M. Jacques-Bernard Magner. Il est bon de le rappeler !
M. François Fortassin. Ensuite, l’école ne peut pas résoudre tous les problèmes de notre société. On ne peut pas tout lui demander !
Enfin, l’éducation nationale, institution de la République, doit fonctionner de manière identique sur l’ensemble du territoire, en respectant les personnalités de chacun et en veillant à combattre les inégalités.
J’ai été un temps, par plaisir, professeur d’occitan. Je n’y voyais que des avantages. À vrai dire, j’apprenais surtout à mes élèves à chanter en gascon… (Sourires.) Toutefois, il ne faut pas tout mélanger : la base de l’apprentissage doit être la maîtrise du français.
Au-delà des difficultés spécifiques à chaque établissement et des disparités qui se font jour, l’une des missions de l’éducation nationale est aussi de donner à chacun de ses acteurs un certain nombre de réponses communes.
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. François Fortassin. Or, parmi la vingtaine de propositions formulées dans le rapport, à court et à moyen terme, pour consolider l’avenir, ce qui suffit aux uns ne répond peut-être pas à la problématique des autres.
Bien entendu, il faut donner aux équipes pédagogiques les moyens dont elles ont besoin.
Pour les membres du RDSE, l’adhésion à toutes les valeurs de la citoyenneté doit être l’axe majeur de toute politique éducative dans notre pays !
Je vous remercie de votre attention, mes chers collègues, et je prie Mme la présidente de bien vouloir m’excuser si j’ai quelque peu dépassé mon temps de parole.
Mme la présidente. La parole est à Mme Françoise Férat.
Mme Françoise Férat. Madame la présidente, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, avant tout, je tiens à dire à Mme la secrétaire d’État combien je suis ravie de la voir au banc du Gouvernement. En d’autres circonstances, j’aurais pu débattre avec elle de l’artisanat et des petites entreprises, sujets qu’il me semble assez bien connaître.
Néanmoins, les discussions d’aujourd’hui touchent à l’éducation nationale. À cet égard, je regrette que l’agenda de Mme la ministre de l'éducation nationale ne lui permette pas d’aborder avec nous la question essentielle qui nous réunit aujourd’hui. Son intitulé résume à lui seul l’ensemble des difficultés qui se font jour, et l’ensemble des inquiétudes que nous éprouvons tous.
Je tiens à saluer le travail accompli par nos collègues Françoise Laborde et Jacques Grosperrin, respectivement présidente et rapporteur de cette commission d’enquête. Certes, leur mission était ardue, mais ils ont su l’accomplir et ils ont tenu bon face aux critiques qui – on peut le dire sans exagération – se sont parfois révélées difficiles.
Mes chers collègues, en tant que vice-présidente de cette commission d’enquête, j’ai été au cœur de ces travaux, et je suis heureuse d’être aujourd’hui parmi vous, afin d’échanger dans le cadre de ce débat. En effet, il était important de revenir sur nos conclusions et sur nos propositions.
Malheureusement, certains ont trouvé là une occasion de polémiquer,…
M. Jacques-Bernard Magner. Mais non ! (Sourires sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain.)
M. David Assouline. Il est vrai que les propositions de la commission d’enquête ne sont pas polémiques du tout…
Mme Françoise Férat. … alors que nous sommes tous animés, je le crois et l’espère, par les mêmes intentions, à la suite des attentats qui, en janvier 2015, ont endeuillé notre pays.
Je ne peux que regretter le procès d’intention qui a pu nous être fait. Comme moi, vous avez sans doute lu les articles de presse dénonçant « les vieux sénateurs réactionnaires », « bien loin des réalités de terrain », « qui ne se posent pas les bonnes questions ». On nous a même accusés de récupération politique.
M. Jacques-Bernard Magner. C’est bien le cas !
M. David Assouline. Et le FN récupère à son tour !
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Il récupère tout…
Mme Françoise Férat. Il me semble que pointer un problème afin de trouver des solutions est une démarche positive. La politique de l’autruche n’est jamais constructive !
Nous avons parfois eu l’impression que les parlementaires n’avaient pas de légitimité à s’emparer de ce sujet. Bien au contraire, ce qui s’est passé nous oblige !
Comme je l’avais signifié lors de l’examen du rapport devant la commission d’enquête, j’ai beaucoup de mal avec la politique politicienne, et j’ai assez mal vécu le procès qui nous a été fait par certains. « Que la droite balaye devant sa porte ! », disiez-vous…
M. Jacques-Bernard Magner. En effet !
Mme Françoise Férat. Le constat dont nous avions tous connaissance, le drame de janvier dernier devaient déclencher une véritable et durable prise de conscience.
Nous sommes tous sur le terrain au quotidien. Je rencontre régulièrement, comme beaucoup d’entre vous, de nombreux professeurs de mon département. Nous connaissons les difficultés qu’ils vivent et combien ils se sentent souvent isolés et démunis pour y répondre. La perte des valeurs républicaines, des valeurs de l’école républicaine, en fait malheureusement partie. L’acceptation, la compréhension, l’appréhension de la laïcité sont au cœur de ce phénomène.
Bien évidemment, cela ne veut pas dire que des problèmes existent dans toutes les écoles, dans tous les collèges et dans tous les lycées de France et de Navarre (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et républicain.) – cela n’a d’ailleurs jamais été dans l’esprit des membres de la commission d’enquête, me semble-t-il.
Rappelons qu’il y a eu seize semaines d’auditions, de tables rondes et de déplacements sur le terrain. Les membres de la commission ont réalisé un vrai travail d’analyse approfondi, toutes sensibilités politiques confondues, pour ceux qui ont bien voulu y participer.
La commission a donc été créée à la suite des différents incidents qui ont eu lieu lors de la minute de silence organisée, dans tous les établissements scolaires du pays, en hommage aux victimes des attentats et en signe de rejet de la barbarie.
Ces incidents n’ont évidemment pas été le reflet du soutien et de la solidarité exprimés par les élèves dans leur grande majorité, sur tout le territoire. Ils ont cependant bien eu lieu et les professeurs qui ont dû y faire face n’ont pas toujours été en capacité d’y répondre. Ils n’ont pas toujours su comment réagir, et on peut le comprendre. Aucune formation, aucun élément de langage n’étaient à leur disposition pour les aider à parler de ces événements avec leurs élèves.
Ce n’était pas la première fois que ce genre de problèmes survenait. En effet, déjà, lors des minutes de silence organisées pour les attentats du World Trade Center et à la suite de la tuerie perpétrée par Mohamed Merah, des événements dramatiques de ce type avaient déjà été signalés à plusieurs reprises.
De nombreux jeunes sont aujourd’hui en perte de repères et en recherche d’idéal. Fragilisés, ils ne se tournent pas toujours vers les bonnes personnes pour trouver des réponses. C’est une réalité, et nous devons essayer de trouver des solutions pour endiguer le phénomène.
Il est de notre responsabilité de nous emparer des difficultés que rencontre notre jeunesse pour l’aider. Il nous faut trouver pourquoi les jeunes sont aussi nombreux à se sentir incompris, exclus d’une société, la nôtre, dont ils sont censés être l’avenir.
La réponse à cette question n’est pas simple. Alors, au lieu de rejeter la faute sur les uns et les autres, nous devrions savoir travailler ensemble.
C’est pourquoi je pense sincèrement qu’il était opportun de créer cette commission d’enquête.
Nous ne sommes pas les seuls à nous être inquiétés de cette situation, d’ailleurs. De manière plus large, le ministère de l’éducation nationale lui-même, ainsi que le ministère de l’agriculture se sont également saisis de ce sujet.
La ministre a présenté onze mesures issues de la Grande mobilisation de l’école pour les valeurs de la République, autour de la transmission des valeurs républicaines, de la laïcité, de la citoyenneté, de la culture de l’engagement, de la lutte contre les inégalités, de la mixité sociale et de la mobilisation de l’enseignement supérieur et de la recherche, en précisant que cette grande mobilisation était celle de toute l’école, y compris de l’enseignement agricole et de l’enseignement privé sous contrat.
Vous connaissez d’ailleurs mon engagement tout particulier pour la défense de l’enseignement agricole : ce dernier n’a pas été en reste, plusieurs initiatives ayant été lancées afin d’en mobiliser l’ensemble de la communauté éducative. Trois débats ont notamment été organisés et un plan d’action a été mis en place, pour partie commun à l’éducation nationale et à l’enseignement supérieur, pour partie propre à l’enseignement agricole.
J’en viens plus précisément aux travaux de la commission. Quatre axes de réflexions et de propositions ont été développés.
Le premier axe vise à favoriser le sentiment d’appartenance et d’adhésion de tous aux valeurs de la citoyenneté. La maîtrise et la défense des valeurs de la laïcité et des valeurs citoyennes autour de sujets d’actualité sont primordiales.
Le deuxième axe, justement, tend à restaurer l’autorité des enseignants et à mettre en place une véritable formation des professeurs à la transmission des valeurs de l’école républicaine.
Le troisième axe vise à mettre l’accent sur la maîtrise du français et à veiller à une meilleure concentration des élèves. La maîtrise de la langue est essentielle. Nous avons malheureusement tous constaté le taux croissant d’élèves qui arrivent en classe de sixième avec de réels problèmes d’expression, d’écriture et de lecture. Des évaluations doivent absolument avoir lieu en amont pour que l’on puisse les aider. On en revient à l’éternel problème de la maîtrise du socle commun de compétences.
Le quatrième et dernier axe tend, quant à lui, à mieux responsabiliser l’ensemble des acteurs, que ce soit les familles, les professeurs ou le ministère de l’éducation nationale.
Ces pistes de réflexion et ces travaux ont pour objectif de faire bénéficier les élèves d’actions les aidant à développer une ouverture d’esprit, un respect des différences et d’autrui, ainsi qu’une notion de tolérance, en créant un lien social fort et en travaillant collectivement.
De nombreuses actions ont déjà lieu sur le terrain. Je prendrai pour exemple ce qui se fait dans mon département, la Marne. Nous avons développé de nombreuses mesures afin d’associer pleinement les parents à la mission éducative de l’école, ce qui me semble essentiel. Dans tous les collèges a été mis en place un espace numérique de travail, ou ENT, un espace collaboratif qui permet d’établir un lien virtuel entre le collège, les équipes administratives, les enseignants, les parents et les élèves. Ce lieu permet d’associer les familles de façon plus étroite au dialogue éducatif.
Des actions d’ouverture de ces établissements vers l’extérieur sont également mises en place, avec, par exemple, le dispositif « collèges en scène », qui regroupe dix-huit initiatives.
Nous ne sommes pas tous d’accord sur les solutions à apporter, certes : ce n’est ni la première fois ni la dernière et, quelque part, c’est heureux, car la confrontation des idées est toujours positive. Alors, pourquoi refuser d’échanger et de travailler ensemble sur un sujet aussi important ?
Mme la présidente. Je vous prie de conclure, ma chère collègue.
Mme Françoise Férat. Au travers de leurs travaux, les membres de la commission d’enquête n’ont en aucun cas essayé de stigmatiser une catégorie de jeunes. Nous sommes bien évidemment conscients que nombre des incidents qui ont pu avoir lieu au moment de la minute de silence n’étaient que le simple reflet de provocations propres à l’adolescence.
Il nous faut agir à présent, et agir ensemble !
Mme la présidente. La parole est à M. Patrick Abate.
M. Patrick Abate. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, madame la présidente de la commission de la culture, mes chers collègues, la commission d’enquête lancée sur l’initiative de nos collègues de droite butait, dès le départ, sur un écueil, celui de définir clairement son sujet pour mener des investigations précises, sauf à engager, si ce n’est un procès, du moins une mise en examen de l’école pour fonctionnement mal-républicain ou non-républicain, alors même que les perturbations lors de la minute de silence ont concerné – il faut tout de même le rappeler - quelques centaines de cas sur 65 000 établissements scolaires !
Mme Maryvonne Blondin. Tout à fait !
M. Patrick Abate. Par ailleurs, il est regrettable que cette commission se soit si souvent transformée en une commission sur la laïcité, avec une vision biaisée d’une laïcité qui exclut plutôt et stigmatise souvent.
Un certain nombre des propositions de ce rapport vont dans ce sens. Il en est ainsi des mesures discriminatoires ou répressives, comme la suppression des allocations familiales, l’évaluation, dont on a du mal à cacher qu’elle fonctionnera comme une sanction et un barrage en CM2, ou encore la création d’établissements spécialisés pour des jeunes difficiles, pour ne citer que ces quelques exemples.
Je regrette que certains de nos collègues se lancent ainsi, peut-être à l’approche d’échéances électorales, dans une course plutôt démagogique où ils dressent un tableau apocalyptique de notre école, qui serait rongée par un intégrisme larvé.
Je ne peux que marquer mon désaccord avec les préconisations du rapport et la proposition de loi de M. Grosperrin qui en découle. Je vois surtout quelques propositions qui n’en sont pas vraiment, car elles sont déjà satisfaites, comme le fait de faire figurer les emblèmes de la République au fronton de nos écoles, le meilleur signalement des absences et l’organisation d’un débat au Parlement, ou de simples propositions de bon sens, qui s’imposent sans qu’il y ait lieu de légiférer en grande pompe, comme le fait de mieux faire remonter les incidents, de veiller à une meilleure concentration des élèves, de remplacer systématiquement les enseignants en zone difficile et de ne pas y nommer de débutants, ou encore de requalifier la formation continue.
Pour le reste, les propositions sont marquées du sceau de la division entre les citoyens. Cette fuite en avant, cette recherche de la norme ethnocentrée ne peuvent que nous conduire à un désastre et à une guerre de tranchées dans les écoles, alors même que notre République s’est construite et affermie sur la rencontre de composantes hétérogènes qui s’enrichissent mutuellement.
Le rejet de ce rapport, globalement, par la communauté scolaire ne doit pas être vu comme une manifestation de plus du « mammouth scolaire », qui s’opposerait à tout changement.
Les enseignants le savent bien : on ne décrète pas l’efficacité de l’imprégnation des valeurs républicaines. C’est le résultat d’une alchimie complexe dans laquelle l’enseignant est un vecteur essentiel qui doit avoir les moyens de donner son cours, mais aussi de faire vivre sa classe par la reconnaissance et le respect de la diversité, ainsi que par l’esprit critique.
L’enseignement des valeurs républicaines passe par l’enseignement de symboles, par le biais de cours d’enseignement civique, d’histoire, de géographie et de français. Certes ! Pour autant, les programmes scolaires doivent permettre la transmission des valeurs de la République, non pas comme un étendard porté aveuglément, mais plutôt comme une prise de conscience de ses bienfaits.
À ce titre, l’instauration de rites républicains comme une fin en soi paraît au mieux inefficace, ne constituant qu’un vernis, au pire tout à fait contre-productive.
Je rappelle notre attachement au métier d’enseignant, à sa revalorisation, à son autorité – les deux étant liés –, qui passe par la formation initiale, la formation continue, les conditions de travail et la rémunération. Nous sommes en revanche opposés à la restauration de cette autorité de façon factice, selon des préceptes d’un autre temps. Les coups de règle sur les doigts en feraient-ils rêver certains ?
L’alchimie dont je parlais se construit et doit trouver son ancrage dans la démonstration irréfutable que la République est efficace et qu’elle est le régime politique le plus favorable au citoyen. L’école est, là, en première ligne.
Les attaques des gouvernements que la droite sénatoriale a soutenus ont mis à mal l’idéal républicain de l’école : suppression de la formation des enseignants, entrave à la scolarisation pour les moins de trois ans, concurrence entre les établissements, carte scolaire, réduction des personnels et des moyens de fonctionnement – RGPP oblige ! L’ensemble de ces mesures a affaibli l’école et terni l’image d’une école émancipatrice, capable de réduire les inégalités entre les enfants et permettant l’intégration de tous dans notre société.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Très bien !
M. Patrick Abate. Les mesures prises dans ces domaines par le gouvernement actuel améliorent, certes, les choses, mais sont encore insuffisantes. Au regard des enjeux et des ambitions affichées, le manque de moyens est encore criant !
De même, ce rapport est-il à la hauteur des enjeux ? Non ! Pour ne prendre qu’un exemple, ne serait-il pas plutôt naïf, voire un peu démagogique, de prêter à l’uniforme tant de vertus républicaines et égalitaires ? On mettrait ainsi des habits sur les inégalités plutôt que de les combattre…
À l’heure où la reproduction sociale est toujours aussi prégnante dans notre société, à l’heure où l’ascenseur social est en panne, il aurait été plus intéressant de s’intéresser aux raisons pour lesquelles certains jeunes se sentent coupés de la République de ce XXIe siècle, plutôt que de s’inspirer trop souvent d’un modèle hérité de la IIIe République !
Notre attachement à un système éducatif qui favorise la réussite et l’égalité de fait, indépendamment des conditions préalables d’existence et des déterminismes sociaux, est sans faille. C’est l’étape fondamentale à la sensibilisation républicaine.
Je citerai Camille Peugny qui, dans son ouvrage Le destin au berceau, rappelle que sept enfants de cadres sur dix exercent un emploi d’encadrement à l’issue de leurs études, quand sept enfants d’ouvriers et employés sur dix exercent, eux, des emplois d’exécution. L’école devrait pourtant permettre la réalisation de l’idéal républicain, l’émancipation et l’ascension sociale par le savoir et la raison.
Il ne s’agit pas ici de soutenir qu’aucune perturbation n’a eu lieu à l’occasion des commémorations des événements de janvier et que tout est pour le mieux dans le meilleur des mondes en la matière. Il ne s’agit pas de faire l’autruche, chère collègue. Il s’agit de prendre un minimum de recul et de sortir du registre du pathos.
À ce titre, il paraît aujourd’hui essentiel de réfléchir à la pratique mémorielle dans notre pays.
Elle devrait permettre le dialogue autour des événements, ainsi que la réflexion et la prise de conscience d’une histoire collective. Aurions-nous eu ces perturbations si, au lieu d’une minute de silence, avait été organisée et préparée une journée de parole dans les écoles ?
Une minute de silence, c’est compliqué… Quand elle a été respectée, qui peut savoir si elle l’a été parce qu’elle a été péremptoirement imposée, ou si elle l’a été parce qu’elle a été bien comprise et intégrée ?
Mes chers collègues, c’est à la société tout entière, et à l’école en particulier, de permettre à ses enfants, tous ses enfants, de prendre racine, de se nourrir et de grandir, en puisant dans le sol et dans l’histoire de notre pays ce qui leur permettra de produire et de rendre, tel un arbre, à partir de leur propre histoire et de leurs singularités, les fruits qui feront notre richesse collective, les fruits qui feront République !
Nous sommes bien loin de cette vision des choses dans ce rapport. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe CRC ne s’inscrit pas dans les propositions de la commission d’enquête. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques-Bernard Magner.
M. Jacques-Bernard Magner. Je tiens tout d’abord à rappeler que le groupe socialiste s’est opposé à la création de cette commission d’enquête voulue par les sénateurs UMP « à chaud », au lendemain des attentats de janvier 2015.
L’institution scolaire y était soupçonnée de cacher des informations, au moment même où notre pays avait besoin de cohésion pour faire front. Ce procédé accusatoire et stigmatisant a été vivement ressenti dans la communauté enseignante, car – il faut bien le dire – il a instauré un rapport de méfiance et un sentiment d’instrumentalisation. D’ailleurs, c’est la première fois que des personnes refusent d’être auditionnées, l’absence de conséquence à ce refus prouvant bien que le recours à une telle commission était disproportionné. La présidente de la commission d’enquête, Françoise Laborde, l’a reconnu elle-même, en précisant dès le départ qu’elle n’utiliserait pas les prérogatives d’une commission d’enquête.
Dès le début de cette procédure exceptionnelle, que nous avons jugée inadaptée aux circonstances et au débat, nous avons refusé de prendre des responsabilités dans le bureau de cette commission d’enquête, dont nous avons suivi les travaux sans la cautionner.
En effet, nous pensons toujours que les attentats de janvier et la légitime émotion qu’ils ont soulevée dans le pays méritaient mieux qu’une tentative d’instrumentalisation de certains faits, certes graves et significatifs, comme le refus ou la contestation de la minute de silence. Rappelons que, dès le lendemain de ces faits, des mesures fortes ont été prises par le Gouvernement pour que soient signalés et sanctionnés les actes ou paroles faisant l’apologie du terrorisme, du racisme, de l’antisémitisme et de la haine de l’autre.
Les attentats, mais aussi la montée des extrémismes et des populismes, ont montré que c’est malheureusement notre société elle-même qui est en proie à la confusion sur les valeurs de la République. Nous pensons que c’est à tous les niveaux de la société que des réponses fortes doivent être apportées.
Pour le rapporteur et son parti, Les Républicains, les maux seraient ancrés dans l’école et pollueraient une société qu’ils voudraient voir obéir à leurs standards et à leur programme électoral pour l’éducation.
M. Jacques Grosperrin, rapporteur. Pas moi, non !
M. Jacques-Bernard Magner. « Perte de repères et rejet des valeurs républicaines depuis plus de dix ans », écrivez-vous dans votre rapport. Mais qui a enterré le rapport Obin sur les signes religieux à l’école, en 2004 ? La mise sous le boisseau d’informations dérangeantes, c’est la droite qui l’a pratiquée ! Tout au contraire, l’une des premières mesures, en 2012, prises par le nouveau ministre de l’éducation nationale, Vincent Peillon, a été, en réaction aux procédés du quinquennat précédent, de rétablir la transparence, avec la publication de tous les rapports sans exception.
Et qu’a pointé en premier M. Obin, inspecteur général de l’éducation nationale, lors de son audition ? L’aggravation de la ghettoïsation des quartiers depuis dix ans et le manque de formation des professeurs,…
Mme Maryvonne Blondin. Exactement !
M. Jacques-Bernard Magner. … cette même formation que la droite a jugée superflue et a cru bon de supprimer !
Cette décision a été catastrophique pour notre système scolaire, et l’urgence a été de reconstruire une vraie formation professionnelle initiale, ce que nous avons fait avec la loi d’orientation et de programmation pour la refondation de l’école de la République.
Et ce sont les mêmes qui veulent aujourd’hui réviser les maquettes de formation des écoles supérieures du professorat et de l’éducation, les ESPÉ, et qui demandent des moyens pour la formation continue et pour les remplacements, alors qu’ils ont supprimé 80 000 postes en cinq ans...
En apportant des moyens nouveaux en postes, en recréant une vraie formation professionnelle pour les enseignants, en installant de nouveaux rythmes scolaires adaptés (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains.), en instaurant la charte de la laïcité, en confiant la réforme des programmes au Conseil supérieur des programmes avec la création d’un véritable enseignement moral et civique, nous avons montré la voie à suivre pour construire une école bienveillante, mais aussi exigeante quant au respect des valeurs républicaines de laïcité et d’égalité que nous réaffirmons.
M. Guy-Dominique Kennel. Pour quel résultat ?
M. Jacques-Bernard Magner. Que nous propose la droite ? Un retour à de vieilles recettes inadaptées, autour du triptyque : répression, sanction, coercition. La panoplie est complète : il faudrait le retour du vouvoiement, de l’uniforme, du rituel matinal… Et surtout, le retour de la loi dite « Ciotti », qui instrumentalise la suppression des allocations familiales comme une arme de dissuasion à l’encontre des parents pour inciter au présentéisme scolaire. Pourtant, ce dispositif a déjà démontré son inefficacité par le passé !
Il en va de même avec votre proposition de créer, dans chaque département, un établissement labellisé « spécial perturbateurs». Vous voulez donc ajouter de la ségrégation à la ghettoïsation croissante dont souffre notre système scolaire.
Mme Maryvonne Blondin. Eh oui !
M. Jacques-Bernard Magner. Les conclusions de cette commission d’enquête sont, en outre, en contradiction totale avec les politiques menées, dix ans durant, par la droite : elles défendent l’école dès trois ans, afin d’améliorer le niveau de langage des élèves, alors que la droite s’est opposée à la scolarité obligatoire à trois ans quand nous l’avons proposée. Je rappelle que les ministères successifs de droite ont réduit à la portion congrue la préscolarisation en maternelle, mais nous l’avons réactivée depuis 2012.
Je relève encore une contradiction flagrante : le rapport défend la transversalité de l’instruction morale et civique, donc l’interdisciplinarité, en citant même des exemples réussis. Mais qui dénonce sans relâche, depuis des mois, l’interdisciplinarité inscrite dans la réforme du collège proposée par la ministre Najat Vallaud-Belkacem ?
Enfin, l’auteur du rapport constate le creusement des inégalités sociales et scolaires, constat sur lequel nous sommes tous d’accord, mais là, il s’abstient de toute proposition…
Or les premiers défis à relever pour la cohésion de notre société sont bien l’adhésion à la Nation, la mixité sociale. Dans cet objectif, nous avons fait adopter, dans la loi pour la refondation de l’école de la République, un amendement permettant qu’un même secteur de recrutement puisse être partagé par plusieurs collèges publics.
Depuis, l’éducation prioritaire a, elle aussi, été refondée, pour être plus juste, plus égalitaire.