M. Bruno Sido. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Il est nécessaire d’accélérer les vaccinations, d’instaurer des tests, de fusionner les zones d’interdiction, bref, de prévoir qu’un tel épisode peut se produire, voire qu’il se produira.
Nous savons les combats que vous menez, monsieur le ministre. Nous savons que vous regrettez que la négociation européenne n’ait pas retenu, le 15 septembre dernier, l’intervention publique. Toutefois, il convient au moins que, en France, tout soit fait pour faire face à cette situation de crise ! (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains. – M. Didier Guillaume applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Lenoir, pour le groupe Les Républicains.
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat se tient à l’initiative de notre président Gérard Larcher, et je l’en remercie. Le Gouvernement en organisait un à l’Assemblée nationale et, compte tenu de la forte mobilisation du Sénat sur ces sujets, il était naturel qu’il vînt également devant nous. C’est chose faite. Merci, monsieur le président, de ce débat comme de votre engagement en faveur de l'agriculture ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
Ce débat est une étape pour la Haute Assemblée. Monsieur le ministre, j’avais sollicité votre présence le 1er juin dernier devant la commission des affaires économiques, car nous savions, par de nombreux témoignages, que la situation de l’élevage devenait dramatique. Vous êtes venu, et nous vous en remercions.
En relisant votre intervention avant de monter à la tribune, j’ai perçu un décalage entre ce que vous disiez alors et ce que vous dites aujourd’hui. Entre-temps, il me semble que vous avez pris la pleine mesure de la crise profonde que connaît l’élevage français.
M. Bruno Sido. Mieux vaut tard que jamais !
M. Jean-Claude Lenoir. Ensuite, le président Gérard Larcher a pris l’initiative d’organiser l’importante réunion du 16 juillet dernier, à laquelle ont participé, en particulier, l’ensemble des acteurs des filières, depuis la production jusqu’à la distribution. Nous avons organisé une nouvelle réunion de la commission des affaires économiques le 22 septembre, en dehors de la session extraordinaire, et nous allons recevoir dans deux jours le commissaire européen Phil Hogan, que vous avez déjà rencontré, monsieur le ministre.
À cet égard, je note que vous semblez n’avoir pas entendu exactement ce que les observateurs de cette rencontre ont retenu. Je relirai vos propos au Journal officiel, mais vous sembliez porter une appréciation plutôt sympathique sur cette rencontre avec M. Hogan, alors que tout le monde avait noté qu’il n’y avait pas été question de la crise de l’élevage français. Je vous renverrai sur ce point à un certain nombre d’observations qui ont été publiées dans la presse.
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à une grave crise. Monsieur le ministre, vous avez répété les propos que vous aviez tenus devant l’Assemblée nationale : « Les autres majorités, les autres gouvernements, n’ont pas fait autant que nous ! » Cet argument est réversible, car il reste à expliquer pourquoi la crise est aujourd’hui plus profonde, malgré les engagements pris par l’État !
Au sujet des éleveurs, monsieur le ministre, il faut à mon sens cesser de polémiquer et de tirer le débat vers un terrain politicien.
M. Didier Guillaume. C’est ce que vous devriez faire !
M. Jean-Claude Lenoir. Cher collègue, il vous suffit de m’écouter pour le vérifier !
Force est de le constater, ce débat est utile – la preuve, il a lieu – pour permettre à l’ensemble de nos compatriotes de mesurer la gravité de la situation, ses conséquences sur les territoires ruraux, qui ont été rappelées par le préopinant, mais également les conséquences que cette crise emporte pour l’économie en général.
Des mesures ont bien sûr été prises, vous les avez rappelées, monsieur le ministre : diminution ou suppression des taxes foncières, recours au fonds social de la mutualité sociale agricole et année blanche pour les éleveurs les plus endettés.
Une véritable stratégie est maintenant nécessaire, qui doit permettre de fixer des caps en faveur des filières de l’élevage. Un mot s’impose, qui a déjà été prononcé à plusieurs reprises : compétitivité. La France agricole n’est plus suffisamment compétitive.
Le sujet a été traité à plusieurs reprises, la dernière fois à l’occasion de la loi d’avenir pour l’agriculture de 2014. Avouons-le, monsieur le ministre, nous sommes alors quelque peu passés à côté de cette problématique, tant les esprits étaient préoccupés par des questions agroenvironnementales. (M. Bruno Retailleau applaudit.)
M. Didier Guillaume. Ce n’est pas vrai !
M. Jean-Claude Lenoir. Je n’en conteste pas l’importance,…
M. Bruno Sido. Moi, si !
M. Jean-Claude Lenoir. … mais il me semble parfois que l’expression publique révèle un décalage entre l’attente des éleveurs et ce que vous en pensez.
Un agriculteur m’appelait tout à l'heure, pour partager ce qu’il avait lu sur le site du ministère de l’agriculture à propos d’agroécologie : « L’agroécologie est une façon de pratiquer l’agriculture en utilisant au mieux les ressources de la nature tout en préservant ses capacités de renouvellement. En maintenant un haut niveau de production et en réduisant ses coûts […], l’agriculteur sécurise son revenu et peut améliorer la performance économique de son exploitation. » (Sourires sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Joël Labbé. Je trouve cela très bien !
M. Jean-Claude Lenoir. Voilà un robinet d’eau tiède qui n’apporte aucune bonne réponse à ceux qui se posent des questions ! Disons-le vertement, monsieur le ministre, aujourd’hui, les agriculteurs ont la tête ailleurs.
Nous avons besoin de renforcer la compétitivité, d’améliorer les financements en faveur des entreprises agricoles, d’alléger les charges qui pèsent sur l’agriculture – financières, mais également administratives –, liées aux nombreuses normes qui se sont empilées notamment au cours des derniers mois, voire des deux ou trois dernières années.
Je crois comprendre que vous niez cette évidence, monsieur le ministre, mais le Sénat a pris ses responsabilités. Nous avons d’abord confié à notre collègue Daniel Dubois la présidence d’un groupe de travail sur les normes agricoles, dont nous recevrons les résultats prochainement.
Comme cela a été annoncé par le président du Sénat, nous allons également bientôt déposer une proposition de loi, laquelle doit beaucoup à sa persévérance et au travail que Gérard Larcher a accompli avec d’autres – dont je suis – pendant l’été.
Vous n’êtes pas le seul à avoir travaillé cet été, monsieur le ministre ! Nous nous sommes rendus au plus près des agriculteurs et des responsables agricoles, de façon à pouvoir proposer à la Haute Assemblée un texte cohérent auquel, j’en suis persuadé, d’autres parlementaires que ceux qui appartiennent à mon groupe pourront se joindre.
Quels sont les objectifs de cette proposition de loi ? Il s’agit de faire en sorte que la transparence soit mieux garantie sur les produits carnés, que l’accès aux financements nécessaires pour les investissements, nécessaires pour restaurer la compétitivité des entreprises agricoles, soit amélioré, que les déductions pour aléas et pour amortissement soient facilitées, dans la mesure où des difficultés se font jour qui retardent les résultats attendus.
Nous souhaitons également que la France n’en fasse pas plus que ce que demande l’Europe. Parmi les textes qui ont été adoptés, certaines mesures, notamment à caractère environnemental, sont excessives. Je pense par exemple aux dispositions concernant les établissements classés.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Jean-Claude Lenoir. Monsieur le ministre, je voudrais pour terminer dire un mot des normes et des charges au sujet desquelles nous allons vous proposer un certain nombre de mesures qui, je l’espère, mériteront votre intérêt.
M. Bruno Sido. Des moratoires !
M. Jean-Claude Lenoir. J’étais le week-end dernier dans la ville d’Alençon, à laquelle s’adosse en quelque sorte la lisière du pays sarthois. Il s’y tenait un festival de l’élevage tenant lieu de salon régional de l’agriculture et dont le nom, depuis des années, est La Ferme en fête.
En me promenant dans les allées, j’ai été frappé par le contraste entre les produits extraordinaires qui font l’honneur de notre élevage – ils sont d’ailleurs souvent retenus parmi les meilleurs au Salon international de l’agriculture – et l’attitude d’un certain nombre d’agriculteurs et d’éleveurs, qui sont inquiets, soucieux, interrogatifs et pourtant déterminés.
M. le président. Il vaut conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Claude Lenoir. Pour répondre à cette détermination extraordinaire de nos éleveurs malgré les difficultés, je veux le dire, en écho aux propos de M. le président du Sénat dans la presse de ce matin, nous sommes de ceux qui veulent les aider ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Bruno Retailleau. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Daniel Dubois, pour le groupe UDI-UC. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Daniel Dubois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souscris assez largement à l’état des lieux qui vient d’être dressé par les précédents intervenants.
Après une crise conjoncturelle, l’agriculture française souffre d’une crise structurelle. Les plans d’aide d’urgence peuvent être des « bouffées d’oxygène », mais ils n’apporteront pas de solution durable à nos agriculteurs. L’Europe ne fait plus de régulation, et cela a déstabilisé notre modèle.
Je voudrais, pour ma part, aborder plus spécifiquement la question des normes, qui constituent un véritable frein à la compétitivité du secteur. Le constat est simple : les procédures administratives sont trop complexes et trop longues. Elles rigidifient un système qui devrait être assoupli.
C’est pourquoi, comme je l’avais proposé lors de l’examen du projet de loi pour l’avenir de l’agriculture, nous animons, au sein de la commission des affaires économiques, un groupe de travail sénatorial sur l’excès de normes agricoles.
Dès nos premières auditions, un point nous est apparu essentiel : avec l’abandon des quotas, les agriculteurs sont devenus des acteurs économiques à part entière. Ils sont donc confrontés à une concurrence mondiale, face à laquelle nous ne pouvons pas les désarmer. Ce sont des acteurs économiques responsables, pleinement conscients de l’impact de leur activité sur leur écosystème. Ils sont bien formés, et leurs pratiques évoluent. Dès lors, nous devons leur faire confiance, cesser de les présumer coupables – en l’occurrence, de les présumer pollueurs.
Faire confiance à nos agriculteurs, c’est engager systématiquement un réel dialogue avec la profession avant l’établissement de toute nouvelle norme. Je souhaite, a minima, une concertation préalable et approfondie. C’est important pour la compréhension et l’acceptation des normes par les agriculteurs.
Aujourd’hui, certains documents indispensables ne sont pas renvoyés à cause d’une indigestion de paperasse parfois superflue. Les demandes d’avances au titre de la PAC en sont un bel exemple. Il faudrait aussi, pour simplifier, diminuer les délais de recours auprès des autorités administratives.
Faire confiance à nos agriculteurs, c’est ne pas se satisfaire d’un moratoire sur les normes jusqu’en mars 2016, tel que l’a annoncé le Premier ministre. Faire confiance à nos agriculteurs, c’est oser remettre à plat la réglementation actuelle. Nous devons identifier tous les cas de surtransposition des directives européennes et annuler toute surenchère. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC.)
M. Bruno Sido. Exact !
M. Daniel Dubois. Je voudrais citer quelques exemples : lorsque la législation européenne en matière d’installations classées pour la protection de l’environnement, les ICPE, ne fixe pas de seuil pour les veaux de boucherie, la France, elle, en fixe !
M. Bruno Sido. Bien entendu !
M. Daniel Dubois. Lorsque la législation européenne en matière d’ICPE ne fixe pas de seuil pour les vaches laitières, la France, elle, en fixe ! Et bien sûr, la complexité dans les procédures d’autorisation des élevages s’accentue et suit naturellement ces contraintes.
Lorsqu’une directive européenne impose des plans de réduction d’impact des produits phytosanitaires, la France traduit « impact » par « réductions d’usage ». Nous sommes donc face à des problèmes essentiels de transposition. Je le répète, on ne peut plus appliquer à l’agriculture française des normes plus strictes que celles qui sont définies au sein de l’Union européenne. Cela crée une réelle distorsion de concurrence, qui la tire vers le bas : la France est passée du deuxième au cinquième rang mondial en moins de vingt ans.
Si on lance un vaste plan de modernisation des établissements d’élevage, comme cela a été envisagé, grâce à des fonds publics, j’invite le Gouvernement à se poser la question suivante : allons-nous engager ce plan de modernisation sur les normes actuelles ou aurons-nous le courage de reposer et de réétudier les difficultés soulevées par les normes ?
Je regrette que, ces cinq dernières années, le Parlement ait adopté deux textes majeurs concernant l’agriculture sans aborder la question de la compétitivité. Lors de la création de l’Observatoire de la formation des prix et des marges des produits alimentaires, j’avais proposé qu’il soit aussi celui de la compétitivité, via l’analyse des normes, sans succès malheureusement.
Faire confiance à nos agriculteurs, c’est réfléchir à un nouveau système de régulation interne qui puisse anticiper les crises. Les institutions européennes manquent de réactivité en cas de chute des prix. Elles interviennent trop tard, à des prix de retrait en dessous de 20 % du prix d’équilibre pour nos agriculteurs. Nous ne pouvons pas continuer à demander à nos agriculteurs de travailler à perte !
Je ne vous apprends pas, monsieur le ministre, mes chers collègues, que, en agriculture, les années sont parfois bonnes, parfois moins bonnes et parfois catastrophiques. Le régime assurantiel présente donc des limites.
Cette nouvelle régulation pourrait prendre la forme d’une exonération fiscale d’une partie des bénéfices, les bonnes années compensant les mauvaises, sur un roulement de sept ans. Il faut que nous ayons une approche souple des risques et aléas agricoles, que nous soyons dans la prévention des crises, et non dans le curatif !
J’invite le Gouvernement à examiner avec beaucoup d’attention la proposition de loi qui sera déposée prochainement au Sénat. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Bruno Sido. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Michel Le Scouarnec, pour le groupe CRC.
M. Michel Le Scouarnec. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, jamais l’angoisse du lendemain n’a été si forte pour nos agriculteurs et les 800 000 emplois du secteur agricole. Leur combat est juste et légitime.
Si nous ne sommes pas capables de défendre et de promouvoir ce secteur vital, notre pays risque de connaître un avenir bien sombre. Lait, viande bovine, porc : voilà trois secteurs essentiels gravement touchés, qui pourraient enregistrer une perte d’au moins 10 % du nombre d’éleveurs, soit plus de 20 000 au total.
Monsieur le ministre, malgré les aides de la PAC couplées qui ont été maintenues grâce à vous, l’abandon des quotas, auquel vous étiez opposé, menace des filières agricoles entières. Victimes de la dégradation rapide des prix d’achat des productions, les agriculteurs ne s’en sortent plus.
La déréglementation des relations commerciales entre producteurs, abatteurs et distributeurs et la consécration du principe de libre négociation des conditions générales de vente ont ruiné bon nombre de producteurs.
Les grandes centrales concentrent désormais plus de 90 % des achats. Jamais elles n’ont été aussi puissantes. Les Bigard, Cooperl, Lactalis, Savencia, Carrefour, Intermarché, Auchan, Leclerc, etc., poursuivront leur politique de prix bas, l’État se contentant visiblement d’un rôle d’observateur, certes à l’écoute, mais impuissant, car aucune mesure d’encadrement des relations commerciales n’est prévue. À Plérin, j’ai vu Cooperl et Bigard refuser de participer au marché au cadran pour montrer à quel point ils sont puissants et ne se soucient pas de l’État.
Les marges pour les producteurs sont en régression, alors qu’elles éclatent pour la grande distribution. En 2014, le résultat net du groupe Carrefour, par exemple, s’élevait à 1,2 milliard d’euros. Pourtant, aucune mesure législative n’a été proposée, alors que nous attendions la remise en cause de la loi Chatel.
L’urgence est de garantir un prix de vente rémunérateur pour l’ensemble des producteurs. Je trouve anormal qu’un éleveur disposant d’un cheptel de cinquante bovins ne gagne que l’équivalent du SMIC, comme on l’a vu récemment à la télévision.
Nous proposons d’encadrer les pouvoirs exorbitants et destructeurs des grands groupes. Nous demandons depuis des années l’instauration d’un coefficient multiplicateur élargi à tous les produits agricoles périssables. Ainsi, un lien direct entre le prix payé au producteur et le prix vendu au consommateur serait créé.
Toutefois, ce n’est pas suffisant. Il faut des mécanismes de régulation permettant aux interprofessions de définir des prix minimums indicatifs pour chaque filière agricole, dans le cadre d’une conférence bisannuelle rassemblant les producteurs, les fournisseurs, les distributeurs, ainsi que l’ensemble des syndicats agricoles.
Au Québec et aux États-Unis, un tel mécanisme existe, garantissant une juste rémunération aux producteurs. Le gouvernement américain subventionne l’écart entre le prix du marché et le prix objectif, qui tient compte des coûts de production.
En France, le coefficient multiplicateur est inscrit dans la loi pour les fruits et les légumes, mais il faudrait l’actionner. Ce serait un filet de sécurité pour une profession en détresse !
De plus, au fil des années les outils de gestion des marchés ont été supprimés. Le libéralisme effréné provoque la course sans fin à l’agrandissement des exploitations, à la compétitivité exacerbée entre États membres, qui ouvre la voie au dumping social, à la main-d’œuvre bon marché et aux prix tirés vers le bas.
Tout au long de l’été, monsieur le ministre, vous avez multiplié les déplacements et les annonces de moyens chiffrés comme remèdes. Cependant, lors du débat sur le dernier projet de loi de finances, nous avions dénoncé les coupes budgétaires qui relativisent les aides ponctuelles apportées aujourd’hui aux éleveurs.
Les aides européennes sont utiles dans l’urgence, mais probablement pas dans la durée, car, comme vous l’avez dit tout à l’heure, des réformes structurelles s’imposent. Quelque 600 millions d’euros d’aides supplémentaires sur trois ans, cela vaut mieux que rien, mais cela ne réglera pas la crise. En effet, les problèmes sont non pas conjoncturels, mais structurels.
Depuis la première loi de finances du quinquennat, le budget de l’agriculture aura baissé de 756 millions d’euros ! Le projet de loi de finances pour 2016 entérine malheureusement la baisse programmée dans le plan triennal 2015-2017, avec près de 200 millions d’euros de moins qu’en 2015.
Alors que la plupart des filières connaissent des difficultés importantes, il est anormal que l’État ne conforte pas les leviers qui ont vocation à favoriser le redressement de certaines exploitations. Il est urgent de réinvestir dans l’agriculture, par rapport à des politiques budgétairement restrictives.
Par ailleurs, monsieur le ministre, je souhaitais attirer votre attention sur la filière de la canne à sucre réunionnaise. Les quotas de production, ainsi que le prix garanti, seront supprimés à partir du 1er octobre 2017, mettant en péril près de 20 000 producteurs à la Réunion. Dès lors, quelles mesures comptez-vous prendre ? Encore une fois, on nous parle d’un plan d’aide, mais, vous le savez, ce ne sera pas suffisant. C’est d’un soutien pérenne, de l’ordre de 120 millions d’euros par an de subventions à compter de 2017, que la filière a besoin !
Enfin, la concentration des secteurs de la collecte, de la transformation et de la distribution place les petits et moyens paysans dans un rapport de subordination qui les élimine implacablement. C’est conforme à la logique de la politique européenne, qui a abandonné les mécanismes de régulation pour laisser cours à la « concurrence libre et non faussée », moteur de la compétitivité sans fin qui tire tout vers le bas. Cette logique lamine les travailleurs de la terre et les territoires ruraux.
En matière d’agriculture et d’alimentation, le libéralisme sans limites, à la recherche de toujours plus de compétitivité, nous conduit droit dans le mur. Nous pensons qu’il faut le soustraire de manière raisonnable, pragmatique et efficace aux logiques purement marchandes.
Les négociations sur l’accord transatlantique de libre-échange, mais aussi sur l’accord France-Canada, nous font craindre le pire. L’accord transatlantique de libre-échange nous amènerait loin de l’agroécologie que vous défendez, monsieur le ministre ! C’est pourquoi il faut tracer de nouvelles perspectives pour la grande distribution et prendre des engagements dans la durée pour réinventer notre modèle agricole.
Prenons le cas des restaurants scolaires – cet exemple a été évoqué précédemment – et des cuisines centrales intercommunales, dont les élus locaux ont la charge. Nous pourrions envisager de nouveaux critères, afin de faciliter les appels d’offres, en vue de favoriser l’alimentation bio, l’agriculture raisonnée et les circuits courts, avec une mise valeur de la traçabilité. C’est un gage de la qualité des produits et cela évite toute la logistique du transport des denrées. En effet, pourquoi acheter un poireau à un grossiste en Espagne alors que l’agriculteur de la commune ou de la commune voisine peine à vendre le sien ?
La dernière mutation agricole était fondée sur le « forçage » de la production et entraînait le gaspillage : excès d’engrais, de pesticides souvent et d’irrigation, entre autres. L’évolution actuelle doit modifier complètement cette situation. D’ailleurs, nombre agriculteurs en sont conscients, et il y a eu de nombreuses tentatives visant à changer de logique, afin de recourir aux propriétés de production de la nature elle-même.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’y aura pas de développement durable et solidaire sans une orientation nouvelle, construite avec l’ensemble des acteurs. Le Gouvernement doit prendre ses responsabilités pour exiger des prix minimums européens, rétablir les quotas et défendre un modèle agricole vertueux. C’est un changement de modèle qu’il faut opérer d’urgence, avant qu’il ne soit trop tard.
C’est pourquoi le groupe CRC croit en un nouveau modèle d’exploitation, qui devra respecter cinq conditions : favoriser l’installation et le renouvellement des agriculteurs, assurer un revenu décent aux exploitants en activité, répondre aux enjeux alimentaires de la planète, affirmer la double performance économique et écologique et assurer la traçabilité de tous les produits.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Michel Le Scouarnec. Un autre avenir est à construire. Notre devoir est de protéger nos territoires, comme l’a relevé précédemment notre collègue Jacques Mézard, ainsi que nos filières agricoles, tout en assurant un vrai développement durable et solidaire. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe écologiste.)
M. le président. La parole est à M. Henri Cabanel, pour le groupe socialiste et républicain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. Claude Bérit-Débat. Les agriculteurs parlent aux agriculteurs ! (Sourires.)
M. Henri Cabanel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon intervention est celle d’un sénateur paysan, qui a des rêves pour l’agriculture. Toutefois, entre les rêves et la réalité, il y a surtout la volonté, celle d’y voir clair, de ne pas se voiler la face, de changer la donne, de ne pas sombrer dans des querelles et des débats politiciens stériles qui opposent systématiquement l’entreprise à l’État, les agriculteurs à l’État.
Aujourd'hui, l’agriculture française doit faire face à de nombreux défis, et elle doit d’abord compter sur elle-même pour y répondre : concurrence à l’export, mais aussi sur le marché national, réchauffement climatique, nouvelle PAC, exigences sociales, santé publique, aménagement du territoire, mutation des besoins et des goûts des consommateurs.
Pour répondre à ces enjeux, vous avez proposé, monsieur le ministre, des axes forts autour d’un même objectif : une agriculture durable, qui s’inscrit dans le temps. Ces deux mots – « agriculture durable » – recouvrent toutes les questions que se posent nos agriculteurs sur l’avenir de leur activité. Et on ne peut, sous couvert de déclarations politiciennes, se jouer d’eux, en surfant sur leur mal-être et leur désespoir pour s’opposer à l’action du Gouvernement. Ce n’est ni responsable ni raisonnable face à des femmes et des hommes qui exercent l’un des métiers les plus beaux, mais aussi l’un des plus rudes, en ce qu’il dépend des aléas climatiques et des conditions sanitaires.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Henri Cabanel. Pour les éleveurs, s’ajoute à ces paramètres l’obligation de nourrir les animaux et de s’occuper d’eux 365 jours sur 365.
Les éleveurs sont frappés une fois encore par une crise. Celle de 2009, sous une autre majorité,…
Mme Françoise Férat. Encore l’héritage ! (Sourires sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
M. Henri Cabanel. … avait bouleversé les producteurs de lait et de viande. Quelles conséquences en a-t-on tirées ? Six ans plus tard, cette même filière est de nouveau touchée. Il est donc temps d’admettre que cette crise est non pas seulement conjoncturelle, mais aussi structurelle. Il importe de se poser les bonnes questions, avec courage et détermination.
Sans jouer la provocation, il faut s’interroger sur l’organisation de la filière, sur le fonctionnement de nos exploitations, sur la guerre des prix à laquelle se livrent les transformateurs et les grandes surfaces, asphyxiant ainsi les producteurs, sur les organisations professionnelles qui ne cessent de prôner le libéralisme tout en demandant toujours plus de protection de l’État.
Pour être très clair, je regrette la position de la FNSEA, la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, notamment, qui alterne entre le libéralisme à tous crins pour conquérir des marchés à l’export et un protectionnisme supposé justifier la négociation d’un prix minimum. Je dois l’avouer, j’ai du mal à comprendre comment on peut vouloir vendre à l’export tout en exigeant un prix au kilo sur le marché national… C’est contradictoire.
La nécessité pour notre agriculture aujourd’hui, c’est de faire un constat partagé et d’établir une stratégie à long terme.
Il faut engager une restructuration profonde de notre modèle pour permettre à toutes les formes d’agriculture – grande, moyenne, petite – de trouver leur place. On ne peut raisonnablement penser que l’on va toujours vendre moins cher : cela ne correspond pas à l’image de la France et, à ce jeu-là, nous trouverons toujours une concurrence déloyale sur notre chemin. Optons plutôt pour des signes de qualité.
La mutation vers l’agroécologie choisie par le Gouvernement constitue ainsi une voie à suivre. Elle revêt de nombreuses formes : la biodiversité, l’agriculture raisonnée – j’aime souvent parler d’« agriculture raisonnable » –, l’agriculture bio, les circuits courts, qui transmettent une image positive et des valeurs aux consommateurs.
Lors d’une réunion organisée récemment par le préfet de l’Hérault, les filières et les collectivités territoriales ont constaté combien il est compliqué d’organiser, par exemple, un approvisionnement local pour la restauration collective. Je veux cependant citer en exemple les démarches engagées par l’association Agrilocal, que vous avez citée, monsieur le ministre. Toutefois, il faut simplifier la réglementation des marchés publics.
En effet, n’est-il pas choquant de constater que quelque 80 % de la viande servie dans la restauration hors domicile sont importés ? Comme l’a rappelé Interbev, l’interprofession bétail et viande, la restauration collective draine près de 300 000 tonnes sur 1,5 million de tonnes de viandes consommées en France. Il y a là un chantier important à développer.
Pour réussir cette agriculture durable, définie dans le cadre de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, il va falloir accepter de travailler ensemble, sans œillères ni partis pris.
Comme vous, monsieur le ministre, je pense que la solution n’émergera que d’un consensus trouvé de manière collective par filière à tous les niveaux de la chaîne. Néanmoins, ceux qui doivent mouiller la chemise, si je puis dire, ce sont les agriculteurs eux-mêmes et, surtout, leurs responsables professionnels, avec, bien sûr, l’aide de l’État.
Contrairement à certains agriculteurs qui estiment que notre agriculture française a été sacrifiée sur l’autel de l’Europe, je veux espérer.
Monsieur le ministre, vous avez évoqué la semaine dernière l’exemple des vins du Languedoc devant les députés. La transition exemplaire de la viticulture du Languedoc avait également été abordée lors de la réunion organisée, en juillet dernier, par le président Gérard Larcher au Sénat.
À cet égard, je souhaite, moi aussi, témoigner, car je crois en l’avenir de notre agriculture, comme j’ai cru, en tant qu’acteur, en l’avenir de la viticulture du Languedoc. La mutation fondamentale et réussie qu’a connue notre filière doit donner espoir à la filière de l’élevage.
Jusqu’en 1976, avec 30 millions d’hectolitres, les vins de la région du Languedoc-Roussillon représentaient quelque 45 % de la production française. J’avais vingt et un ans en 1980, quand la crise de la viticulture, qui a touché de front notre région, s’est amplifiée. Je venais de reprendre l’exploitation familiale. Il a fallu faire un constat. Il a fallu faire des choix. Il a fallu décider. Il a fallu composer. Il a fallu faire preuve de courage en arrachant définitivement des vignes et en perdant ainsi un certain potentiel. Il a fallu se diversifier, face aux doutes et à l’incompréhension de nombreux vignerons. Et il a fallu, pour certains, tout arrêter.
Les viticulteurs de notre région ont fait face à trois défis : la baisse de la consommation, qui est passée de 165 litres par an et par personne en 1965 à 75 litres en 1996, puis à 44 litres aujourd'hui ; une extension de la concurrence européenne, avec la libre circulation des vins italiens et espagnols, qui étaient moins chers ; enfin, l’arrivée des vins du Nouveau Monde, avec la diffusion internationale des cépages.
Ces trois défis ont eu pour conséquence un véritable séisme sur les prix, avec une chute qui n’est pas sans rappeler certaines courbes contemporaines, surtout après la suppression des systèmes de régulation voulue par cette Europe libérale.
La réponse s’est incarnée dans la création des vins de pays d’oc, symbole du virage vers la recherche de davantage de qualité, avec, notamment, un réencépagement de grande ampleur, puis dans celle de l’IGP « Pays d’oc » en 2009. Cette indication géographique protégée représente la reconnaissance d’un savoir-faire lié à un territoire, une constante qualitative, une typicité aromatique et des contrôles rigoureux.
En quelques années, c’est une véritable révolution qui s’est opérée au travers d’un véritable changement de modèle économique : la diminution du poids de la viticulture avec un développement des services et du tourisme.
Aujourd’hui, les volumes ne sont plus de la même ampleur : la production représentera 13 millions d’hectolitres environ en 2015, ce qui correspond à une diminution de 60 % des volumes et implique la disparition d’un grand nombre de viticulteurs. Des terres ont été sacrifiées, des familles ont fait le choix d’abandonner. En effet, on ne décide pas de réorganiser des filières, de les restructurer, sans en accepter le prix. Il faut le savoir dès le départ, pour anticiper les conséquences humaines.
Il faut du courage et, surtout, une stratégie commune pour ne laisser tomber personne et pour accompagner les mutations. Toutefois, le parti pris de la qualité, de l’identification, de la labellisation paye toujours. Nos vins ont changé d’image : ils sont reconnus. C’est tout un art de vivre qui s’exporte, ce qui permet à nos vignerons de diversifier leur activité grâce à l’écotourisme. C’est certainement un exemple à suivre.
En juillet dernier, le Gouvernement a mis en place un plan exceptionnel de soutien. De nombreuses dispositions ont ainsi été adoptées pour apporter un soutien financier et fiscal à l’ensemble des éleveurs français : allégement de trésorerie, restructuration des dettes, remboursement accéléré de la TVA, mobilisation du Fonds d’allégement des charges et du Fonds national de gestion des risques en agriculture ou encore accompagnement des prêts auprès des banques.
Face à la persistance de la crise, et afin de satisfaire les attentes du monde agricole, le Premier ministre a présenté le 3 septembre dernier des mesures complémentaires à ce plan de soutien. Ces dernières portent à 3 milliards d’euros en trois ans les aides qui pourront être investies dans l’agriculture et l’élevage français.
Toutefois, au-delà de ces mesures, il y a des engagements à tenir pour ne pas cumuler les charges des entreprises et des exploitations.
Depuis 2012, il n’y a pas eu de normes de surtransposition des directives européennes. Dans le plan annoncé par le Premier ministre, il y aura un point d’étape avec la profession en 2016 pour connaître les normes à supprimer, en vue d’une meilleure compétitivité.
J’en suis convaincu, mes chers collègues, notre agriculture, dans sa globalité, doit opérer une mutation semblable à celle de la viticulture languedocienne. Cela se fera grâce à l’action de l’État, dans l’urgence, mais aussi au travers de la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt.
Toutefois, cette action ne pourra être entreprise qu’avec les filières concernées et les responsables professionnels. Ces dernières doivent s’emparer de la coconstruction de leur avenir. C’est de leur responsabilité, car on ne peut tout attendre de l’État. Je suis sûr que nous pouvons faire confiance à nos agriculteurs pour trouver des solutions.
L’agriculture, la France y croit ! Et le sénateur paysan que je suis veut garder ses rêves d’une agriculture fière des défis qu’elle a relevés, des mutations qu’elle a réussies, pour que nous puissions conserver l’image d’une agriculture humaine, d’une agriculture forte, d’une agriculture de qualité et, donc, d’une agriculture durable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du groupe écologiste et du groupe CRC.)