiction de proximité ou du tribunal d’instance selon les modalités prévues à l’article 843 du code de procédure civile doit être précédée d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, sauf :

1° Si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord ;

2° Si les parties justifient d’autres diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige ;

3° Si l’absence de recours à la conciliation est justifiée par un motif légitime ;

4° Si cette tentative de conciliation risque, compte tenu des délais dans lesquels elle est susceptible d’intervenir, de porter atteinte au droit des intéressés d’avoir accès au juge dans un délai raisonnable.

Mme la présidente. L'amendement n° 26 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Amiel, Arnell, Castelli, Collin, Esnol et Fortassin, Mme Laborde et MM. Requier, Vall, Barbier, Bertrand et Guérini, est ainsi libellé :

Supprimer cet article.

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Cet amendement vise à supprimer l’article 3.

Il me paraît très excessif, dans ce cas, de prévoir que le juge peut relever d’office l’irrecevabilité.

Depuis des années, quel que soit le gouvernement – y compris quand notre collègue Michel Mercier était, lui aussi, un excellent garde des sceaux (Sourires.) –, j’essaie d’être constant dans mes positions. Tout le monde ne peut pas en dire autant dans cette enceinte !

M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Qui cela vise-t-il ?

M. Jacques Mézard. Personne ! C’est une déclaration de principes, et il m’arrive également de me tromper…

Que dit l’article 829 du code de procédure civile ? « Devant le tribunal d’instance et la juridiction de proximité, la demande en justice est formée par assignation à fin de conciliation et, à défaut, de jugement, sauf la faculté pour le demandeur de provoquer une tentative de conciliation avant d’assigner. »

On veut aujourd'hui développer la conciliation. Je rappelle simplement que, aux termes du code de procédure civile actuel, la demande en justice, pour ce qui concerne le tribunal d’instance, est formée par assignation à fin de conciliation.

D’après l’étude d’impact – il arrive en effet d’y trouver des éléments intéressants, non pas pour ce qui concerne les réformes territoriales, mais en matière de justice –, la pratique de la conciliation et de la médiation judiciaire représente en moyenne moins de 1 % des affaires ; elle est donc tout à fait limitée. Aujourd’hui, les juges d’instance ne font plus de conciliation ; telle est la réalité de terrain. Même si le code de procédure civile le prévoit, on n’y a malheureusement plus recours. Dire que le juge pourra prononcer, même d’office, une irrecevabilité me paraît dangereux pour la défense des intérêts des justiciables. Cela me fait penser aux irrecevabilités qui viennent entraver excessivement le travail de la commission des lois.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Détraigne, rapporteur. Cet amendement est contraire à la position de la commission, qui n’a pas souhaité revenir sur l’obligation, prévue par le projet de loi, de tenter une conciliation préalable avant de saisir le tribunal d’instance ou la juridiction de proximité pour les litiges d’un montant inférieur à 10 000 euros.

Les exceptions prévues par le dispositif permettent de préserver le droit d’accès à un juge. Si la tentative de conciliation ne peut intervenir dans un délai raisonnable, apprécié par le juge, elle ne sera pas mise en œuvre.

Par ailleurs, je crois savoir qu’un juge peut très bien faire de la conciliation.

M. Jacques Mézard. Mais c’est la loi !

M. Yves Détraigne, rapporteur. La commission a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Mézard, le Gouvernement est défavorable à cet amendement de suppression de l’article 3, pour la simple raison qu’il est très attaché à cet article, essentiel pour introduire un mode alternatif de règlement des litiges.

Il s’agit de petits litiges du quotidien, de proximité, pour lesquels la demande de dommages est plafonnée à 4 000 euros. D’ailleurs, les juridictions qui peuvent être saisies sont les juridictions de proximité et les tribunaux d’instance.

Nous voulons favoriser la conciliation et la médiation. Si on se contente de le dire, sans mettre en place un dispositif incitant les gens à y recourir, nous nous contentons de former un vœu pieux.

Nous vivons tous dans le même pays, nous savons ce qui se passe depuis pratiquement une vingtaine d’années : l’autorité judiciaire est sollicitée pour des litiges, qui, jusque-là, trouvaient une solution sociale, dans le cadre d’un dialogue. Aujourd'hui, le moindre conflit de voisinage finit au tribunal, alors que les gens, pendant des années, ont su se parler pour régler ce type de conflits. Pour un problème de paiement du loyer, les gens se parlaient et trouvaient un arrangement. Aujourd'hui, on saisit systématiquement la justice.

Vous-mêmes avez évoqué plusieurs fois ici, mesdames, messieurs les sénateurs, une « judiciarisation » de la société. Une partie de cette judiciarisation est fondée : elle s’explique par les litiges nés d’activités économiques et industrielles diverses, qui justifient que le juge s’en mêle.

Pour autant, certains litiges s’enracinent simplement dans notre vie commune. En vivant ensemble, nous pouvons nous déranger ou nous importuner les uns les autres. Bien évidemment, cela ne vous arrive pas, mesdames, messieurs les sénateurs, mais je sais que vous êtes en mesure de faire l’effort intellectuel vous permettant de comprendre que cela fait partie de la vie quotidienne. (Sourires.) Ce que nous souhaitons, c’est recommencer à élaborer des réponses communes à ces difficultés quotidiennes. Et si la réponse ne peut pas être apportée dans le cadre de la conciliation, l’accès au juge est maintenu.

D’ailleurs, cet article 3 lui-même prévoit des dérogations à la tentative de conciliation. C’est le cas si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord, si les parties justifient d’autres diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige, si l’absence de recours à la conciliation est justifiée par un motif légitime et, enfin, si cette tentative de conciliation risque, compte tenu des délais dans lesquels elle est susceptible d’intervenir, de porter atteinte au droit des intéressés d’avoir accès au juge dans un délai raisonnable.

La conciliation me semble donc correctement encadrée pour accomplir son office, à savoir encourager le règlement amiable de litiges, dont on sait, je le disais hier, qu’il est mieux accepté et a un effet plus durable, car il est construit et élaboré par les deux parties.

Nous souhaitons donc favoriser ce règlement amiable, sans entraver l’accès au juge. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons prévu ces dérogations. Nous sommes sûrs que la société y gagnera, notamment en termes de dialogue social et de cohésion sociale, ce qui n’est pas à nos yeux une conséquence insignifiante.

Pour l’ensemble de ces raisons, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.

M. Jacques Mézard. Je maintiens cet amendement, même si je n’ai pas beaucoup d’espoir quant au sort qui lui sera réservé, au vu de la conjonction des deux grandes forces en présence.

Je crois vraiment que l’adoption de cet article ne serait pas dans l’intérêt du justiciable. En effet, la conciliation est aujourd'hui de droit. Vous voulez absolument passer par le conciliateur de justice : je n’ai rien contre lui, mais il ne remplacera jamais un juge d’instance compétent – ils le sont tous – qui veut faire de la conciliation. Je rappelle en outre que, en vertu des articles 830 et suivants du code de procédure civile, le juge d’instance peut déléguer au conciliateur.

On voit bien quel est l’objectif de cet article : il s’agit d’éviter le contentieux, y compris celui qui devrait d’abord faire l’objet d’une conciliation au sein du palais de justice. Vous voulez donc sortir les affaires du palais de justice. Ce n’est pas un progrès, je ne suis d’ailleurs pas le seul à le penser, même si je n’arrive pas à me faire entendre ici.

Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.

M. Jean-Pierre Sueur. J’ai voté un certain nombre des amendements que vous avez déposés, monsieur Mézard. Ils avaient le mérite de mettre l’accent sur des problèmes réels, en particulier votre amendement précédent. En effet, s’il est opportun de pouvoir engager, devant n’importe quel tribunal, un certain nombre de procédures, avec des documents qui peuvent être versés au dossier, cela fait également naître une lourde responsabilité.

Toutefois, s’agissant de l’amendement n° 26 rectifié, je ne vous suis pas, mon cher collègue. Je comprends bien les raisons que vous avancez. Néanmoins, comme vient de le dire Mme la ministre, nous sommes confrontés à une judiciarisation croissante de la société. Je suis frappé par le fait qu’on voit les gens se retrouver devant les tribunaux pour quantité de litiges – tous les élus locaux et tous ceux qui sont sur le terrain le savent bien – liés à des histoires de clôture, de murs mitoyens, de coqs qui font trop de bruit ou de cloches qui sonnent : les gens ne se parlent plus, les conflits s’enveniment…

Pour ma part, je partage la solution préconisée par Mme la ministre de la justice. Il s’agit de faire en sorte qu’un certain nombre de litiges ne soient plus forcément traités par les tribunaux, de manière à ce que ces derniers se concentrent sur les litiges plus importants pour lesquels leur intervention est nécessaire.

Par ailleurs, les justiciables pourront toujours accéder au juge. N’oublions pas non plus qu’une telle mesure concerne les litiges, nombreux, pour lesquels la condamnation ne peut excéder 4 000 euros.

Je le rappelle, la conciliation ne peut aboutir que s’il y a accord entre les parties. Dans la mesure où nul n’est obligé d’accepter une conciliation, ces dispositions ne ferment la porte du juge à personne. Soyons extrêmement clairs sur ce point.

Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.

M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez raison, madame la présidente.

Mme la présidente. Il y a un règlement !

M. Jean-Pierre Sueur. Vous avez raison de le faire appliquer. Sans cela, c’est l’anarchie ! (Sourires.)

Mme la présidente. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote.

M. Michel Mercier. Je serai bref. Nous devons regarder les choses dans leur ensemble. Le texte qui nous est présenté aujourd'hui par le Gouvernement renforce considérablement, sans le mentionner de façon expresse, le champ de compétences du tribunal de grande instance, au détriment d’ailleurs du tribunal d’instance.

M. Jean-Pierre Sueur. C’est clair !

M. Michel Mercier. Je n’ai pas dit que c’était mal, monsieur Sueur, j’aurais même souhaité que l’on fusionne ces deux tribunaux !

Vous nous avez toutefois expliqué, madame la garde des sceaux, qu’une telle solution n’était pas envisageable à l’heure actuelle.

Le tribunal d’instance aura donc moins de litiges à régler, c’est l’objet même du texte qui nous est soumis. Il aura plus de temps pour la conciliation et deviendra ainsi le grand spécialiste de la conciliation de la vie quotidienne, compte tenu des compétences qui lui resteront. Il y a donc tout intérêt à développer, comme le disait M. Mézard, les dispositions des articles 829 et suivants du code de procédure civile, qui disposent d’ores et déjà que la conciliation est de droit commun avant le jugement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 26 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. L'amendement n° 30 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Arnell, Castelli, Collin, Esnol et Fortassin, Mme Laborde et MM. Requier, Vall, Barbier, Bertrand et Guérini, est ainsi libellé :

Alinéa 1

Supprimer les mots :

À peine d’irrecevabilité que le juge peut soulever d’office,

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Il s’agit, en quelque sorte, d’un amendement de repli.

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Détraigne, rapporteur. L’avis est défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous devons saluer la constance de M. le président Mézard : il a de la suite dans les idées !

Cet amendement s’inscrit dans la continuité de la pugnacité qu’il a démontrée à l’occasion de la défense de l’amendement précédent.

Le Gouvernement se doit d’être à la hauteur de cette pugnacité : il émet donc un avis défavorable. (Sourires.)

Mme la présidente. Monsieur Mézard, l’amendement n° 30 rectifié est-il maintenu ?

M. Jacques Mézard. De nouveau, le Gouvernement plus la commission, cela fait beaucoup pour un seul homme ! (Sourires.)

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Même pour M. Mézard ?

M. Jacques Mézard. Oui, madame la garde des sceaux… (Nouveaux sourires.)

Mais je vous donne rendez-vous à l’épreuve de l’expérience !

J’ai passé, comme d’autres, quelques décennies dans les tribunaux d’instance ; je sais donc, comme d’autres – je ne prétends pas en savoir plus qu’un autre – comment fonctionne la conciliation.

L’article 3 prévoit que la saisine de la juridiction doit être précédée d’une tentative de conciliation menée par un conciliateur de justice, sauf dans un certain nombre de cas.

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il y a des dérogations !

M. Jacques Mézard. Certes, mais nous connaissons le principe des dérogations… Je m’apprête d’ailleurs à vous en parler en défendant l’amendement suivant.

Je pense que l’obligation de recourir à la conciliation n’est pas une bonne chose ; vous n’êtes pas de cet avis.

Je suis un démocrate, je m’incline donc et retire cet amendement.

Mme la présidente. L’amendement n° 30 rectifié est retiré.

L'amendement n° 31 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Amiel, Arnell, Barbier, Bertrand, Castelli, Collin, Guérini et Fortassin, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier et Vall, est ainsi libellé :

Alinéa 3

Supprimer cet alinéa.

La parole est à M. Jacques Mézard.

M. Jacques Mézard. Il s’agit d’un amendement de repli, qui vise à supprimer l’alinéa 3 de l’article 3.

Cet article prévoit, à peine d’irrecevabilité, que le juge peut relever d’office l’obligation de recourir à un conciliateur de justice – quid, d’ailleurs, de la situation où aucun conciliateur n’est disponible ? –, sauf si l’une des parties au moins sollicite l’homologation d’un accord, et sauf – c’est l’objet de mon amendement – « si les parties justifient d’autres diligences entreprises en vue de parvenir à une résolution amiable de leur litige ».

On peut tout faire dire à la loi, mais, concrètement, quelles sont ces « diligences » ? Cette exigence de justification n’est pas réaliste. À supposer que ces diligences soient effectuées, elles l’auront été par l’intermédiaire, notamment, des conseils des parties. Je ne vois pas très bien comment cela pourrait fonctionner.

C’est le juge d’instance qui aura pour tâche d’apprécier si « d’autres diligences » ont été entreprises. Lesquelles ? Ce n’est pas précisé. Eh bien, continuons comme cela !

Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?

M. Yves Détraigne, rapporteur. La commission a considéré que la disposition visée ne posait pas de difficulté. Si les parties ont eu recours à un médiateur ou si le différend a fait l’objet d’une convention de procédure participative, on imagine sans peine que ces informations puissent être justifiées et portées à la connaissance du juge.

L’avis est donc défavorable.

Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous connaissons tous le principe de l’amendement de repli.

M. Jacques Mézard. Vous en avez fait vous-même grand usage !

Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Bien entendu, lorsque j’étais moi-même parlementaire ! Il s’agit d’un principe loyal, qui permet d’aller au fond des difficultés et d’approfondir le débat.

Une fois posés, au moment de l’examen du premier amendement de la série, les linéaments du débat, nous pourrions nous contenter, sur tous les amendements de repli, d’émettre de manière lapidaire un avis défavorable. Une telle réponse serait expéditive et discourtoise. Cela ne veut pas dire, pour autant que nous soyons tenus de refaire le débat dans son intégralité à propos de chaque amendement.

La disposition que vous souhaitez supprimer est importante : elle introduit une autre culture, une autre démarche, que nous souhaitons précisément promouvoir, tandis que vous la contestez à travers la succession d’amendements que vous défendez, monsieur le sénateur.

L’article 3 ne tend d’ailleurs qu’à développer les dispositions de l’article 829 du code de procédure civile, auquel il a été fait référence.

Vous dites que le juge d’instance devra se débrouiller pour apprécier la réalité des diligences entreprises, au motif que la nature de ces diligences ne serait pas précisée. Mais les juges d’instance ont l’habitude d’apprécier les justifications qui leur sont soumises ! Faites-leur donc confiance pour apprécier, par exemple, un échange de lettres entre les avocats des parties, ou tout autre élément tendant à prouver que les parties ont entrepris de parvenir à une résolution amiable de leur litige.

Le 4° de l’article 3 prévoit d’ailleurs une dérogation à ce recours obligatoire à la conciliation, au cas où la tentative de conciliation risque de porter atteinte au droit des intéressés d’avoir accès au juge dans un délai raisonnable.

Le Gouvernement prend acte, monsieur le président Mézard, de notre désaccord fondamental sur la démarche. Le reste – suppression d’un alinéa, d’un quart d’alinéa, de la totalité de l’article – relève de la cohérence et de la logique de votre position. Le refus de ces suppressions, partielles ou totales, relève, de la même façon, de la cohérence et de la logique du Gouvernement.

L’avis est donc défavorable.

Mme la présidente. Monsieur Mézard, l'amendement n° 31 rectifié est-il maintenu ?

M. Jacques Mézard. Il m’arrive, madame la ministre, de m’interroger sur la cohérence et sur la logique du Gouvernement.

Un amendement de repli n’a pas nécessairement pour objet la pure et simple déclinaison d’une démarche qui, quant à elle, serait incohérente.

En l’occurrence, l’objet de cet amendement est justifié, dans la mesure où l’on peut déduire tout et n’importe quoi du 2° de l’article 3.

Celui-ci prévoit une dérogation à l’obligation de recours au conciliateur « si les parties justifient d’autres diligences entreprises ». C’est l’expression d’une volonté pure et simple de déjudiciarisation. Dites-le franchement ! Nous pourrons alors discuter.

Cette déjudiciarisation n’est pas un progrès. Vous évoquiez tout à l’heure l’exemple des troubles de voisinage : je vous assure que l’application par un juge d’instance de l’article 829 du code de procédure civile, c’est-à-dire la mise en œuvre d’une véritable procédure de conciliation, suffit à régler, sans aucun problème et par la voie juridictionnelle, ce type de différends entre nos concitoyens.

Cet article est malheureusement rarement appliqué, par manque de temps ; il constitue pourtant la formule adéquate, déjà disponible, dans ce genre de situations.

Mme la présidente. Monsieur Mézard, maintenez-vous finalement cet amendement ?

M. Jacques Mézard. Je le maintiens, madame la présidente.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 31 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 3.

(L'article 3 est adopté.)

Article 3
Dossier législatif : projet de loi de modernisation de la justice du XXIème siècle
Article 5

Article 4

I. – L’ordonnance n° 2011-1540 du 16 novembre 2011 portant transposition de la directive 2008/52/CE du Parlement européen et du Conseil du 21 mai 2008 sur certains aspects de la médiation en matière civile et commerciale est ratifiée.

II. – Le code de justice administrative est ainsi modifié :

(Supprimé)

2° L’article L. 771-3 est ainsi modifié :

a) Au premier alinéa, le mot : « transfrontaliers » est supprimé ;

b) Les deuxième et troisième alinéas sont supprimés ;

3° L’article L. 771-3-1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les frais de la médiation sont répartis dans les conditions prévues aux trois premiers alinéas de l’article 22-2 de la loi n° 95-125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative. » ;

4° Le chapitre Ier ter du titre VII du livre VII est complété par un article L. 771-3-3 ainsi rédigé :

« Art. L. 771-3-3. – Lorsqu’elle est initiée par les parties, la médiation interrompt les délais de recours. Ces délais courent à nouveau à compter de la date à laquelle soit l’une au moins des parties, soit le médiateur déclare que la médiation est terminée. »

III (Non modifié). – Le chapitre Ier ter du titre VII du livre VII du code de justice administrative est applicable aux juridictions relevant du Conseil d’État qui ne sont pas régies par ce code.

IV. – (Supprimé)

Mme la présidente. L'amendement n° 195, présenté par MM. Sueur, Bigot, Richard, Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :

I. – Alinéa 3

Rétablir le 1° dans la rédaction suivante :

1° L’article L. 211-4 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque la mission de conciliation est déléguée à un tiers, les conciliateurs exercent leurs fonctions à titre bénévole. » ;

II. – Alinéa 12

Rétablir le IV dans la rédaction suivante :

IV. – Les missions de conciliation confiées à un tiers en application de l’article L. 211-4 du code de justice administrative, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-1862 du 13 décembre 2011 relative à la répartition des contentieux et à l’allègement de certaines procédures juridictionnelles, se poursuivent, avec l’accord des parties, selon le régime de la médiation administrative défini à l’article L. 771-3-1 du même code, à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, sauf lorsqu’elles sont exercées à titre bénévole.

La parole est à Mme Catherine Tasca.