M. François Bonhomme. Ce n’est pas gagné !
M. Didier Guillaume. Peut-être, cher collègue, mais il faut avancer dans cette direction. Jusqu’à maintenant, les idées des uns et des autres ont été mises sur la table, et les principales propositions présentées par la profession ont été reprises par le Gouvernement. Or, pour l’instant, hormis ces propositions et la réponse du Gouvernement, il n’y a rien.
Monsieur le président du Sénat, dans l’interview que vous avez accordée aujourd’hui même à Agra Presse, vous avez déclaré que vous étiez en train de rédiger une proposition de loi pour préparer – sans naïveté – les enjeux de demain.
Notre groupe est prêt à vous suivre,…
M. Claude Bérit-Débat. Sans naïveté ! (Sourires.)
M. Didier Guillaume. … si tel est le cas dans ce texte, auquel nous espérons d’ailleurs être associés le plus tôt possible. Toutefois, il faut d’abord répondre aux enjeux d’aujourd’hui. C’est un lieu commun de dire que les agriculteurs veulent vivre des fruits de leur travail, et non de subventions. Cependant, c’est plus facile à dire qu’à faire.
Aujourd’hui, lorsque nous regardons l’état de la politique agricole commune pour les années 2014-2020, nous pouvons tous reconnaître que le travail du Président de la République et du ministre concerné a permis d’engranger pour la France, alors que personne n’aurait cru cela possible avant la fin des négociations, une enveloppe de 9,1 milliards d’euros, soit deux fois le budget de la France !
Je tiens à saluer M. le ministre, ainsi que le Gouvernement, car la réduction de 2 % du budget de l’agriculture, fixé à 4,5 milliards d’euros dans le projet de loi de finances qui nous sera présenté dans les semaines à venir, portera seulement sur le fonctionnement, et non sur les interventions directes du premier et du deuxième pilier en faveur de l’agriculture, qui ne perdront pas un centime. Grâce aux aides de la PAC et au budget national, la France va pouvoir intervenir auprès des filières et des agriculteurs, ce qui est essentiel à mes yeux.
Monsieur le président, sans naïveté, vous allez recevoir M. le commissaire européen Phil Hogan. Dans la discussion que vous aurez avec lui, même si je ne me permettrai pas de vous donner le moindre conseil,…
M. le président. Je vous écoute !
M. Didier Guillaume. … il faudra sûrement lui faire prendre conscience de son aveuglement et de son incapacité à régler les problèmes de l’agriculture et de l’élevage en Europe, notamment en raison de son refus de relever le prix du lait.
M. Bruno Retailleau. C’est au Gouvernement de le faire !
M. Didier Guillaume. Il n’existe aucune possibilité, tout le monde le sait bien, d’obtenir sur ce point une majorité qualifiée en Europe, mais nous ne pouvons pas accepter qu’un commissaire européen chargé de l’agriculture déclare : « L’Europe, c’est le libéralisme. En aucun cas, nous ne devons avoir des prix d’aide pour les États. » Ce n’est pas cette Europe-là que nous voulons !
L’Europe que nous appelons de nos vœux aidera solidairement l’ensemble des pays et des élevages de nos pays. Voilà la réalité. Depuis des mois, M. le ministre formule une demande très forte, qui devra être relayée par le Sénat, en direction de M. Hogan : « Si nous comprenons la règle que vous fixez, elle ne nous convient pas ; il faut la dépasser, sans quoi il n’y aura pas d’avenir, avec ou sans naïveté, pour notre agriculture. »
Cette triple crise du porc, du bœuf et du lait n’est sûrement pas terminée. Aujourd’hui, des mesures conjoncturelles ont été prises, qui sont très fortes. Toutefois, nous devrons absolument travailler, les uns avec les autres – je suis certain que M. le ministre s’y emploie –, à réorganiser les filières en lien avec les professionnels. Si nous conservons la physionomie actuelle de l’agriculture, nous ne nous en sortirons pas. Pour espérer construire un avenir – et il y en aura un –, nous devons repenser l’organisation de ces filières, et ce avec les professionnels. Ce point est absolument prioritaire.
Lors de la table ronde du 17 juin dernier, des mesures ont été prises. Lors de la rencontre très intéressante organisée sous votre autorité, monsieur le président, nous avons engagé un certain nombre d’initiatives. Nous nous sommes aperçus ensuite que les prix annoncés par le ministre et acceptés par l’ensemble de la profession étaient passés par pertes et profits. Lorsque la profession elle-même a décidé de redémarrer le marché au cadran et de ne pas accepter le prix de 1,40 euro, nous avons dû constater que les choses ne pouvaient pas fonctionner.
Nous sommes tiraillés, d’un côté, par les éleveurs qui veulent des prix, et, de l’autre, par les grands distributeurs, les abatteurs, les metteurs en marché, pour qui cela ne peut pas fonctionner à l’échelle européenne.
C’est la raison pour laquelle aujourd’hui, on le sait très bien, la réponse à cette crise est évidemment nationale, franco-française – le Gouvernement y travaille –, mais surtout européenne. Il faut travailler encore, avec la Russie, avec d’autres pays – M. le ministre s’est rendu en Iran – pour obtenir d’autres marchés, qui sont indispensables.
Je conclurai, monsieur le président, par une note plus positive. Je crois en effet que nous pouvons être optimistes pour notre agriculture, parce que les femmes et les hommes qui travaillent au cœur de la ruralité, dans toutes les filières agricoles, notamment l’élevage, apprécient leur métier, aiment leur territoire et pensent qu’ils peuvent s’en sortir. Ils travaillent beaucoup, sept jours sur sept.
M. Bruno Sido. C’est vrai !
M. Jean-François Husson. Mais ils ne vivent pas de leur travail !
M. Didier Guillaume. Mes chers collègues, nous sommes à la croisée des chemins. On peut se contenter de dire : « Il n’y a qu’à, il faut qu’on, ce qui est fait est insuffisant » – tel n’est pas d'ailleurs le propos de la Haute Assemblée. On peut également dire : « Trouvons ensemble la bonne voie ».
On peut, à des fins politiques notamment, estimer qu’il est judicieux de taper sur le Gouvernement ou sur M. le ministre… (Protestations amusées sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Bertrand. Jamais !
M. François Marc. Ce n’est pas intéressant !
M. Didier Guillaume. Toutefois, tel n’est pas le sujet. Ce n’est pas ainsi que l’on fera avancer les choses.
Que l’on soit dans l’opposition ou dans la majorité, il y a une chose à faire. Avec les organisations professionnelles agricoles – non seulement avec le syndicat majoritaire, mais aussi avec tous les autres – nous devons nous réunir autour d’une table, y poser une feuille blanche et aboutir à un accord nous permettant d’avancer, pour faire gagner l’agriculture.
M. Claude Bérit-Débat. Absolument !
M. Didier Guillaume. Or nous ne disposons pas encore d’un accord de cette nature. C’est le constat que je dresse aujourd’hui.
Dès lors, les membres du groupe socialiste et républicain soutiennent, sans la moindre incertitude, l’action menée par le Gouvernement.
M. Jean-François Husson. Quelle surprise !
M. Didier Guillaume. Certes, cher collègue, ce n’est pas une surprise… (Exclamations sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. Claude Haut. M. Husson ne s’y attendait pas !
M. Didier Guillaume. Après les négociations menées avec les autorités de l’État, le président de la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, la FNSEA, a accepté le plan préparé par le ministre de l’agriculture et présenté par le Premier ministre. Or, pour ma part, ce qui me surprend, c’est que l’ensemble des parlementaires de droite ne soutient pas ce plan, peut-être pour des raisons que j’ignore…
Chers collègues de la majorité, le débat d’aujourd’hui vous conduira sans doute à émettre des propositions. J’espère qu’elles seront constructives.
Je le dis et je le répète : il y a un avenir pour l’agriculture,…
M. Bruno Sido. C’est déjà ça !
M. Didier Guillaume. … si, sans posture politicienne, nous avançons, non seulement pour élaborer des aides conjoncturelles, comme le Gouvernement l’a fait, en vue d’aider les exploitations et de maintenir les prix, mais, surtout, pour préparer l’agriculture de demain.
Monsieur le président, les sénateurs socialistes et républicains seront à vos côtés, sans naïveté, pour vous aider à définir la voie de l’avenir pour l’agriculture, en France et en Europe ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain et du RDSE.)
M. Claude Bérit-Débat. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Joël Labbé, pour le groupe écologiste.
M. Bruno Sido. C’est parti ! Les petits oiseaux, les petites fleurs… (Sourires.)
M. Joël Labbé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’heure est trop grave pour que l’on parle des petits oiseaux et des petites fleurs, quoiqu’ils aient leur importance ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste et républicain. – M. Alain Bertrand applaudit également.)
À mon tour, je tiens à vous exprimer la belle idée que je me fais de l’agriculture et de son avenir, à condition que l’on remette en cause la domination de l’agrobusiness…
M. Rémy Pointereau. Ah !
M. Joël Labbé. … et que l’on refuse les diktats du syndicat majoritaire, qui sévit depuis trop longtemps dans notre pays. (Protestations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
M. Rémy Pointereau. Et que faites-vous de la démocratie ?
M. Joël Labbé. C’est la raison pour laquelle j’ai pris l’initiative d’inviter jeudi dernier les représentants des syndicats minoritaires à s’exprimer en toute liberté, ici, au Sénat.
Aujourd’hui, nous sommes appelés à débattre une nouvelle fois de la situation et de l’avenir de notre agriculture.
Il est temps que l’on cesse de se raconter des histoires : le monde agricole est dans une situation de profond malaise. Les crises s’y succèdent. On ne peut que dresser le constat de la faillite d’un système et d’un modèle, à savoir le modèle productiviste, qui, après un demi-siècle de fuite en avant, a dépassé ses limites.
Nos campagnes connaissent une profonde détresse morale. Dans le monde agricole, le taux de suicide est désormais supérieur de 20 % à la moyenne nationale.
M. Bruno Sido. C’est vrai.
M. Joël Labbé. On ne peut l’ignorer. En outre, comme M. le ministre l’a affirmé cet été, plus de 20 000 exploitations sont actuellement au bord de la faillite.
Aussi, les réponses d’urgence qui ont été apportées étaient nécessaires et salutaires.
À présent, il s’agit d’envisager un avenir stable pour notre agriculture et de donner des perspectives à celles et ceux qui ont depuis toujours la noble fonction de nous nourrir. Il s’agit de construire avec eux cet avenir, en reliant de manière systématique l’agriculture, l’alimentation et les territoires, en renouant des liens étroits entre les agriculteurs et les populations qu’ils nourrissent, mais aussi en réconciliant l’agriculture avec le sol, un sol fertile, riche en matières organiques – nos terres en ont perdu ! –, un sol ménagé et respecté, un sol bien vivant qui, en plus de nourrir, apporte une réponse essentielle à la régulation climatique.
J’insisterai encore à l’avenir pour dénoncer ce modèle productiviste, qui présente un bilan accablant. Un grand nombre d’agriculteurs sont les premières victimes de ce système. Ils sont enserrés dans des trajectoires dont il est, pour eux, difficile, sinon impossible de sortir.
Il faut le reconnaître, les crises successives sont le fruit des orientations qui ont été imprimées à l’agriculture au cours des dernières décennies : le nombre d’exploitations a été divisé par quatre en quarante ans, et la part des actifs agricoles n’a cessé de se réduire, au point de ne plus représenter que 3 % de la population active.
Dans un contexte de chômage de masse, l’équivalent de 20 000 emplois disparaît chaque année dans les fermes de France. À ce jour, ces pertes ne sont plus compensées par la création d’emplois nouveaux.
Pourtant, certains leaders particulièrement influents et liés à l’agrobusiness voudraient encore étendre notre modèle à la planète entière. Ils osent affirmer que leur but est de lutter contre la faim, d’assurer l’alimentation de la population mondiale.
C’est sans scrupule qu’ils voient les bouches à nourrir comme autant de nouvelles parts de marché !
M. Bruno Sido. Oh !
M. Joël Labbé. N’oublions pas que, aujourd’hui encore, les paysans représentent près de la moitié des travailleurs dans le monde, et que, en valeur, l’agriculture familiale et paysanne fournit encore, selon la FAO, l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, plus de 80 % des productions alimentaires mondiales.
Cette agriculture résiliente doit être préservée et renforcée. Elle est l’une des solutions essentielles d’adaptation au changement climatique.
Toutefois, les forces contraires sont très puissantes. Dans l’immense marché planétaire qui met en concurrence les économies du monde entier, cette agriculture familiale et paysanne est touchée de plein fouet, partout dans le monde, au nord et, plus encore, au sud.
Dès lors, si on laisse libre cours à cette logique infernale, nombre de nos fermes sont condamnées, soit à disparaître, soit à se concentrer, à s’agrandir toujours plus, à se mécaniser davantage, voire à se robotiser et, de ce fait, à s’endetter plus encore – la compétitivité l’exige.
Toujours accroître le rendement par vache ou par hectare, avec toujours moins d’agriculteurs : voilà la logique de la compétitivité. Est-ce cela que l’on appelle maintenant « l’agriculture intelligente » ? Aujourd’hui, on entend même parler d’une agriculture climato-intelligente !
M. Jacques Mézard. C’est intelligent tout cela… (Sourires sur les travées du RDSE.)
M. Joël Labbé. Mes chers collègues, de qui se moque-t-on ?
Dès lors, comment faire ? Didier Guillaume l’a souligné à l’instant, ce n’est pas avec de grands discours simplistes, dans un sens ou dans l’autre, que nous trouverons des solutions.
M. Bruno Sido. Très bien !
M. Joël Labbé. Il s’agit de transformer à grande échelle, en profondeur et progressivement nos manières de produire et de consommer.
Monsieur le ministre, nous avons longuement débattu, dans cet hémicycle, du projet de loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt, que vous avez conçu comme un instrument de transition vers l’agroécologie.
Nombre d’outils sont inscrits dans ce texte. Je pense aux groupements d’intérêt économique et environnemental, ou GIEE, qui ont été précédemment évoqués. Je songe également aux projets alimentaires territoriaux qui relient producteurs et consommateurs. Ces dispositifs ont été élaborés avec l’objectif affiché de mettre en œuvre les principes fondamentaux de l’agroécologie. À présent, il faut faire converger, en cohérence, les soutiens publics communautaires, nationaux et régionaux allant dans ce sens.
Accélérons la mise en œuvre de notre plan « Protéines végétales », afin de rendre nos fermes plus autonomes, en les libérant de la dépendance au soja sud-américain. Évoluons vers des productions de qualité, pour plus de valeur ajoutée. Autour de l’agriculture familiale, restaurons un développement local à même de revivifier les territoires ruraux.
La loi d’avenir pour l’agroécologie doit marquer la reprise en main de l’avenir de l’agriculture par les politiques que nous sommes. Nous en avons la responsabilité devant nos concitoyens.
M. le président. Il faut songer à conclure, mon cher collègue.
M. Joël Labbé. Il convient de programmer, de planifier, de donner des perspectives à moyen et long termes.
Enfin, en cette veille de COP 21, il faudra veiller à la mise en œuvre d’une véritable gouvernance mondiale de l’alimentation : l’avenir de la planète en dépend ! (Applaudissements sur les travées du groupe écologiste, du groupe socialiste et républicain et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. David Rachline, pour la réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d’aucun groupe.
M. David Rachline. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la grave crise agricole que nous traversons met en lumière la folle politique agricole que vous menez depuis trente ans. Aussi, c’est à un changement radical que je vous invite.
Tout d’abord, il s’agit de ne pas aggraver la situation actuelle, ce qui passe par l’abrogation impérative du traité transatlantique en cours de négociation. Un tel texte serait une catastrophe pour notre agriculture. La levée des droits de douane aurait des répercussions terribles pour les Français. En définitive, l’ensemble de ce traité se résume par l’alignement de l’Europe sur la déréglementation du marché américain. Rien ne serait pire !
Ensuite, il faut lutter contre le dumping social au sein de l’Union européenne. À cette fin, il faut abroger la directive relative au détachement des travailleurs, qui permet aux grandes entreprises de l’agroalimentaire de recourir à une main-d’œuvre étrangère. Ces travailleurs sont payés 4 euros de l’heure, ce qui représente deux à trois fois moins que les salaires pratiqués en France. Cette directive européenne est un fléau.
Introduisons dans le code des marchés publics, comme critère d’attribution des marchés, des clauses environnementales et sociales favorisant enfin l’emploi français.
M. François Marc. « Y’a qu’à, faut qu’on » !
M. David Rachline. De plus, il faut arrêter les règlements absurdes et les normes européennes sans cesse durcies qui étouffent nos agriculteurs. Passons des paroles aux actes, pour mettre en œuvre un grand patriotisme de consommation.
Créons un label « Viande française », destiné à valoriser les productions à l’export.
M. David Rachline. Votons une grande loi « Achetons français », pour manger français dans les établissements de l’État, des collectivités territoriales et des entreprises publiques, y compris les cantines scolaires. Aujourd’hui, quelque 75 % des fruits, des légumes et de la viande bovine consommés dans les établissements publics sont importés.
Élaborons des seuils d’achat de produits français pour les administrations publiques et les restaurations hors foyer.
Néanmoins, pour agir en ce sens, il nous faut bien entendu nous libérer du carcan européen. Par ailleurs, la levée des sanctions contre la Russie est une nécessité.
M. Stéphane Ravier. Oui !
M. David Rachline. L’embargo russe est une absurdité totale. Il aggrave un peu plus encore la ruine de nos agriculteurs. Les fonds débloqués par la Commission européenne, à hauteur de 344 millions d’euros, pèsent peu face au milliard d’euros de débouchés perdus à ce titre par l’agriculture et par l’agroalimentaire français.
Enfin, l’essentiel est d’en finir avec la PAC,…
M. Didier Guillaume. Mais bien sûr !
M. David Rachline. … cette fameuse politique agricole commune qui tue à petit feu notre agriculture.
Si la France est le premier pays bénéficiaire des reversements de la PAC, n’oublions pas de préciser que, contre les 21 milliards d’euros que nous versons à l’Union européenne – cette somme est même de 22 milliards d’euros cette année –, nous n’en recevons, en retour, que 13.
Le principe absurde de sectoriser les agricultures entre pays a tué notre spécificité française. D’immenses ensembles agricoles ont ainsi été poussés au détriment des petites exploitations, qui maillaient notre territoire et qui animaient nos campagnes. Produire toujours plus et, ainsi, faire baisser les prix : cette logique imposée par la grande distribution a conduit notre monde agricole à ne plus vivre que de subventions, puisque la PAC est là pour financer les pertes programmées de la surproduction.
Nous devons inverser ce système et lutter contre les ententes sur les prix dans la grande distribution et les centrales d’achat, pratiqués au détriment de la qualité des produits et contre les intérêts des consommateurs. C’est au producteur de fixer le prix de sa production !
Écoutons la détresse de ceux qui travaillent sans relâche, nuit et jour, pour un salaire de misère ; de ceux qui travaillent sans jamais avoir un jour de repos ni de vacances et qui doivent dépenser les quelques sous qui leur restent pour répondre à je ne sais quelle norme imbécile.
M. le président. Il faut conclure.
M. David Rachline. À quand une politique agricole française ? Vous mentez à la France. Vous mentez à nos agriculteurs en faisant croire que vous êtes capables d’arranger la situation. En réalité, ce qui tue notre agriculture, c’est l’Union européenne, mais vous ne voulez pas le voir. Agissez avant qu’il ne soit trop tard ! (M. Stéphane Ravier applaudit longuement et fait un signe de victoire.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour le groupe du RDSE.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si la France a besoin de maintenir et de développer une capacité de production industrielle, il lui est également impératif de donner à son agriculture et à son industrie agroalimentaire les moyens nécessaires à leur vie.
Notre agriculture, les femmes et les hommes qui s’y consacrent, le plus souvent avec passion, ont un rôle et une importance particuliers. De nos territoires, ils sont la substance même.
Aujourd’hui, d’aucuns voudraient supprimer les communes.
Mme Jacqueline Gourault. Ça y est, M. Mézard recommence ! (Sourires.)
M. Jacques Mézard. Sachez que c’est avant tout la disparition de nos exploitations agricoles qui, hélas, leur permettra d’arriver à leurs fins.
J’ai déjà eu l’occasion de le dire à cette tribune : chaque fois qu’une exploitation s’arrête et qu’une lumière s’éteint dans une ferme, chez nous, c’est la vie qui s’en va. La crise laitière a déjà conduit à la disparition de centaines d’exploitations depuis cet été. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC. – M. Bruno Sido applaudit également.)
Dans nombre de nos territoires ruraux, le fragile équilibre qui subsistait est en train de se rompre. Je crains que cette rupture ne soit durable, si ce n’est irrémédiable. Dans nos communes, quand il n’y a plus d’agriculteurs et que ne subsistent que quelques grands ranchs, les écoles disparaissent, les médecins ne sont pas remplacés, les boulangeries, les bureaux de postes, les gendarmeries et les trésoreries ferment.
La responsabilité de cette faillite, provoquée par l’absence de politique d’aménagement du territoire, elle-même abandonnée au profit d’une décentralisation ratée, n’incombe pas seulement à l’actuel gouvernement : elle est collective. Quand, de surcroît, la crise économique frappe durablement, il est encore plus difficile de réagir, en vertu de la formule célèbre de Choiseul : « Quand le feu est à la maison, on ne s’occupe pas de la grange ».
Il faut être sourd pour ne pas entendre la colère des éleveurs, dont la filière est la plus directement et la plus lourdement frappée par l’accumulation des difficultés tant conjoncturelles que structurelles.
Monsieur le ministre, au Sénat ou dans mon département, j’ai souvent défendu la négociation que vous avez menée dans le cadre de la politique agricole commune, la PAC. Elle a été efficace et favorable aux éleveurs français.
M. Bruno Retailleau. Pas à tous !
M. Jacques Mézard. À une grande partie d’entre eux. Dont acte ! Imaginons ce que serait la situation dans le cas contraire. Toutefois, la négociation de la PAC est une chose, l’anticipation des crises en est une autre.
Au sein des filières bovine, porcine et laitière, la dégradation alarmante des prix à la production a fortement fragilisé la rémunération des éleveurs et la trésorerie de leurs exploitations. Ces difficultés ont révélé le mal-être général d’une profession à qui l’on demande de faire toujours mieux pour gagner moins. Les crises sont devenues cycliques, compte tenu des différents aléas, parfois cumulés, qui frappent l’agriculture : sanitaire, climatique, de marché, voire diplomatique – songeons aux conséquences extrêmement néfastes de l’embargo russe.
À court terme, la réponse est toujours la même : on colmate, de plan de soutien en plan de soutien. C’est ainsi que le Gouvernement, acculé par la gronde à laquelle nous avons assistée, a adopté des plans d’urgence, dans l’urgence ! Pourtant, cette dernière semblait prévisible.
Ces plans étaient nécessaires, en particulier pour secourir les exploitations au bord de la cessation d’activité. La plupart des mesures prises allaient dans le bon sens, même si elles ont donné lieu à quelques effets d’annonce quant aux montants réellement débloqués.
Les pouvoirs publics doivent cependant travailler sur le long terme, pour redonner espoir à nos agriculteurs. Nous savons en effet que, au-delà de la crise des prix, se joue une crise de modèle agricole. L’agriculture française a des qualités incontestables. Pourtant, non seulement nombre de nos agriculteurs vivent mal de leur métier, mais, à l’échelle internationale, le secteur perd régulièrement des parts de marché. Deuxième nation agricole il y a encore dix ans, la France occupe aujourd’hui le cinquième rang.
Cette baisse de compétitivité ne tient pas au manque d’ambition ou de savoir-faire de nos exploitants. Au contraire, les agriculteurs ont toujours été capables de se moderniser. Aujourd’hui, le monde agricole est composé d’hommes et de femmes courageux, investis et passionnés, qui souhaitent seulement avoir un avenir et vivre dignement de leur travail. À cette fin, ils doivent pouvoir exercer leur activité dans un cadre normatif équitable, sécurisé et clair. (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Or tel n’est pas vraiment le cas. Entre les distorsions de concurrence à l'échelle mondiale et les exigences contradictoires des pouvoirs publics, comment peuvent-ils s’en sortir ?
Est-il équitable de demander à l’agriculture française et européenne de subir à l’excès des normes environnementales, certaines utiles, d’autres déraisonnables, quand une grande partie du reste du monde produit selon les standards du moins-disant social et environnemental ?
Est-il équitable de priver les producteurs de lait européens, au travers de la nouvelle PAC, des mécanismes de régulation de la production, alors que le Canada et les États-Unis font l’inverse ? Le comble, c’est que ce sont ces mêmes pays qui négocient le TAFTA – le Transatlantic Free Trade Area – et le CETA – le Comprehensive Economic and Trade Agreement –, des accords de libre-échange. Monsieur le ministre, l’Europe ferait mieux de ne pas systématiquement adopter le rôle de la bonne élève en se faisant hara-kiri, quand ses partenaires ne jouent pas la carte de la transparence.
M. Jean Bizet. Très bien !
M. Jacques Mézard. Est-il équitable de voir figurer parmi les plus grandes fortunes françaises les géants de la distribution, qui captent une partie de la valeur ajoutée des agriculteurs, alors qu’il faut toute la pression du Gouvernement pour augmenter les prix à la production de la viande de cinq centimes ?
M. Bruno Sido. C’est vrai !
M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, nous avons besoin de nouvelles prospectives, d’un plan pour l’agriculture et de décisions, afin d’empêcher que les agriculteurs ne soient systématiquement les victimes des marchandages entre grande distribution et transformateurs.
Les aléas des marchés et les baisses de prix ne sont pas toujours prévisibles à court terme dans une économie mondialisée. Il en va de même des aléas climatiques ou des épidémies, comme la fièvre catarrhale ovine, la FCO, aujourd’hui. En revanche, nous savons que ces crises sont cycliques. Pour y faire face, des politiques de lissage sont indispensables, afin de gérer ces phénomènes en équilibrant les bonnes et les mauvaises années. De la même manière, il faut davantage réfléchir, selon nous, à la généralisation de systèmes assurantiels.
De plus, monsieur le ministre, il est indispensable que, lorsqu’il n’a pu, ou su, prévoir, l’État soit capable de réagir dans l’urgence. Ce n’est pas propre au gouvernement actuel, mais, concernant la fièvre catarrhale, nous venons encore de constater que les jours perdus ne se rattrapent pas, ou difficilement. Ces épidémies sont récurrentes, nous devons donc être prêts dès leur déclenchement et ne pas nous trouver à court de vaccin. Cela n’a pas été le cas pour l’épidémie actuelle, et vous vous en rendrez compte encore en vous rendant au sommet de l’élevage de Cournon.