compte rendu intégral
Présidence de Mme Jacqueline Gourault
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Frédérique Espagnac,
M. Bruno Gilles.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Organismes extraparlementaires
Mme la présidente. M. le Premier ministre a demandé au Sénat de procéder à la désignation, d’une part, d’un sénateur appelé à siéger au sein du Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique en remplacement de M. François Calvet, d’autre part, de deux sénateurs appelés à siéger au conseil d’administration de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA.
La commission des affaires économiques a été invitée à présenter la première candidature et la commission des lois, à présenter les deux autres candidatures.
Les nominations au sein de ces organismes extraparlementaires auront lieu ultérieurement, conformément à l’article 9 du règlement.
3
Commission mixte paritaire
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi portant diverses dispositions relatives à la maîtrise de l’immigration.
Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.
4
Dépôt d'un rapport
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre le rapport relatif à l’expérimentation du renforcement des garanties contre les impayés des pensions alimentaires.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission des affaires sociales ainsi qu’à la commission des lois.
5
Dépôt d’avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie
Mme la présidente. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du congrès de la Nouvelle-Calédonie, par courrier en date du 13 octobre 2015, les avis formulés par le congrès de la Nouvelle-Calédonie au cours de sa séance publique du lundi 28 septembre 2015 sur la proposition de loi organique portant dématérialisation du Journal officiel de la République française (n° 572, 2014-2015), et la proposition de loi organique relative au statut des autorités administratives indépendantes créées par la Nouvelle-Calédonie (n° 574, 2014-2015).
Acte est donné de la communication de ces documents.
Ils ont été transmis à la commission des lois.
6
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire chypriote
Mme la présidente. Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je suis particulièrement heureuse de saluer en votre nom la présence, dans notre tribune d’honneur, de M. Averof Neofytou, président de la commission des affaires étrangères et européennes de la Chambre des représentants de Chypre, accompagné de ses collègues M. Georgios Georgiou et Mme Athéna Kyriakidou. (Mmes et MM. les sénateurs, ainsi que M. le secrétaire d’État chargé des transports, se lèvent.)
Cette visite fait suite au déplacement, en 2014, d’une délégation du groupe d’amitié France-Chypre, présidé par M. Didier Marie.
Elle intervient alors que les négociations intercommunautaires, entre les parties chypriote-grecque et chypriote-turque, connaissent une nouvelle dynamique. Le règlement de la question chypriote, auquel nous sommes tous très attachés, contribuera incontestablement à accroître la stabilité et la sécurité dans la région. La délégation aura d’ailleurs l’occasion d’aborder ces aspects lors de ses entretiens ici, à Paris.
Nous souhaitons à nos collègues chypriotes la plus cordiale bienvenue au Sénat français et un fructueux séjour ! (Applaudissements.)
7
Renvoi pour avis unique
Mme la présidente. J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la gratuité et aux modalités de la réutilisation des informations du secteur public (n° 34, 2015-2016), dont la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale est saisie au fond, est envoyé pour avis, à sa demande, à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
8
Décisions du Conseil constitutionnel sur trois questions prioritaires de constitutionnalité
Mme la présidente. Le Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 14 octobre 2015, trois décisions du Conseil relatives à des questions prioritaires de constitutionnalité portant sur :
- la saisine d’office et sanctions pécuniaires prononcées par le Conseil de la concurrence (n° 2015 489 QPC) ;
- l’interdiction administrative de sortie du territoire (n° 2015 490 QPC) ;
- la demande tendant à la saisine directe du Conseil constitutionnel d’une question prioritaire de constitutionnalité (n° 2015 491 QPC).
Acte est donné de ces communications.
9
Conventions internationales
Adoption en procédure d’examen simplifié de trois projets de loi dans les textes de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen de trois projets de loi tendant à autoriser la ratification ou l’approbation de conventions internationales.
Pour ces trois projets de loi, la conférence des présidents a retenu la procédure d’examen simplifié.
Je vais donc les mettre successivement aux voix.
accord relatif aux mesures visant à prévenir, contrecarrer et éliminer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'accord relatif aux mesures du ressort de l'État du port visant à prévenir, contrecarrer et éliminer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (ensemble cinq annexes) signé à Rome le 19 novembre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix, dans le texte de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord relatif aux mesures du ressort de l’État du port visant à prévenir, contrecarrer et éliminer la pêche illicite, non déclarée et non réglementée (projet n° 794 [2013-2014], texte de la commission n° 26, rapport n° 25).
(Le projet de loi est adopté.)
amendement à la convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement
Article unique
Est autorisée l'approbation de l'amendement à la convention sur l'accès à l'information, la participation du public au processus décisionnel et l'accès à la justice en matière d'environnement, pris par décision II/1 adoptée dans le cadre de la deuxième réunion des Parties à la convention, à Almaty le 27 mai 2005, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix, dans le texte de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi autorisant l’approbation de l’amendement à la convention sur l’accès à l’information, la participation du public au processus décisionnel et l’accès à la justice en matière d’environnement, pris par décision II/1 adoptée dans le cadre de la deuxième réunion des Parties à la convention (projet n° 482 [2014-2015], texte de la commission n° 28, rapport n° 27).
(Le projet de loi est adopté.)
ratification du protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac
Article unique
Est autorisée la ratification du protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac, signé à Genève le 10 janvier 2013, et dont le texte est annexé à la présente loi.
Mme la présidente. Je mets aux voix, dans le texte de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, l’article unique constituant l’ensemble du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant la ratification du protocole pour éliminer le commerce illicite des produits du tabac (projet n° 696 [2014-2015], texte de la commission n° 24, rapport n° 23).
(Le projet de loi est adopté définitivement.)
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Très bien !
10
Organisation de la manutention dans les ports maritimes
Discussion en procédure accélérée d’une proposition de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, tendant à consolider et clarifier l’organisation de la manutention dans les ports maritimes (proposition n° 565 [2014-2015], texte de la commission n° 17, rapport n° 16).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, les ports constituent des maillons essentiels de notre chaîne de transports. On estime d’ailleurs qu’ils représentent quelque 40 000 emplois directs.
Vous le savez, les premières années d’existence des grands ports maritimes, ou GPM, procédant de la loi du 4 juillet 2008 portant réforme portuaire, ont permis d’assoir leur rôle d’ensemblier des activités de la place portuaire, garant de leur développement.
Les résultats sont encourageants, mais il nous faut encore poursuivre les efforts. Les trafics conteneurisés sont en hausse avec une croissance annuelle moyenne de 5,3 % depuis 2012, soit plus que l’augmentation moyenne que connaissent les ports européens de la façade Manche–mer du Nord.
Le développement d’un système logistique compétitif et durable incluant la chaîne logistique de bout en bout doit permettre de renforcer l’attractivité des ports auprès des chargeurs et des armateurs.
C’est le travail que nous avons effectué avec le nouveau cycle qui s’ouvre : les instances de gouvernance des ports ont été renouvelées et de nouveaux projets stratégiques ont été définis dans chaque grand port maritime, afin de fixer le cap pour plusieurs années, au plus près des enjeux propres à chaque territoire.
Une dynamique s’est également enclenchée, dans le droit fil des recommandations du rapport établi en 2014 par Mme Herviaux, que je salue, dynamique tendant à renforcer la coopération portuaire avec les ports décentralisés et les ports intérieurs, qui sont des maillons complémentaires de la chaîne logistique.
Des efforts sans précédent sont prévus pour accompagner financièrement ces différentes initiatives. Ainsi, au titre des contrats de plan État-région, ou CPER, pour la période 2015-2020, les ports représentent un volume d’investissements de 1,6 milliard d’euros, contre 1,1 milliard d’euros pour le CPER 2007-2013.
En outre, à l’échelon européen, la France a déposé vingt-trois projets portuaires et fluviaux dans le cadre du mécanisme pour l’interconnexion de l’Europe. Sur ce front également, les résultats sont très encourageants : pas moins de 53 millions d’euros de subventions ont été accordés à la France au titre de la modernisation de ses grands ports, somme à laquelle s’ajoutent les 82 millions d’euros fléchés sur le projet « Calais Port 2015 ».
Le Gouvernement a une stratégie globale de développement de l’attractivité et de la compétitivité de nos ports, pour permettre de transformer l’essai de la réforme portuaire et donner à la France, en métropole comme dans les outre-mer, une place de premier plan dans le commerce mondial.
À présent, je tiens à rappeler le contexte qui nous conduit aujourd’hui à légiférer sur le statut des dockers et la démarche qui a permis d’aboutir à cette proposition de loi.
À la suite de tensions survenues dans le port décentralisé de Port-la-Nouvelle à la fin de l’année 2013, lesquelles étaient liées à certaines ambiguïtés des articles du code des transports, le Gouvernement a joué son rôle de facilitateur du dialogue en réunissant un groupe de travail chargé d’évaluer l’opportunité d’une évolution des règles d’emploi des dockers.
Des travaux de cette mission est sorti un texte équilibré entre les positions des différents acteurs œuvrant pour le développement de nos ports, à savoir les entreprises de manutention, les industriels implantés sur les terminaux et les représentants des ouvriers dockers. Cet équilibre a été obtenu par un dialogue riche et constructif et par un travail approfondi. Il résulte de près de trente réunions de travail qui se sont succédé entre les mois de février et de juillet 2014.
L’objectif était bien de concilier des enjeux essentiels à l’attractivité de nos ports et à leur développement économique : d’abord, la sécurité des personnes et des biens, fondée sur la qualification et le professionnalisme des dockers ; ensuite, la liberté d’entreprendre ; enfin, le respect des travailleurs et de leurs conditions d’emploi.
Les élus du groupe socialiste à l’Assemblée nationale ont alors décidé de déposer une proposition de loi respectant à la lettre le contenu de l’accord.
Ainsi, le présent texte instaure une définition de l’ouvrier docker professionnel fondée sur l’existence d’un contrat de travail à durée indéterminée, soumis à la convention collective nationale unifiée « ports et manutention », la CCNU ; une consolidation du principe de priorité d’emploi pour les ouvriers dockers ; une définition modernisée du périmètre dans lequel devrait s’appliquer la priorité d’emploi des ouvriers dockers, fondée sur le service au navire ; une charte nationale pour les nouvelles implantations industrielles dans les ports maritimes de commerce, comportant une obligation de négociation entre les différents acteurs de la place portuaire et des engagements réciproques de compétitivité, de fiabilité sociale et de respect des emplois portuaires et des clauses de la convention collective précitée.
L’Assemblée nationale a adopté cette proposition de loi sans y apporter aucune modification, afin d’en respecter l’équilibre.
L’objectif de ce texte est de sécuriser juridiquement le régime de priorité d’emploi, en vue de pérenniser l’emploi des dockers dans un cadre modernisé, répondant aux enjeux de développement de nos places portuaires. Le savoir-faire et l’expérience de cette profession sont des atouts précieux en matière de sécurité pour nos ports.
Il s’agit ainsi de contribuer à améliorer la fiabilité et la compétitivité de nos ports, dans un environnement fortement concurrentiel. Ce sujet est essentiel, et j’y suis très attaché.
J’ai rappelé le contexte particulier de l’élaboration de cette proposition de loi, car il marque sa singularité et induit la question qui doit, à l’évidence, être au cœur de votre discussion d’aujourd'hui : que doit faire le Parlement face à un texte qui résulte d’un accord des partenaires sociaux ?
Écartons tout de suite le débat sans fondement sur le conflit de légitimité qui opposerait la démocratie politique et la démocratie sociale. Dans notre République, il n’y a qu’une légitimité pour élaborer la loi, celle du Parlement, expression du peuple souverain.
M. Hervé Maurey, président de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Ah !
M. Michel Vaspart, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Très bien !
M. Alain Vidalies, secrétaire d’État. La question n’est donc pas juridique : nul ne songe à contester à l’Assemblée nationale, hier, ou au Sénat, aujourd’hui, l’exercice de la plénitude de ses droits. La question est politique : le Parlement préfère-t-il imposer ses propres conceptions quand les partenaires sociaux sont parvenus à un accord majoritaire ?
Lorsque les employeurs et les salariés sont parvenus à un accord, n’est-il pas opportun d’en respecter l’équilibre ? Lorsque les partenaires sociaux élaborent eux-mêmes la solution d’un conflit, le respect de celle-ci ne constitue-t-il pas la garantie de son application par les acteurs eux-mêmes ? À partir du moment où le législateur constate le respect de l’ordre public social, faut-il s’immiscer dans l’équilibre proposé par les syndicats et le patronat ?
À cette question, politique et non juridique, je le répète, la majorité du Sénat a manifestement choisi, au vu du texte issu des travaux de votre commission, une réponse lourde de conséquences sur le principe et, naturellement, en l’espèce.
J’observe au passage que les groupes de droite de L’Assemblée nationale ne s’étaient pas opposés à la démarche du groupe socialiste.
J’espère que chacun ici sera au moins d’accord pour ne pas poursuivre les débats dans l’ambiguïté, en invoquant le prétexte ou, en tout cas, le faux-semblant que constituerait l’affichage d’une ambition d’amélioration du texte.
Le texte adopté par la majorité sénatoriale en commission modifie les dispositions essentielles de la proposition de loi, et donc de l’accord.
Soyons clairs : l’adoption par votre assemblée du texte proposé par votre commission constituerait un geste de défiance envers les partenaires sociaux et, surtout, signifierait la disparition de l’accord.
Faut-il rappeler les incidents qui sont à l’origine de ce texte et le risque de voir, demain, les mêmes causes produire les mêmes effets ?
Vous l’avez compris, le Gouvernement prend acte du choix de la majorité de la commission du Sénat, mais il le regrette profondément.
Dans une société où les tensions sont fortes et où elles constituent le fonds de commerce d’une extrême droite toujours prompte à exploiter le moindre incident, n’est-il pas plus judicieux, aujourd’hui, de choisir l’apaisement, le compromis, le respect de l’accord des partenaires sociaux ?
C’était l’attente des organisations patronales et salariales signataires de l’accord, ainsi, bien sûr, que du Gouvernement. La procédure législative se poursuivra, mais il est dommage que le signe de rassemblement donné par les partenaires sociaux se heurte aujourd’hui à une fin de non-recevoir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Michel Vaspart, rapporteur de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous examinons une proposition de loi relative aux dockers, dont le régime d’emploi actuel est issu de la loi du 9 juin 1992 modifiant le régime du travail dans les ports maritimes, dite « loi Le Drian ».
Cette réforme courageuse a mis fin à quarante-cinq ans de monopole syndical des dockers, hérité d’un statut datant de 1947 qui avait, au fil des années, gravement fragilisé la compétitivité de nos ports.
Il ne s’agit pas aujourd’hui de remettre en cause l’équilibre de 1992. La proposition de loi que nous examinons n’a vocation pas à réformer le régime des dockers, non plus que les ports. Il s’agit d’abord de corriger une difficulté d’interprétation juridique posée par la disparition progressive de la catégorie des dockers intermittents au profit des dockers mensualisés en contrat à durée indéterminée, processus prévu par la loi Le Drian de 1992.
Cette ambiguïté juridique a entraîné, durant l’été 2013, un conflit sur le port décentralisé de Port-la-Nouvelle. L’une des entreprises, implantée depuis longtemps sur le site, reprochait à l’autre de lui faire une concurrence déloyale en employant du personnel non docker pour ses travaux de manutention.
À la suite de cet épisode, monsieur le secrétaire d'État, votre prédécesseur, Frédéric Cuvillier, a constitué un groupe de travail autour de Martine Bonny, inspectrice générale de l’écologie et du développement durable et ancienne présidente du directoire des grands ports maritimes de Rouen et de Dunkerque.
Ce groupe de travail a largement consulté les acteurs du monde portuaire et a fourni un rapport d’une grande qualité, proposant une série de modifications dans le code des transports. Le texte qui nous a été transmis par l’Assemblée nationale traduit fidèlement ces propositions.
La commission de l’aménagement du territoire et du développement durable est favorable au toilettage qui vise à « décorréler » la priorité d’emploi et la présence de dockers intermittents sur une place portuaire, puisque ceux-ci sont en voie de disparition. Il est indispensable de lever l’ambiguïté juridique qui est à l’origine de l’affaire de Port-la-Nouvelle, tous les acteurs en sont conscients.
Toutefois, cette proposition de loi ne s’arrête pas là. Chacun s’accorde à dire qu’il ne faut pas perturber les pratiques existantes, qui varient d’une place portuaire à l’autre. Nos ports ont avant tout besoin de stabilité et de fiabilité. D’ailleurs, leur activité s’améliore peu à peu depuis 2011 et la mise en œuvre de la réforme de 2008, grâce à la forte baisse de la conflictualité sociale. Or, alors que tout le monde revendique le statu quo, cette proposition de loi va dans la direction inverse !
En effet, l’affaire de Port-la-Nouvelle sert de prétexte à la modification d’autres points de la réforme Le Drian de 1992, ce qui me paraît au mieux inutilement précipité, au pis dangereux. Le point névralgique du texte est l’article 6, qui vise à clarifier le périmètre de la priorité d’emploi des ouvriers dockers. La définition de ce périmètre est un sujet extrêmement sensible : d’un côté, les dockers sont attachés à leur pré carré, qui leur apporte une certaine garantie d’emploi, de l’autre, les entreprises peuvent être tentées d’avoir recours à une main-d’œuvre moins onéreuse.
À l’heure actuelle, des équilibres ont été trouvés dans chaque port. Pourquoi perturber un cadre juridique, certes probablement imparfait, mais qui a le mérite de fonctionner ? De surcroît, selon nous, les améliorations proposées ne suppriment pas ces imperfections, mais les repoussent dans le détail et dans la technique juridique.
J’en veux pour preuve que, de l’aveu même de plusieurs défenseurs de cette proposition de loi, personne ne sait réellement comment s’appliquera concrètement la charte nationale qui est proposée.
Celle-ci risque de faire fuir tout investisseur privé : beaucoup d’industriels et de porteurs de projets ne comprennent pas l’obligation de devoir négocier avec un syndicat avant même d’envisager une implantation industrielle. Pourtant, nos ports ont réellement besoin d’investissements privés, que la réforme Bussereau de 2008 visait d’ailleurs précisément à encourager.
Quant aux termes de « première amenée ou reprise », présents dans le projet de décret d’application de l’article 6, ils ne font l’objet d’aucune définition normative précise : que se passera-t-il lorsque la première amenée sera effectuée depuis le quai par voie automatique jusque dans le hangar, par exemple par le moyen d’un tapis roulant pour du vrac solide ? Faudra-t-il faire prioritairement appel à un ouvrier docker pour réceptionner les marchandises dans le hangar ?
De même, comment traiter la situation d’un conteneur directement chargé du bateau sur le châssis d’un camion de transport ? Celui-ci devra-t-il être prioritairement conduit par un ouvrier docker ?
Des us et coutumes sont suivis dans chaque port et ils sont différents d’un port à l’autre !
Enfin, la nouvelle définition du docker occasionnel pose également des problèmes à certaines entreprises, par exemple aux céréaliers, qui s’inquiètent de ne plus pouvoir recourir à des contrats d’intérim en fonction de leur volume d’activité.
D’une façon générale, le rapport de Martine Bonny fournit une analyse juridique de qualité, mais ne dit absolument rien sur les conséquences économiques des modifications proposées.
Une solide étude d’impact aurait dû nous éclairer sur ce point. Or, monsieur le secrétaire d'État, vous avez fait le choix de déguiser un projet de loi en proposition de loi, à laquelle vous avez de surcroît appliqué la procédure accélérée, alors qu’aucune urgence ne le justifie, nous privant ainsi de ces éléments précieux.
Vous le savez bien, le Parlement ne peut pas être considéré comme une simple chambre d’enregistrement, fût-ce pour un texte issu du dialogue social !
Nous attendons une analyse port par port de l’impact des modifications proposées. Seuls ces éclairages nous permettraient de voter, en toute connaissance de cause, des modifications qui risquent de perturber les fragiles équilibres économiques et sociaux de nos ports.
Vous ne pouvez pas non plus faire valoir une quelconque urgence européenne. Contrairement à celles de la Belgique et de l’Espagne, notre réglementation n’a, à ma connaissance, fait l’objet d’aucune mise en demeure de la Commission européenne.
Si votre objectif était réellement d’offrir des garanties de compatibilité avec le droit européen, alors, il faudrait également ouvrir, dans cette proposition de loi, le chantier de la formation et de la qualification des dockers : c’est le corollaire de l’exigence de sécurité des personnes et des biens qui justifie les dérogations aux principes du droit de la concurrence, de la liberté d’installation et de la libre prestation de services que nous impose l’Europe.
Or des discussions sont prévues en 2016, au comité du dialogue social sectoriel européen, pour les travailleurs portuaires, afin d’élaborer des lignes directrices pour la formation des ouvriers dockers et d’éviter le dumping social.
Aucune urgence ne justifie donc d’anticiper les conclusions de ce dialogue européen. N’inversons pas les rôles !
Notre commission salue le travail de Martine Bonny, mais regrette les mauvais choix du Gouvernement en matière de calendrier et de méthode. L’absence d’étude d’impact économique est bien fâcheuse, quand nos ports connaissent déjà une situation difficile, même si celle-ci s’améliore légèrement. Les modifications proposées n’apporteront probablement pas grand-chose aux ports de Marseille et du Havre, mais elles risquent, en revanche, de fragiliser d’autres ports plus petits, comme Dunkerque, Rouen ou d’autres, et de faire fuir certains investisseurs privés.
Pour cette raison, notre commission a choisi de ramener ce texte à son objectif initial : corriger l’ambiguïté juridique qui découle de l’extinction progressive de l’intermittence, et rien de plus. Elle a écarté toute autre modification susceptible d’emporter des conséquences économiques mal maîtrisées ou difficiles à cerner, en supprimant, à l’article 5, la nouvelle définition des dockers occasionnels, en supprimant l’article 6, relatif au périmètre d’emploi et à la charte nationale pour les implantations industrielles en bord à quai, en réécrivant l’article 7, qui porte sur la double priorité d’emploi, et en supprimant l’article 9, qui tendait à la remise d’un rapport sur la charte nationale.
Gardons-nous de la tentation technocratique de chercher à rendre parfait le code des transports et à border chaque situation par une norme précise. Il y a le droit et il y a la pratique. Chaque port a sa propre culture, ses propres rapports de force, sa propre manière de résoudre les problèmes. Aucune loi ne saurait embrasser parfaitement cette réalité. Nous ne sommes pas là pour faire, en urgence, de l’embellissement juridique hasardeux, mais pour clarifier un point précis. Sachons préserver ce qui fonctionne : c’est avant tout de stabilité que nos ports ont besoin !
Il sera temps, une fois que toutes les négociations qui vont s’ouvrir se seront déroulées, de présenter au Parlement un projet de loi en procédure normale, et ce projet de loi devra être assorti de l’évaluation de toutes ses conséquences en matière économique pour les entreprises installées sur les espaces portuaires comme pour les entreprises qui font usage de ces espaces, afin de respecter l’objectif essentiel : la sécurité, la formation, le développement de l’activité et donc de l’emploi ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)