M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous assumons qu’il n’était pas urgent de ratifier cette charte !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En tout état de cause, j’ai fait savoir très clairement, à la demande d'ailleurs du Président de la République, qui s’y était engagé publiquement, que le projet de loi constitutionnelle que vous avez voté devrait poursuivre son parcours législatif. L’Assemblée nationale en a été saisie et je souhaite qu’elle nous propose très rapidement une date pour son examen.
Monsieur le président de la commission des lois, vous savez bien que, par courtoisie et par respect, j’ai déjà consulté à deux ou trois reprises plusieurs membres du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC sur ce projet de réforme constitutionnelle, afin de savoir si l’on pouvait envisager un accord à propos, par exemple, de la désignation à la majorité des trois cinquièmes des personnalités qualifiées ou de la présidence de la formation plénière du CSM.
Voilà pourquoi je me suis permis de vous demander, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur Mercier, si vos paroles avaient bien valeur d’engagement collectif sur l’adoption du texte, au moins tel qu’issu des travaux du Sénat en juillet 2013, adoption qui nécessite une majorité des trois cinquièmes. J’estime qu’un tel dialogue entre l’exécutif et le législatif est de bonne méthode.
Mesdames, messieurs les sénateurs, veuillez m’excuser d’avoir été trop longue. Je vous promets d’être beaucoup plus raisonnable dans la suite du débat !
Mme la présidente. Monsieur Mohamed Soilihi, les amendements nos 19 rectifié et 18 rectifié sont-ils maintenus ?
M. Thani Mohamed Soilihi. Le débat a eu lieu, même au-delà de mes espérances. À entendre les uns et les autres, il semble que l’on pourrait parvenir à un accord sur cette réforme constitutionnelle. M. le rapporteur a parlé de partager le plat de résistance : je proposais pour ma part un dessert (Sourires.), mais, puisque personne n’en veut, je retire mes amendements.
Mme la présidente. Les amendements nos 19 rectifié et 18 rectifié sont retirés.
L'amendement n° 20 rectifié, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les articles 58-1 à 66 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature sont abrogés.
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Compte tenu de la discussion que nous venons d’avoir, je retire également cet amendement, qui va dans le même sens que les précédents.
Mme la présidente. L’amendement n° 20 rectifié est retiré.
L'amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Reichardt, Mme Imbert, MM. D. Laurent, Longuet et G. Bailly, Mmes Di Folco et Gruny, MM. Vogel et César, Mme Deromedi, M. Dufaut, Mme Lamure et MM. Laménie, Mouiller, B. Fournier, Laufoaulu, Houpert, Masclet et Milon, est ainsi libellé :
Avant l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature est ainsi modifiée :
1° Après la première phrase du deuxième alinéa de l’article 28, est inséré une phrase ainsi rédigée :
« En cas d’avis défavorable, la nomination d’un magistrat du parquet ne peut intervenir que si, au terme d’un nouvel examen, l’avis n’est pas confirmé à la majorité des deux tiers. » ;
2° L’article 38 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« En cas d’avis défavorable, la nomination d’un magistrat du parquet ne peut intervenir que si, au terme d’un nouvel examen, l’avis n’est pas confirmé à la majorité des deux tiers. »
La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. J’ai expliqué tout à l'heure, lors de mon intervention en discussion générale, que j’avais déposé le présent amendement dans l’attente que le processus de révision constitutionnelle engagé puis suspendu en 2013 aboutisse.
Cet amendement a pour objet de garantir l’indépendance des magistrats du parquet et, à travers elle, celle de l’institution judiciaire. En réalité, il s'agit essentiellement, dans mon esprit, d’un amendement d’appel, à destination de Mme la garde des sceaux.
Je dois avouer que, à l’issue du débat que nous venons d’avoir, je ne sais plus très bien où nous pourrons aller ensemble…
Cela dit, je confirme, à la suite de M. le président de la commission des lois, qu’il y a urgence à régler cette question, car la Cour européenne des droits de l’homme ne manque pas une occasion de dénier aux membres du parquet français la qualité de magistrat.
Puisque le consensus souhaité ne paraît plus du tout certain, je propose d’adopter cet amendement, qui constitue une solution intermédiaire, temporaire, au problème.
Il s’agirait de prévoir un nouvel examen en cas d’avis défavorable du CSM pour la nomination d’un magistrat du parquet. Celle-ci ne pourrait intervenir que si, au terme de ce nouvel examen, l’avis défavorable n’est pas confirmé à la majorité des deux tiers.
J’ai le sentiment que l’adoption d’une telle disposition nous permettrait d’avancer. Compte tenu du petit nombre d’avis défavorables et du nombre encore plus faible de ceux auxquels il est passé outre par l’autorité de nomination, sa portée serait essentiellement symbolique ; cette modification du régime de nomination des magistrats du parquet constituerait un alignement du droit sur le fait.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Mon cher collègue, je crains que votre proposition, animée par un réel souci de faire progresser l’indépendance du parquet, ne se heurte à de sérieux arguments de constitutionnalité.
En effet, en prévoyant qu’il ne peut être passé outre à un avis négatif du CSM que si cet avis n’est pas confirmé par un second avis, rendu à la majorité des deux tiers, vous donnez de facto au CSM un pouvoir de blocage en matière de nomination des magistrats du parquet.
Or une telle prérogative est contraire à la lettre de l’article 65 de la Constitution, qui différencie le pouvoir d’avis conforme dont le CSM dispose pour la nomination des magistrats du siège du pouvoir d’avis simple qu’il exerce pour celle des magistrats du parquet.
Par conséquent, je sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, la commission émettra un avis défavorable.
J’ajoute que, par sa nature même, le présent projet de loi organique donnera lieu à un contrôle obligatoire du Conseil constitutionnel. Il me paraîtrait quelque peu dommageable pour l’image du Sénat, qui est en pointe sur ces questions, que le texte que nous aurons voté soit censuré. Je me permets d’insister sur ce point.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, je pense que le débat qui a eu lieu devrait plutôt vous rassurer : il montre tout de même une convergence sur la nécessité de procéder à des modifications qui stabiliseront le parquet à la française et d’apporter à la CEDH toutes les garanties qu’elle réclame.
Pratiquement, nous proposons de consacrer dans la Constitution la nécessité d’un avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Cependant, cette disposition n’a pas sa place dans le présent projet de loi organique, car elle est de nature constitutionnelle.
C’est pour cette seule raison que je sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Reichardt, l'amendement n° 2 rectifié est-il maintenu ?
M. André Reichardt. Je souhaitais entendre Mme la ministre exprimer sa volonté de relancer l’examen du projet de loi constitutionnelle suspendu depuis juillet 2013, dans la rédaction résultant de l’amendement Mercier, qui nous convient bien. Dans ce cas, je suis prêt à retirer mon amendement.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Mais le faites-vous ?
M. André Reichardt. J’aimerais avoir une dernière confirmation de Mme la ministre… (Sourires.)
M. Jacques Bigot. C’est un retrait conditionnel !
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, je vous confirme mon souhait que cette réforme suive son cours. J’ai simplement fait remarquer que notre ambition était plus large, plus ample. C’est tout ! Le projet du Gouvernement contenait les dispositions du texte qui a été adopté par le Sénat, ainsi que quelques autres.
Si nous ne parvenons pas à obtenir l’adhésion des trois cinquièmes des membres du Parlement sur un texte plus ambitieux, il me paraît indispensable de conduire au moins la réforme minimale élaborée par le Sénat. Le Gouvernement n’a aucune réticence à cet égard.
M. André Reichardt. Je retire l’amendement !
Mme la présidente. L'amendement n° 2 rectifié est retiré.
Article 7
(Non modifié)
Le deuxième alinéa de l’article 1er de l’ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l’État est ainsi rédigé :
« À l’emploi de procureur général près la Cour des comptes. »
Mme la présidente. L'amendement n° 43, présenté par M. Mercier, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Depuis une demi-heure, nous expliquons tous, y compris Mme la ministre, qu’il faut sortir des faux-semblants, décider soit de faire cette réforme, soit de ne pas la faire.
Or, au travers de l’article 7, le Gouvernement prévoit de supprimer la nomination des procureurs généraux en conseil des ministres. Aux termes de l’étude d’impact, « la suppression de la désignation des procureurs généraux en Conseil des ministres permettra de renforcer, à tout le moins sur le plan symbolique puisque le Conseil supérieur de la magistrature rend déjà un avis sur leur nomination, l’indépendance de ces hauts magistrats du parquet ».
Il s’agit donc, grosso modo, de faire prendre des vessies pour des lanternes ! Là encore, se pose la question de savoir si nous faisons la réforme ou si nous ne la faisons pas.
Je rappelle à Mme la garde des sceaux, qui a raison de vouloir prendre beaucoup de précautions, que la réforme constitutionnelle de 2008 a été votée à une voix de majorité, qu’une foule de parlementaires, de toutes sensibilités, se targuent d’avoir apportée… Je suis bien placé pour savoir ce qu’il en est, mais c’est une autre question !
Si vous voulez faire cette réforme, madame la garde des sceaux, faites-la pour de bon ! Les arguments que vous avancez pour défendre l’article 7 m’obligent à en demander la suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. La commission comprend la position de notre collègue Mercier, auteur d’un amendement permettant de régler définitivement le problème du parquet à la française, conformément à nos souhaits et à ceux des instances européennes.
Dès lors que le Gouvernement ne veut pas de cette solution, pourquoi accepterions-nous la mesure de l’article 7 ? Toutefois, pour symbolique qu’elle soit, la suppression de l’exigence d’une délibération en conseil des ministres des décrets de nomination des procureurs généraux est soutenue par le corps judiciaire, comme l’ont fait apparaître les auditions que nous avons menées.
C'est la raison pour laquelle, mon cher collègue, je vous suggère de retirer votre amendement, d’autant que Mme la ministre nous a assuré tout à l’heure que tout serait mis en œuvre pour que le dispositif de l’amendement que j’ai évoqué en préambule soit un jour transcrit dans notre Constitution.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je crois que M. Mercier a l’intention de retirer cet amendement…
M. Michel Mercier. Je n’ai rien dit ! Je préfère d’abord prendre le temps de vous écouter, madame la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Oui, cette mesure a une dimension symbolique, mais les symboles ne sont pas à négliger, en particulier s’agissant de l’institution judiciaire. Lors de la discussion générale, j’ai dit qu’il fallait non seulement assurer l’indépendance et l’impartialité effectives des magistrats, mais aussi faire percevoir à la société cette indépendance et cette impartialité.
Dans une société, il y a des codes, des implicites, des repères. C'est la raison pour laquelle les symboles et le décorum sont importants dans l’institution judiciaire, qui assume une mission fondamentale.
À nos yeux, garantir l’indépendance par rapport au pouvoir politique des procureurs généraux, dont le rôle est de mettre en œuvre la politique pénale du Gouvernement dans le territoire de leur ressort, et la donner à voir à la société a du sens et du poids.
C’est la raison pour laquelle je vous suggère de retirer votre amendement, monsieur Mercier.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote.
M. Michel Mercier. Je dois malheureusement dire que les arguments de M. le rapporteur et de Mme la ministre ne me convainquent guère.
Toutefois, il est un autre argument, que ni l’un ni l’autre n’ont utilisé, qui justifie le retrait de mon amendement.
Les cours d’appel sont dirigées par une dyarchie : le premier président n’est pas nommé en conseil des ministres, tandis que le procureur général l’est, ce qui crée un déséquilibre. Pour y remédier, il convient que les mêmes modalités de nomination s’appliquent à ces deux magistrats. C'est la raison pour laquelle je retire mon amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 43 est retiré.
Je mets aux voix l'article 7.
(L'article 7 est adopté.)
Article 8
(Non modifié)
Au deuxième alinéa de l’article 2 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « sept ». – (Adopté.)
Article additionnel après l'article 8
Mme la présidente. L'amendement n° 23, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 2 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, il est inséré un article 2-1 ainsi rédigé :
« Art. 2-1. – La mobilité ou l’avancement d’un magistrat nommé dans une juridiction outre-mer ne peut souffrir aucune restriction consécutive à ce choix. »
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. La règle « outre-mer sur outre-mer ne vaut » est une règle prétorienne fixée par le Conseil supérieur de la magistrature et réaffirmée dans chacun de ses rapports. Sa mise en œuvre se concrétise par l’avis défavorable qu’émet le CSM sur les propositions de nomination dans une juridiction ultramarine de magistrats déjà en poste en outre-mer. Ces derniers, lorsqu’ils souhaitent changer d’affectation ou réaliser une promotion, doivent en principe demander un poste en métropole. Toute mobilité géographique en équivalence ou en avancement dans une juridiction ultramarine, même distante de plusieurs milliers de kilomètres de celle où il exerce, est fermée à un magistrat en poste outre-mer.
Le Conseil supérieur de la magistrature accepte des dérogations à cette règle pour des motifs graves, familiaux ou de santé, ou pour des impératifs de bonne administration de la justice. Il tient ainsi compte de la nécessité, pour le garde des sceaux, dans l’exercice de son pouvoir de proposition, de faire face à une pénurie de candidats pour certains postes.
Le Conseil supérieur de la magistrature affirme avec constance que « le respect de cette règle permet d’assurer les conditions d’un bon exercice des fonctions juridictionnelles hors de la métropole ».
Quant au Conseil d’État, il consacre également cet adage en énonçant, dans un arrêt du 29 octobre 2013, que « le Conseil supérieur de la magistrature s’attache, au titre de sa mission générale d’avis sur les nominations des magistrats du siège, à promouvoir la mutation ou la promotion en métropole des magistrats en poste dans les départements et collectivités d’outre-mer afin d’assurer le bon fonctionnement des juridictions, tout en prenant en compte les impératifs liés à la situation personnelle du magistrat ou aux considérations de bonne administration de la justice ».
Cette règle signifie-t-elle que le magistrat qui poursuit une carrière outre-mer perd sa capacité à exercer son métier avec compétence et impartialité ? Considère-t-on que les magistrats exerçant outre-mer n’appliquent pas le droit avec compétence et rigueur ? Qu’ils prennent de mauvaises habitudes d’exercice professionnel, au point qu’un retour régulier en métropole soit indispensable afin de leur permettre de se corriger avant de rejoindre une nouvelle affectation ultramarine ?
Cette règle, que l’on peut qualifier de discriminatoire, a pour effet de nuire à une exigence déontologique des magistrats, à savoir l’exigence de mobilité géographique, laquelle constitue pourtant, selon les termes mêmes du Conseil supérieur de la magistrature, une garantie d’impartialité du magistrat.
Nous proposons donc d’abroger la règle « outre-mer sur outre-mer ne vaut », ce qui aurait pour conséquence de garantir la qualité des magistrats exerçant outre-mer ayant acquis une expérience des règles spécifiques qui y sont appliquées, de permettre la mobilité géographique des magistrats et de pourvoir les postes dans les juridictions ultramarines désertées.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Cet amendement vise à promouvoir la mobilité géographique des magistrats exerçant outre-mer, en créant un régime dérogatoire d’avancement et de mobilité.
En effet, la politique de mobilité à l’intérieur de la magistrature n’encourage pas, par principe, la mobilité d’une juridiction située outre-mer à une autre.
Cette restriction s’explique par la volonté de permettre une mobilité géographique des magistrats. Il est préférable de repasser par un poste en métropole avant d’obtenir un nouveau poste outre-mer.
Néanmoins, les services de la chancellerie m’ont informé que la pratique actuelle prévoit d’ores et déjà qu’aucune restriction ne soit opposée aux magistrats déjà en poste en outre-mer souhaitant présenter leur candidature à un poste pour lequel il n’y a pas d’autres candidats.
Par ailleurs, cet amendement présente à mon sens quelques difficultés d’ordre constitutionnel en ce que son adoption créerait une inégalité entre les magistrats candidats à une mobilité en métropole et ceux candidats à une mobilité en outre-mer. Or un manque d’attractivité ne peut justifier à lui seul de déroger aux principes qui régissent tous les magistrats candidats à une mobilité ou à un avancement.
La première partie de mon propos constitue bien évidemment la principale raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, monsieur le sénateur.
Je comprends votre préoccupation : il existe effectivement un problème d’attractivité – je n’aime pas ce terme, mais c’est celui que l’on emploie généralement – des postes outre-mer.
La règle « outre-mer sur outre-mer ne vaut » est une règle de gestion des ressources humaines qui n’a sa place ni dans la Constitution, ni dans une loi organique, ni même dans une loi ordinaire.
Ce problème d’attractivité des outre-mer se traduit souvent par un manque de candidats. En revanche, certains magistrats souhaitent faire carrière outre-mer.
Depuis que je suis garde des sceaux, je veille à ce que les conditions de mise en œuvre de la loi soient les mêmes partout, la loi exprimant la volonté générale. Des problèmes d’attractivité se posent aussi dans l’Hexagone : nous avons beaucoup de mal à pourvoir des postes de magistrat, tant du siège que du ministère public, dans certaines juridictions.
Nous répondons aux difficultés constatées outre-mer d’abord en faisant preuve de souplesse dans la mise en œuvre de cette règle « outre-mer sur outre-mer ne vaut ».
Ensuite, j’ai lancé une campagne de sensibilisation voilà un peu plus deux ans. Pour faire évoluer la perception que les auditeurs de justice pouvaient avoir de ces territoires, j’ai demandé à des magistrats ayant exercé outre-mer d’intervenir à l’École nationale de la magistrature. Cette amélioration de la connaissance des outre-mer a porté ses fruits : dès la deuxième année, des élèves classés parmi les vingt premiers au terme du cursus ont demandé une affectation outre-mer, alors que ces postes n’étaient habituellement demandés que par les derniers.
Il est important de faire savoir que les outre-mer ne sont pas seulement des territoires lointains et compliqués : ce sont aussi des lieux où les réalités sociologiques et culturelles induisent des problématiques intéressantes, en matière tant pénale que civile. L’insertion des territoires ultramarins dans leurs bassins régionaux ouvre la possibilité de s’enrichir culturellement, de développer des relations et des action de coopération.
Cela étant, il faut admettre qu’une affectation outre-mer peut entraîner un bouleversement familial pour les magistrats, jeunes ou expérimentés. Par conséquent, nous veillons à ce que les demandes de retour dans l’Hexagone de magistrats ayant servi dans un outre-mer soient considérées avec une attention particulière. Cela relève non pas d’un préjugé selon lequel leur séjour outre-mer aurait conduit à une altération de leur rapport à la justice, mais d’une prise en considération de la réalité objective du service outre-mer pour ces magistrats.
Par ailleurs, nous nous attachons à susciter des vocations de magistrat parmi les étudiants d’outre-mer. Par exemple, des conventions ont été signées entre l’École nationale de la magistrature et les universités d’outre-mer pour mettre en place des tutorats, en vue d’inciter les bons étudiants en droit à envisager la carrière de la magistrature.
Je comprends vos préoccupations, qui sont fondées, monsieur le sénateur. Il est vrai qu’à Mayotte, en particulier, la situation est très difficile : tant pour les magistrats que pour les greffiers, nous sommes souvent confrontés à des problèmes en matière d’affectation. Nous souhaitons pour autant respecter le principe d’égalité, car la loi doit être la même pour tous et partout.
Mme la présidente. Monsieur Mohamed Soilihi, l’amendement n° 23 est-il maintenu ?
M. Thani Mohamed Soilihi. J’aurais aimé faire plaisir à la fois à M. le rapporteur et à Mme la garde des sceaux, que j’apprécie tous deux particulièrement, mais je demande qu’il soit mis fin à une discrimination liée à une règle non écrite, prétorienne, dont nous savons tous qu’elle est appliquée, sauf exceptions.
Je n’ai pas été convaincu par les arguments de la ministre et du rapporteur. Je maintiens donc cet amendement, pour que chacun prenne ses responsabilités par son vote.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. J’entends tout à fait l’argument de Mme la garde des sceaux selon lequel appliquée strictement à la sous-catégorie des magistrats nommés outre-mer cette disposition aurait un caractère d’exception et ne serait pas, en outre, de niveau organique.
En revanche, il semble bien exister des mécanismes de gestion qui encadrent, voire limitent, les possibilités de mobilité après une première affectation outre-mer.
Ne serait-il pas judicieux de rectifier l’amendement en retirant les termes « nommé dans une juridiction outre-mer », pour énoncer simplement le principe que, en mobilité ou en avancement, la nouvelle affectation d’un magistrat ne peut être conditionnée par son affectation antérieure ? Une telle règle, qui s’appliquerait à tout le monde, me paraît conforme au principe d’indépendance.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pardonnez-moi de dire les choses franchement, peut-être un peu brutalement.
M. Thani Mohamed Soilihi. Allez-y !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Les conditions d’affectation dans les outre-mer, tant dans la magistrature que dans le reste de la fonction publique, sont particulières, vous le savez. Certains enchaînent les postes outre-mer, d’autres choisissent d’y prendre leur retraite… Une disposition visant ces derniers a été prise voilà trois ans.
M. François Pillet, rapporteur. En effet.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cette réalité ne doit pas fonder une doctrine d’affectation dans les outre-mer, mais on ne peut pas l’esquiver : la suggestion faite par M. Alain Richard ne me le permet pas !
On m’indique que l’adoption de l’amendement rectifié dans le sens suggéré par M. Richard, qui concerne une règle administrative de gestion des ressources humaines, pourrait être difficilement conciliable avec d’autres règles importantes, le terme « mobilité » pouvant par exemple également concerner les passages entre siège et parquet.
Monsieur le sénateur, j’entends vos préoccupations, mais je vous propose une nouvelle fois de retirer votre amendement.
M. François Pillet, rapporteur. La question n’est pas mûre.
Mme la présidente. Monsieur Mohamed Soilihi, maintenez-vous finalement l’amendement n° 23 ?
M. Thani Mohamed Soilihi. J’entends les réserves émises par Mme la garde des sceaux, mais je laisse au Sénat le soin de se prononcer sur mon amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 23.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 9
(Non modifié)
L’article 3-1 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Le neuvième alinéa est ainsi modifié :
a) Après le mot : « nommés », la fin de la première phrase est ainsi rédigée : « à l’un des tribunaux de grande instance du ressort de la cour d’appel à laquelle ils sont rattachés. » ;
b) La deuxième phrase est ainsi modifiée :
- Après les mots : « premier vice-président adjoint, », sont insérés les mots : « premier vice-président chargé de l’instruction, premier vice-président chargé des fonctions de juge des enfants, premier vice-président chargé de l’application des peines, premier vice-président chargé du service d’un tribunal d’instance, premier vice-président chargé des fonctions de juge des libertés et de la détention » ;
- À la fin, les mots : « ou premier vice-procureur de la République des tribunaux de grande instance » sont remplacés par les mots : « premier vice-procureur de la République des tribunaux de grande instance ou premier vice-procureur de la République financier près le tribunal de grande instance de Paris » ;
2° À la deuxième phrase de l’avant-dernier alinéa, les mots : « celle des deux juridictions mentionnées » sont remplacés par les mots : « l’un des tribunaux de grande instance mentionnés ».
Mme la présidente. L’amendement n° 49, présenté par M. Pillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Supprimer les mots :
, premier vice-président chargé des fonctions de juge des libertés et de la détention
La parole est à M. le rapporteur.