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Protection de l'enfant
Suite de la discussion en deuxième lecture et adoption d’une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. Nous reprenons la discussion en deuxième lecture de la proposition de loi, modifiée par l’Assemblée nationale, relative à la protection de l’enfant.
Nous poursuivons l’examen du texte de la commission.
TITRE II (SUITE)
SÉCURISER LE PARCOURS DE L’ENFANT EN PROTECTION DE L’ENFANCE
M. le président. Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus, au sein du titre II, à l’article 5 ED.
Article 5 ED
Après le deuxième alinéa de l’article L. 543-1 du code de la sécurité sociale, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Lorsqu’un enfant est confié au service d’aide sociale à l’enfance, l’allocation de rentrée scolaire due à la famille pour cet enfant est versée à ce service. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 37 est présenté par le Gouvernement.
L'amendement n° 43 est présenté par Mme Campion et les membres du groupe socialiste et républicain.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Rédiger ainsi cet article :
I. – Le chapitre III du titre IV du livre V du code de la sécurité sociale est complété par un article L. 543-3 ainsi rédigé :
« Art. L. 543-3. – Lorsqu’un enfant est confié au service de l’aide sociale à l’enfance, l’allocation mentionnée à l’article L. 543-1 ou l’allocation différentielle mentionnée à l’article L. 543-2 due au titre d’un enfant confié en application des articles 375-3 et 375-5 du code civil, est versée à la Caisse des dépôts et consignations, qui en assure la gestion jusqu’à la majorité de l’enfant ou, le cas échéant, jusqu’à son émancipation. À cette date, le pécule est attribué et versé à l’enfant.
« Pour l’application de la condition de ressources, la situation de la famille continue d’être appréciée en tenant compte à la fois des enfants présents au foyer et du ou des enfants confiés au service de l’aide sociale à l’enfance.
« La ou les sommes indûment versées à la Caisse des dépôts et consignations sont restituées par cette dernière à l’organisme débiteur des prestations familiales. »
II. – Le I est applicable à Saint-Pierre-et-Miquelon.
III. – Le présent article est applicable à l’allocation de rentrée scolaire due à compter de la rentrée scolaire 2016.
La parole est à Mme la secrétaire d'État, pour présenter l’amendement n° 37.
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État auprès de la ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes, chargée de la famille, de l'enfance, des personnes âgées et de l'autonomie. Cet amendement vise à rétablir une disposition qui figurait dans le texte adopté par l’Assemblée nationale. Cette disposition va sans doute susciter quelques discussions, mais je souhaite la défendre devant vous ce soir.
Cette disposition a d’abord pour origine une observation, évoquée hier par plusieurs d’entre vous, notamment par Mme Archimbaud, sur les ruptures qui émaillent la vie des jeunes de l’ASE, l’aide sociale à l’enfance, tout au long de leur parcours, et en particulier sur la rupture spécifique que constituent la sortie de l’ASE et l’entrée dans la vie adulte.
Les jeunes dont nous parlons entrent en général dans cette vie sans économies, parfois sans famille – en tout cas dans des situations familiales très délicates –, donc sans soutien et sans appui, et souvent sans diplômes, ou presque, et, en tout état de cause, sans emploi. L’entrée dans la vie adulte est donc, pour un jeune de l’ASE, encore plus difficile que pour les autres jeunes.
Les articles précédents visaient à sécuriser la sortie de l’ASE par l’accompagnement des jeunes concernés, avant leur majorité – via l’organisation, par le président du conseil départemental, d’un entretien avec chaque mineur de l’ASE un an avant sa majorité – ou après – via le suivi des jeunes devenus majeurs.
L’article 5 ED vise quant à lui à doter les jeunes majeurs, à leur sortie de l’ASE, d’un pécule constitué par le versement de l’allocation de rentrée scolaire à la Caisse des dépôts et consignations.
Vous savez, puisque vous avez eu l’occasion d’en débattre à l’occasion de l’examen d’une autre proposition de loi, que, s’agissant des enfants placés, les allocations familiales peuvent être, selon la décision du juge, versées à la famille ou au département.
En revanche, l’allocation de rentrée scolaire, qui n’obéit pas aux mêmes règles que les allocations familiales, demeure, elle, systématiquement versée à la famille, y compris lorsque l’enfant est placé. Cet article prévoit de verser l’allocation de rentrée scolaire non plus aux parents de l’enfant confié à l’ASE, mais sur un compte de dépôt auquel le jeune a accès à la date de sa majorité. Il s’agit de lui permettre de démarrer sa vie d’adulte en disposant d’un petit pécule.
Je comprends tout à fait que cette disposition puisse susciter la surprise - elle est en effet très innovante –, mais l’accompagnement de ces jeunes à l’entrée d’une vie d’adulte qu’ils ont encore à construire exige des dispositions innovantes.
M. le président. La parole est à Mme Claire-Lise Campion, pour présenter l'amendement n° 43.
Mme Claire-Lise Campion. Mme la secrétaire d’État vient d’expliquer avec beaucoup de conviction la solution innovante qui constitue l’objet de l’amendement n° 37 présenté par le Gouvernement, et que le groupe socialiste et républicain appuie en présentant cet amendement identique n° 43.
Je voudrais simplement préciser que cette disposition n’emporte aucune modification de la règle actuelle. Celle-ci prévoit que, lorsqu’un enfant est confié aux services de l’aide sociale à l’enfance, les allocations familiales sont versées au conseil départemental, sauf si le juge décide d’en maintenir le versement à la famille.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur de la commission des affaires sociales. La commission des affaires sociales a émis un avis défavorable, d’une part pour des raisons de principe – cette allocation de rentrée scolaire étant destinée aux parents, une telle mesure constituerait pour les administrateurs de la commission des affaires sociales un dévoiement du dispositif , d’autre part pour des raisons, déjà largement évoquées, qui tiennent au manque de moyens des départements.
À titre personnel, j’émets un avis favorable, d’abord parce que, comme cela vient d’être souligné par Mme la secrétaire d’État, il s’agit d’une mesure nouvelle, qui répond – partiellement, bien entendu – de manière originale à un problème réel, à savoir la demande d’autonomie des jeunes devenus majeurs à la sortie de l’ASE.
Cette mesure est d’ailleurs le fruit, notamment, de concertations – il en a été question hier – avec les anciens de l’ASE.
L’allocation de rentrée scolaire est servie sous conditions de ressources et aide les ménages modestes à faire face aux dépenses induites par la scolarisation des enfants. Dans la mesure où les parents n’ont plus la charge de leurs enfants placés, il me semble important et intéressant de verser cette allocation aux jeunes eux-mêmes, en vue de leur autonomie, sous la forme d’un pécule accessible à leur majorité.
L’avis de la commission des affaires sociales est en tout cas défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Deroche, pour explication de vote.
Mme Catherine Deroche. Cette disposition présente dans le texte initial a été en effet supprimée par la commission des affaires sociales, celle-ci ayant adopté un amendement déposé par mon collègue Christophe Béchu et moi-même.
Nous avions été, en 2013, à l’origine d’une proposition de loi clarifiant la situation des enfants placés à l’ASE et dont l’entretien est financé par les départements. Nous avions alors souhaité qu’une partie des allocations familiales soit systématiquement versée à l’ASE lorsque l’enfant était confié à ce service par décision du juge – ce qui n’est pas toujours le cas.
Quant à l’allocation de rentrée scolaire, dans la mesure où l’ensemble des frais inhérents à la scolarisation – fournitures, etc. – sont financés non pas par les familles, mais par les services d’aide sociale à l’enfance des départements, nous avions alors décidé qu’elle devait être systématiquement versée – lorsque les enfants y avaient droit – aux départements.
Le dispositif aujourd’hui proposé est totalement différent : les familles ne reçoivent plus l’allocation de rentrée scolaire, mais celle-ci est consacrée à la constitution d’un pécule.
L’idée du pécule ne fait l’objet d’aucun a priori négatif très ferme. Néanmoins, la mesure nous placerait dans une situation où les départements continueraient d’assumer les charges liées à la rentrée scolaire sans que l’allocation ad hoc leur soit versée.
Cela reviendrait, en définitive, à organiser un double financement : les départements continueraient de financer la rentrée scolaire, alors que l’allocation serait dédiée au financement d’un pécule destiné à être ultérieurement attribué à l’enfant.
Un tel dispositif ne nous semble pas d’une grande cohérence ; c’est pourquoi le groupe Les Républicains émet un avis tout à fait défavorable à son rétablissement.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 37 et 43.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe Les Républicains.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici, compte tenu de l’ensemble des délégations de vote accordées par les sénateurs aux groupes politiques et notifiées à la présidence, le résultat du scrutin n° 15 :
Nombre de votants | 343 |
Nombre de suffrages exprimés | 323 |
Pour l’adoption | 120 |
Contre | 203 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'article 5 ED.
Mme Laurence Cohen. Le groupe CRC s’abstient !
(L'article 5 ED est adopté.)
Article 5 E
Après l’article L. 222-5 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article L. 222-5-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 222-5-2. – Peuvent être pris en charge dans un centre parental, au titre de la protection de l’enfance, les enfants de moins de trois ans accompagnés de leurs deux parents quand ceux-ci ont besoin d’un soutien éducatif dans l’exercice de leur fonction parentale. Peuvent également être accueillis, dans les mêmes conditions, les deux futurs parents pour préparer la naissance de l’enfant. »
M. le président. Je mets aux voix l'article 5 E.
Mme Laurence Cohen. Le groupe CRC vote pour !
(L'article 5 E est adopté.)
Article 5
Le chapitre III du titre II du livre II du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :
1° L’avant-dernier alinéa de l’article L. 223-1 est supprimé ;
2° Après l’article L. 223-1, il est inséré un article L. 223-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 223-1-1. – Il est établi, pour chaque mineur bénéficiant d’une prestation d’aide sociale à l’enfance, hors aides financières, ou d’une mesure de protection judiciaire, un document unique intitulé “projet pour l’enfant”, qui vise à garantir son développement physique, psychique, affectif, intellectuel et social. Ce document accompagne le mineur tout au long de son parcours au titre de la protection de l’enfance.
« Le projet pour l’enfant est construit en cohérence avec les objectifs fixés dans la décision administrative ou judiciaire le concernant. Dans une approche pluridisciplinaire, ce document détermine la nature et les objectifs des interventions menées en direction du mineur, de ses parents et de son environnement, leur délai de mise en œuvre, leur durée, le rôle du ou des parents et, le cas échéant, des tiers intervenant auprès du mineur ; il mentionne, en outre, l’identité du référent du mineur.
« Le projet pour l’enfant prend en compte les relations personnelles entre les frères et sœurs, lorsqu’elles existent, afin d’éviter les séparations, sauf si cela n’est pas possible ou si l’intérêt de l’enfant commande une autre solution.
« L’élaboration du projet pour l’enfant comprend une évaluation médicale et psychologique du mineur afin de détecter les besoins de soins qui doivent être intégrés au document.
« Le président du conseil départemental est le garant du projet pour l’enfant, qu’il établit en concertation avec les titulaires de l’autorité parentale et, le cas échéant, avec la personne désignée en tant que tiers digne de confiance ainsi qu’avec toute personne physique ou morale qui s’implique auprès du mineur. Ce dernier est associé à l’établissement du projet pour l’enfant, selon des modalités adaptées à son âge et à sa maturité. Le projet pour l’enfant est remis au mineur et à ses représentants légaux et est communicable à chacune des personnes physiques ou morales qu’il identifie selon les conditions prévues par la loi n° 78-753 du 17 juillet 1978 portant diverses mesures d’amélioration des relations entre l’administration et le public et diverses dispositions d’ordre administratif, social et fiscal.
« Le projet pour l’enfant est transmis au juge lorsque celui-ci est saisi.
« Il est mis à jour, sur la base des rapports annuels mentionnés à l’article L. 223-5, afin de tenir compte de l’évolution des besoins fondamentaux de l’enfant. Après chaque mise à jour, il est transmis aux services chargés de mettre en œuvre toute intervention de protection.
« Les autres documents relatifs à la prise en charge de l’enfant, notamment le document individuel de prise en charge et le contrat d’accueil dans un établissement, s’articulent avec le projet pour l’enfant.
« Un référentiel approuvé par décret définit le contenu du projet pour l’enfant. » ;
3° À la première phrase de l’article L. 223-3-1, la référence : « L. 223-1 » est remplacée par la référence : « L. 223-1-1 ».
M. le président. L'amendement n° 54, présenté par Mme Meunier, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
Alinéa 10, première phrase
Supprimer le mot :
annuels
La parole est à Mme la rapporteur.
Mme Michelle Meunier, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 19 rectifié bis, présenté par Mme Doineau, MM. Kern et Canevet, Mme Loisier, MM. Bonnecarrère, Gabouty, Morisset et Pierre, Mme Férat, MM. Chasseing, Détraigne et Commeinhes, Mme Lopez, MM. Houpert et Longeot, Mme Billon, MM. L. Hervé, Lasserre et Luche, Mme Gatel, MM. Danesi, J.L. Dupont, Cigolotti, Laménie et Pellevat et Mme Deromedi, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Élisabeth Doineau.
Mme Élisabeth Doineau. Cet amendement s’inscrit dans le respect des lois de décentralisation, qui font du département le chef de file en matière de protection de l’enfance.
L’élaboration d’un référentiel approuvé par décret définissant le contenu du projet pour l’enfant créerait une compétence liée pour le président du conseil départemental.
Nous proposons donc de supprimer l’alinéa 12 de l’article 5.
Encore une fois, une loi, ce n’est pas un recueil de bonnes pratiques !
Mme Catherine Deroche. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 11 rectifié, présenté par Mme Malherbe, MM. Amiel, Arnell, Bertrand, Castelli, Collin, Fortassin et Guérini, Mmes Jouve et Laborde et MM. Mézard, Requier et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Après le mot :
contenu
insérer le mot :
minimal
La parole est à Mme Hermeline Malherbe.
Mme Hermeline Malherbe. Nous ne sommes pas favorables à la suppression de l’alinéa 12. En revanche, nous souhaitons préciser que le référentiel définit le contenu « minimal » du projet pour l’enfant. Il s’agit de laisser une marge de manœuvre aux départements.
Mme la secrétaire d’État a insisté sur la nécessité de retrouver une certaine équité sur l’ensemble du territoire français pour l’ensemble des enfants pris en charge par les services de l’aide sociale à l’enfance. Nous proposons donc d’instituer un cadre à la fois applicable à tous et susceptible d’ajustements en fonction des territoires, d’où l’idée de préciser qu’il s’agit d’un contenu « minimal ».
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Michelle Meunier, rapporteur. La commission a émis un avis favorable sur l’amendement n° 19 rectifié bis, suivant Mme Doineau en ses arguments.
Toutefois, à titre personnel, j’y suis défavorable. J’avoue ne pas bien comprendre ce qui se passe ici. La proposition de loi a, certes, une colonne vertébrale, son article 1er, mais elle a aussi un ADN, qui est le projet pour l’enfant !
C’est ce qui permet d’avoir une véritable logique de parcours. L’enfant qui est confié à l’ASE arrive, avec son histoire familiale et affective, ses caractéristiques de santé physique ou psychique. Et l’équipe éducative et les services du département se mobilisent pour l’aider à grandir sur la base de ce projet.
Je ne comprends donc pas cette volonté de supprimer une disposition qui, je le rappelle, avait été adoptée en première lecture au Sénat. C’est pourquoi je ne suis pas favorable à cet amendement, contrairement à la commission.
Enfin, l’avis de la commission est défavorable sur l’amendement n° 11 rectifié. Le référentiel qui doit être approuvé par décret n’a pas vocation à définir de manière exhaustive le contenu du projet pour l’enfant. L’ajout de l’adjectif « minimal » dans le texte ne se justifie donc pas.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Laurence Rossignol, secrétaire d'État. Je souhaite préciser l’objet de l’alinéa 12, que l’amendement n° 19 rectifié bis vise à supprimer.
Le projet pour l’enfant était une disposition majeure de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance. Simplement, huit ans plus tard, nous constatons que moins du tiers des enfants de l’Aide sociale à l’enfance bénéficient d’un projet pour l’enfant. Évitant de faire du dogmatisme et de l’idéologie en tout, je me suis simplement demandé pourquoi.
Je ne soupçonne pas les départements d’être rétifs au projet pour l’enfant. J’ai simplement noté, en discutant avec les professionnels, qu’ils n’avaient pas forcément d’outil adéquat pour l’exercice.
J’ai lu nombre de projets pour l’enfant. Certains relèvent quasiment de la dissertation, quand d’autres sont de véritables projets. Mais il arrive également que des professionnels avouent ne pas savoir faire.
Nous avons donc observé les expériences étrangères. En France, on n’aime pas les référentiels ; ce n’est pas dans notre culture. Ailleurs, par exemple au Québec, cela se fait beaucoup plus. Sans aller jusqu’à copier la pratique québécoise, nous pourrions au moins, me semble-t-il, nous en inspirer.
Le référentiel est un outil pour permettre aux travailleurs sociaux de rédiger le projet pour l’enfant. C’est donc un guide explicatif de ce que le projet doit contenir. L’objectif est, à tout le moins, de parvenir à doubler la proportion d’enfants de l’ASE qui bénéficient d’un projet pour l’enfant, voire – quelle ambition ! – de faire en sorte que la loi s’applique, c'est-à-dire qu’il y ait un projet pour tous les enfants concernés. Rien de plus !
Je veux bien que l’examen de chaque article ou de chaque amendement serve de prétexte à un débat sur quelques sujets virant presque à l’obsession, comme la libre administration des collectivités territoriales, la situation financière des départements ou le niveau de compensation de l’État. Mais on pourrait peut-être aussi élargir de temps en temps l’angle de vue !
En l’occurrence, ce que nous proposons, c’est simplement un outil pour les professionnels, dans l’intérêt de l’enfant, afin que la loi de 2007 soit mieux appliquée.
Madame Malherbe, le référentiel sera élaboré sur la base des réflexions de trois groupes de travail.
Le premier est le groupe de travail des départements, qui se réunit régulièrement, sur mon initiative ou sur celle de la direction générale de la cohésion sociale, la DGCS. Il rassemble des élus de toutes tendances politiques. À cet égard, mesdames, messieurs les membres de la majorité sénatoriale, je vous indique que les élus départementaux de votre sensibilité politique sont très allants et demandeurs ; ils participent à ces groupes avec enthousiasme et semblent beaucoup en attendre.
Le deuxième groupe est pluridisciplinaire, l’objectif étant bien d’avoir une approche pluridisciplinaire.
Le troisième groupe est, bien entendu, l’Observatoire national de l’enfance en danger, l’ONED, organisme qui a une meilleure connaissance de l’Aide sociale à l’enfance et dont la réflexion sur ce que doit être un projet pour l’enfant est déjà avancée.
À partir de ces trois groupes de travail, nous élaborerons le référentiel, dans la concertation, comme nous l’avons fait pour la loi. Et la question, très administrative, de la compétence liée des départements n’a pas grand-chose à voir avec ce dont nous parlons ici.
Par conséquent, j’émets un avis défavorable sur l’amendement n° 19 rectifié bis, et j’espère avoir rassuré Mme Malherbe sur la coconstruction du référentiel.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Lasserre, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Lasserre. Je vous l’avoue, je vis mal ce débat, que d’aucuns voudraient transformer en une confrontation – c’est en tout cas ce qui transparaît dans certains propos – entre ceux qui auraient une très grande ambition pour l’enfance et ceux qui ont la responsabilité de gérer un département.
Je le dis sans forfanterie, l’ambition pour l’enfance n’est pas une invention du moment ! Voilà bien longtemps qu’elle anime les exécutifs départementaux. Certes, des vocables comme ceux que vous avez employés – « référentiel » ou « projet pour l’enfant », par exemple – n’apparaissent pas forcément. Mais, pour bien connaître un certain nombre de départements, je puis vous certifier que les présidents de conseil départemental partagent cette noble préoccupation.
Réduire le débat à un affrontement entre un grand et beau dessein et des soucis de gestion, c’est un peu court !
La position des départements devient totalement insoutenable.
Les conseils départementaux sont, pour une fois, désignés comme chefs de file sur ce qui est une très belle ambition. Or on ne leur fait pas confiance ; on leur impose des règlements sur lesquels ils n’ont pas été consultés. Pourtant, ils seraient prêts à souscrire aux objectifs, à condition – vous voudrez bien me pardonner ce manque de romantisme – qu’on leur en donne les moyens financiers.
J’ai examiné attentivement la proposition de loi. La plupart des articles risquent d’accroître les difficultés des conseils départementaux. À mon sens, ce serait une erreur de balayer une telle objection d’un revers de main sous prétexte qu’elle serait un peu triviale et manquerait d’élévation…
Dans ce débat, il manque une dimension essentielle : la nécessaire solidarité nationale en matière de prestations sociales.
Il n’est pas normal que des décisions nationales, même justifiées, s’imposent de cette manière à l’échelon départemental. Je vous renvoie à ce qui s’est passé pour la jeunesse, le revenu de solidarité active ou le handicap ; d’ailleurs, la mise en place de projets de vie pour les handicapés fut une merveilleuse aventure.
Il n’est pas normal que la solidarité nationale financière soit totalement absente de nos débats !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame Doineau, je suis vraiment très étonné par la philosophie qui sous-tend votre amendement n° 19 rectifié bis.
Mes chers collègues, il est évident que la décentralisation n’est pas la négation de l’État ! L’État est parfaitement habilité à produire des décrets en matière de santé, d’hygiène ou de respect de la sécurité dans de nombreux domaines. Or, dans notre République, il y a un État !
Comment pourriez-vous fonder la contestation de la légitimité d’un décret pour définir les conditions que doit respecter un référentiel relatif au parcours de ces enfants et à leur projet ? Si c’est illégitime, nous changeons de République, car cela signifie qu’il y a des départements autonomes. C’est un peu comme si vous jugiez illégitimes les programmes scolaires nationaux, en considérant que chaque collectivité locale devrait pouvoir organiser l’enseignement comme elle l’entend !
La réalité de notre République, c’est qu’il y a un État républicain et que les collectivités locales travaillent dans le cadre des compétences dévolues par la loi, mais également de règles fixées par l’État.
Je ne comprends donc pas du tout le sens d’un tel amendement. Dans un domaine aussi important que celui de la protection des enfants pris en charge, il faut accepter que l’État puisse poser des règles. Et si vous défendez le contraire, il faut argumenter. Mais une telle argumentation pourrait alors nous mener fort loin ; nous aurons l’occasion d’en reparler.
Quoi qu’il en soit, je ne suis pas d'accord avec la philosophie sous-jacente ici. Ce que vous dites là, ma chère collègue, pourrait s’appliquer à un grand nombre de décrets !
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. Je partage totalement les propos de notre collègue Jean-Pierre Sueur sur la décentralisation et l’unicité de la Nation.
Plusieurs intervenants prennent prétexte d’un texte sur la protection de l’enfant pour nous faire part des difficultés financières des départements. Bien sûr que les départements sont confrontés à des difficultés financières ! Mon collègue Christian Favier, lui-même président d’un département francilien, l’a amplement souligné !
Mais ce n’est pas dans cette proposition de loi qu’il faut évoquer le financement des départements ! Nous pourrons le faire lors de l’examen des textes budgétaires. Ce sera d’ailleurs l’occasion d’observer les positions des uns et des autres sur le sujet…
En attendant, les auteurs de ces amendements intentent un mauvais procès au texte dont nous sommes saisis et nient la réalité de la situation de l’ASE dans un grand nombre de nos départements.
L’ASE est en difficulté. Disant cela, je n’accuse pas les personnels de ne pas bien accomplir leur travail ni les départements de ne pas être sensibles à la protection de l’enfant. Malheureusement, la situation de l’ASE dans l’ensemble de nos départements n’en est pas moins difficile.
Il est un dernier point qui m’étonne beaucoup dans le débat de ce soir, et Michelle Meunier l’a évoqué : cette proposition de loi a été votée ici même, en première lecture, à l’unanimité. Le texte a été défendu par Michelle Meunier, mais aussi par Muguette Dini, membre de votre groupe, madame Doineau, qui était alors présidente de la commission des affaires sociales et vice-présidente chargée de l’enfance dans le Rhône, département à l’époque présidé par M. Mercier, sénateur également de l’UDI-UC qui connaît bien à la fois la situation de l’ASE, de la protection de l’enfance et des départements. Or c’est ce texte que le Sénat avait soutenu à l’unanimité que vous détricotez aujourd'hui, amendement après amendement !
Je ne vous comprends pas. Mme Dini doit être désolée de ce qui se passe ce soir !