M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères.
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment peut-on faire la guerre à ceux qui se nourrissent de la guerre ?
La guerre en Irak, dont Jacques Chirac nous avait protégés, est l’une des origines du terrorisme qui nous menace aujourd’hui. Au vue de l’histoire récente, il apparaît clairement que l’effondrement d’un État donne naissance au terrorisme.
Personne ici ne conteste aujourd’hui la nécessité de frapper Daech dans sa profondeur stratégique, dans ses centres névralgiques, au cœur même de son centre de gravité, c’est-à-dire en territoire syrien. La situation d’entre-deux, de « ni-ni », dans laquelle nous étions placés n’avait pas de sens d’un point de vue militaire. Le Président de la République propose aujourd’hui d’en sortir, nous en prenons acte.
Cette inflexion politique a un nom : l’émotion. Nous l’avons tous ressentie à la vue du corps d’un petit enfant de trois ans gisant sur une plage turque. Sa photo a servi de déclencheur, car ce petit garçon ressemblait trop à nos enfants. Il devenait alors nécessaire d’agir.
Étendre l’opération Chammal à la Syrie était au fond la décision la plus visible, la moins coûteuse et la plus immédiate. Toutefois, comme chacun l’a souligné, l’émotion ne doit pas fixer le cap de la diplomatie française.
Ce changement de pied est-il justifié ? Daech est sans aucun doute aujourd’hui l’ennemi principal, voire l’ennemi absolu. Cette hydre djihadiste sème chaos et terreur au Moyen-Orient, essaime en Arabie Saoudite et au Yémen, franchise les terroristes du Sahel, de la Libye et du Sinaï. Daech s’enrichit partout grâce au pétrole, au racket fiscal et au commerce des antiquités. Je n’évoquerai pas la déflagration possible et redoutée que pourrait provoquer la rencontre entre Daech, s’il poursuivait son expansion, et les Palestiniens, en particulier dans la bande de Gaza.
En pratiquant le terrorisme, Daech a fait entrer la guerre au cœur même de nos sociétés. La lutte contre Daech est donc sans aucun doute nécessaire, même si, sur le plan du droit international, nous ne pouvons pas nous appuyer sur une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies pour intervenir en Syrie ou sur l’appel à l’aide d’un gouvernement, dans le cadre de l’article 51 de la Charte des Nations unies.
Nos nouvelles initiatives militaires doivent également tenir compte de la « surchauffe opérationnelle » – je pèse mes mots –, liée à la dispersion des théâtres et à la diversité des opérations extérieures. Je rappelle ainsi que plus de 10 000 de nos militaires sont engagés dans ces opérations.
En l’occurrence, l’intervention en Syrie sera une extension de l’opération Chammal, c’est-à-dire un dispositif aérien accompagné de l’appui du groupe aéronaval. Ce dispositif sera financé sur le budget des opérations extérieures, lequel est chaque année supérieur à un milliard d’euros, contre les 450 millions initialement prévus. Il est donc de notre responsabilité de prévoir les moyens financiers correspondants à nos objectifs militaires. À cet égard, on mesure la pertinence des clauses de sauvegarde insérées par le Sénat dans la loi de programmation militaire !
L’intervention militaire sera-t-elle efficace ? D’un point de vue militaire, l’imbroglio épouvantable sur le terrain ne permettra sans doute que des frappes très ciblées. En un an, seules 200 frappes françaises ont eu lieu en Irak.
Chacun mesure avec un certain effarement la capacité de résilience de Daech, qui ne cesse de renaître malgré les coups qui lui sont portés. C’est ainsi que 10 000 combattants étrangers, venus de 80 pays, dont la France, sont venus grossir ses rangs en un an. Il nous faut donc bien mesurer les conséquences d’un engagement militaire en Syrie.
D’un point de vue opérationnel, notre action en Syrie permettra vraisemblablement de contenir l’avancée de Daech, mais non de renverser la situation, car la guerre se gagne au sol. Pour autant, je souscris pleinement à la décision de ne pas envoyer de troupes françaises sur le terrain. En effet, quels seraient nos points d’appui ? Les combattants kurdes, les soldats de l’armée irakienne, les opposants syriens modérés ?
Sachons tirer les leçons de l’intervention américaine en Irak en 2003. L’histoire a montré à quel point la décision de la France de s’y opposer était légitime. Ne tombons pas dans le piège qui nous est tendu visant à nous enfermer dans une guerre entre les musulmans et les prétendus « croisés » que nous serions. La situation appelle nécessairement une solution politique, comme cela a été affirmé avec clarté.
Nous devons bien entendu dissocier les terroristes des populations. En Irak, la mainmise chiite a provoqué des ressentiments qui nous privent du soutien des tribus sunnites et des cadres de l’armée baasiste. Nous apprécions l’action du Gouvernement, qui tente actuellement d’obtenir du gouvernement irakien qu’il s’ouvre à d’autres composantes.
Je partage bien entendu totalement l’analyse selon laquelle le régime de Bachar al-Assad est responsable en Syrie de la mort de 200 000 personnes. La culpabilité de Bachar est géante. C’est précisément cette analyse qui fonde depuis des mois l’action du Gouvernement.
Monsieur le ministre, nous pensons tous que notre politique étrangère doit être ambitieuse et qu’il nous faut aujourd’hui mettre en œuvre une politique diplomatique allant au-delà du « ni Bachar al-Assad ni les islamistes ». Il nous faut surmonter l’impuissance résultant de la situation d’équilibre trop longtemps maintenue et refonder notre politique diplomatique en tenant compte de l’axe Syrie-Russie-Iran qui se dessine aujourd’hui.
Nous observons une forme de glissement dans le discours de nos responsables, et je m’en réjouis, en particulier concernant le moment du départ de Bachar al-Assad ou les éléments du régime susceptibles d’être conservés. Nous constatons aussi une évolution notable et positive du discours sur le rôle de la Russie, qui d’évidence accroît son engagement en Syrie. En effet, la bonne application des accords de Minsk – la stratégie Normandie – permettra peut-être de lever les sanctions contre la Russie, ce qui serait utile de mon point de vue.
L’accord conclu avec l’Iran permet aussi d’envisager de mettre cet acteur majeur – pour ne pas dire principal – de la crise syrienne à la table des négociations, même si c’est difficile, compte tenu notamment du jeu joué par l’Arabie Saoudite.
Monsieur le ministre, travaillons à créer des espaces et œuvrons sans désemparer à un règlement politique de la crise. Il est urgent d’inscrire la diplomatie française dans ce jeu. Votre rôle est donc majeur. La politique étrangère doit continuer à guider notre politique de défense.
Conservons donc notre indépendance, laquelle est l’essence même de notre politique étrangère, et misons sur le génie de celle-ci, qui est de parler à tous et sans relâche.
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission. Nous ne pouvons pas rester dans une situation où les relations avec les États-Unis pourraient être ambiguës, où nos relations avec la Russie seraient fermées et nos relations avec l’Iran lentes.
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Jean-Pierre Raffarin, président de la commission. La France doit retrouver sa capacité de parler à tous, par la force de ses convictions, mais aussi par l’indépendance de sa stratégie. Alors seulement notre action militaire, par notre diplomatie, trouvera son sens. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Laurent Fabius, ministre. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie l’ensemble des orateurs de leur intervention. Bien sûr, comme le veut la tradition, et également par courtoisie, je répondrai à chacun d’entre eux, très brièvement cependant, ce dont je vous prie de me pardonner.
À M. Lorgeoux, j’adresse mes remerciements pour son soutien au Gouvernement, pour l’analyse très pertinente qu’il a faite de ce que représente Daech, pour son insistance – à juste raison – sur la notion de légitime défense, car c’est dans ce cadre que nous intervenons, et pour avoir souligné la nécessité de rechercher une solution politique, notamment avec l’Iran.
Je reviendrai sur ce point dans ma réponse aux autres orateurs.
Je remercie également Mme Aïchi, même si elle a eu recours à quelques formules qui ne recueillent pas mon soutien enthousiaste et spontané. (Sourires.) Ainsi, je ne souscris pas totalement à l’idée selon laquelle nous n’aurions pas de « vision globale ». Vous avez des informations, madame la sénatrice, nous aussi ! Vous avez vos idées, nous aussi !
Loin de moi l’idée de tenir des propos désagréables, mais j’ai parfois eu le sentiment au cours de ce débat que certains des orateurs considéraient que la politique internationale de la France serait plus facile à mener s’il n’y avait que la France ! (Sourires.) C’est exact, mais telle n’est pas la réalité ! Jaurès a dit des choses qui restent pertinentes sur l’idéal et le réel…
Vous avez insisté, madame Aïchi, avec raison, sur le rôle de l’Iran et dressé une liste de questions tout à fait pertinentes. Ce sont précisément ces questions auxquelles nous essayons de répondre. J’ai eu le sentiment – à moins que ce ne soit réellement le sens des propos que vous avez tenus – que vous souhaitiez que nous soutenions M. Bachar al-Assad. J’y reviendrai.
L’analyse qu’a faite M. Laurent n’est pas nouvelle en ce qui le concerne. Il a néanmoins, je pense, oublié un point. Dans son analyse, il a fait comme si notre objectif était de frapper Daech, de frapper Bachar al-Assad. Mais, cher ami, revenons au texte, qui n’est pas un prétexte : c’est la sécurité de la France qui est en cause. Si le Président de la République a décidé d’envoyer des avions, ce n’est pas, comme on l’a dit, un revirement de stratégie – j’accepte tout à fait le mot « adaptation », qui me paraît légitime – : notre perspective n’a pas changé, mais, compte tenu de l’évolution des circonstances, il serait fou de ne pas nous adapter.
Mesdames, messieurs les sénateurs, quand nous avons la preuve que des attentats qui visent le sol français sont conçus et organisés depuis le sol de la Syrie par Daech, alors le rôle du chef de l’État, notre rôle à tous, c’est de décider des opérations nécessaires. Celles-ci, bien sûr, doivent être précédées d’actions de renseignement. Vous connaissez tout cela par cœur.
Cher Pierre Laurent, vous avez beaucoup insisté sur les solutions politiques. J’y reviendrai, mais laissez-moi vous dire que c’est exactement ce que nous recherchons. Que croyez-vous que nous faisons, le Président de la République, le ministre de la défense et moi-même, lorsque – je parle pour moi – nous rencontrons les Iraniens ? Quel est le premier ministre des affaires étrangères à s’être rendu en Iran – non pas pour faire du commerce, celui-ci viendra en son temps – ? C’est le ministre français ! Qui a, comme tout le monde le reconnaît, donné le la, son imprimatur à l’accord sur le nucléaire iranien ? C’est la France ! Que faisais-je samedi dernier à Berlin sinon discuter de la Syrie avec le ministre Sergueï Lavrov ? Que faisons-nous lorsque, seuls avec les Allemands, nous discutons avec les Ukrainiens et les Russes sinon édifier d’indispensables passerelles ?
Vous avez tout à fait raison de poser des questions, mais il ne faut pas donner de fausses impressions sur ce qu’essaie de bâtir la diplomatie française. Simplement, ce n’est pas par l’opération du Saint-Esprit que l’Iran et la Russie, en particulier, mais aussi M. Bachar al-Assad, les populations arabes, la Turquie et les autres se rangeront à nos arguments, fussent-ils excellents.
Monsieur Laurent, vous avez aussi insisté, avec raison, sur la Palestine. Voilà quelques jours, nous avons reçu le gouvernement palestinien. Mahmoud Abbas sera à Paris dans quelques jours. Vous connaissez bien les responsables palestiniens et je ne veux pas trahir leur pensée, mais ils disent, y compris publiquement, que seul un pays se préoccupe de la situation en Palestine et du conflit israélo-palestinien : le nôtre. Ne laissons donc pas entendre le contraire.
M. Mézard, au début de son propos, a fait une analyse forte. Il a ensuite appelé à une réponse politique, et je ne peux que lui donner raison. Il a rappelé à juste titre dans quelles conditions le président Chirac, avec raison, avait refusé d’engager la France. Pour rendre justice à l’histoire, je rappelle que nos formations, à l’époque dans l’opposition, avaient soutenu immédiatement la position de Jacques Chirac – nous l’avions même peut-être précédée, mais nous n’étions pas au pouvoir. Quand il dit qu’il faut avoir de la suite dans les idées, je suis tout à fait d’accord avec lui. Nous nous y efforçons.
M. Rachline est intervenu brièvement, ainsi le veut le règlement du Sénat. Chaque fois que je l’entends, ses révélations mettent en défaut ma propre perspicacité.
Vous avez dit que nous étions les « valets des États-Unis » ; à vrai dire, je ne l’avais pas remarqué, eux non plus d’ailleurs. En revanche, j’ai bien compris que les deux personnes que vous soutenez sont le président Poutine et M. Bachar al-Assad. Je l’avais déjà remarqué.
Vous avez commencé votre intervention – aussi courte soit-elle – en disant que nous n’avions pas le droit d’intervenir. Mais, cher monsieur, nous intervenons au nom de la légitime défense pour défendre la sécurité des Français : c’est l’article 51 de la Charte des Nations unies. Et je ne peux pas ne pas être surpris – cela me donne même à réfléchir – lorsque vous prétendez que défendre la sécurité des Français ne nous donne pas le droit d’intervenir. Si, cela nous en donne le droit, c’est même un devoir.
M. Zocchetto a bien sûr abordé plusieurs sujets, comme il le fait chaque fois, avec talent. Il a en particulier soulevé, comme M. Longuet, qui a pris du recul et de la hauteur sur le plan historique, la question de l’Iran et de la Russie. Traitons donc de ce sujet majeur.
Nous discutons avec l’Iran et avec la Russie, mais discuter ne signifie pas nécessairement adopter les positions de l’autre. Encore faut-il les entendre.
Que me dit mon collègue M. Lavrov lorsque je m’entretiens avec lui ? Il me dit – et j’essaie de ne pas trahir sa pensée – : « Il ne faut pas que ce soit le chaos en Syrie. » Je lui réponds ceci : « Je suis bien d’accord, mais si ce n’est pas le chaos aujourd’hui, qu’est-ce qu’un chaos ? »
Une fois que nous avons eu ces échanges, toujours les mêmes, nous essayons d’avancer. La distinction très intéressante qu’a faite, me semble-t-il, M. Longuet, nous la reprenons à notre compte. Nous n’avons – c’est un euphémisme – aucune sympathie pour M. Bachar al-Assad, dont la politique, il faut le rappeler, est à l’origine du départ de 80 % de ceux qui ont quitté leur pays.
L’un d’entre vous, avec talent et émotion, a évoqué le petit garçon syrien échoué sur les côtes turques. Je rappelle, comme vous le savez certainement, que le père de ce petit garçon, avant d’être attaqué à Kobané, avait séjourné dans les geôles de M. Bachar al-Assad, où il avait été torturé, comme je l’ai lu. C’est donc le comportement de M. Bachar al-Assad qui a déclenché la fuite de cette famille ayant pris une telle importance.
Je ne dis pas que des évolutions ne sont pas possibles – d’ailleurs, vous les avez senties –, mais au-delà de l’argument moral, réel – nous sommes la France –, il y a un argument d’efficacité que je vous demande de prendre en considération. Si nous devions, comme le soutiennent les Russes, accepter, même si nous ne sommes pas mariés avec lui, de compter avec M. Bachar al-Assad et consulter les Syriens en organisant une élection – les Syriens ont déjà voté, dans les conditions que l’on sait –, alors nous nous interdirions ce que vous souhaitez tous, à savoir une Syrie unie respectant les minorités, les majorités, dotée d’un État fort dans un territoire en paix.
Ce n’est pas uniquement un argument moral que je vous demande de prendre en compte, c’est aussi un argument d’efficacité.
Lorsque je m’entretiens avec mon collègue Lavrov, il me dit qu’il ne faut pas que l’État s’écroule. Je suis tout à fait d’accord, car, le cas échéant, c’est la situation irakienne qui se reproduirait. Ensuite, nous discutons.
Lors des conférences de Genève 1 et de Genève 2, il a été décidé de mettre en place un gouvernement de transition doté de tous les pouvoirs exécutifs – c’est le texte. S’il est doté de tous les pouvoirs exécutifs, cela signifie que, d’une manière ou d’une autre, M. Bachar al-Assad se délestera de ses pouvoirs. Nous n’en sommes pas là et les discussions achoppent pour le moment.
Comme vous le savez, du matériel – et même probablement un peu plus que du matériel – a été envoyé à Tartous et à Lattaquié. J’ai interrogé mon collègue Lavrov à ce sujet. Cela a été dit par certains orateurs, il s’agirait de défendre les intérêts russes à Tartous. Mais, mesdames, messieurs les sénateurs, il est hors de question de dénier aux Russes le droit de défendre leurs intérêts en Syrie. Personne n’imagine un instant que nous allons les bouter hors de Tartous. Ces intérêts ne sont d’ailleurs pas aussi considérables qu’on le pense ; c’est une base à partir de laquelle les Russes observent ce qui se passe dans l’ensemble de la région. D’ailleurs, chaque grand pays dispose de ce type de base. Il n’est absolument pas question de remettre en cause la présence russe classique en Syrie.
Mon homologue russe m’affirme que, finalement, selon son gouvernement, toute solution passe par Bachar al-Assad et qu’il faut donc le soutenir. Fort bien, mais, s’il est écrit d’emblée que Bachar al-Assad est l’avenir de la Syrie, nous aurons énormément de mal – c’est un euphémisme ! – à trouver une solution pour ce pays.
Certains ont affirmé que l’Iran et la Russie, c’était la même chose. Non ! Ces deux pays n’ont pas des positions identiques, même s’ils soutiennent tous deux Bachar al-Assad. D’ailleurs, à certains égards, le soutien iranien est encore plus fort que celui de la Russie.
En effet, les Iraniens, sous bénéfice d’inventaire – je suis actuellement en discussion avec mon homologue Mohammad Javad Zarif, et le Président Rohani rendra visite au président Hollande –, déclarent que, quoi qu’il arrive, ce sera avec Bachar al-Assad. Cela pose évidemment une difficulté !
Que faisons-nous face à cela ? L’un d’entre vous nous a reproché de ne rien faire à l’ONU, tout en soulignant par ailleurs que la résolution proposée par M. Stephan Di Mistura avait été – et c’était la première fois sur cette question – adoptée à l’unanimité. Or la France fait bien partie de cette unanimité : n’est-elle pas membre permanent du Conseil de sécurité ?
Ce que nous avons fait, c’est permettre que cette résolution, dont la portée n’est certes pas très grande, mais qui constitue néanmoins un premier élément, puisse être votée à l’unanimité. Nous soutenons les travaux de Stephan Di Mistura et travaillons d’ailleurs en permanence avec lui. Lors de la prochaine session de l’Assemblée générale des Nations unies, qui s’ouvrira dans quelques jours, nous œuvrerons avec nos partenaires du P5, et au-delà si c’est possible, pour aller en ce sens. Seulement, n’oubliez pas les autres intervenants !
On a évoqué la Turquie, et nombre d’entre vous ont critiqué l’attitude de celle-ci. Soyons prudents : comme nous l’avons dit, c’est une bonne chose que la Turquie s’engage contre Daech. Dans le même temps, on ne va pas traiter la question kurde par une approche militaire. Donc, nous avons appelé à une négociation.
Et puis, il y a les pays du Golfe ! Quand il va falloir, à un moment, s’engager au sol, comme vous le préconisez, qui va le faire ? L’armée syrienne, bien sûr, mais il faudra d’autres troupes arabes, voisines. Comment s’engageraient-elles si aucune discussion n’est engagée avec ces pays ? Or il se trouve que c’est la France, toujours la France, je suis désolé de le dire, qui maintient le contact avec l’ensemble des pays du Golfe. Quel est le seul chef d’État qui ait été reçu par l’ensemble des pays du Golfe ? C’est le Président de la République française !
Le président Raffarin a eu raison de souligner que la clef, c’est l’indépendance. Nous sommes ceux qui parlent à la fois avec les États-Unis d’Amérique, la Russie, l’Iran, l’opposition syrienne, qui sont en même temps ouverts à des éléments du régime, qui parlent avec les populations arabes et les Turcs. C’est la position singulière de la France.
Malheureusement, ce n’est pas parce que nous discutons avec tous que nous convainquons tout le monde. Le reproche que l’on pourrait d’ailleurs nous adresser est de ne pas emporter la conviction de l’ensemble de nos interlocuteurs ; je l’accepte, mais on ne peut pas dire que nous soyons pour les uns contre les autres, ou pour les autres contre les uns, puisque, quand on examine la situation, c’est la France qui assure le lien.
D’aucuns pourraient alléguer que c’est à d’autres de remplir cette mission, comme les États-Unis d’Amérique. Peut-être, mais, sans vouloir aggraver la plaie, je me dois de rappeler des épisodes que l’histoire méditera. Souvenez-vous de cette intervention chimique qui avait dépassé la « ligne rouge » : la France était prête, contrairement à nos amis britanniques et américains. C’est à ce moment-là que les choses ont basculé, y compris dans d’autres parties du monde. Le Président Poutine a alors compris que beaucoup de choses étaient possibles. Gardons cela à l’esprit !
Je souhaiterais maintenant revenir sur les questions précises qu’a posées M. Longuet.
Il s’est d’abord interrogé sur les djihadistes français.
La France, vous le savez, s’est engagée à juger les criminels français qui relèvent de sa compétence et, au nom de notre ordre juridique, la Cour pénale internationale agit, dans ce cas, de façon subsidiaire. Néanmoins, je ne crois pas inutile de rappeler que c’est la France qui a proposé au Conseil de sécurité une résolution en ce sens, résolution à laquelle la Russie s’est opposée. Voilà, monsieur Longuet, la ligne à laquelle nous nous tiendrons sur ce point.
Vous avez dit par ailleurs que l’Europe devrait œuvrer davantage sur le plan humanitaire, y compris sur place. Je vous rejoins totalement.
Vous vous êtes aussi interrogé sur les conséquences d’une intervention pour notre sécurité, posant au passage une question difficile : que se serait-il passé à Palmyre, lors de l’avancée des troupes de Daech, si nous avions eu des forces au sol ? On ne refait pas l’histoire !
Quoi qu'il en soit, la position du Président de la République, chef des armées, est la suivante : pour des raisons qui sont liées à notre sécurité, nous allons survoler la zone visée afin d’obtenir des renseignements supplémentaires. S’il apparaît, lors de l’accomplissement de cette mission, que telle ou telle opération menace la sécurité de la France, nous nous réservons le droit d’intervenir. Nous n’avons pas été plus loin pour le moment.
La plupart d’entre vous ont estimé qu’il serait totalement déraisonnable d’engager les seules forces françaises au sol. Car j’ai lu des écrits qui prônaient un tel engagement, mais qui ont, en général, été aussitôt contrés par d’autres personnalités sans doute plus au fait de ces sujets. Une telle intervention serait non seulement déraisonnable mais encore dangereuse. Ce n’est donc pas ainsi que nous agirons.
Monsieur Longuet, vous avez employé une jolie formule au début de votre intervention : Bachar al-Assad, régime minoritaire, régime des minorités ! C’est vrai, et c’est pourquoi, dans notre quête vers un nouvel équilibre de la Syrie, l’une des conditions que nous posons à la fois aux éléments du régime et à l’opposition, c’est le respect des minorités.
Vous entretenez, les uns et les autres, des contacts avec les chrétiens. Si ceux-ci reconnaissent ne pas éprouver un grand amour pour Bachar al-Assad, ils mettent en avant les vives craintes qu’ils ressentent actuellement. Il faut donc leur assurer – ce sera une demande légitime de la France – qu’ils ne seront pas pénalisés ni, bien sûr, anéantis.
J’en viens à l’intervention du président Raffarin.
Vous avez dit « ni, ni ». Nous n’allons pas chipoter, mais nous sommes plutôt favorables au « et, et » ! (Sourires.) : et contre Daech, pour des raisons évidentes, et pour que Bachar al-Assad ne soit pas là éternellement, pour des raisons tout aussi évidentes.
Vous avez dit d’une façon très topique, et je vous en remercie, pourquoi il n’était pas raisonnable – j’emploie à dessein ce mot neutre – d’envoyer des troupes françaises au sol. Vous avez ensuite utilisé une expression très forte, évoquant « la géante culpabilité de Bachar al-Assad ».
Je ne rivaliserai pas d’adjectifs, mais je vous suggère de garder à l’esprit – si nous ne devions retenir que cet élément, ce serait déjà utile –, que cette affaire ne relève pas uniquement de la morale, même si celle-ci est importante ; c’est une question d’efficacité. N’oublions jamais que, à l’époque de la conférence de Genève 1, il n’y avait pas de terroristes en Syrie. C’est la façon dont une petite révolte, dans un coin de Syrie, a été mal prise qui aboutit aujourd’hui à l’expansion de troupes terroristes, au décès de 250 000 personnes et à l’apparition de milliers de réfugiés.
Je reviendrai sur une remarque de M. Raffarin que je partage totalement et qui va, je l’espère, nous permettre d’avancer, notamment lors de débats ultérieurs. Il a fort justement mis en avant la notion d’indépendance.
La France est une nation indépendante. Cela ne plaît pas à tout le monde, à l’étranger, mais c’est ainsi que nous concevons notre rôle – je ne parle pas seulement du gouvernement actuel, car c’est une tradition –, et c’est ce qui nous vaut parfois quelques batailles.
La France n’est pas indépendante au regard de l’exigence d’efficacité, ni des principes, ni d’une certaine vision de ce que doivent être le Proche et le Moyen-Orient. Mais elle est indépendante. Les autres pays ne le comprennent pas toujours…
On a cité les États-Unis, dont nous sommes un allié tout à fait loyal. Néanmoins, quand nous disons non, c’est non ! On a cité la Russie, qui est fort critiquée dans certains milieux, alors que nous avons une relation historique, stratégique avec ce pays. Néanmoins, quand la Russie agit comme elle le fait en Crimée, nous disons non !
S’agissant de l’Iran, nous ne pouvions pas être d’accord avec ce qu’il préparait sans doute sur le plan nucléaire. Nous l’avons dit. Puis, lorsque l’accord est apparu raisonnable, nous avons dit oui.
C’est cette indépendance qui donne à la France un poids plus important que celui que représente sa seule démographie.
Nous allons, écoutant bien sûr vos avis, vos conseils, vos opinions, vos objections, vos observations, poursuivre sur la voie que j’ai indiquée à l’occasion de ce débat, car, dans un domaine qui est si difficile, il importe, autant que faire se peut, que la représentation nationale soit unie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain, du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)