M. Guy-Dominique Kennel. D’ailleurs, depuis, cela va vraiment mieux !...
M. Jacques-Bernard Magner. Face à ce bilan à charge très négatif pour l’école publique, nous condamnons l’instrumentalisation de cette commission d’enquête et de ses conclusions, qui visent en fait à présenter le programme éducatif de la droite pour 2017, en s’appuyant sur les événements dramatiques de janvier, qui méritent plus d’impartialité et d’objectivité.
En réalité, dans ce rapport, vous annoncez les éléments structurants de votre programme de 2017 pour l’école : notation et recrutement des professeurs par les chefs d’établissement – c’est un souhait ancien ! –, sanction financière pour les familles en cas d’absentéisme scolaire, mise en quarantaine des élèves perturbateurs, prestation de serment par les enseignants... Par ailleurs, vous émaillez votre texte de références permanentes à la prétendue exemplarité des établissements privés. Je ne pense pas que ce soit l’exemple à suivre pour les écoles publiques.
Et, pour finir, monsieur le rapporteur, vous utilisez le rapport de la commission d’enquête comme lanceur de la fusée qui porte votre propre proposition de loi. On comprend mieux, désormais, les vraies motivations qui présidaient à toute cette agitation autour de l’école…
Mme Françoise Férat. Oh !
M. Jacques-Bernard Magner. Nous avions des doutes sur la sincérité des objectifs annoncés lors de la mise en place de cette commission d’enquête. Les conclusions et l’utilisation politicienne qui en est faite nous donnent d’autant plus raison aujourd’hui.
Monsieur le rapporteur, vous avez au moins reçu, cet après-midi, le soutien que vous attendiez, avec l’approbation du représentant du Front National. Cela nous désole !
Mes chers collègues, je pense que le Sénat s’honorerait à ce que le travail de contrôle soit mis au service de l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe CRC, du groupe écologiste et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Sans revenir sur les vifs débats qui ont eu lieu au moment de l’installation de la commission d’enquête, je déplore l’occasion manquée au regard de la question que cette commission prétendait aborder.
Vous avez beaucoup travaillé, monsieur le rapporteur. Vous nous avez pris beaucoup de temps... Mais un siècle après l’invention de la stéréo, vous n’entendez toujours que de l’oreille droite ! (Rires sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
Et pour quel résultat ? Les conclusions sont, en fait, un mélange contrasté.
Certaines des préconisations peuvent être partagées, comme veiller au remplacement systématique en zone difficile, ne pas y nommer de débutants, prêter un serment - je préfère un code de déontologie - et, bien sûr, mettre l’accent sur la maîtrise de la langue française. Et puis, requalifier la formation continue en déshérence – intéressant, pour une majorité qui avait supprimé les postes et la formation initiale !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Cela mérite d’être dit !
Mme Marie-Christine Blandin. Il y a aussi la reprise de dispositifs existants : les emblèmes de la République, les valeurs républicaines dans les écoles supérieures du professorat et de l’éducation, le signalement des absences ou le débat au Parlement.
Et puis, il y a des propositions à risque, comme un sermon hebdomadaire nourri de la frénésie de l’actualité transmise par les médias, ou d’autres mal ciblées, comme l’interdiction des tablettes. Comme si c’était l’utilisation en classe du numérique qui diminuait la concentration, alors que la cause en est la télévision nocturne et les usages privés !
Il trouve surtout, dans votre rapport, le recyclage des vieilles propositions les plus droitières : la suppression des allocations familiales, l’évaluation barrage en CM2, l’interdiction des accompagnantes voilées ou les établissements pour perturbateurs.
Comment en est-on arrivé là ?
Par parti pris : vous ne vous êtes pas penché sur les incivilités liées, par exemple, à la montée de la xénophobie.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Ou du sexisme…
Mme Marie-Christine Blandin. La banalisation de ce type de discours m’inquiète plus que les mamans voilées accompagnantes.
Par manque de rigueur, ensuite : j’ai souligné des contre-vérités, par exemple la confusion entre les écoles Freinet et Montessori ou le travestissement des programmes d’histoire proposés par le Conseil supérieur des programmes. Et ces contre-vérités étaient énoncées face à des auditionnés qui avaient, eux, prêté serment de dire la vérité !
Enfin, par renoncement à enquêter vraiment : peu de questions précises, pas d’investigation poussée, une complaisance rare avec les commentateurs venus débiter le discours attendu.
Dans le même temps, vous criez au déni à chaque fois que des acteurs de terrain, ayant prêté serment, nuançaient vos alarmes, en montrant la diversité des difficultés, le trouble des lycéens et en présentant des outils pour surmonter les tentatives de déstabilisation.
Cette commission d’enquête a consommé de précieux moyens d’investigation du Parlement pour, comme dans les émissions people, mettre en scène des déclinistes, à mille lieues de la rigueur du Sénat et des valeurs intégratives de la République.
N’avez-vous pas envisagé, monsieur le rapporteur, la venue de Zemmour et fait entendre Natacha Polony le jour où nous devions recevoir Marcel Gauchet ?
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Quelle honte !
Mme Marie-Christine Blandin. Cette commission d’enquête a renoncé à tirer la politique vers le haut, au service du bien commun, pour surfer sur une vague idéologique dont Mme Morano est l’écume.
Et pourtant, il y a des difficultés, et il y avait matière et il y a urgence à entendre.
Après les sinistres départs vers la Syrie de jeunes embrigadés, après l’indignation et l’émotion issues des attentats, plusieurs intervenants, aussi choqués que nous, nous ont dit, avec des mots différents, l’importance d’entendre les questions des jeunes, l’importance de ne jamais perdre le fil de la communication, lorsque des questions, des contestations, surgissent.
La représentante de l’association des professeurs d’histoire-géographie citait certaines questions de jeunes, par exemple : « Pourquoi avoir invité à la manifestation du 11 janvier des chefs d’État ne respectant ni la liberté d’expression ni la démocratie ? » Ou encore : « Un parti antisémite ou xénophobe peut-il être républicain ? » Il faut entendre les élèves, nous disait-elle, afin de déconstruire les stéréotypes. Leur intimer de se taire les enfermerait dans le faisceau d’opinions qu’ils pensent être des réalités.
Il faut du temps et une bonne formation pour appuyer la construction des réponses sur des faits et des savoirs, plutôt que sur des endoctrinements ou des théories du complot. Pas facile, alors même que l’école s’est retrouvée au cœur des questionnements de la société, voire au banc des accusés. Je reconnais qu’au fil des mois, monsieur le rapporteur, vous avez pris plus de précautions sur ce point, et la présidente Laborde y a veillé.
Néanmoins, le regard soupçonneux exclusivement tourné vers certains élèves, la commission n’a pas su exploiter les exemples de réussite et les pistes pour lever les difficultés que rencontrent les enseignants.
L’enjeu de notre école, c’est de permettre aux jeunes de sortir de la logique d’enfermement grâce à un travail patient et constant de désintrication entre les croyances, d’une part, les savoirs, d’autre part. La laïcité et les valeurs de la République – on peut d’ailleurs noter que le rapport omet curieusement la fraternité - ne se parachutent pas comme un catéchisme, sans preuve ni débat ; elles deviennent l’objet d’une adhésion par la démonstration quotidienne de leur intérêt.
Et il n’y a pas de démonstration sans échange, sans pratique, sans prise en considération de chacun, avec égale dignité, d’où qu’il vienne. La raison ne se construit pas dans l’arbitraire de la règle non expliquée ou, pire, dans la règle démentie par les faits, à commencer par l’égalité des territoires, des droits ou des orientations des élèves. Vous ne vous êtes pas assez penché sur cette égalité, valeur de la République !
Les écologistes ne sont ni naïfs ni angélistes, mais, contrairement aux prophètes de malheur, ils ont confiance dans l’école de la République, et ils aiment la France métissée ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. Jean Desessard. C’est plus que de l’audio, monsieur le rapporteur, c’est de la 3D ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Marc.
M. Alain Marc. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission de la culture, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, depuis quelques années, l’opinion est de plus en plus souvent alertée par les signes de dégradation des comportements scolaires traduisant un rejet des valeurs de l’école républicaine. Ces actes se multiplient et découragent les enseignants.
Les exemples, malheureusement nombreux, ont été parfaitement identifiés dans le rapport Faire revenir la République à l’École : refus d’assister à certains cours ou activités scolaires ou périscolaires, revendications identitaires exprimées au moyen de tenues vestimentaires à connotation clairement religieuse ou de régimes alimentaires spécifiques, absentéisme à répétition au moment de la célébration de fêtes religieuses, contestation systématique de certains contenus d’enseignement, comportements sexistes ou discriminatoires entre les élèves, notamment à l’encontre des jeunes filles, propos racistes, antisémites ou anti-Français, refus de la mixité, prosélytisme et pressions sur des élèves ne respectant pas certaines prescriptions religieuses, mise en cause de la légitimité des professeurs à intervenir sur certaines questions comme l’histoire des religions.
Ce rejet des valeurs républicaines à l’école a trouvé sa forme la plus poussée au lendemain des attentats de janvier 2015, lors de la minute de silence ou à l’occasion de débats auxquels ces dramatiques événements ont donné lieu en classe, entre élèves et enseignants. Des propos inadmissibles ont été tenus à cette occasion et certains élèves ont refusé de participer à la minute de silence.
Ces incidents ne peuvent pas trouver leur explication dans l’insuffisance des moyens du service public de l’éducation : la France se place en tête des pays européens par son investissement éducatif dans le domaine de l’apprentissage de la citoyenneté.
Depuis les années quatre-vingt-dix, notre pays mobilise dans ses programmes et instructions scolaires les trois principales dimensions qui peuvent constituer une éducation à la citoyenneté : premièrement, des cours d’éducation civique spécifiquement identifiés ; deuxièmement, une participation des élèves tant aux instances de gouvernance des établissements dans le secondaire qui permettent un engagement dans les affaires publiques de l’école - délégués de classe, représentants au conseil d’administration ou au conseil de la vie lycéenne – qu’à des débats dans l’heure de vie de classe ; troisièmement, enfin, des projets d’action éducative visant à ouvrir les jeunes à des actions de responsabilisation citoyenne dans et hors de l’école.
Globalement, le modèle français d’éducation à la citoyenneté présente théoriquement toutes les apparences d’un modèle pédagogique solide et bien articulé entre diffusion des connaissances et compétences autour de la citoyenneté et mise en action des élèves visant à leur faire acquérir attitudes et comportements citoyens au travers d’actes concrets dans lesquels ils s’engagent.
Alors que, dans d’autres pays européens, les notions à acquérir et réflexions à engager par les élèves en matière de citoyenneté sont intégrées dans d’autres disciplines humanistes, la France est le seul pays européen où les cours d’éducation civique sont, depuis le primaire jusqu’à la fin du lycée, à la fois clairement identifiés et, le plus souvent, dotés d’horaires spécifiques.
La crise de légitimité qui affecte le modèle républicain, liée en partie aux nouveaux défis lancés par la mondialisation, semble constituer l’un des facteurs du malaise actuel du système éducatif français. Dans ce contexte, face aux diverses manifestations du phénomène de repli identitaire, il apparaît indispensable que l’éducation civique s’adapte dans ses approches et sa pédagogie.
L’éducation civique doit alors se donner les méthodes nécessaires pour faire comprendre à l’élève que le repli identitaire doit être combattu.
Car le repli identitaire, c’est le communautarisme, qui constitue une menace pour l’unité de la République parce qu’il réduit l’identité de l’individu au périmètre exigu d’une seule appartenance : religieuse, ethnique, sexuelle, etc.
Le repli identitaire, c’est l’opposé du projet d’émancipation de l’individu né avec les premiers humanistes et transformé en volonté politique par la philosophie des Lumières. L’effet le plus diviseur du communautarisme sur la société est le multiculturalisme, cette coexistence au sein de la société de plusieurs systèmes de référence qui deviennent alors incompatibles avec les valeurs et les principes régissant les institutions communes et le droit commun.
Sur ce terrain, l’école a encore un rôle à jouer pour faire comprendre aux élèves la nécessité non seulement de respecter les lois du pays dans lequel ils sont appelés à vivre, mais également, et surtout, de s’en approprier les valeurs et les principes et de les intérioriser !
La crise de la cohésion sociale que nous connaissons actuellement complique aussi dangereusement l’enseignement de l’histoire qui se retrouve « déchirée » par la confrontation des mémoires de groupes. Cette discipline, qui a toujours mis son honneur dans la recherche de la vérité, est aujourd’hui en danger, parce qu’elle risque d’être réduite au plus petit dénominateur commun d’une histoire officielle composée de célébrations, de repentances et d’interdits, sous prétexte d’éviter les dissensions et les procès de mémoire. Non, ce n’est pas cela l’histoire de France !
C’est pourquoi, si l’on favorise chez les enfants la compréhension de la différence entre l’histoire et la mémoire, l’éducation civique pourra alors expliquer que ni le juge ni l’élu n'ont vocation à écrire l’histoire.
Autre réflexion : les premiers rudiments du civisme devraient être enseignés dès les années de maternelle, en même temps que les premières appropriations de la langue, dont ils sont indissociables. L’importance des premières années dans la maîtrise de la lecture et de l’écriture de la langue maternelle, voire simultanément d’une langue étrangère ou régionale, est avérée. L’appropriation précoce du langage est indissociable de l’éducation civique, dans la mesure où l’incapacité de communiquer est l’un des facteurs qui engendrent la violence.
La perte des repères républicains à l’école est aussi souvent corrélée au niveau scolaire des enfants et des jeunes. Être bien formé, faire preuve d’esprit critique suppose à la fois une bonne appropriation de la langue et la réussite scolaire.
Aussi, je crois sincèrement que nous ne faisons pas ce qu’il faut au moment où tout se joue, c’est-à-dire à l’école maternelle. Plutôt qu’à une réforme des rythmes scolaires qui n’améliorera en rien nos performances scolaires et qui grève déjà le budget de nos communes, travaillons donc à proposer des activités en dehors de l’école – peut-être avec les collectivités locales –, des activités de structuration de la langue par le biais du jeu, par exemple, et ce dès la maternelle.
Pour conclure, je tiens à saluer le travail accompli par la commission d’enquête : elle a eu la volonté de sortir du déni et a permis de donner la parole aux personnels de l’éducation nationale qui vivent, constatent et subissent, dans leur quotidien, ces atteintes aux valeurs de l’école républicaine.
Je terminerai en rapportant le témoignage du mathématicien Laurent Lafforgue, qui a été auditionné par la commission d’enquête : « Si vous souhaitez que l’école de la République soit aimée de nouveau, rétablissez des enseignements qui nourrissent. Accordez la priorité absolue à la lecture, à l’écriture, à la grammaire, et à tout ce qui assure la maîtrise de notre langue. »
Mes chers collègues, ayons la simplicité du bon sens, revenons aux fondamentaux, et nous rendrons l’école républicaine et ses valeurs dignes de respect ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Duranton.
Mme Nicole Duranton. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, je regrette l’absence de Mme la ministre de l’éducation nationale.
M. Guy-Dominique Kennel. Nous aussi !
Mme Nicole Duranton. Permettez-moi de saluer l’excellent travail de Françoise Laborde et de mon collègue Jacques Grosperrin qui ont, pendant de nombreux mois, procédé à une étude approfondie pour présenter des propositions pratiques et surtout applicables.
Les attentats dramatiques de janvier 2015 ont plongé la France dans le chaos le plus total. Le respect d’une minute de silence a été demandé aux enfants le 8 janvier 2015 dans les établissements scolaires, ce qui a donné lieu à différents incidents. Des propos inadmissibles ont été tenus par certains élèves, qui n’ont parfois pas compris ce qui leur était demandé, allant même jusqu’à dire que les victimes avaient mérité ce qui leur était arrivé.
Ces incidents révèlent un état d’esprit, pis un malaise profond. Ce malaise avait déjà été parfaitement diagnostiqué il y a dix ans, dans le rapport Obin. Ces problèmes étaient connus depuis longtemps, et mon collègue Jacques Grosperrin a su sortir du déni, ce dont je le félicite.
Je voudrais insister sur un point fondamental : il est extrêmement inquiétant de constater qu’un pourcentage considérable d’élèves ne maîtrisent pas le socle de connaissances et de compétences requis à leur niveau.
M. Jacques-Bernard Magner. La faute à qui ?
Mme Nicole Duranton. Le plus grand échec du collège, c’est le primaire ! Avant de réfléchir à une réforme du collège, il faudrait, dans un premier temps, se pencher sur le primaire.
Les gouvernements successifs ont beaucoup investi depuis plusieurs années sur le collège et le lycée, et sous-investi dans l’enseignement primaire, alors que c’est dès le primaire qu’il faut s’attaquer aux échecs scolaires. Le décrochage en langues, et donc plus particulièrement en français, a lieu dès le début de la scolarité. Dès les premières années de l’école élémentaire, des élèves sont en difficulté et les problèmes ne font que s’amplifier au fur et à mesure que la scolarité avance.
Lorsque la ministre de l’éducation nationale insiste sur l’apprentissage obligatoire d’une seconde langue vivante dès la cinquième,…
M. Jacques-Bernard Magner. Elle a raison !
Mme Nicole Duranton. … c’est-à-dire un an plus tôt qu’aujourd’hui, pour les élèves en difficultés, elle accentue le décalage. Je crains que Mme la ministre ne prenne le problème dans le mauvais sens…
M. Jacques-Bernard Magner. Mais non, c’est vous qui vous trompez de sens !
Mme Nicole Duranton. Si l’apprentissage des langues est une priorité, c’est dans le primaire qu’il faut faire cet effort, en même temps que sur la compréhension de l’écrit et sur les mathématiques qui, je le rappelle, concernent 50 % des enseignements en primaire. Avec la réforme entreprise par Mme la ministre de l’éducation nationale, on va ajouter 54 heures de travail aux élèves de cinquième. Mais c’est déplacer le débat : le problème n’est pas celui du nombre d’heures consacrées à une matière, mais celui des méthodes d’enseignement, qui doivent perpétuellement évoluer, s’adapter aux enfants, et non pas l’inverse !
M. Jacques-Bernard Magner. Ce n’est pas le sujet !
Mme Nicole Duranton. Les élèves de collège, en France, reçoivent 1 000 heures d’enseignement par an, toutes matières confondues, quand la moyenne des pays de l’OCDE est de 900 heures. Il n’y a donc pas de corrélation entre le volume horaire et la performance éducative.
Je prendrai un autre exemple : nous apprenons que la réussite du système français dépendrait de la suppression du latin ou du grec, de l’inclusion des langues étrangères dans les programmes de cinquième, alors que la réussite dépend d’une réforme beaucoup plus globale du système.
M. Jacques-Bernard Magner. Hors sujet !
Mme Nicole Duranton. C’est pourquoi je tiens à nouveau à féliciter mon collègue Jacques Grosperrin d’avoir déposé une proposition de loi, que j’ai cosignée, dont l’article 3 réserve l’accès au collège aux élèves justifiant d’un niveau suffisant de maîtrise du français.
La plus flagrante des fragilités de notre système scolaire est en effet la faiblesse en français, à l’oral comme à l’écrit, d’un très grand nombre de jeunes élèves, qui arrivent en classe de sixième sans maîtriser leur langue maternelle.
Une telle disposition est positive à un double titre. Tout d’abord, elle va permettre de faire passer plus facilement le message des valeurs dans un langage accessible à tous. Ensuite, elle permettra d’attaquer à sa véritable source le problème du décrochage scolaire. Arriver au collège sans savoir ni lire ni écrire convenablement n’est pas concevable. Je félicite donc mon collègue d’avoir proposé cette mesure, car il a le souhait de résoudre le problème en amont, dès le primaire.
Subordonner l’accès au collège au résultat d’une évaluation de la maîtrise du français au cours de l’année du CM2 va aussi permettre naturellement aux méthodes d’enseignement d’évoluer et de s’adapter aux différentes situations.
Je ne vous apprends pas, madame la secrétaire d’État, que savoir lire, écrire et parler le français est la condition de l’accès à tous les domaines du savoir. Je ne vous apprends pas non plus que la langue française est un outil essentiel de l’égalité des chances.
Il est urgent de s’occuper de ceux qui ne réussissent pas dans ce système, en s’attaquant aux difficultés dès le commencement. La performance du système français d’éducation se dégrade, preuve en est le classement international de la France, qui empire depuis ces dernières années.
Mme Maryvonne Blondin. Cela a commencé il y a dix ans !
Mme Nicole Duranton. La proportion de bons élèves ne s’améliore pas et de plus en plus d’élèves sont en échec scolaire : 20 % à l’âge de quinze ans !
Les propositions de mon collègue, notamment l’article 3 de sa proposition de loi, vont donc dans le bon sens.
Aller dans le bon sens, c’est anticiper pour éviter l’amplification des difficultés des élèves.
Aller dans le bon sens, c’est faire en sorte que tous les élèves sachent lire, écrire et s’exprimer avant d’arriver au collège.
Telle est la condition essentielle pour que les enfants puissent s’épanouir, comprendre le sens des valeurs de l’école de la République et ainsi les respecter. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l’UDI-UC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Françoise Perol-Dumont.
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, lorsque, à la suite des événements tragiques de janvier dernier et du refus de quelques élèves de respecter une minute de silence, la constitution d’une commission d’enquête sénatoriale sur le service public d’éducation, la perte des repères républicains et les difficultés rencontrées par les enseignants a été proposée, plusieurs d’entre nous se sont interrogés sur les motivations réelles de ceux qui avaient souhaité recourir à la formule tout sauf anodine d’une commission d’enquête.
Pour ma part, au-delà du côté formel de la procédure, j’ai voulu y voir un espace de réflexion pour contribuer ensemble, car le contexte nous obligeait tous, à enrichir la dynamique engagée ces deux dernières années afin de restaurer l’éducation comme « première, deuxième et troisième priorités », pour paraphraser Michelet.
Dans cet esprit, je me suis alors refusée à tout procès d’intention a priori contre cette commission et j’ai participé à ses travaux autant que faire se pouvait, avec plusieurs collègues du groupe socialiste.
Divers propos entendus lors des auditions, le titre final du rapport et plusieurs interventions à cette tribune démontrent que, pour certains, les objectifs étaient d’un autre ordre et qu’il s’agissait plutôt d’instruire un procès à charge ou, a minima, d’instrumentaliser les faits.
C’est pourquoi je vais tenter de remettre les choses en perspective.
Oui, notre système éducatif traverse des difficultés.
Oui comme dans la société, le vivre ensemble y est souvent difficile et les principes républicains y sont parfois malmenés.
Oui, le mal-être de certains enseignants est réel, et il est multifactoriel.
Oui, nous ne sommes pas bien classés, comme le montrent les chiffres de l’enquête PISA 2013, mais cette situation ne peut être imputée au gouvernement actuel, puisque cette étude porte sur la période 2003-2012.
Mme Maryvonne Blondin. Eh oui !
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. En vérité, depuis 2012, ce gouvernement n’a pas attendu le rapport du Sénat pour s’attacher à redresser la barre, à redéfinir le cap, et il y a beaucoup à faire !
Ainsi, alors qu’entre 2002 et 2012 80 000 postes d’enseignant avaient été supprimés, 35 000 ont d’ores et déjà été recréés, avec un objectif de 60 000 d’ici à la fin de 2017.
Et si le nombre de postes n’est pas l’alpha et l’oméga d’une politique éducative, il n’en reste pas moins qu’une classe surchargée n’offre pas le meilleur contexte pour que l’enseignant soit au plus près de chaque élève et lui inculque un contenu disciplinaire en même temps qu’un comportement citoyen.
Alors que, dans la même période, la formation initiale des enseignants avait été passée par pertes et profits, économies obligent, le Gouvernement a remis en place une véritable politique de formation, qui, aujourd’hui encore plus qu’hier, au regard de l’hétérogénéité des élèves accueillis et des profondes mutations de notre société, est d’autant plus fondamentale.
En effet, comment raisonnablement penser qu’être titulaire d’un master, pour important que soit ce diplôme, pouvait valoir capacité à exercer le passionnant mais difficile métier d’enseignant, qui ne se résume pas à la transmission de savoirs disciplinaires, contrairement à ce que croient ceux qui confondent l’éducation nationale de 2015 et l’instruction publique de 1932 ? (Mme Françoise Férat s’exclame.)