M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly, pour le groupe UDI-UC.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, voilà une semaine, saisie dans le cadre d’une question préjudicielle, la Cour de justice de l’Union européenne a invalidé l’accord Safe Harbour, négocié en 2000 entre les États-Unis et l’Union européenne pour protéger les transferts de données personnelles à destination des États-Unis. Cependant, comme vous le savez, le Patriot Act est passé par là. Depuis lors, il a réduit à néant cet accord. En effet, les entreprises situées aux États-Unis sont tenues de contribuer à la collecte massive et indifférenciée des données personnelles des citoyens américains comme européens pour les autorités.
La Cour de justice a donc estimé que la Commission européenne se devait de vérifier si les États-Unis assuraient effectivement « un niveau de protection […] des droits fondamentaux substantiellement équivalant à celui garanti au sein de l’Union, en vertu de la directive […] lue à la lumière de la Charte », ce qui n’a manifestement pas été le cas ces dernières années.
La Commission a donc failli en ne dénonçant pas cet accord. On ne peut que le déplorer, d’autant plus que différentes institutions comme la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, et le G29, mais aussi le Sénat, mes chers collègues, avaient lancé l’alerte.
M. André Gattolin. Eh oui !
Mme Catherine Morin-Desailly. En effet, la mission commune d’information sur la gouvernance de l’internet, qui a été constituée sur mon initiative au mois de novembre 2013 à la suite de l’affaire Snowden, avait donné l’alerte dans son rapport rendu en juin 2014 en préconisant, entre autres, un régime exigeant et réaliste de protection des données, ainsi qu’une nécessaire modernisation du cadre juridique européen, préconisations traduites par la suite dans deux résolutions européennes votées à l’unanimité par notre assemblée.
Aujourd'hui, l’invalidation du Safe Harbour a des conséquences opérationnelles et juridiques inquiétantes. Elle amène à exiger de la Commission une grande fermeté dans la renégociation de cet accord, afin d’obtenir des autorités américaines de réelles garanties de protection et d’assurer la possibilité de recours judiciaires pour les citoyens de l’Union.
Il faut par ailleurs une plus grande vigilance dans les négociations en cours d’une nouvelle directive de l’Union sur la protection des données, afin que ce texte encadre scrupuleusement le transfert international de données personnelles à la demande des autorités de pays tiers en les soumettant à l’accord de l’autorité nationale de protection des données compétente au sein de l’Union européenne.
Je regrette une fois de plus que le Conseil européen n’accorde pas sa juste place aux enjeux du numérique qui, comme vous le savez, ébranlent nos modèles économiques traditionnels et ne cessent de questionner notre souveraineté.
Les échéances importantes dans le cadre du TTIP et du G20 de novembre se rapprochent et l’Europe s’impose, chaque jour un peu plus hélas, comme une colonie américaine du numérique.
Le Gouvernement, la Commission européenne et le Conseil européen ne peuvent plus invoquer leur ignorance, ni des enjeux ni des solutions. L’Union doit vraiment réagir pour peser dans cette gouvernance du net, porter une régulation offensive de l’écosystème numérique, ainsi qu’une ambition industrielle.
Je terminerai par deux questions, monsieur le secrétaire d’État. Quelle stratégie votre gouvernement compte-t-il poursuivre dans le cadre du Conseil européen pour mieux affirmer la nécessité de constituer, enfin, une Europe du numérique plus substantielle et, surtout, plus effective qu’une simple communication de la Commission européenne ? Quelle stratégie comptez-vous également mettre en œuvre, au regard du retard européen en la matière, pour ne pas aboutir à un accord boiteux avec les États-Unis dans le cadre de l’accord de libre-échange ? (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains, ainsi que sur certaines travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des finances.
M. Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, ces dernières années ont vu les crises se succéder. Alors que la crise économique et financière fait encore ressentir ses effets, l’Europe a dû affronter il y a peu l’éventualité d’une sortie de la Grèce de la zone euro. Elle doit désormais faire face à l’afflux de nombreux réfugiés cherchant à fuir les conflits qui enflamment le Proche-Orient.
Aussi, l’Union européenne paraît plus fragile que jamais, et ce alors même que le Royaume-Uni s’apprête à organiser un référendum sur le principe de son appartenance à celle-ci.
Dans ces conditions, il semble urgent de trouver des solutions afin d’apaiser les dissensions entre les États membres et de déterminer de nouveaux ressorts au projet européen. Car de cette période de crises ressortira soit une Union plus resserrée, soit une Europe plus divisée.
Dans cette perspective, la gouvernance budgétaire de l’Union européenne présente une importance centrale, dans la mesure où elle constitue l’un des socles du vivre ensemble européen.
À ce jour, les désaccords les plus profonds qui menacent la cohésion européenne concernent la gestion des flux migratoires. Or se pose naturellement la question de la prise en charge financière de l’accueil des réfugiés. À ce titre, une telle circonstance étant « inhabituelle [et] indépendante de la volonté » des États membres, l’Italie et l’Autriche ont demandé que le pacte de stabilité et de croissance puisse faire l’objet d’une application souple à l’égard de leur situation budgétaire, susceptible d’être affectée par les dépenses engagées en faveur des migrants. La Commission européenne s’est dite prête à examiner cette requête. Aussi, monsieur le secrétaire d’État, pouvez-vous nous indiquer quelle est la position défendue par la France sur cette demande adressée à la Commission ?
En tout état de cause, la cohésion de l’Union européenne dépendra de notre capacité à faire évoluer et à approfondir l’Union économique et monétaire. À cet égard, le rapport des cinq présidents, présenté en juin dernier, a avancé des propositions en ce sens, dont nous aurons à discuter dans les semaines et les mois à venir. Ce point sera d’ailleurs abordé lors du prochain Conseil européen.
Alors que le ministre des finances et des comptes publics, Michel Sapin, semble avoir engagé une série de consultations sur l’avenir de la zone euro, je souhaite vous interroger, monsieur le secrétaire d’État, sur la position qui sera défendue par la France s’agissant de certaines de ces propositions.
Tout d’abord, le rapport des cinq présidents recommande la création d’un comité budgétaire consultatif qui fournirait, « au niveau européen, une évaluation publique et indépendante des budgets – et de leur exécution – à l’aune des objectifs économiques et des recommandations formulées dans le cadre de la gouvernance budgétaire de l’Union. » Selon le Gouvernement, quels devraient être la composition et le rôle exact de cette nouvelle entité, afin que ses travaux ne soient pas redondants avec ceux qui sont d’ores et déjà conduits par la Commission européenne ?
Ensuite, il est proposé la mise en place d’une nouvelle architecture institutionnelle de l’Union économique et monétaire qui devrait notamment permettre un renforcement du rôle du Parlement européen et des parlements nationaux. À cet égard, considérez-vous, monsieur le secrétaire d’État, qu’il serait souhaitable de créer un parlement de la zone euro, dont la spécificité par rapport à l’Union européenne tend à se renforcer ? Dans ce cas, ne devrait-il pas intégrer des représentants des parlements nationaux ? En particulier, il pourrait être l’organe où seraient discutées et examinées les actions engagées par la présidence « à temps plein » de l’Eurogroupe et le Trésor de la zone euro, dont la mise en place est également préconisée.
Selon le rapport des cinq présidents, le Trésor de la zone euro constituerait le lieu où seraient prises « certaines décisions [en matière de politique budgétaire] de façon collective ». Quelle forme prendrait ce « ministère des finances » de la zone euro ? Quelles pourraient être, selon le Gouvernement, les décisions qui lui seraient déléguées ?
Enfin, il est proposé la création d’un mécanisme de stabilisation budgétaire pour la zone euro, dont les contours demeurent encore flous. À quoi ce mécanisme devrait-il ressembler, selon le gouvernement français ? Une assurance chômage commune devrait-elle être créée, ainsi que l’a suggéré au mois de mai dernier le ministre de l’économie ? En outre, quelle ressource financière pérenne devrait être affectée à ce mécanisme de stabilisation budgétaire ?
Pour conclure mon propos, je revendrai quelques instants sur le référendum que le Royaume-Uni s’apprête à organiser sur le principe de son appartenance à l’Union européenne. Chacun sait que le gouvernement britannique souhaite négocier son maintien dans l’Union contre des concessions de ses partenaires européens. Monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous indiquer les lignes rouges que le gouvernement français ne souhaite pas voir dépasser dans le cadre de ces négociations ? Quelles seraient, en clair, les concessions que la France jugerait inacceptables ?
Voilà, très rapidement exposées, quelques questions essentielles dans la perspective du Conseil européen des 15 et 16 octobre prochain, dont j’espère qu’elles appelleront des réponses aussi précises que possible. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, je concentrerai mon propos sur la question des flux migratoires.
Au cours des dernières décennies, les phénomènes migratoires ont pris une ampleur inégalée. D’un côté, les guerres, les persécutions, la barbarie conduisent au déplacement de populations de plus en plus nombreuses qui s’ajoute à l’émigration liée à la pauvreté et aux changements climatiques. De l’autre, nos sociétés en crise morale, identitaire, sociale, économique et politique ne parviennent plus à intégrer convenablement les migrants et, symétriquement, une partie des migrants ne cherchent plus, eux-mêmes, à bien s’intégrer. Nous en sommes à un stade où notre cohésion sociale et notre cohésion nationale sont à l’épreuve.
En France, les étrangers régulièrement et durablement installés sur le territoire national ont vocation à devenir Français, et plus encore leurs enfants nés en France. Être Français, ce n’est pas une dignité qui nous est attribuée selon nos mérites, c’est réunir un certain nombre de conditions qui se rapportent non seulement à la naissance, mais aussi à la profondeur et à l’intensité des liens avec notre territoire, notre langue, nos valeurs. C’est la loi de la République et cette loi, issue d’un consensus national forgé en 1988 par la commission Marceau Long, exprime exactement, aujourd’hui encore, l’identité française.
S’il nous faut maîtriser de manière urgente et déterminée les flux migratoires, il faut aussi veiller à ne pas diviser les Français et à ne pas confondre étrangers clandestins, étrangers titulaires d’une carte de séjour et Français d’origine étrangère, pas plus que nous ne devons confondre réfugiés et immigrés de la misère.
La voie de la responsabilité est assurément étroite, mais c’est celle que nous devons emprunter pour être en même temps fidèles à nos valeurs et efficaces dans l’action. Et cette action efficace doit actuellement reposer sur trois leviers, dont aucun n’est aisé à manier.
Il faut d’abord agir à la source des flux migratoires. Ceux-ci sont toujours le fruit de l’échec des pays d’origine, échec de la démocratie, échec de l’économie, échec du développement, échec de la paix. Ils sont aussi le fruit de l’impuissance de la communauté internationale dans la prévention et le règlement des conflits, dans l’aide au développement, dans la lutte contre les changements climatiques.
Au cours des années récentes, la France et l’Europe n’ont pas su mobiliser les moyens économiques, financiers, diplomatiques et militaires permettant de réduire ces risques et ces phénomènes, qui se sont au contraire aggravés. Il importe que notre pays soit porteur d’une politique plus audacieuse, plus volontariste face au chaos libyen, face au régime syrien, face à Daech.
Le deuxième levier, c’est le droit au séjour et le respect du droit au séjour. Au moins 500 000 entrées de réfugiés et de migrants économiques ont été comptabilisées en Europe depuis le début de l’année. À l’évidence, l’Europe ne s’est pas donné les moyens de maîtriser ces flux, ni en améliorant les conditions de vie des réfugiés aux frontières extérieures de la Syrie, c’est-à-dire au Liban, en Turquie ou en Jordanie, ni en renforçant efficacement les contrôles en Méditerranée. Les noyades en nombre et l’impunité des organisations criminelles qui en sont responsables sont un défi à la conscience européenne, un défi à l’humanisme qui nous inspire. Jusqu’à présent, force est de le constater, nous n’avons pas été à la hauteur de ce défi.
Or, dans le même temps, moins de 40 % des décisions d’éloignement sont appliquées en Europe, et certains pays ont même renoncé à prendre de telles décisions. De ce fait, les tensions nées d’une immigration incontrôlée ne cessent de s’aggraver, au moment même où nos traditions d’asile en faveur des personnes persécutées devraient être réactivées.
Cette double défaite politique est profondément inquiétante. La situation n’est plus supportable !
C’est pourquoi le Sénat a voulu que les directives européennes en matière de séjour soient strictement appliquées par notre pays. Tel est le sens de notre vote de cet après-midi pour mieux maîtriser l’immigration et faciliter l’éloignement des étrangers qui n’ont pas le droit de rester en France, sans d’ailleurs porter atteinte à aucun des droits fondamentaux que des réfugiés ou des étrangers en situation régulière tirent de la Constitution.
Le troisième levier est le plus étroitement lié à l’actualité immédiate. Le dispositif exceptionnel d’accueil des réfugiés proposé par la Commission européenne comporte encore trop de zones d’ombre. Il devra impérativement être précisé. La France ne peut s’engager à faire venir sur son territoire des demandeurs d’asile qui préfèrent être accueillis dans d’autres États européens.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Exact !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Nous n’avons pas à prospecter les réfugiés, ni à Munich ni ailleurs. Nous devons en revanche accueillir dans les meilleures conditions ceux qui choisissent spontanément la France. Sur ces points, la commission des lois et son rapporteur, François-Noël Buffet, seront extrêmement vigilants. Il importe que les réfugiés venant en France ne soient admis sur le territoire national qu’après vérification de la sincérité de leur démarche, en évitant que des migrants économiques, voire des djihadistes, ne profitent de ce flux pour s’introduire dans notre pays. Nous devons avoir la certitude que les contrôles nécessaires seront effectivement mis en œuvre, et cela avant l’entrée sur le territoire national. Nous devons ensuite être rigoureux dans l’attribution du statut de réfugié, en évitant que les dispositifs d’urgence ne conduisent à un examen trop superficiel et n’entraînent un allongement des délais de traitement des autres demandes, délais que nous voulons justement raccourcir conformément à la loi que nous avons adoptée voilà quelques mois.
Enfin, la répartition des réfugiés sur le territoire national ne doit pas se faire au petit bonheur la chance, en fonction d’initiatives locales. L’accompagnement des réfugiés et de leur famille, notamment pour ce qui concerne l’apprentissage de la langue française, la formation professionnelle et la scolarisation des enfants, exige qu’un certain nombre de conditions soient réunies, et ce pas n’importe où en France.
Mes chers collègues, il est temps que l’Europe prenne la mesure exacte de la tragédie qui se joue à ses portes. Et il est plus que temps d’engager l’indispensable réforme de l’espace Schengen, afin que la libre circulation des Européens, à laquelle nous sommes très attachés, s’accompagne désormais d’un meilleur contrôle aux frontières de l’Europe.
M. Hubert Falco. Très bien !
M. Philippe Bas, président de la commission des lois. Le Sénat attend du prochain Conseil européen que la France sache en convaincre ses partenaires pour que l’Europe devienne, enfin, l’instrument d’une politique migratoire efficace, soucieuse tant de la stabilité et de l’équilibre des pays d’origine que de la cohésion et du dynamisme de nos sociétés, à commencer par celui de la société française. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires européennes.
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi de joindre mes remerciements à ceux que vous avez émis au début de votre propos. Monsieur le président, l’occasion nous est donnée de débattre, à cette heure et sous votre autorité, du prochain Conseil européen des 15 et 16 octobre. Il s’agit d’un rendez-vous important en matière de contrôle, par le Sénat, de la politique européenne du Gouvernement.
Ce Conseil se déroulera dans un contexte difficile pour l’Union européenne. Celle-ci doit en effet relever de nombreux défis dont, en tout premier lieu, celui de la crise migratoire. De sa capacité à y parvenir dépend aussi sa crédibilité vis-à-vis de nos concitoyens, qui font preuve de plus en plus d’euroscepticisme.
La crise migratoire est un choc. L’Union européenne doit non seulement accueillir les personnes persécutées, mais aussi veiller au contrôle effectif de ses frontières extérieures. La commission des affaires européennes a débattu de cette importante question, et le groupe de travail animé par André Reichardt approfondira sa réflexion et fera des propositions. Ne l’oublions pas : ce sont aussi les territoires, que le Sénat représente, qui sont directement concernés par ces flux migratoires sans précédent. Mes chers collègues, vous avez été nombreux à souligner l’importance de Schengen, ainsi que les doutes, de plus en plus inquiétants, relatifs à la « procédure Dublin ».
Plusieurs constats peuvent être faits. D’abord, nous nous sommes légitimement focalisés sur la Méditerranée centrale. La route des Balkans apparaît désormais comme la voie privilégiée pour accéder aux destinations le plus souvent souhaitées, notamment l’Allemagne et la Suède – Jean-Yves Leconte nous avait alertés sur ce point –, et la Hongrie s’est trouvée elle-même très exposée. De mémoire, elle a accueilli au cours du premier trimestre de cette année environ 30 % des 500 000 migrants…
M. Simon Sutour. Et elle les a expédiés en Allemagne…
M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Elle se situe ainsi au deuxième rang des pays d’accueil, juste après l’Allemagne.
Nous écouterons avec beaucoup d’intérêt l’ambassadeur de Hongrie en France, M. Károlyi, qui viendra devant notre commission jeudi prochain.
Ensuite, nous devons être conscients que l’effort demandé à la France est significatif. Notre pays s’est engagé à prendre en charge quelque 20 % des demandeurs d’asile. Ce faisant, il contribuera de façon non négligeable à l’effort commun. Si les flux actuels devaient perdurer, la France devrait prendre en charge bien plus de 30 000 réfugiés sur deux ans. On le comprend, il est urgent d’agir.
Le programme européen tendant à une plus juste répartition des réfugiés est une manifestation de la plus élémentaire solidarité au sein de l’Union. Mais nous pouvons nous interroger sur sa mise en œuvre. Tous les États membres n’ont pas une culture de l’asile. Les réfugiés voudront-ils s’installer durablement dans un pays qui ne souhaite pas leur présence ? La crise migratoire actuelle fait, par ailleurs, apparaître un choix résolu en faveur de pays comme l’Allemagne ou la Suède, je le disais. Une relocalisation non souhaitée est-elle plausible, dans un espace européen de libre circulation ?
Enfin, je veux insister sur l’exigence d’un contrôle effectif des frontières extérieures de l’espace Schengen. C’est une priorité. Nous demandons depuis longtemps la création d’un corps de gardes-frontières européen, et nous avons entendu avec beaucoup d’intérêt les propos que vous avez tenus, M. le secrétaire d’État. Il est urgent d’activer la mise en place de ce projet. Il en va de même de la création des hot spots, ces centres d’enregistrement et de « tri » qui doivent être installés en Italie, en Grèce et peut-être en Bulgarie. Il faut renforcer FRONTEX, Europol et le Bureau européen d’appui en matière d’asile.
Nous devons aussi relever notre contribution au financement des agences de l’ONU. Je veux particulièrement insister sur notre aide alimentaire au profit des réfugiés syriens dans le cadre du Programme alimentaire mondial dont le budget aurait récemment été réduit de manière drastique ! Nous en avons parlé, la semaine dernière, au commissaire européen Phil Hogan, faisant un parallèle entre ce que j’appelle un « Food stamp program » européen et le Farm bill américain. Comme l’a prévu le Conseil européen du 23 septembre, il nous faut par ailleurs mettre en œuvre rapidement un programme d’aide financière pour les centres de réfugiés situés en Turquie, au Liban et en Jordanie. La Turquie accueille déjà près de 2 millions de réfugiés sur son territoire et nous devrons avoir avec ce pays un partenariat particulier.
Le Conseil européen devrait aussi dresser un bilan des débats consécutifs au rapport des cinq présidents sur l’Union économique et monétaire. Il faut passer des déclarations aux actes ! Je me limiterai, à ce stade, à quelques brèves remarques.
D’abord, je veux souligner le besoin de convergence des économies nationales et de réformes structurelles permettant de renforcer la compétitivité – Fabienne Keller l’a clairement rappelé. On le constate bien, une plus grande harmonisation des pratiques fiscales et sociales devient une exigence. C’est le préalable pour éviter des distorsions de concurrence insupportables à l’intérieur de la zone euro. Il convient aussi de rendre l’Union économique et monétaire plus efficace face aux chocs économiques. Tout approfondissement devra, bien évidemment, s’accompagner d’un renforcement de la légitimité démocratique, ce qui suppose un véritable contrôle parlementaire qui associe pleinement les parlements nationaux.
Enfin, le Conseil européen sera informé de l’état d’avancement de l’analyse technique concernant les demandes du Premier ministre britannique, M. Cameron. On le voit, le débat sur l’appartenance à l’Union européenne se complique au Royaume-Uni. Nous souhaitons le maintien de ce grand pays dans l’Union européenne. Celle-ci doit être à l’écoute, mais ne peut pas, pour autant, transiger sur les revendications qui mettraient en cause le sens même du projet européen. Sur le rapport de Fabienne Keller, la commission des affaires européennes a étudié la singularité britannique, probablement irréductible. C’est ce qui fait son charme... Toutefois, il ne faut pas oublier les valeurs intangibles de l’Union. Nous resterons mobilisés dans la perspective du référendum annoncé au Royaume-Uni. Nous devons aborder ce débat dans un esprit de dialogue, mais aussi de vigilance pour préserver les acquis de la construction européenne. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État. Je souhaite tout d’abord remercier l’ensemble des orateurs de leur contribution à ce débat.
Monsieur Billout, je vous le confirme – j’ai évoqué cette question dans mon propos liminaire –, nous soutenons, tout comme le Sénat – M. le président de la commission des affaires européennes vient de le rappeler –, la création de gardes-frontières européens. Nous allons donc travailler afin de faire partager cette conception par l’ensemble des États membres et de faire en sorte qu’elle puisse être mise en œuvre de manière opérationnelle. Je note que le président de la commission européenne, Jean-Claude Juncker, l’a reprise à son compte
Par ailleurs, le système de relocalisation partagée, que nous avons adopté sur la base de 160 000 réfugiés identifiés dans les pays de première arrivée, en Italie et en Grèce, est déjà une exception au règlement de Dublin, afin de prendre en compte une situation exceptionnelle et d’urgence. Mais ce règlement instaure aussi un principe important de responsabilité. Face à la situation inédite à laquelle nous sommes confrontés, nous devons à la fois venir en aide, de manière solidaire, aux pays où les réfugiés se rendent pour entrer dans l’Union européenne et conserver des mécanismes qui assurent que chaque État membre veille, de manière responsable, aux conditions de franchissement de ses frontières et à l’identification des migrants qui relèvent de la protection internationale et de ceux qui n’en relèvent pas.
Certes, comme vous l’avez fait remarquer, monsieur le sénateur, à juste titre, me semble-t-il, il n’y a pas de bons et de mauvais migrants. Pour autant, il existe des règles et des engagements qui sont différents pour l’asile et pour les autres formes de migration, que celle-ci ait lieu au titre d’un motif économique, d’un regroupement familial, ou encore des études. La France accueille, tous les ans, des migrants au titre de ces autres formes de migration. Mais l’asile, qui est, comme l’a rappelé Jean-Yves Leconte, un engagement pris par la France aux termes de conventions internationales, assure une protection individuelle à des personnes qui sont en danger, que ce soit en raison d’une guerre, d’une dictature, de persécutions, ou encore de leur origine.
Si nous voulons accueillir les réfugiés qui fuient une crise d’une exceptionnelle gravité, je pense en particulier à la Syrie, nous devons disposer d’un système soutenable, qui fasse la part entre réfugiés au titre des conventions de Genève et migrants économiques. Sinon, on le constate dans certains États membres, le refus de l’asile finit par l’emporter. Or nous devons garantir le droit d’asile.
La réponse à la crise passe non pas uniquement par la répartition des réfugiés qui arrivent en Europe, mais aussi par une aide aux pays d’origine, de transit, ou encore voisins, par exemple la Turquie, le Liban ou la Jordanie dans le cas des Syriens déplacés en raison de la guerre, de façon que ces personnes puissent rester dans ces pays. La dégradation de la situation dans les camps, gérés notamment par le HCR, et le manque de financement ou d’approvisionnement, y compris en ce qui concerne la nourriture fournie par le Programme alimentaire mondial des Nations unies, font partie des causes de cet exode lié à la misère et à la guerre, exode qui a pris une dimension sans précédent et une tournure dramatique.
Quant à la taxe sur les migrants, il s’agit d’une idée qui a été évoquée par la presse allemande, mais qui n’a pas fait l’objet d’une proposition des autorités de ce pays. D’ailleurs, je ne pense pas qu’on puisse résoudre une crise de cette nature par la création d’un impôt. Il existe évidemment des besoins budgétaires, et des moyens ont été dégagés pour faire face à un certain nombre d’obligations. Ces sommes devront être prélevées sur les budgets européens de 2015 et de 2016, comme sur les budgets nationaux.
Jean-Yves Leconte a insisté sur la nécessité d’aller vers un système d’asile européen commun et d’établir une liste de pays d’origine sûrs qui soit la même pour toute l’Union européenne. Nous partageons cet objectif. C’est vrai, la France est l’un des rares pays à délivrer des visas aux fins de demander l’asile, ce de manière ponctuelle. C’est par exemple le cas pour les chrétiens d’Irak, et elle souhaite encourager une coopération consulaire avec les autres États membres sur ce sujet. Pourquoi les réfugiés qui veulent demander l’asile devraient-ils se jeter entre les mains de passeurs et traverser la mer ou des déserts au péril de leur vie ?
Néanmoins, tous les réfugiés ne pourront pas trouver asile en Europe. La réponse relève de l’ensemble de la communauté internationale, les États-Unis et d’autres pays devant aussi prendre leur part dans l’accueil des réfugiés de la guerre en Syrie.
André Gattolin a souligné, à juste titre, la difficulté d’une réponse coordonnée et politique, mais celle-ci est aussi objective. En effet, les différents pays de l’Union européenne ne sont pas confrontés de la même façon à cette crise, en raison tout d’abord de leur situation géographique – la Grèce, l’Italie et certains pays des Balkans sont des pays d’arrivée sur la route des migrations –, mais aussi des objectifs des migrants, qui veulent se rendre dans certains pays en particulier, notamment l’Allemagne, la Suède ou la Grande-Bretagne – nous le vivons à Calais. Il a donc fallu faire un effort pour que tous les États membres de l’Union européenne comprennent qu’ils devaient partager la charge de cet accueil. Vous avez eu raison d’insister, monsieur le sénateur, sur le fait que ce partage allait de pair avec une coordination plus étroite en matière de politique étrangère.
Par ailleurs, la COP 21 ne sera pas absente des débats du Conseil européen. Nous avons demandé que le Président de la République puisse faire un point sur la question et le président Donald Tusk l’a accepté. En effet, la mobilisation doit se poursuivre, même si l’Union européenne a été exemplaire, l’incitation à adopter des objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre ayant fait l’objet d’une décision du Conseil européen au mois d’octobre 2014. L’Union a également transmis sa contribution bien avant les autres pays – seule la Norvège a été aussi rapide ! La question des financements doit également nous conduire nous mobiliser. Enfin, la diplomatie européenne a tout son rôle à jouer pour convaincre la quarantaine d’États qui n’ont pas encore transmis leur contribution nationale de le faire d’ici à l’ouverture de la conférence.
Pour ce qui concerne le budget, j’ai évoqué les dotations supplémentaires prévues pour les agences de l’ONU, le HCR, le Programme alimentaire mondial et d’autres agences d’aide aux réfugiés : elles représenteront un complément de 200 millions d’euros en 2015 et de 300 millions d’euros en 2016, un effort équivalent étant demandé aux États membres.
Même si David Rachline n’est plus présent pour entendre mes explications, je ne peux que lui dire que vingt-huit réponses nationales à la crise des réfugiés ne feraient qu’ajouter de l’incohérence aux difficultés objectives auxquelles l’Union européenne et ses États membres doivent aujourd’hui faire face. Et je ne peux que souligner le côté paradoxal de son intervention dans laquelle, en prétendant défendre la nation, il a accusé son pays, la France, d’être responsable de la guerre en Syrie, ce que personne d’autre ne fait sur cette planète ! En revanche, il a vanté les mérites du régime syrien et des bombardements de la Russie sur les positions des opposants modérés au régime. Je lui laisse donc la responsabilité de ces propos incohérents, inconséquents et irresponsables.
Jean-Claude Requier a insisté lui aussi sur l’importance de la solidarité dans cette crise des réfugiés. Pour ce qui concerne l’Union économique et monétaire, l’UEM, sujet sur lequel plusieurs autres orateurs sont intervenus, il a souligné la nécessité d’une convergence qui doit non pas se limiter à la politique budgétaire, mais s’étendre aussi à la politique fiscale. Le Président de la République a réaffirmé cette priorité au mois de juillet, lorsqu’il s’est exprimé sur les leçons à tirer de la crise grecque et sur les étapes futures de l’intégration économique et monétaire, mais il l’a également rappelée devant le Parlement européen.
Je réponds par là même à Mme Keller : ce sujet a bien été abordé dans les interventions du Président de la République et de la Chancelière Angela Merkel lors du long débat qui a eu lieu à Strasbourg. La presse n’en a relaté qu’une partie, mais la coordination des politiques économique, sociale et de croissance au sein de l’Union économique et monétaire a également été évoquée. Je souscris à votre diagnostic sur l’état de l’UEM, madame la sénatrice : la crise a mis en lumière ses défauts de conception, la convergence a été trop ignorée. Depuis 2009, des progrès ont été réalisés par étapes, avec la mise en place du mécanisme européen de stabilité, que le Sénat a ratifiée en 2012, et de l’Union bancaire, qui a progressé en 2013 et en 2014, même s’il faut encore mettre en place le mécanisme de garantie des dépôts. Comme vous, je souhaite évidemment que nous allions plus loin, non pas parce que la France « décroche »…