M. Jean-Claude Requier. Les membres du groupe du RDSE voteront contre l’amendement n° 1, car ils sont hostiles au délit de racolage, qu’il soit actif ou passif, comme ils sont hostiles à la pénalisation du client.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Giraud, pour explication de vote.
Mme Éliane Giraud. Je voudrais revenir sur la notion de victime, car elle est essentielle.
Si l’on rétablit le délit de racolage, on change totalement l’esprit de la proposition de loi. En effet, ce qui est nouveau et important dans ce texte, c’est le fait que les prostituées pourront d’une manière générale se sentir victimes et être reconnues comme telles. C’est ainsi qu’elles entreront dans de nouveaux processus comme le processus de soins.
Lors des travaux de la commission spéciale, les choses ont été dites clairement : si les prostituées ne sont pas reconnues comme des victimes, la situation ne changera pas. L’intérêt de ce texte, c’est qu’il renverse complètement les choses, et cela me paraît extrêmement important qu’on le reconnaisse dans la loi et qu’on le dise fermement ! C’est pourquoi il faudra rétablir l’article 16.
Certains d’entre nous ont rappelé des chiffres : plusieurs milliers de femmes sont concernées. La situation est donc grave ! Cette nouvelle façon de faire permettra d’intervenir réellement sur le phénomène de la prostitution et sur le sort de ces femmes.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Troendlé, pour explication de vote.
Mme Catherine Troendlé. De façon très apaisée, mes chers collègues, je vous poserai la question suivante : que voulez-vous ? Pénaliser le client ? Dont acte !
Néanmoins, en pénalisant le client qui a recours à une activité qui n’est pas illicite, nous ne nous plaçons plus du tout dans le cadre du droit. En effet, la sanction pénale en France est intrinsèquement liée à une activité illicite : il existe un parallélisme des formes. Si l’on suit votre logique, il faudrait – de façon décomplexée, pardonnez-moi de le dire – interdire la prostitution !
En cet instant, nous parlons du délit de racolage, qui présente un double intérêt.
En premier lieu, il marque notre positionnement : la prostitution n’est pas une activité licite. En contrepartie, cela apporte de l’eau à votre moulin sur la question de la pénalisation du client.
En second lieu, il offre la possibilité aux forces de l’ordre, aujourd’hui en grande difficulté, d’atteindre ces personnes et, dans ce contexte-là, de les prendre en charge lorsqu’elles le souhaitent.
Voilà la démarche qui est la mienne ! Elle se défend, tout comme la vôtre.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l'avis de la commission est favorable et que celui du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 23 :
Nombre de votants | 334 |
Nombre de suffrages exprimés | 331 |
Pour l’adoption | 160 |
Contre | 171 |
Le Sénat n'a pas adopté. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Je mets aux voix l'article 13.
(L'article 13 est adopté.)
M. le président. Mes chers collègues, il est vingt heures vingt-cinq ; il nous reste onze amendements à examiner. Je vous propose de poursuivre l’examen de ce texte, ce qui devrait nous conduire à terminer nos travaux au plus tard à vingt-deux heures. (Assentiment.)
Article 14
(Non modifié)
I. – Le code pénal est ainsi modifié :
1° À la première phrase du 2° du I de l’article 225-20, la référence : « 225-10-1, » est supprimée ;
2° À l’article 225-25, les mots : « , à l’exception de celle prévue par l’article 225-10-1, » sont supprimés.
II. – Au 5° de l’article 398-1 et au 4° du I de l’article 837 du code de procédure pénale, la référence : « 225-10-1, » est supprimée.
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par Mme Troendlé, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Catherine Troendlé.
Mme Catherine Troendlé. L’article 13 n’a pas été supprimé. Par cohérence, je retire cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 2 est retiré.
Je mets aux voix l'article 14.
(L'article 14 est adopté.)
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Chapitre II bis
Prévention et accompagnement vers les soins des personnes prostituées pour une prise en charge globale
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Chapitre III
Prévention des pratiques prostitutionnelles et du recours à la prostitution
Article 15
(Non modifié)
Après l’article L. 312-17-1 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 312-17-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 312-17-1-1. – Une information sur les réalités de la prostitution et les dangers de la marchandisation du corps est dispensée dans les établissements secondaires, par groupes d’âge homogène. La seconde phrase de l’article L. 312-17-1 du présent code est applicable. »
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, sur l'article.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. L’article 15 porte sur le volet « éducation », qui est l’un des quatre piliers essentiels pour lutter contre le système prostitutionnel. En effet, l’éducation à l’égalité entre les hommes et les femmes et à la lutte contre les stéréotypes sexistes dès le plus jeune âge est l’un des moyens de prévenir le développement de la prostitution. C’est un point auquel je suis particulièrement attachée et auquel la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes du Sénat, dans son rapport, a été particulièrement sensible. N’oublions pas que la prostitution s’inscrit dans une société inégalitaire et que lutter contre l’inégalité entre les hommes et les femmes commence dès le plus jeune âge.
Plusieurs idées reçues entourent la prostitution, comme le fait qu’il s’agisse d’un mal nécessaire répondant à des pulsions sexuelles irrépressibles ou que les personnes prostituées y consentent, voire aiment leur activité, ou encore qu’il s’agit pour elles d’argent facilement gagné.
Par ailleurs, ainsi qu’en ont témoigné les inspecteurs de l’Inspection générale des affaires sociales, on constate qu’il existe dans les établissements scolaires, dès le secondaire, des relations sexuelles tarifées en échange d’argent ou de cadeaux.
Enfin, une étude sur la prostitution étudiante menée dans le département de l’Essonne montre combien les jeunes qui échangent des services sexuels contre une rémunération n’ont pas conscience qu’il s’agit de prostitution.
Voilà pourquoi je crois que le maintien dans la loi de la référence à la « marchandisation du corps » parmi les thématiques relevant de l’éducation à la sexualité est une bonne chose.
M. le président. Je mets aux voix l'article 15.
(L'article 15 est adopté.)
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Chapitre IV
Interdiction de l’achat d’un acte sexuel
Article 16
(Supprimé)
M. le président. Je suis saisi de quatre amendements identiques.
L'amendement n° 5 rectifié bis est présenté par Mmes Blondin, Meunier et Lepage, M. Courteau, Mmes E. Giraud et Monier, MM. Kaltenbach et Carvounas, Mmes Yonnet, Féret et Riocreux, M. Manable, Mmes Tocqueville, Jourda et Guillemot, MM. Berson, Gorce, Desplan et Roger, Mme D. Michel, MM. Filleul, Madrelle et Lalande, Mme Ghali, M. Durain, Mmes Claireaux, S. Robert et Herviaux, M. Assouline, Mme Conway-Mouret, MM. Vaugrenard et Duran, Mme Schillinger et MM. Cabanel, Labazée, Roux et Marie.
L'amendement n° 8 rectifié est présenté par Mmes Jouanno et Morin-Desailly, M. Guerriau, Mme Létard et MM. Cadic et Détraigne.
L'amendement n° 10 rectifié est présenté par Mmes Cohen et Gonthier-Maurin, M. Bosino, Mmes David et Demessine, MM. Le Scouarnec et P. Laurent, Mme Didier, MM. Bocquet et Favier et Mme Prunaud.
L'amendement n° 23 est présenté par le Gouvernement.
Ces quatre amendements sont ainsi libellés :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
I. – Le code pénal est ainsi modifié :
1° La section IV du chapitre V du titre II du livre VI est rétablie dans la rédaction suivante :
« Section IV : Du recours à la prostitution
« Art. 625-8. - Le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage, est puni de l’amende prévue pour les contraventions de la cinquième classe.
« Les personnes physiques coupables de la contravention prévue au présent article encourent également une ou plusieurs des peines complémentaires mentionnées à l’article 131-16 et au second alinéa de l’article 131-17. » ;
2° La section 2 bis du chapitre V du titre II du livre II est ainsi modifiée :
a) Après le mot : « prostitution », la fin de l’intitulé est supprimée ;
b) L’article 225-12-1 est ainsi rédigé :
« Art. 225-12-1. – Lorsqu’il est commis en récidive dans les conditions prévues au second alinéa de l’article 132-11, le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir des relations de nature sexuelle d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage, est puni de 3 750 € d’amende.
« Est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende le fait de solliciter, d’accepter ou d’obtenir, en échange d’une rémunération, d’une promesse de rémunération, de la fourniture d’un avantage en nature ou de la promesse d’un tel avantage, des relations de nature sexuelle de la part d’une personne qui se livre à la prostitution, y compris de façon occasionnelle, lorsque cette personne est mineure ou présente une particulière vulnérabilité, apparente ou connue de son auteur, due à une maladie, à une infirmité, à un handicap ou à un état de grossesse. » ;
c) Aux premier et dernier alinéas de l’article 225-12-2, après le mot : « peines », sont insérés les mots : « prévues au dernier alinéa de l’article 225-12-1 » ;
d) À l’article 225-12-3, la référence : « par les articles 225-12-1 et » est remplacée par les mots : « au dernier alinéa de l’article 225-12-1 et à l’article ».
II. – À la troisième phrase du sixième alinéa de l’article L. 421-3 du code de l’action sociale et des familles, la référence : « 225-12-1 » est remplacée par les références : « au dernier alinéa de l’article 225-12-1 et aux articles 225-12-2 ».
La parole est à M. Roland Courteau, pour présenter l’amendement n° 5 rectifié bis.
M. Roland Courteau. Cet amendement tend à rétablir le quatrième pilier de la proposition de loi, qui vise à créer une infraction de recours à la prostitution d’une personne majeure, punie de la peine d’amende prévue pour les contraventions de cinquième classe. Il prévoit également une amende de 3 750 euros en cas de récidive contraventionnelle de ces mêmes faits.
Il s’agit, au travers de ce dispositif pénal progressif, d’accompagner un véritable changement sociétal. Certes, les coupables sont évidemment les proxénètes et les réseaux, mais les clients doivent aussi être conscients de leurs responsabilités, puisque l’achat d’un acte sexuel conforte la gestion industrielle du sexe et des corps ainsi que l’exploitation commerciale de la personne humaine.
Dès lors, l’article 16 que notre amendement tend à rétablir est indispensable à l’équilibre et à la cohérence du texte. Il réaffirme clairement la position abolitionniste de la France en disposant concrètement que nul n'est en droit d'exploiter la précarité et la vulnérabilité ni de disposer du corps d’autrui pour lui imposer un acte sexuel par l'argent.
Par ailleurs, la prostitution est un phénomène sexué qui contrevient au principe d’égalité entre les hommes et les femmes. En effet, si 85 % des 20 000 à 40 000 personnes prostituées en France sont des femmes, 99 % des clients sont des hommes !
Ce constat heurte plusieurs principes fondamentaux de notre droit et, au premier chef, le préambule de la convention des Nations unies pour la répression de la traite des êtres humains et de l’exploitation de la prostitution d’autrui.
En Suède, où, en application de la loi du 4 juin 1998, l’achat d’actes sexuels est puni d’une amende et d’une peine d’emprisonnement, la prostitution de rue a été divisée par deux en dix ans. Rien n’indique, aujourd’hui, que la prostitution dans des lieux fermés ait augmenté du fait de son interdiction, ni que des personnes qui se prostituaient autrefois dans la rue se soient repliées dans des lieux fermés pour exercer cette activité, ni encore qu’elles subissent davantage de violences.
Bref, en posant les règles relatives à l’interdiction de l’achat d’actes sexuels, cet amendement tend, pour la première fois, à agir sur la demande en la considérant comme responsable du développement de la prostitution et des réseaux d’exploitation sexuelle. Il s’agit d’un signal fort en direction des réseaux de proxénétisme. Nous faisons le pari que, en s’attaquant à la demande, la proposition de loi dissuadera efficacement les réseaux de proxénètes d’investir sur un territoire où les législations sont moins favorables aux profits criminels.
M. le président. La parole est à Mme Chantal Jouanno, pour présenter l’amendement n° 8 rectifié.
Mme Chantal Jouanno. Ces dispositions, sur lesquelles je ne vais pas revenir en détail, me semblent d’autant plus nécessaires que nous venons de supprimer le délit de racolage, actif comme passif. Si l’« offre » n‘est pas encadrée, il semble nécessaire d’encadrer la « demande ». Sans cela, nous aboutirons à une libéralisation totale du système de la prostitution.
M. le président. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour présenter l’amendement n° 10 rectifié.
Mme Laurence Cohen. Sans vouloir reprendre les arguments que j’ai développés au cours de la discussion générale, je tiens à insister sur le pas important que le Sénat vient d’effectuer en supprimant le délit de racolage. Il faut vraiment pousser la démarche à son terme, pour garantir l’équilibre de la proposition de loi…
Mme Catherine Troendlé. Elle n’en a pas !
Mme Laurence Cohen. … et concrétiser la volonté de porter un coup au système prostitutionnel. Dans ce but, il est nécessaire de responsabiliser celui qui achète un acte sexuel.
Cette responsabilisation témoigne, non seulement d’une prise de conscience, mais aussi d’un respect porté aux personnes qui se prostituent à travers la reconnaissance de leur statut de victimes d’une violence. Elle permet également d’en finir avec cette vision, trop souvent mise en avant, d’une sexualité masculine forcément prédatrice et totalement indifférente au désir de l’autre.
Pour toutes ces raisons, notre groupe propose de rétablir la pénalisation de l’acte sexuel tarifé. Cette avancée significative, qui tient compte de tout ce qui a été dit durant le débat, permet aussi de progresser sur une problématique chère à nos yeux - l’égalité entre les femmes et les hommes -, en portant un grand coup à ce fléau, cette violence extrême faite aux femmes que constitue la prostitution.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État, pour présenter l’amendement n° 23.
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Favorable à la sanction de l’achat d’actes sexuels, le Gouvernement a souhaité déposer cet amendement tendant à rétablir un pilier essentiel de la proposition de loi.
Notre objectif est triple.
Premièrement, l’adoption de la proposition de loi doit donner un signal fort, en nommant les victimes et les auteurs de ces violences. Cela permettra de rendre visibles les violences qui se cachent derrière le terme « prostitution », ce qui s’avère essentiel pour permettre aux victimes de se reconstruire.
Deuxièmement, cette sanction posera un interdit et permettra d’indiquer clairement que l’achat d’un acte sexuel n’est pas une pratique normale ou banale et que tout cela doit cesser. On ne peut dédouaner le client de sa responsabilité dans la perpétuation des violences pesant sur ces femmes, car c’est bien lui qui crée la demande sur ce marché. En indiquant clairement aux personnes achetant des actes sexuels qu’elles participent à une forme d’exploitation, nous voulons faire reculer cette demande.
Troisièmement, réduire la demande permettra de diminuer les profits des réseaux. La prostitution se borne, pour certains, à une question de profits et de marché. Nous devons faire en sorte que la France devienne un marché inhospitalier pour ces réseaux. C’est parce que des clients paient que ces derniers s’enrichissent et développent la traite. En décourageant la demande, nous rendrons notre territoire moins lucratif et, donc, moins attractif pour eux.
Enfin, pour lever certaines craintes qui se sont exprimées, je veux rappeler quelques éléments de droit national et international.
Dans notre législation, la sanction de l’achat d’actes sexuels est déjà présente afin de protéger les personnes mineures ou vulnérables en situation de prostitution. Personne n’estime - et c’est heureux - que ces dispositions de notre code pénal sont dangereuses pour les personnes mineures et vulnérables. Il n’y a pas de raison de penser que sanctionner l’achat d’actes sexuels serait bénéfique pour les personnes prostituées mineures et dangereux pour les autres. Nous devons donc étendre cette disposition protectrice à toutes les personnes prostituées.
Sur le plan international, les textes engageant la France se font de plus en plus précis. En 2014, tant l’Union européenne que le Conseil de l’Europe ont incité les pays à prendre toutes les mesures, y compris législatives, pour décourager la demande.
Mme Catherine Troendlé. Il faut un équilibre !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. Je vous ai écoutée, madame la sénatrice. Permettez-moi d’indiquer pourquoi le Gouvernement a déposé un amendement visant à rétablir cet article très important qui concerne la responsabilité des clients.
Mme Catherine Troendlé. Mais ce n’est pas logique !
Mme Pascale Boistard, secrétaire d'État. La position du Gouvernement est claire : le système prostitutionnel forme un tout ; sanctionner l’achat d’actes sexuels est l’un des outils que nous pouvons mettre en place pour faire reculer ces violences. Or nous sommes déterminés à employer tous les outils qui sont à notre disposition, et ce dans un très bref délai – je le précise en réponse à votre demande, madame la rapporteur, exprimée à l’occasion de la discussion générale.
Ainsi, je me réjouis que cette position soit portée par trois autres amendements issus de différents groupes politiques. Cela montre, je le répète, que la proposition de loi peut donner lieu à une large mobilisation transpartisane.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. La commission spéciale a émis un avis défavorable sur ces amendements tendant à rétablir la pénalisation de l’achat d’actes sexuels, une disposition qu’elle avait précédemment supprimée du texte. Elle estime, dans sa majorité, que cette mesure risque de fragiliser les personnes prostituées, sans pour autant constituer un outil efficace dans la lutte contre les réseaux.
Personnellement - j’ai pu m’exprimer sur le sujet dans le cadre de la discussion générale -, je suis favorable au rétablissement de la pénalisation de l’achat d’actes sexuels. Mme la secrétaire d’État vient très justement de développer un certain nombre d’arguments en ce sens. J’y ajoute simplement le fait que l’intitulé même de la proposition de loi évoque une « lutte contre le système prostitutionnel ». Le client fait donc partie du problème !
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Boulard, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Boulard. Je souhaite soulever une question qui n’a pas encore été évoquée à ce stade de nos débats : le risque d’inconstitutionnalité de la pénalisation des clients.
Mme Catherine Troendlé. Eh oui !
M. Jean-Claude Boulard. Je fonde cette interrogation sur un premier constat : le principe de liberté et d’autonomie de la personne qui se prostitue a été reconnu par la Cour européenne des droits de l’homme – je vous renvoie à l’arrêt Pretty du 29 avril 2002 et à l’arrêt Tremblay du 11 septembre 2007 - ainsi que par la Cour de justice de l’Union européenne dans un arrêt Jany du 20 novembre 2001. Ces arrêts reconnaissent que la prostitution peut être un choix. Certes, cela concerne une minorité de cas, mais la liberté est toujours l’exercice d’une minorité.
De ce premier constat de la reconnaissance de la liberté – au reste, la suppression du délit de racolage a précédemment été motivée par ce même principe – en découle un second : il est, me semble-t-il, impossible de pénaliser l’usage d’une activité libre non interdite. Il n’existe effectivement aucune sanction dans notre droit pénal sur l’usage d’une activité autorisée. Ce dernier établit une relation entre sanction pénale et interdiction de l’activité.
M. André Reichardt. Absolument !
M. Jean-Claude Boulard. Dès lors que la vente d’un service sexuel n’est pas interdite et peut même être proposée publiquement, l’achat de ce même service ne peut être poursuivi.
M. André Reichardt. Eh oui !
M. Jean-Claude Boulard. Enfin – c’est mon troisième constat –, il est regrettable que l’on n’ait pas pris le chemin de la pénalisation de l’usage d’un service contraint. C’était la bonne distinction à faire, et la législation le permettait. Traite d’êtres humains, proxénétisme, réduction en esclavage, viol ou travaux dissimulés… Toute une série de dispositions pénales permet de réprimer non seulement les responsables de l’organisation d’un service contraint, mais également, grâce au concept juridique de recel, les usagers d’un tel service. Je regrette que l’on n’ait pas approfondi ce débat.
Dans ces conditions, le droit à la libre utilisation de son corps fondé sur l’autonomie de la personne fait obstacle à la pénalisation de l’usage d’un service consenti. Il aurait été beaucoup plus légitime, comme le permet la législation actuelle, de réprimer l’imposition d’un service contraint.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Pierre Monier, pour explication de vote.
Mme Marie-Pierre Monier. Cela a été rappelé, 90 % des prostituées de rue sont d’origine étrangère. Personne ne peut croire que ces femmes décident, une par une, de venir se prostituer sur les trottoirs de nos villes. La réalité, c’est qu’elles sont « importées » en masse en Europe occidentale, depuis l’Afrique, l’Europe de l’est ou l’Asie, par des réseaux extrêmement violents. D’autres sont poussées vers la prostitution par la pauvreté.
Rappelons que 85 % des prostituées sont des femmes, que l’âge moyen d’entrée dans la prostitution est de quatorze ans et que l’espérance de vie des prostituées se situe autour de quarante ans. La prostitution est l’expression de la domination économique et sociale sous toutes ses formes : celle des hommes sur les femmes, des riches sur les pauvres et, parfois, des pays du Nord sur les pays du Sud.
Certaines redoutent que la pénalisation des clients ait des effets négatifs sur la sécurité et la santé des prostituées. Mais le problème est-il seulement d’améliorer les conditions de la servitude sexuelle ou bien d’en contester le principe ?
En réalité, la prostitution est dangereuse pour la sécurité des femmes ; elle est ravageuse pour leur santé physique et mentale. Beaucoup sont obligées de se dissocier de leur corps, nous recueillons de nombreux témoignages en ce sens. D’ailleurs, comme cela a été mentionné, le taux de suicide chez les personnes prostituées est douze fois plus élevé que dans le reste de la population.
Alors n’utilisons pas l’argument hygiéniste pour mieux maintenir le statu quo, voire pour légaliser la prostitution, comme certains le souhaiteraient ! Posons d’abord que le corps humain n’est pas un objet de consommation et, ensuite, soyons pragmatiques.
Il s’agit, non pas de savoir s’il est bien moralement de se vendre, mais s’il est légitime de prétendre acheter un corps, et, donc, de mettre fin à cette vieille hypocrisie qui condamnait les « filles publiques » et protégeait leurs clients.
Ce qui est en cause, c’est l’organisation de ce marché, avec ses producteurs – trafiquants et proxénètes –, ses marchandises – les personnes prostituées – et ses consommateurs – les clients. Nous ne pouvons plus laisser les consommateurs de ce système totalement impunis, alors qu’ils participent à cette exploitation.
Il me semble que les lois sont faites pour définir des relations sociales justes et équitables, pour garantir la liberté, la dignité et la santé de chacun, et non pour abandonner les plus pauvres à l’emprise de l’argent sur leur vie. Nous souhaitons une société libérée, où la justice, la protection des plus démunis et l’égalité entre les femmes et les hommes sont garanties. En effet, lorsque le corps des femmes peut être acheté, il est impossible de penser des rapports égalitaires entre les femmes et les hommes.
Pour toutes ces raisons, je voterai en faveur de la pénalisation de l’achat d’actes sexuels.
M. le président. La parole est à M. René Danesi, pour explication de vote.