compte rendu intégral
Présidence de M. Claude Bérit-Débat
vice-président
Secrétaires :
M. Jackie Pierre,
M. François Fortassin.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communications d’avis sur deux projets de nomination
M. le président. Conformément aux dispositions du cinquième alinéa de l’article 13 et de l’article 56 de la Constitution, la commission des lois a fait connaître qu’elle a émis, lors de sa réunion du mercredi 30 septembre 2015, un vote favorable (34 voix pour et deux bulletins blancs) à la nomination de M. Jean-Jacques Hyest aux fonctions de membre du Conseil constitutionnel. (Applaudissements.)
Lors de sa réunion du 30 septembre 2015, conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010–837 et de la loi n° 2010–838 du 23 juillet 2010 relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable a émis un vote favorable sur le projet de nomination de M. Jean-Marc Lacave aux fonctions de président-directeur général de Météo-France (23 voix pour, deux bulletins blancs).
Acte est donné de ces communications.
3
Candidatures à un organisme extraparlementaire
M. le président. Je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de deux sénateurs appelés à siéger au sein de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement.
La commission des affaires étrangères a proposé la candidature de M. Michel Boutant et la commission des lois celle de Mme Catherine Troendlé.
Les candidatures ont été publiées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
4
Avis du congrès de la Nouvelle-Calédonie sur un projet de loi
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du congrès de la Nouvelle-Calédonie, par lettre en date du 30 septembre 2015, un avis sur le projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIème siècle.
Acte est donné de cette communication.
5
Accord France-Russie relatif à des bâtiments de projection et de commandement
Adoption définitive en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie sur le règlement des obligations complémentaires liées à la cessation de l’accord du 25 janvier 2011 relatif à la coopération dans le domaine de la construction de bâtiments de projection et de commandement (projet n° 695, texte de la commission n° 702, rapport n° 701, avis n° 710).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Harlem Désir, secrétaire d'État auprès du ministre des affaires étrangères et du développement international, chargé des affaires européennes. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, votre chambre examine aujourd’hui le projet de loi autorisant l’approbation de l’accord sous forme d’échange de lettres entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la Fédération de Russie sur le règlement des obligations complémentaires liées à la cessation de l’accord du 25 janvier 2011 relatif à la coopération dans le domaine de la construction de bâtiments de projection et de commandement.
Il s’agit d’un accord important puisqu’il permet de clore définitivement le dossier de la vente de deux bâtiments de projection et de commandement, ou BPC, à la Russie en 2011.
La décision avait en effet été prise dès 2008 de vendre ces deux bâtiments à la Russie, ce qui a abouti au contrat de vente et à l’accord intergouvernemental de 2011 entre la France et la Fédération de Russie.
La décision de vendre de tels bâtiments, destinés, comme leur nom l’indique, à la « projection » de forces, à un pays qui, trois ans auparavant, avait agressé un État voisin relevait d’un pari risqué.
La politique russe vis-à-vis de pays voisins, souvent liés à l’Union européenne par des accords de partenariat ou d’association, les événements en Ukraine qui ont suivi la révolte du Maïdan, l’annexion illégale et non reconnue par la communauté internationale de la Crimée et le plongeon du Donbass dans la guerre civile ont rendu l’exécution de ce contrat impossible.
La France et la Russie ont donc abouti conjointement au constat que les deux bâtiments de projection et de commandement ne pourraient être livrés.
Nous avons donc décidé de négocier les conditions d’un règlement à l’amiable de cette question.
Un accord a été trouvé et signé le 5 août dernier. Il vous est soumis aujourd’hui pour la partie qui requiert une autorisation parlementaire en vertu de la Constitution.
La décision du Gouvernement a été prise après mûre réflexion, en toute indépendance, dans un esprit de responsabilité.
Responsabilité, tout d’abord, au plan international : le conflit ukrainien, au cœur de l’Europe, a créé une situation exceptionnelle qui ne permettait pas de livrer ces matériels.
Nous avons pris notre décision en toute indépendance, ce qui n’implique pas de ne pas tenir compte des circonstances et des inquiétudes, pour certaines légitimes, de nos plus proches partenaires au sein de l’Union européenne.
Avant de juger de l’opportunité de cette décision, il faut donc s’interroger : que serait-il advenu de notre légitimité au sein du format Normandie pour traiter de la résolution ukrainienne après avoir livré un tel matériel ? Quelle aurait été notre crédibilité auprès de certains de nos amis européens à plaider sans relâche pour la défense européenne en ayant ainsi ignoré leurs préoccupations pressantes ?
Responsabilité, aussi, de la France au regard de ses engagements, ce qui nous a conduits à privilégier la négociation avec la Russie.
À cet égard, il n’y a aucune violation par la France de ses engagements, puisque le différend apparu sur cette question a été finalement réglé à l’amiable. Le contrat et l’accord signés en 2011 sont remplacés par de nouveaux textes, négociés et signés avec la Russie. Je note d’ailleurs que celle-ci ne nous fait aucun mauvais procès à ce sujet. La question est close à titre bilatéral.
Responsabilité, enfin, au regard des intérêts financiers de la France, la négociation avec la Russie nous préservant d’une procédure d’arbitrage dont le résultat aurait été hasardeux et certainement plus coûteux. À tout le moins, il nous aurait exposés à une très longue procédure, pendant laquelle les bateaux auraient dû être gardés, stationnés et entretenus, sans possibilité de les vendre. Cette option devait être évitée.
Cet accord nous a permis de récupérer la pleine propriété des bâtiments, et donc de pouvoir les revendre, ce qui était évidemment l’intérêt financier de la France.
Est-ce à dire que nous avons pris une décision contre la Russie, que nous refuserions de la considérer comme un partenaire ? En aucun cas.
Tout d’abord, cette affaire a été menée de bout en bout non pas contre la Russie, mais avec elle. La solution trouvée résulte d’une négociation.
Ensuite, ne pas livrer, dans les circonstances actuelles, de tels bâtiments ne signifie pas que nous renoncions à des relations étroites avec ce pays, par-delà les difficultés qu’il ne faut pas nier.
Prenons le dossier du nucléaire iranien : c’est en bonne intelligence avec la Russie, et d’autres partenaires, que nous l’avons traité.
Le dossier syrien, nous savons que, malgré nos profonds désaccords, qui ont encore été exprimés aux Nations unies, c’est en relation avec Moscou, et d’autres, évidemment, que nous devons le gérer.
La crise ukrainienne, c’est bien sûr avec les autorités ukrainiennes et les autorités russes que nous en parlons, de façon d’ailleurs assez constructive en ce moment, dans le cadre du format dit de Normandie.
Au total, l’accord auquel nous sommes parvenus est un bon accord qui nous permet de sortir dans des conditions satisfaisantes d’une situation compliquée.
Quatre textes ont été négociés et signés.
D’abord, un accord intergouvernemental qui met fin à l’accord de 2011, qui attribue la pleine propriété des deux BPC à la France et qui exclut tout recours entre la France et la Russie sur ce dossier. Cet accord intergouvernemental ne relève pas de l’article 53 de la Constitution et ne nécessite pas formellement d’autorisation parlementaire ; il vous a néanmoins été communiqué parce qu’il constitue un tout avec le texte suivant.
Celui-ci, qui est le deuxième texte, est un accord sous forme d’échange de lettres qui prévoit deux dispositions essentielles qui l’une comme l’autre justifient une autorisation du Parlement : le montant du remboursement dont bénéficie la Russie et l’exclusion de toute indemnisation pour tout préjudice éventuel à l’égard des tiers.
Le troisième texte est un avenant au contrat signé entre DCNS et Rosoboronexport, qui met fin au contrat commercial initial et solde les choses entre les deux entreprises.
Le quatrième texte, est une convention entre l’État et DCNS.
Les travaux de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, dont je remercie le président, M. Raffarin, et le rapporteur, M. del Picchia, ont été l’occasion, je crois, d’éclairer la Haute Assemblée sur le contenu exact de ces accords, et notamment leur aspect financier.
Je le répète : notre conviction est que l’accord obtenu est un bon accord pour la France.
Sur le plan de nos relations avec la Russie, c’est un accord amiable qui solde la question et évite tout contentieux futur avec elle sur ce dossier.
Sur le plan financier, il répond à l’objectif que nous nous étions fixé en début de négociation : rembourser la Russie des sommes qu’elle avait engagées au titre de ce contrat ; mais n’accepter aucune forme de pénalité financière. Tel est bien le cas.
Enfin, cet accord nous permet de disposer de la pleine propriété des bateaux, ce qui nous a permis, comme vous le savez, de conclure un accord avec l’Égypte le 22 septembre dernier, actant la revente des deux bateaux pour un montant de 950 millions d’euros.
Cet accord avec l’Égypte confirme le bien-fondé de l’approche retenue par le Gouvernement. Nous nous étions engagés à revendre ces navires, et ce rapidement, pour limiter les coûts de l’opération pour l’État et pour donner un avenir à deux navires de haute technologie que peu de chantiers navals dans le monde sont capables de produire ; c’est fait. On nous a dit que la décision de ne pas livrer à la Russie entacherait notre réputation de fournisseur fiable : c’est, une fois de plus, contredit par les faits.
Dans cette affaire, le Gouvernement a donc géré au mieux une situation qui était mal engagée, en préservant à la fois nos intérêts diplomatiques, industriels et financiers. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement vous appelle, mesdames, messieurs les sénateurs, à approuver cet accord. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain. – Mme Hermeline Malherbe applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Robert del Picchia, rapporteur de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, notre débat d’aujourd’hui peut vous sembler tardif. De fait, comme l’a indiqué M. le secrétaire d’État, tout est déjà réglé entre la France et la Russie. Par ailleurs, il a été annoncé la semaine dernière que les deux bâtiments en cause étaient déjà presque revendus à l’Égypte, ce que vous venez de nous confirmer, monsieur le secrétaire d’État. Néanmoins, je voudrais saisir cette occasion pour lever quelques interrogations.
Comme certains ont peut-être la mémoire courte, je voudrais tout d’abord rappeler que la décision prise par la France de vendre ces équipements militaires à la Russie en 2011 s’inscrivait dans un contexte favorable. (M. Alain Richard fait un signe dubitatif.) Les relations économiques entre nos deux pays s’étaient considérablement développées et la Russie était alors, malgré le coup de force en Géorgie à l’été 2008, considérée comme un partenaire digne de confiance.
Le contrat de vente prévoyait, pour 1,2 milliard d’euros, la fourniture de deux BPC de classe Mistral : le Vladivostok au 1er novembre 2014 et le Sébastopol au 1er novembre 2015.
Alors que la coopération avec les Russes se déroulait dans les meilleures conditions, elle a été, comme vous le savez, brutalement remise en cause le 3 septembre 2014 quand le Président de la République a déclaré que les conditions n’étaient pas réunies pour que la France autorise la livraison du premier BPC.
Les événements survenus en Ukraine au cours de l’année 2014 bouleversaient évidemment le contexte dans lequel s’inscrivait l’exécution du contrat.
Les violations graves du droit international dont la Russie s’était rendue coupable à travers l’annexion de la Crimée et le soutien militaire apporté aux séparatistes dans l’est du pays avaient conduit l’Union européenne et d’autres pays occidentaux à adopter plusieurs trains de sanctions, parmi lesquelles un embargo sur le commerce des armes.
Or, mes chers collègues, cet embargo n’était pas rétroactif et ne s’appliquait en principe qu’aux contrats conclus après le 1er août 2014. C’est donc politiquement qu’il est apparu difficile de poursuivre l’exécution comme si rien ne s’était passé, d’autant qu’un certain nombre de partenaires de la France avaient fait part à cette dernière de leurs inquiétudes. Certains ont pu regretter alors que notre pays ait à ce point « subi » la pression de ses « alliés » à la veille du sommet de Newport et donné l’impression de « s’aligner »...
La suspension de l’exécution plaçait alors la France dans une situation inconfortable, l’État comme DCNS étant exposés à un risque de contentieux long et coûteux, empêchant toute revente. Les Russes, de leur côté, avaient intérêt à isoler cet « irritant » du reste des dossiers diplomatiques en cours.
C’est dans ce contexte que les pourparlers engagés au début de l’année 2015 ont abouti, le 5 août dernier, à la signature de deux accords intergouvernementaux, dont un seul nous est soumis, consacrant la reconnaissance de la propriété des BPC à la France, fixant le montant de la transaction et reconnaissant à la France le droit de réexporter ces bâtiments.
Ces deux accords, soulignons-le, sont entrés en vigueur le 5 août dernier, car la Russie voulait percevoir la somme le jour de la signature. L’autorisation demandée au Parlement n’a donc qu’une portée assez relative, vous en conviendrez, puisqu’il nous est demandé de ratifier a posteriori un accord déjà financièrement exécuté...
Sur le fond, la commission des affaires étrangères prend acte de la solution sur laquelle les parties se sont accordées.
La Russie récupère les sommes qu’elle avait dépensées, soit 949,7 millions d’euros, dont 892,9 millions d’euros au titre des avances et 56,8 millions d’euros au titre du remboursement des dépenses de formation des équipages. Elle récupère également les équipements installés par elle sur les BPC et obtient, en outre, gratuitement – puisqu’ils ne peuvent être récupérés – les savoir-faire et technologies transférés.
De son côté, la France n’a remboursé à la Russie que les seules dépenses directement liées à la construction des BPC, à l’exclusion de toute indemnisation morale, pénalité ou autre coût indirect, comme l’aménagement des quais de la nouvelle base navale de Vladivostok. Surtout, la France a obtenu le droit de réexporter les bâtiments vers un État tiers, sous réserve d’en avoir préalablement informé par écrit la Russie. Cette question de la revente était essentielle. On ne peut que se féliciter, pour le constructeur, pour les sous-traitants, pour les salariés, pour la France, de cette perspective de revente. L’accord assure également la protection des savoir-faire et technologies transférés à la Russie, en conditionnant tout transfert à un pays tiers à l’autorisation préalable de la France.
J’en viens maintenant à la question clef. Quel sera le coût de cette affaire pour l’État et pour les industriels ?
M. Christian Cambon. Voilà la question !
M. Jean-Claude Lenoir. Et pour les contribuables ?
M. Robert del Picchia, rapporteur. Concernant les industriels, DCNS a reversé au budget de l’État, dans les trois jours suivant le versement de l’indemnisation à la Russie, les sommes qu’elle avait perçues de la société russe, soit 892,9 millions d’euros. L’entreprise sera indemnisée par la Compagnie française d’assurance pour le commerce extérieur, la COFACE, de la perte subie, à l’exclusion toutefois de sa marge, laquelle est difficile à estimer. Des négociations sont actuellement en cours afin de déterminer le montant exact de cette indemnisation.
DCNS pourrait subir in fine un « manque à gagner » relativement important, au détriment d’investissements qu’elle pourrait faire en matière de recherche et développement, ce que nous ne pouvons que regretter.
Les sous-traitants, quant à eux, ne subiront pas de perte, compte tenu des assurances qui les couvrent.
Le coût que supporteront les finances publiques recouvre d’abord une dépense budgétaire de 56,8 millions d’euros, correspondant aux coûts de formation des équipages russes que la France a accepté de rembourser, imputée sur le programme 146 de la mission « Défense ». Je le dis avec fermeté, mes chers collègues : le programme 146, déjà soumis à de fortes tensions de trésorerie, devra récupérer 56,8 millions d’euros d’ici à la fin de la gestion 2015.
M. Christian Cambon. Très bien !
M. Robert del Picchia, rapporteur. La commission des affaires étrangères sera vigilante sur le respect de cet engagement du Gouvernement.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Absolument !
M. Robert del Picchia, rapporteur. Cette dépense demeurera néanmoins une charge pour le budget général de l’État en 2015.
Par ailleurs, l’État devra assumer une moindre recette de 500 millions d’euros, au compte « État » de la COFACE en 2015 ; vous le savez, la COFACE reverse chaque année entre 500 millions et 700 millions d'euros. Pour l’exercice 2015, cela représente au total un coût de 557 millions d’euros pour l’État.
Le produit de la revente – puisque revente il y aura pour 950 millions d’euros, vous l’avez confirmé, monsieur le secrétaire d'État – ne bénéficiera au budget qu’en 2016, c'est-à-dire lorsque les deux BPC seront en état d’être revendus, vraisemblablement au printemps prochain. Certains avancent des estimations plus ou moins étayées ; l’avenir dira si les Cassandre ont eu raison. Nous attendons naturellement des précisions du Gouvernement sur ce point.
En conclusion, malgré notre réticence liée au montage financier qui ponctionne le programme 146 et au fait que l’accord nous est soumis alors qu’il est déjà exécuté, la commission des affaires étrangères a adopté ce projet de loi de ratification.
Cet accord nous sort, en effet, d’une situation difficile sur le plan industriel et nous permet d’envisager un apaisement de nos relations avec la Russie, qui est aujourd’hui un interlocuteur incontournable sur un grand nombre de sujets, ainsi que l’actualité le confirme.
Pour ma part, à titre personnel, je m’abstiendrai lors du vote sur ce texte. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avant de présenter les conclusions de la commission des finances, je veux rendre hommage à la commission des affaires étrangères, saisie au fond, à son président, à son rapporteur et à l’ensemble de ses membres pour la qualité de leurs analyses sur un sujet aussi complexe et sensible, aux multiples facettes.
Pour sa part, la commission des finances a souhaité se saisir de ce projet de loi pour en apprécier les conséquences financières et examiner la procédure retenue dans l’accord.
La première question qu’il convient de se poser, le rapporteur M. Robert del Picchia l’a posée avant moi, est celle-ci : l’accord est-il neutre sur le plan financier, comme on a pu le lire ici ou là ?
Rappelons à ce stade que le texte qui nous est soumis porte sur l’accord, sous forme d’échange de lettres entre la France et la Russie, et non sur la vente envisagée à l’Égypte des deux BPC non livrés à la Russie.
Sur le plan budgétaire – c’est une bonne nouvelle –, les chiffres de la commission des finances et ceux de la commission des affaires étrangères sont identiques.
M. Roger Karoutchi. Tant mieux ! (Sourires.)
M. Robert del Picchia, rapporteur. Quelle chance ! (Nouveaux sourires.)
M. Dominique de Legge, rapporteur pour avis. Ainsi, sur les 949,7 millions d’euros versés à la Russie, 893 millions d’euros correspondent au remboursement des sommes avancées pour l’acquisition des BPC et 56,7 millions à une indemnisation des frais exposés par la Russie. Cette dernière somme est supportée par le budget de l’État et ne relève pas du domaine assurantiel. Cela équivaut donc pour l’État à une perte.
Comme l’a fait remarquer le rapporteur, la France escomptait à la fin de l’année une recette de la COFACE d’un montant de 500 millions d’euros ; celle-ci n’aura pas lieu. Par conséquent, en 2015, au manque à gagner initial de 500 millions d’euros s’ajoutera un besoin de financement de 56,7 millions d’euros.
Sur le plan financier, le secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale a estimé le coût pour l’État à 1,1 milliard d’euros, montant dont il faut déduire 56,7 millions, le solde – 1,05 milliard d’euros – étant porté sur le compte que l’État détient auprès de la COFACE. Ce chiffre sera affiné en fonction des discussions actuellement en cours entre la COFACE et DCNS. Si la vente des BPC se réalise, la partie du prix du contrat correspondant à la vente sèche des bateaux – les prestations complémentaires devant être réglées directement à DCNS – sera versée sur le compte de l’État auprès de la COFACE. La recette escomptée est évaluée entre 850 millions d’euros et 900 millions d’euros. Le bilan fait donc apparaître une perte totale pour l’État de l’ordre de 200 millions d’euros à 250 millions d’euros.
Voilà pour l’analyse technique, mais, sans qu’il soit besoin d’entrer dans le détail, chacun peut comprendre que la substitution d’un contrat de 950 millions d’euros avec l’Égypte à un autre contrat de 1,2 milliard d’euros avec la Russie ne peut être neutre ; une perte est inévitable. Comme par hasard – les mathématiques sont têtues –, cette perte oscille toujours entre 200 millions d’euros et 250 millions d’euros.
J’en viens aux conséquences pour les industriels, notamment pour DCNS. L’État affirme que la marge de DCNS n’a pas forcément besoin d’être compensée. C’est bien possible et cela se traduirait d’ailleurs par une économie sur le compte que l’État détient auprès de la COFACE. Toutefois, c’est oublier que l’État est actionnaire de DCNS à hauteur des deux tiers. Par conséquent, si la marge n’est pas couverte, l’opérateur est fragilisé et l’État montre qu’il ne gère pas bien ses engagements.
En outre, dans un tel contexte, si la perspective d’une revente à l’Égypte tombe à point nommé, cela ne peut se faire sans une opération vérité des prix. Monsieur le secrétaire d’État, il faut jouer cartes sur table ! C’est pourquoi j’ai été quelque peu étonné, pour ne pas dire choqué, par la réponse que j’ai reçue du secrétaire d’État chargé du budget au questionnaire que je lui ai adressé voilà une dizaine de jours pour y voir plus clair : « J’ai pris bonne note de votre correspondance et ai prescrit un examen attentif de ce dossier. Je ne manquerai pas de vous apporter une réponse dans les meilleurs délais. » (Exclamations ironiques sur les travées du groupe Les Républicains.) J’attends toujours la réponse... Heureusement, nous sommes maintenant réunis pour débattre. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains. – Mme Sophie Joissains applaudit également.)
Une autre question essentielle se pose : la procédure retenue est-elle sécurisée ?
Le versement à la Russie de 949,7 millions d’euros a été opéré à partir du programme 146 « Équipement des forces », comme l’a rappelé le rapporteur. Reconnaissons que cette imputation budgétaire est assez étonnante au regard de la LOLF, puisque le versement d’une indemnité à un État étranger n’a rien à voir avec l’objet de ce programme, d’autant que les BPC restent la propriété de DCNS et n’ont pas été affectés à la Marine.
En d’autres termes, si le budget de la défense reçoit 893 millions d’euros, il supporte en revanche l’avance de 56,7 millions d’euros correspondant au remboursement des frais que la Russie a engagés.
Je tiens à le rappeler, pour le budget des armées, nous sommes toujours sous le régime de la loi de finances initiale pour 2015 et, comme nous en sommes d’ailleurs convenus avec le Gouvernement, 2,2 milliards d’euros de recettes exceptionnelles ne se feront pas et seront donc transformées en crédits budgétaires lors du collectif de fin d’année. Aussi, il ne faudrait pas que ces 56,7 milliards d’euros passent dans l’épaisseur du trait du règlement des recettes exceptionnelles en fin d’année. Je nous invite donc tous à être vigilants sur ce point.
Plus étonnante est l’analyse que le Gouvernement fait de l’article 53 de la Constitution. Dans l’exposé des motifs du projet de loi, il précise que cet accord est soumis au Parlement en vertu de l’article 53 de la Constitution, lequel dispose que les engagements internationaux « qui engagent les finances de l’État […] ne peuvent être ratifiés ou approuvés qu’en vertu d’une loi » et qu’« ils ne prennent effet qu’après avoir été ratifiés ou approuvés ».
Or, dans cet exposé des motifs, le Gouvernement précise également que le présent accord a été signé à Moscou le 5 août 2015 et qu’il est entré en vigueur à la date de sa signature, d’où le versement de 949,7 millions d’euros à la même date.
Le présent accord comporte donc une stipulation contraire à la Constitution et la validité de son entrée en vigueur immédiate est évidemment contestable, les normes constitutionnelles restant, en droit interne français, supérieures aux conventions internationales.
Or, bien qu’il le prévoie, l’accord n’a pu prendre effet avant son approbation. Le paiement effectué au profit de la Russie était donc dénué de fondement légal. Je m’interroge sur le fait qu’un comptable public ait pu accepter de procéder à un paiement de près de 1 milliard d’euros sur le fondement d’un accord international qui ne pouvait constitutionnellement pas produire d’effets de droit ! (Exclamations sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.)
Que se serait-il passé si le Conseil constitutionnel avait été saisi préalablement au titre de l’article 54 ? Que dirait le Conseil constitutionnel s’il était saisi a posteriori ?
On ne peut que regretter que le Gouvernement ait choisi de régler une affaire aussi sensible par des moyens dont la sécurité juridique est aussi douteuse.
Par ailleurs, nous ne pouvons que relever le recours à la méthode consistant à nous mettre devant le fait accompli. Imagine-t-on la Russie rembourser l’indemnité qui lui a été versée si ce projet de loi n’était pas adopté ? À quoi bon saisir le Parlement si son vote, quel qu’il soit, est sans effet ?
Mes chers collègues, l’accord du 5 août a un mérite, celui de mettre fin à une affaire au coût diplomatique certain et qui présentait des risques financiers importants. La concomitance de l’examen de cet accord avec la perspective d’une revente à l’Égypte tombe à point nommé. Toutefois, cet accord ne lève pas les réserves sur le coût final de l’opération et, surtout, sur les graves errements en termes de procédure. Car c’est bien de l’accord international avec la Russie que nous débattons.
Pour toutes ces raisons, la commission des finances n’a pas souhaité émettre un avis favorable sur ce projet de loi, afin de ne pas créer un précédent entérinant le recours à une procédure triplement contestable : d’un point de vue budgétaire d’abord – il y a détournement de la LOLF –, d’un point de vue juridique ensuite – l’accord n’est pas conforme à la Constitution – et d’un point de vue politique enfin – les pouvoirs du Parlement sont contournés.
En revanche, le sens des responsabilités et de l’intérêt national qui nous anime tous ne nous a pas conduits à émettre un avis défavorable. La commission des finances s’en est donc remise à la sagesse de notre assemblée. Pour ma part, je m’abstiendrai. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)