M. le président. La parole est à M. David Rachline, pour les sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. David Rachline. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, permettez-moi d’aborder de manière synthétique les thèmes majeurs dont il sera question lors de ce Conseil européen.
Alors que la crise migratoire a pris des proportions dramatiques, vous ne voulez pas comprendre que les peuples ont besoin avant tout d’enracinement. En ce sens, par votre incapacité à apporter la paix dans les pays en crise, ou plutôt par votre capacité à y apporter la guerre, et en ouvrant les portes de notre territoire, vous créez des déracinés.
La vérité, c’est que nous sommes dans l’incapacité d’accueillir ces centaines de milliers de malheureux. Cette incapacité est d’abord économique. Avec 3,5 millions de chômeurs et une dette abyssale de 2 000 milliards d’euros, comment le peuple français pourrait-il assumer cette nouvelle charge ? Notre incapacité est ensuite morale. Comment accueillir tous ces hommes et ces femmes, alors que nous ne sommes pas en mesure de les intégrer ? Nous assumons tellement mal notre histoire, nos racines, que nous n’avons aucun modèle à leur proposer, si ce n’est celui du communautarisme. À dire vrai, la seule chose que vous arriverez à faire, c’est à mettre un peu plus en danger la cohésion et l’identité nationales. Nous protéger de cette immigration massive est un devoir de justice envers nos pères, qui nous ont laissé la France en héritage.
Je ne reviens pas plus longuement sur la cause des troubles migratoires graves que nous connaissons actuellement. L’Union européenne a été totalement incapable de mettre fin aux actions et à l’avancée des terroristes, qu’il s’agisse de Daech, du Front al-Nosra ou d’al-Qaïda. Pis, ils les ont armés, directement ou indirectement.
Pis encore, la France et l’Union européenne se font les porte-parole des Américains en critiquant l’action militaire de la Russie, qui, elle, et elle seule, lutte véritablement avec le régime contre ceux qui menacent la France, son peuple et sa sécurité.
Il est fascinant de constater, concernant l’Union économique et budgétaire, que la même politique économique idéologique est menée sans jamais être remise en question nulle part. Alors que la politique économique européenne actuelle est un échec total, que préconisent une fois de plus les hauts technocrates de Bruxelles, dont la légitimité démocratique est d’ailleurs nulle ? Toujours plus d’initiatives allant à l’encontre des politiques nationales ! J’en veux pour preuve les quatre piliers annoncés pour approfondir l’Union économique et monétaire : la création d’un système d’autorités de la compétitivité de la zone euro qui contraindrait les acteurs nationaux en matière de compétitivité et obligerait les partenaires sociaux à rendre des comptes sans pouvoir se soustraire aux avis de ce nouveau comité ; la création d’un comité budgétaire européen consultatif qui coordonnerait et compléterait les conseils budgétaires nationaux déjà en place – un comité supranational de plus ! ; la création d’un Trésor de la zone euro, pour que les États membres prennent de façon collective des décisions en matière de fiscalité et de répartition des dépenses budgétaires, ce qui conduirait à dépecer un peu plus chaque pays et à le priver du peu d’autonomie qu’il lui reste.
Toutes ces propositions visent à favoriser la surveillance des politiques économiques nationales, de façon probablement à les uniformiser. Pour notre part, nous refusons de nous soumettre et nous réaffirmons que la France doit disposer, comme toutes les autres grandes puissances, de sa monnaie, de sa banque centrale, de ses frontières, de sa souveraineté budgétaire, bancaire et législative.
Constatant les échecs de l’euro, nous défendons le retour à une politique monétaire nationale. Il n’y a pas de politique économique sans politique monétaire. La France a besoin de leviers budgétaires. C’est pourquoi nous voulons restaurer notre souveraineté budgétaire. Notre vision est avant tout empirique de ce point de vue.
Nous approuvons bien évidemment la proposition de campagne de David Cameron d’organiser un référendum sur la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne. Le Front national lui-même prendra cette même initiative en France si Marine Le Pen est élue à la présidence de la République. (M. Philippe Bonnecarrère s’exclame.) La question est finalement : voulons-nous rester maîtres de notre destin ?
L’imminence du référendum britannique fait souffler un vent de panique dans vos rangs, bien sûr. Vous n’avez qu’une peur, c’est que le peuple prenne la parole, car, lorsqu’il la prend, il vous désavoue. J’en veux pour preuve les résultats des élections européennes du mois de mai 2014 qui furent une véritable gifle pour l’ensemble des partis de l’establishment. Rendez-vous compte, la France est représentée par vingt-quatre députés du Front national !
M. François Marc. Ils ne font pas grand-chose !
M. David Rachline. Et que dire du traité de Lisbonne ? Qu’il a été la meilleure manière de cocufier les Français ? En 2005, 55 % des Français ont dit « non » à la ratification du traité établissant une constitution pour l’Europe. Le résultat était clair et net. Les Français se sont exprimés, le suffrage universel a parlé. Qu’à cela ne tienne, par une manigance dont vous avez été complices en soutenant l’UMP d’alors, vous avez ensuite fait adopter le traité de Lisbonne par le Parlement.
Que conclure de tout cela ? Que vous vous moquez du peuple, car il y a bien longtemps que vous l’avez mis de côté !
Lors de sa visite au Parlement européen, M. Hollande s’est permis de railler le souverainisme. Or opposer souverainisme et souveraineté n’a strictement aucun sens. Le souverainisme exige la souveraineté. Si sa puissance au sein des nations européennes vous inquiète, c’est parce que la souveraineté tend à disparaître.
Pour le Président de la République, la souveraineté, c’est être capable de décider pour nous-mêmes. Mais que décide-t-on pour nous-mêmes, alors que l’argent du contribuable français sert à financer des agricultures européennes concurrentes de la nôtre, alors que le million de migrants que l’Allemagne fait entrer au sein de l’Union européenne pourra évidemment venir bientôt s’installer chez nous, grâce à vos accords de Schengen ? Et je n’évoquerai même pas encore une fois le traité de Lisbonne que les Français avaient rejeté ! Et de quelle souveraineté nous parle M. Hollande ? De celle qui appartient désormais au peuple ? Compte tenu du peu de cas que vous faites de ses votes, cela n’est guère convaincant.
Nous n’avons pas peur d’affirmer que le souverainisme s’attache à la nation, car sans elle il n’y a plus de souveraineté, et que la nation est le cadre protecteur qui rendra à la France sa prospérité. (M. François Marc s’exclame.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Requier, pour le groupe du RDSE.
M. Jean-Claude Requier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, à l’agenda du prochain Conseil européen figurent trois questions qui mettent à l’épreuve la solidarité européenne, l’une des valeurs qui fonde, ou qui devrait fonder, l’Union européenne.
Le premier point, la question des migrations, renvoie à la solidarité humanitaire, et, au-delà, à la capacité des États membres à apporter une solution globale et unanime pour relever ce défi.
Le deuxième point, l’évolution de l’Union économique et monétaire, nous invite à réaffirmer, dans un monde de plus en plus ouvert, la nécessité d’avancer ensemble et non au rythme de chacun. Au plus fort des crises qui affectent l’Union européenne, la solidarité existe – le cas grec en est l’illustration –, mais au quotidien, au sein même de la zone euro, on constate que les politiques nationales sont diverses, voire qu’elles s’opposent, se concurrencent.
Enfin, le troisième point – le référendum prévu au Royaume-Uni – met en jeu la solidarité institutionnelle. Ce référendum laisse planer le risque de détachement de l’un des premiers pays à être devenu membre de l’Union européenne au titre de l’élargissement.
J’évoquerai pour commencer les migrations. Mes chers collègues, je rappelle que l’arrivée massive, au cours de ces deux dernières années, de demandeurs d’asile en provenance de Syrie, d’Irak, d’Afghanistan, d’Érythrée et du Kosovo ne doit pas masquer la réalité, à savoir un mouvement de fond. Depuis une quinzaine d’années, l’Union européenne a gagné 20 millions de nouveaux habitants, dont 16 millions proviennent du solde migratoire. L’Union européenne, malgré les difficultés économiques de plusieurs de ses États membres, continue de représenter l’espoir d’une vie meilleure pour tous ceux qui ne trouvent chez eux que la misère et la violence.
L’Union européenne doit donc mener une politique commune d’intégration sur le long terme. La chancelière allemande et le Président de la République française l’ont rappelé mercredi dernier devant le Parlement européen, déclarant de concert que le processus de Dublin était obsolète. En attendant, comment et où accueillir les centaines de milliers de personnes qui ont franchi les frontières de l’espace Schengen ? Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’Europe a du mal à s’accorder et à offrir un visage uni face à ce problème.
Je ne reviendrai pas sur les postures des uns et des autres. On peut critiquer l’attitude de la Hongrie et son mur anti-migrants, ou encore la volte-face de l’Allemagne sur la gestion de ses frontières, mais il faut garder à l’esprit que ces deux pays se sont subitement retrouvés en première ligne au sein d’une Union européenne en proie à l’inertie.
Il aura donc fallu une image choc, celle d’un enfant qui aurait pu être le nôtre, pour que la réaction de l’Europe soit plus conforme à celle que l’on attend d’une communauté de pays normalement sensibles au respect des droits de l’Homme.
Il est rappelé, dans les conclusions adoptées par le Conseil européen des 25 et 26 juin, que l’Europe devait « avoir, à l’égard des migrations, une approche équilibrée et d’une portée géographique globale, fondée sur la solidarité et la responsabilité. » Dans cette perspective, trois volets d’intervention ont été avancés, dont la fameuse relocalisation-réinstallation qui focalise toute l’attention.
Où en sommes-nous actuellement ? Pour les membres du RDSE, le mécanisme permanent de répartition des réfugiés mis en avant par le Président de la Commission européenne le 9 septembre dernier paraît être le moins mauvais des instruments. Toutefois, il doit être accompagné dans le même temps d’une démarche volontariste à propos du contrôle des frontières de l’espace Schengen, afin de ne pas créer un appel d’air. La dernière résolution votée à l’ONU nous y encourage.
Ensuite, nous souhaiterions que l’Union européenne nous éclaire sur les modalités de financement des programmes de relocalisation, dont le coût est pour l’instant évalué à 780 millions d’euros.
Cette problématique financière me conduit à évoquer maintenant le deuxième point de l’agenda européen, les perspectives d’évolution de l’Union économique et monétaire formulées dans le dernier rapport Juncker.
Ce débat est très vaste. Que doit-on encore renforcer ? Faut-il finaliser l’Union bancaire en mettant en œuvre le troisième pilier, lancer l’union des marchés des capitaux, créer un mécanisme de stabilisation budgétaire pour la zone euro ? Pourquoi pas ? Il est certain que l’on peut faire plus pour consolider l’économie de la zone euro. Rappelons qu’elle compte, hélas !,18 millions de chômeurs.
Pour autant, je regrette que le rapport du président de la Commission européenne ne définisse pas concrètement l’Europe que nous voulons, ou en tout cas celle qui serait souhaitable, et ses valeurs, même si la solidarité y est parfois évoquée. Devons-nous aller vers une « union de transferts », comme l’appelle le ministre de l’économie Emmanuel Macron, ou au contraire vers la conception très maastrichtienne de Wolfgang Schäuble, pour qui la rigueur budgétaire constitue le principal horizon européen ?
En attendant un débat, peut-être, sur le thème du modèle européen, il est surtout question pour le moment de convergence, de surveillance des politiques nationales et même de partage accru de souveraineté.
Si la plupart des membres du RDSE sont globalement favorables à une plus grande intégration, ils ne le sont pas à n’importe quelles conditions.
Si la convergence peut être un objectif politique, les règles pour y parvenir doivent être clarifiées. On ne peut pas dire, par exemple, que l’on va faire converger tous les budgets nationaux vers un déficit nul, comme on le fait actuellement dans le cadre du semestre européen, sans faire converger aussi certains des instruments des politiques budgétaires nationales. Je pense en particulier à la politique fiscale, trop peu évoquée dans le rapport du président Juncker. C’est pourtant un domaine dans lequel les États membres se concurrencent beaucoup.
L’affaire des rescrits fiscaux en témoigne. Il a fallu le scandale LuxLeaks pour que les ministres des finances donnent leur feu vert à l’échange automatique de rescrits fiscaux. Cette mesure devrait faire baisser la concurrence fiscale au sein de l’Union européenne.
N’attendons pas la crise pour poser les jalons d’une politique solidaire et d’une harmonisation fiscale dans plusieurs domaines. C’est une nécessité pour véritablement coordonner les politiques économiques de l’Union européenne.
Naturellement, je n’ignore rien de la difficulté d’établir un modèle de gouvernance qui fasse plaisir à tout le monde.
À cet égard, en guise de transition pour évoquer le troisième et dernier point à l’ordre du jour du prochain Conseil européen, je ferai miens les premiers mots du fameux discours que Winston Churchill a prononcé à Zürich en 1946 : « je voudrais vous parler aujourd’hui de la tragédie de l’Europe ». En toute modestie et à la place qui est la mienne, je voudrais pour ma part évoquer le Brexit. À côté de la tragédie grecque, que, je l’espère, nous avons évitée, se profile maintenant le drame shakespearien, le risque de Brexit, ou comment imposer à tout le monde sa conception de l’Europe pour régler des problèmes de politique intérieure… Car c’est bien de cela qu’il s’agit dans le cas du référendum britannique. Bien entendu, le groupe du RDSE ne souhaite pas la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne, même si les Britanniques restent les Britanniques – comme nous sommes un pays de rugby, nous les connaissons ! (Sourires.) Pour autant, nous ne partageons pas la vision essentiellement libre-échangiste de Londres et son souhait d’une Europe à la carte. Ce sujet est une véritable épine dans le talon du Premier ministre britannique et de l’Europe.
Pour conclure, mes chers collègues, l’Union européenne sachant traverser les difficultés, nous ne pouvons qu’espérer qu’elle s’accorde sur l’essentiel. Rappelons aux eurosceptiques de tous poils que la compétition se joue au-delà de notre continent, c'est-à-dire à l’échelle mondiale. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe écologiste et du groupe socialiste et républicain. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Fabienne Keller, pour le groupe Les Républicains.
Mme Fabienne Keller. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le prochain Conseil européen abordera principalement trois thèmes : la crise migratoire, l’Union économique et monétaire et le référendum britannique, ces trois sujets ayant pour point commun de conduire les Européens à s’interroger sur leur volonté de poursuivre leur union et sur la manière de la mettre en œuvre.
Vous avez longuement commenté la crise migratoire et l’avenir de Schengen, monsieur le secrétaire d’État, et mes collègues vous poseront plusieurs questions de fond sur ce point au cours du débat interactif et spontané. Pour ce qui me concerne, je vous engage à défendre une stratégie fondée sur deux piliers indissociables : d’une part, la France ne doit pas déroger aux engagements humanitaires qui sont les siens à l’égard de réfugiés fuyant la guerre et les violences, d’autre part, elle doit être ferme et organisée quant aux hot spots, au renforcement concret des capacités des gardes-frontières et au développement des relations avec les pays d’origine.
La suite de mon intervention portera sur les deux autres points à l’ordre du jour du Conseil européen, à commencer par l’Union économique et monétaire.
Depuis 2008, la crise économique et financière puis la crise des dettes souveraines ont cruellement mis en lumière les défauts de conception originels de la monnaie unique. On le savait dès le départ, un rapprochement des politiques nationales était nécessaire, dans les domaines du budget, du déficit, de la fiscalité, de l’harmonisation sociale, ou encore des stratégies économiques. Si cette nécessaire convergence a trop longtemps été ignorée, elle fait aujourd'hui l’objet d’un large consensus.
Depuis 2009, les réels progrès de la coordination et de la surveillance budgétaires, la création du mécanisme européen de stabilité, ou encore la mise en place de l’Union bancaire ont constitué des avancées décisives sur la voie de la consolidation de l’Union économique et monétaire. Les projets actuels d’achèvement du marché unique dans des domaines tels que le numérique, l’énergie ou les capitaux vont également dans ce sens et doivent être soutenus.
Toutefois, les menaces qui ont pesé ces derniers mois sur l’intégrité de la zone euro ont renforcé la conviction qu’il fallait aller plus loin dans l’intégration économique. Ce constat est aujourd’hui largement partagé, et pourtant il n’existe pas encore, tant s’en faut, de consensus sur la méthode et le rythme à suivre pour parvenir à cet objectif.
Dans ce débat, bien sûr, nous ne pouvons faire abstraction du contexte politique. La défiance à l’égard du processus d’intégration européenne est aujourd’hui malheureusement largement partagée. Il nous faut donc avancer de manière pragmatique, dans le cadre des traités existants.
S'agissant de la France, qui décroche chaque jour un peu plus par rapport aux économies européennes les plus dynamiques, c’est la question des réformes indispensables, aujourd'hui très insuffisantes, qui se pose - nous aurons l’occasion d’en parler longuement dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances.
À l’échelle européenne, il nous faut avant tout poursuivre le renforcement de la coordination de nos politiques budgétaires et de nos politiques économiques grâce à un semestre européen renforcé, simplifié, sans doute plus axé sur la situation d’ensemble de la zone euro, élargi aux politiques sociales et de l’emploi qui doivent nécessairement prendre toute la place qui leur revient dans le champ de la coordination économique.
De même, dans le domaine fiscal, la nécessité d’un rapprochement est de plus en plus acceptée, même si la matière est difficile et nécessite l’unanimité, parce qu’elle touche au cœur de la souveraineté et du débat démocratique national. Les travaux actuels sur la transparence des rescrits fiscaux ou sur l’assiette commune consolidée pour l’impôt sur les sociétés doivent nous permettre d’enclencher une dynamique vertueuse.
Je voudrais plaider sans attendre, monsieur le secrétaire d’État, pour l’organisation de réunions interparlementaires au sein de la zone euro. Il n’y a aucun obstacle à l’organisation de telles réunions, sur l’initiative, par exemple, de la présidence luxembourgeoise, qui permettraient de réaliser un travail de fond entre parlementaires nationaux mobilisés sur ces sujets. Permettez-moi une référence toute strasbourgeoise : le lieu de la réunion existe ; c’est bien sûr le Parlement européen de Strasbourg ! Tout cela serait possible, chers collègues, sans qu’il soit besoin ni de traités ni d’une institution formalisée créée officiellement. Nous sommes nombreux dans cette enceinte à participer régulièrement à des réunions interparlementaires sur différents sujets.
Je voudrais aussi m’inquiéter très officiellement, monsieur le secrétaire d’État, que ni la Chancelière Angela Merkel ni le Président François Hollande n’aient évoqué le sujet de l’Union économique et monétaire à la hauteur de ce qu’il devrait être la semaine dernière dans leur intervention devant le Parlement européen de Strasbourg.
J’en viens maintenant à la situation britannique, aux doutes exprimés par nos amis britanniques quant à leur appartenance à l’Union européenne et au vraisemblable référendum, organisé au plus tôt au mois de mai prochain, au plus tard au mois de mai de l’année suivante.
J’ai eu l’occasion d’analyser la Review of the Balance of Competences, un travail remarquable et unique en Europe d’analyse complète des politiques sur une base consensuelle. Disons-le d’emblée, les Britanniques ont toujours entretenu un rapport particulier à la construction européenne, qu’ils envisagent de manière très pragmatique comme un projet d’essence économique plutôt que politique. Bien sûr, l’union toujours plus étroite, ou ever closer union, évoquée dans les traités n’a jamais fait partie des priorités de leur projet européen et, pour eux, le marché unique est le cœur du projet.
Pour autant, ce référendum, malgré les nombreuses incertitudes qui pèsent sur son issue, ne doit pas être interprété comme une volonté de rupture. Une négociation est souhaitée, vous le savez, entre les dirigeants britanniques et européens, et elle doit prendre toute sa place.
Le chef du Gouvernement britannique, David Cameron, a abandonné l’idée de rapatriements massifs de compétences vers Londres ou de modification des traités. La finalité de cette négociation sera donc non pas d’aménager un nouveau statut pour le Royaume-Uni, mais plutôt de répondre à l’analyse approfondie de l’incidence des politiques européennes et d’apporter des réponses claires, d’autant que les Britanniques posent un certain nombre de questions fondamentales qui concernent au fond tous les Européens : l’Union européenne est-elle un facteur de prospérité pour ses citoyens ? Concentre-t-elle son action sur les domaines où elle peut produire des résultats ? Élabore-t-elle des législations suffisamment souples et efficaces ? Respecte-t-elle les espaces démocratiques nationaux ? Et puis – demande spécifiquement britannique –, quel statut peut-elle offrir aux pays qui ne souhaitent pas adhérer à la monnaie unique ?
Ma conviction est que le Royaume-Uni a besoin de l’Europe autant que l’Europe a besoin du Royaume-Uni, et qu’une séparation aurait des conséquences négatives pour tous. C’est pourquoi il est important d’engager la discussion avec nos amis britanniques et de trouver des réponses équilibrées et constructives aux points qu’ils soulèvent : l’approfondissement du marché unique, le recentrage de l’action européenne sur certains domaines clés, l’élaboration de réglementations plus efficaces, ou encore le rôle accru des Parlements nationaux. Ces points pourraient d'ailleurs faire l’objet d’un consensus, puisque ce sont des thématiques sur lesquelles nous pourrions apporter des solutions constructives.
Tels sont, monsieur le secrétaire d’État, les quelques sujets que je souhaitais relever, dans un dialogue qu’il nous faudra amplifier avec les Britanniques sur le point de la libre circulation, sur lequel, pour le coup, il n’est pas question de revenir. Nous devrons rester fermes sur nos convictions européennes…
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Fabienne Keller. … mais aussi convaincre nos amis britanniques que nous souhaitons qu’ils gardent toute leur place en Europe. En acceptant un débat avec eux sur des thèmes concrets, nous pourrons peut-être dessiner de nouvelles perspectives pour tous les Européens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – M. Philippe Bonnecarrère et M. le président de la commission des affaires européennes applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour le groupe UDI-UC.
M. Philippe Bonnecarrère. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission des affaires européennes, mes chers collègues, l’ordre du jour du prochain Conseil européen porte principalement sur deux sujets : la crise migratoire et le référendum britannique sur la participation du Royaume-Uni à l’Union européenne.
Le temps très limité qui m’est imparti me conduit à centrer mon intervention sur le référendum britannique, peu évoqué par les différents orateurs, à l’exception de M. Requier et de Mme Keller que je viens d’écouter avec beaucoup d’attention.
Thème de campagne du parti conservateur annoncé en 2013, le référendum sur le Brexit pourrait avoir lieu dès le mois de juin 2016, bien qu’aucune date officielle n’ait encore été annoncée. David Cameron a consacré trois minutes, mais trois minutes qui comptent, à l’Europe dans son discours annuel devant les délégués conservateurs réunis la semaine dernière à Manchester.
Il a dressé une liste des points négatifs de Bruxelles que j’avais soulignés, mais j’en viens directement aux pistes d’angles de négociations qui se dessinent du côté britannique : une intégration plus avancée du marché unique, afin de favoriser les échanges et les débouchés du Royaume-Uni ; la poursuite des négociations du Partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement, ou TTIP, avec les États-Unis dans une orientation plus libérale qu’à l’heure actuelle ; la défense du principe du fairness en matière économique, à savoir la défense du poids politique du Royaume-Uni dans le processus de décision européen, y compris sur les questions touchant à la zone euro ; un renforcement des restrictions d’accès au sol britannique pour les migrants ; enfin, une demande d’amélioration des conditions actuelles du rabais britannique n’est pas à exclure, tout en relevant, toujours avec le même étonnement, que, à l’horizon 2020, seules la France et l’Italie ne disposeront d’aucun rabais d’aucune sorte vis-à-vis de l’Union.
Ma première question, monsieur le secrétaire d'État, concerne la manière dont notre pays se prépare à cette négociation. Le président Juncker a toujours affirmé son souhait de tout faire pour garder le Royaume-Uni dans l’Union européenne. Il a créé une task force au sein du secrétariat général de la Commission pour coordonner les travaux, avec à sa tête un Britannique, l’ancien directeur général de la direction générale du marché intérieur. Notre pays s’est-il organisé, et si oui, sous quelle forme, pour cette future négociation ?
Ma deuxième question concerne la position française. M. le Président de la République a surpris les dirigeants britanniques et, d’une certaine manière, allemands lors de sa réponse, la semaine dernière, au Parlement européen – je ne parle pas de celle qui a été la plus médiatisée – en disant à Nigel Farage, le leader du UKIP, le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni, que les pays ne voulant pas poursuivre le projet politique de l’Union européenne devaient être logiques et partir. Est-ce bien la position officielle de notre pays ? Cette position aura-t-elle vocation à être reformulée ?
Quelles sont, mes chers collègues, les marges de manœuvre du côté européen et français, afin de parvenir à maintenir le Royaume-Uni dans le giron de l’Union européenne, sans pour autant donner un blanc-seing au Premier ministre britannique ?
Pour ne pas adopter un propos trop technocratique, je dirais que le Royaume-Uni ne peut pas vouloir le beurre – le marché intérieur –, l’argent du beurre – ne participer pour le reste qu’à ce qui l’arrange –, et le sourire de la crémière – garder la possibilité de s’opposer aux textes de l’Union européenne.
La question de l’accès du Royaume-Uni aux marchés continentaux, le premier volet que j’évoquais, ne paraît pas la plus complexe sur le plan technique ou poser des problèmes politiques majeurs. Il semblerait que ce soit davantage un signal politique intérieur qu’un véritable sujet.
La deuxième question, celle d’une Europe à géométrie variable, est beaucoup plus délicate. C’est une situation qui ne serait pas totalement nouvelle. Les Britanniques et les Danois bénéficient, en effet, d’opt out. Il est probable qu’un élargissement des opt out puisse être la solution de la négociation à venir. Cela me paraît être le sens du discours sur l’état de l’Union du président Juncker. Cette solution est pragmatique, mais elle ouvre, bien sûr, la porte à des revendications d’autres États membres. C'est la raison pour laquelle la méthode des cercles d’intégration serait à moyen terme la plus raisonnable, la plus efficace. C’est le sens du rapport dit « des cinq présidents » du mois de juin dernier.
Je suis convaincu qu’une étape nouvelle dans la construction politique de l’Europe ne peut être franchie que parallèlement à un renforcement de la participation et du contrôle parlementaire, tant au plan européen qu’à l’échelon des Parlements nationaux.
En conclusion, quand j’évoquais le sourire de la crémière, c'est-à-dire la possibilité pour le Royaume-Uni de s’opposer aux textes de l’Union européenne dans des domaines dans lesquels il n’intervient pas, nous entrons dans ce qui est probablement non négociable, tant pour la France que pour les autres pays d’Europe. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, des réponses que vous voudrez bien m’apporter. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. le président de la commission des affaires européennes applaudit également.)