compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
Secrétaires :
M. Claude Haut,
Mme Colette Mélot.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu intégral de la séance du jeudi 15 octobre 2015 a été publié sur le site internet du Sénat.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Désignation d’un sénateur en mission temporaire
M. le président. Par courrier en date du 19 octobre, M. le Premier ministre a fait part de sa décision de placer, en application de l’article L.O. 297 du code électoral, Mme Françoise Cartron, sénatrice de la Gironde, en mission temporaire auprès de Mme Najat Vallaud-Belkacem, ministre de l’éducation nationale, de l’enseignement supérieur et de la recherche, et de M. Patrick Kanner, ministre de la ville, de la jeunesse et des sports.
Cette mission portera sur les rythmes scolaires.
Acte est donné de cette communication.
3
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’une proposition de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen de la proposition de loi relative à la prévention et à la lutte contre les atteintes graves à la sécurité publique, contre le terrorisme et contre la fraude dans les transports publics de voyageurs, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale le 7 octobre 2015.
4
Dépôt d’un document
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le bilan triennal 2010-2013 du contrat de service public entre l’État et GDF-Suez.
Acte est donné du dépôt de ce document.
Il a été transmis à la commission affaires économiques.
5
Décisions du Conseil constitutionnel sur trois questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 16 octobre 2015, trois décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur les associations pouvant exercer les droits reconnus à la partie civile en ce qui concerne l’apologie des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité (n° 2015-492 QPC) ; la peine complémentaire obligatoire de fermeture de débit de boissons (n° 2015-493 QPC) ; la procédure de restitution des objets placés sous main de justice au cours de l’information judiciaire (n° 2015-494 QPC).
Acte est donné de ces communications.
6
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. Le Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le vendredi 16 octobre 2015, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l’article L. 3121-10 du code des transports (Activité de conducteur de taxi) (2015-516 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible à la direction de la séance.
Acte est donné de cette communication.
7
Agressions sexuelles sur mineur
Discussion d'une proposition de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe Les Républicains, de la proposition de loi visant à rendre effective l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs lorsqu’une personne a été condamnée pour des agressions sexuelles sur mineur, présentée par Mme Catherine Troendlé et plusieurs de ses collègues (proposition n° 437 [2014-2015], texte de la commission n° 55, rapport n° 54).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Catherine Troendlé, auteur de la proposition de loi.
Mme Catherine Troendlé, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en début d’année, coup sur coup, deux affaires – l’une en Isère, l’autre en Ille-et-Vilaine – sont venues rappeler que des violences sexuelles imposées aux enfants dans l’enceinte scolaire constituaient encore une cruelle actualité dans notre pays et, par là même, un terrible aveu d’impuissance pour la République.
Les faits, commis dans des lieux censés apporter une totale protection aux enfants, ont effectivement été l’œuvre de deux personnes soupçonnées d’actes pédophiles graves et qui ont continué à exercer leurs activités professionnelles auprès de mineurs alors même qu’elles avaient été condamnées pour détention d’images pornographiques plusieurs années auparavant.
Le 24 mars dernier, les médias ont annoncé que les ministères de la justice et de l’éducation nationale avaient diligenté une enquête administrative conjointe, confiée à leur inspection générale respective, dont le rapport définitif n’a été rendu public qu’au mois de juillet suivant.
Le 4 mai suivant, les ministres de l’éducation nationale et de la justice se sont rendues à Villefontaine pour y présenter les conclusions provisoires de la mission chargée de faire la lumière sur la transmission d’informations relatives aux poursuites et condamnations pénales de deux enseignants.
Il a été démontré que les informations n’avaient pas été communiquées à l’éducation nationale. La conclusion provisoire faisait précisément état de « dysfonctionnements majeurs », laissant apparaître que « l’échange d’informations entre l’autorité judiciaire et l’institution scolaire n’est pas efficient ».
Le Gouvernement a alors annoncé l’élaboration d’un projet de loi pour combler ces lacunes. Mais c’est en définitive un amendement au projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne, dit « DDADUE pénal », qui, de façon quelque peu précipitée, a été déposé. Nous connaissons la suite : la disposition a été sanctionnée par le Conseil constitutionnel.
En l’absence de transmission rapide, par le Gouvernement, d’un véritable texte de loi sur le sujet, j’ai mené une réflexion qui m’a conduite, à l’instar du député Pierre Lellouche à l’Assemblée nationale, à déposer une proposition de loi sur le bureau du Sénat. Nos deux textes, je le précise, ont été précédés par une excellente proposition de loi, déposée par notre collègue député, Claude de Ganay, qui complète parfaitement nos démarches respectives.
Il faut se rendre à l’évidence, en dépit d’une parole de plus en plus libérée dans notre société – et c’est heureux - sur ces agissements criminels, aussi bien dans l’administration qu’au sein des familles, et malgré des dispositions du code pénal et du code de l’action sociale et des familles encadrant avec toujours plus de précisions le risque pédophile, sa répression et le suivi des personnes incriminées, seize révocations d’enseignants sont encore intervenues, en 2014, pour de tels motifs !
Où se situent les dysfonctionnements ? Ils sont liés au non-respect de la circulaire n° 97-175 du 26 août 1997, qui porte instruction concernant les violences sexuelles et détermine la ligne de conduite censée être suivie au sein du ministère de l’éducation nationale, ainsi qu’au non-respect de la dépêche du 29 novembre 2001 relative à l’avis à donner aux administrations à l’occasion des poursuites pénales exercées contre des fonctionnaires et agents publics.
Il apparaît donc que c’est au stade de la condamnation qu’une faiblesse de notre droit demeure, faiblesse ayant pu conduire aux récents « dysfonctionnements ». En fait, l’interdiction d’exercer toute profession au contact d’enfants imposée aux personnes concernées par ce type de crimes ou de délits est considérée comme une peine complémentaire laissée à la libre appréciation du juge. Temporaire ou bien définitive, cette interdiction peut être décidée par le juge en complément d’une peine principale.
Mais au-delà de l’éducation nationale et, en général, de la fonction publique, qui est malheureusement souvent pointée du doigt, d’autres structures recevant un public mineur sont parfois le théâtre de ces violences faites aux enfants. Ainsi, au mois de mai dernier encore, dans l’Eure, un directeur de centre équestre récidiviste a été accusé de viols sur quatre jeunes filles. Il avait déjà été condamné en 2007 et figurait sur le fichier des délinquants sexuels.
Avec le dépôt de cette proposition de loi, mon objectif a été d’assurer la protection la plus efficace possible aux mineurs – partout où ils sont susceptibles de se trouver, et non uniquement dans le cadre de l’école publique – contre les auteurs d’agressions sexuelles, tout en respectant notre ordre constitutionnel.
Pour mettre un terme à ces situations dangereuses, il s’avère nécessaire de rendre effective l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec des mineurs, pour toute personne condamnée pour crime ou délit sexuel contre des mineurs.
Il y a urgence à présent, car, l’Assemblée nationale ayant déjà débattu de ces dispositions, notamment en examinant l’amendement au DDADUE pénal, nous pouvons presque considérer que nous procédons aujourd'hui à une deuxième lecture. Et le Conseil constitutionnel a censuré certaines dispositions adoptées alors pour des motifs constitutionnels – l’amendement était un cavalier législatif -, et uniquement pour cela.
Compte tenu de ces éléments, il a semblé normal – et donc urgent – aux soixante-seize membres du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC ayant signé cette proposition de loi et à moi-même d’inscrire celle-ci dans le premier espace de la session ordinaire réservé au groupe Les Républicains.
Une demande d’engagement de la procédure accélérée a été soumise par le président du Sénat, M. Gérard Larcher, à M. le Premier ministre, car nous voulions être sûrs de ne pas perdre de temps. Mais je suis déçue, madame la garde des sceaux, par la réponse de ce dernier. M. le Premier ministre nous a effectivement fait savoir que la procédure d’urgence ne serait pas retenue. Je ne comprends pas cette décision ! Comme je viens de l’indiquer, nous sommes parvenus, à peu de chose près, au stade de la deuxième lecture. Le texte de la proposition de loi a été validé ; il est équilibré sous l’angle tant de l’objectif visé que du respect de l’ordre constitutionnel.
Doit-on en conclure que le Gouvernement souhaite privilégier son propre projet de loi qui, encore soumis pour avis au Conseil d’État, n’est pas inscrit à l’ordre du jour ?...
M. Éric Doligé. Eh oui !
Mme Catherine Troendlé. Je suis pourtant certaine, madame la garde des sceaux, que nous visons le même objectif !
Par ailleurs, j’aimerais profiter du temps qui m’est imparti pour rendre hommage à tous les professionnels, notamment de l’éducation, et à tous les bénévoles qui œuvrent au contact des enfants. Il s’agit là de très belles vocations, salutaires pour les plus jeunes et participant à la formation des esprits de demain.
Aussi, je tiens à préciser que la présente proposition de loi n’entend, en aucune manière, jeter l’opprobre sur ces professionnels et bénévoles, parmi les plus méritants. Elle a uniquement pour finalité de protéger les enfants de prédateurs qui ne devraient pas être au contact de jeunes publics.
Je souhaite également faire part de ma gratitude à mes soixante-seize collègues qui ont soutenu cette proposition de loi en la cosignant, montrant ainsi tout l’intérêt que les élus de notre chambre ont pour la protection des mineurs et leur bien-être en général.
Pour terminer, il m’appartient de remercier vivement – j’y insiste – M. le rapporteur, François Zocchetto, de son excellent travail, de son écoute, mais aussi de sa détermination à rendre ce texte efficace. Ce travail approfondi a conduit au respect à la fois de l’objectif visé – la protection des mineurs contre les auteurs d’agressions sexuelles – et de notre ordre constitutionnel.
Bien évidemment, mes chers collègues, je soutiens pleinement les modifications que M. le rapporteur a proposé d’apporter à cette proposition de loi et qui ont été adoptées par la commission des lois, la semaine dernière.
Au bénéfice de ce plaidoyer, madame la garde des sceaux, je vous invite à nous apporter tout votre soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC, ainsi que sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
M. François Zocchetto, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale. Monsieur le président, madame la garde des sceaux, mes chers collègues, nous sommes de nouveau réunis, trois mois après l’échec de la commission mixte paritaire sur le projet de loi portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne.
Je vous le rappelle, à l’époque, nous nous étions opposés à la méthode retenue par le Gouvernement et par les députés, consistant à insérer dans ce projet de loi de nombreux articles additionnels, sans lien avec le texte d’origine. Mais nous avions également émis des réserves de fond, concernant un certain nombre de dispositions que nous réétudions aujourd'hui.
Comme vous le savez, le Conseil constitutionnel a donné totalement droit au Sénat, en annulant vingt-sept articles du DDADUE introduits par l’Assemblée nationale. Cette décision très importante a permis de faire respecter les droits de notre assemblée. Elle prohibe également, à l’avenir, des extensions non maîtrisées du champ des textes de transposition.
Pour autant, nous étions bien évidemment convenus, lors de l’examen du projet de loi précité, qu’il y avait matière à travailler. C’est ce qu’a fait Catherine Troendlé, montrant ainsi que le Sénat est pleinement conscient de certaines failles de notre législation et qu’il est déterminé à les combler le plus rapidement possible. Je salue donc son initiative et la qualité de son travail.
À la suite des faits évoqués par l’auteur de la présente proposition de loi, avec votre collègue ministre de l’éducation nationale, madame la garde des sceaux, vous avez diligenté une inspection conjointe. Le rapport qu’elle a produit, de très bonne qualité, n’a cependant été rendu public qu’à l’issue de l’examen du texte dit « DDADUE ».
Voilà trois mois, le Gouvernement a confondu vitesse et précipitation et réagi dans l’émotion, au risque de porter gravement atteinte à nos principes constitutionnels, alors qu’il y avait matière à examiner ces questions rapidement, certes, mais dans la sérénité.
C’est ce que nous faisons aujourd’hui.
Ainsi, l’article 30 de la loi censuré par la suite par le Conseil constitutionnel prévoyait une transmission systématique à l’autorité administrative des informations concernant les condamnations des agents publics, ce qui ne soulève bien évidemment aucune difficulté de principe. Mais il était également prévu une information sur les procédures pénales en cours, contrevenant ainsi gravement – c’est là que tout se complique – à la présomption d’innocence.
Mes chers collègues, vous savez combien sont délicates ces affaires ; il revient au législateur la tâche très difficile de suivre une ligne de crête particulièrement étroite : d’un côté, nous devons assurer la protection la plus efficace possible aux mineurs ; d’un autre côté, nous devons respecter les principes constitutionnels garants de notre État de droit.
De ce point de vue, l’approche retenue dans le cadre de la présente proposition de loi me semble beaucoup plus intéressante que celle qui prévalait dans le cadre du texte de juillet puisqu’elle vise les personnes reconnues coupables, ce qui permet de lever toute difficulté.
Par ailleurs, notre droit offre aux magistrats la possibilité de prononcer des peines principales et des peines complémentaires. La peine complémentaire qui nous intéresse dans le cas présent consiste en l’interdiction d’exercer une activité professionnelle ou bénévole impliquant un contact avec les mineurs.
Deux chiffres prouvent que cette peine est rarement retenue. En 2013, dernière année de référence pour les statistiques, sur les 2 978 condamnations pour agressions sexuelles contre mineur, la peine complémentaire a été prononcée à 86 reprises. Par ailleurs, sur les 1 600 condamnations pour mise en péril de mineurs, il a été fait recours à 74 reprises à une telle peine.
C’est ainsi que le procureur général de Versailles a récemment demandé aux parquets de son ressort de requérir systématiquement cette peine complémentaire en cas d’infraction sexuelle contre un mineur et d’interjeter appel tout aussi systématiquement des décisions qui ne suivraient pas ces réquisitions.
Par conséquent, la commission des lois a approuvé le principe d’une peine complémentaire obligatoire, en apportant à ce dispositif les adaptations nécessaires pour en garantir la conformité à la Constitution. Elle propose ainsi de renverser le principe : cette peine complémentaire s’appliquera, sauf décision contraire spécialement motivée du juge, la juridiction conservant toute latitude d’appréciation en choisissant de prononcer cette interdiction à titre temporaire ou à titre définitif.
S’agissant de l’information de l’autorité administrative en cas de condamnation ou de procédure pénale en cours, objet de l’article 3 de la proposition de loi, la commission a adopté un dispositif très largement inspiré de l’article 30 de la loi DDADUE qui avait obtenu le soutien – c’est peu de le dire – à la fois des députés et du Gouvernement.
La proposition qui vous est soumise, mes chers collègues, se limite à une obligation d’information de l’administration de tutelle portant sur les condamnations pour infraction sexuelle contre mineur : cela peut paraître une évidence, mais c’est déjà un progrès par rapport au droit en vigueur.
Il pourra nous être rétorqué que le temps qui s’écoulera entre la commission des faits et le prononcé de la condamnation est trop long. Je comprends cet argument. Toutefois, il existe dans notre droit pénal une mesure de sûreté, à savoir le contrôle judiciaire. Ce cadre procédural est parfaitement adapté au sujet dont nous débattons. C’est pourquoi la commission propose que le juge d’instruction ait la faculté d’interdire à la personne mise en examen d’exercer une activité au contact de mineurs.
Le texte élaboré par la commission prolonge ce raisonnement : il prévoit que, sauf décision contraire spécialement motivée, tout agent public ou toute personne exerçant une activité sous le contrôle de l’administration, travaillant au contact de mineurs et mise en examen pour une infraction sexuelle contre mineur soit obligatoirement placée sous contrôle judiciaire, l’autorité de tutelle en étant systématiquement informée.
On nous a fait observer qu’un tel dispositif n’empêcherait pas, pour autant, que certains cas passent au travers des mailles du filet. En effet, un grand nombre de procédures ne donnent pas lieu à la saisine d’un juge d’instruction, mais sont directement conduites par le procureur dans le cadre d’une enquête préliminaire. De fait, moins de 5 % des affaires pénales sont traitées par un juge d’instruction.
Je comprends également cet argument. Toutefois, cette objection dépasse largement notre sujet. Si nous voulions que les procureurs qui suivent les enquêtes puissent prononcer des peines complémentaires, il faudrait alors leur donner la possibilité de saisir le juge des libertés et de la détention, ce qui constituerait un profond changement de notre procédure pénale. Ce n’est pas le moment pour en discuter.
J’estime cependant que, dans le cas où se présenterait une grosse difficulté, le parquet pourrait aussitôt saisir un juge d’instruction et requérir le placement sous contrôle judiciaire.
Avec l’accord de son auteur, que je remercie, la commission a supprimé l’article 5 de la proposition de loi qui prévoyait l’augmentation des quanta de peine applicables en cas de condamnation pour détention ou consultation d’images pédopornographiques, ce afin d’éviter tout effet contreproductif.
En outre, nous avons décidé d’intégrer dans ce texte trois articles qui figuraient dans la loi DDADUE et qui faisaient l’objet d’un consensus.
Enfin, nous avons modifié l’intitulé de la proposition de loi pour en élargir le champ.
Tel est en résumé, mes chers collègues, l’état d’esprit dans lequel la commission des lois a examiné cette proposition de loi.
Cela dit, madame la garde des sceaux, je sais que le Gouvernement envisage de présenter au Parlement un nouveau projet de loi reprenant une partie des dispositions examinées l’été dernier dans le cadre de la loi DDADUE. Je le dis avec force et solennité : nous ne comprendrions pas que le Gouvernement, qui a demandé toutes ces mesures, s’opposât à la présente proposition de loi au seul motif qu’il s’agit d’un texte d’origine parlementaire. Ce serait mal vécu, car cette proposition de loi reprend une partie des dispositions proposées par Dominique Raimbourg et ses collègues députés.
Puisque, me semble-t-il, vous aviez donné votre agrément à toutes ces mesures, je ne comprendrais pas que vous ne nous apportiez pas votre soutien, d’autant plus que, comme votre collègue Najat Vallaud-Belkacem, vous voulez aller vite. Alors, saisissez le premier véhicule législatif à votre disposition ! Quand bien même le Premier ministre a refusé d’engager, comme l’avait demandé le président du Sénat, la procédure accélérée, nous sommes prêts, en accord tant avec nos collègues de l’Assemblée nationale qu’avec vous-même, à faire avancer très rapidement ce texte. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. le président. La parole est à Mme la garde des sceaux.
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux, ministre de la justice. Monsieur le président, monsieur le président la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, il n’est pas utile de revenir sur les événements tragiques que vous avez rappelés, madame Troendlé, et qui nous ont conduits à prendre des dispositions visant à encadrer la transmission des informations détenues par l’autorité judiciaire à destination de l’éducation nationale et, plus généralement, de toute administration employant des personnes en contact habituel avec des mineurs.
Vous l’avez souligné, monsieur le rapporteur, le Gouvernement a réagi très vite. Cependant, vous avez parlé de précipitation à propos des dispositions introduites dans la loi du 17 août 2015 portant adaptation de la procédure pénale au droit de l’Union européenne ; permettez-moi de vous dire que c’est de diligence qu’a fait preuve le Gouvernement.
Dès le lendemain des faits qui se sont produits, la ministre de l’éducation nationale et moi-même avons diligenté une inspection conjointe de l’inspection générale des services judiciaires et de l’inspection générale de l’éducation nationale et l’avons chargée d’examiner aussi précisément que possible les conditions dans lesquelles s’effectuent ces transmissions et de formuler des préconisations pour en améliorer la fluidité.
À peine quelques jours plus tard, nous avons réuni les procureurs généraux et les recteurs, afin d’appeler leur vigilance sur les conditions dans lesquelles les informations sont transmises sous la responsabilité des premiers et sur les conditions dans lesquelles ces informations sont traitées sous l’autorité des seconds par l’administration de l’éducation nationale.
Nous avons également mis en place un groupe de travail chargé, sous l’autorité de la direction des affaires criminelles et des grâces, de faire des propositions visant à organiser le traitement des informations recueillies par les administrations.
Nous avons aussi chargé cette direction de l’élaboration d’un guide méthodologique destiné non seulement à l’autorité judiciaire, mais également à l’éducation nationale et, plus largement, à toutes les administrations qui pourraient être amenées à prendre soit des mesures conservatoires, soit des mesures définitives à l’encontre des agents qu’elles emploient.
Au-delà de cette vigilance à l’égard des personnes, nous avons cherché à améliorer l’assistance technique et logistique à destination des magistrats et des greffiers en introduisant des alertes informatiques dans le dispositif Cassiopée, outil de gestion des dossiers en matière pénale.
Nous avons également travaillé avec le ministère de l’intérieur de façon à permettre aux enquêteurs, grâce à des alertes informatiques, d’identifier très rapidement, dès leur interrogatoire au cours de leur garde à vue, les personnes ayant un contact habituel avec des mineurs sur le plan professionnel.
Dès le 6 septembre dernier, la ministre de l’éducation nationale et moi-même avons adressé aux parquets généraux et aux rectorats une circulaire commune destinée à rappeler les conditions de diffusion de l’information à droit constant et à leur transmettre la liste des référents « éducation nationale » pour ce qui concerne les parquets ainsi que la liste des référents « justice » à l’égard des rectorats.
Vous l’avez rappelé, madame Troendlé, plusieurs circulaires ont été diffusées – en 1997, en 2001 et en 2015 – faisant obligation aux parquets de transmettre les informations dont ils disposeraient à la fois à l’éducation nationale et à toute administration publique.
Dans la mesure où cette transmission d’informations se heurte à certains principes inscrits dans le code de procédure pénale, à savoir le secret de l’instruction, le secret du délibéré et la présomption d’innocence, nos investigations approfondies ont montré que c’est seulement par la loi que nous pouvons en définir le cadre juridique. D’autant que le Gouvernement souhaite que cette transmission d’informations soit la plus pertinente possible.
Monsieur le rapporteur, vous parliez fort justement d’une « ligne de crête particulièrement étroite » entre la nécessité d’informer afin que des mesures conservatoires soient prises – avant condamnation, le cas échéant – et le respect de la présomption d’innocence, principe majeur de notre droit.
Nous avions trouvé ce chemin de crête grâce à un travail extrêmement intense avec les députés, vous avez eu l’élégance de le rappeler, monsieur le rapporteur. Nous avions souhaité agir vite, mais non dans la précipitation, s’agissant d’i, texte très élaboré. Le Gouvernement ne fait preuve d’aucune défiance à l’égard des parlementaires : après trois ans passés aux responsabilités, nous avons démontré en de multiples circonstances le respect dans lequel nous tenons les parlementaires, qu’il s’agisse de la Chambre Haute ou de l’Assemblée nationale.
Mme Catherine Troendlé. Oui !
M. François Zocchetto, rapporteur. En effet !
Mme Christiane Taubira, garde des sceaux. Ce respect ne fait pas l’ombre d’un doute ! Les amendements que vous déposez sur les textes présentés par le Gouvernement sont pris en considération et reçoivent des avis favorables lorsque le Gouvernement estime qu’ils tendent à améliorer le dispositif. Parfois, certains d’entre eux, sans réduire la qualité d’un texte, peuvent avoir une vocation particulière, tels les amendements d’appel. Mais, d’une manière générale, le Gouvernement est extrêmement soucieux de l’écriture de la loi par les législateurs que vous êtes, mesdames, messieurs les sénateurs.
Néanmoins, je vous expliquerai pourquoi le Gouvernement ne souhaite pas émettre un avis favorable sur ce texte de loi. (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)