Sommaire
Présidence de M. Jean-Pierre Caffet
Secrétaires :
M. François Fortassin, M. Jean-Pierre Leleux.
3. Commissions mixtes paritaires
4. Communication relative à une commission mixte paritaire
5. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi
8. Communication du Conseil constitutionnel
9. Mise au point au sujet d’un vote
10. Indépendance et impartialité des magistrats ; justice du XXIe siècle. – Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique et d'un projet de loi dans les textes de la commission
Discussion générale commune :
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice
M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois pour le projet de loi organique
M. Yves Détraigne, rapporteur de la commission des lois pour le projet de loi
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
11. Questions d'actualité au Gouvernement
projet de loi de finances pour 2016
M. Thierry Foucaud ; M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget.
exonération des impôts locaux pour les retraités modestes
M. François Patriat ; M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget.
M. Jean-Jacques Lasserre ; Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de la réforme de l'État et de la simplification ; M. Jean-Jacques Lasserre.
dotation globale de fonctionnement
M. Alain Marc ; M. Manuel Valls, Premier ministre ; M. Alain Marc ; M. Manuel Valls, Premier ministre.
M. François Fortassin ; M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche.
pollution de l'air par le diesel
Mme Leila Aïchi ; Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de la réforme de l'État et de la simplification.
couverture numérique du territoire
M. Yves Rome ; Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire.
Mme Agnès Canayer ; M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur ; Mme Agnès Canayer.
suites de l'évasion de deux pilotes de république dominicaine
M. François-Noël Buffet ; Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice.
Mme Evelyne Yonnet ; Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
13. Indépendance et impartialité des magistrats ; justice du XXIe siècle. – Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi organique et d’un projet de loi dans les textes de la commission
Discussion générale commune (suite)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux
Clôture de la discussion générale commune.
Amendement n° 48 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 21 de M. Thani Mohamed Soilihi. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 3 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat. – Rectification.
Amendement n° 3 rectifié bis de M. Pierre-Yves Collombat. – Rejet.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron
Amendement n° 22 de M. Thani Mohamed Soilihi. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 36 rectifié de Mme Cécile Cukierman. – Adoption de l’amendement rédigeant l’article.
Amendement n° 4 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat. – Devenu sans objet.
Articles additionnels avant l'article 7
Amendement n° 16 rectifié de M. Jean-Pierre Grand. – Retrait.
Amendement n° 19 rectifié de M. Thani Mohamed Soilihi. – Retrait.
Amendement n° 18 rectifié de M. Thani Mohamed Soilihi. – Retrait.
Amendement n° 20 rectifié de M. Thani Mohamed Soilihi. – Retrait.
Amendement n° 2 rectifié de M. André Reichardt. – Retrait.
Amendement n° 43 de M. Michel Mercier. – Retrait.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l'article 8
Amendement n° 23 de M. Thani Mohamed Soilihi. – Rejet.
Amendement n° 49 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 24 de M. Thani Mohamed Soilihi. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l'article 9
Amendement n° 63 du Gouvernement. – Rectification.
Amendement n° 26 de M. Thani Mohamed Soilihi. – Rectification.
Amendement n° 50 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article additionnel après l’article 11
Amendements identiques nos 37 de Mme Cécile Cukierman et 47 du Gouvernement
Suspension et reprise de la séance
Adoption de l’article.
Amendement n° 5 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 6 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat. – Retrait.
Adoption de l’article.
Amendement n° 51 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 27 de M. Thani Mohamed Soilihi. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 29 de M. Thani Mohamed Soilihi. – Rejet.
Amendement n° 38 de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Amendement n° 7 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat. – Rejet.
Amendement n° 52 de la commission. – Adoption.
Amendement n° 8 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat. – Rejet.
Amendement n° 11 rectifié de M. Jacques Mézard. – Rejet.
Amendement n° 12 rectifié de M. Jacques Mézard. – Rejet.
Amendement n° 14 rectifié de M. Pierre-Yves Collombat. – Rejet.
Adoption de l’article modifié.
Articles additionnels après l'article 21
Amendement n° 39 de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Amendement n° 46 de M. Jacques Mézard. – Non soutenu.
Amendement n° 40 de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Amendement n° 41 de Mme Cécile Cukierman. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 53 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 30 de M. Thani Mohamed Soilihi. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 54 de la commission. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Renvoi de la suite de la discussion.
14. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
Secrétaires :
M. François Fortassin,
M. Jean-Pierre Leleux.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 29 octobre 2015 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Décès d’un ancien sénateur
M. le président. J’ai le regret de vous faire part du décès de notre ancien collègue André Rouvière, qui fut sénateur du Gard de 1980 à 2008.
3
Commissions mixtes paritaires
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre les demandes de constitution de deux commissions mixtes paritaires chargées de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion, d’une part, du projet de loi relatif à l’adaptation de la société au vieillissement et, d’autre part, de la proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie.
Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à ces commissions mixtes paritaires selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.
4
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
5
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi d’expérimentation pour des territoires zéro chômage de longue durée, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 22 juillet 2015.
6
Dépôt d’un rapport
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport relatif à l’affectation au Centre des monuments nationaux des bénéfices du tirage du loto réalisé à l’occasion des journées européennes du patrimoine.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, ainsi qu’à la commission des finances.
7
Renvoi pour avis unique
M. le président. J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de financement de la sécurité sociale pour 2016 (n° 128, 2015-2016), dont la commission des affaires sociales est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à sa demande, à la commission des finances.
8
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 3 novembre 2015, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur les articles L. 323-3 à L. 323-9 du code de l’énergie (Traversée des propriétés privées par les ouvrages de transport et de distribution) (2015-518 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
9
Mise au point au sujet d’un vote
M. le président. La parole est à M. Gaëtan Gorce.
M. Gaëtan Gorce. Monsieur le président, au cours de la séance du 29 octobre dernier, j’ai été inscrit comme ayant voté pour la proposition de loi créant de nouveaux droits pour les personnes malades en fin de vie, alors que je souhaitais m’abstenir.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue. Elle sera publiée au Journal officiel et figurera dans l’analyse politique du scrutin.
10
Indépendance et impartialité des magistrats ; justice du XXIe siècle
Discussion en procédure accélérée d'un projet de loi organique et d'un projet de loi dans les textes de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société (projet n° 660 [2014-2015], texte de la commission n° 120, rapport n° 119) ainsi que du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle (projet n° 661 [2014-2015], texte de la commission n° 122, rapport n° 121).
Il a été décidé que ces deux textes feraient l’objet d’une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’ai le plaisir de vous présenter deux projets de loi : l’un organique, l’autre ordinaire. L’enjeu n’est pas moins que de conforter la responsabilité qui incombe à l’institution judiciaire : être l’épine dorsale de la démocratie, laquelle repose sur le respect de l’État de droit.
L’État de droit nécessite la confiance des citoyens. Cette confiance ne peut exister que si l’autorité judiciaire est non seulement indépendante et impartiale, mais aussi perçue comme telle par les citoyens. Il importe donc de s’assurer que les magistrats échappent à tout soupçon, à toute suspicion de favoritisme, de soumission à l’autorité politique, de compromission avec des réseaux ou des groupes d’intérêts.
Ce souci d’indépendance et d’impartialité ne suppose pas que l’autorité judiciaire soit détachée de la société, qu’elle la surplombe. Elle suppose au contraire qu’elle soit ouverte sur la société et, surtout, qu’elle soit accessible à tous les citoyens, quels que soient leur statut social et leur niveau de ressources. C’est pour cette raison que nous vous présentons ces deux projets de loi. Ils ont été produits par une intelligence collective, que nous avons organisée durant pratiquement deux années, en nous fondant sur une volonté politique, celle de la rénovation de la relation de confiance entre les citoyens et l’institution judiciaire.
Le projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société pose des bases nouvelles en matière d’exemplarité, d’indépendance et d’impartialité, en rénovant la relation de confiance que j’évoquais à l’instant.
Le projet de loi ordinaire vise à mieux servir les citoyens, à rendre la justice plus accessible et à permettre que la complexité normale de l’institution judiciaire, qui est liée à la diversité et à la technicité des affaires qu’elle a à traiter, soit neutralisée, car elle ne doit pas être reportée sur la relation qu’entretiennent les citoyens avec elle.
Ces deux textes de loi ont donc été conçus comme un ensemble. Surtout, ils sont fidèles à la logique et à la dynamique avec lesquelles le Gouvernement conduit avec cohérence et constance la politique publique depuis trois ans. Ce gouvernement a en effet veillé par un certain nombre de textes de loi, de textes réglementaires et de pratiques à assurer et renforcer l’indépendance et l’impartialité des magistrats. Ce fut le cas avec la loi du 25 juillet 2013, qui a interdit au garde des sceaux d’intervenir dans les procédures individuelles. C’est également le cas lorsqu’il se conforme, sans aucune contrainte constitutionnelle, à l’avis du Conseil supérieur de la magistrature s’agissant de la nomination des magistrats du ministère public. C’est une pratique que je respecte depuis 2012, et je dois dire, puisque mon prédécesseur est juste en face de moi, que c’est une pratique qu’il a lui aussi respectée.
M. Hubert Falco. Ah ! très bien !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Dès le 31 janvier 2012, j’ai diffusé une circulaire qui assurait la transparence concernant la nomination des hauts magistrats du ministère public. Nous allons donner force de loi à cette circulaire.
Nous avons en outre respecté, sans aucune contrainte statutaire, les avis du Conseil supérieur de la magistrature en matière disciplinaire, pour les magistrats du ministère public.
Enfin, bien entendu, il y a le projet de réforme constitutionnelle visant à assurer l’indépendance du Conseil supérieur de la magistrature. Ce texte a été examiné par le Sénat voilà déjà deux ans. Le Président de la République a indiqué son souci d’avancer en la matière, et nous avons déjà pris des initiatives pour demander à l’Assemblée nationale d’inscrire ce texte à son ordre du jour, afin qu’il poursuive son parcours parlementaire.
Pour ce qui concerne les conditions de travail des magistrats et personnels de justice, nous avons veillé, depuis le début de ce quinquennat, à faire du ministère de la justice, comme le Président de la République s’y était engagé, un ministère prioritaire.
M. Hubert Falco. Il l’a toujours été !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. C’est ainsi que son budget n’a cessé de croître. À notre arrivée en 2012, il était de 7,386 milliards d’euros. Il passe cette année la barre des 8 milliards, pour atteindre 8,43 milliards d’euros.
Le ministère de la justice est surtout créateur d’emplois : au cours du quinquennat, nous aurons créé près de 5 000 emplois. Je rappelle que le Président de la République s’était engagé à créer 3 000 emplois pour la police et la justice. Arrivés aux responsabilités, nous avons pu nous rendre compte très précisément des besoins, qui se sont avérés beaucoup plus importants. Le Président de la République a donc donné son feu vert à une augmentation des créations d’emplois. C’est ainsi que le ministère de l’intérieur aura créé un peu plus de 5 000 emplois durant le quinquennat, soit beaucoup plus que les 1 500 qui étaient prévus. Idem au ministère de la justice, puisque nous aurons créé près de 5 000 emplois, au lieu des 1 500 prévus.
M. Hubert Falco. Tout va bien, alors !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ces 5 000 emplois permettent de couvrir les besoins dans la magistrature. Il faut préciser que ces besoins n’avaient pas été estimés ou, en tout cas, il n’y avait pas eu la volonté politique de remplacer les magistrats, les greffiers et les autres fonctionnaires partant à la retraite. Nous avons estimé à 1 400 le nombre de magistrats devant partir à la retraite au cours du quinquennat. Il aurait donc fallu, sous le précédent quinquennat, que des promotions d’au moins 300 élèves magistrats puissent permettre le remplacement des magistrats quittant leurs fonctions. Or, à cette époque, les promotions d’élèves magistrats ont varié de 80 à 144 personnes. Nous avons décidé, dès 2013, que les promotions devaient permettre non seulement de remplacer les départs à la retraite, mais aussi d’augmenter les effectifs de la magistrature. C’est ainsi que les promotions d’élèves magistrats ont été au nombre de 358 en 2013, de 364 en 2014 et de 382 en 2015. Nous aurons une promotion record l’année prochaine, avec 482 élèves magistrats.
Par ailleurs, nous faisons des promotions annuelles d’un millier de greffiers et fonctionnaires, ce qui nous permet de remplacer ceux qui partent, mais surtout de donner à nos juridictions les moyens d’affronter les nécessités quotidiennes, c'est-à-dire les demandes de justice exprimées par nos concitoyens.
Bien entendu, nous avons également veillé à rétablir le service public de la justice de proximité. C’est ainsi que nous veillons à corriger les injustices flagrantes de la carte judiciaire de 2008, et notamment des déserts judiciaires créés à cette occasion. Nous avons procédé à la réimplantation de tribunaux de grande instance, créé des chambres détachées, amélioré le maillage territorial de l’accès au droit, notamment en ouvrant de nouvelles maisons de justice et du droit, auxquelles nous avons affecté des greffiers, ce qui n’était plus le cas depuis plusieurs années, et en implantant de nouveaux CDAD, les conseils départementaux de l’accès au droit.
Nous avons également, pour éliminer l’une des entraves de l’accès au droit et à la justice, supprimé la taxe de 35 euros, qui abondait le budget de l’aide juridictionnelle à hauteur de 60 millions d’euros. Cette suppression s’est accompagnée de la décision de compenser intégralement la perte de ressources.
Il s’agit donc d’une réforme qui s’inscrit dans une logique, une continuité, une dynamique, un ensemble ; bref, ce que j’appelle un écosystème. Elle a été pensée et préparée durant deux années. Nous avons veillé à procéder à une évaluation, à une concertation, puis à une élaboration commune. J’évoquais précédemment l’intelligence collective que nous avons mise en branle.
Cette réforme de la justice est la plus ambitieuse depuis 1958. Nous avons souhaité que cette ambition se reflète d’abord dans la méthode d’élaboration. Celle-ci a consisté, dans un premier temps, à rassembler des personnes aux compétences, aux profils et aux parcours divers, dans le cadre de groupes de travail. Nous nous sommes appuyés sur les conclusions du rapport de l’Institut des hautes études sur la justice. Ce rapport intitulé La prudence et l’autorité, qui a été élaboré par Antoine Garapon, secrétaire général de l’IHEJ, Sylvie Perdriolle, présidente de chambre à la cour d’appel de Paris et Boris Bernabé, professeur à l’université de Franche-Comté, nous a fourni des éléments de réflexion intéressants à la fois sur le fonctionnement de l’institution judiciaire, sur l’office du juge et son périmètre d’intervention.
Trois groupes de travail ont donc été mis en place : l’un présidé par le premier président de la cour d’appel de Montpellier Didier Marshall, plus spécifiquement chargé des « juridictions du XXIe siècle » ; un autre, présidé par Pierre Delmas-Goyon, conseiller à la Cour de cassation, plus particulièrement centré sur l’office du juge, son périmètre d’intervention et ses relations avec les justiciables ; un troisième, enfin, présidé par Jean-Louis Nadal, procureur général, consacré à la modernisation de l’action publique.
Un comité de pilotage a permis d’articuler les 268 recommandations remises par ces groupes de travail, à partir desquelles un grand débat public sur la justice du XXIe siècle a été organisé pendant deux jours à la Maison de l’UNESCO. Je remercie d’ailleurs les sénatrices et sénateurs qui y ont participé de façon très active. J’ajoute que nous avons bénéficié, dans l’élaboration de ces deux projets de loi, des travaux parlementaires, et notamment de deux rapports sénatoriaux : le rapport d’information intitulé La réforme de la carte judiciaire : une occasion manquée de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et M. Yves Détraigne, consacré aux remèdes nécessaires à apporter à la réforme de la carte judiciaire engagée en 2007, et le rapport d’information intitulé Pour une réforme pragmatique de la justice de première instance de M. Détraigne et Mme Virginie Klès.
Nous avons également consulté l’ensemble des juridictions et, forts des 2 000 contributions qui nous ont été adressées, nous avons pu définir quinze actions au service du triple objectif d’un service public de la justice plus proche – proximité physique, mais aussi fonctionnelle –, plus efficace et plus protecteur. Ainsi ont été conçus ces deux projets de loi.
Le projet de loi organique, que nous allons examiner en premier, vise à renforcer l’indépendance et l’impartialité de la magistrature et à l’ouvrir davantage sur la société.
S’agissant de l’indépendance et de l’impartialité des juges, il s’agit non seulement de les garantir, mais aussi de les rendre visibles aux yeux des citoyens. Dans cette perspective, nous décidons de supprimer la nomination des procureurs généraux en conseil des ministres et nous donnons force de loi à la circulaire du 31 juillet 2012, qui rend transparentes les propositions de nomination à des postes de magistrats du ministère public.
Nous reconnaissons également la mission de protection des droits et des libertés du juge des libertés et de la détention, en proposant qu’il soit nommé par décret du Président de la République. Il devient ainsi un juge spécialisé, mieux formé, bénéficiant de garanties statutaires plus protectrices.
Nous introduisons des dispositions de prévention des conflits d’intérêts, de façon à satisfaire aux exigences de la vie publique, mais également de l’éthique professionnelle.
Nous instaurons un entretien déontologique avec le chef de juridiction pour tous les magistrats du siège et du parquet ayant une activité juridictionnelle, lors de leur installation dans de nouvelles fonctions, et une obligation de déclaration de situation patrimoniale pour les plus hauts magistrats.
Nous veillons enfin à renforcer les droits et les garanties des magistrats en matière notamment d’évaluation, de liberté syndicale et d’obligation de résidence.
Le projet de loi ordinaire vise, comme je l’ai dit précédemment, à remplir trois objectifs : une justice plus proche – donc plus accessible –, plus efficace et plus protectrice.
Afin de rapprocher la justice du citoyen, nous créons un service d’accueil unique du justiciable. Ce service est à la fois un point d’accueil centralisé et un point d’entrée procédural, qui assure un accès polyvalent à la justice, aussi bien aux justiciables qu’aux professionnels de justice. Les greffiers qui seront affectés à un service d’accueil unique du justiciable verront leur compétence géographique étendue au-delà de celle de la juridiction où ils sont implantés. La création de ce service de proximité permettra à chaque justiciable, quelle que soit la juridiction, d’être informé, d’être orienté, d’engager des démarches et des formalités, mais aussi de suivre le traitement de son affaire.
Nous avons procédé par expérimentations : les premières expérimentations du service d’accueil unique du justiciable ont été lancées et évaluées dans six ressorts de tribunaux de grande instance, dans lesquels ont été affectés des greffiers spécifiquement formés – nous veillons en effet à créer les postes nécessaires au bon fonctionnement de ces services. Une deuxième vague d’expérimentations a été engagée en septembre dernier, afin de répondre à l’importante demande venue d'autres juridictions.
Ces services seront complétés par un volet dédié à la communication électronique, avec l’attribution d’un code personnel à chaque justiciable, et par la mise en œuvre du projet Portalis, qui mettra à disposition des justiciables, dès la fin de l’année, un portail internet leur permettant de suivre l’évolution de leurs procédures.
Nous avons, pour répondre au double défi de la proximité et de l’efficacité, lancé d’autres expérimentations.
L’une est relative aux conseils de juridiction, qui permettront d’ancrer la juridiction dans un territoire en créant les conditions d’une réflexion commune et transversale, ouverte aux propositions des partenaires institutionnels et associatifs de la juridiction, sur des problématiques telles que l’accès au droit, l’accompagnement des victimes et l’aide juridictionnelle. Cette expérimentation concerne trois cours d’appel et dix-sept tribunaux de grande instance.
Une autre expérimentation vise à nouer des partenariats avec les universités portant principalement – mais pas exclusivement – sur l’analyse de la jurisprudence des juridictions et destinés à améliorer la prévisibilité des décisions de justice. Dix cours d’appel et quatorze tribunaux de grande instance pratiquent cette expérimentation, qui a également fait l’objet d’une évaluation.
Une troisième expérimentation répond à l’exigence d’efficacité : celle de l’assistance des magistrats – principalement ceux du ministère public, mais certaines expérimentations concernent des magistrats du siège – par des greffiers.
Nous avons également doté les magistrats d’un équipement technologique moderne, leur permettant de satisfaire aux nécessités de mobilité et aux contraintes de permanence qui leur incombent.
Toujours dans la perspective d’améliorer l’efficacité du service public de la justice, le titre II du projet de loi vise à favoriser le recours aux modes alternatifs de règlement des litiges, c’est-à-dire à la médiation et à la conciliation. Nous sommes en effet persuadés – l’expérience le démontre – que lorsqu’un litige est résolu par les deux parties, la solution est souvent plus rapide, mieux acceptée, plus durable ; la construction commune d’un accord qui est ainsi encouragée possède en outre une vertu non négligeable, celle de recréer du lien social. Nous rendons donc obligatoire la tentative de règlement amiable du litige par un conciliateur de justice avant la saisine du juge pour tout ce qu’on appelle les « petits litiges du quotidien » – ceux pour lesquels la demande est inférieure ou égale à 4 000 euros.
Nous procédons également à un certain nombre de transferts de contentieux, de façon à alléger le travail des juridictions et à concentrer les magistrats et les greffiers sur leurs missions juridictionnelles. Ces transferts se feront par exemple vers les officiers de l’état civil, tout en respectant l’intérêt des collectivités, qui constitue, je le sais, une préoccupation particulière des parlementaires de cette chambre. Nous rendons ainsi possible la suppression du double en version papier du registre de l’état civil, en cas de sauvegarde électronique des données de l’état civil par les mairies. Il s’agissait d’une contrainte pour les communes, qui étaient obligées d’établir ces registres, ainsi que pour nos juridictions, qui devaient les stocker et les mettre à jour à chaque modification.
Nous procédons en outre à des regroupements de contentieux, qui concernent en particulier le contentieux social. Celui-ci est aujourd’hui très dispersé, pour ne pas dire disparate, alors même que les justiciables concernés se trouvent, lorsqu’ils ont besoin de recourir aux juridictions compétentes, en situation de grande vulnérabilité. Nous souhaitons donc regrouper les contentieux traités par les TASS, les tribunaux des affaires de sécurité sociale, par les TCI, les tribunaux du contentieux de l’incapacité, et – pour partie – par les CDAS, les commissions départementales d’aide sociale. À cette fin, nous vous proposons que le contentieux social, désormais unifié, soit traité – comme le prévoit l’article 8 du titre III – par le pôle social du tribunal de grande instance.
L’article 52 du titre VII comporte une mesure d’habilitation qui nous permettra de mettre en œuvre de la façon la plus précise et la plus efficace possible cette fusion de contentieux. Nous y travaillons depuis plus d’un an, mais nous avons été confrontés à des difficultés relatives à l’estimation des besoins, à l’impact d’un tel regroupement et au traitement des stocks. Nous avons donc dû, il y a quelques mois, diligenter une double inspection de la part de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale des services judiciaires, dont le rapport nous sera remis mi-novembre. Nous vous proposons donc de commencer par retenir dans la loi le principe du regroupement de ces juridictions sociales, afin de parer à l’urgence de simplification de l’accès au droit de ces personnes qui sont soit indigentes, soit malades, soit frappées de handicap.
Par ailleurs, nous attribuons au tribunal de grande instance la compétence exclusive des demandes de réparation d’un dommage corporel, y compris pour les montants inférieurs à 4 000 euros – la complexité inhérente à ce type de dommages justifie une telle exclusivité.
Le titre V a pour objet de créer un cadre légal commun aux actions de groupe. Nous créons ainsi un accès collectif à la justice, par le biais d’un socle procédural commun qui unifie la procédure permettant d’accéder collectivement au juge.
La nécessité de l’action de groupe est patente dans certaines situations, où les victimes sont nombreuses mais ne peuvent procéder, dans l’état actuel du droit, qu’à des démarches individuelles. Un certain nombre de contentieux récents, à caractère médical, social ou industriel, l’ont montré : procès de l’amiante, procès des prothèses mammaires, procès du Mediator. Le dispositif de l’action de groupe permettra aux victimes d’agir ensemble. C’est une avancée importante pour les justiciables. Elle l’est aussi pour l’institution judiciaire, pour mettre un terme à la fragmentation de notre droit, aux recours multiples, à des procédures et des codes différents.
Par cette action de groupe, nous souhaitons non seulement réparer les préjudices, mais aussi conduire une action pédagogique et sociale, au sens où nous voulons d’abord identifier ensemble les mécanismes qui contribuent à des situations inégalitaires entre les victimes de préjudices sériels et les corriger. Nous créons ainsi une action de groupe contre les discriminations, car nous savons à quel point celles-ci fragilisent le pacte républicain et le lien social. Pour ce faire, nous reprenons des dispositions déjà contenues dans la proposition de loi du député Razzy Hammadi, votée en juin de cette année à l’Assemblée nationale. Nous introduisons en outre les propositions concernant l’action de groupe dans le champ du travail.
Nous avons souhaité mettre en place un dispositif qui soit à la fois efficace et sécurisé, parce qu’il est important que nous permettions aux victimes de recourir à l’action de groupe pour faire face non seulement à la difficulté de présenter des preuves, y compris lorsque la discrimination est flagrante, mais aussi à leur fragilité psychologique. En effet, les personnes victimes de ces préjudices sériels ou de ces discriminations sont souvent en position de fragilité au moment où elles les subissent. Nous renforcerons ainsi l’action que nous menons depuis 2012, puisque nous disposerons dans toutes nos juridictions de pôles anti-discrimination et d’un réseau de magistrats référents. Au sein du ministère de la justice, nous avons également lancé un site anti-discrimination ainsi qu’une campagne anti-discrimination.
Le titre VI concerne la justice commerciale, que nous adaptons aux enjeux de la situation tant économique que de l’emploi. Ce titre contient des dispositions relatives au statut et aux missions des juges consulaires, notamment en matière de formation initiale et continue, de règles déontologiques et de règles disciplinaires. Il comporte également des dispositions sur la traçabilité des fonds qui sont déposés sur les comptes des mandataires financiers ainsi que des dispositions relatives à la prévention et aux procédures collectives.
Tel est, mesdames, messieurs les sénateurs, l’essentiel des dispositions contenues dans le projet de loi organique et le projet de loi ordinaire. Il s’agit, je le répète, d’une réforme d’ampleur. Nous cherchons à rénover le lien de confiance entre les citoyens et l’institution judiciaire et à élaborer des normes qui s’inscrivent dans un ensemble, ce que j’ai appelé un écosystème. Il faut donc également tenir compte, outre des mesures du projet de loi organique et du projet de loi ordinaire, des dispositions réglementaires déjà publiées, de celles du décret miroir qui accompagne le projet de loi ordinaire ainsi que des dispositions organisationnelles et en matière de progrès numérique.
Rénover le lien de confiance entre les citoyens et l’institution judiciaire est un engagement du Président de la République. Pour que la démocratie retrouve une plus grande vitalité, pour que l’État de droit soit renforcé, l’autorité judiciaire doit échapper à toute suspicion de connivence avec le pouvoir politique – depuis trois ans, cette connivence a été définitivement levée, ici, en France – et de compromission avec des groupes d’intérêts. C’est la condition pour que les magistrats qui, eux, veillent à l’indépendance de leurs fonctions et à l’impartialité de leurs décisions apparaissent sans la moindre ambiguïté aux yeux des citoyens comme étant exemplaires, indépendants et impartiaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. François Pillet, rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour le projet de loi organique. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, le texte qui vient de nous être présenté par Mme la garde des sceaux, ministre de la justice, est voulu relatif à l’indépendance et à l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société. Dans le cadre de la procédure accélérée, il est joint à l’examen du projet de loi ordinaire portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle rapporté par notre collègue Yves Détraigne.
Le projet de loi organique recèle de nombreux points qui, après avoir engendré des discussions et des précisions au demeurant très techniques, recueilleront un large consensus. Le texte issu des travaux de la commission des lois, comportant d’ailleurs une part d’articles non modifiés, n’a pas suscité un nombre important d’amendements sur le fond.
On comprend que, dès l’origine, le projet de loi organique a été déterminé par trois contraintes essentielles que son intitulé ne laisse pas clairement apparaître.
Avec 8 300 magistrats, 402 postes vacants en 2014 et un délai moyen de traitement des affaires qui se détériore nonobstant les efforts fournis par les magistrats et les personnels des greffes, la situation ne pourrait être redressée que par des recrutements massifs. L’état des finances publiques ne le permettant pas, le ministère de la justice a été conduit à privilégier d’autres types de recrutement moins coûteux. Accompagné de divers autres aménagements statutaires, il traduit ainsi, en premier lieu, des contraintes budgétaires et gestionnaires.
Alors qu’aucune critique ne peut être adressée à notre corps judiciaire de très haute qualité, qui fait honneur à sa mission,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. C’est exact !
M. François Pillet, rapporteur. … il est ajouté des dispositions relatives à la déontologie. Or les obligations auxquelles les magistrats sont tenus à ce titre, en particulier en matière d’incompatibilités et de récusations, font l’objet d’un contrôle plus rigoureux que celui exercé sur tous les autres agents publics. Il faut admettre néanmoins que la magistrature ne saurait demeurer à l’écart du mouvement général de renforcement des exigences déontologiques et de transparence au sein de la sphère publique qui concerne certes les parlementaires, mais aussi, plus généralement, les hauts fonctionnaires et les responsables publics.
Le projet de loi traduit donc, en deuxième lieu, des exigences de transparence et de déontologie.
Enfin, la question du statut du parquet, contrainte de portée supérieure, est traitée très symboliquement sans pour autant qu’il soit répondu à la question que, d’ores et déjà, je vous pose, madame la garde des sceaux : pourquoi la position claire prise par le Sénat en 2013, conforme à la volonté exprimée par un amendement de votre prédécesseur Michel Mercier, n’a-t-elle pas été poursuivie, au besoin sur l’initiative du Gouvernement, devant l’Assemblée nationale ?
M. André Reichardt. Excellente question !
M. François Pillet, rapporteur. Trois contraintes donc, déclinées dans des articles traitant de l’ouverture du recrutement pour faire face aux besoins de magistrats, améliorant la gestion des carrières, confortant des obligations déontologiques, renforçant des garanties statutaires et affectant des dispositions propres à certaines catégories de magistrats.
La commission des lois a estimé que nombre des dispositions du projet de loi organique, destinées à améliorer la gestion du corps judiciaire ou à ouvrir aux magistrats de nouvelles perspectives de carrière, étaient utiles et méritaient d’être approuvées. Elle a par conséquent souhaité conforter les avancées contenues dans le texte. En revanche, il a été jugé nécessaire de supprimer ou d’amender fortement certaines dispositions qui ne lui sont pas apparues susceptibles d’atteindre dans les faits le but qui leur était assigné.
Prenons deux exemples, qui animeront l’essentiel du débat dans cet hémicycle.
La commission des lois a supprimé l’instauration du juge des libertés et de la détention en une fonction spécialisée au regard de ses conséquences prévisibles en matière de gestion pour les petites juridictions, qui auront des difficultés à recruter des magistrats acceptant cette fonction peu prisée. Au surplus, cette réforme risquerait de les affaiblir, puisqu’elle prévoit d’attribuer, si nécessaire, ces postes à des magistrats du second grade ou à des magistrats sortant de l’École nationale de la magistrature, ce à quoi je peux affirmer qu’une très large majorité est résolument hostile.
La commission des lois propose une réforme alternative de ces fonctions, d’ailleurs envisagée mais non retenue dans l’étude d’impact, en prévoyant d’ériger au niveau organique les dispositions statutaires relatives au juge des libertés et de la détention. Ainsi, comme actuellement, ce dernier serait un magistrat du premier grade, exerçant les fonctions de président, de premier vice-président ou de vice-président de tribunal de grande instance, désigné par le président du tribunal de grande instance. Cette désignation – nous renforçons là l’indépendance à laquelle il a été fait allusion – n’interviendrait cependant qu’après avoir obtenu un avis conforme de l’assemblée des magistrats du siège du tribunal concerné, afin de protéger l’exercice de la fonction sans pour autant entraîner les rigidités liées à une nomination par décret.
Par ailleurs, la commission des lois a instauré une déclaration d’intérêts, pour les magistrats exerçant des fonctions juridictionnelles, qui serait confidentielle et adressée au chef de la juridiction en qualité d’autorité supérieure, pour servir de support objectif et encadré à l’entretien déontologique et faciliter la prévention des conflits d’intérêts ; cet entretien donnerait lieu à un compte rendu, qui serait conservé, avec la déclaration d’intérêts, par le chef de cour ou de juridiction.
La commission des lois a également élargi le périmètre des hauts magistrats tenus d’établir une déclaration de situation patrimoniale au début et à la fin de leurs fonctions à l’ensemble des chefs de cour et des chefs de juridiction, en raison de leur autorité sur les magistrats de leur juridiction. Il s’agissait de trouver un critère homogène. Les déclarations de patrimoine seront adressées à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique et soumises à son contrôle, et non à celui d’une commission de recueil des déclarations de patrimoine des magistrats de l’ordre judiciaire, le tout sans publication.
Avec Yves Détraigne, collègue avec lequel j’ai eu beaucoup de plaisir à travailler, nous avons auditionné tous ceux et toutes celles qui voulaient l’être. Grâce au portail ouvert sur le site du Sénat, nous avons également pu lire de nombreuses contributions. Les réflexions qui ont mené aux volontés exprimées par la commission des lois ne sont pas uniquement les nôtres ; nous avons été réceptacles d’inquiétudes et passeurs de consensus calmes et majoritaires. Je ne doute pas, madame la garde des sceaux, que vous aussi saurez, dans ces conditions, écouter.
En raison des amendements déposés, quels sont les points sur lesquels nous allons désormais finaliser le texte qui sera soumis à l’Assemblée nationale ?
Après des corrections rédactionnelles qui, lorsqu’elles seront soit admises, soit rejetées, ne poseront guère de difficultés insurmontables, nous aurons trois interrogations primordiales : quelles mesures pouvons-nous accepter sans que notre institution judiciaire risque de glisser vers un service public de même nature que les autres ? Quelle peut être, pragmatiquement, la meilleure solution pour procéder à la désignation de juges des libertés et de la détention indépendants, respectés et protégés ? Quelle peut être la voie à suivre pour que, en respectant l’impartialité sereine des magistrats, ces derniers coulent leur existence dans la transparence d’un courant sociétal maîtrisé ?
Les échanges qui vont suivre déborderont sans doute les limites de ce triangle conceptuel, qui n’est pas imposé. Ils précéderont certainement l’adoption d’un texte que nos collègues députés recevront avec considération. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, rapporteur.
M. Yves Détraigne, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour le projet de loi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, avec le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, nous abordons un texte important qui est, en partie, la suite des propositions faites ces dernières années par des groupes de travail chargés de réfléchir à différents aspects de la justice, tels que celui de l’Institut des hautes études sur la justice portant sur le rôle du juge, celui présidé par Pierre Delmas-Goyon sur le juge du XXIe siècle, celui qu’animait Didier Marshall sur les juridictions du XXIe siècle, ou encore celui que présidait Jean-Louis Nadal.
Notre assemblée elle-même a pris part à ces réflexions, notamment au travers du rapport de Catherine Tasca et Michel Mercier sur la justice aux affaires familiales et de celui que j’ai élaboré avec Virginie Klès sur la justice de première instance. Ces rapports ont, parmi d’autres éléments, servi de supports pour le débat national organisé à la Maison de l’UNESCO en janvier 2014, auquel un certain nombre d’entre vous a pu participer. Nous voilà donc aujourd’hui saisis d’un texte qui est, en grande partie, inspiré de toutes ces réflexions et débats.
Le projet de loi, qui compte cinquante-quatre articles répartis en sept titres – dont un, consacré à l’action de groupe, réunit à lui seul vingt-huit articles –, s’organise autour de quatre axes principaux.
Le premier axe, qui englobe les deux premiers titres du projet, tend à faciliter l’accès à la justice du justiciable tout en l’incitant à privilégier les modes alternatifs de traitement. La création du SAUJ notamment, le service d’accueil unique du justiciable, qui annonce le futur guichet unique du greffe, facilitera l’accès au juge pour le justiciable, qui, il faut bien le reconnaître, n’a généralement pas la culture juridique indispensable pour comprendre toutes les subtilités de notre organisation judiciaire.
Au travers d’autres mesures, il est aussi prévu de favoriser les modes alternatifs de traitement, par exemple en obligeant le justiciable à tenter préalablement une procédure de conciliation, pour les petits litiges avant de s’adresser au juge. Autant de mesures intéressantes, avec d’autres que je ne cite pas à ce stade, et qui sont aussi de nature à désengorger certaines de nos juridictions.
Le deuxième axe du projet de loi vise à amorcer une simplification de l’organisation judiciaire et des procédures juridictionnelles en rapprochant, par exemple, les tribunaux des affaires de sécurité sociale et les tribunaux du contentieux de l’incapacité pour créer un pôle social au sein du TGI et en recentrant les juridictions sur leurs missions premières en les déchargeant de certaines missions, comme le transfert des pactes civils de solidarité aux mairies, qui serait partiellement compensé par la fin de l’obligation de tenir un double du registre d’état civil. Nous y reviendrons certainement au cours du débat lorsque nous aborderons l’examen des articles.
C’est dans cet objectif également qu’a été initialement prévue la contraventionnalisation de certains délits routiers, comme la conduite sans permis ou sans assurance. Bien que cette mesure ait donné lieu à beaucoup de réactions défavorables et que Mme la garde des sceaux ait fait le choix d’y renoncer, la commission, sur ma proposition, n’a pas supprimé cette disposition à ce stade : non pas que je sois contre l’idée finale de renoncer à cette contraventionnalisation, mais parce que le sujet est suffisamment important et sensible pour que nous puissions prendre le temps de nous exprimer dans l’hémicycle sur cette question.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Yves Détraigne, rapporteur. Sur cet axe, la commission s’est efforcée au travers des amendements qu’elle a adoptés d’améliorer les dispositions proposées, voire d’aller plus loin que ce que prévoyait le Gouvernement en reprenant, par exemple, une proposition de son propre rapport sur la justice du XXIe siècle, qui envisage la mutualisation des effectifs du greffe afin de mieux les adapter aux besoins des juridictions.
Cette suggestion a provoqué d’ores et déjà, avant même que le débat dans l’hémicycle n’ait eu lieu, de nombreuses réactions de la part des syndicats représentant les greffiers et de la part des greffiers eux-mêmes sur lesquelles nous reviendrons sans doute. Mais je voudrais dire à ce stade qu’il ne s’agit ni de créer une instabilité de la fonction de greffier ni de déplacer ces derniers au gré des affaires et des urgences à traiter. Il s’agit tout simplement de mieux répartir les effectifs en fonction de la charge de travail dans des juridictions aux compétences élargies.
M. André Reichardt. Très bien !
M. Yves Détraigne, rapporteur. Le troisième grand axe du projet de loi porte sur l’action de groupe, qui permet à un individu de représenter en justice les intérêts d’un groupe de personnes qui ont été victimes d’un même comportement. Près de la moitié des articles du projet de loi étant consacrés à cette procédure, la commission vous proposera en fin de discussion d’adapter l’intitulé du projet de loi, qui n’est pas uniquement consacré à la justice du XXIe siècle telle qu’elle avait été imaginée dans différents rapports publiés ces dernières années.
La commission des lois a souhaité simplifier le socle procédural commun et modifier certaines procédures qui apparaissaient comme trop exorbitantes du droit commun. Je n’ignore pas que ce sujet soulève beaucoup de questions et que les propositions de mon rapport vont faire l’objet de débats fournis dans l’hémicycle. Je voudrais, à ce stade, préciser que je ne suis pas bloqué sur la version issue de l’examen du texte par la commission et que nous prendrons le temps, au cours du débat, d’examiner les nombreux amendements qui ont été déposés ces derniers jours. Nous nous efforcerons d’en tirer le meilleur parti ensemble.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien !
M. Yves Détraigne, rapporteur. Enfin, s’agissant du quatrième et dernier axe du projet de loi, consacré à la justice consulaire et au droit des entreprises en difficulté, la commission des lois a notamment souhaité relever les exigences déontologiques pesant sur les juges consulaires, dans la même ligne que le projet de loi organique rapporté par François Pillet, et soumettre les présidents de tribunaux de commerce à une déclaration de patrimoine. Il a également été décidé d’ouvrir le corps électoral des juges consulaires aux artisans, mettant ainsi en concordance la composition des tribunaux de commerce et leur périmètre de compétence.
Le rapide survol du contenu de ce texte extrêmement dense suffit à montrer l’étendue des questions relatives à la justice qui sont impactées. Mon temps de parole étant limité, je ne vais pas développer ici l’ensemble des modifications que je vous proposerai ni celles qui ont déjà été adoptées par la commission des lois. Je voudrais simplement préciser qu’avec mon collègue François Pillet, en charge du projet de loi organique, nous avons auditionné, comme il l’a souligné avant moi, pas moins de 140 personnes. Sur des textes d’une telle importance, je ne peux que regretter que la procédure accélérée ait été engagée et que, dès aujourd’hui mardi, nous entamions l’examen en séance publique d’un texte que j’ai présenté mercredi dernier seulement en commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
Mme Esther Benbassa. Très bien !
M. Yves Détraigne, rapporteur. Un tel texte, qui a vocation – si l’on en croit son titre – à adapter l’organisation et le fonctionnement de la justice au défi du XXIe siècle, aurait sans aucun doute mérité un meilleur traitement. Nous ne serons certes plus présents à la fin du siècle, mais, quelles que soient les bonnes idées de ces textes et la qualité du travail que nous accomplirons, je doute que la justice ne soit pas encore réformée d’ici là, ou alors la France ne sera plus la France et le Parlement français ne sera plus le Parlement français !
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Yves Détraigne, rapporteur. Je souhaite donc que nos débats permettent d’enrichir ce texte et d’approfondir davantage des thèmes qui auraient mérité un examen plus précis que celui auquel nous nous sommes livrés ces derniers jours en raison de la procédure accélérée. La justice est une institution que l’on ne modifie pas tous les jours !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Et qui a le temps pour elle !
M. Yves Détraigne, rapporteur. Des textes qui prétendent la modifier pour longtemps auraient vraiment mérité, madame la garde des sceaux, que l’on y consacre plus de temps ! (Applaudissements sur les travées de l’UDI-UC et du groupe Les Républicains. – Mme Esther Benbassa et M. René Vandierendonck applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, extrêmement attendus par l’ensemble de la profession judiciaire, les deux textes soumis à notre examen sont issus de plusieurs missions de réflexion et d’un grand débat national sur la justice, qui ont abouti à 268 recommandations à la garde des sceaux et à plus de 2 000 contributions.
Au regard de cette large concertation et de l’ambition initiale affichée, je pense, mes chers collègues, que nous pouvons nous accorder à dire que le résultat n’est pas à la hauteur de nos espérances. Si vous me permettez cette expression utilisée par d’autres : la montagne a accouché d’une souris. Justice du XXIe siècle : trop peu, trop tard ?, tel sera l’intitulé du prochain colloque de l’Union syndicale des magistrats !
Pourtant, il existe un droit fondamental à réformer, celui du citoyen à saisir le juge et à en obtenir un jugement. Ce droit doit être garanti par l’État, dépositaire d’une organisation satisfaisante du service public de la justice auquel nous sommes attachés. Or c’est là que le bât blesse.
Un récent rapport du Sénat rappelle que, en 1991, déjà, la commission « Justice pénale et droits de l’homme » présidée par Mme Mireille Delmas-Marty observait que « le malaise actuel de la justice pénale tient moins à l’indifférence du législateur qu’à l’accumulation de réformes ponctuelles, partielles, ajoutant toujours de nouvelles formalités, de nouvelles règles techniques qui ne s’accompagnent ni des moyens matériels adéquats ni d’une réflexion d’ensemble sur la cohérence du système pénal. C’est ce rapiéçage, parfois même ce bégaiement législatif, qui paraît irréaliste et néfaste ».
Las, cette observation conserve toute son acuité et peut être transposée au service public de la justice dans son ensemble. Les mots sont durs, mais ils sont le reflet des attentes de la profession et des justiciables. Le projet de loi n’a-t-il pas pour ambition d’apporter des réponses satisfaisantes en matière de justice pour les quatre-vingt-cinq prochaines années ? Certes, comme l’a souligné le rapporteur Yves Détraigne, nous ne doutons pas qu’il y aura bien évidemment d’autres réformes dans les prochaines années. Mais l’idée était bien ici de jeter les bases d’une véritable réforme pour le siècle.
Il va sans dire que nous en sommes loin, avec un texte ne prévoyant substantiellement que des dispositions concernant la généralisation de l’action de groupe et quelques ajustements en matière d’organisation judiciaire. En cela, nous ne pouvons que souscrire à la volonté du rapporteur de modifier le titre du projet de loi, en le ramenant à la réalité de son contenu.
En outre, madame la garde des sceaux, nous sommes toujours dans l’attente d’une réforme pénale et de l’administration pénitentiaire, ainsi que de la réforme prévue de la protection judiciaire des mineurs. Si des annonces ont été faites, le calendrier ne nous laisse augurer rien de bon quant à la concrétisation définitive du dispositif. Attendons-nous que la droite finisse de mettre en œuvre la politique sarkozyste aberrante en la matière ? (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Nous en avons encore eu la parfaite illustration ce matin, avec l’annonce visant à faire comparaître les plus de seize ans en comparution immédiate à l’issue de la garde à vue !
Ceux qui partagent les valeurs du progrès doivent avoir le courage de réaffirmer que la prison n’est pas la seule solution.
M. François Grosdidier. On n’a jamais dit le contraire !
Mme Cécile Cukierman. Chacun ici dénonce le taux de récidive. Vous savez tous qu’il est de notre responsabilité de préciser les conditions de l’emprisonnement, y compris pour les délits mineurs. Notre attitude n’est pas laxiste : elle vise l’efficacité en dehors de l’émotion et de la démagogie.
M. Alain Chatillon. Oh !
M. François Grosdidier. Vous nous prouvez tous les jours le contraire !
Mme Cécile Cukierman. En ce qui concerne la méthode, d’une part, nous regrettons une fois de plus, comme l’a souligné le rapporteur, l’engagement de la procédure accélérée, qui vient couper court au débat démocratique. D’autre part, nous nous étonnons que le Gouvernement n’ait toujours pas inscrit, en deuxième lecture à l’Assemblée nationale, le projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature discuté en juillet 2013 au Sénat, seul à même de réformer en profondeur la magistrature. Il s’agissait pourtant d’un engagement présidentiel simple,…
M. François Grosdidier. Un de plus !
Mme Cécile Cukierman. … qui avait pour grande ambition de garantir l’indispensable indépendance de l’autorité judiciaire à l’égard du pouvoir exécutif.
Estimant délicat tout rapprochement en deuxième lecture au regard des divergences entre les deux textes, le Gouvernement en a suspendu la discussion. Cependant, au lieu de proposer un compromis de nature à relancer le débat législatif, le Gouvernement a préféré proposer ce projet de loi organique dont les minces dispositions apparaissent sans portée réelle. En effet, le texte s’illustre davantage par ce qu’il ne dit pas que par ce qu’il dit.
À défaut de réforme constitutionnelle, l’ensemble de la profession attendait légitimement beaucoup de cette modification de l’ordonnance de 1958 qui devait renforcer l’indépendance des magistrats, notamment celle des magistrats du parquet, améliorer la transparence et l’égalité des magistrats en matière de nominations et d’évolution des carrières, repenser leur formation, renforcer leurs droits dans le domaine des enquêtes administratives et des procédures disciplinaires...
Or, là encore, force est de le constater, le présent projet de loi organique n’aborde ces thèmes qu’à la marge : les modifications statutaires sont essentiellement techniques, quand elles ne sont pas purement gestionnaires. Finalement, le statut des magistrats est loin d’être rénové en profondeur, même si plusieurs dispositions répondent à certains souhaits de la profession – nous nous en félicitons –, dispositions qui ont été, comme l’a rappelé François Pillet, rapporteur de la commission des lois, soutenues et améliorées par cette dernière, dont nous saluons le sérieux des travaux. Il s’agit, entre autres, du renforcement de l’obligation de transparence pour les nominations de tous les magistrats, du principe de la déclaration d’intérêts pour tous les magistrats également, de la maîtrise par le Conseil supérieur de la magistrature du renouvellement dans les fonctions des juges de proximité, ou encore de la limitation du recours à des magistrats au statut précaire, tels que les magistrats à la retraite.
A contrario, nous nous opposons avec force au recul de la commission sur l’une des seules avancées importantes du projet de loi organique : la réforme du statut du juge des libertés et de la détention.
Le rôle de ce magistrat est essentiel au pénal comme au civil : en intervenant, par exemple, en matière de contrôle des soins contraints et de droit des étrangers, le juge des libertés et de la détention exerce des missions de protection des libertés individuelles extrêmement importantes, qui doivent encore se développer, comme l’a indiqué à plusieurs reprises la Cour européenne des droits de l’homme. Or la dépendance du parquet à l’égard de l’exécutif empêche qu’il soit considéré comme une « autorité judiciaire » au sens de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, et rend nécessaire le contrôle d’un juge.
Si le juge des libertés et de la détention est un magistrat du siège qui ne peut être déplacé arbitrairement dans une autre juridiction, son indépendance n’est ni respectée ni protégée dans l’exercice de ses fonctions au quotidien. En application de l’article 137-1, alinéa 2, du code de procédure pénale, il est en effet désigné par le président du tribunal de grande instance sans précision de durée, et l’avis conforme de l’assemblée générale des magistrats du siège ne suffira pas, à nos yeux, à limiter les risques de pressions ou de changement d’affectation qui pèsent particulièrement sur ces magistrats aux fonctions sensibles.
C’est pourquoi nous vous proposerons de revenir au texte initial, qui instaure la nomination du juge des libertés et de la détention par décret. Nous serons particulièrement attentifs à l’évolution de ce point, ainsi qu’au sort qui sera réservé à nos amendements, notamment en matière de formation et de rémunération des magistrats.
Enfin, à l’heure où les violents propos d’une droite réactionnaire et décomplexée viennent entacher les valeurs de notre République, nous mettrons un point d’honneur à faire respecter tout au long de ce débat l’activité syndicale des magistrats, laquelle assure notamment l’indépendance de la fonction judiciaire, garantie des droits et libertés du citoyen, et contribue au progrès du droit et des institutions judiciaires afin de promouvoir une justice accessible, efficace et humaine.
Pour en revenir au projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, je vous le disais, madame la garde des sceaux, la déception est grande, tant la logique gestionnaire est là aussi de mise, comme en témoignent la modification de l’envoi en possession ou le transfert de l’enregistrement des PACS à l’officier d’état civil, dispositions qui relèvent davantage de mesures d’intendance que de réformes à proprement parler.
Une disposition est particulièrement révélatrice du manque d’ambition du texte et de la frilosité du Gouvernement à engager une réforme profonde et progressiste de notre justice : il s’agit de la mesure très médiatique, mise en œuvre par l’article 15, concernant la répression de certaines infractions routières.
Vous reviendrez sur ce point, madame la garde des sceaux, mais nous nous devons de souligner que, si la répression des infractions routières occupe très largement les tribunaux correctionnels, la politique de dépénalisation doit absolument dépasser le seul contentieux routier, pour concerner les délits de faible gravité. Il en va ainsi des faits d’usage illicite de stupéfiants, d’occupation de hall d’immeuble, de racolage passif, d’aide à l’entrée et au séjour. La contraventionnalisation des dégradations et des faits de vols mineurs devrait également être envisagée. Or, « affichage d’une politique répressive oblige, la réflexion n’est introduite qu’à doses homéopathiques », estiment les magistrats, dont nous partageons l’analyse.
Comme le texte censé réformer le statut des magistrats, celui que nous examinons fait parler de lui, aussi, pour ce qu’il occulte.
Parmi les mesures qu’il met en place, certes, plusieurs éléments vont dans le bon sens, et je tiens à les souligner.
Il en est ainsi du développement des modes alternatifs de règlement des différends, car le procès est toujours considéré comme un échec, une pathologie. Cependant, soulignons que la conciliation et la médiation doivent rester de libre choix, comme l’indiquent les cours de justice dans un document de synthèse : le caractère obligatoire de ce type de mode de règlement des litiges serait inefficace et risquerait, notamment, d’augmenter la durée moyenne des procédures.
De même, il est important que les services de médiation et de conciliation soient gratuits, car il serait contreproductif de faire supporter le coût de la médiation aux justiciables.
Il est un autre point positif : la mise en place d’un socle commun pour l’action de groupe et la reconnaissance d’une action de groupe plus spécifique en matière de discrimination, même si nous pouvons regretter, là encore, la frilosité de l’ambition au regard de la proposition de loi adoptée par l’Assemblée nationale au mois de juin dernier. À cet égard, nous saluons le travail accompli par M. le rapporteur, qui est revenu sur quelques dispositions pour le moins surprenantes, comme l’indemnisation des seuls préjudices nés après la réception de la mise en demeure prévue initialement en matière de discrimination au travail.
Cependant, la commission des lois s’est bien gardée de revenir sur des mesures qui nous laissent subodorer deux écueils.
Le premier écueil est l’extension de la procédure participative qui autorise, à l’article 5, la conclusion d’une convention, même lorsque le juge est déjà saisi, et avec laquelle on entre dans une dynamique de privatisation du contentieux. Celle-ci est inacceptable, notamment en matière de droit du travail, tant elle réduit l’égalité des armes et crée une justice à deux vitesses.
Le second écueil tient au transfert du contentieux de l’indemnisation des dommages corporels et de celui du tribunal de police – contentieux pénal de proximité – au tribunal de grande instance, à l’article 10, qui aboutit à un démantèlement progressif de la justice de proximité, en contradiction avec les objectifs affichés du projet de loi.
Nous vous proposerons de revenir sur ces deux mesures par voie d’amendements.
Enfin, pour ce qui est des dispositions présentes dans le texte, nous regrettons également le manque d’ambition en matière de justice commerciale. Pourtant, comme vous l’avez souligné, madame la garde des sceaux, les juridictions consulaires doivent faire face à la complexité croissante du droit et aux difficultés majeures provoquées par la crise économique. Si les mesures proposées vont dans le bon sens, nous sommes loin d’une véritable remise à plat de la justice commerciale ou, à tout le moins, de la mise en place d’une justice paritaire ou de l’échevinage, par exemple.
Sur la question du droit des entreprises en difficulté, nous pensons qu’un débat spécifique devrait être organisé en séance publique. Il s’agit là d’un sujet important, mais qui témoigne avant tout de la disparité de ce projet de loi qui, à notre sens, aurait mérité une concentration sur l’accès réel des justiciables au droit.
Une réforme portant sur la justice du XXIe siècle devrait avant tout être guidée par l’ambition d’une justice accessible et de qualité pour toutes et tous, dont l’organisation et les priorités seraient mises au service des justiciables, et non plus dictées par le productivisme et l’appât du gain.
Or les quelques efforts réalisés en matière d’accueil des justiciables dans les palais de justice et les pâles modifications des dispositifs d’accès au droit ne nous convainquent pas quant au résultat final : le chemin est encore tortueux pour parvenir à une justice qui permette aux citoyens d’avoir connaissance de leurs droits et d’avoir accès au juge, et ce quels que soient leurs moyens.
Depuis trop longtemps, la justice est laissée pour compte. Seul un effort financier important et suivi pourrait améliorer la situation de l’accès au droit et romprait avec la politique budgétaire catastrophique en matière d’aide juridictionnelle, celle-ci étant pourtant seule à même d’assurer une assistance aux justiciables les plus démunis.
Dans ses Fragments politiques, Jean-Jacques Rousseau semble visionnaire lorsqu’il explique que les sociétés ne mettent en place que des « simulacres » de justice, et que le progrès technologique et la politique accroissent constamment les inégalités, faisant de la justice comme émanation du contrat social une impossibilité historique.
Cependant, les sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen refusent le fatalisme, et apporteront leur pierre à l’édifice d’une justice bien réelle et beaucoup plus ambitieuse pour chacun de nos concitoyens. Nous serons très attentifs aux débats à venir et déterminerons nos votes en conséquence sur les deux textes qui nous sont présentés. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC. – Mme Esther Benbassa applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, j’ai écouté avec une grande attention, comme vous tous, les deux rapporteurs, Yves Détraigne et François Pillet, et j’ai été très frappé par l’esprit de consensus qui émanait de leurs propos.
Vous avez souligné, messieurs les rapporteurs, combien ces textes et la démarche qui a présidé à leur élaboration étaient susceptibles de rassembler et de créer justement le consensus.
Vous écoutant, je me disais que ces propos étaient tout de même bien différents de ce que j’ai pu lire, encore ce matin, dans certaines gazettes et entendre dans certaines émissions de radio qui vous présentent, madame la garde des sceaux, comme une personne ne partageant en rien cet esprit de consensus et de rassemblement,…
M. André Reichardt. Pas possible ?
M. Jean-Pierre Sueur. … esprit qu’illustre pourtant parfaitement la démarche mise en lumière, à juste titre, par les deux rapporteurs, ce dont je les remercie.
En effet, madame la garde des sceaux, vous avez mené pendant deux ans une démarche exemplaire (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.) et écouté toutes les personnes concernées. Ainsi, je ne connais pas dans le passé de précédent à la réunion qui a eu lieu dans les locaux de l’UNESCO !
Les textes qui nous sont présentés aujourd'hui, chacun le sait, permettront à notre justice de faire plusieurs pas en avant. C’est pourquoi je voudrais souligner, à contre-courant de certains discours, leur ambition.
Thani Mohamed-Soilihi parlera ultérieurement du projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société. Quant à Alain Richard et Jacques Bigot, ils reviendront sur plusieurs points du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle.
Qu’il me soit permis de dire ici, premièrement, combien ce que vous proposez pour favoriser l’accès au droit, madame la garde des sceaux, est essentiel.
La vérité, mes chers collègues, c’est que nombre de nos concitoyens sont perdus face aux arcanes de nos institutions judiciaires. Permettre partout l’accès au droit, grâce au service d’accueil unique du justiciable, le SAUJ, est donc, je le répète, absolument primordial ! Chacun ici connaît en effet les problèmes qui se posent concrètement en la matière dans notre pays.
Deuxièmement, ce texte prévoit une réforme tout à fait essentielle concernant la justice en matière d’action sociale.
J’ai lu avec beaucoup d’intérêt, comme sans doute certains d’entre vous, mes chers collègues, Soif de justice. Au secours des juridictions sociales, le dernier livre de Pierre Joxe qui, pour l’écrire, est allé sur le terrain. Le descriptif qu’il fait mérite d’être lu, et il faut en tirer les conséquences.
C’est ce que vous faites, madame la garde des sceaux, car cette réforme qui réorganisera la justice en matière sociale, notamment les tribunaux du contentieux de l’incapacité, autour du tribunal de grande instance est considérable. Elle était d’ailleurs largement attendue et personne n’avait proposé, auparavant, de la mettre en place.
Troisièmement, et c'est un point important, sur la question des conflits d’intérêts, nous serons particulièrement attentifs aux formulations. Nous défendrons des amendements visant à supprimer l’emploi, ici ou là, des verbes « sembler » ou « paraître ». En effet, soit il y a conflit d’intérêts, et il existe un véritable problème ; soit il y a l’apparence d’un conflit, et on ne peut pénaliser quelqu’un en vertu de ce simple élément. Seuls les faits doivent être pris en considération.
En ce qui concerne l’action de groupe, le texte comporte des réformes considérables.
D’abord, il est prévu que l’action de groupe soit étendue à l’ensemble des discriminations – et il y en a beaucoup ! Tel n’est pas le cas aujourd'hui ; c'est donc un progrès important.
Ensuite, l’action de groupe s’appliquera aux relations du travail. Cette disposition considérable est attendue par les organisations syndicales. Nous devrons d’ailleurs veiller à ce que des mesures dilatoires non fondées ne retardent pas sa mise en œuvre.
Enfin, madame la garde des sceaux, je veux revenir moi aussi sur la question de la réforme du statut du parquet et du Conseil supérieur de la magistrature. Nous en avons beaucoup débattu ici et, comme plusieurs collègues l’ont déjà dit, un projet de loi sur le sujet fait actuellement l’objet d’une navette. J’émets le vœu que ce texte poursuive son chemin et que nous puissions continuer son examen.
Certes, je connais bien toutes les considérations politiques et politiciennes aux termes desquelles les circonstances actuelles ne seraient pas favorables à un Congrès. Mais il y aura toujours des circonstances qui justifieront de ne pas agir ! Néanmoins, nous savons bien qu’il est possible de trouver un accord sur cette question, si le texte comporte, et comporte uniquement – je pèse mes mots –, les mesures nécessaires et suffisantes.
J’insiste, je suis persuadé que nous pouvons trouver un accord de tous les groupes, ou d’une grande majorité d’entre eux, au Sénat et à l’Assemblée nationale. Ainsi, grâce à l’adoption par le Congrès de mesures nécessaires et suffisantes, nous pourrons échapper à ce qui n’est tout de même pas une bonne chose pour notre pays, à savoir la condamnation rituelle de celui-ci par la Cour européenne des droits de l’homme.
Pour conclure, je tiens à vous dire, madame la garde sceaux, que votre projet de loi porte un beau titre. C’est pourquoi nous défendrons un amendement visant à rétablir la notion de justice du XXIe siècle (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.),…
M. François Grosdidier. Du troisième millénaire !
M. Jean-Pierre Sueur. … qui traduit une véritable démarche pour laquelle nous devons vous remercier ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Esther Benbassa.
Mme Esther Benbassa. Les deux projets de loi que nous examinons à partir d’aujourd’hui s’inscrivent dans la réforme judiciaire J21, la justice du XXIe siècle, que vous avez souhaité engager, madame la garde des sceaux.
Le projet de loi organique, tout d’abord, s’attache à réformer le statut de la magistrature. La réforme qu’il engage mérite d’être saluée, dès lors qu’elle se donne pour objectif de promouvoir une justice indépendante et irréprochable. Le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, quant à lui, a pour propos d’adapter la justice française aux évolutions et aux besoins de la société.
Ce second texte est ambitieux. Je ne saurais, bien sûr, le traiter dans son ensemble. Je mettrai ici l’accent, mes chers collègues, sur le socle général des règles procédurales coordonnant l’accès collectif des citoyens au juge, notamment l’action de groupe en matière de discrimination.
Nombreux sont les pays à avoir déjà franchi le pas : les États-Unis, où le mécanisme de l’action de groupe est né en 1938, le Canada, la Suède, ou encore l’Angleterre.
Cette action collective en justice a pour but de réparer une agrégation de préjudices individuels. Elle permet ainsi à un grand nombre de personnes ayant subi un même préjudice d’en poursuivre une autre, souvent dans le monde du travail, afin d’obtenir un dédommagement moral ou financier.
Depuis sa création, ce mécanisme a démontré son efficience. L’action de groupe garantit en effet l’efficacité de la justice, permet de faire gagner du temps aux tribunaux, évite une potentielle contradiction entre les différentes décisions rendues. Elle permet aussi un meilleur accès à la justice. Des individus qui, seuls, n’auraient jamais eu recours aux tribunaux, à cause des frais de justice ou encore de la complexité d’une action en justice, peuvent en effet, dans un tel cadre, se pourvoir en justice assistés par un même avocat, une association agréée ou un syndicat se portant partie civile.
La lutte contre les discriminations directes et indirectes doit rester, dans notre pays, une priorité. Notre droit les prohibe, certes, mais nous ne pouvons baisser la garde.
Les inégalités restent particulièrement sévères dans le domaine de l’emploi. Selon une étude de l’INSEE, les Français ayant au moins un parent originaire du Maghreb bénéficient d’un taux d’emploi inférieur de dix-huit points par rapport à ceux dont les deux parents sont français. Aux termes des études disponibles, le salaire des femmes demeure de 28 % inférieur à celui des hommes dans une situation similaire. Selon l’enquête commanditée par le Défenseur des droits et le Bureau international du travail, et publiée au mois de janvier 2013, près de trois actifs sur dix déclarent avoir subi au moins une discrimination dans le cadre professionnel. Or, selon la même enquête, quatre victimes de discrimination au travail sur dix n’ont rien dit ni fait, considérant qu’une réaction n’aurait rien changé. C’est précisément cela qu’il faut faire évoluer.
Consciente de l’intérêt, à cet égard, du dispositif que j’évoque, j’avais déposé dès le 25 juillet 2013, au nom du groupe écologiste du Sénat, une proposition de loi visant à instaurer le recours collectif en matière de discrimination et de lutte contre les inégalités. Au mois de janvier 2014, alors que Philippe Kaltenbach, nommé rapporteur, et moi-même préparions activement l’examen de ce texte dans le cadre de la prochaine niche réservée au groupe écologiste, une délégation interministérielle de neuf personnes me demanda de le faire retirer de l’ordre du jour, au motif que le moment n’était pas opportun du fait, je suppose, des pourparlers délicats qui étaient conduits avec le patronat à ce moment-là.
De son côté, un rapport commandité par vous-même, madame la garde des sceaux, à Mme Laurence Pécaut-Rivolier, tout en reconnaissant l’existence des discriminations au travail, préconisait que les actions collectives soient menées par les seuls syndicats. Je suis heureuse de constater, près de deux années plus tard, une évolution des dispositions gouvernementales. Peut-être le fait que moi-même et mon ancien collègue Jean-René Lecerf soyons revenus sur le sujet, voilà presque un an, dans notre rapport d’information sur la lutte contre les discriminations, y a-t-il modestement contribué ? J’aimerais le croire !
Le dispositif retenu par ce projet de loi pour l’action de groupe en matière de discrimination s’appuie bien sur le socle procédural commun défini en matière d’action de groupe. Il s’en distingue cependant par certaines dispositions spéciales. Il inclut surtout un régime d’exception dérogeant aux principes qu’il a pourtant retenus. Là, le bât blesse toujours.
Pour commencer, la définition de la discrimination est restrictive. Le fait qu’elle soit inscrite dans la loi du 27 mai 2008 risque d’en diminuer la portée par rapport aux types de discriminations que reconnaît par ailleurs le droit français, notamment l’article 225-1 du code pénal, telles les discriminations liées au patronyme, à l’état de santé, à l’apparence physique, etc.
Ensuite, ce texte ne donne qu’aux associations régulièrement déclarées depuis cinq ans dans les domaines des discriminations ou du handicap la possibilité d’agir devant une juridiction civile ou administrative afin d’établir que plusieurs personnes font l’objet d’une discrimination directe ou indirecte, fondée sur un même motif et imputable à une même personne. Ne pouvait-on ouvrir le dispositif, comme le suggère le rapporteur Yves Détraigne, à d’autres types d’associations : associations d’usagers de services publics agissant contre un refus d’accès au service à une catégorie de personnes, associations de consommateurs agissant contre un refus de vente pour le même motif ?
On regrettera aussi que le préjudice moral ait été exclu, ce qui vide l’action de groupe de sa vocation indemnitaire.
Par ailleurs, lorsque l’action est dirigée contre un employeur privé ou public, seuls les syndicats seront habilités à agir dans le cadre de l’action de groupe ayant trait aux discriminations visant des salariés, les associations n’agissant qu’en cas de discriminations en matière d’emploi ou de stage. En cela, le texte reste très proche des préconisations du rapport de Mme Pécaut-Rivolier. On est en droit de se demander si les syndicats, actifs lorsqu’il s’agit de conflits dans l’entreprise, sont préparés pour agir en matière de discrimination.
Je rappelle enfin, à cet égard, que la proposition de loi que j’avais déposée au nom du groupe écologiste envisageait également que des individus puissent s’organiser en collectif pour porter une action de groupe. Une telle disposition est absente du présent texte.
Je note enfin que l’action en réparation du préjudice subi ne pourra s’exercer que dans le cadre de la procédure individuelle définie aux articles 30 et 31 du texte dont nous débattons – une disposition de nouveau très proche des préconisations du rapport de Mme Pécaut-Rivolier.
On sait pourtant que les recours collectifs en matière de discrimination devraient surtout avoir un effet dissuasif. Et qu’ils devraient inciter les entreprises et les institutions à négocier, voire à corriger en amont leurs comportements discriminatoires, parce que si les plaignants gagnent, les indemnisations partagées entre eux peuvent être, dans les pays autorisant ce genre de procédure, fort élevées.
L’indemnisation symbolique choisie par le Gouvernement n’est pas un outil pragmatique susceptible de faire reculer les discriminations au travail. La commission des lois a, quant à elle, arbitré en faveur de la limitation de l’action de groupe « discrimination au travail » à la seule cessation du manquement. On appelle cela un vœu pieux, si je puis me permettre l’expression.
Ce projet de loi a tout prévu pour calmer les inquiétudes que pourrait susciter chez les patrons, surtout du privé, en cette période de chômage, l’action de groupe en matière de discrimination. Cela n’est pas illégitime. Reste qu’un texte aussi frileux ne risque pas de répondre aux attentes des associations qui luttent depuis des années pour la mise en place de l’action de groupe, et encore moins à celles des discriminés eux-mêmes.
M. Roger Karoutchi. Oh là là !
Mme Esther Benbassa. Monsieur Karoutchi, soyez poli ! Cela m’étonne de vous, qui êtes courtois en temps normal.
En étendant la qualité à agir aux associations régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans, dont l’objet comprend la défense d’un intérêt atteint par la discrimination en cause, en précisant que les discriminations poursuivies seraient celles qui sont définies dans le droit en vigueur et qu’elles ne se limiteraient pas à celles que définit l’article 1er de la loi du 27 mai 2008, et en rendant possible la réparation, par voie d’action de groupe, des préjudices moraux consécutifs à une discrimination, la commission des lois a rendu le texte moins restrictif et plus lisible. De même, sur l’initiative du rapporteur Yves Détraigne, a été ajouté un article destiné à reconnaître au ministère public la possibilité d’agir par voie civile pour faire cesser un manquement en matière de discrimination.
Ainsi, malgré la suppression de certaines restrictions par la commission des lois, et bien que celle-ci ait adopté la proposition de son rapporteur visant à appliquer aux manquements antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi les nouvelles dispositions relatives à l’action de groupe, ce texte risque fort de ne pas atteindre les objectifs normalement poursuivis.
Toutefois, pour conclure sur une note plus positive, je rappellerai, comme vous l’affirmez à juste titre, madame la garde des sceaux, que, « en période de crise économique et de crise des repères, le juge est bien souvent considéré comme le dernier recours permettant de faire reconnaître des droits et [de] restaurer le lien social. » Malgré les réserves que je viens d’exprimer sur un point précis, il semble que la réforme engagée par les deux projets de loi que nous examinons aille dans le sens d’une justice modernisée et réellement plus proche du citoyen, si souvent perdu et découragé face à elle.
Aussi, vous l’aurez compris, pour ces raisons et quelques autres, le groupe écologiste votera en faveur de ces deux textes. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. David Rachline.
M. David Rachline. Madame la garde des sceaux, je vous interrogeais voilà quelques semaines sur votre politique en matière de justice et j’attendais d’un ministre digne de ce nom qu’il donne les mesures proposées pour défendre le bien commun. Mais, comme souvent – pour ne pas dire comme toujours –, vous avez préféré proférer votre mépris et votre haine plutôt que d’affronter la réalité. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Bruno Sido. Ça commence mal !
M. David Rachline. La réalité, c’est un divorce profond entre les Français et l’institution judiciaire et, dans le même temps, un « mariage profond » entre une grande partie du monde judiciaire et le pouvoir en place. Je reprends bien volontiers les propos de Henri Guaino quand il décrit certains magistrats comme des « militants aveuglés par leur idéologie » et qui rendent des « jugements iniques ».
Les exemples ne manquent pas ; certains sont d’ailleurs dramatiques. J’ai ainsi une pensée pour le policier grièvement blessé par un détenu en cavale ou pour la famille d’Aurélien Dancelme, dont le meurtrier présumé a été libéré dans l’attente de son procès en appel, en raison de délais trop longs de procédure. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Une sénatrice du groupe socialiste et républicain. Démagogie !
M. David Rachline. Le dernier exemple en date, moins grave pour les personnes, mais beaucoup plus pour le symbole, est la relaxe des Femen après leur agression contre les catholiques de France lors de leur manifestation dans la cathédrale Notre-Dame de Paris : la justice prétendue de notre pays a trouvé le moyen de condamner les victimes et d’innocenter leurs agresseurs ! (M. Jean-Pierre Bosino s’esclaffe.)
Cela dit, que peut-on attendre d’un gouvernement dont le ministre de la justice non seulement propose une politique laxiste envers les délinquants, mais de surcroît passe son temps sur les plateaux de télévision à promouvoir une politique toujours plus libertaire et dévastatrice pour notre société, à travers notamment ses deux nouvelles lubies, la légalisation de certaines drogues, dont le cannabis, et celle de la procréation médicalement assistée ? (Mme Cécile Cukierman proteste.) Les Français ne veulent évidemment plus de votre idéologie ni de votre mépris.
Par ailleurs, quand vous ne faites pas de l’idéologie, vous faites de la grandiloquence ; je vous accorde que cela évite de traiter le fond des sujets… Ainsi, ces deux textes ont été pompeusement intitulés, mais, lorsque l’on considère leur contenu, on est vite déçu.
M. Jeanny Lorgeoux. Mais comment peut-il dire cela ?
M. David Rachline. Je me félicite donc que la commission des lois les ait rétablis à leur juste niveau.
Le titre que vous avez donné à votre projet de loi organique – texte « relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société » – est cependant symptomatique. En effet, vous ne cessez de nous expliquer qu’on ne peut critiquer la justice et ses jugements, mais, dans le même temps, vous avouez par ce titre que les magistrats, ou du moins une partie d’entre eux, ne seraient ni indépendants ni impartiaux ; sans cela, à quoi bon légiférer ? Je vous remercie donc de nous donner raison et de reconnaître, comme des millions de Français, cet état de fait.
Toutefois, une indépendance et une impartialité réelles passent notamment par l’interdiction de la syndicalisation des magistrats ; la scandaleuse affaire du « mur des cons » est bien sûr une triste illustration de la dérive de la magistrature… (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC. – M. Jean-Pierre Bosino s’esclaffe.)
Mme Cécile Cukierman. C’est une honte !
M. David Rachline. D’ailleurs, puisqu’on en parle, quid de l’indépendance des magistrats vis-à-vis des loges ? En réalité, il s’agit d’un texte organisationnel et les seules mesures proposées ne sont que du camouflage : c’est non pas l’état du patrimoine d’un magistrat qui pourrait inquiéter un justiciable sur l’impartialité du juge, mais bien plus les engagements politico-syndicaux de ce dernier.
Je me désole par ailleurs de l’absence dans le projet de loi – renommé « projet de loi relatif à l’action de groupe et à l’organisation judiciaire » à la place de « projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle », car je crois, et j’espère, madame la garde des sceaux, que vous ne resterez pas place Vendôme pendant tout le siècle (Sourires.) et que votre politique n’aura plus court d’ici au XXIIe –,…
Mme Françoise Cartron. J’espère que lui non plus ne sera plus là !
M. David Rachline. … de la mention du divorce entre peuple et justice que j’évoquais précédemment et que votre aveuglement empêche de voir. En effet, ce n’est pas avec un texte, qui, selon le rapporteur, « se présente comme une collection de mesures de portées limitées », que vous réconcilierez les Français avec la justice.
Je m’étonne d’ailleurs du peu de consistance du titre Ier de ce projet de loi, qui vise à « rapprocher la justice du citoyen ». Certes, vous proposez des mesures organisationnelles, mais je crois que vous n’avez en réalité pas bien compris cet éloignement. Le citoyen n’a plus confiance dans la notion même de justice. Il faut donc des mesures pour renouveler cette confiance ; c’est à cette condition, et à celle-ci seulement, que le citoyen et la justice se rapprocheront.
Cela passe par des mesures symboliques, comme le fait de redonner un sens complet à la notion de peine, élément central de la justice. La peine a en effet quatre missions : la sanction, la rééducation, mais aussi la dissuasion et la protection ; il convient que la loi les contienne toutes.
Autre point crucial pour redonner confiance dans l’institution judiciaire : le renforcement de la place donnée aux victimes ; cela doit être particulièrement le cas dans le processus de remise de peine. Cela permettrait que la décision soit prise en tenant compte de la situation du condamné dans son processus de réinsertion, tout en gardant pleinement conscience des faits qu’il a commis.
Néanmoins, dans votre texte, votre idéologie n’est évidemment jamais loin, et la création des actions de groupe en matière de discrimination, au-delà des difficultés juridiques soulignées par de nombreux spécialistes, vient ajouter une pierre supplémentaire à la déconstruction de la France que vous opérez, à votre volonté d’opposer les Français les uns aux autres. Ce n’est pas étonnant, cela dit, de la part d’une indépendantiste… (Protestations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. Roland Courteau. On est dans l’excès !
M. David Rachline. Avec cette mesure, vous tentez de remédier à l’échec total de vos politiques depuis des décennies en matière de vivre ensemble, puisque c’est l’une de vos expressions favorites. Vous allez donc encourager une nouvelle fois le communautarisme ! (Mêmes mouvements.)
Mme Éliane Assassi. C’est une obsession !
M. David Rachline. Pour conclure, je dirai que ces textes sont empreints de l’idéologie qui vous est si chère. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC pour indiquer à l’orateur que son temps de parole est épuisé.)
Mme Éliane Assassi. C’est fini !
M. David Rachline. Malheureusement, ils ne sont même pas le début du commencement d’une politique visant à redonner à la justice sa juste place dans notre société et à rétablir la confiance des Français dans l’institution judiciaire !
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants avant les questions d’actualité au Gouvernement ; nous les reprendrons à seize heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures trente-cinq, est reprise à seize heures quarante-cinq, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
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Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que la séance est retransmise en direct sur Public Sénat et sur le site internet du Sénat.
projet de loi de finances pour 2016
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour le groupe communiste républicain et citoyen.
M. Thierry Foucaud. Avec mes amis, je m’insurge contre le choix de l’austérité opéré par un président et une majorité qui ont été élus pour conduire une politique de justice sociale, après les années du « tout pour les riches » du quinquennat de Nicolas Sarkozy. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Deux exemples marquent les esprits.
Premièrement, Nicolas Sarkozy a supprimé, en 2008, la demi-part dite « des veuves ». Cette mesure visait-elle les riches nantis ? Non ! Elle concernait les retraités disposant de 10 500 à 13 500 euros de revenu annuel qui, comme vous le savez, mes chers collègues, sont aujourd'hui redevables de l’impôt sur le revenu.
M. François Grosdidier. Vous venez de vous en apercevoir ?
M. Thierry Foucaud. Cette année, cette mesure a fait entrer 250 000 personnes dans l’assiette de l’impôt local, avec nombre d’augmentations collatérales.
M. Hubert Falco. La faute à Nicolas Sarkozy ?
M. Thierry Foucaud. Monsieur le secrétaire d'État, vous venez de reporter l’application de cette disposition, en invitant les personnes concernées à ne pas payer l’impôt, ce qui est, d'ailleurs, une posture inédite. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.) Cependant, vous n’envisagez rien pour les 650 000 contribuables qui ont constaté une augmentation de l’impôt local qu’ils payaient d’ores et déjà…
Il ne faut pas reculer pour mieux sauter !
Ne me dites pas que vous venez de découvrir le sujet de la demi-part des veuves : voilà sept ans que, chaque année, des amendements portent sur cette question. Aujourd’hui, vous n’avez plus le choix : il faut rétablir cette demi-part.
Deuxième point qui montre que ce sont les plus modestes qui sont dans le viseur de Bercy : l’allocation aux adultes handicapés. Un article du projet de loi de finances prévoit de décompter les intérêts des comptes d’épargne des sommes versées aux adultes bénéficiaires de cette allocation. C’est scandaleux ! Votre gouvernement entend grappiller de l’argent placé par des parents inquiets pour l’avenir de leurs enfants. Allez-vous maintenir cette mesure d’injustice fiscale ?
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Thierry Foucaud. Vos électeurs, en 2012, attendaient une mise à contribution fiscale de la finance et des riches. Aujourd’hui, ils attendent encore !
M. François Grosdidier. Ils attendront longtemps !
M. Thierry Foucaud. Dans ces conditions (Marques d’impatience sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.), je ne peux que vous inviter à lire l’article, paru dans le feuillet Argent et placements de l’édition du journal Le Monde datée de demain,…
M. le président. Concluez, mon cher collègue.
M. Thierry Foucaud. … intitulé Réduire ses impôts sans prendre de risque. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, en 2008, la majorité précédente a supprimé la demi-part dite « des veuves ».
Cette suppression a eu deux conséquences, dont l’incidence sur l’impôt sur le revenu que vous venez d’évoquer. Toutefois, je ne partage pas votre avis sur ce point, puisque les récentes baisses d’impôt sur le revenu, notamment la suppression de sa première tranche, ont permis de sortir de son assiette celles et ceux qui y étaient entrés à cause de la suppression de cette demi-part.
Cette suppression a également eu pour effet collatéral de faire entrer un certain nombre de personnes retraitées modestes dans l’assiette des impôts locaux, qu’il s’agisse de la taxe foncière ou de la taxe d’habitation – pour le coup, je souscris à votre analyse.
Compte tenu de la brutalité de cette disposition,…
M. François Grosdidier. Sept ans pour la découvrir ?
M. Christian Cambon. Cela fait trois ans et demi que vous êtes au pouvoir !
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Non, nous ne venons pas de découvrir cette disposition, que nous avons évoquée à l’Assemblée nationale la semaine dernière !
Compte tenu de sa brutalité, donc, le Gouvernement a décidé de neutraliser l’effet de cette mesure par une disposition simple : en reconduisant, en 2015 et 2016, l’exonération de taxe foncière pour ceux qui en bénéficiaient déjà en 2014. Ainsi, les personnes qui auraient déjà acquitté leur taxe foncière seront remboursées et nous conseillerons à celles qui auraient simplement reçu leur avis d’imposition de ne pas en tenir compte.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État. Nous avons ainsi neutralisé les effets d’une décision prise par nos prédécesseurs (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.), dans un esprit de justice. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
M. Thierry Foucaud. Et l’allocation aux adultes handicapés ?
exonération des impôts locaux pour les retraités modestes
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour le groupe socialiste et républicain.
M. François Patriat. Ma question rejoint celle qui vient d’être posée.
Dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016, le Gouvernement a décidé de baisser la fiscalité pour les entreprises, mais aussi pour les ménages. Cet effort mérite d’être souligné (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.), d’abord en raison de l’importance qu’il revêt en termes budgétaires, ensuite afin que la méthode de mise en œuvre soit clarifiée auprès des contribuables.
Au moment même où une partie des impôts versés sera restituée aux contribuables, le projet de loi de finances amènera le déficit de la France à moins de 3,3 % du PIB, conformément à l’engagement pris. La dépense publique sera, quant à elle, inférieure à 56 %.
Dans le même temps, le Gouvernement a décidé d’aider 8 millions de foyers fiscaux, avec 2,1 milliards d’euros d’exonérations fiscales supplémentaires.
Reste le problème des retraités modestes qui se retrouvent aujourd'hui assujettis aux impôts locaux, alors qu’ils en étaient jusqu’à présent exonérés, à la suite de la disparition de la demi-part attribuée aux parents ayant élevé un enfant seul, notamment aux veufs et aux veuves. Les montants réclamés vont de 500 à 1 000 euros.
Bien évidemment, les personnes concernées s’émeuvent de cette mesure pénalisante. Cependant, le Gouvernement a entendu la demande des contribuables comme celle des parlementaires (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) et a décidé d’y répondre favorablement.
C'est la raison pour laquelle je vous demande, monsieur le secrétaire d'État, comment le Gouvernement entend, aujourd'hui, effacer l’effet un peu brutal et parfois discriminant de cette mesure. C’est une nécessité, ainsi que vous venez de l’expliquer à l’instant. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également).
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Christian Eckert, secrétaire d'État auprès du ministre des finances et des comptes publics, chargé du budget. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur la manière dont les contribuables concernés pourront bénéficier des mesures que le Premier ministre et moi-même avons annoncées ces derniers jours.
Très concrètement, ils pourront, à partir de la semaine prochaine, saisir les services fiscaux dont ils relèvent – par courrier, téléphone, courriel ou en se déplaçant dans les locaux – pour signaler leur situation et apporter les éléments nécessaires au prononcé immédiat d’un dégrèvement, lequel donnera lieu à remboursement dans les deux à trois semaines qui suivent.
Parallèlement, dans un délai un peu plus long, les services fiscaux examineront l’ensemble des déclarations, de façon que tous ceux qui ont droit à ce remboursement puissent en bénéficier, y compris les personnes qui ne se seraient pas manifestées.
Mesdames, messieurs les sénateurs, telles sont les instructions très claires que nous avons données à nos services, en leur demandant, bien entendu, de porter la plus grande attention aux cas les plus difficiles.
Tout à l'heure, votre collègue a appelé à trouver des solutions durables. Nous veillerons à l’adoption, dans le cadre des textes en cours d’examen au Parlement, des dispositions nécessaires à l’ajustement du niveau du revenu fiscal de référence, lequel déclenche les exonérations et les réductions d’impôts, de façon à retrouver la situation qui prévalait avant la funeste décision de suppression de la demi-part fiscale. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
En somme : réactivité et retour à la justice ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
concessions hydroélectriques
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Jean-Jacques Lasserre. Madame la secrétaire d'État, je me permets d’attirer votre attention sur la situation de nombreuses collectivités territoriales qui, abritant des concessions hydroélectriques, sont actuellement – certaines, depuis plusieurs années – dans l’attente d’une décision de prorogation ou de renouvellement de ces concessions. (Ah ! sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Nous avons l’exemple, dans mon département des Pyrénées-Atlantiques, des communes de la Vallée d’Ossau, dépendantes d’une concession hydroélectrique locale dont nous attendons la prorogation – je pense notamment à la commune de Laruns. Cela dit, nous ne sommes pas les seuls !
Cette attente de prorogation devient interminable. Elle entraîne des pertes de ressources considérables, qui finissent par créer des situations très préoccupantes, notamment en matière de développement local. En effet, une stabilité des exploitants est l’une des conditions essentielles à la construction du développement local – créations d’emplois, de bassins de vie…
Il y a urgence, madame la secrétaire d'État.
J’appelle de mes vœux, au nom de toutes ces communes rurales qui sont dans l’attente et l’inquiétude, la prorogation de la concession de la Vallée d’Ossau – pour une fois qu’elles peuvent tirer avantage de leur situation ! Il s’agit, bien entendu, de gagner du temps, de disposer de ressources financières et de consolider les relations partenariales historiques.
Très précisément, je demande que Mme la ministre de l’écologie, à l’origine de la loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte, dans laquelle le renouvellement ou le prolongement des concessions hydroélectriques s’inscrit pleinement, nous fasse part, le plus rapidement possible, de sa décision. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de la réforme de l'État et de la simplification. Monsieur le sénateur, vous m’interrogez sur les concessions hydroélectriques. Ce sujet a été longuement débattu lors de l’examen du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. La Commission européenne souhaite aujourd'hui s’assurer que le système français est conforme aux traités.
La loi issue des débats susvisés a justement permis d’apporter des réponses concrètes à cette question ancienne, pour concilier les enjeux de concurrence soulevés par la Commission avec l’objectif de mieux valoriser la production d’énergie renouvelable, dans le respect de l’environnement tout en préservant un bon équilibre entre les différents usages de l’eau et en contribuant au développement territorial.
Les nouvelles dispositions de la loi permettent de regrouper les concessions par vallée, pour garantir une gestion cohérente de l’eau, d’assurer un contrôle public de l’exploitation des concessions, grâce à des sociétés d’économie mixte associant industriels, collectivités locales et État, de sélectionner les meilleurs projets énergétiques et environnementaux, de créer des comités de gestion de l’usage de l’eau, afin de concilier les enjeux et suivre la mise en œuvre des contrats de concession.
Comme vous le soulignez, la loi ouvre la possibilité de prolonger certaines concessions en contrepartie d’investissements. Cette faculté est encadrée par le droit français et par la récente directive en cours de transposition.
Au travers de ces réformes, Ségolène Royal entend favoriser l’investissement et le développement de l’hydroélectricité,…
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx et M. Alain Fouché. Nous sommes sauvés !
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. … première source d’électricité renouvelable en France.
Ces réformes constituent l'occasion de préserver et de mieux valoriser le patrimoine hydroélectrique français – dans ses composantes naturelle, industrielle et humaine –, qui joue un rôle déterminant dans la réussite de la transition énergétique française et dans le développement économique local. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre, pour la réplique.
M. Jean-Jacques Lasserre. Madame la secrétaire d’État, vous nous récitez très consciencieusement et très exactement les termes de la loi. Nous les connaissons, nous en avons abondamment débattu !
Il est urgent d’appliquer cette loi. Pour une fois que les communes rurales peuvent tirer avantage de leur situation, ne les en privez pas ! Mme Ségolène Royal s’est engagée à nous répondre très rapidement ; nous sommes dans l’attente. (Exclamations amusées sur les travées du groupe Les Républicains.)
Votre réponse, madame la secrétaire d’État, éminemment sympathique et générique, est totalement insuffisante à mes yeux. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
dotation globale de fonctionnement
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour le groupe Les Républicains.
M. Alain Marc. Monsieur le Premier ministre, je souhaite, une fois n’est pas coutume, vous féliciter d’avoir entendu le président du Sénat et mon groupe. Ces derniers jours, nous avons attiré votre attention sur le caractère illisible et les conséquences inconnues de la réforme de la dotation globale de fonctionnement, la DGF, que votre gouvernement souhaite proposer. (Bravo ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
À la baisse brutale des dotations des collectivités, vous voulez ajouter, à coûts constants, une réforme de la DGF sans être en mesure de fournir des simulations exploitables. Or une réforme de cette ampleur ne peut passer en douce : ses conséquences doivent être non seulement claires, mais aussi expliquées.
Bien que vous en ayez reporté l’application, vous souhaitez que les grands principes de cette réforme soient arrêtés dans le projet de loi de finances pour 2016. De deux choses l’une : soit des incertitudes existent sur les conséquences de ce texte, et je vois mal comment les parlementaires pourraient se prononcer en connaissance de cause ; soit vous estimez qu’il n’y a aucune incertitude, et je comprends mal le sens de ce report.
Votre position, monsieur le Premier ministre, ne répond à aucune logique. La réforme de la DGF est un sujet suffisamment important pour faire l’objet d’une loi autonome. C’est la raison pour laquelle nous vous demandons de tirer toutes les conséquences de l’incapacité du Gouvernement à fournir des simulations fiables en reprenant entièrement le processus de réforme et en organisant – autrement que dans l’urgence – un grand et vrai débat sur ce sujet. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Monsieur le sénateur, le Gouvernement a engagé une réforme de la dotation globale de fonctionnement des communes et des intercommunalités – vous l’avez souligné – dans le cadre du projet de loi de finances pour 2016.
La mission conduite par Christine Pires Beaune et votre très regretté collègue Jean Germain a établi un diagnostic que nous pourrions au moins partager (M. Bruno Sido acquiesce.), issu d’une large concertation menée très en amont avec les élus et l’ensemble des associations d’élus, selon lequel la DGF est profondément injuste.
Je veux de nouveau saluer la qualité de ce travail, que Marylise Lebranchu, André Vallini et Christian Eckert ont poursuivi et qui a permis d’engager la discussion sur des bases solides.
La DGF n’est pas seulement injuste et inéquitable, elle est aussi illisible. La réforme que nous souhaitons, comme de nombreux élus, quelle que soit leur couleur politique, répond à trois objectifs.
Il s’agit d’abord d’assurer une meilleure lisibilité de la DGF à travers une architecture plus claire, une dotation de base égale pour chaque commune et des dotations complémentaires pour tenir compte des charges de ruralité ou des charges de centralité.
Il s’agit ensuite de réduire les écarts de dotation injustifiés et d’accentuer les effets de la péréquation. Là encore, je crois que nous pouvons nous retrouver sur de tels objectifs de justice territoriale.
Une réforme est nécessaire pour rétablir équité et justice dans l’attribution des ressources des collectivités, lesquelles participent aussi à l’effort de lutte contre les déficits publics.
Parce que cette réforme est importante, parce qu’elle doit s’inscrire dans la durée, parce que nous voulons agir différemment de ceux qui ont réformé la taxe professionnelle, sans simulation, rapidement et de manière autoritaire (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.), nous souhaitons prendre le temps nécessaire.
J’ai entendu les arguments des parlementaires de la majorité comme de l’opposition, ainsi que des grandes associations d’élus. Nous avons décidé de définir les principes pour marquer la volonté de nous inscrire dans cette réforme, et de mettre en œuvre celle-ci au 1er janvier 2017.
Il est vrai qu’un travail de simulation reste à faire. La direction générale des collectivités locales, Bercy et les cabinets des ministres concernés ont déjà fourni un effort considérable qui nous permet d'ores et déjà de disposer de premiers éléments de très grande qualité. Il nous faut cependant continuer à nous inscrire dans la durée au regard des budgets pluriannuels.
Par ailleurs, de nombreux élus, présidents d’association ou d’intercommunalité m’ont rappelé que la carte intercommunale sera achevée le 31 mars 2016.
M. Philippe Dallier. Eh oui !
Mme Catherine Deroche. Justement !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Je vais donc dans le sens demandé par beaucoup d’élus : au mois d’avril prochain, sur la base de cette nouvelle carte intercommunale et des travaux que nous aurons menés, nous serons en mesure de boucler cette réforme de la DGF et de l’inscrire pleinement dans le projet de loi de finances pour 2017.
Ce que nous souhaitons, c’est engager maintenant cette réforme, qu’elle s’inscrive dans la durée et sur des bases de très grande transparence.
Nous réformons. Nous réformons nos territoires. Nous réformons la fiscalité locale. Nous réformons les dotations aux collectivités territoriales. Il y aura une majorité de gagnants ; il peut y avoir – je n’aime pas beaucoup ce mot – une minorité de perdants.
M. François Grosdidier. Il y aura plus de perdants que de gagnants !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Non ! Il y aura plus de gagnants que de perdants ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Ne polémiquez pas de manière absurde ! N’utilisez pas ce sujet à des fins politiques, alors que je suis en train de vous dire que je suis dans l’écoute, que nous travaillons à une réforme durable et que nous faisons exactement le contraire de ce que vous avez fait sur la taxe professionnelle ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Gérard Cornu. Et c’est nous qui polémiquons !
M. Manuel Valls, Premier ministre. Il s’agit d’une réforme juste, d’une réforme équitable qui s’inscrit dans la durée et d’une réforme lisible pour l’ensemble des élus locaux. Vous devriez être d’accord et applaudir deux fois ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Alain Marc, pour la réplique.
M. Alain Marc. Monsieur le Premier ministre, vous le savez, les collectivités locales réalisent 70 % de l’investissement public. Or aujourd’hui, entre baisse des dotations de l’État et réformes diverses – telle la réforme des rythmes scolaires –, cette capacité d’investissement va s’amenuisant.
C’est aux parlementaires d’élaborer la mise en place d’une nouvelle DGF. De l’avis même du président du Sénat, cette réforme doit faire l’objet d’un texte spécifique.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Tout à fait ! Il faut faire les choses sérieusement !
M. Alain Marc. C’est ce à quoi je vous exhorte ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le Premier ministre.
Je vous prie de bien vouloir être bref, monsieur le Premier ministre, je cherche à équilibrer les règles du jeu.
M. Manuel Valls, Premier ministre. Je les respecte, monsieur le président !
Je n’ai pas encore eu le temps de le faire, mais je vais bientôt envoyer un courrier à l’ensemble des maires de France. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Je dirai encore un mot des dotations. Monsieur le sénateur, mettez-vous d’accord avec vos amis. Quand on propose de réduire les déficits publics de 100 à 150 milliards d’euros supplémentaires, il faut dire quelles dépenses sont visées ! Or vous savez très bien que les collectivités seront concernées ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.)
voitures à hydrogène
M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour le groupe du RDSE.
M. François Fortassin. Ma question, qui concerne un sujet que suit attentivement le groupe du RDSE depuis des années, s'adressait à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, qui est actuellement en déplacement en Chine, avec le Président de la République... (Marques d’ironie sur les travées du groupe Les Républicains.) Peut-être ses amis chinois lui parleront-ils de l’hydrogène ? Peut-être lui diront-ils qu’ils sont, comme nos amis japonais, très intéressés par le savoir-faire français en la matière ? Il s’agit d’une filière dans laquelle notre recherche excelle, mais dont les travaux profitent à d’autres.
En effet, le géant français de la chimie, Air Liquide, est mobilisé aux côtés de l’industrie automobile japonaise pour développer la voiture à hydrogène, laquelle dispose de nombreux atouts : son autonomie est de 650 kilomètres et elle peut être rechargée en seulement trois minutes.
Les grands constructeurs automobiles japonais, encouragés et fortement soutenus par l’État nippon, qui a défini une stratégie nationale de l’hydrogène, présentent ces jours-ci de nouveaux modèles à pile combustible – modèles propres qui ne rejettent que de l’eau...
À l’heure de la COP 21 et de la lutte contre le réchauffement climatique, et alors que la France est à la pointe de la maîtrise technique de cette énergie propre, il est pour le moins étrange que nous n’encouragions pas les constructeurs automobiles français à s’orienter vers la voiture à pile combustible, plutôt que de poursuivre la recherche sur les seuls modèles électriques. Y a-t-il une raison à cela ?
Qu’attend la France pour faire de l’hydrogène une priorité nationale ? Pourquoi ne pas définir, nous aussi, une stratégie nationale et inciter nos constructeurs automobiles à s’engager dans cette voie ? Alors que la fin de la motorisation à explosion approche, ne risquons-nous pas de rater le virage de l’hydrogène ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du RDSE. – Mme Marie-Noëlle Lienemann applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche, chargé de l'enseignement supérieur et de la recherche. Monsieur le sénateur, vous avez raison d’insister sur le potentiel énergétique de l’hydrogène qui peut être converti – chacun le sait dans cette enceinte – en chaleur, en électricité et en force motrice sans émettre de polluants, gage de neutralité en matière d’émission de gaz à effet de serre. (Murmures amusés sur les travées du groupe Les Républicains.) Je sais que vous en êtes convaincus depuis belle lurette. (Sourires entendus sur les mêmes travées.)
Il existe une stratégie nationale de développement de l’hydrogène issue de la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte, que vous avez votée.
L’article 121 de ce texte prévoit notamment que le Gouvernement remette un plan de développement de ces énergies au Parlement. Ce plan comprend l’instauration d’un modèle économique du stockage par hydrogène de l’électricité, la mise en œuvre de mesures incitatives destinées à promouvoir les innovations technologiques, le déploiement – c’est l’une des conditions de réussite de l’utilisation de cette énergie – d’une infrastructure de stations de distribution à hydrogène réparties sur l’ensemble du territoire, l’adaptation des règlements pour permettre l’essor de ces nouvelles applications.
La France, qui dispose de nombreux atouts industriels, est prête à démultiplier ses efforts dans ce domaine. À cet égard, la région Rhône-Alpes a lancé, comme vous le savez, un grand démonstrateur national de mobilité, le projet HyWay.
De même, le programme d’investissements d’avenir, le PIA, soutient les projets de démonstrateurs industriels des technologies de conversion et de stockage de l’énergie.
Toutefois, comme vous le soulignez dans votre question, la mobilisation des industriels reste en deçà des efforts de la puissance publique.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur le secrétaire d’État !
M. Thierry Mandon, secrétaire d'État. C’est désormais vers cette mobilisation que tous nos efforts doivent tendre et ce d’autant plus qu’un certain nombre de groupes français montrent à l’étranger qu’ils en ont les compétences. Mon collègue Emmanuel Macron et moi-même allons trouver les moyens pour les arrimer plus fortement à l’émergence de cette technologie en France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
pollution de l'air par le diesel
M. le président. La parole est à Mme Leila Aïchi, pour le groupe écologiste.
Mme Leila Aïchi. La pollution de l’air représente pour la France un coût annuel de 101,3 milliards d’euros ; elle provoque 42 000 à 50 000 morts prématurées par an, des centaines de milliers de maladies cardio-vasculaires et de cancers ; elle a entraîné en dix ans une perte de 100 000 emplois dans l’industrie automobile… Et à tout cela vient aujourd’hui s’ajouter la fraude !
Pas un jour ne passe – j’en veux pour preuve l’actualité de ce matin – sans que de nouvelles révélations viennent confirmer, amplifier et aggraver le scandale Volkswagen !
Comment un constructeur automobile a-t-il bien pu, au-delà de la concurrence déloyale, financer une technologie frauduleuse, nocive pour la santé, au lieu d’investir dans des technologies propres ? Cela dépasse l’entendement ! C’est tout simplement stupéfiant !
Plus grave encore, nous avons récemment appris que la Commission européenne avait été alertée dès 2013 des pratiques de Volkswagen. Or rien n’a été entrepris pour démasquer la supercherie du groupe. C’est ce silence qui nous a menés, au mois de septembre dernier, à découvrir que près de 11 millions de véhicules dans le monde étaient équipés du logiciel tricheur !
Mes deux questions sont simples : le Gouvernement ou l’État français étaient-ils, directement ou indirectement, au courant des agissements de Volkswagen ou d’autres constructeurs ? Quelle a été la position de la France sur la révision des seuils d’abaissement de l’oxyde d’azote adoptée par le Conseil européen ? (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État auprès du Premier ministre, chargée de la réforme de l'État et de la simplification. Madame la sénatrice, comme vous l’avez souligné, la fraude reconnue par le groupe Volkswagen a éveillé de vives inquiétudes.
Plusieurs études ont montré qu’il existe des écarts entre les émissions d’oxyde d’azote mesurées en banc d’essai dans les laboratoires d’homologation des véhicules et celles qui sont mesurées en situation réelle de conduite. Ces écarts sont justifiés dans une certaine mesure par les conditions de conduite, l’hygrométrie, la température ambiante, la qualité des routes…
Toutefois, les écarts constatés par le laboratoire américain qui a révélé la fraude sont sans commune mesure. C'est la raison pour laquelle l’affaire a été signalée aux autorités américaines. En Europe, aucune action de surveillance n’avait permis de déceler cette fraude et les autorités n’avaient donc pas été informées.
Une enquête de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes, ou DGCCRF, a été diligentée auprès du groupe Volkswagen. La ministre de l’écologie a lancé une démarche de contrôles aléatoires sur cent véhicules. Ces contrôles sont en cours, sous la supervision d’une commission indépendante associant en particulier des parlementaires.
Pour améliorer le processus d’homologation et éviter un nouveau scandale, il convient désormais de soumettre tous les véhicules à des contrôles d’émission en situation réelle de conduite, avant toute autorisation de mise sur le marché européen.
Le comité technique pour les véhicules à moteur de l’Union européenne s’est réuni le 28 octobre dernier. Les discussions ont conduit à l’adoption d’un projet qui a suscité une forte incompréhension. C’est pourquoi la France a demandé que cette question soit de nouveau évoquée, au niveau des ministres cette fois-ci, à l’occasion du Conseil du 9 novembre prochain.
Il conviendra de tenir compte des investigations en cours dans les différents États membres, afin que les évolutions de la réglementation soient ambitieuses et constituent le réel progrès attendu par les Français et les consommateurs européens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
couverture numérique du territoire
M. le président. La parole est à M. Yves Rome, pour le groupe socialiste et républicain.
M. Henri de Raincourt. Il n’est pas là…
M. Yves Rome. Depuis 2012, le Gouvernement s’est largement mobilisé pour que notre pays devienne le champion européen du numérique, tout en veillant à ce qu’aucun territoire ne soit oublié.
Cette mobilisation passe par le plan France Très Haut Débit, qui prévoit un investissement de plus de 20 milliards d’euros. Ce plan marque l’engagement de l’État aux côtés des collectivités territoriales et des opérateurs privés pour couvrir 80 % du territoire en fibre optique d’ici à 2022. Soixante-dix-huit projets ont déjà été déposés par les collectivités territoriales ; ils correspondent à la couverture de quatre-vingt-neuf départements.
En matière de téléphonie mobile, saluons l’accord passé avec les quatre opérateurs, qui s’engagent à couvrir l’ensemble du territoire en 2016 et en internet mobile d’ici à 2017.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Pas les zones grises !
M. Yves Rome. La loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques comporte des mesures pratiques pour réduire les coûts et les contraintes pesant sur le déploiement des réseaux par fibre et clarifier les conditions d’accès aux réseaux des collectivités, par exemple l’obligation d’équiper avec la fibre les constructions neuves.
Cependant, certaines évolutions récentes ont pu faire craindre un retard sur les engagements des opérateurs en matière d’investissement : le rachat de SFR par Numericable,…
M. Philippe Dallier. Absolument !
M. Yves Rome. … la répartition des zones conventionnées ou le lancement des enchères pour la bande des 700 mégahertz. D’où l’intérêt de maintenir une pression constante sur les opérateurs, et je voudrais saluer le suivi rigoureux que le ministre de l’économie assure en la matière. Peut-il nous rassurer sur l’engagement des opérateurs privés en termes de déploiement des infrastructures et nous préciser les modalités d’accompagnement des collectivités pour le financement de leurs réseaux d’initiative publique ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain – M. Alain Bertrand applaudit également.)
Mme Marie-Hélène des Esgaulx. Et avec quels financements ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du commerce, de l'artisanat, de la consommation et de l'économie sociale et solidaire. Monsieur le sénateur, sur ce sujet que vous connaissez bien, l’État s’est engagé à ce que les deux volets du plan France Très Haut Débit, à savoir l’investissement privé et l’investissement public dans les réseaux, avancent de concert. C’est une condition nécessaire pour tenir l’engagement d’assurer le très haut débit à plus de 50 % de la population en 2017 – vous l’avez dit – et à 100 % de la population et des entreprises d’ici à 2022.
Concernant l’investissement privé, qui doit garantir la couverture de 60 % de la population, la semaine dernière, le Gouvernement a pu mesurer de nouveau que la concurrence entre opérateurs joue enfin à plein sur le très haut débit, ce qui pousse ceux-ci à investir. Plus de 3 milliards d’euros ont été consacrés au déploiement de la fibre, dont le rythme s’accélère.
Pour autant, il faut que les projets d’investissement des opérateurs soient connus de l’État et des collectivités concernées. Nous avons dû tenir compte des effets de la fusion entre Numericable et SFR. L’entreprise a souhaité se désengager de certaines zones où elle devait assurer le déploiement de la fibre. Le ministre de l’économie a demandé que la situation soit clarifiée, ce qui est désormais le cas, puisque la société Orange s’est engagée à reprendre l’ensemble des communes qui ne seront pas couvertes par SFR.
M. Philippe Dallier. Pas l’ensemble, mais une partie !
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État. L’État, les collectivités et le Parlement doivent disposer d’engagements précis sur les investissements à venir. Pour cela, nous avons demandé aux opérateurs qu’ils concluent, partout où ils doivent déployer la fibre, des conventions contenant des calendriers de couverture précis et opposables. Le résultat de ce travail sera rendu public au mois de janvier.
M. Roger Karoutchi. À vous entendre, tout va bien !
Mme Martine Pinville, secrétaire d'État. Nous mobilisons enfin tous les moyens disponibles pour que la totalité des départements soient couverts par un projet public d’ici à la fin de l’année. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
situation des migrants
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour le groupe Les Républicains. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Agnès Canayer. Depuis plusieurs mois, nous assistons au drame du camp de Calais, où plus de 6 000 migrants campent désormais aux abords de la ville. Natacha Bouchart, maire de Calais, se débat courageusement et tire régulièrement la sonnette d’alarme. Aujourd’hui, l’État a décidé de répartir une partie de ces migrants dans des lieux d’hébergement dispersés sur tout le territoire français.
M. Alain Fouché. Sans prévenir les élus !
Mme Agnès Canayer. Au mois de septembre dernier, un véritable élan de solidarité s’était manifesté à la suite des images terribles de familles syriennes fuyant les combats. Lors de la réunion des élus locaux, le 12 septembre, vous vous étiez engagé, monsieur le ministre de l’intérieur, à soutenir les communes volontaires pour garantir de bonnes conditions d’accueil de ces populations. À peine six semaines plus tard, c’est au mieux par un appel téléphonique lapidaire du préfet ou par simple voie de presse que les maires apprennent l’arrivée imminente d’un groupe de réfugiés de Calais !
M. Alain Fouché. Absolument !
Mme Agnès Canayer. La mobilisation des maires a démontré qu’ils étaient prêts à coopérer, mais encore faut-il que l’État soit loyal et les informe clairement sur la situation des personnes déplacées.
Monsieur le ministre, je vous poserai deux questions simples. Comment comptez-vous associer véritablement les maires concernés, afin de faire en sorte que tout ne se passe pas dans leur dos ? Comment, à un moment où les contraintes financières sont de plus en plus lourdes pour les communes et où les dépenses induites explosent, allez-vous soutenir financièrement les communes qui accueillent les migrants ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Cazeneuve, ministre de l’intérieur. Je vous remercie, madame la sénatrice, de ces questions, qui contribuent à rétablir un certain nombre de vérités sur l’action du Gouvernement, en particulier à Calais.
J’ai entendu dire, ce week-end, que nous concentrerions volontairement les migrants à Calais pour faire monter le Front national… Vous venez de reconnaître que nous leur demandons, au contraire, de quitter Calais pour les répartir sur le territoire national. C’est une œuvre de vérité à laquelle il était utile de procéder face à un certain nombre d’outrances que j’ai pu entendre ces derniers jours et qui témoignaient d’une véritable irresponsabilité de la part de ceux qui ont tenu ces propos. (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées du RDSE.)
Cela étant, vous me posez deux questions précises.
D’abord, cette répartition se fait-elle sur la base du volontariat des maires ? J’ai donné des instructions extrêmement claires aux préfets de région qui contactent préalablement l’ensemble des maires. C’est donc sur la base du volontariat que cette opération s’effectue. (C’est faux ! et protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Alain Fouché. Des maires l’apprennent par la presse !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Je tiens d’ailleurs, devant le Sénat qui n’est pas une assemblée comme les autres, à remercier très sincèrement l’ensemble des maires qui sont loin des outrances et des amalgames, qui sont dans la responsabilité et qui ont conscience de la dimension particulière de cette crise migratoire. Les maires acceptent d’accueillir ces migrants, en très étroite liaison avec l’État, qui fournit l’accompagnement social. Les migrants peuvent ainsi être accueillis dans les meilleures conditions.
M. Alain Fouché. Sans aucune concertation !
M. Bernard Cazeneuve, ministre. Ensuite, vous m’interrogez sur l’aide de l’État. Je vais vous répondre très précisément.
L’État assure la totalité des financements de l’accueil des demandeurs d’asile. Sur la durée du quinquennat, il finance ainsi la création de près de 28 000 places en CADA, ou centre d’accueil des demandeurs d’asile. Il finance également la mise en place de l’hébergement d’urgence. Et il a décidé d’octroyer aux collectivités locales qui acceptent de mettre des logements à disposition 1 000 euros par migrant accueilli. Un fonds de 50 millions d’euros a, par ailleurs, été débloqué pour accompagner la rénovation de logements en cœur de bourg.
Nous mettons ces dispositions en œuvre à destination de toutes les communes qui participent à l’accueil républicain des migrants auxquelles je veux encore une fois adresser mes remerciements les plus sincères. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et sur certaines travées du RDSE.)
M. Alain Fouché. Faites de la concertation !
M. le président. La parole est à Mme Agnès Canayer, pour la réplique.
Mme Agnès Canayer. La volonté affichée de collaborer avec les élus au mois de septembre a du mal à irriguer l’ensemble des territoires. Il existe un décalage entre cette volonté et ce que les maires vivent au quotidien.
L’accueil des migrants ne se résume pas à fournir des hébergements ; il s’agit aussi de les accompagner jour après jour. Le maire, qui est garant de l’ordre public, se retrouve bien seul pour gérer tous ces problèmes, qui relèvent avant tout de la compétence de l’État. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
suites de l'évasion de deux pilotes de république dominicaine
M. le président. La parole est à M. François-Noël Buffet, pour le groupe Les Républicains.
M. François-Noël Buffet. Ma question s'adresse à Mme la garde des sceaux. Depuis quelques semaines, l’affaire dite « Air cocaïne » occupe la presse. Ce week-end a été mis en pâture le nom de l’ancien président de la République, principal opposant au gouvernement actuel et président d’une grande formation politique, Les Républicains, en l’associant à cette histoire rocambolesque.
Faut-il rappeler que c’est à la faveur d’une perquisition, dans le cadre de cette affaire « Air cocaïne », que le juge d’instruction a eu connaissance de factures établies au nom de M. Sarkozy ? Saisissant ces factures, ce magistrat a décidé de géolocaliser les deux téléphones portables de M. Sarkozy et de se faire produire les fadettes de ses appels téléphoniques pour la période allant du mois de mars 2013 au mois de mars 2014.
Force est de constater une première incongruité dans cette affaire, puisque les faits reprochés datent de la période courant de décembre 2012 à février 2013 en ce qui concerne la société perquisitionnée.
En outre, nous nous interrogeons sur la manière dont les faits ont été rendus publics. M. le Premier ministre vient de dire à l’Assemblée nationale que le Gouvernement n’avait pas été informé par le procureur général d’Aix-en-Provence à propos de la situation de M. Sarkozy, mais qu’il l’a simplement été au sujet de l’affaire « Air cocaïne ». On peut en tirer la conclusion que M. Sarkozy n’a rien à voir avec cette affaire, de quelque manière que ce soit.
Or des éléments sont publiés ce week-end. On ne peut manquer de s’interroger sur la manière opportune avec laquelle ces informations sont arrivées dans la presse ! Il y a donc eu, madame la garde des sceaux, fuite ! Voulue, organisée ? En tous les cas, nous connaissons les circonstances de cette affaire de même que les mesures dont fait régulièrement l’objet M. Sarkozy.
M. le président. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. François-Noël Buffet. Madame la garde des sceaux, au vu des éléments que je viens d’indiquer et puisque M. Sarkozy n’est pas lié à cette affaire, je souhaite que vous saisissiez l’Inspection générale des services judiciaires, afin de déterminer précisément d’où proviennent ces fuites.
Parce que vous êtes la garante d’un bon système judiciaire au bénéfice de tous les Français, y compris des anciens présidents de la République, je souhaite que vous procédiez à une telle saisine. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le sénateur Buffet, si j’ai bien compris votre question, vous me demandez de diligenter une enquête de l’Inspection générale des services judiciaires, puisque, pour le reste, vous avez décrit le cours d’une procédure sur lequel vous semblez disposer d’éléments extrêmement précis… (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Tout est dans la presse !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … qui vous permettent d’apprécier ce qu’il conviendrait de faire !
Je vous le dis, très clairement et très honnêtement : je ne diligenterai pas d’enquête de l’Inspection générale des services judiciaires (Exclamations sur les mêmes travées.), parce qu’il n’y a pas lieu de le faire !
Un sénateur du groupe Les Républicains. Mais si !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je pense en effet que votre conception de l’institution judiciaire doit vous conduire à considérer, en conscience, que cette affaire ne mérite pas que l’Inspection générale des services judiciaires soit mobilisée. (Protestations sur les mêmes travées.)
M. François Grosdidier. Vous vous moquez du monde !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il est important que nous prenions des précautions avec les institutions,…
M. François Grosdidier. Justement !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … parce qu’elles ont besoin d’être renforcées et consolidées, en particulier aujourd’hui, alors que nous avons commencé l’examen d’un texte relatif à l’indépendance de la justice et à l’impartialité des magistrats.
M. François Grosdidier. Bel exemple d’indépendance !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il est important pour nous de veiller à la solidité de ces institutions.
Vous avez parlé d’une enquête visant un opposant. Pourtant, vous avez indiqué vous-même l’époque des faits : à ce moment-là, la personne concernée n’était pas chef de l’opposition. Il me semble que ce rôle incombait à M. Jean-François Copé…
M. François Grosdidier. Quelle mauvaise foi !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Les faits en cause ont été découverts dans le cadre d’une enquête portant sur l’affaire dite « Air cocaïne », la société aérienne incriminée constituant le seul point commun entre les deux dossiers.
Ce gouvernement, qui veille à ne pas intervenir dans les affaires personnelles, à respecter l’indépendance de la magistrature et à conforter son impartialité, restera fidèle à cette ligne directrice ! (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.) Je le répète, aucune inspection ne sera diligentée concernant cette affaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du RDSE.)
marché du btp et logement
M. le président. La parole est à Mme Evelyne Yonnet, pour le groupe socialiste et républicain.
Mme Evelyne Yonnet. Le logement est une priorité des Français et fait l’objet d’une mobilisation sans relâche du Gouvernement.
Le Président de la République l’a rappelé : « construire c’est aussi loger, donner un confort et créer de l’activité et de l’emploi et nous en avons besoin. » Il a aussi annoncé qu’un élargissement du prêt à taux zéro interviendrait très prochainement.
M. Alain Fouché. Avec un tel retard !
Mme Evelyne Yonnet. Cette dernière annonce s’inscrit pleinement dans la continuité du plan de relance de la construction dont les chantiers, lancés en 2014, se poursuivent et produisent leurs effets.
On peut notamment souligner l’action du Gouvernement pour simplifier les normes, raccourcir les délais, ou encore encourager l’investissement locatif privé. L’aide aux maires bâtisseurs est de son côté désormais opérationnelle ; elle porte sur plus de 100 millions d’euros en faveur des communes modestes qui font un effort important de construction.
Favoriser l’accession à la propriété était donc l’une des priorités de ce plan de relance : ainsi, les conditions d’attribution et les modalités du prêt à taux zéro ont été revues en 2014 pour permettre à un plus grand nombre de ménages d’en bénéficier. D’ailleurs, les derniers chiffres concernant les ventes de logements neufs sont encourageants : on note une augmentation de 23 % au deuxième trimestre de 2015 par rapport au deuxième trimestre de l’année précédente. En ce qui concerne le parc ancien de logements, pour encourager l’accession à la propriété et la rénovation dans les zones rurales, le prêt à taux zéro est ouvert, depuis le 1er janvier 2015, dans 6 000 centres-bourgs.
Aussi, le projet de loi de finances pour 2016 poursuit la dynamique engagée en proposant d’étendre le prêt à taux zéro. Le Président de la République l’a annoncé en fin de semaine dernière, il souhaite intensifier encore les efforts de l’État en faveur de la construction de logements. Madame la ministre, pouvez-vous préciser les modalités de cette réforme du prêt à taux zéro annoncée par le Président de la République ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Sylvia Pinel, ministre du logement, de l’égalité des territoires et de la ruralité. Madame la sénatrice, vous avez raison de souligner que les premiers effets du plan de relance que nous avons présenté l’année dernière commencent à se faire sentir. Vous avez très justement rappelé les principales mesures de ce plan, et les chiffres de la construction publiés la semaine dernière montrent que les réservations de logements sont en augmentation pour ce qui concerne l’immobilier neuf. Ce mouvement commence à se traduire dans les chiffres des permis de construire et des mises en chantier.
M. Alain Fouché. Avec tellement de retard !
Mme Sylvia Pinel, ministre. Vous avez également rappelé que l’accession à la propriété était plus à la traîne, notamment en Île-de-France. Nous voulons donc améliorer ce dispositif, que nous avions déjà corrigé l’année dernière, afin de le rendre plus attractif pour les ménages modestes, notamment les jeunes, en améliorant la solvabilité de ces personnes.
Tel est le sens des annonces faites par le Président de la République, la semaine dernière en Lorraine : il a souhaité que nous travaillions à améliorer l’accession à la propriété en agissant selon quatre axes.
Tout d’abord, il faut permettre à un plus grand nombre de ménages d’accéder au prêt à taux zéro, grâce au relèvement des plafonds de revenus. Ensuite, le montant du prêt à taux zéro pourra représenter jusqu’à 40 % du montant du coût de l’opération, alors qu’il est à présent limité à un taux variant de 18 % à 26 %. Par ailleurs, le différé d’amortissement sera de cinq ans au moins pour toutes les tranches de revenus, alors qu’il est aujourd’hui de quatorze ans pour les ménages les plus modestes et inexistant pour les familles éligibles aux revenus les plus élevés. Enfin, le prêt à taux zéro dans l’immobilier ancien sous condition de travaux sera également élargi.
M. le président. Veuillez conclure, madame la ministre.
Mme Sylvia Pinel, ministre. J’aurai l’occasion de présenter des propositions plus précises et plus détaillées au Président de la République et au Premier ministre dans les jours prochains. En effet, nous sommes convaincus que, grâce à la relance de la construction, nous agirons aussi pour l’activité, la croissance et l’emploi. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d’actualité au Gouvernement.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que les prochaines questions d’actualité au Gouvernement auront lieu jeudi 12 novembre de quinze heures à seize heures et seront retransmises sur France 3, Public Sénat et le site internet du Sénat.
Avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-sept heures trente-cinq, est reprise à dix-sept heures cinquante, sous la présidence de M. Jean-Pierre Caffet.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Caffet
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
12
Dépôt d’un document
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre l’avenant n° 2 à la convention du 28 septembre 2010 entre l’État et la Caisse des dépôts et consignations relative au programme d’investissements d’avenir, action « ville de demain ».
Acte est donné du dépôt de ce document.
Il a été transmis à la commission des finances et à la commission des affaires économiques.
13
Indépendance et impartialité des magistrats ; justice du XXIe siècle
Suite de la discussion en procédure accélérée d’un projet de loi organique et d’un projet de loi dans les textes de la commission
M. le président. Nous reprenons la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société et du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle.
Dans la suite de la discussion générale commune, la parole est à M. Jacques Mézard. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, mon intervention concernera essentiellement le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, et je laisse à mon excellent collègue et ami Pierre-Yves Collombat le soin de s’exprimer sur le texte relatif à l’indépendance des magistrats, sujet qui lui tient tant à cœur.
Quelle belle ambition que de vouloir créer la justice du XXIe siècle !
« La justice est la première dette de la souveraineté », écrivait Portalis. La justice, nous le savons tous, doit être la plus proche possible des citoyens ; elle doit être plus accessible ; elle doit également, plus que jamais, être irréprochable. Si elle est rendue au nom du peuple français, ceux qui ont l’honneur de la rendre ne sauraient considérer qu’ils siègent sur un Olympe coupé des simples citoyens.
À l’ère de la démocratie numérique, son impartialité doit être entière, à la fois subjective et objective, afin que ses jugements ne puissent laisser planer le spectre d’une quelconque connivence, même supposée. D’ailleurs, en matière de transparence, rien ne justifie un traitement particulier pour les magistrats.
Le chantier de la justice du XXIe siècle n’est pas nouveau, comme en témoignent tous les rapports qui se sont succédé sur la question. Si le projet de loi apporte des débuts de réponse, nous ne pouvons que regretter le manque de moyens et d’actions concrètes au soutien de cette ambition, qui reste trop contingentée à l’intitulé du texte.
Pourquoi se contenter de réformes cosmétiques éparses et éviter deux questions fondamentales, c’est-à-dire celle des moyens humains et matériels, dont héritent d’ailleurs tous les gouvernements successifs, et celle de la non-exécution d’une proportion considérable de jugements qui apparaît comme un véritable fléau ?
Nous regrettons également que la réforme des juridictions commerciales ou celle des professions réglementées aient, par exemple, été amorcées par la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques de M. le ministre de l’économie.
Cela étant, diverses mesures de simplification sont mises en œuvre par le texte, notamment le transfert de l’enregistrement des PACS à l’officier d’état civil ou encore la dématérialisation des actes de procédure pénale effectués par les officiers de police judiciaire.
La plus importante de ces mesures qui est préconisée de longue date par de nombreux rapports est celle de l’attribution au tribunal de grande instance des compétences du tribunal des affaires de sécurité sociale et du tribunal du contentieux de l’incapacité, ainsi que de certaines compétences de la commission départementale d’aide sociale.
Concernant l’accessibilité de la justice, la création d’un guichet unique, dénommé « service d’accueil unique du justiciable », constitue pour nous une avancée certaine. Ce bureau permettra de simplifier les démarches d’information et d’aide juridictionnelle, avec d’autant plus d’efficacité que sa compétence s’étendra au-delà de celle de la juridiction où il est implanté.
Toutefois, à nos yeux, le projet de loi s’arrête rapidement au milieu du gué.
S’il est effectivement important de recentrer l’activité des tribunaux de grande instance sur les petits litiges civils de la vie quotidienne, le développement des moyens alternatifs de règlement des litiges ne constitue qu’un pis-aller. La déjudiciarisation ne doit pas avoir pour objectif unique de désengorger les tribunaux, les justiciables ayant des raisons valables de recourir à la force du jugement. Je suis de ceux qui considèrent, par exemple, qu’il ne peut y avoir de divorce sans juge, car il faut vérifier la réalité du consentement des parties et l’équilibre des mesures consécutives à la séparation.
Madame la garde des sceaux, selon les termes de l’article 829 du code de procédure civile, que l’on n’utilise pas suffisamment à mon goût, le juge est d’ores et déjà un conciliateur, avant que d’être un juge : « Devant le tribunal d’instance et la juridiction de proximité, la demande en justice est formée par assignation à fin de conciliation et, à défaut, de jugement, sauf la faculté pour le demandeur de provoquer une tentative de conciliation avant d’assigner. »
Aussi, à mon sens, il y a plutôt lieu de regretter la disparition, dans la formation des magistrats de proximité, à commencer par l’instance, de cette culture de la conciliation. La charge de travail est telle qu’il n’est plus possible de concilier et de réconcilier finalement les parties. Pour avoir un résultat réellement efficace, il conviendrait d’avoir plus de juges et plus de greffiers dans les tribunaux d’instance. Or, vous le savez, madame la garde des sceaux, plus d’une centaine de postes de magistrats sont vacants.
D’autres écueils rencontrés par la justice n’ont, par ailleurs, pas encore trouvé de solutions, faute d’une oreille attentive à la Chancellerie !
Les juridictions spécialisées se sont multipliées, ajoutant au peu de lisibilité de l’organisation judiciaire. Comme le faisaient d’ailleurs remarquer Virginie Klès et Yves Détraigne dans leur rapport de 2013, il n’y a pas toujours de correspondance entre un type de juridiction, le contentieux pour lequel elle est compétente et la nature de la procédure suivie en cette matière.
La collégialité est loin d’être la règle au sein du tribunal de grande instance, alors même que cette procédure se justifierait dans de nombreux contentieux complexes, faisant intervenir des intérêts majeurs pour nos concitoyens.
La question de la garde partagée, entre autres exemples, suscite encore un tel désespoir que certains pères croient bon de monter au sommet d’une grue pour faire valoir leurs droits de parent !
En matière pénale, la contraventionnalisation des délits de conduite sans permis de conduire ou sans assurance constitue, pour nous, un mauvais signal envoyé aux auteurs de ces infractions, même si j’en comprends la justification, au regard de la moyenne des sanctions prononcées. Néanmoins, les conséquences d’une telle mesure peuvent être graves pour la société.
A contrario, comme nous l’avons montré en faisant voter par le Sénat la proposition de loi de Gilbert Barbier, nous proposons de réprimer la première consommation de drogue illicite par une sanction proportionnée, facile à appliquer, donc effective, c’est-à-dire par une peine d’amende de la troisième classe, ce qui serait une mesure pédagogique.
Encore une fois, l’amélioration du fonctionnement de la justice passe par l’augmentation des moyens octroyés à cette mission. Vous avez su, madame la garde des sceaux, maintenir et même faire progresser le budget de la justice. Pour la première fois, il franchira l’an prochain le seuil symbolique des 8 milliards d’euros. Un tel montant, nous le savons, ne sera pourtant pas suffisant.
La justice du XXIe siècle, c’est également celle qui associe au mieux les différents acteurs, notamment les avocats. Je ne reviendrai pas sur la question de l’aide juridictionnelle, vous connaissez ma position. Il y a eu un conflit, je le crois, parce que la ponction sur les caisses des règlements pécuniaires des avocats était une mauvaise solution, même si elle avait pu être proposée par certains barreaux. À mon avis, il n’y aura pas d’issue en la matière sans recourir à des droits d’enregistrement et à des prélèvements sur les assurances de protection juridique, seuls moyens de préserver pour l’avenir l’aide juridictionnelle.
Voilà un certain nombre de points que les membres de mon groupe souhaitaient soulever. Soucieux du bon fonctionnement de la justice, nous avons déposé des amendements sur divers sujets qui traduisent notre vision d’une justice plus efficace et plus proche. Nous considérons que le cœur de l’action judiciaire doit rester dans les palais de justice.
Même si nous attendions plus et mieux, nous voterons ce texte, qui comprend un certain nombre d’avancées. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Madame la garde des sceaux, vous nous avez fait, en introduction de votre exposé liminaire, une description assez idyllique de l’état dans lequel se trouve la justice depuis votre arrivée au ministère. Je dois dire que c’est bien normal. En effet, si vous ne le faites pas, vous, personne ne le fera ! (Rires sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Vous avez donc eu raison de vous tresser tous ces lauriers. Tout cela passera, comme tout passe ! Vous l’avez parfois fait habilement, trop habilement sans doute. S’agissant, par exemple, du nombre de recrutements de magistrats, vous avez utilisé tantôt les entrées à l’école, tantôt les sorties totales. En mélangeant le tout, l’image est plus jolie ! Mais je ne vous ferai pas cette petite querelle. Après tout, il est bien normal de se faire plaisir de temps en temps. Il y a tant d’ingratitudes dans les postes ministériels que l’on peut vous comprendre, et ce n’est pas facile que d’être ministre de la justice !
Mme Catherine Tasca. C’est certain !
M. Michel Mercier. Je serai moins gentil s’agissant de vos deux projets de loi. S’ils sont un peu anodins, ils ne sont pas inintéressants…
M. Pierre-Yves Collombat. Ce n’est déjà pas mal !
M. Michel Mercier. … et les deux rapporteurs nous ont invités à les voter, avec un certain enthousiasme, disant qu’ils ne faisaient pas de mal et apportaient même un petit quelque chose.
M. Michel Mercier. Ce qui est certain, c’est que la justice ne passera pas le XXIe siècle avec ce texte ! Donc, si l’on pouvait lui trouver un titre moins ambitieux, plus modeste, cela aurait le mérite de correspondre mieux à la réalité !
Ces deux textes, le projet de loi organique comme le projet de loi ordinaire, ont en commun d’afficher, et c’est très remarquable, d’excellentes intentions,….
Mme Catherine Tasca. Dont acte !
M. Michel Mercier. … mais d’avancer des propositions qui, elles, le sont beaucoup moins.
Ainsi, vous nous dites qu’il faut à tout prix rendre le parquet indépendant. Pour ce faire, vous proposez de supprimer la nomination des procureurs généraux en conseil des ministres. J’ai lu l’intégralité de l’étude d’impact, qui est très intéressante. Vous en convenez, la mesure ne va changer grand-chose, mais, encore une fois, cela fera plus joli. Je peux même ajouter que votre proposition permettra au conseil des ministres de gagner en efficacité puisqu’il économisera trente-deux secondes de délibération ! (Sourires.)
Mais tel n’est pas le vrai sujet, et nous le savons bien. Aussi ai-je déposé un amendement de suppression, pour le simple plaisir d’ouvrir un petit débat sur cette question. Après que nous en aurons discuté, je retirerai mon amendement parce qu’il y a une vraie raison à supprimer la nomination des procureurs généraux en conseil des ministres. Je suis d’ailleurs très surpris que ni le Gouvernement ni les rapporteurs n’aient donné cette vraie raison, qui tient au bon fonctionnement des cours d’appel.
Autre exemple, un magistrat a pris une place très importante dans le fonctionnement de notre justice, je veux parler du juge des libertés et de la détention. En quelques années, son rôle est devenu central, essentiel, même, et je comprends que vous ayez voulu qu’il soit nommé par décret du Président de la République, à l’instar d’autres magistrats, qui occupent d’autres fonctions.
Simplement, je pense que la nomination de ces magistrats par décret bloquera le fonctionnement de certaines juridictions, les plus petites, notamment. Il en ira ici comme il en a été avec la création des pôles de l’instruction dans certains tribunaux, qui a fait disparaître l’instruction dans les plus petits tribunaux. Or l’office du juge des libertés et de la détention concerne au quotidien vraiment beaucoup de gens, bien plus que l’instruction ! Ainsi, la situation de tous les malades placés en hospitalisation d’office doit faire l’objet, tous les quatorze jours, d’une étude par le juge des libertés et de la détention.
Se pose un problème de proximité. Il faut, à mon sens, à la fois renforcer le juge des libertés et de la détention, j’en suis d’accord, et se rallier à la solution proposée par le rapporteur, car elle est meilleure.
Le projet de loi ordinaire contient une bonne mesure : le service d’accueil unique du justiciable. Cela, c’est très bien, il ne faut pas hésiter à le dire, même si on a oublié de préciser qu’il existait déjà dans certaines juridictions. (Mme la garde des sceaux fait un signe de dénégation.) Bien sûr que cela existe déjà ! Si vous le voulez, je vous emmènerai en visiter à Amiens et ailleurs, à Bobigny, par exemple.
Quoi qu’il en soit, vous allez rénover la façade, et nous ne pouvons que nous en réjouir, car ce sont des services essentiels. Cette mesure, nous la voterons.
Ce que je regrette, madame la ministre, c’est le sort réservé par votre projet de loi au tribunal de grande instance. Pour ma part, je suis favorable à une vraie réforme, qui serait la création d’un tribunal de première instance. Vous me direz que je n’avais qu’à le faire quand j’étais garde des sceaux d’un précédent gouvernement, ce à quoi je rétorquerai que la critique est un peu facile parce que vous ne le faites pas non plus !
Que la tâche soit difficile, je n’en disconviens pas ! Pourtant, ce que vous faites aujourd'hui, madame la garde des sceaux, c’est peut-être ce qu’il y a de pire, car vous déshabillez le tribunal d’instance en confiant au tribunal de grande instance des compétences du tribunal de police, telle l’indemnisation des préjudices corporels même inférieurs à 4 000 euros.
On ne peut qu’être d’accord avec cette mesure de simplification, mais on doit néanmoins se demander ce qu’il restera au tribunal d’instance, hors la conciliation ! Il faut s’interroger sur son rôle. Pourquoi ne pas aller au bout de la logique, jusqu’à la fusion ? Je regrette que vous ne le proposiez pas.
J’approuve l’extension des recrutements hors École nationale de la magistrature. Pour le personnel judiciaire, les principales modifications concernent les greffiers, dont le niveau de formation est aujourd'hui très élevé, équivalent au doctorat.
M. Pierre-Yves Collombat. C’est vrai !
M. Michel Mercier. Voyez l’école de Dijon !
M. Pierre-Yves Collombat. Très bonne école !
M. Michel Mercier. Cela n’a plus rien à voir avec ce que nous connaissions quand nous étions nous-mêmes étudiants à la faculté. Aujourd'hui, les greffiers ont souvent bac + 4 ou bac + 5. Et heureusement, dans la mesure où vous proposez qu’ils puissent être nommés directement auditeurs de justice au bout de quatre ans.
Je ne critique pas, au contraire, je trouve cela très bien ! Ceux qui ont pratiqué pendant quatre ans des activités économiques ou juridiques - tel est bien le cas des greffiers – et qui ont des diplômes équivalant au doctorat pourront être nommés auditeurs de justice. Peut-être réglera-t-on ainsi la question du greffier juridictionnel d’une façon intelligente, chacun consentant des efforts.
En résumé, ces deux textes contiennent de bonnes intentions, des mesures qui restent parfois au milieu du gué – cela peut se comprendre. Pourquoi ne pas vous accompagner sur ce chemin, dès lors que le XXIe siècle connaîtra très naturellement, et très nécessairement, bien d’autres textes pour que nous aboutissions à la justice que souhaitent nos concitoyens ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Madame la garde des sceaux, qu’on approuve ou non vos orientations, l’on s’accorde généralement à vous reconnaître une forte personnalité, et votre capacité à faire preuve d’une véritable audace. Et de l’audace, précisément, il en faut pour bâtir cette « justice du XXIe siècle » telle que vous l’évoquez dans le titre de l’un des deux projets de loi.
Malheureusement, je ne trouve pas assez la trace de cette audace dans les textes qui nous sont soumis.
Le projet de loi « relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats » contient certes – ici et là – quelques dispositions intéressantes, mais elles sont, à mon sens, très loin de l’ambition affichée. Que les procureurs généraux soient nommés non plus en conseil des ministres, mais par le garde des sceaux, quel bouleversement !
En réalité, le vrai progrès – le progrès nécessaire –, ce serait que les magistrats du parquet soient nommés, comme ceux du siège, après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.
C’est ce que le Sénat a voté il y a deux ans, alors que sa majorité n’était d'ailleurs pas la même qu’aujourd'hui. Lorsque vous avez lancé un processus de révision constitutionnelle sur le statut de la magistrature, vous avez interrompu l’examen du texte parce que le Sénat – avec beaucoup de sagesse – avait refusé de transformer la composition du Conseil supérieur de la magistrature.
Mme Catherine Tasca. C’était très sage, en effet !
M. André Reichardt. Or il y a un équilibre à respecter. L’avis du Conseil supérieur de la magistrature pour la nomination des magistrats du parquet va, à mon sens, de pair avec un CSM dans lequel les représentants des magistrats ne sont pas tout-puissants. Sinon, on transforme la magistrature en une corporation qui ne rendrait de comptes qu’à elle-même. D’où viendrait alors sa légitimité ? Et que resterait-il des principes républicains ?
Le véritable courage, c’est précisément de savoir reconnaître que l’on s’est trompé. En l’occurrence, ce serait, pour le Gouvernement, de se rallier au texte voté en 2013 par le Sénat et de faire aboutir la procédure sur cette base.
En effet, le texte qui nous est soumis ne résout pas le problème qui nous est posé par la jurisprudence européenne. Déniant au procureur français la qualité de magistrat, la Cour européenne des droits de l’homme limite peu à peu sa capacité à effectuer certains actes d’enquête. Vous le savez, à tort ou à raison, la Cour de Strasbourg a plusieurs fois réitéré sa position : le procureur français ne présente pas les garanties d’indépendance exigées pour être qualifié de « magistrat habilité par la loi à exercer des fonctions judiciaires », au sens de l’article 5 de la Convention européenne des droits de l’homme. C’est cette situation qu’il faut corriger, car, à défaut, même les plus simples réquisitions du parquet risquent fort d’être un jour interdites et les actes d’enquêtes les plus quelconques annulées.
Le problème principal est bien là, et votre texte ne le résout pas. Tant que nous ne l’aurons pas réglé en instaurant l’avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature, nous ne pourrons pas réussir cette rénovation de notre procédure pénale dont le besoin se fait sentir chaque jour.
Pour ma part, et dans l’attente de voir aboutir un processus de révision constitutionnelle sur ce sujet, je proposerai un amendement ouvrant la voie sur ce plan, en suggérant – c’est une proposition – qu’en cas d’avis défavorable du CSM à une nomination, un deuxième avis soit exigé, qui ne devra pas confirmer le premier à la majorité des deux tiers.
Quant au projet de loi « portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle », il a bien de la peine à justifier son titre tant il est loin de l’ambition affichée. C’est une grande étiquette sur une toute petite bouteille…
Il s’agit, dit-on, de rapprocher la justice du citoyen, de faciliter ses démarches. Qui ne serait pas d’accord avec cet objectif ? La mise en place de « guichets uniques » – formule le plus souvent utilisée – va certes dans ce sens, mais où est le véritable intérêt, si on en reste à un simple service d’accueil unique du justiciable et que ce qui se passe derrière est toujours aussi lent, aussi complexe, aussi incertain ?
La commission des lois ne s’y est pas trompée. Elle a suivi les recommandations du rapport d’information plusieurs fois cité sur la justice de première instance remis à l’époque par nos collègues Virginie Klès et Yves Détraigne, qui liaient la réforme du guichet universel de greffe à celle, aussi importante, de la mutualisation des greffes. Même si cela fait grincer certaines dents, la commission des lois a créé un article 13 bis organisant cette mutualisation et permettant au chef de juridiction de redéployer, au sein du ressort du tribunal de grande instance, les effectifs de greffe.
Il est également question de l’instauration de plateformes électroniques permettant de suivre son dossier en ligne. Tant mieux, même s’il ne faut pas trop se hâter de saluer ce progrès technologique dans la mesure où, semble-t-il, les logiciels nécessaires ne sont pas encore conçus ! Là aussi, à quoi sert-il de savoir en ligne où en est précisément son dossier si celui-ci n’avance pas, du fait de procédures trop lourdes ou de moyens insuffisants ?
Où sont ensuite, madame le ministre, les grandes évolutions concrètes attendues en matière de simplification de l’organisation judiciaire et des procédures juridictionnelles ? Même avec une grosse loupe, on a du mal à les discerner !
Il est proposé de créer au tribunal de grande instance un pôle social qui regrouperait le tribunal des affaires de sécurité sociale et le tribunal du contentieux de l’incapacité, autrement dit le TASS et le TCI, ainsi que la partie des contentieux liée au droit à la protection sociale. Il est également proposé d’intégrer le tribunal de police au tribunal de grande instance plutôt qu’au tribunal d’instance, comme c’est le cas aujourd'hui, et de recentrer les juridictions sur leurs missions premières en les déchargeant de certaines autres tâches – en transférant, par exemple, aux mairies l’enregistrement des pactes civils de solidarité. Mes chers collègues, est-ce que ce sont bien là les attentes des justiciables, de nos concitoyens ?
À moins qu’il ne faille considérer comme un grand progrès de la simplification le déclassement des délits de conduite sans permis ou sans assurance en de simples contraventions ? Cela figure parmi les possibles mesures de simplification : étrange raisonnement !
Comme nous sommes incapables de traiter comme il le faudrait ce type de contentieux, nous le déclassons, afin de désencombrer les juridictions, sans prendre garde, M. Mézard l’a dit avant moi, au signal désastreux ainsi envoyé.
Reconnaissons pourtant que, si l’objectif final était de désencombrer les tribunaux correctionnels, le résultat serait remarquable. D’ailleurs, si tel est le cas, pourquoi s’arrêter là ? Il existe bien d’autres délits, aussi souvent commis, voire plus souvent encore, qui gagneraient à être ainsi déclassés pour libérer les tribunaux.
En réalité, des propositions de ce type, au-delà de leur caractère que je n’hésiterai pas à qualifier d’ubuesque, me paraissent graves, car elles illustrent une justice exclusivement centrée sur son propre fonctionnement et coupée des conséquences qu’il a sur la société.
Pardonnez-moi, madame le garde des sceaux, de me faire une autre idée de la justice du XXIe siècle : une justice qui serait délivrée, certes, des derniers vestiges à subsister çà et là du XIXe siècle, mais surtout des illusions du XXe siècle et des faiblesses qui l’ont conduite dans l’état où elle se trouve aujourd’hui.
Nos concitoyens ne se retrouvent plus dans la justice qui est censée être rendue en leur nom. Ils ne comprennent pas ses lenteurs et ses dysfonctionnements ; ses décisions leur semblent de plus en plus imprévisibles.
Ils constatent qu’elle n’inspire plus cette crainte salutaire qui dissuade de prendre le chemin de la délinquance. Ils observent que les victimes ont bien du mal à obtenir réparation. Ils voient les peines peu, mal, voire jamais exécutées, parfois réduites dès l’audience.
La justice est en train de perdre sa crédibilité !
Pour la lui rendre, il faut modifier la procédure pénale dans le sens de la simplification, du réalisme et de l’efficacité, ce qui est parfaitement compatible avec le haut niveau de protection des droits de l’homme et des libertés fondamentales garanti par notre Constitution.
En premier lieu, il ne faut pas hésiter à introduire des procédures nouvelles, gages d’efficacité et de sérieux dans la réponse pénale, à limiter les annulations de procédure pour des hypothèses de pure forme et à supprimer tous ces grains de sable qui laissent au citoyen l’idée que la procédure pénale pourrait n’être qu’une immense loterie.
En matière de simplification, il nous faut travailler à unifier les règles, à supprimer les incohérences, à sanctionner les recours abusifs et à n’imposer que le formalisme strictement nécessaire. En la matière, il y a tant à faire ! Combien de procès-verbaux de pure forme sont dressés avant de parvenir au premier acte de fond ! Combien d’heures sont ainsi perdues par tous : magistrats, avocats, parties au procès !
Nous devons aussi crédibiliser absolument le droit des peines ; il ne cesse d’évoluer, mais avec cette particularité que chaque réforme le complexifie davantage. Les magistrats se voient soumis à des injonctions législatives peu compréhensibles : condamnez ! condamnez encore ! Pour l’exécution, on en discutera… N’est-ce pas peu ou prou ce que dit la loi, quand elle prévoit la faculté d’aménager la peine dès l’audience ou encore des mécanismes automatiques de réduction de peines, même pour les récidivistes ?
Il faut en la matière revenir à la raison.
Pour ma part, avec quelques collègues, j’entends déposer, dès qu’elle sera prête, une proposition de loi portant réforme globale des procédures pénales qui irait dans cette direction. J’espère qu’au-delà des postures politiques l’aspect concret et technique de ces mesures pourra convaincre.
Pour l’heure, et seulement à titre d’exemple, j’ai déposé trois amendements visant à insérer des articles additionnels au texte sur la justice du XXIe siècle.
Le premier amendement a pour objet l’instauration d’un régime d’enquête nouveau et plutôt audacieux.
Le deuxième vise à redonner du sens au principe selon lequel il n’y a pas de nullité de la procédure sans grief.
Le troisième enfin, qui découle du simple constat de la pénurie d’interprètes durant les procédures, a pour objet de faciliter le recours à l’interprétation par téléphone, hors difficultés insurmontables.
En conclusion, il est patent que notre système judiciaire souffre de trop de faiblesses, de trop de carences ; il est urgent de les corriger sérieusement.
Malheureusement, nous n’en prenons pas le chemin, madame le garde des sceaux, avec les deux textes que vous nous présentez aujourd’hui, malgré diverses mesures en vérité utiles. Le décalage est trop grand entre l’ampleur de la réflexion préalable que vous avez menée, l’ambition des titres de vos projets de loi, et la réalité.
À mon sens, nous manquons ici une nouvelle occasion de rétablir la confiance entre nos concitoyens et la justice. Vous avez par deux fois mentionné la nécessité de restaurer cette confiance ; je crains pour ma part que nous n’ayons pas, avec ces textes, atteint l’objectif que vous vous fixiez, et je ne peux que le regretter ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Françoise Férat applaudit également.)
M. Charles Revet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet.
Mme Nathalie Goulet. Madame le garde des sceaux, le XXIe siècle commence à peine. (On en convient au banc des commissions.)
M. André Reichardt. C’est vrai !
Mme Catherine Tasca. Il faut de l’ambition !
Mme Nathalie Goulet. Je rejoins ceux de mes collègues qui regrettent que ces deux projets de loi soient examinés en procédure accélérée. En effet, cela laisse peu de temps au Sénat, en particulier à ceux d’entre nous qui n’appartiennent pas à l’honorable et vénérable commission des lois, pour étudier ces textes importants, dont le champ ne couvre pas moins de cinq domaines du droit et de la procédure.
Le projet de loi « Justice du XXIe siècle » crée une procédure nouvelle en matière d’action de groupe, qui n’existait jusqu’à présent que dans les domaines environnemental et sanitaire. Je centrerai mon intervention sur ce point.
Ce texte est novateur au regard de notre système juridique. En effet, vous le savez mieux que moi, notre droit veut que nul ne plaide par procureur. Cela crée tout de même une certaine difficulté au regard de la présente initiative.
Néanmoins, on comprend bien que, dans ce monde de judiciarisation extrême, réparer le préjudice de masse soit une nécessité absolue. Pour y répondre, il faut trouver une solution : l’action de groupe en est une. Il ne s’agit certes pas d’une class action à l’américaine, mais bien d’une action de groupe à la française.
Le texte que vous nous présentez me semble pourtant mal abouti : il présente un grand risque d’instabilité juridique. Certes, il entend permettre la réparation du dommage de masse, mais pas trop vite et, surtout, pas trop directement : il faudra en effet que des associations existant depuis plus de cinq ans puissent porter la procédure.
Le dispositif va trop loin, ou pas assez : il n’est pas en mesure, à mon sens, d’apporter toute la protection que l’on voudrait offrir.
Ainsi, les conditions de publicité de l’action ne sont qu’à peine évoquées ; or c’est le nombre qui fait la force de la class action.
Rien n’est dit quant au rôle des avocats et des conseils : pourront-ils appliquer les dispositions de la loi Hamon sur le démarchage et se transformer en véritables chasseurs de prime, voire en instigateurs de ces procédures ? Une telle dérive, constatée outre-Atlantique, serait tout de même problématique.
Quid de la validité des pactes de quota litis en ce qui concerne les honoraires ? Sur ce point non plus, rien ne figure dans le texte.
Il n’y est par ailleurs fait aucune mention des conflits d’intérêts, et la question des réparations est, elle aussi, traitée de manière elliptique.
L’article 32 du projet de loi donne deux possibilités au débiteur : il peut verser les sommes dues soit sur un compte ouvert auprès de la Caisse des dépôts et consignations, soit sur le compte CARPA de l’avocat d’un demandeur. Or il peut y avoir cent ou cent cinquante demandeurs dans une telle procédure : les possibilités offertes à cet article apparaissent dès lors par trop imprécises. C’est pourquoi je défendrai à ce sujet un amendement tendant à permettre au débiteur de l’obligation de se libérer des sommes mises à sa charge au greffe du tribunal ; les demandeurs pourront ensuite se répartir les sommes.
Le projet de loi offre par ailleurs une voie individuelle au demandeur insatisfait de l’action de groupe ; j’en prends acte. Cela suscite toutefois un problème : l’article 35 prévoit que l’action de groupe entraîne une suspension de prescription pour les actions individuelles, ce qui est tout à fait normal, mais aussi que le délai de prescription « recommence à courir pour une durée qui ne peut être inférieure à six mois ».
Cela me semble poser un problème de sécurité juridique pour le débiteur de l’obligation. En effet, quand une prescription est suspendue, la loi prévoit d’ordinaire deux possibilités : soit la prescription suspendue reprend conformément à l’obligation à laquelle elle est attachée, c’est-à-dire pour le délai restant à courir, soit, de manière plus innovante, la loi fixe un délai de prescription clair et précis de façon à limiter l’insécurité juridique pour le débiteur. Or le délai mentionné à l’article 35 ne répond pas à ces critères.
Je n’ignore certes pas que l’article 2238 du code civil prévoit lui aussi un délai de prescription d’une durée ne pouvant être inférieure à six mois. Cet article a toutefois pour objet les transactions, alors que l’article 35 du présent projet de loi a pour objet les actions de groupe. Quitte à innover en la matière, on pourrait très bien fixer un délai quelque peu plus précis, ne serait-ce que pour que le débiteur de l’obligation puisse être sûr des délais pendant lesquels il peut être attaqué au titre d’une action individuelle : je rappelle que les personnes visées par cet article 35 auront d’ores et déjà été parties à l’action de groupe.
Je suis extrêmement favorable à l’action de groupe. J’ai été vice-présidente de deux missions communes d’information, sur le Mediator et les prothèses mammaires PIP. Dans les deux cas, comme on l’a vu, l’action de groupe était vraiment une solution pour les victimes. Pour autant, je suis tout à fait hostile à cette méthode de « saucissonnage » thématique.
En créant un tronc commun, M. le rapporteur a fait œuvre constructive. Néanmoins, diviser les obligations par matière, c’est risquer d’introduire des disparités.
Ce projet de loi manque de cohérence non seulement en son sein, mais aussi par rapport aux deux textes qui l’ont précédé en la matière. Et l’on veut en outre créer une autre action de groupe, cette fois pour lutter contre les discriminations…
Non, l’action de groupe aurait pu à mes yeux faire l’objet à elle seule d’un projet de loi spécifique ; cela nous aurait permis de travailler en amont et de manière plus précise sur ce sujet extrêmement important.
Le dossier Vivendi témoigne par ailleurs du problème que constitue l’action de groupe en matière financière. En effet, comme cette procédure est impossible dans notre pays, des Français ont dû aller se rattacher à une action de groupe aux États-Unis. Désormais, ce ne sera plus le cas : cela montre la nécessité d’une action de groupe, mais construite en conformité avec les principes de notre droit et, surtout, protectrice non seulement des victimes, mais aussi des débiteurs d’obligations, qu’il s’agisse de personnes physiques ou morales. En effet, une action de groupe mal ficelée peut tout de même porter un préjudice extrêmement important à ceux contre lesquels elle est dirigée, notamment les personnes morales, donc les entreprises.
Toutes ces questions seront vraisemblablement débattues lors de la discussion des articles. Je vous proposerai à cette occasion un certain nombre d’amendements ; en fonction du sort qui leur sera réservé, je voterai ou non le projet de loi. En effet, je persiste à croire qu’une disposition aussi importante que l’action de groupe ne peut être traitée en une seule lecture et dans une telle rapidité, sans risque pour la rédaction et la précision du dispositif. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, nous nous apprêtons à examiner successivement le projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société ainsi que le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, textes pour l’examen desquels la procédure accélérée a été engagée par le Gouvernement.
Ces deux textes s’inscrivent dans le cadre de la réforme de la justice du XXIe siècle, dite « J 21 », dont l’objectif est de doter notre pays d’une justice plus proche, plus efficace et plus protectrice. Ils sont l’aboutissement d’une réflexion sur la modernisation de la justice engagée par vous, madame la garde des sceaux, depuis 2013 et à laquelle ont activement pris part les juridictions et l’ensemble des acteurs du monde judiciaire.
Le premier de ces textes constituera, s’il est adopté, la quatrième réforme du statut de la magistrature depuis l’instauration de la Ve République.
Il est fort regrettable néanmoins que le précédent projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature ait vu son parcours législatif suspendu, après qu’il a été entièrement réécrit lors de son examen ici, au Sénat. Il contenait pourtant initialement des dispositions de nature à renforcer l’indépendance des magistrats du parquet et à mettre la France en conformité avec le droit européen.
En effet, en raison de ses conditions de nomination et de son lien hiérarchique avec le pouvoir exécutif, le parquet est sans cesse soupçonné de partialité, et la trop grande influence du Gouvernement sur ce parquet a été par le passé cause de bien des dérives, si bien que la Cour européenne des droits de l’homme, dans plusieurs décisions récentes – Medvedyev et autres c. France, Moulin c. France ou encore Vassis et autres c. France –, a rappelé aux autorités françaises que les magistrats du parquet ne présentaient pas les garanties d’indépendance leur permettant d’être considérés comme faisant pleinement partie des autorités judiciaires au sens de l’article 5, paragraphe 3, de la Convention européenne des droits de l’homme.
De récentes affaires ont toutefois démontré que la justice fait honneur à sa mission, y compris lorsque des personnalités politiques sont mises en cause, au nom du principe de l’égalité de tous devant la loi. Plus que d’un manque d’indépendance des magistrats, dénoncé en l’occurrence par ceux-là mêmes qui, dans un passé récent, ont tout fait pour l’entraver, c’est surtout le soupçon de partialité qui s’est répandu dans l’opinion. Nous le savons tous, ce soupçon, qui est directement lié à un statut insuffisamment protecteur, notamment pour les magistrats du parquet, est néfaste pour l’image de la justice française et impose une réforme urgente.
Les éléments d’un accord sont là, et la détermination du Président de la République pour faire aboutir ce projet de réforme est toujours aussi vive. Il l’a d’ailleurs encore rappelé lors de ses vœux pour l’année 2015 aux corps constitués et aux bureaux des assemblées.
C’est la raison pour laquelle nous espérons que le projet de réforme constitutionnelle reprenne prochainement son parcours parlementaire – j’insiste sur ce point – et que soient définitivement inscrits dans le marbre de la Constitution la nomination des membres du parquet après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature et l’alignement du régime disciplinaire.
Dans l’attente d’une convocation du Parlement à Versailles, le projet de loi organique que nous examinons aujourd’hui comporte des avancées indiscutables et répond à un certain nombre d’attentes et de demandes émanant des magistrats eux-mêmes.
Ce texte prévoit notamment que les juges des libertés et de la détention sont nommés par décret, ce qui représente une évolution notable dans la protection statutaire de ces magistrats et répond à une revendication ancienne. Cette disposition a été supprimée par la commission des lois, mais nous en discuterons de nouveau lors de l’examen des articles.
Ce projet de loi consacre également la liberté syndicale des magistrats, n’en déplaise à certains. Il prévoit, pour pallier tout éventuel conflit d’intérêts qui pourrait surgir au sein de la juridiction, que chaque magistrat rejoignant une nouvelle juridiction fait l’objet d’un entretien déontologique. Il s’agit là de faciliter l’intégration des magistrats dans leur nouveau poste en mettant à leur disposition des interlocuteurs dédiés pour les questions de déontologie.
Ce texte ouvre également le recrutement de magistrats afin d’adapter le corps judiciaire aux exigences de notre temps.
En effet, malgré toutes ces critiques et ces attaques incessantes, le métier de magistrat intéresse de plus en plus de jeunes.
Madame le garde des sceaux, vous avez tiré les conséquences des erreurs commises précédemment, quand on pensait qu’il fallait réduire le nombre de magistrats, sans vérifier si l’on avait les moyens de leur confier moins de contentieux. Or le contentieux a considérablement augmenté – avec, par exemple, le contrôle renforcé de la garde à vue, des hospitalisations sous contrainte ou des tutelles –, les périmètres d’action des juges et des procureurs n’ont cessé de s’élargir et de consommer plus d’emploi. Le corps judiciaire a dû également faire face aux départs à la retraite des magistrats recrutés dans les années soixante-dix. Au total, environ 500 postes seraient vacants aujourd’hui !
Le groupe socialiste et républicain présentera plusieurs amendements qui, je l’espère, recueilleront votre assentiment, madame le garde des sceaux, et celui de mes collègues. Sans entrer dans le détail, je vous en expose succinctement les principales composantes.
Dans l’attente de la réforme constitutionnelle, nous défendrons des dispositions destinées à accroître l’indépendance des magistrats du parquet vis-à-vis de l’exécutif.
Nous demanderons le rétablissement de certaines des dispositions contenues initialement dans le texte, qui ont été supprimées par la commission des lois, prévoyant notamment l’autorisation, sous certaines conditions, accordée aux magistrats honoraires d’exercer les fonctions d’assesseur ou de substitut au sein des juridictions judiciaires.
Nous demanderons également la suppression de la notion d’apparence dans la définition des conflits d’intérêts applicable aux magistrats, celle-ci pouvant être sujette à des interprétations très larges.
M. Yves Détraigne, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, pour le projet de loi. Très bien !
M. Thani Mohamed Soilihi. En outre, nous vous soumettrons un amendement visant à promouvoir la mobilité géographique des magistrats exerçant en outre-mer. Aujourd’hui, pour un magistrat exerçant outre-mer, toute possibilité de mobilité géographique, en équivalence ou en avancement, d’une juridiction ultra-marine à une autre est fermée, quand bien même les deux juridictions se situeraient dans deux cours d’appel différentes et seraient éloignées de plusieurs milliers de kilomètres.
Une telle règle ne s’applique pas dans l’Hexagone. Elle est éminemment discriminatoire et a pour conséquence de renforcer la désertification juridictionnelle dans nos territoires éloignés. Il me semble indispensable de permettre à des magistrats aguerris aux problématiques spécifiques ultramarines de poursuivre leur carrière sans ces restrictions, incompréhensibles et contre-productives.
Par ailleurs, pour des raisons pratiques évidentes dues à l’éloignement géographique et au coût du déplacement, un magistrat nommé dans une juridiction d’outre-mer qui effectue son stage sur le territoire métropolitain doit pouvoir être en mesure de prêter serment devant la cour d’appel d’affectation.
Ce texte, qui s’inscrit donc dans la démarche engagée par le Gouvernement depuis trois années maintenant pour garantir l’indépendance et assurer les conditions d’impartialité de notre justice, ne peut que recevoir un accueil favorable. Il vient compléter la loi relative aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique, qui empêche toute ingérence de l’exécutif dans le déroulement des procédures pénales. Cela ne nous dispensera pas, je le rappelle, d’une réforme du Conseil supérieur de la magistrature.
Je conclurai en faisant état d’un changement majeur avec le précédent quinquennat. Dans une récente émission de télévision, madame la garde des sceaux, vous avez déclaré : « Pas une parole du Président de la République, ni d’aucun membre du Gouvernement, n’a mis en cause, ni en défiance, ni en interrogation, ni en critique, la moindre décision de justice. » Il me semblait important de rappeler vos propos.
La décision de justice n’est pas destinée à faire plaisir aux uns ou aux autres ; elle vise à trancher un litige ou un contentieux que les justiciables intéressés n’ont pas pu faire cesser ou ont provoqué.
Ni la décision de justice ni le magistrat qui l’a rendue n’ont à être contestés, sauf par l’exercice des voies de recours ouvertes à cet effet. Notre devoir de parlementaires, lorsque nous légiférons, est de nous assurer d’une chose, c’est que la justice puisse être rendue en toute indépendance et en toute impartialité.
C’est pourquoi le groupe socialiste et républicain votera le projet de loi organique, qui œuvre dans le sens du renforcement de l’indépendance et de l’impartialité des magistrats ainsi que d’une plus grande ouverture de la magistrature sur la société. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous en conviendrons assez largement, la portée du projet de loi organique reste modeste, plus modeste en tout cas que ne le laisse entendre son titre, même dans la version rectifiée par la commission des lois.
Question indépendance, le changement se limite au juge des libertés et de la détention, dont l’indépendance est confortée. Il est vrai que le rôle du JLD est en effet de plus en plus important. Sur ce sujet, la solution retenue par la commission des lois me paraît la mieux adaptée.
Je passe sous silence la modification de la procédure de nomination des procureurs généraux, dont j’avoue que la portée m’échappe.
Certes, l’ouverture de la magistrature sur la société a été un peu agrandie, mais surtout sur le monde des juristes, qu’il s’agisse de l’accès sur diplôme à l’École nationale de la magistrature ou des stages des auditeurs de justice.
Quant aux dispositions censées mieux assurer l’impartialité des magistrats, ce sont plus des concessions – alambiquées, d’ailleurs – aux dérives du temps qu’un progrès significatif dans un domaine difficile tenant au cœur de la fonction. J’y reviendrai.
Disons que le texte se résume à « diverses dispositions destinées à améliorer le fonctionnement du service de la justice et le déroulement de la carrière des magistrats ».
Je rappellerai brièvement ses principales dispositions : réduction des exigences statutaires de mobilité des magistrats, assouplissement de l’obligation de résidence, simplification et plus grande transparence des procédures de nomination et des promotions, adaptation des règles applicables aux retours de détachement et de congé parental.
Pour pallier le manque de personnel, les stagiaires de l’ENM sont autorisés à accomplir des actes de nature juridictionnelle. Par ailleurs, le détachement judiciaire des militaires est favorisé.
La durée d’exercice professionnel requise pour que les membres ou anciens membres des professions libérales juridiques et judiciaires soient recrutés en qualité de magistrat à titre temporaire est réduite à cinq années, le mandat des magistrats à titre temporaire et des juges de proximité allongé, le recours aux magistrats honoraires favorisé.
À voir d’ailleurs la place déjà occupée par ces magistrats honoraires dans les hautes autorités indépendantes et désormais dans les juridictions, on se prend à se demander s’il ne faudrait pas reculer l’âge de la retraite !
Le seul point qui, à mes yeux, fasse à mon sens véritablement débat, c’est la manière d’aborder la difficile question de l’impartialité des magistrats.
Je le répète, les obligations nouvelles qui leur seront imposées sont plus une concession à l’air du temps qu’un utile progrès.
Je m’explique.
N’ayant pas voté la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique,...
M. Jacques Mézard. Et vous avez eu raison !
M. Pierre-Yves Collombat. ... texte de circonstance destiné à détourner les regards fixés sur l’Élysée, je n’ai pas plus d’appétence pour la direction de conscience et la confession des magistrats que pour celles des autres acteurs de la vie publique.
M. Jacques Mézard. Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat. Cela étant posé, une fois votée, la loi s’impose à toutes les autorités publiques et l’on ne voit pas pourquoi les magistrats, dont les décisions ont des conséquences autrement plus redoutables que les votes des parlementaires – lesquels sont, eux, je le rappelle, sans pouvoir de décision ! (Sourires) –, bénéficieraient de ce régime particulier de la demi-transparence de l’« entre soi ».
Si les déclarations d’intérêts et de patrimoine adressées à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, instance par ailleurs présidée par le plus haut magistrat honoraire du pays, sont indispensables au rétablissement de la confiance des Français dans leurs responsables politiques, pourquoi en irait-il différemment de la justice ? Selon le site du ministère, à peine 55 % des Français font confiance à la justice, et je passe sur d’autres sondages, beaucoup moins élogieux encore...
La commission des lois a fait deux pas dans cette direction : elle a modifié certaines dispositions concernant les déclarations de patrimoine et le nombre des magistrats assujettis. Par souci de crédibilité, nous pensons que, dans ces deux domaines, il faut aller plus loin. Observons d’ailleurs que les hauts magistrats concernés par le texte ne jugent pratiquement jamais et qu’ils n’ont donc pas l’occasion de se trouver en situation délicate !
Selon l’étude d’impact, « la fonction juridictionnelle du magistrat de l’ordre judiciaire repose par essence sur les notions d’impartialité objective et subjective. Du fait de son statut, le juge n’a pas à justifier de son impartialité, laquelle résulte des garanties apportées à l’exercice de sa mission, et des modalités procédurales qui permettent aux parties de la contester ».
Un peu de cohérence ! Si le juge n’a pas « à justifier de son impartialité », entretiens et déclarations d’intérêts et de patrimoine sont inutiles. En revanche, si ceux-ci sont jugés nécessaires, ils ne peuvent rester dans l’entre soi institutionnel, sous peine de nourrir le soupçon.
Je l’ai dit, le texte dont nous débattons aujourd'hui a une portée modeste. Venant de ma part, ce n’est pas un reproche. Faciliter les déroulements de carrière et améliorer concrètement le fonctionnement de la justice, même modestement, cela mérite considération, plus en tout cas, je le pense, que les habituels textes « ambitieux », dont l’ambition traduit surtout la vanité et la méconnaissance de la réalité de leurs auteurs.
Le groupe du RDSE aborde donc l’examen de ce texte avec un préjugé favorable. Nous espérons que nos débats et les éclaircissements qui nous seront apportés, ainsi que, éventuellement, le sort qui sera réservé à nos amendements, nous permettront de passer d’un préjugé favorable à un vote.
Mme Françoise Laborde. Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat. Tel est en tout cas l’état d’esprit de notre groupe, comme l’a indiqué notre président, Jacques Mézard. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
Mme Catherine Tasca. Très bonne nouvelle !
M. le président. La parole est à Mme Pascale Gruny.
Mme Pascale Gruny. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, l’actualité ne cesse de nous montrer combien il devient urgent de réformer en profondeur notre modèle judiciaire. N’ayons pas peur des mots : nos institutions sont en souffrance et l’autorité de l’État est largement remise en cause dans un contexte de défiance.
Ce texte n’a d’ambitieux que son intitulé, qui évoque la justice du XXIe siècle. Loin de répondre à des attentes pourtant essentielles, il suscite un grand nombre d’interrogations, en raison tant de son contenu que de son caractère précipité.
Oui, ce texte est précipité, car il intervient un an seulement après la loi Hamon de 2014, laquelle prévoyait un bilan d’évaluation des actions de groupe en matière de consommation et de concurrence trente mois après leur introduction, soit à la fin de 2016. Cette évaluation devait permettre – faut-il le rappeler ? – d’envisager les évolutions possibles du champ d’application au-delà des seuls domaines de la consommation et de la concurrence.
Loin de respecter ce calendrier, que votre gouvernement avait pourtant lui-même fixé, vous modifiez une nouvelle fois les règles du jeu. Comment pourrions-nous rester muets face à cette nouvelle volte-face ? La loi a instauré un calendrier, il doit être respecté. Il y va de l’attractivité de notre système judiciaire ! Il y va également de l’efficience des orientations prises et de la confiance accordée aux engagements des pouvoirs publics.
Oui, madame la ministre, les orientations prises dans ce texte ne sont pas les bonnes dans le contexte actuel de morosité économique. En sacralisant l’action de groupe, en la banalisant et en la vidant finalement de tout son sens, vous mettez en grand danger l’activité des entreprises. Bien évidemment, il ne s’agit pas de remettre en cause le rôle de l’État, qui doit prendre toute sa place lorsqu’il s’agit de défendre les intérêts des consommateurs face à des pratiques commerciales parfois abusives. Là n’est pas la question. Le problème, madame la ministre, réside dans les difficultés que provoquera ce texte dans le quotidien des acteurs économiques concernés.
J’attire donc toute votre attention sur ce sujet extrêmement important : les entrepreneurs avaient-ils vraiment besoin qu’on leur complique davantage l’existence ? Faut-il vous rappeler, madame la ministre, combien l’éventail des normes pèse sur leurs activités ?
Non, le message envoyé au monde de l’entreprise n’est pas le bon. L’image et la réputation d’une entreprise sont essentielles à sa bonne santé économique. Une entreprise prospère par sa production, quelle qu’elle soit, et cette production est liée avant tout à la confiance des consommateurs.
Même si nous n’avons qu’un faible recul sur le dispositif, nous connaissons les effets de la médiatisation des litiges, car les exemples se multiplient. Une étude australienne de 2015 a ainsi montré que moins de la moitié des 29 actions de groupe annoncées dans les médias entre 2011 et 2013 avaient été effectivement introduites en avril 2015.
En France, sous la pression des médias, le bailleur social Paris Habitat a annoncé, et pas plus tard que le 19 mai 2015, la conclusion d’une transaction mettant un terme à l’action de groupe menée par le SLC-CSF. (M. Jean-Pierre Sueur s’exclame.) Paris Habitat aurait-il transigé aussi rapidement si l’annonce de l’action de groupe n’avait pas fait l’objet d’une médiatisation massive portant atteinte à son image de bailleur social ? Permettez-moi de penser que non.
Ces exemples nous montrent combien l’action de groupe peut se révéler dangereuse : tout d’abord parce qu’elle ne favorise pas la solution amiable ; ensuite parce que ses répercussions sont fortes sur l’entreprise, notamment en matière de recherche ; enfin parce qu’elle s’appuie sur son environnement médiatique pour exister. Or, en la matière, la loi de la République ne saurait être soumise à l’opinion.
Madame la ministre, vous dites que l’action de groupe est un moyen de défense des intérêts des partenaires économiques. Je vous réponds que le débat ne se pose pas lorsqu’il s’agit de dénoncer des pratiques abusives. Mais, si ce principe même n’est pas remis en cause, mesurez-vous les conséquences désastreuses d’une action de groupe sur l’activité des entreprises ?
Comment ferez-vous, madame la ministre, pour faire respecter le cadre juridique des actions de groupe lorsque celles-ci se multiplieront ?
Quelle réponse la justice apportera-t-elle aux entrepreneurs qui verront leur image écornée par la médiatisation d’une action de groupe ?
Toutes ces questions, je le pense très sincèrement, méritent des réponses claires de la part du législateur.
En banalisant l’action de groupe, madame la ministre, vous exposez le monde de l’entreprise dans son ensemble à des dérives périlleuses que nous ne pouvons pas accepter. Ces dérives, concrètes et avérées, posent tout d’abord la question de la dégradation de l’activité d’une entreprise. Elles interrogent ensuite sur les collectifs ayant la qualité pour agir.
Dans le projet de socle commun, vous ouvrez l’action de groupe aux associations agréées et aux associations régulièrement déclarées depuis au moins cinq ans. Au regard du nombre très important d’associations et des risques de multiplications des contentieux, la création de ce socle commun est incontestablement porteuse de dérives. Voilà pourquoi la loi doit imposer un cadre clair et bien défini.
Or, sur ce point, le compte n’y est pas. Les interrogations soulevées démontrent à elles seules que l’idée même d’un socle commun ne se justifie pas. Face à cette pratique périlleuse, la conciliation et la médiation doivent devenir les deux modes privilégiés de règlement des différends. Plus efficaces et plus rapides, ces deux solutions ont également le mérite de ne pas tomber dans l’écueil de la surenchère.
Ce constat vaut pour toutes les négociations, l’actualité récente nous l’a démontré une nouvelle fois. Les plus grandes avancées s’obtiennent non par la force et l’opposition, mais grâce à l’écoute et au dialogue. Les entreprises ont bien compris ce message, la satisfaction des partenaires a toujours été au cœur de leurs préoccupations. Malheureusement, le projet de loi semble totalement l’occulter.
Comment pourrait-il en être autrement ? S’il n’y a pas d’emploi sans entreprise, il n’y a pas non plus d’entreprise sans clients. C’est une condition primordiale de succès et de survie dans une économie de marché. Voilà pourquoi la vision que vous défendez, madame la ministre, ne saurait correspondre à ce qu’est la réalité sur le terrain.
Faire croire, comme le laisse entendre ce texte, que les entrepreneurs de manière générale adopteraient un comportement discriminant relève de la caricature. Les stigmatiser pour des faits minoritaires est insupportable. Comme dans tous les secteurs d’activité, les dérapages existent, nul ne le conteste, mais, pour quelques mauvais exemples, combien d’entreprises ont un comportement irréprochable ?
Mme Pascale Gruny. Pourquoi donc faire payer aux autres les erreurs d’une minorité ? Madame la ministre, je ne tolérerai jamais le message négatif que vous véhiculez concernant les entreprises françaises.
M. Charles Revet. Très bien !
Mme Pascale Gruny. En tant qu’élue de terrain, et étant par ailleurs issue du monde de l’entreprise, permettez-moi de vous dire combien les faits que vous décrivez sont loin de la réalité.
Permettez-moi également de m’interroger sur votre degré de connaissance de ce qu’est le quotidien d’une entreprise. (Mme la garde des sceaux s’exclame.) En introduisant une procédure d’action de groupe en cas de discrimination, vous ouvrez la porte à une multiplication des contentieux à l’encontre des entreprises. Était-ce vraiment nécessaire ?
En proposant ce texte, vous nourrissez le climat malsain de méfiance à l’égard des entreprises. J’attire donc votre attention sur cet enjeu, madame la ministre, car vous n’êtes pas sans savoir que le maillage juridique civil et pénal est suffisamment dense pour répondre aux attentes des victimes.
Que dire, par ailleurs, d’une éventuelle rétroactivité de cette mesure, qui permettrait de sanctionner des manquements antérieurs à l’entrée en vigueur de la loi ? Madame la garde des sceaux, vous auriez souhaité affaiblir la position des entreprises françaises et porter à leur paroxysme l’exaspération de nos entrepreneurs, vous n’auriez pas mieux fait ! (M. Alain Richard s’exclame.)
Alors que les entreprises françaises ne cessent de dire qu’elles ont besoin de façon urgente de sécurité juridique dans un contexte d’inflation normative, vous les contraignez encore et encore. Je le regrette d’autant plus que le socle commun viendra s’ajouter aux régimes spécifiques déjà réservés à certains domaines. Quelle lisibilité juridique aura ce texte si les normes générales et particulières se superposent ?
Pour toutes ces raisons, j’appelle à la plus grande vigilance. Les entreprises, créatrices de richesses et d’emplois, ont besoin de sécurité pour prospérer, et la sécurité juridique en fait bien évidemment partie. Aux pouvoirs publics de tout mettre en œuvre pour faciliter leur épanouissement dans un marché mondial extrêmement concurrentiel. C’est à cette seule condition que la santé économique de notre pays connaîtra une véritable embellie.
Voilà pourquoi, madame la ministre, les réparations résultant d’une action de groupe doivent viser les seuls préjudices nés postérieurement à la demande faite à l’employeur et exclure les préjudices moraux.
Enfin, laissez jouer le dialogue social dans l’entreprise. Les organisations syndicales connaissent mieux l’entreprise que n’importe quelle association.
M. Charles Revet. Tout à fait !
Mme Pascale Gruny. Madame la ministre, ce sont ces réponses qu’attendent les Français. Toute autre démarche appliquée à l’action de groupe ne serait qu’un leurre et l’idée même d’un socle commun serait un énième coup porté aux entreprises. Les inquiétudes des entrepreneurs sont grandes et elles sont justifiées tant cette perspective semble inconciliable avec l’impératif d’un encadrement strict de l’action de groupe, pourtant réclamé par les professionnels.
Madame la ministre, vous jetez les entreprises en pâture aux actions de groupe pour caresser comme il convient votre aile gauche. De grâce, pensez aux entreprises qui ne pourront faire face à ces actions menées sans réflexion. Il y va de l’avenir de milliers d’emplois. Épargnez cela aux entreprises françaises ! Ne les sacrifiez pas sur l’autel de la démagogie et de l’idéologie ! Faites preuve de cohérence et, comme le Premier ministre, dites « Oui » à l’entreprise ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Pierre Sueur. Voilà une intervention très équilibrée ! Un chef d’œuvre dans la recherche de l’équilibre !
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot.
M. Jacques Bigot. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, deux textes sont soumis aujourd'hui à notre assemblée en première lecture : un projet de loi organique relatif aux magistrats et le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle, textes qui s’inscrivent dans une réforme globale, que vous avez souhaité mener dans la concertation et qui comportera par la suite un important volet réglementaire inspiré des mêmes fins.
Vous répondez ainsi à la fois au besoin de justice de nos concitoyens, qui est fort, et aux besoins de la justice, qui sont grands.
Vous avez rappelé les moyens nouveaux que vous avez octroyés, les besoins existants et comment, avec les moyens dont elle dispose, la justice parviendra à répondre à ce besoin de justice.
Vous essayez de répondre au besoin de justice de nos concitoyens d’abord en renforçant la politique d’accès au droit. En réponse à l’un des orateurs précédents, je dirai que l’accès au droit, ce n’est pas seulement l’accès à la justice, c’est d’abord la connaissance du droit. De ce point de vue, on peut regretter que l’enseignement du droit, au titre de la culture générale, ne soit pas davantage inscrit dans les programmes de l’éducation nationale. Ce serait tout de même très utile à l’ensemble de nos concitoyens.
Pour répondre au besoin de justice, vous proposez également de faciliter l’accès à la justice en tant que service – service ou service public, nous aurons ce débat.
La justice est un service important dans notre société, qui se distingue des autres et qui est nécessaire.
Ce service nouveau, vous l’inscrivez dans la justice du XXIe siècle, un siècle qui, mes chers collègues, sera celui du numérique. Sous l’effet du numérique, la justice va se transformer et le portail internet Portalis apportera son lot de nouveautés. Permettre à un justiciable de s’adresser au tribunal le plus proche de son domicile pour obtenir des renseignements sur une procédure qui se déroule ailleurs, par exemple sur une action de groupe susceptible de le concerner ailleurs en France, est à la fois innovant, intéressant et important.
La justice du XXIe siècle vivra donc avec son temps, ce qui n’a pas toujours été évident pour elle, tant elle semble parfois plus lente que d’autres dans ses délibérations.
La justice, pour le justiciable, c’est aussi la solution pour résoudre un conflit, mais uniquement la solution ultime.
Ne peut-on pas envisager dans notre société d’autres solutions que le recours au juge, compte tenu de la lourdeur et du coût de la procédure ? C’est ce que vous préconisez en rendant la conciliation obligatoire pour les petits litiges de moins de 4 000 euros, madame la ministre. Il est vrai que, pour les conflits de voisinage ou de proximité, une solution rapide et consensuelle est plus efficace qu’un long procès.
Vous proposez également d’avoir le plus possible recours à la médiation, en permettant au juge de l’imposer aux parties. Certaines professions pourraient ainsi évoluer dans le sens de cette médiation, je pense notamment aux avocats, ce qui est intéressant.
Vous proposez enfin une procédure participative, forme de médiation conduisant les parties à convenir de ne saisir le juge que du point essentiel sur lequel elles requièrent son arbitrage et non de l’ensemble du contentieux.
Il appartiendra aux acteurs de la justice, aux auxiliaires de justice que sont les avocats, de construire cette procédure participative pour répondre le mieux possible aux intérêts de leurs clients. C’est ainsi que l’on pourra mieux répondre aux besoins de justice.
Mais il faut aussi répondre aux besoins de la justice pour apporter toutes ces réponses.
Vous proposez une organisation plus cohérente : des juridictions de proximité, la constitution de pôles au sein des tribunaux de grande instance, notamment avec le regroupement du TASS et du TCI.
Vous proposerez dans les décrets – il est important de le souligner – que les tribunaux travaillent à un projet de juridiction avec un conseil de juridiction qui associe les partenaires, ce qui permettra que la justice sorte de ses murs pour mieux comprendre la société.
Enfin, vous proposez, ce qui est aussi une façon de soulager la justice, l’action de groupe.
Je m’empresse de préciser à l’intention de Mme Gruny que l’action de groupe n’est pas dirigée contre l’entreprise.
Mme Pascale Gruny. Allez l’expliquer aux chefs d’entreprise !
M. Jacques Bigot. Elle vise simplement à éviter à la justice d’être confrontée à une série de procédures différentes en des lieux différents pour un problème commun, et ce en permettant un regroupement.
J’étais très content d’entendre précédemment l’une de vos collègues dire qu’elle était très favorable à l’action de groupe. Je me souviens – c’était il y a vingt-cinq ans - quand j’étais président d’une association de consommateurs et militant très engagé dans ce domaine, des arguments qui étaient opposés pour refuser l’action de groupe, notamment le risque d’un développement des contentieux. Or l’action de groupe, depuis qu’elle existe dans le domaine de la consommation, n’a pas entraîné une telle augmentation.
En revanche, il est important de gérer ce contentieux de manière claire. À cet égard, le choix d’avoir une action socle – je partage le point de vue qui a été exprimé – me paraît judicieux : il devrait être renforcé et commun à l’ensemble des procédures. Toutefois, l’action de groupe en matière de santé n’étant pas encore complètement aboutie, il nous sera difficile, au cours du débat, de trouver les moyens d’en faire une action socle.
Il importe en outre de limiter, pour l’instant, les actions de groupe à des situations très précises, et non de les généraliser, comme cela se pratique dans d’autres pays, notamment les États-Unis avec la class action qui est ouverte à des cabinets d’avocats et qui, je peux l’affirmer, constitue pour les entreprises une difficulté bien plus importante que celle que vous avez soulevée, madame Gruny. Pourtant, les États-Unis sont souvent pour vous un modèle économique…
Il convient également de définir les domaines dans lesquels l’action de groupe peut être importante. Or il nous apparaît, madame la garde des sceaux, qu’il y a là un manque. Si l’action de groupe est bien assurée en matière de consommation et de discrimination au travail, elle fait défaut en matière environnementale.
Je pense à un comportement entraînant une pollution, qui, sans être nécessairement sanctionné pénalement, peut créer un préjudice à un nombre important de personnes qu’il vaut mieux pouvoir regrouper. Une action de groupe dans ce domaine, au même titre que celle qui existe dans le domaine de la consommation, paraîtrait justifiée et compléterait utilement le texte. C’est d'ailleurs ce que nous vous proposerons dans un amendement.
Nous croyons en effet que l’action de groupe est une solution, y compris pour parvenir à une conciliation. Pour celui qui sera responsable et pour l’assureur de ce dernier – car c’est souvent lui qui est concerné –, il sera plus simple d’avoir un prétoire où, le cas échéant, on dira s’il y a préjudice, imputabilité et indemnisation possible. Si, avant que l’action ne soit introduite, on parvient à un accord, à une solution amiable, la justice sera renforcée parce qu’elle aura moins de travail, et le justiciable sera satisfait parce qu’il aura obtenu justice.
La justice nous appartient à tous. Elle est essentielle dans notre société.
Je vous remercie, monsieur le rapporteur, d’avoir pensé que l’intitulé du projet de loi devait viser l’action de groupe. C’est dire l’importance que vous y attachez, et je m’en réjouis. Pour moi, cela va bien au-delà : c’est un texte nouveau sur une façon nouvelle d’envisager la justice. À cet égard, ce que nous ont dit les personnes que vous avez interrogées sur l’office de justice me paraît fondamental. L’office de justice, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, c’est redonner du sens à ce pouvoir judiciaire auquel, nous, législateurs, croyons et devons croire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Christophe-André Frassa.
M. Christophe-André Frassa. Monsieur le président, madame le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, chers collègues, tout ayant déjà été longuement dit sur l’action de groupe et à l’organisation judiciaire dans le cadre de l’examen de ce projet de loi et de ce projet de loi organique, je m’exprimerai aujourd’hui en qualité de rapporteur des projets de loi ratifiant les ordonnances du 12 mars 2014 et du 26 septembre 2014 portant réforme de la prévention des difficultés des entreprises et des procédures collectives.
Le droit des entreprises en difficulté est une matière austère et technique, mais fondamentale pour notre économie.
Un droit des entreprises en difficulté efficace, ce sont des entreprises et des emplois sauvés.
Je souhaite ici, devant vous tous, rendre hommage à notre ancien collègue Jean Jacques Hyest.
Il a été l’auteur de plusieurs rapports sur le sujet et rapporteur de plusieurs textes au Sénat depuis le début des années deux mille, en particulier la loi du 26 juillet 2005, qui a créé la procédure de sauvegarde à côté du redressement judiciaire et de la liquidation judiciaire.
Notre ancien collègue a aussi été, plus récemment, à l’origine de la création de la sauvegarde financière accélérée, la SFA, en 2010.
Jean-Jacques Hyest avait commencé les travaux en qualité de rapporteur sur ces projets de loi de ratification des deux ordonnances de 2014 et, après sa nomination au Conseil constitutionnel, il m’est revenu l’honneur de lui succéder, avec modestie et humilité. Ce sont donc la plupart de ses conclusions et de ses propositions que j’ai préconisées à la commission des lois.
Je ne m’étendrai pas sur les évolutions récentes de cette branche du droit des entreprises et sur ses grands principes, que les ordonnances ne remettent pas en cause.
Je soulignerai toutefois qu’alors que, dans ce domaine, il y avait autrefois une grande loi par décennie, nous constatons une accélération des réformes depuis 2005, sans doute en raison du contexte de crise économique.
Qu’apportent ces deux ordonnances ?
Elles se situent dans le prolongement des réformes précédentes, depuis la grande réforme conduite par Robert Badinter en 1984 et 1985, qui avait posé de nouveaux et bons principes.
Ainsi, ces ordonnances visent à rendre les procédures de prévention plus attractives pour les entreprises, notamment la conciliation, pour inciter bien sûr les entreprises à solliciter le tribunal le plus tôt possible en cas de difficulté économique, de préférence aux procédures curatives que sont les procédures collectives : sauvegarde, redressement et liquidation judiciaires.
Ces ordonnances développent les ponts entre prévention et procédures collectives, dans la continuité de la sauvegarde financière accélérée.
Elles améliorent le fonctionnement des procédures judiciaires, comme toute réforme, pour la sauvegarde, le redressement et la liquidation.
Elles rééquilibrent les procédures en faveur des créanciers, en les incitant à trouver un accord avec le débiteur en conciliation et en leur ouvrant la possibilité de présenter un plan alternatif en sauvegarde ou en redressement judiciaire.
Elles renforcent le rôle du parquet, garant de l’ordre public économique, pour contrôler le bon déroulement des procédures et les droits de toutes les personnes intéressées.
Enfin, elles tendent à mieux garantir l’impartialité du tribunal et tirent les conséquences de certaines questions prioritaires de constitutionnalité dans ce domaine.
Deux nouvelles procédures sont créées : la sauvegarde accélérée, qui systématise les principes de la SFA, et le rétablissement professionnel, procédure simplifiée destinée aux petits entrepreneurs sans salarié ni actif, sans tous les effets de la liquidation judiciaire, pour permettre plus facilement le « rebond » en cas de difficulté économique.
Les ordonnances apportent également de nombreuses modifications ponctuelles, pour préciser, clarifier ou corriger certaines dispositions.
D’un point de vue statistique, sur 69 000 procédures ouvertes en 2013 au titre du livre VI du code de commerce, on compte 2 500 mandats ad hoc et conciliations, 1 500 sauvegardes, 16 000 redressements judiciaires et presque 40 000 liquidations judiciaires.
La réalité de ces procédures, c’est donc d’abord la liquidation.
Pour autant, le volume d’emplois n’est pas réparti de la même manière et de nombreux emplois sont sauvés grâce à ces procédures, en particulier en prévention et en sauvegarde.
La plupart des liquidations sont sans salarié, ce qui justifie la nouvelle procédure de rétablissement professionnel, encore très peu utilisée, sans doute en raison d’incompréhensions sur ses conditions d’ouverture. C’est d’ailleurs l’objet d’un des amendements que j’ai présentés et que la commission des lois a adoptés et intégrés dans le texte qu’elle soumet aujourd'hui à l’examen du Sénat.
Ces dernières années, le droit des entreprises en difficulté tend de plus en plus à devenir une « boîte à outils », pour gérer au cas par cas des dossiers de grandes entreprises. Je ne suis pas sûr que cette évolution soit toujours souhaitable, même s’il faut évidemment concilier approche économique et approche juridique en la matière. Il en résulte, en effet, une complexité croissante, en particulier pour les petites entreprises, qui hésitent déjà beaucoup à s’adresser au tribunal et que la complexité rebute beaucoup, même si elle ne les concerne pas directement.
Je n’entre pas davantage dans le détail des ordonnances ; je vous renvoie au rapport que j’ai présenté sur les projets de loi de ratification il y a quinze jours, où elles sont exposées de façon précise et complète.
En dehors de dispositions ponctuelles, qui ont été intégrées au présent texte par l’amendement que j’ai proposé la semaine dernière, ces ordonnances ont été largement approuvées par les acteurs concernés et ont été mises en œuvre de façon apparemment satisfaisante dans les tribunaux de commerce, depuis juillet 2014.
Pour mémoire, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances d’août 2015 a apporté sa contribution à la réforme du droit des entreprises en difficulté, avec le mécanisme de « cession forcée » que le Gouvernement n’avait pas osé instaurer dans les ordonnances, et avec le regroupement devant le même tribunal des procédures concernant les sociétés d’un même groupe : cette initiative de François Pillet, que je salue, est à porter au crédit du Sénat ; elle est attendue depuis longtemps par les praticiens.
C’est une démarche vertueuse, voulue par la commission des lois, que d’examiner le contenu d’ordonnances importantes, en vue de les ratifier de façon éclairée, avec recul et analyse critique.
Il s’agit de réaliser sur les dispositions de ces ordonnances un travail d’analyse approfondi, comme sur un projet de loi, en tenant compte évidemment du fait que les ordonnances sont en vigueur.
Puisque nous avons accepté de déléguer notre pouvoir législatif dans cette matière, par la loi du 2 janvier 2014 habilitant le Gouvernement à simplifier et sécuriser la vie des entreprises, sur le rapport de notre collègue Thani Mohamed Soilihi, il nous appartient de contrôler l’usage fait de cette délégation.
Je rappelle que ces deux ordonnances comportent au total 131 articles ; ce n’est donc pas au moment où nous devrons procéder aux ratifications que nous pourrons faire ce travail de fond.
La même question se posera sans doute, madame la ministre, pour l’ordonnance réformant le droit des contrats et des obligations, à laquelle le Sénat était résolument opposé...
Au terme des travaux conduits de concert avec Jean-Jacques Hyest, j’ai soumis il y a quinze jours à l’approbation de la commission des lois 25 amendements, qu’il a directement inspirés afin de compléter les deux projets de loi de ratification et que la commission a adoptés.
Ces amendements concernaient soit des dispositions issues des ordonnances, pour la plupart, soit des dispositions directement connexes, dans certains cas.
Ces 25 amendements ont été réunis en un seul amendement, adopté par la commission des lois la semaine dernière, qui a été intégré à l’article 50 de ce projet de loi. Cet article modifie des dispositions issues de ces ordonnances ou des dispositions connexes, tout en prévoyant la ratification expresse de ces deux ordonnances, conformément à l’article 38 de la Constitution.
Je terminerai en citant les principales modifications intégrées au texte de la commission par cet amendement.
Il s’agit d’abord de la clarification de la procédure d’alerte par le commissaire aux comptes.
Il s’agit également de la suppression de la déclaration d’insaisissabilité des biens immobiliers de l’entrepreneur individuel autres que sa résidence principale, par cohérence avec l’insaisissabilité de droit de cette dernière, dans le cadre des procédures collectives.
Ont aussi été intégrées la clarification des règles d’information du comité d’entreprise en cas de mandat ad hoc ou de conciliation, une meilleure information du parquet pour lui permettre de contrôler la conciliation et une meilleure information du tribunal par le conciliateur en cas de prepack cession, c'est-à-dire la cession de l’entreprise préparée en conciliation.
Ces modifications concernent également la suppression du mécanisme de déclaration des créances par le débiteur pour le compte des créanciers, au profit d’une information par le mandataire des créanciers dont la liste lui a été communiquée par le débiteur.
Elles ont trait ensuite à la réduction de dix à cinq ans de la durée maximale du plan de sauvegarde.
Il faut par ailleurs souligner la clarification des conditions d’ouverture du rétablissement professionnel, notamment par la suppression de la demande simultanée de liquidation judiciaire et par le maintien du basculement possible en liquidation, à la demande du parquet, en cas de mauvaise foi.
Je citerai encore le renforcement des garanties d’impartialité du tribunal, par l’instauration d’incompatibilités complémentaires et la suppression de la mention du jugement de liquidation judiciaire au casier judiciaire
Enfin, il faut mentionner diverses simplifications, clarifications, harmonisations ou améliorations procédurales des procédures collectives, les précisions apportées au livre VI du code de commerce par l’article 50 du projet de loi étant conservées. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je voudrais tout d’abord dire ma satisfaction : le Sénat est aujourd'hui dans son rôle, et même dans son bon rôle.
Dans la tradition républicaine, notre vocation, au sein du Parlement, c’est de nous manifester par moins de démonstrations partisanes et plus d’approfondissement législatif et gestionnaire. Telle a été, me semble-t-il, l’inspiration de la majorité des interventions qui ont précédé la mienne. Je remercie également les rapporteurs, qui, sur les sujets restant en débat, nous apportent des propositions de solutions me semble-t-il acceptables par une large majorité de nos collègues, disons transcourants.
Ces deux projets de loi offrent, en tout cas dans leur exposé des motifs, une vue de long terme, et il faut rendre hommage au Gouvernement, en particulier à Mme la garde des sceaux, d’avoir fait émaner cette vue de long terme d’approches croisées, amplement confrontées, qui nous apportent une réflexion de grande richesse laquelle trouvera sa traduction non seulement dans ces projets de loi, mais aussi par étapes.
Lorsque l’on a un peu d’expérience de la gestion publique, on sait que la conduite de réformes doit passer par une analyse attentive de la faisabilité réelle de ce qu’on cherche à faire. Nous avons eu quelques expériences – certaines ne sont pas très anciennes – de projets de loi additionnant, accumulant même trop d’ambitions ou de projets complémentaires, voire dispersés, et qui, pour cette raison, n’ont pas tout à fait réussi.
Selon moi, la méthode suivie est la bonne. Nous le savons, le XXIe siècle n’est pas terminé, et ne fait même que commencer, pour reprendre les propos tenus à l’instant justement par l’une de nos collègues. Cette réforme sera suivie par d’autres, mais cet ensemble marque déjà une étape importante.
Je voudrais appeler à ce que nous gardions à l’esprit la perspective majeure, qui est de permettre à toutes nos juridictions de statuer effectivement dans l’équité sur les litiges de droit de toute nature, en conciliant la lettre de la loi, les principes supérieurs de notre droit, notamment ceux qui sont maintenant d’essence internationale, et le mouvement de la société, et ce face à une réalité, sur laquelle je vais insister à l’instant et qui a été peu évoquée, à savoir l’accumulation, pour ne pas dire l’empilement, de demandes de toutes sortes, de procès et de procédures. Cela nous pose un problème quantitatif, un problème de massification, qu’il faut regarder en face.
Je souhaite à cet égard évoquer un instant, en me fondant sur l’exigence d’effectivité, la relation entre la justice et le temps.
D’abord, je souligne que le temps de nos juridictions et de ceux qui les servent est rare et, donc, précieux, quels que soient les effectifs que nous arriverions à y affecter. Si l’on ne fait pas l’effort d’employer ce temps juridictionnel de façon judicieuse, à l’instar de ce qui se passe dans toute organisation, le déroulement de l’action de la justice est perturbé par le fait que les urgences s’accumulent et se contredisent : il y a des contre-priorités, des affaires traitées plus hâtivement que d’autres qui sont simplement au-dessous de la pile, et des différences non justifiées entre les solutions adoptées par des juridictions différentes.
L’évolution positive portée par ce projet de loi constitue, pour les juridictions, un véritable mouvement culturel : il s’agit de développer en leur sein un véritable dialogue de gestion, même si on a appelé cela « projet ». Pour ma part, je préfère être plus concret, plus matérialiste. C’est à mes yeux un levier important pour une justice de qualité. Penser que la justice n’a pas à être gérée, c’est simplement refuser la réalité !
Je formulerai une autre réflexion relative au temps judiciaire. Dans bien des procédures, il existe une grande variété de moyens pour retarder le temps de la décision. Et il arrive bien souvent qu’une des parties y ait intérêt et mobilise à cette fin toute son habileté.
Nous avons aujourd'hui, dans les dispositions de procédure de nos différents codes, les moyens de faire obstacle aux tactiques dilatoires. Force est de reconnaître qu’elles ne sont pas utilisées avec intensité. Il convient, me semble-t-il, d’approfondir – c’est un travail auquel nous pourrions nous livrer au cours de notre activité d’évaluation – cet aspect du retard à juger : la construction d’une stratégie de gestion du temps est favorable à une partie, défavorable aux autres et à l’ordre public. Il est donc nécessaire d’évaluer mieux l’effet de ces tactiques et de développer un débat propositionnel et pratique sur cette question.
C’est une grande injustice, pour une victime – je prends ce cas, mais on pourrait en citer mille autres –, que son préjudice ne soit reconnu qu’après de nombreuses années, simplement du fait de l’habileté de l’auteur du dommage. Notre système judiciaire devrait être capable de mieux réagir face à de telles opérations.
Car si nous ne progressons pas dans l’efficacité de la justice, celle-ci, nous le voyons déjà, sera de plus en plus contournée grâce au recours à d’autres mécanismes.
Nous connaissons tous le développement de l’arbitrage contractuel dans nombre de litiges économiques à l’international, sur des sujets relevant pourtant du droit international des affaires, qui mériteraient particulièrement d’être jugés au terme d’un véritable dialogue de juges. Mais, du fait des lenteurs et des contradictions de la procédure, toutes les parties trouvent intérêt à contourner la justice.
Toutefois, dans d’autres domaines aussi, la transaction opérée par des professionnels du droit se développe notablement. L’égalité entre les parties est-elle pour autant toujours respectée ? Il faut au moins se poser la question. Pour ma part, j’exprime un doute.
Permettez-moi de prendre un cas typique, auquel nous nous sommes complètement habitués : le succès fulgurant de la rupture conventionnelle en matière de droit du travail, qui n’est rien d’autre, en réalité, qu’une façon de contourner la justice.
Face aux tensions qui pèsent sur nos juridictions, nous allons soutenir le développement de modes alternatifs de règlement des litiges, et une telle évolution est la bienvenue. Il existe cependant, ne nous le dissimulons pas, quelques risques à suivre cette voie. Je pense notamment à la capacité de traitement des affaires de certains conciliateurs ou juges de proximité, surtout au regard de la complexité des dossiers, car une petite affaire peut être complexe. Au demeurant, c’est un système que nous ferons évoluer.
De ce point de vue, le texte me semble bien rédigé et la règle proposée, bien ajustée quant au risque d’une prolongation des délais de jugement. Si l’opération de conciliation, vouée à l’échec dans certains cas, traînait trop, on prendrait évidemment le risque d’un déni de justice.
Je ne veux pas être long sur la question de la déjudiciarisation. Néanmoins, l’exemple pris par certains collègues mérite un débat plus approfondi, et je remercie la commission d’avoir organisé la discussion de manière que nous puissions évoquer ensemble ce point en séance plénière.
Très franchement, si l’on ne veut pas se cantonner dans des formalismes ou des apparences, on peut dire que la conduite sans permis, pour prendre ce cas concret, n’est pas efficacement réprimée aujourd'hui. Un passage par le tribunal de police permettrait d’obtenir un meilleur résultat. Je vous le rappelle, mes chers collègues, ce tribunal est une véritable juridiction, qui permet de garantir l’ensemble des droits de la défense, avec un droit de recours qui peut s’exercer jusqu’en cassation.
J’évoquerai enfin l’éthique des magistrats de l’ordre judiciaire, qui est abordée dans le projet de loi organique. Nous n’avons pas de bonnes raisons de nous opposer aux nouvelles dispositions proposées en la matière, bien qu’elles constituent à mon avis une concession à l’air du temps et à une espèce de croyance archaïque dans les apparences, qu’il s’agisse de l’éthique ou de l’indépendance, croyance qui revient régulièrement à la mode. Mais, allons, si ces déclarations ne font pas de bien, elles ne peuvent pas faire de mal !
Il reste tout de même, madame la garde des sceaux, à parfaire cet édifice par une réforme constitutionnelle, qui ne pourra être adoptée, je me permets de le rappeler, qu’à condition que la principale formation de l’opposition exprime avec netteté sa volonté de l’appuyer au moment où elle sera susceptible d’être soumise au Congrès. Sinon, tout cela ne serait que théâtre d’ombres !
Je voudrais terminer mon propos en affirmant, à cette tribune, parce que je ne crois pas l’avoir beaucoup entendu, que nos magistrats, individuellement et collectivement, justifient la confiance et le respect de nos concitoyens par leur éthique et par leur implication professionnelle.
Je souhaite en particulier que nous soyons conscients de la place qu’ils prennent dans de multiples instances internationales, où ils sont choisis par d’autres, ce qui est la meilleure preuve de leur autorité morale et juridique. Nos magistrats incarnent une tradition séculaire de la justice française, dont nous pourrons encore, demain, être fiers. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Je souhaite remercier tous les orateurs, et notamment MM. Alain Richard, Jacques Bigot, Jacques Mézard et Michel Mercier, de leurs interventions de très grande qualité. Je leur répondrai de façon transversale, afin de ne pas leur voler leur soirée, leur nuit, et le reste. (Sourires.)
Je veux saluer tout particulièrement les oratrices et orateurs qui ont indiqué ce qu’il y avait de substantiellement nouveau dans ce texte. Ce n’est pas par fantaisie que nous l’avons nommé « projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle » !
Nous introduisons en effet de véritables nouveautés dans le rapport entre le citoyen et l’autorité judiciaire. Nous réorganisons le rapport à une institution, en tenant compte à la fois de la nécessité de la proximité physique et géographique, mais aussi de l’évolution de notre société, évoquée par M. Jacques Bigot. Car nous vivons à l’heure du numérique, et nos compatriotes sont aujourd'hui des nomades, qui bougent beaucoup. Il est donc important que l’information soit partout à leur disposition.
Oui, cette réforme introduit des changements de fond, qu’ils soient culturels, relationnels ou fonctionnels. Nous avons envisagé d’aller plus loin. Toutefois, je le répète, j’ai souhaité une réforme irriguée, nourrie et portée collectivement. C’est ce que j’ai appelé l’intelligence collective, qui s’est construite au cours des différentes étapes que nous avons mises en œuvre. Car s’il existe une institution qui peut nous rassembler, en tout cas nous permettre de dépasser des clivages, des rivalités et des divergences secondaires, c’est bien l’institution judiciaire, parce qu’elle est essentielle à l’État de droit.
Je répondrai donc transversalement, pour ne pas abuser de votre temps, mesdames, messieurs les sénateurs, tout en sachant que je pourrai revenir sur un certain nombre de points lors de l’examen des amendements.
J’évoquerai prioritairement quelques sujets sur lesquels nous ne reviendrons pas au cours de la discussion des articles. Je le sais bien, M. Yves Détraigne et Mme Virginie Klès, dans leur rapport d’information, proposaient la création d’un tribunal de première instance. Nous l’avions également envisagé, conformément à l’un des engagements du Président de la République. Toutefois, au terme de la consultation à laquelle nous avons procédé auprès des juridictions – 2 000 contributions sont remontées –, l’opposition au tribunal de première instance a été générale et unanime.
J’ai voulu connaître les causes de ce blocage, car le tribunal de première instance est non pas une fantaisie, mais la reprise d’une réflexion conduite pendant plusieurs années par des personnes éminentes, plus que respectables, savantes et compétentes. En fait, le blocage s’expliquait par la crainte de voir fermer certains sites judiciaires, ce qui aurait appauvri l’institution.
Or nous faisons très exactement le contraire. En effet, depuis que nous sommes aux responsabilités, nous avons rouvert des juridictions, créé des chambres détachées, armé les maisons de la justice et du droit de greffiers, et complété le maillage territorial avec des CDAD.
Toute notre action a donc consisté à réimplanter des juridictions et des sites judiciaires, et non pas à en fermer. Néanmoins, compte tenu du traumatisme vécu lors de la réforme de la carte judiciaire de 2008 et des déménagements de personnels qui se sont ensuivis, j’ai eu beau multiplier les explications, ce blocage est là.
À mes yeux, passer en force n’aurait eu aucun sens : si les personnes qui mettront en œuvre la réforme n’y adhèrent pas, ne se l’approprient pas, le projet est voué à l’échec. Nous avons œuvré sur la base de votre rapport, monsieur Détraigne, et des propositions que vous faites, notamment concernant les finalités de ce tribunal de première instance. Pour autant, il ne convenait pas de s’obstiner à créer un tribunal de première instance, même si cela pouvait selon moi favoriser la simplification du fonctionnement des juridictions et améliorer la lisibilité de l’institution.
Nous avons donc décidé de servir autrement ces finalités de proximité, d’efficacité, de lisibilité, d’intelligibilité et de relation responsable entre le citoyen et l’autorité judiciaire.
Du coup, nous en revenons au tribunal d’instance. Je vous rappelle que les juridictions de proximité seront supprimées – sauf si vous en décidez autrement – en janvier 2017. Elles devaient l’être en janvier 2013 ; cette suppression a été une première fois reportée, sur l’initiative du Sénat, à janvier 2015, puis, une seconde fois, à janvier 2017. Mesdames, messieurs les sénateurs, il est conforme au bon fonctionnement de nos institutions, et, en l’occurrence, de bonne justice que les lois votées soient appliquées, et que leur mise en œuvre ne soit pas constamment différée.
Dans cette perspective, les juridictions de proximité vont donc disparaître en janvier 2017 et il est important que l’identité de juridiction de proximité des tribunaux d’instance soit confortée et renforcée. C’est pourquoi ces tribunaux ont vocation, par exemple, à continuer de traiter des litiges du quotidien ou du contentieux des tutelles.
S’agissant des TGI, nous les organisons en pôles de façon à rationaliser leur activité.
Le volet relatif à l’action de groupe pose quelques problèmes à certains d’entre vous. Je suis désolée, madame Gruny, mais c’est votre portrait de l’entreprise, celui que vous avez dressé à cette tribune, qui serait susceptible d’inquiéter le monde économique, et non le nôtre !
D’abord parce que nous avons travaillé, pour élaborer ce texte, avec les représentants du monde économique, comme nous le faisons pour de très nombreux textes. Et ces représentants ne tiennent pas les propos inquiétants que vous leur prêtez ! (Mme Pascale Gruny s’exclame.)
Vous dites que nous jetons en pâture l’ensemble des entreprises, que nous les discréditons. Mais nous ne jetons personne en pâture ! Ce que vous dites en creux, madame la sénatrice, c’est que l’ensemble des entreprises pratiquent la discrimination. Nous ne sommes pas de cet avis ! Nous pensons au contraire que la très grande majorité des entreprises ne pratiquent pas la discrimination. Et s’il existe des entreprises qui pratiquent la discrimination, l’État de droit exige que nous les combattions.
Nous proposons un dispositif à la fois efficace et sécurisé, qui comprend, après une procédure amiable, les conditions de la réparation du préjudice et de la cessation du dommage.
Encore une fois, madame Gruny, notre démarche est claire et ne s’adresse pas à la très grande majorité des entreprises, qui ne pratiquent pas de discrimination.
La mise en place d’un socle procédural introduit rationalité, cohérence, simplicité, unité de procédure dans notre droit, là où prévaut aujourd’hui une segmentation des possibilités d’intervention s’agissant de préjudices sériels avec ou sans discrimination. Cela ne veut d’ailleurs pas dire, au contraire, que nous ne devrions pas décliner cette action en fonction des matières particulières concernées, puisque ces matières sont régies par des corpus législatifs particuliers, c’est-à-dire par des codes.
Je réaffirme donc qu’avec cette proposition, nous rendons service aux entreprises ! Certaines d’entre elles, d’ailleurs, le disent elles-mêmes : les entreprises en ont assez que l’on généralise, que dès que l’une d’elles cause un préjudice, on stigmatise la totalité du monde économique. Il y a de nombreuses entreprises vertueuses ; elles sont même majoritaires.
J’en donne une illustration : depuis que l’action de groupe a été introduite dans la loi en matière de consommation, il y a bientôt deux ans, six cas seulement ont été recensés, dont l’un s’est soldé par une médiation et un règlement à l’amiable – ce que le présent texte rend également possible.
M. Alain Richard. Oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Nous devons nous féliciter que cinq entreprises seulement, sur l’ensemble de notre tissu économique, aient pu être identifiées comme ayant des pratiques contestables et engagées en conséquence dans un processus non pas forcément de sanction, mais d’élimination concertée du mécanisme à l’origine de ces discriminations. Cela montre, en creux, à quel point l’immense majorité des entreprises se comportent correctement.
J’en viens au service d’accueil unique de la justice, qui constitue une réelle innovation, dont la portée s’étend bien au-delà de ce que permettait le dispositif du guichet unique du greffe – lequel a bien entendu éclairé notre réflexion au moment de concevoir ce service d’accueil unique.
Où qu’elle se situe sur le territoire national, toute personne pourra désormais, en se présentant à un service d’accueil unique du justiciable, être informée et orientée, déposer son dossier d’aide juridictionnelle ou suivre l’évolution de sa procédure.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, cette justice est celle du XXIe siècle, parce que le XXIe siècle est le siècle de la dématérialisation, donc de la mobilité, de la liberté, de l’information accessible rapidement et facilement ! Je remercie donc les sénatrices et sénateurs qui ont compris l’extrême importance de cette innovation.
Nous reviendrons sur la justice consulaire ; je rappelle simplement que les deux lois d’habilitation et les ordonnances ont précisément permis d’améliorer nos procédures collectives, de faciliter la sauvegarde, de promouvoir la recherche de solutions anticipées, de créer des conditions satisfaisantes de rétablissement pour les chefs d’entreprises en difficulté, afin que ces entreprises ne soient pas condamnées à la disparition.
Nous reviendrons également sur le statut du juge des libertés et de la détention, le JLD, puisque la commission a introduit des modifications à ce sujet. Nous pensons que le JLD doit être un juge spécialisé. Nous sommes en mesure de répondre aux difficultés qui ont été évoquées, notamment celles qui se posent dans les petites juridictions. Il existe déjà des juges spécialisés dans les petites juridictions ; l’usage veut qu’ils participent, outre leurs tâches relevant de leur de spécialisation, au reste de l’activité de la juridiction. Et l’intérêt de faire du JLD une fonction spécialisée, c’est que nous disposerons ainsi de juges formés, volontaires, dont le statut sera par ailleurs plus protecteur.
Je devrais probablement vous dire mille autres choses, par exemple sur la conciliation et la médiation.
Mes derniers mots, à ce stade de la discussion, seront pour vous remercier très chaleureusement, messieurs les rapporteurs, pour le travail de très grande qualité que vous avez produit, et mesdames, messieurs les sénateurs, pour l’ambiance de travail qui règne dans votre assemblée, ainsi que pour la hauteur de vues dont ont témoigné les propos tenus à la tribune s’agissant de notre institution judiciaire.
J’estime que c’est un vrai bonheur de pouvoir réfléchir ensemble sur la justice civile. Cette justice, qui représente pourtant 70 % de l’activité judiciaire, ne se voit pas, mais elle rend des services inestimables au justiciable : c’est elle qui lui redonne espoir et organise les conditions de son rétablissement social lorsqu’il est éperdu, noyé dans un contentieux difficile – on pense, par exemple, à l’endettement - ou que pèse sur son foyer la menace d’une expulsion.
Je vous remercie donc pour votre implication, y compris quand vous nous critiquez, ce qui nous oblige soit à développer nos motivations, soit à affiner les dispositions de notre projet, soit à en introduire de nouvelles.
Nous souhaitons rapprocher l’institution judiciaire du citoyen justiciable, et notamment du justiciable démuni, celui qui ne maîtrise pas la culture judiciaire, ne parle pas la langue du droit, n’a aucune affinité spontanée avec ce milieu, mais qui, à la faveur des dispositions de simplification que nous entendons mettre en œuvre, rencontrera sur son chemin une autorité judiciaire toujours plus hospitalière. Si nous y parvenons, cela aura été grâce à vous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La discussion générale commune est close.
Nous passons à l’examen du projet de loi organique, dans le texte de la commission.
projet de loi organique relatif aux garanties statutaires, aux obligations déontologiques et au recrutement des magistrats ainsi qu’au conseil supérieur de la magistrature
TITRE IER
DISPOSITIONS RELATIVES AU STATUT DE LA MAGISTRATURE
CHAPITRE IER
DISPOSITIONS RELATIVES À LA COMPOSITION DU CORPS JUDICIAIRE
Article 1er
(Non modifié)
Après le 1° du I de l’article 1er de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, il est inséré un 1° bis ainsi rédigé :
« 1° bis Les magistrats exerçant les fonctions d’inspecteur général des services judiciaires, d’inspecteur général adjoint des services judiciaires et d’inspecteur des services judiciaires ; ».
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
(Non modifié)
L’article 3 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Le 1° est ainsi modifié :
a) Le mot : « et » est remplacé par le signe : « , » ;
b) Sont ajoutés les mots : « et des auditeurs » ;
2° Après le 2°, il est inséré un 2° bis ainsi rédigé :
« 2° bis Les premiers présidents de chambre des cours d’appel et les premiers avocats généraux près lesdites cours ; »
3° Après le 3°, il est inséré un 4° ainsi rédigé :
« 4° Les magistrats exerçant les fonctions d’inspecteur général des services judiciaires et d’inspecteur général adjoint des services judiciaires. » ;
4° Le dernier alinéa est ainsi modifié :
a) La troisième occurrence du mot : « et » est remplacée par le signe : « , » ;
b) Après les mots : « tribunal de grande instance, », sont insérés les mots : « de premier vice-président chargé de l’instruction, de premier vice-président chargé des fonctions de juge des enfants, de premier vice-président chargé de l’application des peines, de premier vice-président chargé du service d’un tribunal d’instance, de premier vice-président chargé des fonctions de juge des libertés et de la détention, ».
M. le président. L'amendement n° 48, présenté par M. Pillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Supprimer les mots :
de premier vice-président chargé des fonctions de juge des libertés et de la détention,
La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Il s’agit d’un amendement de pure coordination avec la réforme du juge des libertés et de la détention qui sera proposée par votre commission, à l’article 14.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il s’agit en effet d’un amendement de coordination ; il est logique que M. le rapporteur le propose, comme il est logique et cohérent que le Gouvernement, qui trouve par ailleurs normal que l’on cherche à améliorer l’écriture d’une disposition, s’y oppose, puisqu’il souhaite revenir au texte initial.
L’avis est donc défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
CHAPITRE II
DISPOSITIONS RELATIVES AU RECRUTEMENT ET À LA FORMATION PROFESSIONNELLE
Article 3
(Non modifié)
L’article 14 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après les mots : « auditeurs de justice », sont insérés les mots : « , des candidats admis aux concours de recrutement de magistrats prévus à l’article 21-1 et des candidats à une intégration directe dans le corps judiciaire au titre des articles 22 et 23 » ;
2° Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Les magistrats en stage de formation continue peuvent participer à l’activité juridictionnelle, sous la responsabilité des magistrats de la juridiction les accueillant, sans pouvoir toutefois recevoir délégation de signature. » ;
3° Après le même deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’école peut également contribuer à la formation professionnelle de personnes n’appartenant pas au corps judiciaire et amenées, soit à exercer des fonctions juridictionnelles dans l’ordre judiciaire, soit à concourir étroitement à l’activité judiciaire. » – (Adopté.)
Article 4
I. – L’article 16 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Après le mot : « baccalauréat », la fin de la première phrase du 1° est ainsi rédigée : « ou justifiant d’une qualification reconnue au moins équivalente dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. » ;
2° À la fin du 5°, les mots : « et être reconnus indemnes ou définitivement guéris de toute affection donnant droit à un congé de longue durée » sont remplacés par les mots : « compte tenu des possibilités de compensation du handicap » ;
3° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :
« Sous réserve des articles 17 et 21-1, les candidats aux concours doivent remplir les conditions requises pour être candidat à l’auditorat au plus tard à la date de publication des résultats des épreuves d’admissibilité du concours. La vérification de ces conditions doit intervenir au plus tard à la date de la nomination en qualité d’auditeur de justice. »
II (Non modifié). – Au 2° de l’article 17 de la même ordonnance, après les mots : « établissements publics », sont insérés les mots : « , en activité, en détachement, en congé parental ou accomplissement du service national, ».
M. le président. L'amendement n° 21, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 5, première phrase
Remplacer les mots :
de publication des résultats des épreuves d’admissibilité
par les mots :
de la première épreuve
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Cet amendement a pour objet de rétablir le texte initial, qui prévoit le report de la date de vérification des conditions requises pour concourir au plus tard à la date de la nomination en qualité d’auditeur de justice.
L’objectif est de rationaliser le contrôle des dossiers de candidature et d’accélérer les procédures de concours.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Contrairement à ce que précise l’objet de cet amendement, il s’agit non pas de reporter la date de vérification des conditions requises, mais bien d’avancer la date à laquelle les candidats doivent remplir les conditions requises pour être candidat à l’auditorat par l’article 16 de l’ordonnance portant loi organique relative au statut de la magistrature.
Le texte de la commission ne modifie rien au report des tâches de vérification des conditions requises à la date de nomination en qualité d’auditeur de justice souhaité par le Gouvernement : ces opérations de vérification auront lieu bien après l’admissibilité, voire peu après l’admission. Il est inutile d’avancer la date à laquelle les candidats doivent s’être conformés à ces obligations.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’avis du Gouvernement est favorable : il est logique de demander aux candidats de remplir les conditions requises au moment de la première épreuve d’admissibilité.
M. le président. Je mets aux voix l'article 4.
(L'article 4 est adopté.)
Article 5
L’article 18-1 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est remplacé par trois alinéas ainsi rédigés :
« Peuvent être nommées directement auditeurs de justice les personnes que quatre années d’activité dans le domaine juridique, économique ou social qualifient pour l’exercice des fonctions judiciaires :
« 1° Si elles sont titulaires d’un diplôme sanctionnant une formation d’une durée au moins égale à quatre années d’études après le baccalauréat dans un domaine juridique ou justifiant d’une qualification reconnue au moins équivalente dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État ;
« 2° Et si elles remplissent les autres conditions fixées aux 2° à 5° de l’article 16. » ;
2° Au deuxième alinéa, les mots : « de la maîtrise en droit et possédant un diplôme d’études supérieures dans une discipline juridique » sont remplacés par les mots : « d’un diplôme sanctionnant une formation d’une durée au moins égale à cinq années d’études après le baccalauréat dans un domaine juridique ou justifiant d’une qualification reconnue au moins équivalente dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État. » ;
3° À la fin du troisième alinéa, les mots : « auditeurs issus des concours prévus à l’article 17 et figurant dans la promotion à laquelle ils seront intégrés » sont remplacés par les mots : « places offertes aux concours prévus à l’article 17 pour le recrutement des auditeurs de justice de la promotion à laquelle ils seront intégrés ».
M. le président. L'amendement n° 3 rectifié, présenté par M. Collombat, Mme Malherbe et M. Requier, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Après le mot ;
économique
insérer le mot :
, philosophique
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Cet article prévoit que « peuvent être nommées directement auditeurs de justice les personnes que quatre années d’activité dans le domaine juridique, économique ou social qualifient pour l’exercice des fonctions judiciaires. ».
Je pense, à titre personnel, que la méditation d’Aristote est plus profitable à un magistrat que la fréquentation des écrits des lauréats des prix en sciences économiques remis par la Banque de Suède en mémoire d’Alfred Nobel…
Si des personnes ayant fait des études et exercé une activité dans le domaine juridique, économique ou social peuvent être admises sur dossier à l’École nationale de la magistrature, je ne vois vraiment pas pour quelles raisons celles qui ont exercé une activité dans le domaine de la réflexion philosophique ne pourraient pas y prétendre.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Cet amendement, déjà rejeté en commission, vise à permettre aux personnes justifiant de quatre années d’activité dans le domaine philosophique de pouvoir être nommées directement auditeurs de justice, sans concours.
Les personnes visées par l’amendement sont celles qui ont exercé une activité professionnelle dans le domaine philosophique, et non les diplômés de philosophie.
Dans la pratique, l’objet de cet amendement me semble satisfait au regard de la large interprétation donnée à cet alinéa, qui ne pose aucune ségrégation à l’encontre de personnes travaillant dans le domaine philosophique. D’ailleurs, on retrouve des chargés d’enseignement de philosophie parmi les auditeurs de justice nommés sur titre, notamment dans la promotion de 2012.
Il ne semble donc pas nécessaire de modifier cet alinéa, d’autant que cela risque d’ouvrir la porte à de multiples ajouts. Pourquoi ne pas introduire aussi les domaines historique ou scientifique ?
Il serait préférable de travailler à une rédaction qui permette un élargissement à l’ensemble des personnes ayant eu une activité dans le domaine des sciences humaines et dont l’expérience pourrait être utile à la magistrature. Je ne doute pas que les professionnels de la philosophie puissent contribuer encore davantage à l’enrichissement du corps de la magistrature.
Mme Nathalie Goulet. Plus que dans la diplomatie !
M. François Pillet, rapporteur. Néanmoins, il vaut sans doute mieux que ces personnes continuent de passer par la voie du concours.
Donc, avis défavorable, mais presque en m’excusant, mon cher collègue...
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur Collombat, je rappelle qu’effectivement ce projet de loi organique vise à ouvrir la magistrature sur la société. Cette ouverture doit, de mon point de vue, permettre la rencontre de savoirs, de formations, de qualifications et de cultures, professionnelles et universitaires, différentes.
Pour ma part, je ne serais pas opposée à votre amendement. Je le trouve cependant restrictif. Je pense qu’ouvrir aux sciences morales, pardon, « humaines et sociales » – parce que je parle, moi, plus d’éthique que de morale, et la science morale est affaire d’initiés…
Je ne sais si vous êtes en mesure de rectifier votre amendement ici, en séance. Sinon, nous pourrions convenir d’une écriture pour la discussion à l’Assemblée nationale.
M. François Pillet, rapporteur. Oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cela nous permettrait d’être certains de ce que nous entendons par cette ouverture, et de l’écrire de la façon la plus précise et plus sûre possible.
Si vous y consentez, je vous propose de retirer l’amendement car, si l’idée me plaît, la formulation me semble restrictive. Comme le disait à l’instant M. le rapporteur, pourquoi pas, demain, introduire une nouvelle discipline ? Donc, prenons le temps de nous entendre sur ce que nous souhaitons et de l’écrire avec les mots les plus précis et les plus justes.
M. le président. Monsieur Collombat, l’amendement est-il maintenu ?
M. Pierre-Yves Collombat. Madame la ministre, je vous remercie de votre ouverture d’esprit. J’ai eu peur que vous n’alliez tous à nouveau condamner Socrate à boire la ciguë ! (Exclamations amusées sur différentes travées.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Non, pas tous !
M. Pierre-Yves Collombat. Cette proposition, qui est tout de même une ouverture, me convient, à condition qu’il soit bien entendu que ces « sciences humaines » incluent aussi la philosophie.
J’accepte donc cette ouverture, en soulignant toutefois que les « sciences humaines » diffèrent malgré tout de la philosophie, qui n’est pas une science, mais une réflexion – une réflexion sur les sciences et sur le savoir, entre autres.
Il me semblait que la méditation de certains textes d’Aristote, d’Hegel, mais surtout d’Aristote, serait au moins aussi enrichissante que les « sciences économiques » qui, à mon sens, ne présentent pas les mêmes vertus, mais ce n’est pas moi qui ai eu l’idée d’introduire les économistes !
S’il est possible de rectifier mon amendement pour remplacer la philosophie par les sciences humaines en entendant par cela, plus généralement, philosophie et sciences humaines, j’en suis d’accord. Autrement, je serai battu, et la discussion reprendra.
Quant à prendre la peine de le rectifier ailleurs, j’aimerais savoir quand et selon quelle procédure. Sans être contre, je préférerais que nous le fassions dès à présent.
Mme Cécile Cukierman. Il faut le faire maintenant !
M. le président. Monsieur Collombat, si je comprends bien, vous acceptez de rectifier votre amendement ?
M. Pierre-Yves Collombat. Oui, monsieur le président, je le rectifie pour remplacer, à l’alinéa 3, les mots : « dans le domaine juridique, économique ou social » par les mots : « dans les domaines juridique, économique, social, de la philosophie ou des sciences humaines ».
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 3 rectifié bis, présenté par M. Collombat, Mme Malherbe et M. Requier, et ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
dans le domaine juridique, économique ou social
par les mots :
dans les domaines juridique, économique, social, de la philosophie ou des sciences humaines
La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, je ne méconnais pas l’apport de la philosophie au droit, mais le travail d’un magistrat est tout de technique juridique. Je suis plus étonné de voir que l’on peut recruter des économistes pour devenir magistrat que je ne suis favorable à l’ouverture de la fonction judiciaire aux philosophes, aux sociologues et autres historiens. La fonction judiciaire demande tout de même une compétence professionnelle avérée et la capacité de manier le droit.
Nous pourrions aussi faire entrer des théologiens, parce qu’ils sont l’habitude de l’exégèse. L’exégèse est certes très utile quand on fait du droit, mais, je regrette de le dire aussi fermement, nous sommes, à mon avis, sans tenir compte des besoins réels de la magistrature, en train d’improviser une disposition qui ouvrira les recrutements à des professionnels tous estimables, mais dont on peut se demander si tous ont réellement la capacité de lire un texte de droit pour l’appliquer aux situations qui se présentent à la barre du tribunal.
Par conséquent, l’avis que vient de nous donner Mme la garde des sceaux me semble très sage. Si, en se fondant sur son expérience de garde des sceaux, elle s’engage à nous proposer une solution dans les délais les plus brefs, en nous disant quels types de professionnels ayant quatre années d’expérience dans un domaine particulier – puisque c’est de cela qu’il s’agit – peuvent devenir de bons magistrats, moyennant parfois un recyclage important, nous serons, dès lors, mieux éclairés.
J’ai défendu ce matin en commission l’idée qu’un philosophe a une formation intellectuelle qui peut être très utile pour devenir un professionnel du droit. Mais un philosophe n’est pas un professionnel du droit, pas plus qu’un économiste.
Je me demande si la mention des économistes dans notre texte n’est pas un héritage d’un passé très lointain. En effet, à l’université, la formation économique a d’abord été une excroissance de celle qui était dispensée dans les facultés de droit. À cette lointaine époque, vue de cette manière, l’économie politique pouvait justifier que l’on recrutât non pas des économistes, mais des juristes ayant fait de l’économie pour devenir magistrats.
M. le président. La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Le texte de l’article 5 prévoit très clairement une exigence de diplôme attestant la formation juridique. Je crains qu’il n’y ait une confusion entre l’activité dans les domaines juridique, économique et social et le diplôme, en philosophie ou autre. Il importe donc de qualifier le domaine d’activité qui aurait donné une compétence particulière justifiant qu’une personne, ayant reçu par ailleurs une formation juridique, puisse, en raison de son expérience professionnelle, entrer dans la magistrature sans passer le concours.
Il faut vraiment revenir sur ce texte pour arriver à une rédaction claire. Mais on ne peut ajouter ainsi, en séance, des domaines d’activité. Pour ma part, je pense à un domaine de la philosophie, la psychologie, qui pourrait aussi être fort utile. Pour les juges aux affaires familiales notamment, une vraie formation à la psychologie serait à n’en pas douter un complément utile. Et je n’oublie pas non plus que nous avons de très grands magistrats, comme Antoine Garapon et Denis Salas, qui sont des philosophes en même temps qu’ils sont de brillants juristes.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tenais tout d’abord à remercier notre collègue Pierre-Yves Collombat d’avoir ouvert ce débat très important. S’il est si important, c’est que nous sommes habitués à voir écrit « économique et social ». Dans l’air du temps, l’expression paraît banale et, en quelque sorte, normale. Mais si quelqu’un parle de philosophie, cela paraît étrange. Nous devons nous interroger pour savoir pourquoi il en est ainsi.
Monsieur Bas, vous nous dites qu’il faut une formation juridique. C’est précisément ce que prévoit le quatrième alinéa, puisqu’il requiert de la personne, outre des années d’activité dans l’un des domaines – juridique, économique… –, un diplôme sanctionnant une formation d’une durée au moins égale à quatre années d’études après le baccalauréat dans un domaine juridique, etc. La personne a donc forcément une formation juridique.
Si vous pensez que cela suffit, il faut dire que cette condition est nécessaire et qu’elle est suffisante. Mais ce que dit notre collègue Pierre-Yves Collombat est différent : il s’agit de la personne qui, en plus de cette formation, a une connaissance de la philosophie. Qu’en est-il, alors? Il est tout à fait vrai qu’une personne qui connaîtrait Platon, Aristote et Malebranche, sans oublier Jean-Jacques Rousseau, qui a été un grand philosophe du droit, ni Montesquieu, mes chers collègues, ni Hegel – et je m’arrêterai là…
Mme Cécile Cukierman. Pourquoi pas Karl Marx ?
M. Jean-Pierre Sueur. … parce que ce pourrait être très long –, aurait une culture très appréciable, en complément de sa formation juridique.
Tout cela a du sens. C’est la raison pour laquelle, ce matin, nous nous demandions comment réagirait Mme la garde des sceaux. J’étais certain, personnellement, que Mme la garde des sceaux, qui s’intéresse beaucoup à la culture philosophique et littéraire,…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Et au droit également !
M. Jean-Pierre Sueur. Et au droit, évidemment !
J’étais certain, donc, que Mme le garde des sceaux se montrerait, finalement, très ouverte à cet amendement de notre collègue Pierre-Yves Collombat.
Je pense que cet amendement a du sens et je souhaite vivement qu’il soit mis aux voix dans ce libellé, monsieur le président, puisqu’il prévoit, en plus de la formation au droit, une expérience dans les domaines juridique, économique, social, de la philosophie ou des sciences humaines.
Nous verrons bien ce que fera l’Assemblée nationale. Je pense qu’elle réagira bien. Sinon, de toute façon, monsieur le président, nous nous retrouverons en commission mixte paritaire, où le débat a toutes les chances d’être approfondi…
M. le président. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. L’amendement n° 3 rectifié bis de notre collègue présente le mérite de nous interpeller sur l’élargissement du recrutement des magistrats.
Après réflexion, et à la suite de l’explication du président de la commission des lois, Philippe Bas, force est pour moi de reconnaître que tout est juridique. Même si ouvrir le recrutement en prenant en compte les sciences humaines peut sembler intéressant, il est vrai qu’il y a, d’un côté, les universités de droit et, de l’autre, celles de lettres et sciences humaines. Les sciences humaines sont vastes, passant par les lettres, la philosophie, l’histoire, qui a aussi été évoquée, auxquelles nous pourrions ajouter la géographie et bien d’autres disciplines encore. On peut craindre d’élargir ainsi de proche en proche les possibilités de recrutement, car les missions de l’auditeur de justice ne sont pas simples et demandent beaucoup de compétences.
Je me rallierai donc à la position du président de la commission des lois.
M. le président. La parole est à Mme Nathalie Goulet, pour explication de vote.
Mme Nathalie Goulet. Nous suivrons également la commission. Des philosophes, pourquoi pas, sauf dans la diplomatie…
M. Pierre-Yves Collombat. Ça, c’est un raisonnement !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. M. Sueur a eu raison de revenir au texte de l’article 5, qui prévoit que peuvent être nommées directement auditeurs de justice les personnes que quatre années d’activité dans le domaine juridique, économique ou social qualifient pour l’exercice des fonctions judiciaires si elles sont titulaires d’un diplôme sanctionnant une formation d’une durée au moins égale à quatre années d’études après le baccalauréat dans un domaine juridique…
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Lisez la phrase jusqu’à la fin !
M. Jacques Mézard. … ou justifiant d’une qualification reconnue au moins équivalente dans des conditions fixées par décret en Conseil d’État.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. CQFD !
M. Jacques Mézard. Monsieur le président de la commission des lois, nous connaissons la compétence et l’expérience des membres du Conseil d’État, mais, à partir du moment où l’alinéa 3 prévoit que peuvent être nommées auditeurs de justice les personnes justifiant de quatre années d’activité « dans le domaine juridique, économique ou social », quelle est la difficulté d’intégrer également l’ajout proposé par notre collègue Collombat ? Voyez ce qu’un philosophe du talent de Pierre-Yves Collombat apporte au Sénat ! (Sourires.) Ne privons pas la magistrature de telles compétences !
M. Jacques Mézard. Monsieur le président de la commission des lois, croyez-vous que tous les conseillers d’État nommés au tour extérieur soient de grands spécialistes du droit ?
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Ils le deviennent…
M. Jacques Mézard. Ils le deviennent, nous sommes d’accord ! Je crois que nous avons fait la démonstration que cet amendement est frappé au coin du bon sens !
M. le président. Quel est donc l’avis de la commission sur l’amendement n° 3 rectifié bis ?
M. François Pillet, rapporteur. En l’état, cet amendement vise à remplacer les mots « dans le domaine juridique, économique ou social » par les mots « dans les domaines juridique, économique, social, de la philosophie ou des sciences humaines ». Il oublie les disciplines scientifiques, l’histoire…
M. Jean-Pierre Sueur. L’histoire fait partie des sciences humaines !
M. François Pillet, rapporteur. … et de nombreux autres domaines.
De manière générale, il convient de recourir avec mesure aux rectifications d’amendements en séance publique, afin d’éviter de produire des textes qui, comme celui-ci, risquent d’être interprétés de manière totalement restrictive.
J’appuie donc, après M. Bigot, la proposition opportune de Mme la ministre : nos discussions montrent bien que cet amendement n’est pas au point. Remettons-nous-en à la navette pour en peaufiner la rédaction. Pour l’heure, elle n’est pas satisfaisante. À l’instar de Mme la ministre, je demande, sans en remettre en question le fond, le retrait de cet amendement. À défaut, je maintiendrai l’avis défavorable de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Eh oui !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je suis également réticente aux réécritures en séance, car le risque est grand de ne pas tout prévoir. L’idée est incontestablement bonne, mais il convient de prendre le temps d’examiner posément la question. Quels champs d’activité faut-il viser ? Je rappelle qu’une formation juridique de quatre années au moins sera également requise pour pouvoir être candidat à l’admission sur titres à l’École nationale de la magistrature, où les futurs magistrats suivront encore un cursus de trente et un mois. Il est possible qu’un brillant philosophe puisse faire un excellent magistrat et cet amendement va dans le sens de l’ouverture de la magistrature sur la société. En tout cas, toutes les garanties nécessaires sont prévues. Je ne crois donc pas que l’on prenne des risques inconsidérés en termes de qualité de la formation des magistrats.
En définitive, j’émets un avis de sagesse. Je trouverais de meilleure méthode que nous prenions le temps de parfaire la rédaction, sachant que nous partageons la volonté d’élargir l’accès à l’École nationale de la magistrature, mais la navette pourra permettre de le faire. En tout état de cause, il faudra y revenir.
M. le président. Monsieur Collombat, l'amendement n° 3 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Pierre-Yves Collombat. Madame la ministre, je maintiens l’amendement, tout en saluant votre esprit d’ouverture. Si je le retire, il disparaîtra et ne sera pas débattu dans la suite de la navette.
M. Jean-Pierre Sueur. Exactement ! Il n’y aura pas de débat !
M. Pierre-Yves Collombat. Il reviendra à la commission mixte paritaire d’améliorer la rédaction.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures quarante.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt et une heures quarante, sous la présidence de Mme Françoise Cartron.)
PRÉSIDENCE DE Mme Françoise Cartron
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société.
L'amendement n° 22, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Après les mots :
Au deuxième alinéa,
insérer les mots :
les mots : « qui possèdent, outre les diplômes requis pour le doctorat, un autre diplôme d’études supérieures » sont supprimés et
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Les auteurs de cet amendement estiment indispensable de rétablir la suppression de la condition de diplômes exigés, en sus du diplôme ayant permis l’inscription en doctorat, à l’article 18-1 de l’ordonnance statutaire. Cette suppression a pour objectif de faciliter le recrutement direct des docteurs en droit.
En effet, des exigences de diplômes trop importantes, pour des candidats qui ont déjà un haut niveau d’études et seront amenés à suivre une formation longue à l’École nationale de la magistrature, conduisent à une inutile restriction des recrutements.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. La commission a parfaitement compris qu’il était important de desserrer l’étau des conditions de recrutement des magistrats, afin d’élargir celui-ci.
Cet amendement, contraire à la position de la commission, vise à supprimer la condition d’un second diplôme d’études supérieures pour les docteurs en droit candidats à l’admission sur titres à l’auditorat.
Il me semble nécessaire de veiller à conserver un très haut niveau de qualification aux candidats à la magistrature, qui n’est pas une administration comme les autres, afin d’assurer le meilleur exercice des fonctions juridictionnelles. Il s’agit d’une position de principe qui reflète la très haute conception que nous nous faisons de la magistrature.
Les docteurs en droit ne représentent que 2,63 % des admis au titre de la procédure de l’article 18-1 : eu égard à l’importance de leur taux d’échec, il semble préférable de maintenir une exigence supplémentaire quant à leur ouverture sur d’autres disciplines. Il n’est nullement anormal que les exigences en matière de recrutement soient plus élevées dans la magistrature que dans d’autres secteurs de la fonction publique.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Mon avis sera plus nuancé.
Je rappelle une fois encore qu’il s’agit des conditions d’accès à une formation de trente et un mois : sauf à considérer qu’un doctorat en droit est sans contenu et sans valeur, on peut penser que justifier d’un tel diplôme est suffisant pour se porter candidat…
Je comprends les positions défendues respectivement par M. Collombat et M. Mohamed Soilihi.
D’un côté, on peut vouloir, dans la perspective d’une ouverture de la magistrature sur la société, élargir l’éventail des qualifications demandées pour accéder non pas à la magistrature – j’y insiste –, mais à la formation à l’ENM.
De l’autre, on peut estimer que la magistrature n’est pas une profession comme une autre. Il s’agit de l’exercice d’une autorité constitutionnelle, ce qui emporte des exigences considérables : la mission d’un magistrat consiste à juger au nom du peuple, en ayant reçu délégation de la société pour exercer des fonctions extrêmement lourdes, qui peuvent l’amener, en matière pénale, à priver quelqu’un de sa liberté.
Une telle fonction nécessite une grande maturité, un sens aigu des responsabilités, une indépendance et une impartialité que nous requérons sur le plan subjectif, mais que nous voulons organiser aussi sur la base de conditions objectives, permettant d’apporter un certain nombre de garanties.
Dans cette perspective, permettre à des titulaires d’un doctorat en droit d’accéder à la formation au sein de l’École nationale de la magistrature ne me paraît pas extravagant.
Je rappelle que, avant la création de l’Institut d’études judiciaires, ancêtre de l’ENM, on accédait à la magistrature par ce que j’appellerai la « filière dynastique »… L’Institut d’études judiciaires, créé en 1958 et transformé en 1971, si ma mémoire est bonne, a introduit une certaine mixité sociale, ou a ouvert, à tout le moins, l’accès à la formation à des personnes méritantes, talentueuses et travailleuses qui n’y étaient pas socialement prédestinées.
On peut concevoir, dans le même esprit, que des docteurs en droit puissent accéder à l’ENM pour y suivre une formation de trente et un mois en vue de devenir magistrats.
En conclusion, le Gouvernement émet un avis favorable.
Mme la présidente. La parole est à M. André Reichardt, pour explication de vote.
M. André Reichardt. Docteur en droit moi-même, je ne peux que me rallier à cet amendement. En effet, je ne vois pas très bien, en tant que juriste, ce qu’un autre diplôme de l’enseignement supérieur délivré dans une autre discipline pourrait m’apporter de plus si je devais briguer la fonction de magistrat.
Je suis un peu gêné de défendre ma « caste », mais la condition essentielle de recrutement en vue de l’accès à la formation menant à la carrière de magistrat reste tout de même la maîtrise de la discipline fondamentale en la matière : le droit.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 5.
(L’article 5 est adopté.)
Article 6
Au dernier alinéa de l’article 19 de la même ordonnance, les mots : « d’une durée minimale de six mois » sont supprimés.
Mme la présidente. La parole est à Mme Cécile Cukierman, sur l’article.
Mme Cécile Cukierman. L’article 6 du projet de loi organique porte sur l’article 19 de l’ordonnance de 1958, relatif aux stages des auditeurs de justice, dont il vise à limiter la durée à trois mois.
Les stages de six mois dans un cabinet d’avocat instaurés après l’affaire d’Outreau ont certes pu apparaître d’une durée excessive et dévoyés de leur vocation initiale. Trop souvent réduits à l’accomplissement d’un travail de collaborateur à qui sont confiées des missions de recherche ou de rédaction, ces stages sont pourtant extrêmement utiles et importants pour les auditeurs.
On peut regretter que le texte ne mentionne que le stage en cabinet d’avocat et ne traite pas davantage de l’autre période de trois mois qui constituera, avec la première, l’ensemble du stage de six mois prévu.
Le contenu de ce second stage, qui vise à faire « mieux connaître l’environnement judiciaire, administratif et économique », reste aussi flou que sa place dans la scolarité. Il apparaît indispensable que l’élaboration de la loi organique soit accompagnée d’une réflexion beaucoup plus large sur la formation des futurs magistrats, laquelle ne peut se réduire à des enseignements techniques, mais doit aussi permettre de développer l’esprit critique et la compréhension de la complexité du travail judiciaire chez ceux qui vont être amenés à poursuivre et à juger.
Nous déplorons que cette réforme ne donne lieu qu’à un toilettage des textes, comme l’illustre cet article 6, et qu’elle ne soit pas l’occasion d’une véritable réflexion sur ce que doit être l’École nationale de la magistrature.
Plusieurs points auraient pu être abordés à cet égard : les épreuves du concours d’accès à l’ENM comportent encore des « tests psychologiques », qui ont pourtant démontré leur inutilité et leur dangerosité, tant ils répondent à un objectif d’uniformisation des personnalités ; le principe du classement, qui, avec la place démesurée prise par la notation, vient polluer la formation, l’évaluation étant détournée de son objectif pédagogique pour n’être plus qu’un outil de classement, voire d’exclusion ; la question du volant de postes dans les listes de postes offerts aux auditeurs à la sortie de l’école, sachant que, ces dernières années, de plus en plus de postes sont proposés dans des juridictions particulièrement difficiles en outre-mer, telles que Mayotte et Cayenne.
Mme la présidente. L’amendement n° 36 rectifié, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Au dernier alinéa de l’article 19 de la même ordonnance, les mots : « d'une durée minimale de six mois » sont remplacés par les mots : « leur permettant de mieux connaître l’environnement judiciaire, administratif et économique, incluant un stage ».
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Le présent amendement a été rectifié, à la demande du rapporteur, afin de prendre en compte les remarques faites en commission.
Alors qu’un stage de trois mois serait sans doute suffisant pour permettre aux magistrats d’appréhender le métier d’avocat et ses conditions d’exercice, nous regrettons que cette durée diminuée, proposée par le Gouvernement, ait été supprimée du texte.
Nous regrettons également que la mention des trois mois restants, eux aussi dédiés au stage en cabinet d’avocat à l’origine, ait été supprimée. Il s’agissait là d’une mesure visant à améliorer la formation en permettant aux auditeurs de justice de découvrir d’autres partenaires de la justice – conciliateurs, médiateurs, etc. – et de bénéficier ainsi d’une ouverture positive de l’école sur l’environnement judiciaire, administratif et économique.
Ce n’est pas parce qu’aucune autre durée relative à un stage de la scolarité des auditeurs de justice ne fait l’objet d’une disposition de niveau législatif que nous ne devons pas innover en la matière.
En outre, l’argument selon lequel le règlement intérieur de l’ENM prévoit une « certaine souplesse » quant à ces durées de stages n’est pas recevable si l’on entend garantir une formation équitable.
Comme nous l’avons exprimé lors de notre intervention sur l’article, nous déplorons que cette réforme ne donne lieu qu’à un toilettage des textes. C’est pourquoi nous demandons, pour commencer, que l’avancée prévue dans le texte initial soit en partie rétablie via la suppression de la référence à la durée de stage et l’introduction de la notion de pluralité de stages permettant de mieux connaître l’environnement judiciaire, administratif et économique.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. J’émets un avis favorable sur cet amendement qui a été rectifié dans le sens souhaité par la commission. Il tend à permettre aux auditeurs de justice d’effectuer des stages afin de mieux connaître l’environnement judiciaire, administratif et économique, tout en leur conservant néanmoins la possibilité d’effectuer un stage auprès d’un avocat, disposition dont on sait que l’inclusion dans le projet de loi organique fait suite à l’affaire d’Outreau.
Pour autant, la fixation de durées ne relève pas de la loi organique. Il faut laisser à l’ENM le soin d’adapter les stages aux différents profils des élèves. Ainsi, il paraîtrait curieux que ceux qui ont suivi la scolarité de l’école du barreau en vue de préparer le certificat d’aptitude à la profession d’avocat, le CAPA, et qui ont déjà effectué un stage de formation de six mois dans un cabinet d’avocat, soient obligés de refaire un tel stage. Je ferai d’ailleurs une observation similaire lorsque nous examinerons la question du stage au sein des collectivités locales.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’avis est également favorable.
Dès mon arrivée aux responsabilités, j’ai eu connaissance de ces interrogations sur la durée du stage en cabinet d’avocats. Certains considéraient qu’une durée de six mois était souhaitable. Comme vous l’avez rappelé, monsieur le rapporteur, cette durée a été instaurée à la suite de l’affaire d’Outreau. Elle est, de façon générale, jugée un peu longue, mais nous avons eu du mal à en fixer une qui soit inférieure. Il convient de donner de la souplesse et de permettre à l’ENM, aux élèves magistrats et aux cabinets d’avocats de s’adapter.
Mme la présidente. En conséquence, l’article 6 est ainsi rédigé et l’amendement n° 4 rectifié n’a plus d’objet.
Toutefois, pour la bonne information du Sénat, je rappelle que l’amendement n° 4 rectifié, présenté par MM. Collombat, Mézard, Amiel, Arnell, Guérini, Bertrand, Castelli, Collin et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall, était ainsi libellé :
Compléter cet article par les mots :
et sont ajoutés les mots : « et un stage d’au moins un mois dans une collectivité territoriale ».
CHAPITRE III
DISPOSITIONS RELATIVES AUX CONDITIONS DE NOMINATION
Articles additionnels avant l'article 7
Mme la présidente. L’amendement n° 16 rectifié, présenté par M. Grand, est ainsi libellé :
Avant l'article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement présente au Parlement un rapport évaluant l’opportunité d’instaurer constitutionnellement la fonction de procureur général de la nation.
La parole est à M. Jean-Pierre Grand.
M. Jean-Pierre Grand. Aujourd’hui, les décisions de justice sont de plus en plus contestées et les juges fréquemment suspectés d’être dépendants du pouvoir exécutif. Aucun gouvernement, aucun ministre de la justice n’y échappe ; vous en savez quelque chose, madame la ministre,…
M. Jean-Pierre Grand. … de même que M. Mercier.
L’instauration de la fonction de procureur général de la nation permettrait de garantir une véritable indépendance de la justice, en régulant les liens entre le pouvoir politique et le parquet.
La loi n° 2013-669 du 25 juillet 2013 relative aux attributions du garde des sceaux et des magistrats du ministère public en matière de politique pénale et de mise en œuvre de l’action publique a inscrit dans le code de procédure pénale l’interdiction pour le ministre de la justice d’adresser aux magistrats du parquet des instructions dans des affaires individuelles. C’est une avancée.
Un projet de loi constitutionnelle portant réforme du Conseil supérieur de la magistrature a également été débattu au Parlement, mais son examen est suspendu depuis juillet 2013.
À l’heure actuelle, les nominations et la progression des carrières des magistrats du parquet étant entre les mains du ministre de la justice, cette subordination au pouvoir exécutif ne peut totalement garantir l’indépendance de la justice.
Afin de clarifier la situation, les magistrats du ministère public pourraient être rattachés à une hiérarchie au sommet de laquelle se trouverait le procureur général de la nation, et non le garde des sceaux. Le procureur général de la nation serait nommé par le Conseil supérieur de la magistrature et cette nomination serait avalisée par le Parlement. C’est l’objet d’une proposition de loi constitutionnelle que j’ai déposée sur le bureau du Sénat le 19 août 2015.
Cet amendement vise à demander au Gouvernement un rapport sur l’opportunité d’instaurer constitutionnellement la fonction de procureur général de la nation, et ainsi à garantir véritablement l’indépendance de la justice.
Cette évolution constitutionnelle et institutionnelle est incontournable, comme le seront d’ailleurs un jour la diminution du nombre de ministres et la suppression du garde des sceaux : après tout, si un procureur général de la nation est créé, la politique pénale sera définie par le Premier ministre et avalisée par le Parlement.
On peut réfléchir sérieusement, me semble-t-il, à une telle évolution sans toucher aux fondements de la Ve République.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Avec cet amendement et les suivants, nous abordons la question du statut du parquet.
Ces propositions ont en commun de présenter des solutions pour accroître les garanties d’indépendance dont bénéficient les magistrats du parquet, afin de consolider le statut juridique du « parquet à la française », en particulier au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, et de préserver l’unité du corps judiciaire.
L’amendement que vous proposez, mon cher collègue, est très intéressant parce qu’il porte le débat sur un autre point, celui de l’indépendance du parquet. Il va très loin puisque, comme vous l’avez vous-même dit, son adoption pourrait conduire à des modifications structurelles du Gouvernement.
Pour autant, comme vous le savez très bien, elle nous conduirait à voter un texte inconstitutionnel. Cet amendement vise en fait à provoquer un débat fort intéressant, que nous pourrons avoir de manière plus approfondie lors de l’examen de la proposition de loi constitutionnelle que vous avez déposée. Dans cette attente, mon cher collègue, je vous invite à retirer votre amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Avez-vous déjà déposé votre proposition de loi constitutionnelle, monsieur le sénateur ?
M. Jean-Pierre Grand. Bien sûr !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je ne doute pas que c’est avec la plus grande gourmandise institutionnelle que la commission des lois en débattra !
En tout état de cause, cette question relève du niveau constitutionnel. Un projet de loi organique n’est donc pas le bon véhicule pour procéder à une réforme en profondeur, qui ne serait pas sans effet. Vous avancez qu’elle ne bouleverserait pas les bases de la Ve République ; je n’en suis pas certaine. En tout cas, elle modifierait incontestablement l’architecture institutionnelle. L’histoire même de notre parquet, de notre institution judiciaire serait bouleversée par l’émergence de cette configuration complètement nouvelle, qui existe en Espagne, en Italie et au Brésil notamment, et sur laquelle je ne porte pas de jugement de valeur. Cela étant, les institutions judiciaires de chaque pays se sont construites à travers le temps, historiquement, culturellement, démocratiquement, et cette dimension est importante.
Renoncer au parquet à la française pour le remplacer par un procureur général de la nation constituerait un bouleversement profond, entraînant un transfert non seulement de prérogatives, mais aussi de responsabilités.
Je dis non pas que ce débat n’est pas légitime, mais qu’il est extrêmement lourd de conséquences. Par conséquent, je ne prendrai pas l’engagement au nom du Gouvernement d’ouvrir une discussion sur un sujet aussi important. Cependant, l’examen de votre proposition de loi constitutionnelle devrait nous permettre d’y réfléchir avec grand plaisir !
M. André Reichardt. Et avec gourmandise !
Mme la présidente. Monsieur Grand, l'amendement n° 16 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Grand. Madame la garde des sceaux, il faut savoir toucher aux vaches sacrées ! Débattre sereinement, dans cet hémicycle, d’une réforme de notre Constitution est infiniment préférable à rêver d’une VIe République qui ne serait jamais, en fait, qu’une IVe République réactualisée.
Sur ce sujet comme sur d’autres, il faut avancer, tout en conservant précieusement la stabilité des institutions permise par la Ve République.
Cela étant dit, je retire mon amendement, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 16 rectifié est retiré.
Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 19 rectifié, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 5 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature est ainsi rédigé :
« Art. 5. – Les magistrats du parquet sont placés sous la direction de leurs chefs hiérarchiques. Ils sont autonomes dans l’exercice de leurs fonctions et libres de leur expression. Ils sont placés sous l’autorité du garde des sceaux, ministre de la justice, dans la limite de l’interdiction des instructions portant sur les affaires individuelles prévue par le code de procédure pénale. »
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. L’article 64 de la Constitution de 1958 consacre l’indépendance de l’autorité judiciaire. Il se borne cependant à renvoyer à la loi organique le soin de fixer le statut des magistrats, sans faire mention du ministère public.
Certes, l’article 1er de la loi organique du 22 décembre 1958 relative au statut de la magistrature pose le principe d’un corps unique de magistrats ayant vocation à être nommés, au cours de leur carrière, à des fonctions du siège ou du parquet. Ce n’est qu’à la faveur de la révision constitutionnelle de 1993 créant la formation du Conseil supérieur de la magistrature compétente à leur égard que les magistrats du parquet ont fait leur apparition dans la Constitution.
Au travers de sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel a érigé l’unité du corps judiciaire en principe constitutionnel, en jugeant que l’autorité judiciaire qui, en vertu de l’article 66 de la Constitution, assure le respect de la liberté individuelle comprend à la fois les magistrats du siège et ceux du parquet.
Dès lors, le magistrat du parquet, tout autant que son homologue du siège, est habilité par la Constitution à garantir le respect de la liberté individuelle. Cela explique que, au-delà des principales attributions relatives à l’exercice de l’action publique, à l’application de la loi, à l’appréciation de l’opportunité des poursuites, à l’exécution de peines exécutoires, le parquet, et plus particulièrement le procureur de la République, contrôle certaines mesures de privation de liberté, comme la garde à vue.
Nous connaissons tous la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme sur la question de l’indépendance du parquet. C’est pourquoi nous sommes unanimes pour dire qu’il est urgent de faire aboutir la révision constitutionnelle, afin de conférer au ministère public les garanties statutaires lui permettant d’exercer ses missions avec toute l’indépendance nécessaire.
Dans l’attente de la reprise de la navette de la réforme constitutionnelle, afin de faire évoluer le statut des magistrats du parquet et d’éviter tout soupçon d’intervention du pouvoir exécutif dans le traitement des affaires judiciaires, nous proposons de supprimer la mention selon laquelle les magistrats du parquet sont placés sous la direction et le contrôle de leur chef hiérarchique et libres de leur expression.
Mme la présidente. L'amendement n° 18 rectifié, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la première phrase de l’article 5 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, les mots : « et sous l’autorité du garde des sceaux » sont supprimés.
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Toujours dans l’attente de la réforme constitutionnelle, afin de faire évoluer le statut des magistrats du parquet et d’éviter tout soupçon d’intervention du pouvoir exécutif dans le traitement des affaires judiciaires, le présent amendement a pour objet de supprimer la mention selon laquelle les magistrats du parquet sont placés sous l’autorité du garde des sceaux.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’adoption de la nouvelle rédaction qui nous est proposée au travers de cet amendement pour l’article 5 de l’ordonnance statutaire aurait trois effets.
Le premier serait de préciser que les magistrats du parquet sont autonomes dans l’exercice de leurs fonctions et libres de leur expression, ce qui me semble assez largement satisfait par la rédaction actuelle de l’article 5, qui dispose que leur « parole est libre ».
Le deuxième effet serait de faire une distinction entre la direction hiérarchique des magistrats du parquet et l’autorité du garde des sceaux. Je ne perçois pas nécessairement l’intérêt juridique d’une telle distinction, mais elle aurait en tout cas pour conséquence de créer une confusion qui pourrait être sanctionnée par le Conseil constitutionnel.
Le troisième effet serait de « remonter » dans la loi organique l’interdiction, pour le garde des sceaux, d’adresser aux parquets des instructions individuelles, une telle interdiction étant déjà aujourd’hui précisée à l’article 30 du code de procédure pénale depuis l’entrée en vigueur de la loi du 25 juillet 2013. Là non plus, il ne me semble pas que l’inscription de ce principe dans l’ordonnance de 1958 constituerait une garantie supplémentaire.
Pour ces raisons, je demande le retrait de cet amendement, qui comporte des garanties en trompe-l’œil et ferait encourir au texte des risques d’inconstitutionnalité.
Il faut choisir : soit on fait la réforme, soit on ne la fait pas ! Si on la fait, ce sera sur la base de ce qu’a voté le Sénat en 2013 sur l’initiative de M. Mercier. Sur ce point, il suffit de suivre le Sénat, qui s’était montré particulièrement novateur en 2013.
Pour employer une image un peu prosaïque, je dirai que nous sommes tous d’accord sur le plat de résistance, mais pas sur le reste du menu. Mais de grâce, partageons déjà le plat de résistance, et nous nous permettrons d’autres envolées culinaires à l’occasion de prochains débats !
Je demande donc le retrait de l'amendement n° 19 rectifié ; à défaut, j’y serai défavorable.
Sur l'amendement n° 18 rectifié, l’avis est le même. Cet amendement est contraire, sinon à la lettre, tout au moins à l’esprit de l’article 65 de la Constitution. En l’état actuel de notre droit, il appartient bien au garde des sceaux de nommer les membres du parquet et d’exercer le pouvoir disciplinaire, le CSM n’émettant que des avis simples. Dès lors, supprimer toute référence au garde des sceaux dans l’article 5 de l’ordonnance de 1958 ne changerait pas foncièrement la situation juridique des membres du parquet. Au risque de me répéter, toute réforme substantielle du statut du parquet relève aujourd’hui d’une révision constitutionnelle.
Je ne comprends pas pourquoi l’on discute de nouveau sur ce point, puisqu’il y a un accord sur l’élément fondamental ; pour le reste, nous aviserons plus tard. Il n’est pas utile que le Sénat adopte un texte qui serait ensuite censuré par le Conseil constitutionnel.
Je demande également le retrait de cet amendement ; à défaut, l’avis sera défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je m’interroge sur la portée des propos tenus récemment en commission des lois par MM. Bas et Mercier, et à l’instant par M. le rapporteur.
Je crois entendre exprimer une adhésion au projet de réforme constitutionnelle…
M. Michel Mercier. Pas du tout !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. S’agirait-il alors seulement de prises de position strictement individuelles, circonscrites ?
M. Michel Mercier. Nous n’avons jamais varié !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Régulièrement, vous vous prévalez du texte qui a été adopté par le Sénat en juillet 2013, en indiquant, avec un peu de mauvaise foi (Protestations sur les travées du groupe Les Républicains.),…
MM. Michel Mercier et Jacques Mézard. Non !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. … qu’il s’agit d’une grande réforme ! Pourtant, vous avez écrêté le projet de réforme que nous vous avions soumis.
M. Jacques Mézard. Nous l’avons amélioré !
M. Michel Mercier. Nous l’avons purifié ! (Sourires.)
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Non : pardonnez-moi l’expression, mais vous y êtes allés à la tronçonneuse ! (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Certains d’entre vous, lors d’échanges que j’ai eus avec eux, se sont déclarés favorables à des dispositions supérieures à celles de ce qu’il est convenu d’appeler « l’amendement Mercier », s’agissant par exemple de la règle des trois cinquièmes positifs ou de la présidence de la formation plénière du CSM.
Aussi, avant de donner mon avis sur les amendements en discussion, je voudrais savoir si les paroles que vous avez tenues dans des circonstances incontestablement solennelles, dans l’hémicycle ou en commission des lois, signifient que la majorité sénatoriale votera le texte lorsqu’il sera présenté à nouveau. Je veux être sûre de comprendre ! En tout cas, l’heure de vérité viendra.
En ce qui concerne les amendements nos 19 rectifié et 18 rectifié, je partage totalement l’argumentation de M. le rapporteur.
Outre que le sujet relève du niveau constitutionnel, nous sommes attachés au modèle français du parquet. Toutefois, la France est un membre actif de l’Union européenne, partie à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme met régulièrement en question la qualité d’autorité judiciaire du parquet français. C’est l’une des raisons qui nous conduisent à vouloir lever toute ambiguïté, afin que le parquet apparaisse clairement comme une autorité judiciaire. (M. Michel Mercier approuve.)
Toutefois, cela ne signifie pas que nous soyons prêts à renoncer au parquet à la française. Si nous voulions le faire, il faudrait y consacrer un véritable débat, car cela n’est pas anodin.
Nous maintenons le Conseil supérieur de la magistrature. Si l’on voulait aller au-delà, on pourrait instituer ce que certains appellent un « conseil de justice », mais alors il s’agit d’autre chose.
Si l’on considère que l’exécutif répond de la politique pénale, il faut qu’il ait les moyens de concevoir celle-ci, de fixer ses orientations générales et d’évaluer sa mise en œuvre. Dans le cas contraire, si l’on estime que la magistrature doit fonctionner comme une entité autonome, alors c’est elle qui doit rendre des comptes devant la représentation nationale.
En effet, aujourd'hui, le Gouvernement répondant de la politique pénale, c’est lui que vous interpellez sur celle-ci, souvent avec excès ou injustement, mais à bon droit. Il doit vous répondre, y compris d’ailleurs quand vous le mettez dans l’impossibilité de le faire en l’interrogeant sur telle ou telle procédure alors que la loi dispose que le garde des sceaux ne donne pas d’instructions individuelles !
M. Pierre-Yves Collombat. Tout à fait !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ainsi, si l’on met en cause le parquet à la française, on met en cause la logique, les fondations de l’édifice. Pour l’instant, c’est bien le Gouvernement qui répond de la politique pénale et, au-delà, du fonctionnement des juridictions : en cas de dysfonctionnement dans une juridiction, vous ne convoquez pas le Premier président ou le procureur général ; vous interpellez le garde des sceaux, qui doit vous répondre. Voilà le débat de fond !
Il importe donc de ne pas déséquilibrer l’édifice actuel par inadvertance, en supprimant l’autorité du garde des sceaux sur le parquet ; il s’agit de penser notre architecture institutionnelle et le rôle du parquet à la française.
Pour ma part, je le répète, le Gouvernement n’est pas disposé à fragiliser cet édifice ; nous voulons le préserver de toutes les mises en cause. C’est pourquoi ce projet de réforme constitutionnelle devient urgent : nous voyons bien que chaque décision de la Cour européenne des droits de l’homme soulève la question de l’appartenance des magistrats du ministère public à l’autorité judiciaire et de leur indépendance. Oui, ils sont indépendants dans leurs décisions juridictionnelles, mais c’est le Gouvernement qui répond de la politique pénale et du fonctionnement de l’institution.
Pour toutes ces raisons, j’émets, à regret mais sans états d’âme, un avis défavorable sur ces deux amendements.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote.
M. Michel Mercier. Nous arrivons à un point important du débat et je veux expliquer pourquoi je ne voterai pas les amendements de M. Mohamed Soilihi. Ces derniers constituent, à mon sens, des faux-semblants : ils ne répondent pas à la question qui se pose à nous. D’ailleurs, notre collègue le sait parfaitement, puisqu’il indique que, ne pouvant aller plus loin, il nous faut au moins faire un tout petit pas.
Aujourd'hui, la position de la France devant la Cour européenne des droits de l’homme est fragilisée. Celle-ci considère en effet, à tort ou à raison – peu importe, elle est souveraine –, que le parquet français n’est pas indépendant et ne relève pas de l’autorité judiciaire.
Le Conseil constitutionnel, à plusieurs reprises, et la chambre criminelle de la Cour de cassation, sur les réquisitions de M. Marc Robert dans le cadre d’une affaire située à La Réunion, se sont pourtant prononcés de façon particulièrement claire : les membres du parquet sont bien des magistrats.
Il nous appartient donc, en tant que détenteurs du pouvoir constituant dérivé, si j’ose dire, de perfectionner un système aujourd'hui imparfait et de rendre indépendants les membres du parquet, en faisant en sorte que le Président de la République les nomme après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature.
Madame la garde des sceaux, je vous l’ai dit en 2013 et je le répète aujourd'hui. Je ne changerai pas de position, parce que ce sujet est trop sérieux. La France a été trop souvent condamnée à Strasbourg sur ce fondement ; c’est injuste, mais c’est ainsi. Comme la plupart de mes collègues, je tiens au modèle français du parquet, parce qu’il constitue une garantie essentielle de la liberté individuelle. Nous sommes l’un des rares pays où, dès que quelqu'un est placé en garde à vue, un magistrat – le procureur de la République – exerce son contrôle. Dans d’autres pays, que l’on présente toujours comme exemplaires en matière de défense de la liberté individuelle, tel le Royaume-Uni, il peut se passer plusieurs jours, voire semaines, avant qu’un juge ne connaisse de la situation de la personne placée en garde à vue.
Je considère que l’un des rôles essentiels du Sénat, l’une des justifications du bicamérisme, c’est la défense des libertés individuelles. Ce rôle, nous avons ici l’occasion parfaite de le jouer.
L’amendement que nous avons adopté n’avait pas pour objet de s’opposer à la réforme proposée par le Gouvernement…
Mme la présidente. Votre temps de parole est épuisé, mon cher collègue.
M. André Reichardt. Mais c’est important !
M. Michel Mercier. Je vais donc m’arrêter, madame la présidente, puis redemander la parole. Ainsi, le compteur sera remis à zéro !
Mme la présidente. Ce n’est pas possible, vous le savez, mon cher collègue.
M. Michel Mercier. Il faudrait tout de même que notre règlement nous permette de faire notre travail !
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. J’irai dans le même sens que notre collègue Michel Mercier.
Madame le ministre, vous semblez minimiser l’importance du texte portant révision constitutionnelle adopté en juillet 2013 par la Haute Assemblée. Or on ne peut à la fois considérer cette réforme comme mineure et affirmer que le maintien de la qualité de magistrat des membres du parquet français au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme est une exigence majeure !
Mon inquiétude a été quelque peu atténuée quand je vous ai entendue dire que cette réforme est néanmoins urgente. Dès lors, je voudrais savoir quelle est votre conception de l’urgence. Il me paraît assez simple, pour le Gouvernement, qui a su mobiliser très rapidement le Sénat pour examiner toutes affaires cessantes, la semaine dernière, un projet de loi constitutionnelle autorisant la ratification de la Charte européenne des langues régionales et minoritaires, de recourir aux ressources de la procédure pour hâter la discussion d’un texte constitutionnel auquel il attache un intérêt majeur !
Puisque les amendements de notre collègue Thani Mohamed Soilihi sont déposés à défaut d’une révision constitutionnelle et semblent prendre acte que celle-ci ne verra pas le jour dans un avenir prévisible, je vous demande, madame le ministre, à quoi correspond l’urgence affirmée par le Gouvernement. Quand l’Assemblée nationale sera-t-elle saisie du texte voté par le Sénat voilà un peu plus de deux ans, afin que s’accomplisse enfin votre souhait d’assurer l’indépendance du parquet par un mode de nomination que nous approuvons tous, ce qui permettra de maintenir la qualité de magistrat pour les membres du parquet ? Qu’est-ce qui pourrait encore faire obstacle à cette révision ?
J’ai bien compris que vous renvoyez la balle aux différents groupes de notre assemblée, mais vous avez pu constater qu’il existe entre nous un très large accord sur la nécessité de cette révision constitutionnelle. Madame le garde des sceaux, nous l’avons vu la semaine dernière au Sénat, vous savez très bien présenter un texte devant une assemblée en sachant que vous risquez de ne pas être suivie : qu’attendez-vous donc pour le faire à l’Assemblée nationale ? (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur certaines travées de l'UDI-UC.)
M. André Reichardt. Bravo !
M. Loïc Hervé. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Qu’il s’agisse de la création du procureur général de la nation évoquée précédemment ou de la question de l’indépendance des magistrats du parquet, je n’entrerai pas dans ce jeu du chat et de la souris. Pour moi, la seule chose qui importe est de savoir quelle sera la légitimité démocratique de ces gens investis d’un énorme pouvoir. À qui le procureur général de la nation ou les procureurs « nouvelle formule » rendront-ils des comptes ? N’en rendront-ils jamais ? Tel est le fond du débat ! Il me semble inutile de le poursuivre tant que l’on n’aura pas trouvé une solution permettant de concilier l’indépendance réelle des magistrats du parquet dans les faits et la capacité à rendre des comptes.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le président de la commission des lois, vous vous offusquez du retard pris par l’examen du texte de révision constitutionnelle adopté par le Sénat.
M. André Reichardt. C’était une simple question !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je n’ai jamais dit qu’il s’agissait d’une réforme mineure ; j’ai dit qu’elle était minimale, ce qui est différent ! Quand je dis que M. Mercier a écrêté le projet du Gouvernement, cela signifie qu’il a abaissé le niveau d’ambition que traduisait celui-ci ! Je ne porte pas de jugement de valeur sur l’amendement dit « Mercier » qui a été adopté par le Sénat : simplement, l’alignement du régime disciplinaire et l’exigence d’un avis conforme du CSM pour les propositions de nomination du garde des sceaux concernant le ministère public appartiennent déjà à la pratique. Il me semble possible d’aller au-delà, de concevoir une réforme plus ambitieuse du Conseil supérieur de la magistrature. C’est pourquoi le projet du Gouvernement comportait d’autres dispositions, notamment la possibilité d’autosaisine du CSM, qui ne semble pas non plus poser de difficulté, puisque c’est un oubli survenu lors de la réforme constitutionnelle de 2008 qui a privé le CSM de ce pouvoir.
C’est pourquoi j’ai parlé d’une réforme « minimale » à propos de celle de 2013, mais, pour moi, toute réforme constitutionnelle est majeure, car il s’agit de modifier la loi fondamentale.
La présidence de la formation plénière du CSM et les conditions de nomination des personnalités qualifiées constituaient d’autres points de profonde divergence.
Au cours des années passées est né, au sein de la société, un sentiment de défiance à l’égard de l’institution judiciaire. L’une des réponses consistait à créer les conditions nécessaires pour que les magistrats n’apparaissent pas – ils ne le sont pas en réalité – comme étant dans la main du pouvoir. Ainsi, nous avions proposé de supprimer la disposition, introduite en 2008 dans la Constitution, selon laquelle le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat désignent chacun deux personnalités qualifiées. C’était un élément important du projet gouvernemental. Vous vous y êtes opposés avec force et constance.
M. Michel Mercier. Oui !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pour la désignation des personnalités qualifiées, nous avions proposé la mise en place d’un collège.
De même, vous vous êtes opposés à ce que la présidence de la formation plénière du CSM soit confiée à une personnalité qualifiée, comme nous l’avions également proposé, tout en laissant les formations disciplinaires sous l’autorité du Premier président de la Cour de cassation ou du procureur général près celle-ci, afin de mettre de la distance entre l’exécutif et la magistrature.
Telles sont les raisons qui m’amènent à dire que l’amendement Mercier a écrêté la réforme, qui, sans être mineure, est devenue de moindre portée.
Pour ce qui concerne la notion d’urgence, monsieur le président de la commission des lois, je pourrais vous rétorquer qu’un projet de révision constitutionnelle dont l’une des dispositions devait permettre la ratification de la Charte européenne des langues régionales ou minoritaires avait été déposé dès le mois de février 2013 ; il n’y a donc pas eu de précipitation de notre part. Je rappelle que cette charte, que vous avez refusé de ratifier, a été signée en 1999 : on voit que, pour certains, la notion d’urgence peut être extrêmement souple, pour ne pas dire élastique ! (MM. Yves Détraigne et Michel Mercier sourient.)
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous assumons qu’il n’était pas urgent de ratifier cette charte !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. En tout état de cause, j’ai fait savoir très clairement, à la demande d'ailleurs du Président de la République, qui s’y était engagé publiquement, que le projet de loi constitutionnelle que vous avez voté devrait poursuivre son parcours législatif. L’Assemblée nationale en a été saisie et je souhaite qu’elle nous propose très rapidement une date pour son examen.
Monsieur le président de la commission des lois, vous savez bien que, par courtoisie et par respect, j’ai déjà consulté à deux ou trois reprises plusieurs membres du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC sur ce projet de réforme constitutionnelle, afin de savoir si l’on pouvait envisager un accord à propos, par exemple, de la désignation à la majorité des trois cinquièmes des personnalités qualifiées ou de la présidence de la formation plénière du CSM.
Voilà pourquoi je me suis permis de vous demander, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur Mercier, si vos paroles avaient bien valeur d’engagement collectif sur l’adoption du texte, au moins tel qu’issu des travaux du Sénat en juillet 2013, adoption qui nécessite une majorité des trois cinquièmes. J’estime qu’un tel dialogue entre l’exécutif et le législatif est de bonne méthode.
Mesdames, messieurs les sénateurs, veuillez m’excuser d’avoir été trop longue. Je vous promets d’être beaucoup plus raisonnable dans la suite du débat !
Mme la présidente. Monsieur Mohamed Soilihi, les amendements nos 19 rectifié et 18 rectifié sont-ils maintenus ?
M. Thani Mohamed Soilihi. Le débat a eu lieu, même au-delà de mes espérances. À entendre les uns et les autres, il semble que l’on pourrait parvenir à un accord sur cette réforme constitutionnelle. M. le rapporteur a parlé de partager le plat de résistance : je proposais pour ma part un dessert (Sourires.), mais, puisque personne n’en veut, je retire mes amendements.
Mme la présidente. Les amendements nos 19 rectifié et 18 rectifié sont retirés.
L'amendement n° 20 rectifié, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Avant l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les articles 58-1 à 66 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature sont abrogés.
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Compte tenu de la discussion que nous venons d’avoir, je retire également cet amendement, qui va dans le même sens que les précédents.
Mme la présidente. L’amendement n° 20 rectifié est retiré.
L'amendement n° 2 rectifié, présenté par M. Reichardt, Mme Imbert, MM. D. Laurent, Longuet et G. Bailly, Mmes Di Folco et Gruny, MM. Vogel et César, Mme Deromedi, M. Dufaut, Mme Lamure et MM. Laménie, Mouiller, B. Fournier, Laufoaulu, Houpert, Masclet et Milon, est ainsi libellé :
Avant l’article 7
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature est ainsi modifiée :
1° Après la première phrase du deuxième alinéa de l’article 28, est inséré une phrase ainsi rédigée :
« En cas d’avis défavorable, la nomination d’un magistrat du parquet ne peut intervenir que si, au terme d’un nouvel examen, l’avis n’est pas confirmé à la majorité des deux tiers. » ;
2° L’article 38 est complété par une phrase ainsi rédigée :
« En cas d’avis défavorable, la nomination d’un magistrat du parquet ne peut intervenir que si, au terme d’un nouvel examen, l’avis n’est pas confirmé à la majorité des deux tiers. »
La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. J’ai expliqué tout à l'heure, lors de mon intervention en discussion générale, que j’avais déposé le présent amendement dans l’attente que le processus de révision constitutionnelle engagé puis suspendu en 2013 aboutisse.
Cet amendement a pour objet de garantir l’indépendance des magistrats du parquet et, à travers elle, celle de l’institution judiciaire. En réalité, il s'agit essentiellement, dans mon esprit, d’un amendement d’appel, à destination de Mme la garde des sceaux.
Je dois avouer que, à l’issue du débat que nous venons d’avoir, je ne sais plus très bien où nous pourrons aller ensemble…
Cela dit, je confirme, à la suite de M. le président de la commission des lois, qu’il y a urgence à régler cette question, car la Cour européenne des droits de l’homme ne manque pas une occasion de dénier aux membres du parquet français la qualité de magistrat.
Puisque le consensus souhaité ne paraît plus du tout certain, je propose d’adopter cet amendement, qui constitue une solution intermédiaire, temporaire, au problème.
Il s’agirait de prévoir un nouvel examen en cas d’avis défavorable du CSM pour la nomination d’un magistrat du parquet. Celle-ci ne pourrait intervenir que si, au terme de ce nouvel examen, l’avis défavorable n’est pas confirmé à la majorité des deux tiers.
J’ai le sentiment que l’adoption d’une telle disposition nous permettrait d’avancer. Compte tenu du petit nombre d’avis défavorables et du nombre encore plus faible de ceux auxquels il est passé outre par l’autorité de nomination, sa portée serait essentiellement symbolique ; cette modification du régime de nomination des magistrats du parquet constituerait un alignement du droit sur le fait.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Mon cher collègue, je crains que votre proposition, animée par un réel souci de faire progresser l’indépendance du parquet, ne se heurte à de sérieux arguments de constitutionnalité.
En effet, en prévoyant qu’il ne peut être passé outre à un avis négatif du CSM que si cet avis n’est pas confirmé par un second avis, rendu à la majorité des deux tiers, vous donnez de facto au CSM un pouvoir de blocage en matière de nomination des magistrats du parquet.
Or une telle prérogative est contraire à la lettre de l’article 65 de la Constitution, qui différencie le pouvoir d’avis conforme dont le CSM dispose pour la nomination des magistrats du siège du pouvoir d’avis simple qu’il exerce pour celle des magistrats du parquet.
Par conséquent, je sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, la commission émettra un avis défavorable.
J’ajoute que, par sa nature même, le présent projet de loi organique donnera lieu à un contrôle obligatoire du Conseil constitutionnel. Il me paraîtrait quelque peu dommageable pour l’image du Sénat, qui est en pointe sur ces questions, que le texte que nous aurons voté soit censuré. Je me permets d’insister sur ce point.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, je pense que le débat qui a eu lieu devrait plutôt vous rassurer : il montre tout de même une convergence sur la nécessité de procéder à des modifications qui stabiliseront le parquet à la française et d’apporter à la CEDH toutes les garanties qu’elle réclame.
Pratiquement, nous proposons de consacrer dans la Constitution la nécessité d’un avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature. Cependant, cette disposition n’a pas sa place dans le présent projet de loi organique, car elle est de nature constitutionnelle.
C’est pour cette seule raison que je sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Reichardt, l'amendement n° 2 rectifié est-il maintenu ?
M. André Reichardt. Je souhaitais entendre Mme la ministre exprimer sa volonté de relancer l’examen du projet de loi constitutionnelle suspendu depuis juillet 2013, dans la rédaction résultant de l’amendement Mercier, qui nous convient bien. Dans ce cas, je suis prêt à retirer mon amendement.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Mais le faites-vous ?
M. André Reichardt. J’aimerais avoir une dernière confirmation de Mme la ministre… (Sourires.)
M. Jacques Bigot. C’est un retrait conditionnel !
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, je vous confirme mon souhait que cette réforme suive son cours. J’ai simplement fait remarquer que notre ambition était plus large, plus ample. C’est tout ! Le projet du Gouvernement contenait les dispositions du texte qui a été adopté par le Sénat, ainsi que quelques autres.
Si nous ne parvenons pas à obtenir l’adhésion des trois cinquièmes des membres du Parlement sur un texte plus ambitieux, il me paraît indispensable de conduire au moins la réforme minimale élaborée par le Sénat. Le Gouvernement n’a aucune réticence à cet égard.
M. André Reichardt. Je retire l’amendement !
Mme la présidente. L'amendement n° 2 rectifié est retiré.
Article 7
(Non modifié)
Le deuxième alinéa de l’article 1er de l’ordonnance n° 58-1136 du 28 novembre 1958 portant loi organique concernant les nominations aux emplois civils et militaires de l’État est ainsi rédigé :
« À l’emploi de procureur général près la Cour des comptes. »
Mme la présidente. L'amendement n° 43, présenté par M. Mercier, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Depuis une demi-heure, nous expliquons tous, y compris Mme la ministre, qu’il faut sortir des faux-semblants, décider soit de faire cette réforme, soit de ne pas la faire.
Or, au travers de l’article 7, le Gouvernement prévoit de supprimer la nomination des procureurs généraux en conseil des ministres. Aux termes de l’étude d’impact, « la suppression de la désignation des procureurs généraux en Conseil des ministres permettra de renforcer, à tout le moins sur le plan symbolique puisque le Conseil supérieur de la magistrature rend déjà un avis sur leur nomination, l’indépendance de ces hauts magistrats du parquet ».
Il s’agit donc, grosso modo, de faire prendre des vessies pour des lanternes ! Là encore, se pose la question de savoir si nous faisons la réforme ou si nous ne la faisons pas.
Je rappelle à Mme la garde des sceaux, qui a raison de vouloir prendre beaucoup de précautions, que la réforme constitutionnelle de 2008 a été votée à une voix de majorité, qu’une foule de parlementaires, de toutes sensibilités, se targuent d’avoir apportée… Je suis bien placé pour savoir ce qu’il en est, mais c’est une autre question !
Si vous voulez faire cette réforme, madame la garde des sceaux, faites-la pour de bon ! Les arguments que vous avancez pour défendre l’article 7 m’obligent à en demander la suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. La commission comprend la position de notre collègue Mercier, auteur d’un amendement permettant de régler définitivement le problème du parquet à la française, conformément à nos souhaits et à ceux des instances européennes.
Dès lors que le Gouvernement ne veut pas de cette solution, pourquoi accepterions-nous la mesure de l’article 7 ? Toutefois, pour symbolique qu’elle soit, la suppression de l’exigence d’une délibération en conseil des ministres des décrets de nomination des procureurs généraux est soutenue par le corps judiciaire, comme l’ont fait apparaître les auditions que nous avons menées.
C'est la raison pour laquelle, mon cher collègue, je vous suggère de retirer votre amendement, d’autant que Mme la ministre nous a assuré tout à l’heure que tout serait mis en œuvre pour que le dispositif de l’amendement que j’ai évoqué en préambule soit un jour transcrit dans notre Constitution.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je crois que M. Mercier a l’intention de retirer cet amendement…
M. Michel Mercier. Je n’ai rien dit ! Je préfère d’abord prendre le temps de vous écouter, madame la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Oui, cette mesure a une dimension symbolique, mais les symboles ne sont pas à négliger, en particulier s’agissant de l’institution judiciaire. Lors de la discussion générale, j’ai dit qu’il fallait non seulement assurer l’indépendance et l’impartialité effectives des magistrats, mais aussi faire percevoir à la société cette indépendance et cette impartialité.
Dans une société, il y a des codes, des implicites, des repères. C'est la raison pour laquelle les symboles et le décorum sont importants dans l’institution judiciaire, qui assume une mission fondamentale.
À nos yeux, garantir l’indépendance par rapport au pouvoir politique des procureurs généraux, dont le rôle est de mettre en œuvre la politique pénale du Gouvernement dans le territoire de leur ressort, et la donner à voir à la société a du sens et du poids.
C’est la raison pour laquelle je vous suggère de retirer votre amendement, monsieur Mercier.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Mercier, pour explication de vote.
M. Michel Mercier. Je dois malheureusement dire que les arguments de M. le rapporteur et de Mme la ministre ne me convainquent guère.
Toutefois, il est un autre argument, que ni l’un ni l’autre n’ont utilisé, qui justifie le retrait de mon amendement.
Les cours d’appel sont dirigées par une dyarchie : le premier président n’est pas nommé en conseil des ministres, tandis que le procureur général l’est, ce qui crée un déséquilibre. Pour y remédier, il convient que les mêmes modalités de nomination s’appliquent à ces deux magistrats. C'est la raison pour laquelle je retire mon amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 43 est retiré.
Je mets aux voix l'article 7.
(L'article 7 est adopté.)
Article 8
(Non modifié)
Au deuxième alinéa de l’article 2 de l’ordonnance n°58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, le mot : « cinq » est remplacé par le mot : « sept ». – (Adopté.)
Article additionnel après l'article 8
Mme la présidente. L'amendement n° 23, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 8
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 2 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, il est inséré un article 2-1 ainsi rédigé :
« Art. 2-1. – La mobilité ou l’avancement d’un magistrat nommé dans une juridiction outre-mer ne peut souffrir aucune restriction consécutive à ce choix. »
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. La règle « outre-mer sur outre-mer ne vaut » est une règle prétorienne fixée par le Conseil supérieur de la magistrature et réaffirmée dans chacun de ses rapports. Sa mise en œuvre se concrétise par l’avis défavorable qu’émet le CSM sur les propositions de nomination dans une juridiction ultramarine de magistrats déjà en poste en outre-mer. Ces derniers, lorsqu’ils souhaitent changer d’affectation ou réaliser une promotion, doivent en principe demander un poste en métropole. Toute mobilité géographique en équivalence ou en avancement dans une juridiction ultramarine, même distante de plusieurs milliers de kilomètres de celle où il exerce, est fermée à un magistrat en poste outre-mer.
Le Conseil supérieur de la magistrature accepte des dérogations à cette règle pour des motifs graves, familiaux ou de santé, ou pour des impératifs de bonne administration de la justice. Il tient ainsi compte de la nécessité, pour le garde des sceaux, dans l’exercice de son pouvoir de proposition, de faire face à une pénurie de candidats pour certains postes.
Le Conseil supérieur de la magistrature affirme avec constance que « le respect de cette règle permet d’assurer les conditions d’un bon exercice des fonctions juridictionnelles hors de la métropole ».
Quant au Conseil d’État, il consacre également cet adage en énonçant, dans un arrêt du 29 octobre 2013, que « le Conseil supérieur de la magistrature s’attache, au titre de sa mission générale d’avis sur les nominations des magistrats du siège, à promouvoir la mutation ou la promotion en métropole des magistrats en poste dans les départements et collectivités d’outre-mer afin d’assurer le bon fonctionnement des juridictions, tout en prenant en compte les impératifs liés à la situation personnelle du magistrat ou aux considérations de bonne administration de la justice ».
Cette règle signifie-t-elle que le magistrat qui poursuit une carrière outre-mer perd sa capacité à exercer son métier avec compétence et impartialité ? Considère-t-on que les magistrats exerçant outre-mer n’appliquent pas le droit avec compétence et rigueur ? Qu’ils prennent de mauvaises habitudes d’exercice professionnel, au point qu’un retour régulier en métropole soit indispensable afin de leur permettre de se corriger avant de rejoindre une nouvelle affectation ultramarine ?
Cette règle, que l’on peut qualifier de discriminatoire, a pour effet de nuire à une exigence déontologique des magistrats, à savoir l’exigence de mobilité géographique, laquelle constitue pourtant, selon les termes mêmes du Conseil supérieur de la magistrature, une garantie d’impartialité du magistrat.
Nous proposons donc d’abroger la règle « outre-mer sur outre-mer ne vaut », ce qui aurait pour conséquence de garantir la qualité des magistrats exerçant outre-mer ayant acquis une expérience des règles spécifiques qui y sont appliquées, de permettre la mobilité géographique des magistrats et de pourvoir les postes dans les juridictions ultramarines désertées.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Cet amendement vise à promouvoir la mobilité géographique des magistrats exerçant outre-mer, en créant un régime dérogatoire d’avancement et de mobilité.
En effet, la politique de mobilité à l’intérieur de la magistrature n’encourage pas, par principe, la mobilité d’une juridiction située outre-mer à une autre.
Cette restriction s’explique par la volonté de permettre une mobilité géographique des magistrats. Il est préférable de repasser par un poste en métropole avant d’obtenir un nouveau poste outre-mer.
Néanmoins, les services de la chancellerie m’ont informé que la pratique actuelle prévoit d’ores et déjà qu’aucune restriction ne soit opposée aux magistrats déjà en poste en outre-mer souhaitant présenter leur candidature à un poste pour lequel il n’y a pas d’autres candidats.
Par ailleurs, cet amendement présente à mon sens quelques difficultés d’ordre constitutionnel en ce que son adoption créerait une inégalité entre les magistrats candidats à une mobilité en métropole et ceux candidats à une mobilité en outre-mer. Or un manque d’attractivité ne peut justifier à lui seul de déroger aux principes qui régissent tous les magistrats candidats à une mobilité ou à un avancement.
La première partie de mon propos constitue bien évidemment la principale raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement vous demande de bien vouloir retirer votre amendement, monsieur le sénateur.
Je comprends votre préoccupation : il existe effectivement un problème d’attractivité – je n’aime pas ce terme, mais c’est celui que l’on emploie généralement – des postes outre-mer.
La règle « outre-mer sur outre-mer ne vaut » est une règle de gestion des ressources humaines qui n’a sa place ni dans la Constitution, ni dans une loi organique, ni même dans une loi ordinaire.
Ce problème d’attractivité des outre-mer se traduit souvent par un manque de candidats. En revanche, certains magistrats souhaitent faire carrière outre-mer.
Depuis que je suis garde des sceaux, je veille à ce que les conditions de mise en œuvre de la loi soient les mêmes partout, la loi exprimant la volonté générale. Des problèmes d’attractivité se posent aussi dans l’Hexagone : nous avons beaucoup de mal à pourvoir des postes de magistrat, tant du siège que du ministère public, dans certaines juridictions.
Nous répondons aux difficultés constatées outre-mer d’abord en faisant preuve de souplesse dans la mise en œuvre de cette règle « outre-mer sur outre-mer ne vaut ».
Ensuite, j’ai lancé une campagne de sensibilisation voilà un peu plus deux ans. Pour faire évoluer la perception que les auditeurs de justice pouvaient avoir de ces territoires, j’ai demandé à des magistrats ayant exercé outre-mer d’intervenir à l’École nationale de la magistrature. Cette amélioration de la connaissance des outre-mer a porté ses fruits : dès la deuxième année, des élèves classés parmi les vingt premiers au terme du cursus ont demandé une affectation outre-mer, alors que ces postes n’étaient habituellement demandés que par les derniers.
Il est important de faire savoir que les outre-mer ne sont pas seulement des territoires lointains et compliqués : ce sont aussi des lieux où les réalités sociologiques et culturelles induisent des problématiques intéressantes, en matière tant pénale que civile. L’insertion des territoires ultramarins dans leurs bassins régionaux ouvre la possibilité de s’enrichir culturellement, de développer des relations et des action de coopération.
Cela étant, il faut admettre qu’une affectation outre-mer peut entraîner un bouleversement familial pour les magistrats, jeunes ou expérimentés. Par conséquent, nous veillons à ce que les demandes de retour dans l’Hexagone de magistrats ayant servi dans un outre-mer soient considérées avec une attention particulière. Cela relève non pas d’un préjugé selon lequel leur séjour outre-mer aurait conduit à une altération de leur rapport à la justice, mais d’une prise en considération de la réalité objective du service outre-mer pour ces magistrats.
Par ailleurs, nous nous attachons à susciter des vocations de magistrat parmi les étudiants d’outre-mer. Par exemple, des conventions ont été signées entre l’École nationale de la magistrature et les universités d’outre-mer pour mettre en place des tutorats, en vue d’inciter les bons étudiants en droit à envisager la carrière de la magistrature.
Je comprends vos préoccupations, qui sont fondées, monsieur le sénateur. Il est vrai qu’à Mayotte, en particulier, la situation est très difficile : tant pour les magistrats que pour les greffiers, nous sommes souvent confrontés à des problèmes en matière d’affectation. Nous souhaitons pour autant respecter le principe d’égalité, car la loi doit être la même pour tous et partout.
Mme la présidente. Monsieur Mohamed Soilihi, l’amendement n° 23 est-il maintenu ?
M. Thani Mohamed Soilihi. J’aurais aimé faire plaisir à la fois à M. le rapporteur et à Mme la garde des sceaux, que j’apprécie tous deux particulièrement, mais je demande qu’il soit mis fin à une discrimination liée à une règle non écrite, prétorienne, dont nous savons tous qu’elle est appliquée, sauf exceptions.
Je n’ai pas été convaincu par les arguments de la ministre et du rapporteur. Je maintiens donc cet amendement, pour que chacun prenne ses responsabilités par son vote.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard, pour explication de vote.
M. Alain Richard. J’entends tout à fait l’argument de Mme la garde des sceaux selon lequel appliquée strictement à la sous-catégorie des magistrats nommés outre-mer cette disposition aurait un caractère d’exception et ne serait pas, en outre, de niveau organique.
En revanche, il semble bien exister des mécanismes de gestion qui encadrent, voire limitent, les possibilités de mobilité après une première affectation outre-mer.
Ne serait-il pas judicieux de rectifier l’amendement en retirant les termes « nommé dans une juridiction outre-mer », pour énoncer simplement le principe que, en mobilité ou en avancement, la nouvelle affectation d’un magistrat ne peut être conditionnée par son affectation antérieure ? Une telle règle, qui s’appliquerait à tout le monde, me paraît conforme au principe d’indépendance.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Pardonnez-moi de dire les choses franchement, peut-être un peu brutalement.
M. Thani Mohamed Soilihi. Allez-y !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Les conditions d’affectation dans les outre-mer, tant dans la magistrature que dans le reste de la fonction publique, sont particulières, vous le savez. Certains enchaînent les postes outre-mer, d’autres choisissent d’y prendre leur retraite… Une disposition visant ces derniers a été prise voilà trois ans.
M. François Pillet, rapporteur. En effet.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cette réalité ne doit pas fonder une doctrine d’affectation dans les outre-mer, mais on ne peut pas l’esquiver : la suggestion faite par M. Alain Richard ne me le permet pas !
On m’indique que l’adoption de l’amendement rectifié dans le sens suggéré par M. Richard, qui concerne une règle administrative de gestion des ressources humaines, pourrait être difficilement conciliable avec d’autres règles importantes, le terme « mobilité » pouvant par exemple également concerner les passages entre siège et parquet.
Monsieur le sénateur, j’entends vos préoccupations, mais je vous propose une nouvelle fois de retirer votre amendement.
M. François Pillet, rapporteur. La question n’est pas mûre.
Mme la présidente. Monsieur Mohamed Soilihi, maintenez-vous finalement l’amendement n° 23 ?
M. Thani Mohamed Soilihi. J’entends les réserves émises par Mme la garde des sceaux, mais je laisse au Sénat le soin de se prononcer sur mon amendement.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 23.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 9
(Non modifié)
L’article 3-1 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Le neuvième alinéa est ainsi modifié :
a) Après le mot : « nommés », la fin de la première phrase est ainsi rédigée : « à l’un des tribunaux de grande instance du ressort de la cour d’appel à laquelle ils sont rattachés. » ;
b) La deuxième phrase est ainsi modifiée :
- Après les mots : « premier vice-président adjoint, », sont insérés les mots : « premier vice-président chargé de l’instruction, premier vice-président chargé des fonctions de juge des enfants, premier vice-président chargé de l’application des peines, premier vice-président chargé du service d’un tribunal d’instance, premier vice-président chargé des fonctions de juge des libertés et de la détention » ;
- À la fin, les mots : « ou premier vice-procureur de la République des tribunaux de grande instance » sont remplacés par les mots : « premier vice-procureur de la République des tribunaux de grande instance ou premier vice-procureur de la République financier près le tribunal de grande instance de Paris » ;
2° À la deuxième phrase de l’avant-dernier alinéa, les mots : « celle des deux juridictions mentionnées » sont remplacés par les mots : « l’un des tribunaux de grande instance mentionnés ».
Mme la présidente. L’amendement n° 49, présenté par M. Pillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Supprimer les mots :
, premier vice-président chargé des fonctions de juge des libertés et de la détention
La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination avec la réforme proposée pour le mode de nomination du juge des libertés et de la détention.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement s’en remet à la sagesse du Sénat, dans la mesure où il est opposé à la modification proposée par la commission concernant le mode de nomination du juge des libertés et de la détention.
Mme la présidente. L'amendement n° 24, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 7
Remplacer cet alinéa par trois alinéas ainsi rédigés :
2° L’avant-dernier alinéa est ainsi modifié :
a) À la première phrase, le mot : « six » est remplacé par le mot « huit » ;
b) À la deuxième phrase, les mots : « celle des deux juridictions mentionnées » sont remplacés par les mots : « l’un des tribunaux de grande instance mentionnés » et le mot « sixième » est remplacé par le mot « huitième ».
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Cet amendement a pour objet d’allonger de deux années la possibilité, pour un magistrat, d’exercer, sur l’ensemble de sa carrière, les fonctions de magistrat placé. Un tel allongement constitue un moyen de pallier la désaffection pour cette fonction, en répondant aux besoins des juridictions et au souhait de certains magistrats de l’exercer au-delà de la limite de six ans sur l’ensemble de la carrière, limite qui apparaît parfois trop restrictive. Des magistrats qui ont déjà exercé ces fonctions peuvent en effet solliciter une nouvelle nomination sur de tels postes pour favoriser le développement de leur carrière, afin notamment d’accéder plus rapidement au premier grade, pour obtenir, à la suite par exemple de changements survenus sur le plan personnel, un poste dans une cour d’appel particulièrement demandée ou tout simplement par choix, ces fonctions donnant droit, sous certaines conditions, au remboursement des frais engagés à un taux de prime forfaitaire fixé à 39 %.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. L’amendement a pour objet d’étendre de six à huit ans la durée pendant laquelle un magistrat est autorisé à exercer les fonctions de magistrat placé.
Ces fonctions sont particulièrement utiles, parce qu’elles permettent de répondre temporairement aux problèmes de vacance de postes.
Toutefois, l’emploi de magistrat placé constitue une atteinte au principe de l’inamovibilité des magistrats du siège. Certes, un magistrat ne peut occuper cette fonction que s’il y consent, mais, lorsqu’il a accepté d’être placé auprès des juridictions d’une cour d’appel, il revient au seul chef de cour de décider discrétionnairement de l’emploi qu’il occupera dans le ressort de la cour.
C’est la raison pour laquelle le législateur organique a limité strictement la durée d’exercice de cette fonction. D’ailleurs, en 2011, le Sénat avait refusé, sur l’initiative de notre collègue Jean-Yves Leconte, que cette durée soit allongée.
Faut-il passer de six à huit ans ? Je suis assez réservé sur ce point. Je rappelle que, pour attirer des magistrats dans cette fonction, l’ordonnance statutaire leur garantit une priorité d’affectation dans le ressort de la cour d’appel à partir de deux ans d’exercice. Les intéressés cherchent à en profiter le plus rapidement possible, afin de progresser dans leur carrière. Il est rare qu’un magistrat exprime le vœu de rester magistrat placé plus de six ans. Ceux qui souhaiteront le rester huit ans seront encore plus rares, à moins de développer une stratégie consistant à être successivement magistrat placé pendant deux ou trois ans, afin de bénéficier à chaque fois de la priorité d’affectation. Je ne suis pas certain qu’il faille encourager ce genre de stratégies… J’émets donc un avis plutôt défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’avis du Gouvernement est plutôt favorable…
J’ai écouté les arguments du rapporteur avec la plus grande attention ; ils révèlent son souci du bon fonctionnement de la magistrature.
Toutefois, l’adoption de l’amendement ne bouleverserait pas le fonctionnement des juridictions et des affectations sur ces postes, et il convient de tenir compte des besoins et des demandes des juridictions. En effet, plus les promotions de l’ENM sont importantes, plus nous créons de postes et plus il y a de postes vacants, la formation des magistrats durant trente et un mois. Nous commençons toutefois à recueillir les fruits des efforts consentis, puisque nous enregistrons en 2015 pour la première fois un solde positif en termes d’arrivées effectives dans les juridictions.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 9, modifié.
(L'article 9 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 9
Mme la présidente. L'amendement n° 63, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Après l’article 9
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au deuxième alinéa de l'article 6 de la même ordonnance, le mot : « religieusement » est supprimé.
La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il s’agit d’harmoniser la formulation du serment prêté par les magistrats de l’ordre judiciaire avec celle du serment des magistrats des juridictions financières, en supprimant l’adverbe « religieusement ». Cette formulation, fixée par l’article 6 de l’ordonnance statutaire du 22 décembre 1958, qui n’a pas été modifié depuis, est la suivante : « Je jure de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder religieusement le secret des délibérations et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat. »
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. La commission n’a pu examiner cet amendement, qui a été déposé tardivement ; c’est donc un avis purement personnel que je vais exprimer.
La suppression par coordination de l’adverbe « religieusement », qui ne figure plus dans le serment prêté par les autres magistrats, me choquerait d’autant moins que, si mes souvenirs sont bons, il a également disparu, à une certaine époque, du serment prêté par les avocats.
Il n’y aurait rien de choquant non plus à conserver ce mot, sa présence ne signifiant évidemment pas que le magistrat prête serment sur un quelconque texte religieux. L’adverbe « religieusement » renvoie plutôt à la dimension sacramentelle du serment. Il ne faut pas plus prêter de mauvaises intentions aux mots qu’aux êtres !
J’émets, à titre personnel, un avis favorable sur cet amendement, ne serait-ce que pour des raisons de coordination. Par ailleurs, toujours par coordination, il serait souhaitable de supprimer le même terme à l’article 20 de l’ordonnance statutaire, relatif au serment des auditeurs de justice. Je vous suggère donc, madame la ministre, de rectifier votre amendement en ce sens.
Mme la présidente. Madame la ministre, que pensez-vous de la rectification proposée par M. le rapporteur ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. J’y souscris et je rectifie mon amendement en ce sens, madame la présidente.
Mme la présidente. Je suis donc saisie d’un amendement n° 63 rectifié, présenté par le Gouvernement et ainsi libellé :
Après l’article 9
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Au deuxième alinéa de l’article 6 de la même ordonnance, le mot : « religieusement » est supprimé.
II.- Au troisième alinéa de l’article 20 de la même ordonnance, le mot : « religieusement » est supprimé.
Je le mets aux voix.
(L’amendement est adopté.)
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi organique, après l’article 9.
L’amendement n° 26, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 9
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le quatrième alinéa de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le magistrat intégré au titre des articles 22 et 23 nommé dans une juridiction d’outre-mer et effectuant son stage préalable sur le territoire métropolitain peut prêter serment devant la cour d’appel de sa résidence. »
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Cet amendement vise à régler les problèmes pratiques rencontrés pour recevoir les prestations de serment des magistrats intégrés nommés outre-mer qui souhaitent effectuer leur stage préalable dans l’Hexagone et veulent éviter le déplacement pour procéder à la prestation de serment devant leur cour d’appel d’affectation.
En effet, à compter de la parution du décret de nomination, les candidats à l’intégration au titre des articles 22 et 23 de l’ordonnance statutaire ont la qualité de magistrat et doivent prêter le serment prévu par l’article 6 de cette ordonnance, quand bien même ils sont soumis à un stage de six mois préalable à leur installation. Or la prestation de serment prévue par l’article 6 doit impérativement intervenir devant la cour d’appel d’affectation. Les magistrats intégrés nommés outre-mer sont donc actuellement contraints d’effectuer un aller-retour outre-mer uniquement pour prêter serment avant de commencer leur stage de six mois dans l’Hexagone. En outre, les frais occasionnés par ces trajets grèvent les budgets des cours d’appel concernées.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Il s’agit d’une mesure de bon sens. La commission émet un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Richard.
M. Alain Richard. Il faudrait ajouter deux virgules : l’une avant « nommé » et l’autre après « métropolitain ».
M. Alain Richard. Le droit, c’est aussi du français !
Mme la présidente. Monsieur Mohamed Soilihi, acceptez-vous cette suggestion de rectification ?
M. Thani Mohamed Soilihi. Oui, madame la présidente.
Mme la présidente. Je suis donc saisie d’un amendement n° 26 rectifié, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain, et ainsi libellé :
Après l’article 9
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le quatrième alinéa de l’article 6 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le magistrat intégré au titre des articles 22 et 23, nommé dans une juridiction d’outre-mer et effectuant son stage préalable sur le territoire métropolitain, peut prêter serment devant la cour d’appel de sa résidence. »
Je le mets aux voix.
(L’amendement est adopté.)
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi organique, après l’article 9.
Article 10
L’article 12-1 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est complété par les mots : « et à l’occasion d’une candidature au renouvellement des fonctions » ;
2° Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :
« Cette évaluation est précédée de la rédaction par le magistrat d’un bilan de son activité et d’un entretien avec le chef de la juridiction où le magistrat est nommé ou rattaché ou avec le chef du service dans lequel il exerce ses fonctions. S’agissant des juges de proximité et des magistrats exerçant à titre temporaire, elle est précédée d’un entretien avec, selon le cas, le président du tribunal de grande instance ou le magistrat du siège de ce tribunal chargé de l’administration du service du tribunal d’instance dans le ressort duquel est située la juridiction de proximité ou auprès duquel le magistrat exerçant à titre temporaire est affecté. L’évaluation est intégralement communiquée au magistrat qu’elle concerne. » ;
3° Après le même deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« L’autorité qui procède à l’évaluation prend en compte les conditions d’organisation et de fonctionnement du service dans lequel le magistrat exerce ses fonctions. S’agissant des chefs de juridiction, l’évaluation apprécie, outre leurs qualités juridictionnelles, leur capacité à gérer et à animer une juridiction. »
Mme la présidente. L’amendement n° 50, présenté par M. Pillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 4, deuxième phrase
1° Supprimer les mots :
dans le ressort duquel est située la juridiction de proximité ou
2 ° Après la deuxième occurrence du mot :
temporaire
insérer les mots :
ou le juge de proximité
La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur. L’adoption de cet amendement est rendue nécessaire par la suppression de la juridiction de proximité à compter de janvier 2017.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’adoption de cet amendement ne permettra pas de procéder à l’intégralité de la coordination souhaitée pour prendre en compte la suppression de la juridiction de proximité. En effet, l’entretien précédant l’évaluation ne pourra plus avoir lieu avec le magistrat chargé de l’administration du tribunal d’instance, mais avec le président du tribunal de grande instance.
J’émets cependant un avis favorable, sous réserve que la rédaction évolue au cours de la procédure législative.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’article 10, modifié.
(L’article 10 est adopté.)
Article 11
L’article 13 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi modifié :
a) Les mots : « au siège » sont remplacés par les mots : « dans le ressort » ;
b) Sont ajoutés les mots : « ou dans le ressort d’un tribunal de grande instance limitrophe » ;
2° (Supprimé)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 11.
(L'article 11 est adopté.)
Article additionnel après l’article 11
Mme la présidente. L’amendement n° 25, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Après l’article 11
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La dernière phrase du premier alinéa de l’article 27 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature est supprimée.
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. L’amendement a pour objet de supprimer de l’article 27 de l’ordonnance statutaire des dispositions qui deviennent inutiles eu égard aux nouvelles dispositions introduites par le présent projet de loi à l’article 36 de la même ordonnance. En effet, selon ces dernières, les magistrats non inscrits sur la liste établie chaque année par les chefs de cour de présentation en vue de l’inscription au tableau d’avancement pourront dorénavant saisir directement la commission d’avancement, ce qui est actuellement prévu à l’article 24 du décret statutaire du 7 janvier 1993.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Cet amendement établit une coordination avec les modifications introduites à l’article 36 de l’ordonnance statutaire. Avis favorable.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi organique, après l’article 11.
Article 12
(Non modifié)
L’article 27-1 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° À la seconde phrase du deuxième alinéa, les mots : « et organisations professionnelles » sont supprimés ;
2° À la première phrase et au début de la seconde phrase du dernier alinéa, les mots : « ne s’appliquent pas aux projets de nomination de substitut chargé du secrétariat général d’une juridiction. Elles » sont supprimés. – (Adopté.)
Article 13
(Non modifié)
La seconde phrase du deuxième alinéa de l’article 28 de la même ordonnance est complétée par les mots : « et aux magistrats exerçant les fonctions d’inspecteur des services judiciaires ». – (Adopté.)
Article 14
Après l’article 28-3 de la même ordonnance, il est inséré un article 28-4 ainsi rédigé :
« Art. 28-4. – Le juge des libertés et de la détention est un magistrat du siège exerçant la fonction de président, de premier vice-président ou de vice-président. Il est désigné par le président du tribunal de grande instance, après avis conforme de l’assemblée des magistrats du siège dans des conditions définies par décret en Conseil d’État.
« Le juge des libertés et de la détention peut être suppléé, y compris par un magistrat du siège n’exerçant pas les fonctions mentionnées au premier alinéa, en cas de vacance d’emploi, d’absence ou d’empêchement, ainsi que pour l’organisation du service de fin de semaine ou du service allégé pendant la période au cours de laquelle les magistrats bénéficient de leurs congés annuels, dans des conditions définies par la loi. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L’amendement n° 37 est présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
L’amendement n° 47 est présenté par le Gouvernement.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
L’article 28-3 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après les mots : « Les fonctions de », sont insérés les mots : « juge des libertés et de la détention, de » ;
2° À la première phrase du deuxième alinéa, après les mots : « en qualité de », sont insérés les mots : « juge des libertés et de la détention, de » ;
3° À la première phrase du troisième alinéa, après les mots : « Nul ne peut exercer plus de dix années la fonction de », sont insérés les mots : « juge des libertés et de la détention, de ».
La parole est à Mme Cécile Cukierman, pour présenter l’amendement n° 37.
Mme Cécile Cukierman. Comme nous l’avons indiqué lors de la discussion générale, nous n’approuvons pas la réécriture de l’article 14. La rédaction initiale de cet article modifiait l’article 28-3 de l’ordonnance organique du 22 décembre 1958 pour renforcer le statut des juges des libertés et de la détention, notamment afin que ceux-ci, au même titre que les magistrats chargés de fonctions spécialisées, soient nommés par décret et non désignés par le président du tribunal de grande instance.
La commission des lois a modifié en profondeur la rédaction de l’article 14, en particulier en adoptant un amendement du rapporteur aux termes duquel le juge des libertés et de la détention resterait un magistrat du premier grade désigné par le président du tribunal de grande instance, mais après avis conforme de l’assemblée des magistrats du siège du tribunal concerné. Cette formalité, selon le rapporteur, devrait « protéger l’exercice de la fonction, sans pour autant occasionner les rigidités liées à une nomination par décret ».
Certes, l’introduction de l’avis conforme de l’assemblée des magistrats du siège représente une forme de garantie, le rôle de celle-ci n’étant aujourd’hui que consultatif : les chefs de juridiction exercent encore, pour l’heure, un pouvoir discrétionnaire en matière d’affectation des magistrats au service du juge des libertés et de la détention. Toutefois, cette disposition ne suffira pas à limiter les risques d’exercice de pressions par les chefs de juridiction sur ces magistrats. L’actualité a montré, très récemment, qu’un juge des libertés et de la détention pouvait faire l’objet de pressions de la part de sa hiérarchie pour tenter de l’empêcher de prendre une décision de remise en liberté de migrants, par exemple.
Par ailleurs, la question de l’ancienneté des magistrats est évidemment importante, mais si tel est véritablement le souci de la commission, pourquoi ne pas prévoir, dans la loi organique, que les fonctions de juge des libertés et de la détention soient réservées aux magistrats du premier grade ?
Enfin, l’argument tenant aux difficultés de gestion qui pourraient résulter de la mise en œuvre de cette réforme dans les petites juridictions est infondé. En effet, elles comptent déjà des juges de l’application des peines, des juges d’instruction et des juges des enfants nommés par décret et, a priori, elles s’en accommodent bien.
Ainsi, une telle réforme ne posera pas de problèmes de gestion : si le poste ne constitue pas un emploi à temps plein, rien n’interdira de confier d’autres compétences au juge des libertés et de la détention pour compléter son temps de service, comme cela se fait pour d’autres juges spécialisés. Au contraire, cette réforme permettra une reconnaissance institutionnelle de nature à favoriser l’investissement des magistrats dans cette fonction.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous proposons de rétablir la rédaction initiale de cet article.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux, pour présenter l’amendement n° 47.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement souhaite également le rétablissement du texte initial, faisant du juge des libertés et de la détention un juge spécialisé, qui recevra une formation et sera mieux protégé grâce à son statut particulier.
Nous tenons à cette mesure. J’ai répondu tout à l’heure aux préoccupations exprimées pour ce qui concerne les petites juridictions. D’autres juges spécialisés y sont affectés et participent à la vie de la juridiction au-delà de l’exercice de leur spécialité. Le juge des libertés et de la détention est garant des droits des droits et des libertés : nous pensons qu’il est bon qu’il soit un juge spécialisé.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Les amendements nos 37 et 47 visent à rétablir le texte initial de l’article 14 du projet de loi organique. Je souhaite exposer les raisons qui ont conduit la commission des lois à proposer une solution alternative à la réforme présentée par le Gouvernement.
Je tiens tout d’abord à rappeler que la fonction de juge des libertés et de la détention a été créée par la loi du 15 juin 2000 pour retirer au juge d’instruction la compétence en matière de détention provisoire, afin d’instituer un « double regard » – selon l’expression du moment – sur les affaires instruites et de confier à un magistrat expérimenté le soin de prendre les décisions qui portent, avant condamnation éventuelle, le plus lourdement atteinte à la liberté.
Depuis cette date, les compétences du juge des libertés et de la détention n’ont cessé de s’étoffer dans le domaine de la procédure pénale, mais également dans de nombreux autres secteurs. Désormais, vingt codes prévoient son intervention –je pense, en particulier, au contentieux des étrangers ou à l’hospitalisation psychiatrique. La liste de toutes les compétences du juge des libertés et de la détention figure d’ailleurs en annexe du rapport que j’ai l’honneur de présenter : c’est assez effrayant !
Ainsi que l’a souligné un haut magistrat que nous avons auditionné, le juge des libertés et de la détention « s’est très vite affranchi des limites fixées par la loi du 15 juin 2000 », au point de s’imposer désormais « comme le juge de droit commun lorsqu’il s’agit d’autoriser des mesures privatives ou restrictives de liberté » et de s’affirmer « comme un juge pénal de l’urgence ».
On nous a fait valoir que les compétences que le juge des libertés et de la détention tire des textes applicables sont trop importantes pour qu’il ne bénéficie pas des mêmes protections statutaires que ses collègues magistrats du siège. À cet égard, son mode actuel de désignation – par le président du tribunal de grande instance parmi les magistrats du premier grade exerçant une fonction de premier vice-président ou de vice-président – ne le mettrait pas à l’abri des pressions pouvant s’exercer sur lui.
Madame la ministre, je n’irai pas par quatre chemins : tous les magistrats qu’Yves Détraigne et moi-même avons entendus nous ont fait part des réserves que leur inspirait la réforme que vous proposez, seules les organisations syndicales de magistrats approuvant celle-ci.
M. François Pillet, rapporteur. Après en avoir délibéré, la commission des lois a estimé que la réforme que vous proposez ne fonctionnerait pas. C’est bien dans un esprit constructif, animés par le souhait de déboucher sur une réforme pragmatique, que nous vous proposons un autre projet.
Nous avons tout d’abord considéré qu’il était indispensable que le juge des libertés et de la détention demeure un magistrat expérimenté. Devant, dans la plupart des cas, statuer dans l’urgence et sur des dossiers complexes, le juge des libertés et de la détention doit en effet avoir une grande expérience, d’autant plus que, face à des pressions multiples – de la part des services enquêteurs de police ou de gendarmerie, du parquet ou des avocats –, ce n’est pas une nomination par décret après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature qui fera son indépendance, mais bien sa connaissance de la mécanique judiciaire.
Ensuite, les conditions d’exercice de cette fonction la rendent peu attractive aux yeux des magistrats. Et la spécialisation n’aura aucun effet ; la mission restera « subie ».
Il est à craindre – vous avez d’ailleurs prévu cette éventualité, madame la garde des sceaux – qu’il ne faille désigner d’office de jeunes auditeurs sortis de l’ENM et peu préparés à une telle fonction pour pourvoir les plus de 200 postes de JLD en France ou que les candidatures proposées soient motivées non pas par un intérêt professionnel, mais par des préoccupations géographiques.
En outre, et c’est un élément important, la nomination par décret pourra également se retourner contre le bon fonctionnement de la justice. Le magistrat, juge des libertés fondamentales, ne pourra jamais statuer en collégialité, hormis dans les très grands TGI dotés de plusieurs JLD. C’est donc un argument supplémentaire en faveur du choix d’un professionnel expérimenté et totalement indépendant !
Par ailleurs, un président de TGI n’aurait aucun recours face à un JLD qui exercerait ses fonctions de manière insatisfaisante et dont la pratique et la jurisprudence seraient décriées par l’ensemble des intervenants auprès du tribunal, à commencer par ses collègues.
Nous avons donc estimé que le système proposé présentait de nombreuses rigidités et qu’il serait difficilement applicable.
Notre solution a le mérite, tout en répondant à vos objectifs, d’accroître les garanties dont disposent les JLD sans soulever les inconvénients que je viens d’énumérer. Nous ne prônons donc nullement le statu quo.
Premièrement, le JLD resterait un magistrat du premier grade exerçant les fonctions de président, de premier vice-président ou de vice-président du TGI. Cette exigence serait désormais posée dans l’ordonnance statutaire.
Deuxièmement, sa nomination interviendrait après avis conforme de l’assemblée des magistrats du siège ; c’est une nouveauté. Cette solution avait d’ailleurs été esquissée dans l’étude d’impact du projet de loi, sans être retenue. Nous avons considéré qu’il s’agirait là d’une bonne méthode, alliant accroissement des garanties d’indépendance, protection contre la révocation arbitraire et souplesse. Là encore, cette disposition figurerait dans l’ordonnance statutaire.
Troisièmement, les cas dans lesquels le JLD pourrait être suppléé seraient limitativement énumérés dans l’ordonnance de 1958, mais la définition des modalités de mise en œuvre de cette suppléance serait renvoyée à la loi ordinaire.
En d’autres termes, madame la garde des sceaux, la commission des lois, loin d’écarter totalement vos préoccupations, a seulement jugé que l’objectif ne serait pas atteint avec le texte présenté. Nous proposons un autre dispositif, mais nous ne voulons pas transiger sur le fait que le JLD doit être du premier grade.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le rapporteur, j’ai entendu la volonté que vous venez d’exprimer.
Toutefois, je souhaite préciser un élément. En tant que magistrat spécialisé, le JLD recevra une formation, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. C’est une différence significative !
Vous déclarez par ailleurs que les auditions ont révélé l’opposition de tous vos interlocuteurs, à l’exception des représentants des magistrats !
M. François Pillet, rapporteur. Des « syndicats » de magistrats !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il me semble que les syndicats représentent les magistrats. (Sourires.)
M. François Pillet, rapporteur. Une partie !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Certes. Mais c’est la caractéristique de tous les syndicats. Encore heureux, d’ailleurs ! Sinon, cela signifierait que l’adhésion à un syndicat est obligatoire.
Les syndicats ont été entendus dans le cadre de la consultation que nous avons menée.
M. le sénateur Yves Détraigne, qui a beaucoup participé aux travaux pendant deux ans et corédigé de nombreux rapports, a reconnu que cette consultation avait été profonde, intense et sérieuse. Or notre proposition en est issue.
J’ai employé l’expression d’« écosystème » à propos de la réforme : il y a des expérimentations, et certaines dispositions sont de nature réglementaire. Tout ne figure donc pas dans le projet de loi organique.
Parmi les mesures de modernisation et d’amélioration de la démocratie dans nos juridictions, nous avons notamment introduit de nouvelles règles pour les assemblées générales.
Vous proposez une désignation après avis conforme de l’assemblée générale. À mon avis, M. le président de la commission des lois va protester avec force, opiniâtreté, pugnacité, ténacité, intensité et même plus (Sourires.) !
Le Sénat, qui examinait voilà à peu près un an un texte de transposition de directives européennes, s’était opposé à la désignation du JLD après avis conforme de l’assemblée générale, jugeant qu'il était souhaitable d'avoir un magistrat spécialisé, afin d’apporter de meilleures garanties à l’exercice de ses missions.
Les choses se sont passées en deux étapes. Dans un premier temps, j’ai constaté une remontée unanime de la demande visant à faire du JLD un juge spécialisé. Puis, lors d’un déplacement, alors que j’échangeais avec des magistrats, un président de juridiction m’a fait part de son opposition à la spécialisation du JLD. Après avoir exprimé mon étonnement – on m’avait dit que le soutien à cette évolution était unanime –, j’ai bloqué la mesure et procédé à de nouvelles consultations.
Il y a incontestablement des oppositions ; peut-être le président de la Conférence des premiers présidents ou les présidents de juridiction vous en ont-ils fait part. Mais je puis vous certifier que les assemblées générales réclament la spécialisation. Encore une fois, c’est une avancée incontestable : le JLD bénéficiera d’une formation, alors qu’il n’y en a pas aujourd’hui.
Monsieur le rapporteur, vous vous demandez ce qu’il adviendrait en cas de vacance de poste. Je vous le rappelle, il existe d’autres juges spécialisés, qu’il s’agisse du juge des enfants, du juge d’instruction ou du juge d’application des peines. Nous sommes déjà confrontés à des situations dans lesquelles nous devons nommer un autre juge, procéder à un remplacement temporaire ou charger d’autres tâches le juge spécialisé d’une petite juridiction. C’est un problème que l’on rencontre sur le terrain ; les chefs de juridiction savent y répondre.
En l’espèce, c’est un vrai progrès. Il y aura une formation, une spécialisation, de véritables candidatures à ce poste et un statut plus protecteur !
Le Gouvernement tient à cette mesure, et il semblerait qu’une majorité de magistrats y soient également favorables. Nous espérons donc que la Sénat rétablira la spécialisation du JLD.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur. Madame la garde des sceaux, si je ne conteste pas les éléments que vous avez pu recueillir lors de vos consultations, vous ne contesterez pas non plus que certains JLD m’ont fait part de leur opposition au dispositif envisagé. (Mme la garde des sceaux en convient.)
Comme je l’ai souligné lors de la discussion générale, nous avons ouvert un portail sur le site internet du Sénat pour alimenter notre réflexion. Un certain nombre de magistrats ont déposé des contributions pour manifester leur désaccord.
Par ailleurs, un magistrat nommé JLD par le président du TGI a tout à fait la possibilité d’être formé en formation continue. À l’inverse, un auditeur sortant de l’ENM n’a pas nécessairement reçu une formation plus spécialisée que les autres dans le cadre de sa formation initiale, sauf s’il a émis le souhait de devenir JLD dans son arrivée dans cette école, hypothèse peu réaliste, la fonction ne suscitant pas, me semble-t-il, beaucoup de vocations.
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour explication de vote.
M. Thani Mohamed Soilihi. Madame la présidente, je sollicite une suspension de séance de quelques minutes, afin que les membres de mon groupe puissent échanger sur le sujet.
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt-trois heures quarante, est reprise à vingt-trois heures quarante-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
La parole est à M. Jacques Bigot, pour explication de vote.
M. Jacques Bigot. Notre groupe est très partagé.
Nous sommes convaincus que la création du JLD, en 2000, fut une décision importante. Et il était fondamental que cette fonction, « l’office libéral » dont parle Antoine Garapon, puisse évoluer.
Le principe envisagé dans les deux amendements identiques va effectivement dans le sens de l’indépendance du juge, qui serait nommé par le CSM. Cela étant dit, de telles nominations peuvent effectivement soulever des difficultés ; les fonctions concernées ne sont ni faciles ni forcément passionnantes !
Nous saluons l’effort de réflexion de M. le rapporteur, qui a formulé des suggestions très constructives. D’ailleurs, son idée de faire jouer un rôle particulier à l’assemblée générale des magistrats du siège rejoint votre idée des conseils de juridiction, madame la garde des sceaux. Il s’agit d’instituer une forme de démocratie : un tel avis conforme serait une protection.
Les difficultés actuelles résident dans les pressions que peut subir le JLD, qu’elles émanent du président de juridiction, du procureur ou même des policiers, qui lui reprocheraient telle ou telle libération.
Nous sommes plusieurs à considérer l’avis conforme de l’assemblée générale des magistrats comme un compromis intéressant. Nous savons bien que la majorité sénatoriale suivra la commission des lois, et la proposition du Gouvernement nous inspire des doutes.
C’est pourquoi nous nous abstiendrons sur ces deux amendements identiques.
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le sujet, qui me paraît extrêmement important, mérite que je vous apporte tous les éclaircissements nécessaires.
J’entends la proposition de M. le rapporteur. Vous tous ici, qui vous intéressez au sujet depuis des années, connaissez le fonctionnement des juridictions.
Nous avons effectivement démocratisé le fonctionnement de l’assemblée générale, afin de lui permettre de s’exprimer sur des sujets plus nombreux et plus importants que par le passé. Pour autant, cela ne la met pas à l’abri des risques de blocage.
M. le rapporteur suggère que le JLD soit nommé après avis conforme de l’assemblée générale des magistrats du siège. À mon avis, il n’a pas envisagé l’hypothèse, pourtant réelle, d’un blocage. Si nous avons dû redynamiser les assemblées générales, c’est bien parce qu’il y avait des difficultés ! Les magistrats y participaient de moins en moins. La démocratisation que nous avons introduite n’empêche pas que l’assemblée générale puisse être bloquée. Que se passera-t-il dans ce cas ? Avant d’adopter la formule proposée par la commission, il faudrait d’abord, me semble-t-il, l’étudier davantage pour savoir comment dénouer une situation de blocage.
Actuellement, le système qui s’applique pour le JLD suscite des difficultés. Rien n’interdit aujourd’hui que ce magistrat soit désigné parmi les auditeurs sortant de l’ENM. D’ailleurs, cela se produit en pratique. La personne peut être nommée sans avoir reçu de formation spécifique. L’École nationale de la magistrature, outre les modules du tronc commun, dispense des formations aux fonctions de juges spécialisés : juge d’application des peines, juge des enfants ou juge d’instruction… Nous souhaitons qu’il y ait une formation aux fonctions de JLD.
Dans le même ordre d’idée, la personne peut être nommée sans avoir de statut protecteur.
La fonction est lourde. Il s’agit tout de même de décider ou de refuser la détention, avec les conséquences que cela peut entraîner. Ce n’est pas une mission simple et légère. Or il n’y a ni formation, ni protection, ni encadrement, contrairement à ce qui existe pour les autres magistrats spécialisés.
Bien entendu, même si je n’approuve pas la proposition de la commission des lois, je m’inclinerai devant le vote, car je crois en la sagesse de la Haute Assemblée. Mais il me semblait nécessaire de vous apporter ces précisions en toute loyauté.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur. Dans l’attente de trouver une solution intermédiaire ou réadaptée, je voudrais rassurer Mme la garde des sceaux.
En cas de blocage – à mon avis, c’est une hypothèse d’école (Mme la garde des sceaux le conteste.) –, il y aurait une vacance d’emploi du JLD. Or, sur ce sujet, le présent projet de loi organique renvoie au texte sur la justice du XXIe siècle, dont l’article 11 dispose : « Le juge des libertés et de la détention peut être suppléé en cas de vacance d’emploi, d’absence ou d’empêchement par un magistrat exerçant la fonction de président, de premier vice-président ou de vice-président désigné par le président du tribunal de grande instance. »
Mme la présidente. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je tiens à insister sur la différence entre une vacance d’emploi qui surviendrait dans une petite juridiction ou qui serait provoquée par une situation particulière et celle qui résulterait d’un blocage. Les deux cas sont bien distincts !
J’entends les préoccupations qui s’expriment sur les vacances d’emploi dans les petites juridictions.
Mais, actuellement, nous sommes en train de définir un dispositif particulier pour le fonctionnement de la magistrature.
Le JLD, compte tenu de l’importance de sa charge – il garantit les droits et les libertés –, doit-il bénéficier d’une formation et avoir un statut particulier qui le protège ? Faut-il au contraire définir son régime juridique en fonction de l’hypothèse, certes réelle, mais limitée dans l’espace et dans le temps, d’une juridiction en difficulté qui ne pourrait pas en nommer ?
Encore une fois, dans les petites juridictions, les autres juges spécialisés, s’ils sont nommés au titre de leur spécialité, exercent d’autres missions.
Positionnons-nous sur le principe. La fonction de JLD doit-elle être une fonction spécialisée, assortie d’une formation et d’un statut particulier ?
En pratique, il faudra, comme pour les juges de l’application des peines ou les juges d’instruction, travailler sur le fonctionnement de nos juridictions. Nous sommes dans une situation intermédiaire, avec des tensions en termes d’effectifs, compte tenu du nombre de postes créés.
Je tenais à rappeler ces éléments, qui me paraissent extrêmement importants ! Bien entendu, c’est vous qui aurez le dernier mot !
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 37 et 47.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 14.
(L'article 14 est adopté.)
Article 15
(Non modifié)
I. – L’article 34 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° À la fin de la première phrase du premier alinéa, les mots : « ainsi que les listes d’aptitude aux fonctions » sont supprimés ;
2° À la première phrase du troisième alinéa, les mots : « sur une des listes d’aptitude ou » sont supprimés.
II. – L’article 36 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Après le premier alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« La commission d’avancement statue sur l’inscription au tableau d’avancement des magistrats du second grade dont la liste est adressée chaque année à son secrétariat dans les conditions prévues à l’article 27 et qui remplissent les conditions fixées par décret pour accéder aux fonctions du premier grade. Le renouvellement de l’inscription est de droit sur proposition de l’autorité chargée de l’établissement de la liste mentionnée au même article 27.
« Les magistrats non présentés peuvent saisir la commission d’avancement. » ;
2° Les deuxième et troisième alinéas sont supprimés ;
3° Le quatrième alinéa est ainsi rédigé :
« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions exigées pour figurer au tableau d’avancement ainsi que les modalités d’élaboration et d’établissement du tableau annuel et des tableaux supplémentaires éventuels. Il fixe les conditions pour exercer et examiner les recours. » ;
4° Au cinquième alinéa, le mot : « règlement » est remplacé par le mot : « décret ». – (Adopté.)
Article 16
Après le troisième alinéa de l’article 37 de la même ordonnance, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les six mois de son installation dans ses fonctions, le premier président définit les objectifs de son action, notamment en considération des rapports sur l’état du fonctionnement de la cour d’appel et des juridictions de son ressort qui ont pu être établis par l’inspection générale des services judiciaires et par son prédécesseur ou par les présidents des tribunaux du ressort. Il élabore, tous les deux ans, un bilan de ses activités, de l’animation et de la gestion de la cour et des juridictions de son ressort ainsi que de l’administration des services judiciaires dans ce ressort. L’inspection générale des services judiciaires réalise régulièrement une enquête sur le fonctionnement de la cour d’appel. Ces éléments sont versés au dossier du magistrat. »
Mme la présidente. L'amendement n° 5 rectifié, présenté par MM. Collombat, Mézard, Arnell, Castelli, Collin et Fortassin, Mme Laborde et MM. Vall et Guérini, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement de suppression peut paraître étonnant, tant la rédaction de l’article 16 semble couler de source et être frappée au coin du bon sens !
Selon nous, le premier président de cour fait déjà ce qu’on lui demande désormais de faire par écrit, sur un mode compliqué et bureaucratique. Il organise son service. Si l’ensemble fonctionne bien, c’est qu’il sait où il va ! Pourquoi lui imposer ce mode formalisé, avec des réitérations tous les deux ans et des bilans dont on se demande bien à quoi ils serviront ?
Certes, je sais que c’est désormais une manie de passer son temps à faire des bilans ou des projets ! Mais les chefs de cours ont déjà suffisamment de travail. Pourquoi leur en rajouter ?
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Il est un peu anachronique que les chefs de cour échappent aujourd’hui à toute évaluation de leurs qualités professionnelles.
Face à l’absence d’autorité hiérarchique, le dispositif proposé, même embryonnaire, présente certainement quelques défauts, mais il a au moins l’avantage de permettre un certain audit du fonctionnement des cours d’appel et d’éclairer le CSM lors des nominations de magistrats exerçant en qualité de chefs de cour à d’autres fonctions.
Surtout, le texte de la commission a prévu un audit régulier des cours d’appel par l’inspection générale des services judiciaires.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’avis du Gouvernement est également défavorable.
Nous avons abordé le sujet dans le cadre de nos consultations. Là encore, le soutien à l’évaluation des chefs de cour, qui sont les seuls hauts magistrats à ne pas être évalués, était, dans un premier temps, unanime. C’est seulement lors de la définition des modalités de l’évaluation que les difficultés sont apparues.
J’ai reçu récemment la totalité du CSM. Nous avons évoqué cette question. Sur le principe, tout le monde convient qu’il n’est pas concevable que les chefs de cour continuent à ne faire l’objet d’aucune évaluation.
L’évaluation est nécessaire pour qu’ils prennent leur cour en main, qu’ils dressent une sorte d’état des lieux à leur entrée en fonction et qu’ils se fixent des objectifs. Ce sont des éléments qui permettront au Conseil supérieur de la magistrature d’apprécier les candidatures et les demandes d’affectation de ces hauts magistrats.
Dès lors que, au sein de la magistrature, tout le monde reconnaît la nécessité d’une évaluation, la difficulté porte sur les modalités.
Convenez que le mode d’évaluation retenu n’a rien d’agressif ! C’est le chef de cour lui-même qui appréciera la situation de la cour dans laquelle il arrive avant de présenter des éléments en vue d’élaborer des projets et de les mettre en application.
À mes yeux, il faut donc maintenir ce dispositif, relativement léger, d’évaluation des chefs de cour.
Mme la présidente. Monsieur Collombat, l'amendement n° 5 rectifié est-il maintenu ?
M. Pierre-Yves Collombat. Non, je vais le retirer, madame la présidente.
Certes, cela me paraît en effet la moindre des choses qu’il y ait une évaluation. Il semble que, en principe, l’évaluation est plutôt faite par quelqu’un d’extérieur, comme l’inspection générale.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Les chefs de cour n’ont pas de supérieur hiérarchique ! (M. le rapporteur acquiesce.)
M. Pierre-Yves Collombat. Peut-être faut-il procéder avec des méthodes autres que l’élaboration de plans qui marcheront toujours sur le papier ! Ceux qui ont l’habitude de ce genre de pratiques le savent : on perd beaucoup de temps pour pas grand-chose !
Cela étant, puisque tout le monde semble d’accord pour conserver une telle technique, je ne veux pas m’obstiner.
Je retire donc l’amendement n° 5 rectifié, en soulignant toutefois que si la mise en place de l’évaluation nous semble tout à fait intéressante, le dispositif proposé paraît complètement inefficace !
Mme la présidente. L'amendement n° 5 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'article 16.
(L'article 16 est adopté.)
Article 17
L’article 37-1 de la même ordonnance est ainsi rédigé :
« Art. 37-1. – L’article 27-1 est applicable à la nomination aux fonctions hors hiérarchie. » – (Adopté.)
Article 18
(Non modifié)
À l’article 38 de la même ordonnance, après les mots : « hors hiérarchie », sont insérés les mots : « et les magistrats exerçant les fonctions d’inspecteur général des services judiciaires et d’inspecteur général adjoint des services judiciaires ». » – (Adopté.)
Article 19
Après le deuxième alinéa de l’article 38-1 de la même ordonnance, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Dans les six mois de son installation dans ses fonctions, le procureur général, sous réserve des dispositions afférentes à la détermination de la politique pénale, définit les objectifs de son action, notamment en considération des rapports sur l’état du fonctionnement du parquet général et des parquets de son ressort qui ont pu être établis par l’inspection générale des services judiciaires et par son prédécesseur ou par les procureurs de la République du ressort. Il élabore, tous les deux ans, un bilan de ses activités et de l’animation du ministère public dans son ressort ainsi que de l’administration des services judiciaires dans ce ressort. L’inspection générale des services judiciaires réalise régulièrement une enquête sur le fonctionnement du parquet général. Ces éléments sont versés au dossier du magistrat. »
Mme la présidente. L'amendement n° 6 rectifié, présenté par MM. Collombat, Mézard, Arnell, Castelli, Collin, Esnol et Fortassin, Mme Laborde et MM. Requier, Vall, Bertrand, Guérini et Barbier, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. C’est le même principe que pour l’amendement n° 5 rectifié.
Mais, compte tenu de notre discussion précédente, je retire cet amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 6 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'article 19.
(L'article 19 est adopté.)
Article 20
I. – Au dernier alinéa de l’article 72 de la même ordonnance, la référence : « et 38 » est remplacée par les références : « , 38, 72-1 et 72-2 ».
II. – Le chapitre VIII de la même ordonnance est complété par des articles 72-1, 72-2 et 72-3 ainsi rédigés :
« Art. 72-1. – Neuf mois au plus tard avant l’expiration du détachement, le magistrat placé dans cette position statutaire fait connaître au garde des sceaux, ministre de la justice, sa décision de solliciter le renouvellement du détachement ou de réintégrer le corps judiciaire.
« Entre neuf et sept mois au plus tard avant l’expiration du détachement, l’administration ou l’organisme d’accueil fait connaître au magistrat concerné ainsi qu’au garde des sceaux, ministre de la justice, sa décision de renouveler ou non le détachement.
« Dans les cas où le renouvellement n’est pas sollicité par le magistrat, n’est pas décidé par l’administration ou l’organisme d’accueil ou est refusé par le garde des sceaux, ministre de la justice, le magistrat fait connaître au moins trois choix d’affectation dans trois juridictions différentes appartenant à des ressorts de cour d’appel différents.
« Pour les magistrats du second grade inscrits au tableau d’avancement, les demandes ne peuvent porter exclusivement sur des emplois du premier grade, lesquelles ne peuvent concerner exclusivement des emplois de président d’une juridiction, de procureur de la République près une juridiction, ou de premier vice-président, premier vice-président adjoint, procureur de la République adjoint ou premier vice-procureur de la République des tribunaux de grande instance. Pour les magistrats du premier grade remplissant les conditions prévues à l’article 39 pour l’accès à un emploi hors hiérarchie, les demandes ne peuvent porter exclusivement sur un emploi placé hors hiérarchie, lesquelles ne peuvent concerner exclusivement des emplois de premier président de cour d’appel ou de procureur général près une cour d’appel.
« Le magistrat concerné qui occupait un emploi du siège de la Cour de cassation, de premier président de cour d’appel ou de président de tribunal de grande instance au moment de son détachement et qui souhaite réintégrer le corps judiciaire sur un tel emploi, adresse sa candidature au Conseil supérieur de la magistrature sept mois au plus tard avant l’expiration du détachement.
« Six mois au plus tard avant l’expiration du détachement ou à défaut de proposition d’affectation du Conseil supérieur de la magistrature dans un délai de deux mois à compter de la candidature prévue au cinquième alinéa du présent article, le garde des sceaux, ministre de la justice peut inviter le magistrat à présenter trois demandes supplémentaires d’affectation dans trois autres juridictions appartenant à des ressorts de cour d’appel différents.
« À l’expiration du détachement, le magistrat est réintégré immédiatement dans le corps judiciaire et nommé dans l’une des fonctions qui ont fait l’objet de ses demandes dans les conditions prévues au troisième ou au sixième alinéa du présent article.
« Si le magistrat n’a pas exprimé de demande dans les conditions prévues au troisième ou au sixième alinéa du présent article ou si aucune des demandes ainsi formulées ne peut être satisfaite, le ministre de la justice lui propose une affectation dans trois juridictions. À défaut d’acceptation dans le délai d’un mois, le magistrat est, à l’expiration du détachement, nommé dans l’une de ces juridictions aux fonctions qui lui ont été proposées.
« Les troisième à septième alinéas s’appliquent aux magistrats en position de détachement en application de l’article 76-4, sans préjudice de leur droit à recevoir une affectation dans la juridiction dans laquelle ils exerçaient précédemment leurs fonctions prévu au sixième alinéa de l’article 76-4. Le magistrat qui souhaite bénéficier de ce droit fait connaître sa décision au garde des sceaux, ministre de la justice, au plus tard sept mois avant l’expiration du détachement.
« Le présent article ne s’applique pas aux magistrats détachés dans les emplois de directeur, de chef de service, de directeur adjoint ou de sous-directeur dans les administrations centrales de l’État ou de directeur de l’École nationale de la magistrature.
« Art. 72-2. – Il est tenu compte, lors de la réintégration du magistrat dans le grade qu’il occupe au sein du corps judiciaire, de l’échelon qu’il a atteint dans le corps ou cadre d’emplois de détachement, sous réserve qu’il lui soit plus favorable. Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent article.
« Art. 72-3. – La réintégration des magistrats précédemment placés en position de congé parental est prononcée conformément aux articles 28, 37 et 38.
« Six mois au plus tard avant l’expiration du congé parental, le magistrat concerné fait connaître au garde des sceaux, ministre de la justice, sa décision de solliciter le renouvellement de cette position ou de réintégrer le corps judiciaire.
« Dans les cas où le renouvellement n’est pas sollicité par le magistrat ou est refusé par le garde des sceaux, ministre de la justice, et au plus tard cinq mois avant l’expiration du congé parental, le magistrat fait connaître au garde des sceaux, ministre de la justice, au moins trois choix d’affectation dans trois juridictions différentes appartenant à des ressorts de cour d’appel différents. Pour les magistrats du second grade inscrits au tableau d’avancement, les demandes ne peuvent porter exclusivement sur des emplois du premier grade, lesquelles ne peuvent concerner exclusivement des emplois de président d’une juridiction, de procureur de la République près une juridiction, ou de premier vice-président, premier vice-président adjoint, procureur de la République adjoint ou premier vice-procureur de la République des tribunaux de grande instance. Pour les magistrats du premier grade remplissant les conditions prévues à l’article 39 pour l’accès à un emploi hors hiérarchie, les demandes ne peuvent porter exclusivement sur un emploi placé hors hiérarchie, lesquelles ne peuvent concerner exclusivement des emplois de premier président de cour d’appel ou de procureur général près une cour d’appel.
« Quatre mois au plus tard avant l’expiration du congé parental, le garde des sceaux, ministre de la justice, peut inviter le magistrat à présenter trois demandes supplémentaires d’affectation dans trois autres juridictions appartenant à des ressorts de cour d’appel différents, dans les conditions prévues au troisième alinéa du présent article.
« À l’expiration du congé parental, le magistrat est réintégré immédiatement dans le corps judiciaire et nommé, sans préjudice du sixième alinéa du présent article, dans l’une des fonctions qui ont fait l’objet de ses demandes dans les conditions prévues au troisième alinéa et, le cas échéant, au quatrième alinéa du présent article.
« Si le magistrat n’a pas exprimé de demande dans les conditions prévues au troisième alinéa et, le cas échéant, au quatrième alinéa du présent article, ou si aucune des demandes ainsi formulées ne peut être satisfaite, le garde des sceaux, ministre de la justice, propose au magistrat concerné une affectation dans trois juridictions. À défaut d’acceptation dans le délai d’un mois, le magistrat est, à l’expiration du congé parental, nommé dans l’une de ces juridictions aux fonctions qui lui ont été proposées.
« Les troisième à sixième alinéas s’appliquent aux magistrats qui sollicitent leur réintégration à l’issue d’un congé parental sans préjudice de leur droit à recevoir une affectation dans la juridiction dans laquelle ils exerçaient précédemment leurs fonctions, le cas échéant, en surnombre de l’effectif budgétaire du grade auquel appartient le magistrat et, s’il y a lieu, en surnombre de l’effectif organique de la juridiction. L’intéressé est nommé au premier poste correspondant aux fonctions exercées dont la vacance survient dans la juridiction où il a été nommé en surnombre. »
Mme la présidente. L'amendement n° 51, présenté par M. Pillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 10, première phrase
Après les mots :
satisfaite, le
insérer les mots :
garde des sceaux,
La parole est à M. le rapporteur.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L'amendement n° 27, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 16, première phrase
Supprimer les mots :
appartenant à des ressorts de cour d’appel différents
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Cet amendement a pour objet de corriger la modification, improprement qualifiée de « rédactionnelle » par la commission des lois, qui a de facto contredit l’objectif du Gouvernement en matière de retour de congé parental.
Le projet initial ne posait pas de condition liée à l’appartenance à des ressorts de cour d’appel différents pour les premiers choix d’affectation dans le cadre des retours de congé parental, afin de prévoir un dispositif plus souple que pour les magistrats de retour de détachement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 20, modifié.
(L'article 20 est adopté.)
CHAPITRE IV
DISPOSITIONS RELATIVES AUX DROITS ET OBLIGATIONS DES MAGISTRATS
Article 21
I. – Après l’article 7 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, sont insérés des articles 7-1 à 7-4 ainsi rédigés :
« Art. 7-1. – Les magistrats veillent à prévenir ou à faire cesser immédiatement les situations de conflits d’intérêts.
« Constitue un conflit d’intérêts toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction.
« Art. 7-2. – Dans les deux mois qui suivent l’installation dans leurs fonctions, les magistrats remettent une déclaration d’intérêts :
« 1° Au président du tribunal, pour les magistrats du siège d’un tribunal de première instance ;
« 2° Au procureur de la République près ce tribunal, pour les magistrats du parquet d’un tribunal de première instance ;
« 3° Au premier président de la cour, pour les magistrats du siège d’une cour et pour les présidents des tribunaux de première instance du ressort de cette cour ;
« 4° Au procureur général près cette cour, pour les magistrats du parquet d’une cour et pour les procureurs de la République près des tribunaux de première instance du ressort de cette cour ;
« 5° Au premier président de la Cour de cassation, pour les magistrats du siège de la Cour, pour les conseillers à la Cour en service extraordinaire et pour les premiers présidents des cours ;
« 6° Au procureur général près la Cour de cassation, pour les magistrats du parquet de la Cour, pour les avocats généraux à la Cour en service extraordinaire et pour les procureurs généraux près des cours.
« La déclaration d’intérêts mentionne les liens et les intérêts détenus de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif des fonctions, que le déclarant a ou qu’il a eu pendant les cinq années précédant l’installation dans ses fonctions.
« La remise de la déclaration d’intérêts donne lieu à un entretien déontologique du magistrat avec l’autorité à laquelle la déclaration a été remise, ayant pour objet de prévenir tout éventuel conflit d’intérêts. L’entretien peut être renouvelé à tout moment à la demande du magistrat ou de l’autorité. Tout entretien donne lieu à l’établissement d’un compte rendu.
« Toute modification substantielle des liens et intérêts détenus fait l’objet, dans un délai de deux mois, à une déclaration complémentaire dans les mêmes formes et peut donner lieu à un entretien déontologique.
« La déclaration d’intérêts n’est pas versée au dossier du magistrat et ne peut pas être communiquée aux tiers.
« Un décret en Conseil d’État précise les conditions d’application du présent article, notamment le modèle, le contenu et les conditions de remise, de mise à jour et de conservation de la déclaration d’intérêts, ainsi que le modèle, le contenu et les conditions de conservation du compte rendu de l’entretien.
« Art. 7-3. – Adressent au président de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique une déclaration de situation patrimoniale, dans les deux mois qui suivent l’installation dans leurs fonctions et dans les deux mois qui suivent la cessation de leurs fonctions :
« 1° Le premier président et les présidents de chambre de la Cour de cassation ;
« 2° Le procureur général et les premiers avocats généraux près la Cour de cassation ;
« 3° Les premiers présidents des cours d’appel ;
« 4° Les procureurs généraux près les cours d’appel ;
« 5° Les présidents des tribunaux de première instance ;
« 6° Les procureurs de la République près les tribunaux de première instance.
« La déclaration de situation patrimoniale est établie, contrôlée et sanctionnée dans les conditions et selon les modalités prévues aux premier et quatrième alinéas du I et aux II et V de l’article 4 et aux articles 6, 7 et 26 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique.
« Toute modification substantielle de la situation patrimoniale fait l’objet, dans un délai de deux mois, d’une déclaration complémentaire dans les mêmes formes.
« Aucune nouvelle déclaration n’est exigée du magistrat qui a établi depuis moins de six mois une déclaration en application du présent article, des articles 4 ou 11 de la loi n° 2013-907 du 11 octobre 2013 précitée ou de l’article L.O. 135-1 du code électoral.
« La déclaration de situation patrimoniale n’est pas versée au dossier du magistrat et ne peut pas être communiquée aux tiers.
« Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, précise les conditions d’application du présent article, notamment le modèle, le contenu et les conditions de mise à jour et de conservation des déclarations de situation patrimoniale. »
« Art. 7-4. – (Supprimé)
II (nouveau). – Le premier alinéa de l’article 9-1 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Les mots : « d’avoué, » sont supprimés ;
2° Après les mots : « huissier de justice, », sont insérés les mots : « de commissaire-priseur judiciaire, » ;
3° Le mot : « mandataire-liquidateur » est remplacé par les mots : « mandataire judiciaire ».
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 13 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collombat, Barbier, Bertrand, Arnell, Castelli, Collin, Esnol et Fortassin, Mmes Laborde et Malherbe et MM. Requier et Vall.
L'amendement n° 28 est présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l’alinéa 1
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
« Art. ... – Les magistrats exercent leurs fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité et se comportent de façon à prévenir tout doute légitime à cet égard.
« Ils s’abstiennent de tout acte ou comportement à caractère public incompatible avec la réserve que leur imposent leurs fonctions.
« Les magistrats respectent les principes déontologiques inhérents à l’exercice de leurs fonctions.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour présenter l’amendement n° 13 rectifié.
M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement vise à préciser les valeurs fondamentales de la magistrature qui figureront dans le serment ; je vous en épargne la lecture. (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi, pour présenter l’amendement n° 28.
M. Thani Mohamed Soilihi. Cet amendement vise à consacrer dans l’ordonnance statutaire du 22 décembre 1958 les valeurs fondamentales des magistrats du siège et du parquet, qui sont communes à l’ensemble du corps.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Ces amendements sont déjà satisfaits par toutes les dispositions qui figurent dans la rédaction actuelle du statut des magistrats.
La commission en sollicite donc le retrait, afin de ne pas avoir un dispositif redondant.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ces amendements sont effectivement déjà satisfaits.
Je vous renvoie à l'ordonnance du 22 décembre 1958. L’article 6, alinéa 2, fournit le texte du serment prononcé par tout magistrat. L’article 10 mentionne le devoir de réserve. La définition de la faute disciplinaire est apportée à l’article 43, ainsi que dans le recueil des obligations déontologiques des magistrats de l’ordre judiciaire.
Une telle préoccupation nous paraît donc déjà satisfaite. L’adoption de ces amendements serait superflue.
Mme la présidente. Monsieur Collombat, l'amendement n° 13 rectifié est-il maintenu ?
M. Pierre-Yves Collombat. Non, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 13 rectifié est retiré.
Qu’en est-il de l'amendement n° 28, monsieur Mohamed Soilihi ?
M. Thani Mohamed Soilihi. Je le retire également, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 28 est retiré.
L'amendement n° 29, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer les mots :
ou paraître influencer
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Il s’agit d’un amendement cher à M. Jean-Pierre Sueur.
Le présent projet de loi organique a pour objet de renforcer la confiance des citoyens dans la justice et de prévenir les risques ou les soupçons de conflits d’intérêts. À cette fin, il prévoit un renforcement des obligations de transparence pour les magistrats de l’ordre judiciaire, tout en tenant compte de la spécificité des conditions d’exercice de leurs missions et de l’existence de dispositifs permettant déjà, en grande partie, de répondre aux objectifs des présents textes.
L’article 21 insère dans l’ordonnance statutaire des dispositions posant, d’une part, une obligation générale de veiller à prévenir et de régler immédiatement les éventuels conflits d’intérêts et, d’autre part, une définition des conflits d’intérêts.
Selon cette définition, constitue un conflit d’intérêts « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction. »
Nous souhaitons que la définition des conflits d’intérêts applicable aux magistrats n’inclue pas l’apparence.
Cette notion, « paraître influencer », pourrait être source d’interprétations très larges, susceptibles de nuire à la sérénité des débats.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. C’est un vieux débat.
Le projet de loi organique reprend simplement la définition du conflit d’intérêts posée par le législateur, sur l’initiative du Gouvernement, dans la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique. À l’époque, la théorie des apparences et l’expression : « paraître influencer » avaient suscité beaucoup de débats, en particulier dans notre Haute Assemblée. Mais la formule avait finalement été retenue.
La semaine dernière, la commission a décidé de conserver cette définition, qui est reprise à l’identique dans les différents textes législatifs relatifs à la déontologie. C’est le cas dans le projet de loi relatif à la déontologie des fonctionnaires, notamment pour la déontologie des membres du Conseil d’État, des magistrats administratifs et des magistrats financiers. Toutes les définitions législatives sont les mêmes et comportent depuis 2013 les mots : « paraître influencer ».
Le débat soulevé par les auteurs de cet amendement semble donc quelque peu anachronique.
M. Thani Mohamed Soilihi. Il faudrait alors songer à changer toutes ces définitions !
M. François Pillet, rapporteur. D’ailleurs, c’est aussi le cas pour la déontologie des juges consulaires dans le projet de loi ordinaire dont nous examinerons les articles cette semaine.
M. Jean-Pierre Sueur. Absolument !
M. François Pillet, rapporteur. Il paraît donc curieux de vouloir écarter aujourd’hui cette formulation sous prétexte que des magistrats sont concernés. Il me semble au contraire que la justice doit être aussi impartiale dans sa réalité que dans son apparence, comme je l’ai entendu récemment.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Il importe effectivement d’avoir en référence une définition unique, identique dans tous les textes de loi régissant la prévention des conflits d’intérêts. En outre, cette formulation est reprise dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.
La définition doit être présente dans tous les textes. Je me souviens du débat très intense qui avait eu lieu à ce sujet. Cette définition unique ayant été posée, nous souhaitons la maintenir.
C’est pourquoi l’avis du Gouvernement est également défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. M. le rapporteur justifie la position de la commission en invoquant la rédaction retenue dans la loi de 2013. Mais cette loi avait été élaborée dans une certaine rapidité ! Nous aurons l’occasion d’en parler jeudi matin, lorsque nous devrons revenir sur un autre volet de cette loi.
Madame la garde des sceaux, l’argument consistant à imposer une rédaction sous prétexte qu’elle est déjà présente ailleurs ne me semble pas pertinent. Je n’étais pas convaincu en 2013, et je ne le suis toujours pas.
À mon avis, il serait bien mieux d’écrire que constitue un conflit d’intérêts « toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction ».
Ou bien il existe des faits concrets qui fondent le conflit d’intérêts ou bien on se contente de cette théorie de l’apparence ; la présence dans la loi du verbe « paraître » ou du verbe « sembler » est d’ailleurs assez rare… Dans le second cas, toutes les interprétations, toutes les suppositions, voire toutes les rumeurs deviennent possibles. On peut tout à fait arguer que tel magistrat fréquente habituellement telle brasserie ou telle personne. De deux choses l’une : ou bien il existe des faits qui montrent qu’il y a un conflit d’intérêts, ou bien les apparences, les suppositions, les hypothèses et les on-dit suffisent, et ce n’est pas rigoureux.
C’est le sens de cet amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 38, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Alinéa 12, après la première phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
Cet entretien – tout comme la déclaration d’intérêts – ne fait aucune mention des opinions ou des activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques de l’intéressé.
La parole est à Mme Christine Prunaud.
Mme Christine Prunaud. Nous défendons la nécessité d’améliorer les mécanismes destinés à prévenir les conflits d’intérêts, y compris pour les magistrats de l’ordre judiciaire. En effet, les règles existantes sont insuffisantes et n’ont jamais empêché des pratiques contestables.
Des situations inacceptables de conflit d’intérêts sont à l’œuvre en France, comme le dénonce régulièrement le Syndicat de la magistrature. Je ne vais pas ici vous donner d’exemples : vous en avez déjà connaissance.
Nous ne sommes opposés ni à la clarification de certaines règles ni à la formalisation de certaines obligations. À l’instar du Syndicat de la magistrature, nous ne voyons là aucune défiance envers les magistrats. Il faut seulement que ces nouvelles règles ne viennent pas heurter d’autres principes, comme celui de la liberté d’opinion et d’expression ou celui du respect de la vie privée.
Or le projet de loi ne répond que très imparfaitement à cette nécessité, faute de préciser quelles situations exactes ces règles entendent prévenir. Le risque est donc sérieux de voir imposer aux magistrats d’autres obligations et interdictions, touchant notamment à la liberté d’expression.
C’est pourquoi nous vous proposons a minima de mentionner clairement à l’alinéa 12 de cet article que, comme pour les magistrats des juridictions administratives et financières, l’entretien déontologique et la déclaration d’intérêts ne font aucune mention des opinions ou des activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques de l’intéressé.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Les auteurs de cet amendement proposent que ni la déclaration d’intérêts des magistrats judiciaires ni leur entretien déontologique ne puissent porter sur les activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques des intéressés.
Mme Prunaud vient d’ailleurs d’invoquer les dispositions concernant les magistrats administratifs et financiers. Cet argument est incomplet, car le projet de loi relatif à la déontologie des fonctionnaires admet des dérogations pour les magistrats administratifs et financiers lorsque la révélation de ces opinions ou activités résulte de la déclaration de responsabilités exercées dans des associations ou des structures extérieures.
Toutefois, la navette devrait permettre, s’il y a lieu, d’harmoniser les dispositions relatives aux magistrats judiciaires et celles qui concernent les magistrats administratifs et financiers.
Au demeurant, exiger la révélation des activités politiques, syndicales, religieuses ou philosophiques de ces magistrats constituerait sans doute une atteinte à la vie privée qui ne serait pas constitutionnellement acceptable.
Je pense donc que votre crainte n’a pas de raison d’être, ma chère collègue. Par conséquent, je vous prie de bien vouloir retirer cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Je pourrais considérer que cela va sans dire. Pour autant, inscrire un tel principe dans la loi ne relève pas d’une tautologie choquante. Il s’agit d’assurer explicitement une garantie du respect de la liberté d’opinion.
M. Alain Richard. Opinion et activité, c’est différent !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 7 rectifié, présenté par MM. Collombat, Mézard, Amiel, Arnell, Castelli, Collin, Esnol et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Vall, Bertrand et Guérini, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 14
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« En outre, les magistrats doivent remettre une déclaration d’intérêts dans les deux mois qui suivent leur installation dans leurs fonctions et dans les deux mois qui suivent la cessation de leurs fonctions à la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Mon explication vaudra à la fois pour cet amendement et pour plusieurs autres, qui procèdent du même esprit.
J’ai eu l’occasion de l’indiquer lors de la discussion générale : dès lors que l’on se lance dans cette opération de transparence généralisée, qui a tous les inconvénients du monde – nous venons d’évoquer la théorie des apparences, mais d’autres problèmes surgiront –, on n’a pas fini de se créer des complications !
À mon sens, dans la mesure où cette loi a été adoptée – encore une fois, je ne l’avais pas votée –, il faut que tout le monde y soit soumis. Il n’y a donc pas de raison que tous les magistrats n’aient pas les mêmes déclarations à faire et à adresser aux mêmes autorités.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. La commission a retenu le mécanisme d’une déclaration d’intérêts adressée par tout magistrat au chef de sa juridiction pour servir de support encadré à l’entretien déontologique prévu.
Cette déclaration n’a pas vocation à rejoindre la Haute Autorité, contrairement à la déclaration de patrimoine : il s’agit de tenir compte du principe d’indépendance de la magistrature.
Le dispositif proposé viendrait donc contredire toute la cohérence du texte adopté par la commission. C’est pourquoi notre avis est défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement, compte tenu des dispositions introduites dans le texte de la commission.
Mme la présidente. L'amendement n° 52, présenté par M. Pillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 14
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’une procédure disciplinaire est engagée, le Conseil supérieur de la magistrature et le garde des sceaux, ministre de la justice, peuvent obtenir communication de la déclaration d’intérêts et du compte rendu de l’entretien déontologique.
La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur. Il faut bien donner quelque effet aux mesures prévues par ce projet de loi organique…
Cet amendement vise à prévoir que la déclaration d’intérêts d’un magistrat peut être communiquée au Conseil supérieur de la magistrature et au garde des sceaux, lorsqu’une action disciplinaire est engagée à l’encontre du magistrat concerné et comporte un aspect déontologique susceptible d’être éclairé par le contenu de la déclaration et de l’entretien.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 8 rectifié, présenté par MM. Collombat, Mézard, Amiel, Arnell, Castelli, Collin et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier, Vall, Barbier, Bertrand et Guérini, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 16
Remplacer le mot :
Adressent
par les mots :
Chaque magistrat adresse
II. – Alinéas 17 à 22
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Cet amendement et l’amendement suivant visent à étendre le dispositif de déclaration de situation patrimoniale qui vaut pour tous les responsables publics à l’ensemble des magistrats.
Je le concède, la position de la commission a sa logique, mais je trouve la mienne plus cohérente ! (Sourires.)
Mme la présidente. L'amendement n° 11 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Amiel, Arnell, Castelli, Collin, Esnol et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier, Vall, Barbier, Bertrand et Guérini, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Après les mots :
premiers présidents
insérer les mots :
et les présidents de chambre
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Il est défendu.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Mon cher collègue, vous avez une position cohérente, tout comme la commission des lois !
Vous souhaitez soumettre les 8 000 magistrats judiciaires à l’obligation de déclarer leur patrimoine. D’une part, l’activité de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique serait sérieusement surchargée. (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.) D’autre part, cette mesure est disproportionnée au regard de l’objectif. En plus, elle soulèverait des difficultés d’ordre constitutionnel.
Quoi qu’il en soit, cela n’entre pas dans le schéma retenu par la commission des lois. La commission émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Monsieur le sénateur, j’entends votre préoccupation. Dans la mesure où les magistrats prononcent des décisions juridictionnelles, il est bon de prévenir d’éventuels conflits d’intérêts. Pour autant, le statut de ces fonctionnaires prévoit déjà toute une série de garanties ; il n’est donc pas nécessaire d’en rajouter.
C’est pourquoi le Gouvernement demande le retrait de cet amendement. À défaut, l’avis serait défavorable.
Mme la présidente. Monsieur Collombat, les amendements nos 8 rectifié et 11 rectifié sont-ils maintenus ?
M. Pierre-Yves Collombat. Oui, madame la présidente !
Je tiens à ce que la commission et le Gouvernement perçoivent la contradiction dans laquelle ils se sont placés ! (M. Michel Mercier s’exclame.)
Cette affaire est un véritable sac de nœuds ! L’étude d’impact précise que le statut des magistrats offre déjà des garanties suffisantes. Dans ces conditions, pourquoi prévoir toutes ces dispositions ? Il faut être logique !
Ce n’est pas moi qui suis à l’origine de cette législation. Je persiste à rester cohérent, quitte à être minoritaire ! (Sourires.)
Mme la présidente. L'amendement n° 12 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collombat, Amiel, Arnell, Castelli, Collin, Esnol et Fortassin, Mmes Jouve et Laborde et MM. Requier, Vall, Barbier, Bertrand et Guérini, est ainsi libellé :
Alinéa 23
Après les mots :
l’article 4
insérer les mots :
, au premier alinéa de l’article 5
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L'amendement n° 14 rectifié, présenté par MM. Collombat, Mézard, Amiel, Arnell, Castelli, Collin, Esnol et Fortassin, Mmes Jouve, Laborde et Malherbe et MM. Requier, Vall, Barbier, Bertrand et Guérini, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... – Dans les deux mois suivant la date d’entrée en vigueur du décret mentionné à l’article 7-3 de l’ordonnance n° 58-1270 du 22 décembre 1958 portant loi organique relative au statut de la magistrature, les magistrats mentionnés au même article et les membres du Conseil supérieur de la magistrature établissent une déclaration de situation patrimoniale selon les modalités prévues respectivement à l’article 7-3 et à l’article 10-1-1.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 21, modifié.
(L'article 21 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 21
Mme la présidente. L'amendement n° 39, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 21
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 8 de la même ordonnance est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Les magistrats en fonction ne peuvent recevoir de décoration. »
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. La pratique des « cadeaux » dans les juridictions, qu’ils émanent d’avocats, d’experts ou de tout autre intervenant ou partenaire de la justice, devrait être prohibée ou strictement limitée à des sommes minimes. Il en est de même de certains usages qui veulent que, suivant la situation géographique de telle ou telle juridiction, il soit régulièrement offert à des magistrats des forfaits de ski, des places de concert ou de match...
Dans le même ordre d’idées, la remise de décorations aux magistrats, notamment la Légion d’honneur, devrait à nos yeux être interdite. C’était d’ailleurs le sens d’un amendement du député socialiste René Dosière lors de l’examen du projet de loi organique relatif à la limite d’âge des magistrats de l’ordre judiciaire.
Ces décorations sont interdites dans la plupart des pays européens, et à juste titre, dès lors qu’elles sont susceptibles de créer un soupçon de dépendance à l’égard du pouvoir exécutif et d’entretenir une forme de « redevabilité » de certains magistrats vis-à-vis de l’exécutif, ce qui ne peut être que nuisible à la justice.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. C’est l’éternel débat sur la compatibilité de la séparation des pouvoirs et de l’indépendance de la magistrature avec le fait de recevoir des décorations.
Certes, à l’occasion de l’examen du projet de loi organique portant diverses dispositions relatives au statut de la magistrature, la commission des lois de chaque assemblée a adopté une disposition de cette nature, qui a été à chaque fois supprimée en séance publique.
Mes chers collègues, en s’en remettant à la sagesse de la Haute Assemblée, la commission des lois laisse à chacun d’entre vous le soin de décider du sort qu’il convient de réserver à cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le sujet est récurrent. Il a fait l’objet de nombreux débats sans que des progrès dans la réflexion soient constatés.
La Légion d’honneur et l’Ordre national du mérite permettent de distinguer ceux qui ont montré du mérite, des qualités particulières, des engagements dans leur vie professionnelle ou dans leurs activités civiles, militaires ou associatives.
Que cette question se pose de manière plus aiguë pour les magistrats ne me choque pas. Que ces derniers puissent être décorés ne me choque pas non plus dès lors que cela s’appuie sur des éléments vérifiables : le parcours, les états de service, l’engagement, la personnalité ou la moralité.
Je ne vois ni l’utilité ni l’urgence d’interdire aux magistrats de recevoir des décorations. Le Gouvernement émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Je partage l’avis de Mme la garde des sceaux sur ce point.
Il me paraît particulièrement difficile d’interdire à l’ensemble d’une profession, par ailleurs très honorable, de voir ses mérites individuels reconnus par l’attribution d’une distinction, qui est d’ailleurs non une récompense, mais un acte de reconnaissance de la République.
C’est tout aussi peu admissible si l’on se place du point de vue non plus des magistrats, mais des ordres nationaux. En effet, qu’est-ce que cette distinction républicaine, sinon un acte de reconnaissance qui repose sur l’honorabilité des personnes ? Prétendre que, parce que l’on reçoit une distinction, on se met sous la dépendance de celui qui l’attribue, c’est un contresens !
Mme Cécile Cukierman. La décoration n’arrive pas un matin au réveil !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Si l’on considère que les ordres nationaux ne sont pas ce qu’ils doivent être, supprimons-les !
Mais il ne faut pas en priver des professionnels respectables et honorables, qui, comme les autres, doivent pouvoir voir leurs mérites reconnus.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle. J’ai écouté avec intérêt le plaidoyer du président de la commission des lois en faveur du maintien de cette disposition. L’attribution d’une distinction est sans doute légitime pour les professionnels en activité, mais elle ne l’est pas pour les parlementaires, qui ne peuvent pas recevoir de décoration durant l’exercice de leur mandat.
Il est arrivé à des parlementaires – peut-être certains jugeront-ils que cela relève du fait divers – d’être soupçonnés d’avoir remis la Légion d’honneur en contrepartie d’avantages supposés.
En d’autres termes, pour certains, une décoration entraînerait un risque de corruption.
Les magistrats sont certainement à l’abri de ces travers. Ils sont purs et tout à fait insensibles à des pressions telles que l’attribution d’une distinction en contrepartie d’une décision de justice favorable...
La France compte des hommes et des femmes qui, quelles que soient les fonctions qu’ils exercent, sont intouchables par nature. Continuons donc ainsi, et laissons les choses en l’état…
Mme la présidente. L'amendement n° 46, présenté par M. Mézard, n'est pas soutenu.
Je suis saisie de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 40, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 21
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 10 de la même ordonnance ainsi rédigé :
« Art. 10. – Toute manifestation d’hostilité au principe ou à la forme du Gouvernement de la République est interdite aux magistrats.
« Dans l’exercice du droit de grève, les magistrats ne peuvent faire obstacle au traitement du contentieux de la privation de liberté. »
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Comme je l’ai souligné lors de la discussion générale commune, à l’heure où de violents propos viennent entacher les valeurs de notre République, nous ne pouvons que regretter que le Gouvernement n’ait pas décidé de modifier l’article 10 de l’ordonnance n° 58-1270. Au mois de mai 204, le député Éric Ciotti proposait de la réécrire dans un tout autre sens, afin d’interdire le syndicalisme chez les magistrats.
Certes, ce projet de loi organique consacre la reconnaissance du syndicalisme judiciaire ; nous nous en félicitons. Mais il ne revient pas sur l’article 10 de cette ordonnance, notamment l’alinéa 3, qui dispose qu’« est également interdite toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions ». Or c’est en vertu de cette disposition que certains croient pouvoir s’opposer au droit de grève des magistrats, alors même que l’article renvoie seulement à la règle de continuité du service public. À nos yeux, c’est tout l’article 10 qui doit être repensé.
Les deux premiers alinéas de l’article, qui renvoient à la révolte des parlements sous l’Ancien régime, doivent également être réécrits. Il y est en effet question de « délibération politique » du corps judiciaire et de « démonstration de nature politique ». Or le devoir de réserve n’équivaut pas à une interdiction de se prononcer sur la loi, qui est une construction politique, dans le temps de son élaboration comme de son application.
D’ailleurs, la Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt Koudechkina contre Russie du mois de février 2009, a reconnu aux magistrats un droit de critique contre les atteintes à leur indépendance, informations qui revêtent un caractère d’intérêt général et méritent donc de faire l’objet d’un débat libre dans une société démocratique.
Nous souhaitons donc la réécriture de l’article 10, afin de préciser que seules les activités en lien avec le contentieux de la privation de liberté devraient être assurées, sans autre réserve.
À défaut, nous proposons la suppression de l’alinéa 3 de cet article, car il est confus sur la possibilité pour les magistrats de s’exprimer collectivement, de manifester lorsque leurs conditions de travail, mais aussi les conditions de leur indépendance sont en cause, voire de porter un regard critique sur la loi, au stade de son élaboration comme de son application.
Je le rappelle, le droit de grève est reconnu sans ambiguïté aux magistrats administratifs et financiers, ainsi qu’aux fonctionnaires de justice, dont la présence est tout aussi indispensable au fonctionnement et à la continuité des juridictions.
Finalement, seule l’hostilité à la forme républicaine du gouvernement est un positionnement incompatible avec l’appartenance au corps judiciaire. C’est pourquoi seule cette interdiction mérite de rester dans l’ordonnance du 22 décembre 1958.
Mme la présidente. L'amendement n° 41, présenté par Mmes Cukierman et Assassi, M. Favier et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Après l’article 21
Insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le troisième alinéa de l’article 10 de la même ordonnance est supprimé.
La parole est à Mme Cécile Cukierman.
Mme Cécile Cukierman. Il est défendu.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements.
Il est proposé non seulement de reconnaître le droit de grève aux magistrats, mais aussi de donner la possibilité au corps judiciaire de prendre des délibérations politiques, en supprimant la prohibition prévue à l’actuel article 10 de l’ordonnance statutaire. Or cette prohibition est justifiée par le souci de garantir l’impartialité de la justice.
Et l’interdiction du droit de grève des magistrats traduit le fait que la justice n’est pas un service public comme les autres et que son fonctionnement ne doit pas être entravé.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. L’avis du Gouvernement est également défavorable.
L’adoption de ces deux amendements aurait pour effet d’entraver la conciliation prévue dans l’ordonnance statutaire, qui permet de combiner la possibilité pour les magistrats judiciaires de mener des actions concertées et le droit pour les justiciables de bénéficier d’un fonctionnement normal des services de la justice.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 41.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 22
Après l’article 10 de la même ordonnance, il est inséré un article 10-1 ainsi rédigé :
« Art. 10-1. – I. – Le droit syndical est garanti aux magistrats qui peuvent librement créer des organisations syndicales, y adhérer et y exercer des mandats.
« II. – Pour l’exercice de ce droit, les magistrats sont soumis aux dispositions législatives et réglementaires de droit commun applicables aux fonctionnaires, sous réserve des dispositions suivantes.
« Sont considérées comme représentatives au sens de l’article 27-1, les organisations syndicales de magistrats ayant obtenu au moins un siège à la commission d’avancement prévue à l’article 34 parmi les sièges attribués aux magistrats des cours et tribunaux ou ayant obtenu au moins un taux, fixé par le décret en Conseil d’État mentionné au III, des suffrages exprimés lors de l’élection du collège des magistrats des cours et tribunaux et du ministère de la justice qui élit les magistrats du corps judiciaire appelés à siéger à la commission d’avancement prévue aux articles 13-1 à 13-5.
« Les représentants syndicaux, titulaires et suppléants appelés à siéger à la commission d’avancement ainsi qu’à la commission permanente d’études, se voient accorder une autorisation d’absence sur simple présentation de leur convocation. Ils bénéficient des mêmes droits lorsqu’ils prennent part, en cette qualité, à des réunions de travail convoquées par l’administration.
« Sous réserve des nécessités de service, des décharges d’activités peuvent être accordées aux représentants des organisations syndicales représentatives de magistrats.
« Un crédit de temps syndical, utilisable sous forme de décharges de service ou de crédits d’heures selon les besoins de l’activité syndicale, est attribué aux organisations syndicales de magistrats et déterminé à l’issue du renouvellement de la commission d’avancement.
« Les organisations syndicales de magistrats désignent librement parmi leurs représentants les bénéficiaires de crédits de temps syndical.
« Dans la mesure où la désignation d’un magistrat se révèle incompatible avec la bonne administration de la justice, le ministre motive son refus et invite l’organisation syndicale à porter son choix sur un autre magistrat. Le Conseil supérieur de la magistrature doit être informé de cette décision.
« III. – Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du présent article et notamment les conditions et les limites dans lesquelles les décharges d’activité de service peuvent intervenir. »
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 1 est présenté par M. Portelli, Mme Procaccia, M. Vasselle, Mme Di Folco, MM. A. Marc et Laufoaulu, Mme Mélot et MM. Doligé, Milon, Cardoux, J. Gautier, Danesi, Charon, Cambon et Delattre.
L'amendement n° 15 est présenté par MM. Rachline et Ravier.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
Après l’article 10 de la même ordonnance, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art.10-1. – L’existence de groupements professionnels à caractère syndical est incompatible avec l’indépendance de la magistrature. »
La parole est à M. Alain Vasselle, pour présenter l’amendement n° 1.
M. Alain Vasselle. La politisation de la magistrature constatée à la suite de l’introduction du syndicalisme des magistrats dans les années soixante-dix a été le principal facteur d’affaiblissement de son indépendance et de sa légitimité.
Nous proposons donc d’interdire le syndicalisme dans la magistrature, afin de conforter son indépendance et de nous aligner sur les règles en vigueur dans les grands États démocratiques, où l’indépendance des magistrats est séculaire. La France s’honorerait à se mettre en conformité avec ces pays.
M. François Pillet, rapporteur. À cette heure tardive, je pense que nous pouvons nous dispenser d’un débat un peu vif sur le sujet et nous en tenir à des considérations de droit.
C’est donc pour des raisons exclusivement juridiques – je ne me prononcerai pas sur les autres – que j’émets un avis défavorable sur cet amendement.
Premièrement, une telle mesure serait contraire aux engagements internationaux de la France. En effet, dans un arrêt récent, qui a abouti à la condamnation de la France pour l’interdiction faite aux militaires de se syndiquer, la Cour européenne des droits de l’homme a rappelé qu’elle n’acceptait pas les « restrictions qui affectent les éléments essentiels de la liberté syndicale sans lesquels le contenu de cette liberté serait vidé de sa substance ». La Cour est extrêmement claire.
Deuxièmement, cela ne correspond pas aux standards de l’Europe. D’abord, l’article 12.1 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne consacre la liberté syndicale pour tous. Ensuite, je rappelle que la très grande majorité des grandes démocraties consacrent la liberté syndicale des magistrats. Le seul État à l’exclure absolument est l’Espagne, mais ce pays est malgré tout conduit à accepter les associations professionnelles. Le Royaume-Uni encadre l’exercice de la liberté syndicale, sans l’interdire totalement.
Troisièmement, l’adoption d’un tel dispositif contredirait près de cinquante ans de pratique et de jurisprudence, qui ont conduit à la reconnaissance du fait syndical dans la magistrature.
Certes, les auteurs des amendements évoquent des débordements malheureux. Mais, nous le savons tous ici, condamner la liberté en raison des abus qui en sont faits, c’est renoncer à toute liberté !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Très bien dit !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Le Gouvernement émet un avis très défavorable sur cet amendement.
C’est délibérément que nous avons tenu à inscrire la liberté syndicale dans la loi. Il s’agissait de lever toute ambiguïté. En effet, s’il y avait de multiples références à cette liberté, elle ne figurait pas explicitement dans la loi jusqu’à présent.
Monsieur le sénateur Alain Vasselle, vous avez déclaré que les magistrats étaient fortement politisés. Ce reproche leur a été adressé de manière récurrente lors de l’examen du texte interdisant l’intervention du garde des sceaux dans les procédures individuelles en 2015 ou du projet de révision constitutionnelle. Selon moi, l’idée que les magistrats syndiqués seraient politisés et corporatistes relève d’une accusation globale et aveugle et ne se fonde pas sur une appréciation objective des faits.
Je trouve rassurant que, dans une démocratie, des magistrats puissent se syndiquer, se regrouper et défendre collectivement les intérêts de leur corps. Il est important que la magistrature se porte bien dans la société. Je ne vois pas pourquoi le droit de se syndiquer, qui est garanti dans notre démocratie, devrait être refusé aux magistrats.
À mes yeux, le procès permanent en corporatisme, en syndicalisme excessif et en politisation des magistrats contribue surtout à fragiliser l’institution judiciaire. Nous devons concevoir que les magistrats puissent être organisés en syndicats.
Les magistrats ont commencé par créer, voilà longtemps, une association, qui a depuis évolué en syndicat. C’est grâce à cette force rassemblée que la magistrature se porte bien, évolue et se dynamise. C’est ce qui fait avancer l’organisation de nos juridictions, le traitement réservé à la magistrature, les conditions de nomination ou de travail...
Je le répète, ce procès lancinant ne me paraît pas fondé. Surtout, il n’est pas souhaitable pour l’institution judiciaire. C’est délibérément, avec lucidité et volontarisme, que nous avons inscrit la liberté syndicale dans ce projet de loi organique !
Mme la présidente. La parole est à M. Marc Laménie, pour explication de vote.
M. Marc Laménie. L’indépendance de la justice et l’impartialité des magistrats, c'est un sujet particulièrement sensible !
Toute profession mérite respect et reconnaissance. J’ai entendu les propos de Mme la garde des sceaux et, surtout, les explications passionnées et pédagogiques de M. le rapporteur, auxquelles je me rallie.
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc, pour explication de vote.
M. Alain Marc. Madame la garde des sceaux, selon vous, le « mur des cons » n’était donc qu’une blague de potaches !
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle.
M. Alain Vasselle. M. le rapporteur et Mme la garde des sceaux ont avancé des arguments politiques et des arguments juridiques.
Ma première observation, que certains trouveront peut-être subjective, sera de nature politique. Depuis que le droit de se syndiquer a été accordé aux magistrats, on constate une dérive politique chez un certain nombre d’entre eux. Les faits dont notre collègue vient de parler en témoignent.
Ma seconde observation sera juridique. J’aimerais bien que l’on invoque l’Europe avec le même zèle dans tous les domaines. Or bien des gouvernements, de droite comme de gauche, traînent des pieds dès lors qu’il s’agit de s’aligner sur les dispositions européennes. On les invoque selon que cela nous arrange ou pas, selon que l’on veut ou non conserver les dispositions réglementaires ou législatives en vigueur sur le territoire national… Sachons en tirer les enseignements.
Pour l’heure, je retire mon amendement, auquel les membres de cette Haute Assemblée sont très majoritairement opposés.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. M. le sénateur Alain Marc m’a envoyé au visage que, selon moi, le « mur des cons » serait une blague de potaches ; son intention n’était certainement pas louable. Je ne vois pas en quoi je serais concernée par l’action d’un syndicat ou d’un autre.
Mais sa phrase est intéressante. Elle montre qu’il est facile de porter un jugement global et définitif à partir du propos ou de l’attitude déplacés d’une seule personne. On pourrait aussi prendre prétexte des déclarations d’un parlementaire pour conclure que le principe de l’immunité, qui garantit la liberté de parole, n’est pas fondé…
Comme je l’indiquais tout à l’heure, réfléchir sur la magistrature – cela vaut évidemment pour d’autres sujets –, c’est réfléchir sur les principes.
Or, sur le principe, je considère important que les magistrats puissent se syndiquer et mener leurs actions syndicales. Ils le font dans le respect des règles énoncées par la démocratie, et les débordements ne peuvent pas servir de référence.
En tout cas, j’ose espérer que nos capacités de raisonnement sont suffisamment éclairées pour que nous ne prenions pour référence d’éventuels débordements, qu’il s’agisse de la magistrature ou d’un autre corps constitué.
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote sur l’article.
M. Pierre-Yves Collombat. Chers collègues, si le « mur des cons » n’était effectivement pas spécialement bienvenu, il ne faudrait pas non plus oublier ce qui se passait autrefois, dans les années soixante à quatre-vingt. Souvenons-nous de l’état dans lequel pouvait être la magistrature dans certaines circonstances. Si vous voulez des détails, je vous en donnerai.
À mon avis, on va plutôt dans le bon sens. La politisation, si politisation il y a, est plutôt moins visible et moins violente qu’à certaines époques.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 22.
(L'article 22 est adopté.)
Article 23
L’article 11 de la même ordonnance est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Un décret en Conseil d’État précise les conditions et les limites de la prise en charge par l’État, au titre de la protection, des frais exposés par le magistrat dans le cadre d’instances civiles ou pénales, ou devant la commission d’admission des requêtes jusqu’au renvoi devant la formation disciplinaire compétente du Conseil supérieur de la magistrature. » – (Adopté.)
Article 24
L’article 12-2 de la même ordonnance est complété par deux alinéas ainsi rédigés :
« Lorsque le magistrat a fait l’objet de poursuites disciplinaires s’étant conclues par une décision de non-lieu à sanction, il peut demander le retrait des pièces relatives à ces poursuites de son dossier individuel.
« Dans les conditions fixées par décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, le dossier du magistrat peut être géré sur support électronique. » – (Adopté.)
Article 25
La même ordonnance est ainsi modifiée :
1° Après le premier alinéa de l’article 44, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Le magistrat à l’encontre duquel il est envisagé de délivrer un avertissement est convoqué à un entretien préalable. Dès sa convocation à cet entretien, le magistrat a droit à la communication de son dossier et des pièces justifiant la mise en œuvre de cette procédure. Il est informé de son droit de se faire assister de la personne de son choix.
« Aucun avertissement ne peut être délivré au-delà d’un délai de deux ans à compter du jour où l’inspecteur général des services judiciaires, le chef de cour, le directeur ou le chef de service de l’administration centrale a eu connaissance des faits susceptibles de justifier une telle mesure. »
2° Il est rétabli un article 47 ainsi rédigé :
« Art. 47. – Les titulaires de l’action disciplinaire ne peuvent engager une procédure disciplinaire au-delà d’un délai de trois ans à compter du jour où l’un d’eux a eu connaissance des faits susceptibles de recevoir une qualification disciplinaire. »
Mme la présidente. L'amendement n° 53, présenté par M. Pillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. 47. – Le garde des sceaux, ministre de la justice, dans les cas mentionnés à l’article 50-1 ou au premier alinéa de l’article 63, et les chefs de cour, dans les cas mentionnés à l’article 50-2 ou au deuxième alinéa de l’article 63, ne peuvent saisir le Conseil supérieur de la magistrature de faits motivant des poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de trois ans à compter du jour où ils ont eu connaissance de ces faits. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur. C’est un amendement rédactionnel.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 25, modifié.
(L'article 25 est adopté.)
Article 25 bis (nouveau)
La même ordonnance est ainsi modifiée :
1° Au dernier alinéa de l’article 43, après les mots : « de la justice », sont insérés les mots : « ainsi que pour un magistrat exerçant les fonctions d’inspecteur général des services judiciaires, d’inspecteur général adjoint des services judiciaires ou d’inspecteur des services judiciaire » ;
2° L’article 48 est ainsi modifié :
a) Au premier alinéa, après les mots : « ministère de la justice », sont insérés les mots : « ainsi que des magistrats exerçant les fonctions d’inspecteur général des services judiciaires, d’inspecteur général adjoint des services judiciaires et d’inspecteur des services judiciaire » ;
b) Le second alinéa est complété par les mots : « , en qualité de cadre ou d’inspecteur général des services judiciaires, d’inspecteur général adjoint des services judiciaires ou d’inspecteur des services judiciaires ».
3° Le second alinéa de l’article 59 est complété par les mots : « ainsi qu’aux magistrats exerçant les fonctions d’inspecteur général des services judiciaires, d’inspecteur général adjoint des services judiciaires et d’inspecteur des services judiciaire ».
Mme la présidente. L'amendement n° 30, présenté par M. Mohamed Soilihi et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer les mots :
, en qualité de cadre ou
par les mots :
ainsi qu’en qualité
La parole est à M. Thani Mohamed Soilihi.
M. Thani Mohamed Soilihi. Amendement rédactionnel.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Cet amendement vise à apporter une précision utile. La commission émet donc un avis favorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 25 bis, modifié.
(L'article 25 bis est adopté.)
Article 26
La même ordonnance est ainsi modifiée :
1° Après l’article 50-3, sont insérés deux articles 50-4 et 50-5 ainsi rédigés :
« Art. 50-4. – Le Conseil supérieur de la magistrature se prononce dans le délai de douze mois à compter du jour où il a été saisi en application des articles 50-1 à 50-3, sauf prorogation pour une durée de six mois renouvelable par décision motivée.
« Art. 50-5. – Le Conseil supérieur de la magistrature se prononce sur la situation du magistrat ayant fait l’objet d’une interdiction temporaire d’exercice en application de l’article 50 ou de l’article 51 dans le délai de huit mois à compter du jour où il a été saisi en application des articles 50-1 à 50-3. Il peut, par décision motivée, proroger ce délai pour une durée de quatre mois. Si, à l’expiration de ce délai, aucune décision n’a été prise, l’intéressé est rétabli dans ses fonctions. Si l’intéressé fait l’objet de poursuites pénales, le Conseil peut décider de maintenir l’interdiction temporaire d’exercice jusqu’à la décision définitive sur les poursuites disciplinaires. »
2° Les deux derniers alinéas de l’article 63 sont supprimés.
3° Après l’article 63, sont insérés trois articles 63-1 à 63-3 ainsi rédigés :
« Art. 63-1. – Le Conseil supérieur de la magistrature se prononce dans le délai de douze mois à compter du jour où il a été saisi en application de l’article 63, sauf prorogation pour une durée de six mois renouvelable par décision motivée.
« Art. 63-2. – Si, à l’expiration d’un délai de huit mois à compter du jour où le Conseil supérieur de la magistrature a été saisi dans les conditions prévues aux deux premiers alinéas de l’article 63 pour rendre son avis sur la situation du magistrat ayant fait l’objet d’une interdiction temporaire d’exercice, aucune décision n’a été prise par le garde des sceaux, l’intéressé est rétabli dans ses fonctions, sauf prorogation pour une durée de quatre mois après avis motivé du Conseil.
« Si l’intéressé fait l’objet de poursuites pénales, le garde des sceaux, ministre de la justice, peut, après avis du Conseil, maintenir l’interdiction temporaire d’exercice jusqu’à la décision définitive sur les poursuites disciplinaires.
« Art. 63-3. – Dès la saisine du Conseil supérieur de la magistrature, le magistrat a droit à la communication de son dossier et des pièces de l’enquête préliminaire, s’il y a été procédé.
« Le président de la formation de discipline désigne, en qualité de rapporteur, un membre de cette formation. Il le charge, s’il y a lieu, de procéder à une enquête. Lorsque le Conseil supérieur de la magistrature a été saisi par un justiciable, la désignation du rapporteur n’intervient qu’après l’examen de la plainte par la commission d’admission des requêtes du Conseil supérieur mentionnée à l’article 63. Les dispositions de l’article 52 sont applicables. »
Mme la présidente. L'amendement n° 54, présenté par M. Pillet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 8
Après les mots :
garde des sceaux,
insérer les mots :
ministre de la justice,
La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur. C’est un amendement rédactionnel.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Mes chers collègues, nous avons examiné 44 amendements au cours de la journée ; il en reste 18 à étudier sur ce texte.
Je rappelle en outre que 226 amendements sont à examiner sur le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle.
La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
14
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 4 novembre 2015, à quatorze heures trente, le soir et la nuit :
Suite du projet de loi organique relatif à l’indépendance et l’impartialité des magistrats et à l’ouverture de la magistrature sur la société (procédure accélérée) (n° 660, 2014-2015) et projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIe siècle (procédure accélérée) (n° 661, 2014-2015) ;
Rapport de M. François Pillet, fait au nom de la commission des lois (n° 119, 2015-2016) ;
Texte de la commission des lois (n° 120, 2015-2016).
Rapport de M. Yves Détraigne, fait au nom de la commission des lois (n° 121, 2015-2016) ;
Texte de la commission des lois (n° 122, 2015-2016).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le mercredi 4 novembre 2015, à zéro heure quarante-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART