compte rendu intégral
Présidence de M. Thierry Foucaud
vice-président
Secrétaires :
M. Jean-Pierre Leleux,
Mme Valérie Létard.
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Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Modernisation du droit de l'outre-mer
Discussion en procédure accélérée d’un projet de loi dans le texte de la commission
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, après engagement de la procédure accélérée, du projet de loi relatif à la modernisation du droit de l’outre-mer (projet n° 422, texte de la commission n° 523, rapport n° 522).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Alain Vidalies, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, chargé des transports, de la mer et de la pêche. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous prie de bien vouloir excuser Mme la ministre des outre-mer, George Pau-Langevin, actuellement en convalescence, qui reprendra ses activités dans quelques jours.
Le projet de loi relatif à la modernisation du droit de l’outre-mer examiné aujourd’hui par le Sénat peut étonner par la diversité des sujets qu’il traite, ce que vous n’avez d’ailleurs pas manqué de signaler, monsieur le rapporteur. (Sourires.)
Depuis 2012, le Gouvernement a soumis au Parlement plusieurs textes dont l’homogénéité interne s’expliquait par leur objet même : la loi relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, la loi organique relative à la Nouvelle-Calédonie, la loi modifiant la loi n° 2004-639 du 2 juillet 2004 relative à l’octroi de mer. Il lui soumettra dans les prochains jours le projet de loi organique relatif à la consultation sur l’accession de la Nouvelle-Calédonie à la pleine souveraineté, et, à la fin de l’année 2015, un projet de loi organique toilettant le statut de la Polynésie française.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous le savez mieux que quiconque, le droit de l’outre-mer est aujourd’hui le droit « des outre-mer », et aucune des douze collectivités ultramarines n’a un statut totalement identique à une autre. Nombre d’adaptations sont indispensables à ces collectivités et il a paru nécessaire de rassembler ces dispositions « orphelines », si je puis dire, dans un texte spécifique. Cette volonté explique la structure du projet de loi qui vous est aujourd'hui soumis.
Ce projet de loi s’inscrit dans la continuité de l’action du Gouvernement à l’égard des outre-mer, qu’illustrent notamment les textes législatifs que je viens d’énumérer.
Ce projet de loi est important à un double titre : d’une part, il contribue à l’actualisation de certaines dispositions législatives applicables aux collectivités ultramarines ; d’autre part, il permet le déploiement d’outils adaptés pour répondre aux spécificités et aux enjeux auxquels certains territoires sont confrontés.
Ce projet de loi comporte ainsi diverses mesures que nous pouvons rassembler autour de cinq grandes thématiques : l’économie, la maîtrise et l’aménagement foncier, la fonction publique, les collectivités territoriales, la sécurité et la sûreté.
Premièrement, dans le domaine économique, le Gouvernement a souhaité étendre à la collectivité de Saint-Martin les dispositions relatives à la modération des prix instituées par l’article 15 de la loi de 2012 relative à la régulation économique outre-mer et portant diverses dispositions relatives aux outre-mer. En effet, d’après les résultats que nous pouvons aujourd’hui évaluer, les observatoires des prix, des marges et des revenus, les OPMR, et les boucliers qualité-prix, les BQP, négociés sous l’égide des préfets, ont eu des effets importants sur le niveau des prix, permettant une baisse moyenne de 11 % sur les produits visés de l’ensemble des cinq départements concernés jusqu’à présent. Qui plus est, avec cette extension, nous répondrons à une demande pressante des élus locaux, car il n’existe pas aujourd’hui d’instance d’étude et de concertation sur la formation des prix.
Toujours en matière économique, mesdames, messieurs les sénateurs, vous noterez le changement de statut de l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité, la LADOM. Actuellement placée sous le statut de société d’État inscrite au registre du commerce, elle sera transformée en établissement public administratif. En effet, les missions dévolues à cette agence en matière d’insertion professionnelle des personnes résidant outre-mer, en particulier des jeunes, ainsi que la volonté d’offrir la possibilité aux salariés de la structure existante de conserver inchangé leur contrat de travail, ne permettent pas son rattachement à un établissement public existant. Ce changement de statut permet également de répondre à un double objectif de sécurisation et de rationalisation financière et juridique, conformément aux recommandations formulées par la Cour des comptes en 2001.
Enfin, ce projet de loi traduit dans les textes l’engagement du Président de la République pris à La Réunion au mois d’août 2014 de permettre une plus juste représentation du monde agricole dans les instances des caisses d’allocations familiales et de sécurité sociale pour tenir compte de la représentativité électorale locale.
Deuxièmement, dans le domaine de la maîtrise foncière et de l’aménagement du territoire, les outre-mer font face à des situations démographiques différentes de celles que connaît l’Hexagone. La Guyane et Mayotte sont deux territoires en pleine expansion. Compte tenu par exemple de la rareté des acteurs aptes à conduire des opérations d’aménagement à même de répondre aux enjeux de construction de logements, notamment sociaux, d’équipements et d’aménagement, cela constitue un défi majeur. Aussi a-t-il semblé indispensable de doter ces deux territoires d’outils adaptés. Les structures spécifiques en matière d’aménagement et de gestion foncière qui seront créées disposeront donc de toutes les compétences pour répondre aux défis en présence.
Par ailleurs, depuis une quinzaine d’années, les agences pour la mise en valeur des espaces urbains de la zone dite des « cinquante pas géométriques » de la Guadeloupe et de la Martinique visent à améliorer les conditions de vie des occupants de cette zone de 81,20 mètres délimitée sur le littoral et appartenant au domaine public maritime. Les missions de ces agences qui, après consultation des communes concernées, consistent à élaborer les programmes d’équipement des espaces urbains, à vérifier la compatibilité des demandes de cession avec les programmes d’équipement et à réaliser des travaux dans les quartiers ayant fait l’objet d’une classification spécifique en qualité de quartier d’habitat spontané, ne sont toujours pas terminées.
À la veille de leur extinction programmée au 1er janvier 2016, le Gouvernement a souhaité prolonger la durée de vie de ces agences jusqu’au 31 décembre 2018. Sur ce sujet, au-delà de la simple prolongation, le Gouvernement souhaite pouvoir trouver, en accord avec l’ensemble des acteurs concernés, les solutions pour « le jour d’après ». Le Gouvernement, en concertation avec les collectivités concernées, ne souhaite pas s’en tenir à une simple reconduction.
Troisièmement, dans le domaine de la fonction publique, compte tenu des spécificités propres à chacun des territoires ultramarins, le projet de loi modernise le droit applicable aux agents de la fonction publique. Ce sera ainsi le cas à Wallis-et Futuna où les agents qui exercent des missions de service public pour le compte de l’État et des circonscriptions territoriales pourront immédiatement bénéficier des dispositions de la loi du 12 mars 2012 relative à l’accès à l’emploi titulaire et à l’amélioration des conditions d’emploi des agents contractuels dans la fonction publique, à la lutte contre les discriminations et portant diverses dispositions relatives à la fonction publique, dite « loi Sauvadet ».
Dans un premier temps, les agents relevant du territoire de Wallis-et-Futuna verront leur situation évoluer en parallèle, à travers l’adoption par l’administrateur supérieur de Wallis-et-Futuna des mesures réglementaires nécessaires.
Dans un second temps, les agents, exerçant soit pour le compte de l’État ou des circonscriptions territoriales, soit pour le compte du territoire, qui auront opté pour un statut de droit public, ainsi qu’il leur sera prochainement proposé, pourront présenter les concours internes de chacune des trois fonctions publiques.
Pour les agents contractuels de la fonction publique des communes et groupements de communes de la Polynésie française, le Gouvernement a souhaité revenir au délai initialement fixé au mois de juillet 2015 par l’ordonnance du 4 janvier 2005 portant statut général des fonctionnaires des communes et des groupements de communes de la Polynésie française ainsi que de leurs établissements publics administratifs pour organiser soit leur intégration, soit leur rémunération s’ils ne l’intègrent pas. Pour ces derniers, un décret en Conseil d’État définira les modalités de révision de la rémunération. Nous aurons l’occasion de débattre de la question du délai, la commission ayant estimé qu’il devait être raccourci.
En outre, afin d’éviter que les agents ne voient leur délai d’option réduit, il est prévu que la proposition de classement soit adressée par l’autorité de nomination à l’agent dans le délai de trois mois à compter de l’ouverture par la collectivité ou l’établissement employeur de l’emploi concerné.
Enfin, le projet de loi prévoit que les fonctionnaires des communes de la Polynésie française auront la faculté d’effectuer des mobilités au sein des trois fonctions publiques métropolitaines. À ce jour, ce sont potentiellement 4 600 agents, répartis dans les 48 communes polynésiennes, qui pourraient bénéficier de cette disposition.
Quatrièmement, dans le domaine des collectivités territoriales, le Gouvernement a souhaité que la transparence financière des collectivités territoriales puisse être renforcée. Des mesures nouvelles s’appliqueront aux maires des communes et aux présidents des établissements publics de coopération intercommunale de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Nouvelle-Calédonie et de Polynésie française. Ceux-ci devront désormais présenter devant l’assemblée délibérante un rapport détaillant les actions entreprises à la suite des observations de la chambre territoriale des comptes.
En outre, dans les communes de Nouvelle-Calédonie comptant 3 500 habitants et plus, le débat d’orientation budgétaire devra être précédé d’un rapport de l’exécutif portant non seulement sur les orientations générales du budget et les engagements pluriannuels envisagés, mais également sur la structure et la gestion de la dette. Dans les communes de Nouvelle-Calédonie comptant 10 000 habitants et plus, ce rapport devra, de surcroît, faire l’objet d’une publication. Cette nouvelle obligation concernera six communes : Nouméa, Dumbéa, Le Mont-Dore, Lifou, Païta, Maré. Elle permettra aux élus et aux citoyens de disposer d’informations financières comparables.
Pour répondre à une demande exprimée par les élus des communes de plus de 80 000 habitants en Nouvelle-Calédonie, le projet de loi prévoit la possibilité pour ces communes de créer des postes d’adjoints chargés des quartiers. En l’espèce, cette disposition ne s’appliquera qu’à la seule commune de Nouméa.
Le projet de loi prévoit également la mise en œuvre d’un nouveau mode de désignation des maires délégués des communes associées de Polynésie française dans le but de renforcer l’effectivité de l’expression démocratique de chaque commune associée en Polynésie française. La désignation du maire délégué de chacune de ces communes associées devrait désormais se faire parmi les conseillers figurant sur la liste arrivée en tête au sein de la commune associée concernée.
L’association des maires de Polynésie française – il s’agit du syndicat pour la promotion des communes de la Polynésie française – s’est saisie de cette question dans le cadre plus large d’une réflexion sur les communes associées. Elle rendra ses travaux au mois de septembre prochain.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vos collègues polynésiens estiment opportun d’amender les dispositions contenues dans le projet de loi, de manière à ne pas préempter les conclusions qui seront rendues par le groupe de travail. Je sais que la commission des lois s’est montrée hésitante face à cette demande, mais il semble opportun, si vous en êtes d’accord, de faire droit à la demande de vos collègues. Nous aurons l’occasion d’en débattre.
Cinquièmement, dans le domaine de la sécurité et de la sûreté, nous nous sommes rendu compte que certaines dispositions adoptées l’an dernier, notamment la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme, avaient supprimé l’alinéa rendant applicable ce texte dans les terres australes et antarctiques françaises. Le projet de loi vient corriger cette suppression.
Face au risque de prolifération des armes sur le territoire de la Nouvelle-Calédonie et de ses conséquences potentielles en matière d’ordre public, le renforcement de la sécurité des Néo-Calédoniens paraît indispensable. Cela impose de maîtriser la prolifération des armes à feu sur le territoire. Aussi ce texte vise-t-il à limiter la progression de la circulation des armes sur le territoire calédonien, en édictant la base législative qui permettra d’instaurer par voie réglementaire un quota d’armes relevant de la catégorie C et du 1 de la catégorie D pouvant être détenues par les personnes majeures.
Outre le nombre maximal d’armes relevant de la catégorie C et du 1 de la catégorie D qu’une même personne physique majeure peut détenir simultanément, le décret en Conseil d’État prévoira les conditions de remise, de cession ou de destruction des armes excédentaires relevant de ces deux catégories dans un délai variant de trois mois à deux ans, en fonction de leur date d’achat, antérieure ou postérieure au 7 novembre 2013, date de l’annonce ministérielle de la mesure à la suite de laquelle de nombreux particuliers ont multiplié les achats d’armes. Sur cette question, il est du devoir de l’État de réglementer. Nous pourrons tous en convenir ici, les mesures d’encadrement et de règlement sont équilibrées.
Je n’ignore pas l’émoi que ce projet suscite en Nouvelle-Calédonie, et je tiens à vous indiquer que le Gouvernement, lors de l’élaboration du décret devant intervenir, veillera à procéder à une nouvelle et large consultation auprès de l’ensemble des acteurs concernés par la question.
Le projet de loi prévoit également le toilettage de plusieurs dispositions, qui vont de l’abrogation de la mention du répertoire local des entreprises à Mayotte, devenu obsolète avec l’existence du registre du commerce et des sociétés, à la mise en cohérence de diverses références du code de l’énergie en matière de stocks de sécurité de carburants à Mayotte pour prendre en considération son accès au statut de département.
Il convenait également de prendre en compte le fait que, depuis le 1er janvier 2012, la collectivité de Saint-Barthélemy a cessé d’être une région ultrapériphérique pour devenir un pays et territoire d’outre-mer. À la suite de ce changement de statut, le droit dérivé de l’Union européenne a cessé de s’appliquer de plein droit dans cette collectivité ultramarine.
Tel est en particulier le cas des dispositions européennes qui portent d’une manière générale sur la protection du consommateur dans le domaine du transport aérien et qui ne sont plus directement applicables à cette collectivité.
Le projet de loi vise ainsi à étendre à Saint-Barthélemy l’application de différentes règles : tout d’abord, les règles relatives aux exigences minimales d’assurance pour couvrir la responsabilité des transporteurs aériens et des exploitants d’aéronefs à l’égard des passagers, des bagages, du fret et des tiers ; ensuite, les règles instituant l’obligation de disposer d’un plan d’aide aux victimes et à leurs familles en cas d’accident aérien ; en outre, les règles portant interdiction du refus de transport pour cause de handicap ou de mobilité réduite et protégeant les personnes concernées contre cette forme de discrimination ; enfin, les règles visant à assurer l’information du passager sur l’identité du transporteur aérien effectif, notamment lorsque celle-ci n’est pas connue au moment de la réservation.
S’agissant de Saint-Barthélemy, je tiens à appeler votre attention sur un amendement déposé par le Gouvernement, qui vise à résoudre de manière pérenne les difficultés rencontrées par les habitants de la collectivité en matière de sécurité sociale, difficultés qui ont été rappelées ici lors de l’examen récent d’une proposition de loi organique relative à Saint-Barthélemy.
Par cet amendement, le Gouvernement entend confier l’application de la législation en matière de sécurité sociale à Saint-Barthélemy, pour la gestion des risques maladie, maternité, décès et invalidité, pour la gestion des risques d’accidents du travail et de maladies professionnelles, mais aussi pour le service des prestations familiales et l’action sociale, à une caisse de mutualité sociale agricole, qui disposera localement d’une caisse de proximité. Cette dernière sera désignée par le directeur de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole, dans des conditions définies par décret. Un conseil de suivi de l’activité de la caisse à Saint-Barthélemy sera en outre créé.
Je sais que le Parlement est sourcilleux lorsque le Gouvernement lui demande de l’habiliter à prendre par ordonnances des mesures qui sont normalement du domaine de la loi. Cette pratique, nous le savons tous, est encore trop souvent utilisée pour les outre-mer, mais elle se justifie aussi par la nécessité, compte tenu des spécificités juridiques de chaque collectivité, d’appréhender au mieux les mesures à étendre et les adaptations à effectuer.
Le Gouvernement vous demandera – nous aurons l’occasion d’en débattre – de l’habiliter à prendre plusieurs ordonnances dans des domaines très variés. Ces ordonnances sont justifiées, car, compte tenu des matières qu’elles recouvrent et de la complexité des mesures concernées, elles requièrent un travail spécifique d’approfondissement, que le présent projet de loi ne pouvait intégrer.
Il est en effet nécessaire, par exemple, de mettre en conformité le droit social applicable à Mayotte, à Wallis-et-Futuna et dans les terres australes et antarctiques françaises, les TAAF, avec les normes internationales minimales prévues par la convention du travail maritime de l’Organisation internationale du travail et la convention n° 188 sur le travail dans la pêche de l’OIT.
Le Gouvernement a déposé un amendement tendant à demander une nouvelle habilitation en matière de droit du travail à Mayotte afin de poursuivre le processus de rapprochement du droit applicable localement avec celui qui est en vigueur dans l’Hexagone, conformément au processus de départementalisation de la collectivité. La commission des lois du Sénat avait rejeté cette demande d’habilitation, la jugeant trop imprécise. Nous aurons l’occasion d’en débattre lors de l’examen de l’amendement, et j’espère que les précisions que le Gouvernement apportera vous convaincront, mesdames, messieurs les sénateurs, de la nécessité d’une telle habilitation.
Pour permettre à la Nouvelle-Calédonie d’exercer pleinement ses compétences et de rendre efficace la réglementation qu’elle édicte en matière de consommation, le Gouvernement souhaite être habilité à prendre par ordonnances les mesures visant à définir les conditions de recherche et de constatation des infractions au code local de la consommation et les sanctions applicables en cas de manquement aux injonctions délivrées par les agents assermentés de la Nouvelle-Calédonie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer le travail réalisé en commission, plus particulièrement par M. le rapporteur, car il a permis d’améliorer le projet de loi sur bien des sujets. Je ne vous cacherai pas toutefois que, sur certains points, le Gouvernement ne partage pas les choix opérés. Nous aurons là aussi l’occasion d’y revenir, et je ne doute pas que nous parviendrons à un accord sur les dispositions concernées.
Je conclurai en soulignant que ce texte couvre délibérément un spectre très large. Il permet soit d’actualiser, soit de moderniser le droit applicable aux outre-mer, notamment pour prendre en compte les spécificités de ces territoires. Je ne doute pas que nos échanges en séance permettront d’enrichir encore ce texte. (MM. Thani Mohamed Soilihi, Robert Laufoaulu et Michel Magras applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous sommes aujourd'hui appelés à examiner le projet de loi de modernisation du droit de l’outre-mer que vient de nous présenter de façon très complète M. le secrétaire d’État.
Pourtant, sous couvert de modernisation – c’est dans l’air du temps ! –, ce projet de loi vise en réalité à proroger de nombreux dispositifs transitoires et à prévoir expressément l’application de mesures aux collectivités d’outre-mer régies par le principe de spécialité législative. Bref, il ne s’agit nullement de moderniser le droit de l’outre-mer, et Mme la ministre des outre-mer en était d’ailleurs convenue lors de son audition par la commission des lois le 9 juin dernier.
Je souligne que ce projet de loi s’inscrit dans une série de textes dont l’objectif était de modifier diverses dispositions applicables à l’outre-mer. On rappellera pour mémoire que le Parlement a adopté voilà à peine un an et demi la loi du 15 novembre 2013 portant diverses dispositions relatives aux outre-mer, laquelle répondait déjà à ce souci d’actualisation et d’adaptation du droit ultramarin.
On peut regretter qu’aucune ligne directrice ne se dégage du texte qui nous est aujourd'hui soumis. Pourtant, des réflexions à long terme sont nécessaires pour les territoires ultramarins : c’est notamment le cas dans le domaine foncier, où le Gouvernement demande pour la quatrième fois la prolongation de l’existence des agences des cinquante pas géométriques. C’est là une pérennisation qui ne dit pas son nom… (M. Serge Larcher fait un signe d’approbation.)
Malgré le manque d’ambition de ce texte, la commission des lois a tenu à examiner ce dernier avec attention afin de conforter ses avancées, aussi modestes soient-elles, et de répondre aux besoins de nos concitoyens d’outre-mer. Il conviendrait cependant de l’enrichir de réflexions de long terme. Tel aurait pu être l’enjeu de la navette parlementaire si la procédure accélérée n’avait pas été engagée.
J’en profite pour saluer l’excellent travail de la délégation sénatoriale à l’outre-mer, qui a adopté jeudi dernier un rapport très documenté, intitulé Domaines public et privé de l’État outre-mer : 30 propositions pour mettre fin à une gestion jalouse et stérile. Comme vous le voyez, s’agissant au moins du titre, elle n’y est pas allée de main morte ! Les conclusions de ce rapport permettraient d’enrichir utilement le texte qui nous est aujourd'hui soumis. Plusieurs des propositions qu’il contient ont d’ailleurs donné lieu à des amendements au présent projet de loi.
Avant de présenter les modifications adoptées par la commission des lois, permettez-moi d’aborder deux points.
Le premier s’adresse au législateur que nous sommes. Nous devrions être plus attentifs, mes chers collègues, à l’applicabilité des lois dans les différentes collectivités ultramarines. Si nous nous y efforçons, le résultat n’est pas encore satisfaisant. Le Gouvernement, en particulier le ministère des outre-mer, devrait lui aussi s’interroger plus systématiquement sur la mise en œuvre des dispositions législatives dans les collectivités relevant de l’article 74 de la Constitution et en Nouvelle-Calédonie.
En effet, la discussion de textes législatifs consacrés aux outre-mer a souvent pour conséquence paradoxale de renvoyer la question de l’application de dispositions dans ces territoires à une ordonnance. Nous pourrions peut-être inscrire dans la loi que ces dispositions sont applicables outre-mer.
Le second point que je souhaite aborder porte justement sur les ordonnances. Nous ne pouvons que regretter que tous les textes relatifs aux outre-mer proposent de renouveler des habilitations arrivées à échéance. Nous constatons que le Gouvernement, quel qu’il soit, rencontre des difficultés à publier dans les délais impartis les ordonnances que le Parlement l’a habilité à prendre. À cet égard, l’exemple de l’habilitation pour le droit du travail à Mayotte qui court depuis le mois de novembre 2012 est très significatif. Pourtant, le Gouvernement demande aujourd'hui de nouvelles habilitations pour prendre les ordonnances qu’il n’a pu prendre dans les délais prévus ! On peut s’interroger sur l’utilité de certaines de ces ordonnances ou sur le travail des administrations centrales en la matière.
N’oublions pas que ces ordonnances ont pour objectif d’améliorer la vie de nos concitoyens ultramarins. Il serait bon que le Premier ministre, responsable de la coordination du travail gouvernemental, adresse des directives claires à l’ensemble des membres du Gouvernement pour que leur administration apporte sans restriction un soutien technique au ministère des outre-mer dans leurs secteurs respectifs de compétences.
Malgré ces deux réserves, la commission des lois du Sénat a adopté trente et un amendements, dont l’un de notre collègue M. Thani Mohamed Soilihi. Outre de nombreux amendements rédactionnels ou de précision, qui donneront lieu à des débats sur la manière dont la loi est rédigée, la commission a adopté des modifications qui s’articulent autour de deux axes.
Le premier a consisté à améliorer et à sécuriser les dispositions que je qualifierai de « court terme » du projet de loi. Ainsi la commission a-t-elle notamment défini plus précisément les ressources de l’Agence de l’outre-mer pour la mobilité, LADOM, et la composition de son conseil d’administration. Elle a ensuite fixé à cinq ans, au lieu de six, la durée du processus d’intégration à la fonction publique des contractuels des communes et des groupements de communes de la Polynésie française afin d’inciter ces collectivités à agir rapidement, ce qui ne sera peut-être pas possible. Elle a précisé le périmètre du détachement dans cette collectivité d’outre-mer, qui concernerait les seuls fonctionnaires et non les contractuels, comme en métropole.
Le second axe a consisté à encadrer les demandes d’habilitation du Gouvernement, notamment en réduisant les délais pour la publication des ordonnances ou en précisant le périmètre de certaines d’entre elles. La discussion des amendements nous conduira à en reparler puisque le Gouvernement demande de nouvelles habilitations. En septembre 2012, M. Jean-Pierre Sueur, alors président de la commission des lois, avait d’ailleurs interpellé à ce sujet le ministre des outre-mer de l’époque, M. Victorin Lurel. Il lui avait demandé si, à force d’habilitations, il comptait faire de Mayotte la « Terre des ordonnances ». Au vu des textes qui s’enchaînent, je pourrais aujourd’hui renouveler cette interrogation.
Pour conclure, il me semble indispensable d’engager sur certains sujets abordés dans le présent projet de loi une réflexion de long terme. Je citerai deux exemples.
Tout d’abord, l’encadrement des procédures comptables de LADOM ne sera pas suffisant. Il conviendrait d’adapter le budget de cette agence à l’accroissement de ses missions et de lui permettre d’agir dans certaines collectivités, ce qui n’est pas le cas aujourd'hui.
Ensuite, prolonger pour la quatrième fois l’activité des agences des cinquante pas géométriques en Guadeloupe et en Martinique représente une fuite en avant, le risque étant que la situation n’ait pas évolué à l’issue de cette nouvelle prolongation.
Il est nécessaire de proposer une solution pérenne en séance publique en coordination avec la délégation sénatoriale à l’outre-mer qui a présenté, comme je l’ai dit tout à l’heure, un rapport très intéressant sur cette problématique.
Enfin, monsieur le secrétaire d’État, je regrette que le Gouvernement continue de déposer des amendements après la réunion de commission. En effet, plusieurs amendements du Gouvernement sur des sujets nouveaux ont été déposés jusqu’à hier en fin d’après-midi. À l’instant, vous en avez même annoncé un autre dont je ne sais s’il a été déposé ou s’il le sera bientôt – je l’ai appris en séance, alors que c’est quand même une information importante pour le rapporteur ! Certes, le délai limite ne s’applique pas aux amendements du Gouvernement, qui fait ce qu’il veut ; mais il est d’usage que celui-ci respecte ce délai. En outre, la simple courtoisie voudrait au moins que le rapporteur soit averti du dépôt de nouveaux amendements. Cet usage semble se perdre, ce que l’on peut regretter pour un travail harmonieux et de qualité au Parlement.
Ainsi, mes chers collègues, sous réserve des amendements qu’elle vous proposera de voter, la commission des lois invite le Sénat à adopter le projet de loi tel qu’issu de ses travaux. (MM. Robert Laufoaulu, Serge Larcher et Félix Desplan applaudissent.)