Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la secrétaire d’État, je vous salue à l’occasion de votre première séance au Sénat, je vous souhaite bon courage et vous adresse tous mes vœux de succès.
Je tiens maintenant à saluer l’excellent rapport de M. Portelli, qui a accompli un travail de grande qualité, et très utile de surcroît.
Le groupe du RDSE a déposé cette proposition de loi organique non pas simplement pour le plaisir de débattre aujourd’hui, mais parce que la question des études d’impact et de leur utilisation par le Gouvernement pose un réel problème de démocratie parlementaire. Il n’est point besoin en effet de continuer à réaliser des études d’impact qui ne sont que des paravents ou des coquilles vides pour tenter de justifier une conformité strictement formelle à la loi.
L’actualité et l’ordre du jour du Parlement mettent chaque jour davantage en évidence les difficultés à réaliser un travail législatif de qualité. Or c’est la première mission du Parlement et donc de notre assemblée.
Madame Aïchi, il est malvenu que votre groupe donne des leçons de démocratie, surtout si vous fuyez immédiatement après les avoir données. Cela nous distingue fondamentalement, je ne suis pas un président de groupe qui passe son temps sur les plateaux de télévision et dans les sièges luxueux des avions gouvernementaux…
Mme Éliane Assassi. Moi non plus !
M. Jacques Mézard. Certes !
Quoi qu’il en soit, il est de bon ton, dans les médias nationaux et chez les commentateurs politiques, qui cumulent leurs interventions depuis de longues années dans de multiples médias écrits ou télévisuels, d’imputer au Parlement la responsabilité de l’encombrement législatif et de l’accumulation de textes à l’application aléatoire. J’entendais encore ce matin, sur une chaîne d’information en continu, un brillant éditorialiste à écharpe écharper une nouvelle fois le Parlement qui bloquerait les réformes. Au plus haut niveau, l’exécutif considère que le Parlement ne va pas assez vite, qu’il parle trop. Une seule chambre, avec un usage hebdomadaire de l’article 49-3 de la Constitution, conviendrait davantage, sans doute…
Mais ne vaudrait-il pas mieux poser les questions de fond : pourquoi cette inflation législative et réglementaire, due d’abord au Gouvernement ? Qui en est à l’origine, l’élu ou l’administration ? Est-il bien raisonnable que chaque ministre ou secrétaire d’État veuille sa loi, raison d’être de son passage au Gouvernement ? Est-il bien raisonnable que, du projet de loi relatif à la transition énergétique pour la croissance verte au projet de loi de modernisation de notre système de santé, en passant par le projet de loi Macron et tant d’autres, le Parlement soit submergé de projets de loi catalogues, lesquels comportent parfois des centaines d’articles, mélangeant souvent le législatif et le réglementaire et s’infiltrant dans le détail du quotidien de nos concitoyens ? Est-il raisonnable que la plupart de ces projets de loi, écrits dans une langue administrative peu compréhensible pour les citoyens, soient mis en discussion devant le Parlement en utilisant de manière quasi systématique la procédure accélérée ?
Pensez-vous vraiment, mes chers collègues, que le souci de nos concitoyens soit de modifier constamment la législation, et que ceux-ci soient convaincus que c’est le bon moyen pour améliorer leur condition de vie et créer des emplois ? Je consacre ma vie au droit, et je suis chaque jour davantage convaincu que, moins il y a de textes, plus et mieux on les applique. C’est un fait que l’on pourrait rappeler aux exécutifs successifs.
Oui, la loi doit tenir compte de l’évolution de la société, des bouleversements technologiques et sociaux, et parfois précéder ou lancer ces évolutions, mais cela n’a rien à voir avec la fièvre législative dont sont atteints nos exécutifs successifs, inspirés par une fonction publique certes très compétente, mais dont la propension à fabriquer des textes est mondialement reconnue.
Quand la loi n’est que réactive et à effet médiatique, il est difficile qu’elle soit de qualité. Oui, le corpus des futures actions d’un exécutif devrait être ficelé dans le pacte des candidats à l’élection présidentielle. Il est sain de légiférer en amont plutôt qu’en aval.
Et les études d’impact dans tout cela ? Elles n’ont de sens que si ce sont de véritables études décrivant les conséquences possibles de l’application du projet de loi qui sera examiné et si le Parlement a le temps nécessaire pour les analyser et travailler sur leurs manques ou leurs failles.
L’expérience acquise depuis la révision constitutionnelle de 2008 démontre la faiblesse chronique des études d’impact : paravents des textes qu’elles accompagnent en annexe, elles sont le plus souvent réalisées à la va-vite sur commande tardive pour permettre au Gouvernement de dire qu’une étude d’impact a été effectuée.
Le cas de la loi relative à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral en a été l’illustration : urgence et étude d’impact indigente, ce que personne ne conteste sérieusement. À la demande des groupes du RDSE, Les Républicains et CRC, la conférence des présidents a réagi le 26 juin 2014 en constatant – c’était la première fois – « la méconnaissance des règles fixées par la loi organique du 15 avril 2009 », ce qui a obligé le Premier ministre à saisir le Conseil constitutionnel, lequel a balayé la position du Sénat dans une décision lapidaire que je ne commenterai pas ; d’autres viennent de le faire mieux que je ne le pourrais.
Je rappellerai simplement que le projet de loi et l’étude d’impact ont été déposés au Sénat le 18 juin 2014 pour un examen au fond quelques jours après. Cela démontre, s’il en était encore besoin, que ce type d’étude d’impact associé à l’urgence n’a strictement aucun intérêt, et que toutes les arguties pour soutenir le contraire relèvent d’un pur cynisme et d’un profond mépris du travail parlementaire.
Voilà pourquoi nous avons demandé l’inscription à l’ordre du jour de la présente proposition de loi organique. Qui ne dit mot consent, et le devoir du parlementaire, ce n’est pas de passer son temps sur les plateaux de télévision, c’est d’indiquer à l’exécutif, quel qu’il soit, son sentiment sur ses méthodes.
Nous nous sommes entretenus avec le rapporteur. Dans un souci d’efficacité, les membres de mon groupe se sont ralliés aux conclusions de son excellent rapport. Les mesures qu’il propose apporteront un plus à la vie parlementaire et donc à l’élaboration de la loi.
Je m’étonne que le groupe socialiste et républicain piétine ce qu’il avait essayé de faire adopter voilà quelques années. Je vous le dis souvent, mes chers collègues, avec toute l’amitié que j’ai pour vous : vous brûlez toujours ce que vous avez adoré, et vous adorez toujours ce que vous avez brûlé. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l'UDI-UC et du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacky Deromedi.
Mme Jacky Deromedi. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi organique de Jacques Mézard et plusieurs des membres du groupe du RDSE nous donne l’occasion d’évoquer le rôle du Conseil constitutionnel dans nos institutions.
Le Conseil a gagné ses lettres de noblesse grâce aux décisions qu’il a rendues dans le domaine des libertés publiques. L’instauration de la question prioritaire de constitutionnalité, la QPC, a conforté sa mission en la matière. Toutefois, il ne faudrait pas oublier que la Constitution lui confie également des attributions particulières en termes de contrôle du bon déroulement de la procédure législative. La récente réforme constitutionnelle de 2008 a complété ces attributions en ce qui concerne la présentation des projets de loi.
La présente proposition de loi organique porte sur cette mission du Conseil constitutionnel. Qu’en est-il aujourd’hui du respect par le Conseil des compétences respectives du pouvoir exécutif et du Parlement ? Y aurait-il dans sa jurisprudence, comme l’affirment certains commentateurs, deux poids, deux mesures en faveur du pouvoir exécutif et au détriment du Parlement ?
L’une des difficultés que rencontre le Conseil constitutionnel est de devoir interpréter des règles constitutionnelles et organiques très générales. Il en donne des interprétations de plus en plus détaillées. Cette situation fait courir un risque : le Conseil pourrait être tenté de rendre des arrêts de règlement.
De fait, sa jurisprudence présente un certain contraste. Dans certains cas, il adopte des interprétations très rigoureuses, très formalistes des procédures légales : la toute récente démission d’office de quatre membres de la Haute Assemblée – elle a fait l’objet de critiques – en est un exemple probant. Dans d’autres situations, il émet une interprétation très souple, dégagée de formalisme, généralement au profit du pouvoir exécutif. Tel est le cas en matière budgétaire, lorsqu’il s’agit d’apprécier la sincérité des évaluations de recettes et de dépenses, ou encore pour les lois d’habilitation, dont les termes sont parfois extrêmement généraux ; le Conseil autorise cette généralité. Ce fut le cas, bien évidemment, dans la décision du 1er juillet 2014 sur les études d’impact qu’a critiquée Jacques Mézard
La loi organique du 15 avril 2009 dispose que les projets de loi doivent faire l’objet d’une étude d’impact et précise les informations que doit contenir chaque étude. L’an dernier, la conférence des présidents du Sénat a estimé que l’étude d’impact jointe au projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral n’était pas conforme à la loi organique précitée. Saisi par le Premier ministre, le Conseil constitutionnel a jugé, le 1er juillet 2014, que cette étude respectait au contraire les conditions fixées par cette loi.
Cette décision a été critiquée en doctrine. M. le rapporteur cite à juste titre le commentaire du professeur Pontier, selon lequel « la solution du Conseil constitutionnel paraît […] inconsistante, parce que l’occasion était donnée au Conseil d’opérer un contrôle de l’exigence d’études d’impact, et qu’il ne l’a pas saisie ». Le professeur Pontier regrette les « approximations » factuelles de l’étude d’impact et l’absence d’étude historique sérieuse, au point que l’étude « donne l’impression d’avoir été faite “à la va-vite”, sans véritable travail de réflexion ». Le contrôle du Conseil Constitutionnel est donc purement formel ; il contraste avec celui du Conseil d’État qui l’a conduit à demander trente-six fois au Gouvernement de compléter des études d’impact.
À la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014, la question qui se pose est de savoir si les études d’impact ont encore un sens. Nul doute que, malgré les insuffisances dont elles souffrent parfois, elles apportent des informations intéressantes et nécessaires au Parlement et l’aident à se prononcer en meilleure connaissance de cause. Il est donc préférable de les maintenir, quelle que soit l’analyse faite par le Conseil constitutionnel.
Je soutiens les mesures adoptées par la commission des lois. Elles imposent des contraintes supplémentaires au Gouvernement : il devra motiver l’utilisation de la procédure accélérée ; il devra joindre l’avis rendu par le Conseil d’État, lorsqu’il aura décidé de le rendre public ; les amendements du Gouvernement tendant à apporter une modification substantielle au texte initial devront faire l’objet d’une étude d’impact. Par ailleurs, la conférence des présidents disposera d’un délai de trente jours – contre dix actuellement – pour saisir le Conseil constitutionnel.
Le groupe Les Républicains soutient totalement les conclusions de la commission des lois, et il remercie son président, Philippe Bas, et son rapporteur, Hugues Portelli, de l’excellent travail qu’ils ont effectué. Nous voterons cette proposition de loi organique, persuadés qu’elle contribuera à renforcer les moyens d’action et d’information du Parlement. (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, « si Alexandre penche la tête, ses courtisans penchent la tête », écrivait Nicolas Malebranche, déjà cité, pour dénoncer le conformisme. Jamais je n’accuserai de conformisme Jacques Mézard et Pierre-Yves Collombat.
Pour m’inscrire dans cette tradition, je m’exprimerai à titre totalement personnel ; mes propos n’engageront en rien le groupe auquel j’appartiens.
J’étais hostile à l’obligation d’adjoindre une étude d’impact aux projets de loi lorsqu’elle fut instaurée. J’y reste défavorable. J’eusse aimé, cher Jacques Mézard, que vous nous eussiez présenté une proposition de loi constitutionnelle pour réformer la Constitution à cet égard. Je veux, madame la secrétaire d'État, m’en expliquer.
Je crois profondément que l’impact de la loi est justement l’objet du débat politique. Faire des choix politiques, c’est engager la conviction que l’on porte en soi pour telle ou telle réforme. Aucune étude d’impact ne peut prédire à l’avance, de manière incontestable et absolue, quel sera l’effet – ou la cause, mon cher Pierre-Yves Collombat, qu’elle soit accidentelle, essentielle ou finale – d’une loi.
Prenons un exemple très simple. Imaginons qu’un projet de loi relatif aux organismes génétiquement modifiés, ou OGM, soit déposé. Je suis persuadé que, lors de son examen en séance publique, la première intervention serait une contestation de la validité de l’étude d’impact, car, selon ce que l’on pense du sujet, on estimera que l’étude est bonne ou qu’elle est mauvaise.
Autrement dit, l’étude d'impact obéit à une illusion, y compris d’ordre méthodologique et philosophique : celle de croire qu’il y aurait, sur l’impact de la loi, une vérité qui surplomberait le Gouvernement et le Parlement, la majorité et l’opposition, une vérité qui s’imposerait à tous. Une telle vérité n’existe pas ! Par définition, les études d'impact seront toujours contestées et contestables.
Par conséquent, et non sans une pensée pour les fonctionnaires des différents ministères chargés de ce pensum – vous pourrez bientôt constater, madame la secrétaire d'État, que leur rédaction est un exercice très long et très difficile et que le résultat est toujours jugé insuffisant –, je considère, pour ma part, qu’il faut éviter de se perdre dans des études d'impact et résister à cette idée toute faite qu’elles établiraient la vérité.
Il est préférable que le Gouvernement et le Parlement puissent tout simplement disposer des meilleurs moyens d’expertise et solliciter les experts et les scientifiques qu’ils souhaitent entendre sur un certain nombre de points, de textes, de projets. Cela suppose, naturellement, des moyens et, comme Jacques Mézard l’a dit très justement, une conception du temps législatif qui ne soit pas incompatible avec le débat parlementaire lui-même et avec l’analyse de la loi.
Il faut du temps pour faire de bonnes lois et pour les expertiser, mais ce qu’il faut, c’est que chacun – Parlement et Gouvernement – dispose des capacités d’expertise nécessaires.
Je ne crois donc pas à des études d'impact objectives. Hier soir, nous avons examiné une proposition de loi sur la fin de vie. Que vaut une étude d'impact sur un tel sujet ? Pour ce qui me concerne, je pense que, dans un tel débat, il faut procéder à de nombreuses auditions, entendre de nombreux praticiens, penseurs, scientifiques, analystes… Mais, en tant que parlementaires, il nous revient de nous battre pour la conception qui nous paraît la plus juste, la plus humaine, la plus conforme au droit et à l’intérêt général.
Je le répète, il ne me semble pas qu’une étude d'impact puisse dégager une vérité qui s’imposerait absolument à tout le monde. Il est inévitable que les études d'impact fassent l’objet de critiques, car elles ne peuvent pas répondre à l’objet qu’on leur assigne.
Ne restons pas au milieu du chemin ! Mon cher Pierre-Yves Collombat, vous qui enseignâtes avec tant de talent la philosophie, je veux vous rappeler que Nicolas Malebranche, qui a déjà été cité, disait fort justement : « Les préjugés occupent une partie de l’esprit et en infectent tout le reste. »
M. Pierre-Yves Collombat. Internet est fabuleux…
M. Jean-Pierre Sueur. Puisque nous sommes entre nous, je ne résiste pas au plaisir de vous faire part d’une autre citation de Nicolas Malebranche, qui est restée gravée dans mon esprit, car je la trouve très forte : « il faut toujours rendre justice avant que d’exercer la charité. » (MM. Pierre-Yves Collombat et Philippe Kaltenbach applaudissent.)
Mme la présidente. La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte de la commission.
PROPOSITION DE LOI ORGANIQUE TENDANT À MODIFIER LES DISPOSITIONS DE LA LOI ORGANIQUE DU 15 AVRIL 2009 RELATIVES AUX CONDITIONS D’INFORMATION DES ASSEMBLÉES
Article 1er A (nouveau)
Après l’article 7 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, il est inséré un article 7-1 ainsi rédigé :
« Art. 7-1. – Est joint au projet de loi auquel il se rapporte un document motivant l’engagement de la procédure accélérée lorsque, au plus tard, le Gouvernement décide d’engager cette procédure au dépôt du projet de loi.
« Le précédent alinéa n’est pas applicable aux projets de révision constitutionnelle, aux projets de loi de finances, aux projets de loi de financement de la sécurité sociale ainsi qu’aux projets de loi prorogeant des états de crise. »
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l'article.
M. Pierre-Yves Collombat. Je tiens à intervenir avant que ne débute l’examen des amendements et, d’une certaine manière, de la substance du texte, parce que notre débat me semble assez révélateur de la façon dont fonctionnent nos institutions : le nombre de sénateurs présents dans l’hémicycle cet après-midi est significatif, en dépit des plaintes, en dépit des colonnes que l’on nous demande de remplir ; toutefois, il ne se passe rien !
Qu’est-ce qu’une démocratie qui fonctionne ? C’est une démocratie dans laquelle les changements de majorité se traduisent par des changements de politique sur l’essentiel.
Mme Éliane Assassi. Nous sommes d’accord !
M. Pierre-Yves Collombat. Or nous constatons que nous changeons régulièrement de majorité sans changer de politique sur l’essentiel. Ceux qui s’insurgeaient hier sont aujourd'hui d’accord… Ils auront bientôt l’occasion de s’insurger de nouveau !
Comment voulez-vous que l’on avance dans ces conditions ? Comment voulez-vous que le bon peuple ait confiance dans ses institutions ? Et l’on s’étonne après qu’il n’aille plus voter ou qu’il ait parfois des façons un peu surprenantes de s’exprimer…
De cela, nous avons un très bel exemple aujourd'hui.
De ce point de vue, accuser ceux qui n’ont pas changé de position sur cette question de se livrer à des tactiques politiciennes, c’est se moquer du monde !
M. Jacques Mézard. Eh oui !
M. Pierre-Yves Collombat. Ce sont quasiment les seuls à demeurer constants ! Mais peut-être est-ce un compliment dans la bouche d’experts en la matière…
Bien évidemment, je conçois que l’on puisse discuter de la validité du moyen que nous proposons. Toujours est-il qu’il faut bien, de temps en temps, mettre un peu les pieds dans le plat et dire : « le roi est nu ! »
Mme la présidente. L'amendement n° 1, présenté par M. Kaltenbach et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Le présent amendement vise à supprimer une disposition introduite en commission, sur l’initiative de M. le rapporteur
Le texte prévoit désormais qu’il sera demandé au Gouvernement de joindre « au projet de loi auquel il se rapporte un document motivant l'engagement de la procédure accélérée ».
Bien évidemment, je ne remets pas en cause l’utilité de connaître les motivations du Gouvernement et je partage la volonté de M. le rapporteur d’en disposer.
Toutefois, j’ai noté, lors des travaux de la commission, que cette disposition pourrait avoir un effet pervers et être contreproductive. En effet, la mesure ne s’appliquerait que lorsque le Gouvernement décide d’engager la procédure accélérée au dépôt du projet de loi.
Une telle disposition pourrait inciter les gouvernements, qu’ils soient de gauche ou de droite, à recourir systématiquement à la procédure accélérée après le dépôt de leurs textes, puisque, dans ce cas, ils n’auraient plus à motiver leur décision d’y recourir. Tout cela serait de nature à nuire à la visibilité des parlementaires sur leurs travaux.
C’est ce constat qui a motivé le dépôt de cet amendement de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Hugues Portelli, rapporteur. La commission émet un avis défavorable, pour une raison très simple : de son point de vue, cette disposition n’aura aucun effet pervers.
En effet, demander au Gouvernement de motiver le recours à la procédure accélérée ne limite en rien son pouvoir d’initiative en matière législative, qui demeure total. Cela permet simplement d’éclairer le Parlement. Les conférences des présidents des deux assemblées pouvant s’opposer conjointement à l’engagement de la procédure accélérée pour l’examen d’un texte, autant qu’elles puissent se prononcer en connaissance de cause !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Clotilde Valter, secrétaire d'État. L’article 1er A ajoute à la loi organique du 15 avril 2009 un article 7-1, qui oblige le Gouvernement à justifier du recours à la procédure accélérée.
Cette obligation pose une difficulté constitutionnelle, car les articles 42 et 45 de la Constitution qui régissent la procédure accélérée ne renvoient pas à une loi organique. Dès lors, le Parlement ne peut pas obliger le Gouvernement à motiver le recours à la procédure accélérée. Les renvois à la loi organique relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution ne peuvent constituer un fondement suffisant.
En outre, nous pouvons redouter, à l’instar de Philippe Kaltenbach, que la nouvelle obligation issue de l’article 1er A n’ait un effet pervers. En effet, elle pourrait avoir pour conséquence d’inciter le Gouvernement à retarder l’annonce de l’engagement de la procédure accélérée après le dépôt du projet de loi. Or il n’est pas dans l’intérêt du Parlement qu’un tel engagement soit différé dans le temps.
Pour ces raisons, le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement de suppression.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Hugues Portelli, rapporteur. Je veux juste apporter une précision, madame la présidente.
L’amendement adopté par la commission et qui est à l’origine de l’article 1er A est fondé non pas sur l’article 45, mais sur l’article 39 de la Constitution, c'est-à-dire sur les conditions de dépôt des projets de loi. Il ne porte donc nullement atteinte à la Constitution.
Mme Éliane Assassi. Voilà !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Étant donné les objections qui nous sont faites dès à présent, j’ai quelques craintes sur le sort qui sera réservé à la demande que nous formulerons ultérieurement – que le Gouvernement motive en droit ses propositions.
Indépendamment de toute argutie juridique, il est élémentaire que le Gouvernement justifie des raisons pour lesquelles il engage la procédure accélérée. À moins qu’il n’ait pas de raison de l’engager… si ce n’est pour faire passer de nombreuses lois dont on puisse parler à la télévision !
Si l’on veut lutter contre l’encombrement législatif, la disposition figurant à l’article 1er A est la meilleure façon de procéder. En outre, une telle motivation est une politesse élémentaire à l’égard du Parlement !
Je trouve assez curieux que de grands chantres de la démocratie refusent ce qui est de bon sens !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Avec cet article, nous touchons au fond du débat sur le fonctionnement parlementaire. Certes, le sujet ne déchaîne pas l’intérêt des médias. Pourtant, il est fondamental.
Mme la secrétaire d'État nous dit que les dispositions de l’article 1er A ne seraient ni cohérentes ni compatibles avec la Constitution. C’est tout à fait inexact. M. le rapporteur vient de le rappeler. L’amendement qu’il a déposé en vue de l’élaboration du texte de la commission, auquel nous souscrivons totalement, est fondé sur l’article 39 de la Constitution.
Cela étant, je constate que certains peuvent, pendant des années, chanter les louanges de la démocratie parlementaire et appeler à son renforcement et nous dire aujourd'hui que le Gouvernement, quel qu’il soit, doit pouvoir utiliser la procédure accélérée quand il le veut et pour n’importe quel texte, parce que cela arrange sa communication. Ce n’est pas un exemple démocratique.
En tout état de cause, ceux qui s’associent à ce discours se souviendront, dans peu d’années, de ce qui s’est passé aujourd'hui : ils pourront compter sur Pierre-Yves Collombat et sur moi-même pour le leur rappeler... Je ne doute pas que, à ce moment, ils nous applaudiront chaleureusement ! (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er A.
(L'article 1er A est adopté.)
Article 1er B (nouveau)
Après l’article 7 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution, il est inséré un article 7-2 ainsi rédigé :
« Art. 7-2. – Est joint au projet de loi auquel il se rapporte l’avis rendu par le Conseil d’État en application du deuxième alinéa de l’article 39 de la Constitution, lorsque le Gouvernement a décidé de le rendre public. » – (Adopté.)
Article 1er
(Non modifié)
Les huitième à dixième alinéas de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution sont supprimés.
Mme la présidente. L'amendement n° 2, présenté par M. Kaltenbach et les membres du groupe socialiste et républicain, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Avec cet amendement de suppression, nous revenons au cœur du sujet.
En effet, la proposition de loi organique déposée par les membres du groupe du RDSE avait pour seul et unique objet de réduire la liste des précisions demandées dans les études d'impact – l’article unique du texte est, depuis, devenu l’article 1er.
Il nous est ainsi proposé, dans cet article, de supprimer les huitième à dixième alinéas de l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009, autrement dit, tout d’abord, « l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ainsi que des coûts et bénéfices financiers attendus des dispositions envisagées pour chaque catégorie d’administrations publiques et de personnes physiques et morales intéressées, en indiquant la méthode de calcul retenue », ensuite, « l’évaluation des conséquences des dispositions envisagées sur l’emploi public », enfin, « les consultations qui ont été menées avant la saisine du Conseil d’État ».
Or les membres du groupe socialiste et républicain considèrent que ces alinéas sont indispensables pour rendre les études d’impact pleinement utiles au Parlement. C'est la raison pour laquelle, par cet amendement, nous proposons en quelque sorte de « supprimer la suppression » voulue par le groupe du RDSE.