Mme la présidente. L'amendement n° 288 rectifié bis, présenté par MM. Calvet, Gilles, Pellevat et Charon, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer les mots :
et du papier à rouler les cigarettes
La parole est à M. François Calvet.
M. François Calvet. La commission des affaires sociales a modifié l'article 5 decies afin de transposer strictement dans la loi française l'article 10 de la directive 2014/40/UE sur les produits du tabac.
L'amendement ainsi adopté en commission, qui prévoit l'instauration du « paquet directive européenne », comprend une imprécision rédactionnelle. Il vise en effet à étendre le dispositif du « paquet directive européenne » au papier à rouler les cigarettes, alors que celui-ci n'est pas un produit du tabac et n'est pas visé par la directive, notamment par son article 10. Il s'agit donc d'une scorie juridique qu'il convient de supprimer. (Sourires au banc des commissions.)
Je souhaite m’inscrire dans le prolongement des propos qui viennent d’être tenus par mes collègues Gérard Cornu et Hermeline Malherbe et dire à mon tour au Gouvernement qu’il faut arrêter avec ce manière de transposer les directives ! (Eh oui ! sur les travées du groupe Les Républicains.) Après, on s’étonne que les Français détestent l’Europe ! La France en fait toujours plus que les autres !
Pensez donc à Perpignan, ville frontalière, où l’industrie du papier à cigarettes occupe une place très importante et emploie 400 salariés… Alors que la France est le premier producteur de papier à rouler, elle serait la seule à proposer une telle mesure ? N’exagérons pas ! À force, ce sont des pans entiers de nos industries qui disparaissent. (Marques d’approbation sur les mêmes travées.)
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
Mme Catherine Deroche, corapporteur. La commission ne compte évidemment pas revenir sur la position qu’elle a adoptée au mois de juillet dernier, qui prévoit de transposer directement dans ce projet de loi la directive européenne relative aux messages sanitaires figurant sur les emballages des paquets de cigarettes.
Soyons clairs : actuellement, en France, les paquets de cigarettes comportent des messages sanitaires, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays. La directive européenne précise que tous les pays seront désormais logés à la même enseigne et que les emballages seront recouverts à 65 % de messages sanitaires et de photos. Je ne veux pas laisser croire que, en souhaitant supprimer le paquet neutre, l’on fait fi des messages sanitaires et que l’on ne souhaite pas protéger le consommateur ! (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je n’en ai pas ici, mais je pourrais vous montrer des paquets neutres et des paquets recouverts à 65 % de messages sanitaires. Ce sont véritablement des messages et des photos-chocs. Quant à savoir si cette mesure sera plus efficace que le paquet neutre, il est difficile de le dire. Il n’en reste pas moins que, sur ces paquets, le message sanitaire est clairement visible.
Ces paquets « directive européenne » auront en outre l’avantage de supprimer certains types de conditionnements imaginés par les industriels du tabac, comme les paquets un peu glamour, rose fuchsia, ressemblant à des étuis de rouges à lèvres et qui peuvent exercer une forte attractivité, notamment sur les jeunes femmes.
Donc, si 65 % de l’emballage est réservé aux messages sanitaires et à des photos-chocs, le reste sera consacré à la marque.
À cet égard, le paquet neutre n’est pas sans soulever des problèmes de droit des marques. Des contentieux sont d’ailleurs en cours dont j’ignore quelle sera l’issue.
Je le répète, avec la transposition stricte de la directive européenne, des messages sanitaires figureront sur les paquets.
La commission a adopté cette position pour favoriser une harmonisation des pays européens en la matière et milite beaucoup en faveur d’une harmonisation fiscale – Mme la ministre a indiqué travailler également en ce sens. Tout le monde sait que, plus que l’emballage, c’est le prix qui constitue un facteur déterminant et qui incite à des achats illégaux ou de contrebande comme à des achats légaux mais transfrontaliers.
La commission souhaite que la France adopte un paquet « directive européenne ». C'est la raison pour laquelle elle émet un avis défavorable sur les amendements identiques nos 639 et 1046.
En revanche, la commission émet un avis favorable sur les amendements identiques nos 430 rectifié et 903 rectifié. En effet, il ne paraît pas pertinent de faire figurer des messages sanitaires sur les emballages de papier à rouler les cigarettes ; ceux-ci doivent figurer sur les paquets de cigarettes et les paquets de tabac à rouler.
C’est parce que ces amendements identiques sont plus complets que la commission demande le retrait de l’amendement n° 288 rectifié bis, monsieur Calvet.
Mme la présidente. Monsieur Calvet, l'amendement n° 288 rectifié bis est-il maintenu ?
M. François Calvet. Non, je le retire, madame la présidente, dans la mesure où il est satisfait par les amendements identiques nos 430 rectifié et 903 rectifié, que je voterai.
Mme Marisol Touraine, ministre. Par cohérence, le Gouvernement émet bien évidemment un avis défavorable sur les amendements « alternatifs » au paquet neutre.
Je tiens à apporter deux précisions complémentaires.
D’une part, s’il est vrai que la directive européenne n’impose pas le paquet neutre, elle ne l’exclut pas pour autant.
Mme Catherine Deroche, corapporteur. C’est vrai !
M. Gérard Cornu. C’est de la surtransposition !
Mme Marisol Touraine, ministre. Bien sûr que non !
L’article 24 de la directive prévoit que « la présente directive n’affecte pas le droit d’un État membre de maintenir » - maintenir, monsieur Cornu – « ou d’instaurer de nouvelles exigences [...], lorsque cela est justifié pour des motifs de santé publique ». Ne faisons donc pas comme si le Gouvernement inventait une mesure totalement étrangère au débat européen.
MM. François Calvet et Gérard Cornu. Si !
Mme Marisol Touraine, ministre. En outre, je tiens à rappeler à Mme la rapporteur l’intérêt du paquet neutre. L’objectif n’est pas le seul agrandissement du message sanitaire. Certes, il est important qu’un message sanitaire figure sur le paquet et que, grâce à la directive européenne, les pays qui autorisent aujourd’hui des paquets dépourvus de tout message de cette nature aient désormais l’obligation de l’imposer. Comme on le devine à son intitulé, le paquet neutre vise à empêcher la marque d’exercer son pouvoir d’attraction.
La publicité a en effet bien pour principe de donner envie, et personne n’y échappe : nous y sommes tous plus ou moins sensibles quand cela touche des produits qui nous intéressent. Et cela marche !
La publicité consiste en l’occurrence à associer des marques de cigarettes à des couleurs, voire à des formes de paquets pour viser certains publics, leur donnant le sentiment d’appartenir à un groupe. Je pense aux paquets en forme d’étui de rouge à lèvres, à ceux qui renvoient à l’idée de la minceur, par leur côté « slim », à celle de liberté ou à d’autres notions encore. C’est cette dynamique qu’il convient de casser.
L’agrandissement du message sanitaire est en soi une bonne chose, mais ne permet pas d’atteindre cet objectif, à savoir éviter l’impact publicitaire de la marque.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Génisson, pour explication de vote.
Mme Catherine Génisson. Je ne reviendrai pas longuement sur les arguments que Mme la ministre vient de développer.
Le paquet neutre s’inscrit bien évidemment dans une stratégie globale de lutte contre le tabagisme, qui cible principalement le public jeune. Il agit de faire en sorte que les jeunes ne commencent pas à fumer et que l’on parvienne enfin à une génération d’hommes et de femmes qui ne fument pas ou ne fument plus.
Madame la ministre, vous avez prouvé votre engagement et votre détermination à faire en sorte que, avec le Gouvernement, nous parvenions le plus rapidement possible à une harmonisation fiscale à l’échelon européen ; vous l’avez répété à plusieurs reprises, mais nous en sommes tous convaincus. C’est tout l’enjeu si nous voulons que les mesures que nous décidons dans le cadre de la lutte contre le tabagisme soient efficaces.
Le Gouvernement comme la commission l’ont souligné, même si cela ne relève pas strictement de votre ministère, madame la ministre, cela relève totalement de la responsabilité du Gouvernement : il est très important de trouver de façon concomitante des solutions alternatives afin que les mesures adoptées n’aient pas de conséquences financières pour les buralistes, que nous souhaitons maintenir dans nos territoires, tant urbains que ruraux, car ils participent à la cohésion sociale.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Je veux défendre la rédaction de l’article 5 decies retenue par la commission des affaires sociales. (Très bien ! sur les travées du groupe Les Républicains.)
Je rappelle que la version que vise à rétablir l’amendement n° 639 du Gouvernement et qui a été adoptée par l'Assemblée nationale ne figurait pas dans le texte initial. Il y a donc eu en quelque sorte une deuxième réflexion lors de l’examen de ce texte à l’Assemblée nationale.
Pour ma part, à ce stade, je ne suis pas capable de dire si le fait d’aller au-delà de ce que prévoit la directive est un élément important dans la lutte contre le tabac. On évoque le cas de l’Australie. Il est vrai que c’est le seul pays à avoir instauré le paquet neutre, mais c’est surtout le seul à avoir fixé le prix du paquet de cigarettes à 14 euros ! Si nous le suivons dans cette voie, peut-être serons-nous efficaces dans la lutte contre le tabac.
Cela vous surprendra peut-être, mais je suis surtout préoccupé par l’atteinte au droit des marques et au développement de la contrefaçon que ce paquet neutre peut entraîner.
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Richard Yung. Ce paquet neutre, comme son nom l’indique, est un paquet de cigarettes anonymisé dont la forme, la couleur et la typographie sont rendues uniformes et aussi peu attractives que possible, puisque tel est l’objectif. Il réduit les marques à de simples dénominations en les amputant de leurs signes distinctifs.
Ce faisant, à mon sens, il porte atteinte aux éléments constitutifs de la marque, qui forment un chapitre important du droit de la propriété industrielle. Une marque, ce n’est pas seulement un nom ; c’est aussi une couleur, un dessin, un mouvement, des figures. Je comprends bien que l’idée consiste à les rendre anonymes, mais je pense qu’il s’agit d’une atteinte directe au droit des marques.
Supprimer l’un de ces éléments, c’est remettre en cause le droit du titulaire sur ses marques. Or une marque, c’est un élément important du bilan d’une entreprise. Sa valeur peut être considérable. C’est aussi un élément constitutif de l’identité de l’entreprise et de ses produits. Je crains que, si nous nous engageons dans cette voie, nous ouvrions une brèche dans les droits de propriété industrielle.
Enfin, cette dénaturation du droit de propriété devrait être compensée par « une juste et préalable indemnité », conformément à l’article XVII de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Or le projet de loi ne prévoit pas de mécanisme indemnitaire. En adoptant le paquet neutre, nous irons au-devant de nombreuses difficultés et nous heurterons à toutes les juridictions comme le Conseil constitutionnel ou l’Organisation mondiale du commerce. (Applaudissements sur quelques travées du groupe socialiste et républicain et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacky Deromedi, pour explication de vote.
Mme Jacky Deromedi. Madame la ministre, j’ai été quelque peu surprise par les propos que vous avez tenus en présentant l'amendement du Gouvernement. Pourquoi donc dépensons-nous tant d’énergie à nous battre contre le paquet neutre ? Une telle question sous-entend que nous défendrions des intérêts particuliers, ceux des buralistes ou des fabricants, dont nous accepterions les invitations et autres cadeaux. De telles insinuations sont choquantes.
Nous sommes, nous aussi, préoccupés par la santé des Français. Laisser entendre que vous seriez les seuls à vous en soucier est purement démagogique ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Gremillet, pour explication de vote.
M. Daniel Gremillet. Je tiens à saluer le travail tout à fait remarquable, magnifique et responsable, accompli par la commission des affaires sociales. (Mme Laurence Cohen rit.) Le souci de la santé en a en effet constitué l’élément moteur de notre démarche.
Madame la ministre, comment puis-je expliquer, moi, élu de la plus vaste région transfrontalière, la région Est, aux buralistes de mon territoire cette distorsion absolument invivable entre États membres, sans même parler de la fiscalité ?
Je partage l’avis de notre collègue Richard Yung : avec le paquet neutre, le risque de contrefaçon est grand, et on ne l’a pas assez mesuré.
Nous venons de débattre du vapotage : c’est peut-être aussi, pour certaines personnes, un moyen de sortir du tabagisme et d’en finir avec ce fléau que représente le tabac.
Nous revenons au même débat que celui que nous avions hier soir sur l’alcool. Les mêmes questions se posent pour le paquet neutre : c’est comme si l’on retirait les étiquettes sur les bouteilles d’alcool. Madame la ministre, vous aviez pris à juste titre l’exemple des bières fortes. De la même manière, tous les tabacs n’ont pas le même degré de nocivité, et le paquet neutre risque de semer la confusion.
Cet argument est sans doute difficile à soutenir, mais il semble évident que le paquet neutre, du fait du manque d’informations sur l’emballage, pourra nuire aux fumeurs qui, mieux informés, pourraient entreprendre de se désintoxiquer.
J’approuve donc le travail très responsable de la commission. (Applaudissements sur certaines travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Daniel Chasseing, pour explication de vote.
M. Daniel Chasseing. Nous appartenons au marché commun européen et souhaitons en rester membre. Mais, en France, nous avons toujours la manie de vouloir des normes différentes !
Nous le voyons à l’occasion de la crise agricole : nos charges sont beaucoup plus élevées qu’en Espagne ou en Allemagne, mais, surtout, nos normes spécifiques aggravent fortement les problèmes des agriculteurs.
Pour le tabac, c’est la même chose : le paquet neutre ne fera pas diminuer le nombre de fumeurs ; en revanche, il contribuera à faire augmenter le marché parallèle, non seulement dans les départements frontaliers, mais aussi sur tout le territoire national.
Les autres pays européens souhaitent, comme nous, combattre les nuisances du tabac. Comme l’a suggéré la commission, nous devons donc nous mettre en conformité avec la directive européenne et nous engager dans la voie d’une harmonisation européenne.
Mme la présidente. La parole est à M. Yves Daudigny, pour explication de vote.
M. Yves Daudigny. Je me suis déjà exprimé sur ce sujet en début d’après-midi, après Mme la rapporteur et Mme la ministre, dans une sorte de mini débat sur le tabac. Les éléments exposés voilà quelques heures valant évidemment pour l’amendement n° 639, je ne les reprendrai pas.
Une très large majorité des membres du groupe socialiste et républicain s’abstiendront sur cet amendement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Laurence Cohen, pour explication de vote.
Mme Laurence Cohen. Notre débat est parfois un peu complexe. Nous examinons une loi de santé publique et nous étudions les incidences de produits licites comme l’alcool ou le tabac, qui causent des milliers de morts et ont d’importantes conséquences en termes de santé publique.
Je ressens une difficulté pour faire la part des choses entre ce qui relève des intérêts économiques – je ne les balaye absolument pas d’un revers de main, et les propos tenus à cet égard par notre collègue de Perpignan m’ont paru très intéressants – et ce qui relève de la santé publique. En l’occurrence, nous avons encore des progrès à faire.
Pour le groupe CRC, le paquet neutre doit s’inscrire dans une politique de prévention et d’accompagnement. Il ne peut s’agir d’une mesure isolée.
Cette mesure sera-t-elle efficace, voire la plus efficace ? Personnellement, je n’en sais rien, et je ne crois pas que quelqu’un le sache à ce stade. Il nous semble en tout cas positif de prendre des initiatives pour tenter de faire reculer l’addiction au tabac.
Devant cette difficulté, l’ensemble des membres de notre groupe, à l’instar de la plupart des membres du groupe socialiste et républicain, s’abstiendront, comme je l’ai annoncé lors de mon intervention dans la discussion générale.
Il ne nous semble pas que la démarche ait complètement abouti, et nous préférons donc rester sur cette position, en insistant sur la prévention, avec des moyens humains et financiers garantissant l’efficacité de cette politique.
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Bonnecarrère, pour explication de vote.
M. Philippe Bonnecarrère. Le débat oscille entre, d’un côté, l’idée qu’il ne faut pas surtransposer et, de l’autre, l’enjeu essentiel qu’est la santé publique.
Pour essayer de trancher ce débat, je ne suis pas forcément très sensible à la comparaison avec l’Australie, l’expérience nous ayant depuis longtemps appris, au plan national ou local, à nous méfier de ce type d’argumentation comparative qui n’a d’autre objet que d’infléchir les positions des uns et des autres, alors qu’il s’agirait plutôt de prendre les exemples sur le terrain même où le débat doit être tranché.
À la fin de votre intervention, madame la ministre, vous nous avez expliqué en substance que vous vous attendiez à un vote négatif du Sénat sur cet amendement, mais que vous chercheriez à obtenir satisfaction à l’Assemblée nationale, faute, avez-vous dit, d’alternative politique. Avec tout le respect que je vous dois, vous me permettrez de ne pas partager cette appréciation.
Il me semble que la stratégie politique alternative, qui relève du mandat que vous exercez au nom de notre pays, consiste à convaincre l’ensemble des pays de la Communauté des enjeux de santé publique. Votre responsabilité ne consiste pas à demander, demain, à l’Assemblée nationale de prendre le contre-pied du Sénat. Elle consiste, au nom de notre pays, et pour les motifs que vous avez largement évoqués vous-même, à convaincre l’ensemble des autres pays de la pertinence d’une directive différente, plus contraignante.
Il me semble, de surcroît, que vous disposez d’un outil juridique pour fonder votre action. En effet, aux termes de l’article 168 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, « un niveau élevé de protection de la santé humaine est assuré dans la définition et la mise en œuvre de toutes les politiques et actions de l’Union. » Cet article précise aussi que l’action de l’Union « porte sur l’amélioration de la santé publique et la prévention des maladies et des affections humaines » et que « l’Union complète l’action menée par les États membres en vue de réduire les effets nocifs de la drogue sur la santé ».
C’est bien là, me semble-t-il, que se situe votre responsabilité politique, madame la ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Gillot, pour explication de vote.
Mme Dominique Gillot. Cet amendement du Gouvernement développe une mesure forte et emblématique du programme national de réduction du tabagisme 2014-2015, partie intégrante du plan national cancer visant à combattre toutes les formes de cancers évitables.
La lutte contre le tabagisme prend plusieurs formes qui s’additionnent et se complètent dans une stratégie globale comportant, notamment, la résistance aux stratégies commerciales des industriels, la dénormalisation sociale du tabac, la réduction de l’attractivité de ces produits et leur stigmatisation comme produits dangereux.
Cette stratégie, de nature à contribuer à atteindre l’objectif, passe par l’instauration du paquet générique de cigarettes et de tabac.
Devant cette démarche radicale, absolue de santé publique, qui rencontre l’hostilité d’un nombre important de commerçants – ces commerçants assurent par ailleurs, dans bien des endroits, une permanence de lieu de vie, de lien social et d’économie locale –, de nombreux sénateurs sont sensibilisés à la détresse exprimée par les buralistes, lesquels sont légitimement inquiets des conséquences, efficaces je le souhaite, de la mise en œuvre de cette mesure emblématique.
Mais combien parmi nous ont été confrontés ou ont vécu les conséquences douloureuses, dramatiques, létales du tabagisme ? Quel poids ont-elles dans la balance ? Où se situent-elles sur l’échelle de nos responsabilités ?
Face à cette levée de boucliers observée en direct par l’ensemble des exploitants qui se sentent menacés, vous avez le courage, madame la ministre, de tenir fermement cette mesure emblématique, soutenue par la communauté scientifique, la communauté médicale, les spécialistes et les associations de malades qui ont à connaître et à lutter contre les ravages du tabagisme, cause identifiée, incontestée et pourtant évitable de mortalité.
Cette action, tout à l’honneur de ministre de la santé que vous êtes, mérite le soutien de ceux qui croient aux politiques publiques protectrices de l’ensemble de nos concitoyens, particulièrement les plus fragiles que sont les plus jeunes, y compris contre leurs propres inclinaisons ou désir de prendre des risques « consentis », tout du moins tant qu’ils ne sont pas rattrapés par la maladie.
Autrefois, un jeune conscrit recevait dans son paquetage sa ration de tabac. Aujourd’hui, la connaissance a évolué. Nous savons que le tabagisme est hautement cancérigène et que sa réduction diminue d’autant la prévalence des cancers du fumeur. Le dernier plan cancer intègre la réduction du tabagisme comme un objectif majeur, ce qui justifie un engagement politique fort. C’est votre dignité et votre responsabilité de ministre de la santé et, pour toutes ces raisons, je voterai l’amendement que vous présentez et j’encourage mes collègues à faire de même.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Baptiste Lemoyne, pour explication de vote.
M. Jean-Baptiste Lemoyne. Quand on engage des réformes d’envergure, la méthode est importante. Pour ma part, je retiens du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin la méthodologie des « 3D » : diagnostic, dialogue, décision. Le respect de ces trois phases permet de prendre de bonnes mesures.
Sur le diagnostic, malheureusement, la disposition n’a pas fait l’objet d’une étude d’impact, car elle a été introduite par voie d’amendement à l’Assemblée nationale. J’ai vu que vous aviez commandé, via la Direction générale de la santé, une étude à M. Kopp, laquelle a été assez largement remise en question par un journaliste d’Alternatives économiques, soit une personne qui ne se situe pas forcément dans mon voisinage politique.
Quant au dialogue, il est vrai que beaucoup d’acteurs du dossier, notamment les buralistes, regrettent de ne pas avoir pu parler avec vous, madame la ministre.
Ces dispositions ont été décidées sans véritable échange, y compris sur les mesures d’accompagnement. Notre collègue Yves Daudigny évoquait le Compte-Nickel comme exemple de diversification d’activité possible pour les buralistes, mais ces derniers l’ont mis en place eux-mêmes, en partenariat avec une jeune entreprise innovante, sans rien devoir à l’État.
Encore une fois, les buralistes sont des agents assermentés par l’État. Comme tous les élus locaux, ils sont les petites mains de la République, souvent implantés dans des territoires ruraux, périurbains ou dans des zones difficiles. Ils sont importants pour le lien social et je pense que l’État s’honorerait à rouvrir le dialogue avec ces professionnels, que l’on peut d’une certaine manière considérer comme ses agents.
De surcroît, ainsi que certains de nos collègues l’ont rappelé, les risques de fraudes sont importants. Aujourd'hui, compte tenu de la rapidité des transports et de la facilité avec laquelle on franchit les frontières, nous sommes tous un peu frontaliers, que l’on réside dans la Meuse, chez Gérard Longuet, ou bien en plein centre de la France, chez Rémy Pointereau ! Et il est impossible d’ignorer que 25 % de la consommation, à l’heure actuelle, est le fruit de marchés parallèles contre lesquels il faut absolument lutter.
Sur ce sujet qui transcende largement les clivages, je suivrai naturellement la position de la commission. Madame la ministre, je vous invite simplement à entendre la voix de personnes qui demandent seulement à dialoguer avec vous et à préparer un nouveau contrat d’avenir. En effet, celui qui avait été initié voilà une dizaine d’années arrive bientôt à terme.
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Raison, pour explication de vote.
M. Michel Raison. Nous débattons d’un sujet très grave : le tabac cause près de 80 000 morts par an, sans compter les souffrances qui accompagnent ces décès.
C’est pour cela qu’il faut prendre des mesures efficaces. Les deux principales mesures dont l’efficacité est avérée en matière de lutte contre le tabagisme sont le prix du paquet et la prévention.
Le relèvement du prix du paquet se heurte au problème des zones frontalières. C’est pourquoi nous devons continuer à dialoguer avec nos voisins sur le sujet de l’harmonisation européenne.
Pour ce qui est de la prévention, nous avons encore des progrès à faire. J’ai la chance de n’avoir jamais fumé. Je ne suis pas plus malin que les autres, et ni mon frère ni ma sœur ne fument. Nous avons eu la chance d’avoir une grand-mère médecin qui nous expliquait positivement, sans nous l’interdire, pourquoi il était préférable que nous ne fumions pas, et nous ne l’avons pas fait.
Lorsque j’ai un caillou dans la chaussure, je ne prends pas un cachet d’aspirine, je commence par vider ma chaussure. Donc, il vaut mieux commencer par le début, c’est plus efficace. Le sujet a beau être grave, je finirai sur cette note d’humour, en vous recommandant, madame la ministre, plutôt que d’enlever les images sur les paquets de cigarettes, de retirer les cigarettes qui sont à l’intérieur ! (Sourires.)
M. Gérard Dériot. Eh oui !
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Vasselle, pour explication de vote.
M. Alain Vasselle. Le débat a été long, riche, et tous les arguments ont été développés par les uns et les autres sur l’opportunité de voter ou non ces amendements. Il semble toutefois qu’une majorité d’entre nous ne suivra pas la proposition de Mme le ministre.
Je ferai deux observations.
D’abord, je rejoins notre collègue du groupe socialiste qui a fait référence au droit des marques. J’ai le souvenir, lorsque je rapportais le budget de la sécurité sociale, que nous avions été confrontés à la question, qui n’est pas si simple, du droit des marques en ce qui concerne le médicament. Je vous invite donc, madame la ministre, à y regarder d’un peu plus près. En la matière, il y a lieu d’être prudent, sinon on risque, à commencer par vous-même, d’être rattrapé par des directives européennes sur le sujet.
Ensuite, comme cela a été dit par la plupart d’entre nous, la solution n’est pas ici. Vous vous trompez de lieu, madame la ministre. Ce n’est pas ici qu’il faut se battre sur ce dossier, c’est au niveau européen. (Marques d’approbation sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.) Vous prêchez pratiquement des convaincus sur la pertinence qu’il y aurait à légiférer dans ce domaine. Mais si la France est seule à le faire, alors que les autres pays européens ne légiféreraient pas en ce sens, c’est peine perdue ! C’est encourager le développement de la contrebande, et vous voyez bien ce qui se passe dans les pays frontaliers.
D'ailleurs, on en a fait l’expérience, même avant que vous proposiez une mesure de cette nature, lorsqu’on a augmenté le prix du tabac. À l’occasion de chaque loi de financement de la sécurité sociale – je me rappelle le combat de notre collègue Yves Bur à l’Assemblée nationale –, on relevait le prix du paquet de cigarettes. Si l’on a effectivement constaté une baisse en volume de la quantité de cigarettes vendues sur le territoire national, la consommation n’a cependant pas baissé en proportion, compte tenu de l’importation des cigarettes à partir des pays voisins.
En conclusion, je souligne une fois de plus que la commission des affaires sociales, avec l’aide de ses rapporteurs et de son président, a fait un excellent travail. Il faut lui faire confiance. Madame la ministre, vous avez déployé, comme nous tous, une belle énergie : je vous invite à manifester la même énergie non plus ici, chez nous, mais devant l’Europe, c'est-à-dire à Bruxelles ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)