Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Yves Leconte. … ma première priorité est que la COP 21 réussisse ! Dans la foulée, il faut s’en inspirer pour élaborer une nouvelle convention prenant en compte les droits de personnes qui, aujourd’hui – je pense en particulier à Kiribati –, perdent leur État, leur citoyenneté et le droit d’avoir des droits !
Mme la présidente. La parole est à M. Ronan Dantec.
M. Ronan Dantec. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ajouterai quelques mots à l’intervention de notre collègue Esther Benbassa, auteur de la proposition de résolution.
À ce titre, je formulerai deux remarques.
En premier lieu, lorsque l’on parle des déplacés environnementaux et climatiques – le chiffre de 25 millions de déplacés circule –, on a tendance à se concentrer sur les causes, la montée des eaux et les catastrophes naturelles.
Pourtant, je voudrais rappeler que la principale cause de ces déplacements est avant tout, aujourd’hui, l’exode rural. Il y a quelques jours, nous avons accueilli au Sénat des journalistes du Soudan et du Niger. Nos interlocuteurs ont insisté sur le fait qu’à chaque sécheresse on observait une accélération de cet exode. (Mme Évelyne Didier opine.) Lorsque l’on regarde les événements récents – comme la sécheresse catastrophique en Syrie au début des années deux mille –, on s’aperçoit que la déstabilisation des sociétés, qui est largement imputable à l’exode rural, est probablement, aujourd’hui, l’une des principales conséquences du réchauffement climatique !
En second lieu, nous parlons d’un monde dont la température globale a augmenté d’à peu près un degré. Or les scientifiques du GIEC nous annoncent que le réchauffement climatique atteindra quatre à cinq degrés Celsius à la fin du XXIe siècle si le scénario du laisser-faire l’emporte.
Je n’affirmerai pas comme notre collègue Jean-Yves Leconte que la situation va s’aggraver. J’aurai plutôt tendance à dire qu’il ne faudrait surtout pas qu’elle s’aggrave par trop, car, si les températures augmentent de quatre à cinq degrés, il est clair que nous ne pourrons pas répondre à la question des déplacés du climat ! En effet, si ce sont des centaines de millions de personnes qui se mettent en mouvement, aucune société ne sera en capacité de les accueillir.
Il faut le dire avec force, il ne s’agira plus de s’interroger sur un statut juridique complexe, comme aujourd’hui. Quand on voit notre difficulté à accueillir aujourd’hui quelques millions de Syriens qui, eux, ont un véritable statut de réfugié, on peut imaginer ce que seront les problèmes d’un monde dans lequel les températures se seront élevées de quatre ou cinq degrés !
Cela veut bien dire que notre première priorité pour la COP 21 – y compris lorsque nous évoquons les déplacés climatiques – est celle de la stabilisation du climat.
Aujourd’hui, nous visons l’objectif d’une hausse des températures limitée à environ deux degrés. Nous n’y sommes pas encore, mais j’espère que la dynamique qui fera suite à la COP 21 permettra de crédibiliser ce scénario.
Cela signifie également que le scénario d’une hausse des températures limitée à un degré et demi correspond davantage à la problématique des réfugiés, puisque c’est à un tel niveau de réchauffement que l’on peut espérer limiter la montée du niveau de la mer et conserver les îles du Pacifique. Ce scénario a certes quelque peu disparu du débat public – l’attention se concentre trop sur le scénario à deux degrés Celsius de hausse –, mais il constitue un enjeu important face au risque d’une augmentation du nombre des réfugiés, même si celui-ci court sur un temps un peu plus long, car nous aurons réduit la rapidité du processus.
Donc, lorsque l’on évoque un statut pour les déplacés climatiques, on le fait bien dans le cadre d’une hausse maîtrisée des températures.
Tout l’intérêt de cette proposition de résolution est non seulement d’interpeller les États à quelques semaines de la COP 21, mais aussi de flécher un nouveau chapitre du texte en négociation. Ce chapitre, qui est sur la table depuis la COP 19 de Varsovie, est celui des pertes et dommages – en anglais, loss and damage. C’est certainement dans ce chapitre que nous devons insérer la question des déplacés environnementaux et climatiques.
Je voudrais aussi revenir sur l’initiative Nansen, dont Esther Benbassa a parlé. Dans ce cadre, cent dix États ont adopté un agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières en contexte de catastrophes naturelles et de changement climatique. Certes, cent dix États, cela ne fait pas la totalité de la communauté internationale, mais je crois que cette impulsion donnée par la Norvège et la Suisse révèle aussi l’apparition d’un nouveau monde pour la résolution du climat.
Face à la difficulté de se mettre d’accord et de dépasser ses intérêts nationaux à cent quatre-vingt-seize États – c’est d’ailleurs l’image qui est souvent donnée par cette négociation climatique, qui n’avance pas et qui est victime des mêmes blocages d’année en année –, force est de constater qu’un monde s’est mis en mouvement en parallèle.
L’initiative Nansen, qui est assez forte, comme nous avons pu le constater à la mi-octobre, participe pleinement de ce monde en mouvement, composé de pays qui cherchent un consensus à partir d’une proposition de quelques États, au même titre, d’ailleurs, que l’agenda des solutions, porté avec détermination par la France à la COP de Paris ou que les contributions volontaires décidées à Durban, plutôt sur l’initiative des pays africains, pour dépasser les blocages théoriques autour de la question de la responsabilité commune et différenciée.
Finalement, ce monde de la résolution du climat est probablement moins un monde top-down, avec un accord entre États, qu’un monde bottom-up, dans lequel les uns et les autres, que ce soit les États, les collectivités locales ou les acteurs économiques, sont capables de créer des dynamiques, dont fait partie, je le répète, l’initiative Nansen en faveur des déplacés environnementaux.
À mon sens, adopter aujourd’hui cette résolution que nous vous proposons s’inscrit parfaitement dans ce monde en mouvement, coopératif et solidaire, seul capable de relever les nombreux défis environnementaux et sociaux liés aux dérèglements climatiques. (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Esther Benbassa expose un vrai problème, et elle a raison de le faire.
L’Homme est-il face à la nature, ou avec la nature ? Le rapport à la nature n’est pas le même pour tous ; il diffère dans le temps et dans l’espace, selon les cultures et les croyances. En contemplant la Grande vague de Kanagawa, célèbre estampe du XIXe siècle de l’artiste japonais Hokusai, d’aucuns voient un tsunami, d’autres la haute mer, sous les traits en bleu de Prusse.
Le réchauffement climatique, la montée du niveau des mers et la multiplication des événements climatiques extrêmes, comme les inondations, les tsunamis ou la grande sécheresse, ainsi que leurs conséquences géopolitiques feront certainement émerger des vagues de migrations de populations qui en sont les victimes. Ces dernières seront d’abord et principalement originaires des pays les plus vulnérables et les moins développés.
Cependant, le lien entre ces déplacements et l’évolution du climat n’est pas toujours si évident. Ainsi faut-il tenir compte de l’ensemble des personnes qui fuient de manière générale des « ruptures environnementales » mettant en péril leur existence ou affectant sérieusement leurs conditions de vie, selon la notion retenue en 1985 par le Programme des Nations Unies pour l’environnement, le PNUE, ce qui permet d’englober également les catastrophes d’origine humaine.
Par ailleurs, nous devons garder à l’esprit que ces déplacements peuvent avoir lieu dans les pays industrialisés, même s’ils sont mieux préparés pour répondre à ce type de crise, et même si nous, de notre côté, croyons à la capacité humaine de réparer ses propres erreurs.
L’Organisation des Nations unies estime que le nombre de déplacés environnementaux s’élèvera à 250 millions en 2050, à l’intérieur ou à l’extérieur de leur État d’origine. La communauté internationale devra s’enquérir de leur sort pour ne pas agir dans la précipitation. Pour éviter les crises, l’anticipation est absolument indispensable.
Or, aujourd’hui, force est de constater que la communauté internationale peine déjà à apporter une réponse aux flux de migrants économiques et de réfugiés relevant du droit d’asile et protégés par la convention de 1951. À cet égard, il faut dire que la distinction entre les différentes raisons d’émigration ne va pas de soi.
Les déplacements environnementaux sont très majoritairement, et pour l’instant, internes aux États, et leur gestion relève à l’évidence de la responsabilité de ces derniers. Pour autant, ce constat ne doit pas avoir pour effet d’exclure la responsabilité de la communauté internationale, en particulier celle des États les plus pollueurs, en matière de dérèglement climatique.
Les initiatives régionales, comme celle de l’Union africaine, avec la convention de Kampala, n’offrent pas, en raison de leur caractère temporaire, des solutions pleinement satisfaisantes, comparées à celles que permet le cadre international, plus propice à la situation.
Les migrations temporaires peuvent être gérées ponctuellement, ce qui ne veut d’ailleurs pas dire facilement, mais qu’en est-il des situations où l’intégrité territoriale d’un État est menacée, ce qui arrive ? Comme s’interrogent les auteurs du récent rapport fait au nom de la commission des affaires étrangères du Sénat sur les conséquences géostratégiques du dérèglement climatique, que deviennent ceux qui sont contraints de rester sur place ?
Sur la forme, la présente proposition de résolution présentée par Mme Benbassa ne peut normalement que nous rassembler.
Sur le fond, elle ne prétend pas apporter de solutions concrètes, cela serait présomptueux en l’état. Elle n’évoque d’ailleurs aucune mesure de prévention ou de protection effective.
Néanmoins, elle est bien le reflet, d’une part, d’une volonté commune et partagée d’agir et, de l’autre, des divergences sur les moyens à mettre en œuvre, qui mettent à mal toute tentative de gouvernance internationale dans l’ensemble de ces domaines.
Les auteurs de la proposition de résolution ont joué la prudence en s’abstenant d’évoquer un quelconque statut, qui impliquerait par définition des droits et des obligations. Ils nous invitent cependant à ne pas nous cacher indéfiniment derrière les joutes doctrinales pour justifier l’inaction.
Faut-il imposer un cadre contraignant que les États ne respectent pas forcément ou, au contraire, favoriser le droit souple basé sur la bonne volonté des États ? Pour défendre une position au niveau de la COP 21, ainsi qu’au sein des institutions européennes et internationales, encore faudrait-il se mettre d’accord au niveau national…
Si l’on peut agir en amont par une politique volontariste en matière de lutte contre le réchauffement climatique, nous nous devons aussi de mettre en place des mesures visant à protéger ceux qui ont déjà tout perdu et ceux qui subiront les conséquences d’un écosystème devenu hostile à l’avenir.
Le rapport d’information sénatorial de nos collègues Fabienne Keller et Yvon Collin, publié en septembre dernier, rappelle l’épineux problème des « financements climat », alors que la prise en charge en matière d’adaptation pour les pays les moins avancés d’ici à 2025-2030 représenterait un coût de 50 milliards de dollars par an, d’après le PNUE.
Les pays industrialisés, frappés par la crise budgétaire, peinent à alimenter le Fonds Vert pour le climat, acté en 2009 lors de la conférence de Copenhague, et qui doit atteindre les 100 milliards d’euros par an à compter de 2020, en vue de contribuer à la lutte contre les changements climatiques dans les pays en développement.
Mme la présidente. Il faut conclure, mon cher collègue.
M. Jacques Mézard. L’affectation de la moitié de ces financements aux États les plus vulnérables va dans le bon sens.
En dépit de ces nuances, et comme vous l’aurez compris, nous soutenons une approche active en la matière pour répondre de façon organisée et prospective à la problématique croissante des déplacés environnementaux. C’est la raison pour laquelle aucun membre du RDSE ne s’opposera à l’adoption de la présente proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Cyril Pellevat.
M. Cyril Pellevat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le sujet de cette proposition de résolution est très important. En cela, l’initiative de notre collègue Esther Benbassa est positive.
Cependant, si le sujet est d’actualité et mérite une attention rigoureuse de notre part, il importe aussi de nous interroger sur la méthode. Est-ce que la proposition de résolution est le bon « vecteur » pour traiter une question si importante ?
Nous en doutons, tout d’abord au regard du calendrier.
Nous ne pouvons pas nous contenter d’une proposition de résolution soumise à l’approche d’une réunion internationale, si importante soit-elle, ce qui reviendrait à diminuer l’importance de ce sujet à part entière, dont les responsables politiques doivent se saisir. D’ailleurs, j’observe qu’ils ont commencé à le faire.
Nous avons également des doutes sur le fond, car il nous semble que cette proposition de résolution pose un problème juridique.
Premièrement, lorsque l’on travaille sur ce sujet, on constate que la notion de « déplacés environnementaux » fait débat chez les spécialistes et les démographes. De même, il serait inapproprié d’utiliser l’expression « réfugiés climatiques », dépourvue de définition légale et renvoyant au statut de « réfugié politique », clairement établi par la convention de Genève de 1951 et par le protocole de 1967.
Deuxièmement, arrêtons-nous sur les causes à l’origine des déplacements de populations.
L’étude de l’Institut national d’études démographiques, l’INED, publiée en mai dernier et intitulée Les migrations environnementales sont-elles mesurables ?, établit clairement que ces phénomènes procèdent de plusieurs facteurs. Les travaux de Jason Bremner et Lori Hunter, professeurs de sociologie à l’université du Colorado vont dans le même sens. Ils démontrent que ces migrations proviennent d’un « continuum de pressions environnementales » s’inscrivant dans un temps long. Ces pressions peuvent être la dégradation des sols, la raréfaction de terres arables, la désertification ou le stress hydrique.
Or notre pays participe à la lutte contre ces phénomènes, notamment au travers de notre politique d’aide au développement.
Par ailleurs, je souhaite vous rappeler les travaux de nos collègues Leila Aïchi, Cédric Perrin et Éliane Giraud. Dans leur rapport, Climat : vers un dérèglement géopolitique ?, adopté à l’unanimité par la commission des affaires étrangères du Sénat, ils ont reconnu et déploré que « l’absence d’une définition consensuelle de la notion de déplacés climatiques [ait] pour conséquence des estimations très variables selon les études et la méthodologie retenue ».
Dès lors, mes chers collègues, pour les législateurs que nous sommes, il serait inapproprié d’adopter une résolution utilisant une notion infondée juridiquement.
J’en reviens à nos doutes sur la forme. L’alinéa 9 indique que la France doit promouvoir, lors de la COP 21, la mise en œuvre de mesures en faveur des déplacés environnementaux, mais est-ce vraiment aux parlementaires de définir les ordres du jour des sommets internationaux ?
Le chef de la diplomatie est le Président de la République, et je rappelle que, si la France accueille et préside la COP 21, l’organisation de l’événement est également gérée par le secrétariat des Nations unies dédié à la COP.
Mes chers collègues, je pense qu’il n’est pas bon que nous nous dispersions. Au nom du groupe Les Républicains, je tiens à souligner que la priorité de la COP 21 est de parvenir à un nouvel accord, universel et contraignant, limitant le réchauffement climatique en deçà de deux degrés. La tâche diplomatique de la France étant déjà ardue, veillons à ne pas brouiller notre message diplomatique un mois avant la conférence.
Je voudrais enfin attirer votre attention sur un autre point. Cette proposition de résolution mentionne les mesures de prévention et de protection. La question des migrations environnementales et leur caractère irréversible renferment des enjeux territoriaux très larges, qui méritent d’être traités par une approche dépassant les seuls concepts de prévention et de protection des populations.
En effet, face à la gravité des risques, il serait plus pertinent que les États mettent en place des politiques d’anticipation de ces migrations. Reconnaissons qu’une politique de prévention est insuffisante dans les cas de submersion de territoires insulaires ou de violentes inondations ravageant les littoraux. Il s’agit donc non pas d’être pessimiste, mais d’être réactif.
L’ampleur des risques appelle la mise en place « d’analyses stratégiques des déplacés climatiques » intégrant tant les politiques d’anticipation et la culture du risque que les facteurs de dérèglement sécuritaire que peuvent engendrer les déplacements de populations.
La France a mentionné ce type de risque dans le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, mais il n’y a pas de programme dédié dans la loi de programmation militaire, malgré sa révision.
À cet égard, les travaux menés par le département de la défense américain sur les effets sécuritaires et économiques des déplacés climatiques peuvent être instructifs, tout comme les conséquences de l’ouragan Katrina.
En réalité, je regrette que l’alinéa 9 n’invite pas le Gouvernement à se doter d’une réflexion stratégique globale sur les risques et les migrations pouvant en découler. Celle-ci pourrait être menée par les ministères de l’intérieur et de la défense, ainsi que par les services de l’aménagement du territoire.
Plusieurs rapports du Sénat vont en ce sens et contiennent des propositions détaillées : le rapport de nos collègues Cédric Perrin et Leila Aïchi, déjà cité, mais aussi celui de nos collègues Bruno Retailleau et Alain Anziani sur les leçons du drame de la tempête Xynthia et la nécessaire culture du risque à développer.
Pour conclure, je souhaite être pragmatique et positif. Mes chers collègues, cette proposition de résolution, déposée voilà six mois sur le bureau du Sénat, me semble dépassée par l’actualité, au sens où elle est satisfaite. Je pense que nous pouvons nous en réjouir.
Le 15 octobre dernier, lors du débat sur les politiques étrangères de la France qui s’est tenu au Sénat, le ministre des affaires étrangères, M. Laurent Fabius, a indiqué que ce sujet serait abordé par les délégations des États insulaires et des États exposés aux modifications climatiques présentes à Paris pour la COP 21.
Enfin, que prévoit l’alinéa 9 de la proposition de résolution ? Il précise que la France doit promouvoir dans les enceintes internationales des mesures de prévention et de protection des personnes déplacées pour des raisons climatiques. Or, c’est déjà le cas. À titre d’exemple, mardi 13 octobre, à Genève, 110 États, dont la France, ont adopté un Agenda pour la protection des personnes déplacées au-delà des frontières dans un contexte de catastrophes naturelles et de changement climatique.
C’est l’aboutissement du processus de Nansen, dont l’ambition est de combler le vide juridique relatif aux migrants victimes de dérèglement climatique.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous estimons que cette proposition de résolution est déjà satisfaite et nous regrettons que le sujet qu’elle ambitionnait de traiter ne soit pas abordé de façon plus audacieuse, notamment au regard des enjeux.
Pour ces raisons, le groupe Les Républicains s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la résolution qui nous est proposée aujourd'hui s’inscrit pleinement dans l’actualité des travaux engagés par la Haute Assemblée en vue de la réunion à Paris de la Conférence des parties, en décembre prochain.
Sous l’impulsion du président Gérard Larcher, dont je veux ici saluer la détermination, les différentes instances du Sénat ont en effet engagé depuis plusieurs mois des travaux importants sur le climat. Les commissions permanentes, les délégations, les groupes d’amitié ont tous apporté leur part à la contribution du Sénat en vue de cette conférence.
La résolution proposée vient donc utilement nourrir les travaux de synthèse menés par notre collègue Jérôme Bignon qui nous proposera dans quelques jours – le 16 novembre prochain, à la veille du Congrès des maires de France – un texte riche et ambitieux, reflétant l’engagement de notre assemblée dans ce débat.
Pour ma part, j’ai présenté lundi dernier, à Genève, devant l’assemblée générale de l’Union interparlementaire, un projet de déclaration en vue de son adoption par les parlementaires venus du monde entier le 6 décembre prochain, ici même dans cet hémicycle.
Les auteurs de la présente proposition de résolution appellent de leurs vœux une prise de conscience sur le phénomène des déplacés environnementaux. C’est effectivement une question capitale.
Nous sommes aujourd'hui tous émus et préoccupés par la situation des centaines de milliers de réfugiés qui sont à nos portes. Les dérèglements climatiques peuvent demain être la cause de plusieurs centaines de millions de réfugiés.
Ce phénomène, par son ampleur, serait source d’instabilité considérable et de graves conflits.
Le dérèglement climatique a et aura – disons-le clairement ! – un impact indéniable sur la paix dans le monde. Comme aime à le dire assez régulièrement Nicolas Hulot, « à Paris, nous devrons décider de la paix ou de la multiplication des conflits ».
Conscient de ce défi, le groupe UDI-UC a consacré, lors des journées parlementaires du 21 septembre dernier, une table ronde sur le thème : « Les défis majeurs de la lutte contre le réchauffement climatique : guerres et migrations ».
Si le phénomène de migrations environnementales est reconnu depuis trente ans par les Nations unies, il reste difficilement appréhendé et peu connu de nos concitoyens. Il est en effet rare que la décision de migrer ait une causalité unique.
Par ailleurs, ces migrations, actuellement limitées dans l’espace, se font le plus souvent sur des distances réduites, à l’intérieur d’un même pays ou d’une même région, ce qui rend ce phénomène moins perceptible par nos concitoyens. La quantification et les estimations du développement de ce dernier sont nombreuses, mais souvent disparates. Ce phénomène aurait touché 27,5 millions de personnes chaque année entre 2008 et 2013 et pourrait concerner 200 millions de personnes à l’horizon 2050.
Les effets du dérèglement climatique sont désormais connus : montée des océans, désertification, dégradation des sols, sécheresse, multiplication des événements climatiques majeurs.
Parmi les zones les plus concernées par ces migrations, on peut citer l’Amérique centrale, le Pakistan, le Bangladesh, l’Afrique de l’Ouest et de l’Est et l’Asie du Sud-Est.
Comment ne pas citer également les îles du Pacifique, au cœur des travaux du Sénat lors d’un colloque en juin dernier ? L’existence même de certaines îles y est menacée, avec la perspective devenue bien réelle et traumatisante d’une dispararition de la surface du globe.
Ainsi, les îles Carteret, au large de la Papouasie–Nouvelle-Guinée, sont aujourd’hui condamnées par les scientifiques. Leurs habitants, soumis à des inondations de plus en plus dramatiques, se voient contraints de partir.
Il y a, dans ce cas extrême, un terrible paradoxe entre le fait que ces habitants ont l’une des plus basses empreintes écologiques du monde et qu’elles sont les premières victimes des dérèglements climatiques.
La réponse à ce phénomène doit être multiforme.
Tout d’abord, il importe de contenir et de limiter les dérèglements climatiques ; c’est la première des urgences, et c’est tout l’enjeu de la COP 21 qui aboutira, je l’espère, à un accord universel et contraignant, permettant de limiter les émissions de gaz à effet de serre pour contenir la hausse de la température moyenne mondiale à deux degrés Celsius d’ici à la fin du siècle.
En l’état actuel des contributions nationales transmises par les États, force est de constater que nous sommes plus vraisemblablement sur une trajectoire à trois degrés Celsius. Tous les efforts doivent donc être mobilisés d’ici à la Conférence pour rapprocher les engagements d’une trajectoire à deux degrés Celsius, et surtout pour nous permettre, au-delà, d’appliquer et de respecter ces engagements.
Cette limitation est en effet indispensable pour prévenir une amplification des migrations.
Deuxièmement, il faut mettre en place des mesures d’adaptation et d’atténuation assorties des moyens nécessaires à leur mise en œuvre. Il s’agit de déployer les moyens financiers, notamment à travers le Fonds vert pour le climat, de veiller au transfert de technologies et de connaissances et au renforcement des capacités.
À cet égard, je veux rappeler, mes chers collègues, que notre rôle sera déterminant. En effet, s’il revient au Gouvernement et aux diplomates de conclure des accords à l’échelon international, c’est à nous, parlementaires, de les ratifier ; c’est à nous, parlementaires, de voter les budgets nécessaires à leur mise en œuvre ; c’est à nous, parlementaires, de voter un certain nombre de mesures législatives qui en découlent ; et c’est à nous, parlementaires, de veiller au respect des engagements au travers du contrôle du Gouvernement.
Enfin, j’entends ici et là des voix proposer la création d’un statut de réfugié climatique, pendant de celui de réfugié politique. Je ne suis pas convaincu de l’opportunité et de l’efficacité de cette solution.
Nous l’avons dit, le changement climatique, sans être la cause unique, constitue l’un des motifs qui précipitent la décision – temporaire ou définitive – de migration.
De nombreux observateurs ont, à cet égard, mis en évidence l’importance du facteur environnemental dans les prémices de la crise syrienne. Le déplacement massif de populations privées de ressources naturelles a eu indéniablement un effet catalyseur dans l’émergence du conflit.
Il serait toutefois illusoire que, pour entrer dans une catégorisation juridique, on demande au cas par cas aux réfugiés de prouver le caractère politique, climatique ou économique de leur migration.
J’ajoute que, dans le contexte actuel des tensions causées dans nos sociétés par les questions migratoires – nous devons le reconnaître –, la création d’un statut de réfugié climatique ne viendrait que nourrir encore plus les peurs. Un tel statut juridique n’apporterait d’ailleurs qu’une réponse extrêmement limitée au problème puisque, nous l’avons dit, la plupart des migrants restent à l’intérieur de leur pays. Un statut international serait donc, dans de nombreux cas, inopérant.
Pour autant, une prise de conscience est nécessaire. C’est tout l’objet de cette résolution.
Le dérèglement climatique dépasse les frontières des États, c’est une évidence. Les efforts de chacun n’enlèvent rien à la nécessité de négociations internationales pour la définition d’un cadre universel.
De même, le règlement de la question des déplacés environnementaux, dont le nombre déjà important ne devrait que croître, ne trouvera de solution que dans le cadre de négociations internationales.
La France doit donc appuyer la mise à l’ordre du jour international de cette question. Elle doit résolument s’engager dans la définition et le financement des mesures d’adaptation. Elle doit, enfin, promouvoir les coopérations régionales afin que les flux de réfugiés ne viennent pas déstabiliser des régions déjà très fragilisées.
Parce que cette proposition de résolution invite la France à porter cette question sur la scène européenne et la scène internationale dans un souci de sensibilisation et d’information, je la voterai, tout comme un certain nombre de mes collègues du groupe UDI-UC. Les autres membres de mon groupe s’abstiendront. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe écologiste, ainsi que sur certaines travées du groupe Les Républicains.)