Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Clotilde Valter, secrétaire d’État auprès du Premier ministre, chargée de la réforme de l’État et de la simplification. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens d’abord à vous remercier du travail que vous avez accompli sur le présent texte.
Cela étant, la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 de modernisation des institutions de la Ve République a modifié l'article 39 de la Constitution aux termes duquel désormais « la présentation des projets de loi déposés devant l'Assemblée nationale ou le Sénat répond aux conditions fixées par une loi organique. » Sur ce fondement, comme vient de l’indiquer M. le rapporteur, l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 dispose : « Les projets de loi font l'objet d'une étude d'impact. » Ce même article précise le contenu de cette dernière.
L’intention du législateur était de renforcer les moyens du Parlement dans sa mission de contrôle et de vote des lois. Outre qu'elle constitue une exigence démocratique, l'obligation d'édicter des études d'impact contribue à une meilleure qualité de la loi alors que l'on reproche trop souvent à celle-ci d'être bavarde, avec toutes les conséquences que l'on connaît en termes d'insécurité juridique, d'instabilité du droit et, éventuellement, de contentieux.
Dans sa décision du 1er juillet 2014, le Conseil constitutionnel, saisi pour la première fois sur le fondement de l'article 39, alinéa 4, de la Constitution aux fins de contrôle d’une étude d'impact, a considéré « que [...] le contenu de cette étude d'impact répond à celles des autres prescriptions de l'article 8 de la loi organique du 15 avril 2009 qui trouvent effectivement à s'appliquer compte tenu de l'objet des dispositions du projet de loi en cause ; qu'il ne saurait en particulier être fait grief à cette étude d'impact de ne pas comporter de développements sur l'évolution du nombre des emplois publics dès lors que le Gouvernement ne mentionne pas la modification de ce nombre dans les objectifs poursuivis par ce projet de loi ».
Par cette décision, le Conseil constitutionnel a ainsi consacré une vision pragmatique de l’obligation qui pèse sur le Gouvernement. Nous pensons nous aussi que cette obligation ne doit pas être artificiellement formaliste. Si dans une démocratie, le Gouvernement se doit d’éclairer la représentation nationale sur les choix qu’il lui soumet, on ne saurait toutefois accepter que lui soient imposées des contraintes de pure façade qui ne seraient pas respectées. Telle n’était pas la volonté du constituant de 2008 et tel n’est pas le souhait du Gouvernement aujourd’hui.
Déposée au Sénat le 23 juillet 2014, la présente proposition de loi organique a été transmise à la commission des lois, laquelle a adopté un texte le 10 juin dernier. Elle comprenait à l’origine un article unique ainsi rédigé : « Les huitième à dixième alinéas de l’article 8 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution sont supprimés. »
En supprimant les rubriques les plus significatives et porteuses de contenu de ce texte, notamment l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, cette disposition a pour effet de vider de sa substance l’obligation qui pèse sur le Gouvernement. Or cette obligation lui est assignée pour que soit impérieusement respecté l’objectif du législateur de 2009, lequel était très attaché à la transparence démocratique et à la qualité de la loi.
Pour ces motifs, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est défavorable à cette proposition de loi organique. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. Pierre-Yves Collombat. Le Gouvernement veut travailler ! Le Gouvernement veut faire des études d’impact !
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Kaltenbach.
M. Philippe Kaltenbach. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous examinons la proposition de loi organique présentée par l’éminent président du groupe du RDSE, Jacques Mézard. Il s’agit, comme cela a été expliqué, d’une réaction à la décision du Conseil constitutionnel saisi par le Gouvernement après que la conférence des présidents ait souhaité contester l’étude d’impact annexée au projet de loi qui portait redécoupage des régions. On peut tous s’interroger sur une réaction qui ressemble à un geste d’humeur. Je crois toutefois que, indépendamment de son aspect quelque peu provocateur, cette proposition de loi nous donne l’occasion de revenir sur le fond de l’affaire, c’est-à-dire l’intérêt des études d’impact pour le fonctionnement du Parlement
Lorsque la réforme constitutionnelle de 2009 a été adoptée, je n’étais pas parlementaire. J’ai donc relu attentivement les déclarations des uns et des autres au moment des débats qui ont eu lieu alors. Et je dois en donner acte au groupe du RDSE, il est complètement cohérent, car, dès cette époque, Michel Charasse avait défendu en son nom l’idée selon laquelle les études d’impact n’étaient pas utiles
La situation est un peu différente pour les membres de l’ex-UMP. À défaut de celles de M. le rapporteur, j’ai retrouvé les déclarations de MM. Hyest, Gélard et Karoutchi, qui défendaient les études d’impact et apportaient un soutien clair et entier au Gouvernement. Je relève donc une évolution importante et pour le moins notable dans la position de mes collègues de l’exemple-UMP ! Je ne sais pas si c’est le changement de nom du groupe qui produit cette évolution…
Vous pourriez me rétorquer, mes chers collègues, que le groupe socialiste et républicain a également évolué, et vous n’auriez pas tort ! Mais nous avons maintenant, six ans après, le recul nécessaire pour apprécier l’importance et l’intérêt des études d’impact.
M. Pierre-Yves Collombat. Surtout, vous êtes au Gouvernement !
M. Philippe Kaltenbach. Pendant six ans, tout le monde a pu le constater, même si l’étude d’impact n’est pas parfaite, même si elle peut toujours être sujette à critiques, elle est aujourd’hui un élément indispensable pour le travail des parlementaires. Pour ma part, j’en suis vraiment profondément convaincu.
Je ne suis parlementaire que depuis quatre ans. Chaque fois que je travaille sur un projet de loi, je suis très attentif à l’étude d’impact parce qu’elle est une mine d’informations. Bien sûr, nous le savons, l’étude d’impact est là pour accompagner le texte du Gouvernement. Cela n’empêche pas qu’elle fournit des informations et des chiffres qui peuvent d’ailleurs parfois être utilisés pour contrer le discours du Gouvernement.
L’étude d’impact annexée au projet de loi relatif au redécoupage des régions a été abondamment critiquée voilà quelques mois. Quoi qu’il en soit, le Conseil constitutionnel a tranché. Officiellement saisi, il a apporté dans sa décision des réponses également précises aux questions précises qui lui avaient été posées.
Dans une démocratie moderne, il faut que la loi fondamentale puisse être respectée, et nous avons besoin d’une justice constitutionnelle – j’y suis attaché – à laquelle nous devons nous plier.
Les auteurs de la saisine du Conseil constitutionnel argumentaient sur le fait que l’étude d’impact n’aurait pas été assez précise, pas assez argumentée ni assez documentée. Ils considéraient qu’elle ne mentionnait aucunement le devenir des agents de la fonction publique territoriale concernés. Ils lui reprochaient enfin de ne pas exposer les consultations menées avant la saisine du Conseil d’État.
À tous ces arguments avancés pour contester l’étude d’impact – que ce soit par le groupe du RDSE, par l’ex-groupe UMP, devenu le groupe Les Républicains, par le groupe CRC –, le Conseil constitutionnel, contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, n’a pas répondu par un soutien aveugle et sourd au Gouvernement, un soutien sans réflexion, un soutien purement opportuniste.
Non ! Le Conseil constitutionnel a complètement justifié sa décision, qu’il a articulée en trois points. D’abord, il a précisé que l’étude d’impact, qui comprend des développements relatifs à différentes options possibles sur les délimitations des régions, les élections régionales et départementales et la durée des mandats des membres des conseils régionaux et départementaux, expose les raisons des choix opérés par le Gouvernement et en présente les conséquences prévisibles. On le voit bien, le Conseil constitutionnel a jugé que l’étude d’impact est suffisante pour éclairer le choix des parlementaires.
Ensuite, le Conseil a précisé qu’il ne pouvait être fait grief à l’étude d’impact de ne pas comporter de développements sur l’évolution du nombre d’emplois publics dès lors que le Gouvernement ne mentionnait pas la modification de ce nombre dans les objectifs poursuivis par ce projet de loi.
Enfin, le Conseil a répondu aux auteurs de la saisine qu’il n’était pas établi que ce projet de loi ait été soumis à des consultations dans des conditions qui auraient dû être exposées dans l’étude d’impact.
On le constate bien, sur la forme, nous avons affaire à un texte d’humeur, qui traduit une réaction à une décision du Conseil constitutionnel, laquelle me semble totalement argumentée. Je ne considère pas que le travail du Parlement soit de contester une décision de la justice constitutionnelle.
Sur le fond, le groupe socialiste et républicain est maintenant favorable aux études d’impact. Je trouve quelque peu incohérent de contester l’étude d’impact au motif qu’elle n’est ni assez documentée ni assez précise tout en voulant en réduire le périmètre et la portée, bref, la réduire à néant !
Si on avait vraiment voulu renforcer l’étude d’impact, pourquoi ne pas nous avoir demandé de travailler ensemble à une meilleure définition pour inciter le Gouvernement à plus de précision ? Nous aurions pu vous rejoindre sur cette voie, mes chers collègues.
Dans cette réaction, je vois une forme de provocation. Du moins ouvre-t-elle le débat – et je sais gré au groupe du RDSE de nous permettre de discuter de nouveau de ce sujet.
Les membres du groupe socialiste et républicain restent, pour leur part, attachés à l’étude d’impact telle qu’elle figure aujourd’hui. C’est la raison pour laquelle nous avons déposé un amendement visant à supprimer la disposition qui affaiblit ce document.
Sur les différents amendements adoptés à la demande du rapporteur par la commission des lois, nous aurons des positions différenciées : autant, sur certains points, nous sommes d’accord et nous suivrons le rapporteur et la commission, autant, sur d’autres, nous aurons une approche plus mesurée. J’y reviendrai en présentant les amendements déposés par le groupe socialiste et républicain. Nous attendons de connaître la réaction et le vote de la Haute Assemblée sur l’amendement de suppression que je défendrai pour nous prendre position sur l’ensemble du texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Leila Aïchi.
Mme Leila Aïchi. Madame la présidente, monsieur le rapporteur, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les espaces réservés des groupes politiques sont toujours des moments intéressants de la vie de la Haute Assemblée. Ils révèlent ce qui fait vibrer les groupes, leurs aspirations politiques et l’usage qu’ils entendent faire de la possibilité de faire la loi.
Le groupe écologiste pense que l’initiative parlementaire est un levier majeur pour améliorer concrètement la vie quotidienne de nos concitoyens. Ainsi, nous essayons, aussi souvent que cela nous l’est permis, d’impulser, au sein de cette assemblée, une réflexion en profondeur sur la préservation de l’environnement et la protection de la santé de toutes et de tous. Ce sont là des préoccupations qui sont, en effet, le fondement même de notre engagement politique. Et c’est tout le sens que nous donnons aux dispositions législatives dont nous sommes à l’origine : la protection des lanceurs d’alerte ou encore l’interdiction de l’usage des pesticides. Toutefois, ce n’est manifestement pas un but que vous poursuivez, monsieur Mézard, puisque vous n’avez voté ni l’une ni l’autre !
Pour en revenir au débat qui nous occupe aujourd’hui, le groupe écologiste avoue sa grande surprise à la lecture de la proposition de loi organique qui nous est présentée.
En effet, mes chers collègues, vous n’avez manifestement pas accepté que, à la suite du différend entre le Premier ministre et la conférence des présidents du Sénat lors de la présentation du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 1er juillet 2014, ait considéré que la présentation de ce texte et, de ce fait, la validité de son étude d’impact étaient bien conformes à la Constitution. Il semblerait donc que la proposition de loi organique que vous nous proposez s’inscrive dans une logique bien particulière qui relève plus de la tactique politicienne que d’une réflexion de fond.
Effectivement, vous demandez la suppression des études d’impact, ou plus exactement, puisqu’il s’agit d’être précis, la suppression d’une partie substantielle de ces études qui accompagnent nécessairement chaque projet de loi.
Il s’agit là de votre droit, nous ne le contestons pas. Néanmoins, nous ne souhaitons pas ici juger le bien-fondé ou non des décisions du Conseil constitutionnel ni en tirer des conséquences, qui seraient d’ailleurs elles-mêmes inconstitutionnelles.
Nous ne pouvons, sous couvert de suivre les préceptes de l’ouvrage De l’esprit des lois cité dans l’exposé des motifs, souscrire à la suppression des études d’impact, qui, je le rappelle, évaluent les « conséquences économiques, financières, sociales et environnementales », ce dernier critère étant par nature, sans mauvais jeu de mot, particulièrement cher aux écologistes, mais pas seulement !
Pointant du doigt l’inefficacité des études d’impact et le peu d’éclairage qu’elles fournissent, selon vous, en amont du débat parlementaire, vous nous proposez de les vider de leur substance en retirant ce qui se rapporte aux « conséquences économiques, financières, sociales et environnementales » des projets de loi. J’emprunterai le raisonnement inverse : si vous jugez ces études d’impact incomplètes et imparfaites en la matière, pourquoi ne pas exiger au contraire leur renforcement au travers d’études plus approfondies sur ces différents points ?
En conclusion, je me permettrai, à mon tour, de citer Montesquieu qui affirmait : « Pour qu’on ne puisse abuser du pouvoir, il faut que, par la disposition des choses, le pouvoir arrête le pouvoir. »
Cette proposition de loi organique est pour nous une caricature du mésusage du temps parlementaire !
Pour toutes ces raisons, vous l’aurez compris, le groupe écologiste votera contre ce texte.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi organique du président Mézard et du groupe du RDSE a au moins deux grands mérites.
Premièrement, elle nous rappelle l’extraordinaire inflation législative et l’immense difficulté du Parlement à faire face à la pression de l’exécutif sur le plan de l’élaboration de la loi.
Deuxièmement – est-ce tout à fait volontaire ?–, elle montre bien la fragilité, voire l’arbitraire, des décisions du Conseil constitutionnel, que beaucoup considèrent comme le sacro-saint gardien des normes.
Pour en revenir au premier point, il faut rappeler que l’étude d’impact qui doit accompagner les projets de loi, à l’exception d’un certain nombre d’entre eux – les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale, par exemple –, avait pour finalité annoncée de limiter l’inflation législative.
Ce raisonnement avait toute sa logique. En effet, de nombreux textes législatifs sont des lois d’affichage, d’opinion, des lois qui, par médias interposés, doivent démontrer un certain volontarisme. Cet affichage explique que bien souvent – trop souvent ! – les décrets d’application ne suivent pas et que la loi devienne ainsi lettre morte.
Produire une étude d’impact dans les conditions prévues par la loi organique de 2009 devait logiquement conduire à écarter les projets de loi dépourvus d’objectifs réels et sérieux. Or, l’exécutif, dès 2009 et aujourd’hui encore, plutôt que de ralentir la cadence infernale, continue à appuyer sur l’accélérateur, au risque de faire exploser la machine institutionnelle. Les études d’impact sont négligées, voire, de fait, oubliées.
C’est aussi pour souligner ce fait, grave, que mon groupe a décidé, le 28 juin 2014, de saisir la conférence des présidents de la véritable provocation que constituait l’étude d’impact du projet de loi créant les nouvelles régions. Rien n’était mentionné, sinon un verbiage superficiel, sur les conséquences économiques, sociales et financières de la création de ces nouvelles régions. Rien n’était indiqué non plus sur les conséquences pour l’emploi public de cette évolution institutionnelle très importante.
Lorsque nous voyons où nous en sommes aujourd’hui avec le projet de loi portant nouvelle organisation territoriale de la République, c’est-à-dire la création de répartitions incompréhensibles pour les citoyens – des citoyens qui, de surcroît, ont été écartés du débat –, mais aussi pour nombre d’élus, il aurait mieux valu prendre le temps de réaliser une étude d’impact sérieuse. Les membres de mon groupe et moi-même avons rappelé souvent, trop souvent sans doute, que l’une des sources essentielles des difficultés du travail du Sénat et du Parlement se situait dans l’avalanche des normes produites par l’exécutif, soumis lui-même à l’avalanche des normes bruxelloises et aux exigences de la mondialisation financière.
Il faut le dire au Gouvernement, la pression exercée sur le Parlement, rabaissé au simple rang de chambre d’enregistrement, est dangereuse pour la démocratie, l’efficacité et l’intelligibilité de la loi.
Il faut aller vite, réformer vite. Le débat serait archaïque et il conviendrait de bousculer les immobilismes et les conservatismes. Cette conception autoritaire du fonctionnement des institutions n’est pas acceptable, surtout pas du point de vue d’hommes et de femmes de gauche, qui porte en son cœur la confrontation des idées comme élément de construction démocratique.
Cette proposition de loi organique met ensuite en évidence – second mérite – la faiblesse de l’argumentation du Conseil constitutionnel.
Je ne rappellerai pas la critique historique que nous émettons sur un organisme dépourvu d’une réelle légitimité, qui se comporte comme une Cour suprême intouchable convaincue de sa puissance et de la justesse innée de son jugement, conviction qui provient de l’absence de contestation possible de ses décisions.
L’exposé des motifs de la présente proposition de loi organique est efficace, mais aussi effrayant par certains aspects.
Vous rendez-vous compte, mes chers collègues, que l’on a confié, par exemple, le jugement des questions prioritaires de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, ce qui lui permet de faire et défaire la loi comme bon lui semble cinq, dix, vingt ou trente ans après son vote, alors que, sur un point pourtant aussi évident et flagrant que l’examen de l’étude d’impact du projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral, il a eu – il faut le dire ! – tout faux.
Cette proposition de loi organique pose donc indirectement, mais crûment, la question de la légitimité du Conseil constitutionnel. Nous proposons, pour notre part, d’autres pistes de contrôle de constitutionnalité, en particulier une commission parlementaire de contrôle de constitutionnalité qui permettrait d’apporter une garantie démocratique.
Si la proposition de loi organique soulève de vraies questions, la réponse qu’elle apporte nous paraît totalement contreproductive. Mais peut-être avons-nous mal compris… Il nous semble en effet que ses auteurs proposent en réalité de vider les études d’impact de leur sens en supprimant, en particulier, l’obligation d’évaluation non seulement des conséquences économiques, sociales et financières, mais aussi des conséquences sur l’emploi public d’un texte.
M. Philippe Bas, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. À juste titre !
Mme Éliane Assassi. Je comprends l’agacement du groupe du RDSE et de son président, et je le partage pleinement. Toutefois, cette forme de terre brûlée ne nous semble pas la bonne option.
Nous ne pouvons donc soutenir l’article unique de la proposition de loi organique initiale, et qui est aujourd’hui devenu l’article 1er du texte qui nous est soumis. En effet, M. le rapporteur, Hugues Portelli, et les membres de la commission des lois ont complété la proposition de loi organique par un certain nombre de dispositions que nous pouvons approuver, même si l’effet sera cosmétique face à la pression législative dont je parlais précédemment.
Justifier la procédure accélérée est une bonne chose, même si nous sommes, pour notre part, partisans de l’empêcher in concreto… Rendre public l’avis du Conseil d’État paraît évident. Enfin, réaliser une étude d’impact sur les amendements substantiels déposés par le Gouvernement est une idée pertinente, mais, me semble-t-il, très difficile à réaliser. Comment, en effet, définir les amendements substantiels ? Là aussi, nous avons proposé à maintes reprises une autre voie, à savoir empêcher le dépôt tardif des amendements du Gouvernement, quels qu’ils soient.
En conclusion, le groupe communiste, républicain et citoyen, sous réserve d’évolution de la proposition de loi organique, s’abstiendra sur ce texte modifié par la commission des lois, en rappelant toutefois fortement son souhait du maintien de l’exigence en matière d’étude d’impact. (M. Jacques Mézard applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.
Mme Jacqueline Gourault. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, comme le disait Portalis, « les lois ne sont pas de purs actes de puissance ; ce sont des actes de sagesse, de justice et de raison. Le législateur […] ne doit point perdre de vue que les lois sont faites pour les hommes, et non les hommes pour les lois ».
M. Pierre-Yves Collombat. C’était autrefois ! (Sourires.)
Mme Jacqueline Gourault. Je crains que le bon sens de cette formule n’ait été quelque peu oublié. La perte de qualité de la loi et l’inflation législative sont certes dénoncées de manière récurrente, mais les projets de loi continuent de s’entasser et les études d’impact continuent de les justifier de manière plus ou moins floue.
Introduites à l’occasion de la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, les études d’impact constituaient pourtant un dispositif important et contraignant, puisque le non-respect des règles posées par l’article 39 de la Constitution pouvait être sanctionné par le refus d’inscrire un projet de loi à l’ordre du jour d’une assemblée.
Deux questions se posent. Premièrement, les études d’impact permettent-elles encore de satisfaire une évaluation approfondie des conséquences d’une législation en vigueur et des effets vraisemblablement produits par une nouvelle loi ? Deuxièmement, le contrôle de la conformité des études d’impact aux prescriptions organiques est-il encore effectif ? Les exemples détaillés par Pierre-Yves Collombat montrent que non, et les membres du groupe UDI-UC souscrivent à cette analyse.
Le premier constat de non-conformité d’une étude d’impact aux prescriptions organiques remonte à 2014 avec le projet de loi relatif à la délimitation des régions, aux élections régionales et départementales et modifiant le calendrier électoral. Nous nous rappelons tous cet épisode au cours duquel notre opposition à l’engagement de la procédure accélérée ne fut pas entendue et n’emporta pas l’adhésion à l’Assemblée nationale.
Mais il s’agit surtout d’un épisode qui constitue l’échec criant de la contestation par le Sénat d’une étude d’impact et de la méconnaissance par le Gouvernement des règles fixées par la loi organique du 15 avril 2009.
L’examen du projet en loi en séance publique fut retiré de l’ordre du jour, et le Premier ministre saisit le Conseil constitutionnel, conformément au quatrième alinéa de l’article 39 de la Constitution. Dans sa décision du 1er juillet 2014, le Conseil estima que le projet de loi avait été présenté dans des conditions conformes à la loi organique précitée, notamment à son article 8 relatif au contenu de l’étude d’impact, comme les orateurs précédents l’ont expliqué.
Malgré les observations du Sénat, le Conseil constitutionnel a rejeté le grief fondé sur le fait que cette étude d’impact ne comportait aucun développement sur l’évolution du nombre des emplois publics. Je dois avouer que la justification de cette décision nous laisse perplexes. Dès lors que le Gouvernement ne mentionne pas la modification de ce nombre dans les objectifs poursuivis par ce projet de loi, un tel développement ne serait-il pas nécessaire ? Il s’agit pourtant d’un texte lourd de conséquences pour nos collectivités et nos territoires !
Dans votre rapport, cher collègue Hugues Portelli, vous citez le professeur Jean-Marie Pontier, qui a réagi à cette décision en la qualifiant de « jurisprudence minimaliste ». Je le rejoins et, comme lui, je regrette que le Conseil constitutionnel n’ait pas saisi l’occasion d’opérer un meilleur contrôle de l’exigence des études d’impact.
Après sept ans d’application, les bénéfices de l’étude d’impact sont donc loin d’être évidents : le double aspect de l’élaboration des études d’impact et du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel nous laisse dubitatifs.
Je le dis à regret, mais, au nom de mon groupe, je me permets d’affirmer que les études d’impact ressemblent de plus en plus à des coquilles vides...
Comme je l’ai indiqué précédemment, nous souscrivons au constat initial dressé par Pierre-Yves Collombat. Toutefois, la suppression d’une partie des études d’impact au motif que le Conseil constitutionnel n’en contrôle pas l’effectivité, suppression qu’il présente comme une conséquence logique de la décision du Conseil constitutionnel du 1er juillet 2014, ne nous paraît pas convaincante.
Vous proposez en effet, mon cher collègue, la suppression des alinéas 8 à 10 de l’article 8 de la loi organique du 15 avril 2009, qui dresse la liste d’éléments que doit contenir l’étude d’impact, notamment l’évaluation des conséquences économiques, financières, sociales et environnementales, ou encore les conséquences sur l’emploi public. Mais en quoi la suppression de ces alinéas résout-elle le problème ?
Réduire encore davantage les obligations imposées au Gouvernement et alléger celles qui pèsent sur les études d’impact ne changeront pas la donne ! Cela revient même à donner raison au Gouvernement et à lui accorder une solution de facilité sans renforcer en rien le pouvoir de contrôle des assemblées.
Autrement dit, le texte, dans sa rédaction initiale, tire une conséquence illogique d’un constat qui fait sens.
J’en viens maintenant aux modifications importantes introduites par la commission. Vous nous avez proposé, monsieur le rapporteur, de compléter les documents joints au projet de loi présenté, de prévoir l’obligation de motiver la procédure accélérée et la transmission de l’avis du Conseil d’État. Cela nous semble justifié : accélérer le processus législatif est lourd de conséquences ; le Gouvernement doit s’en expliquer.
Vous avez proposé également d’allonger le délai laissé à la conférence des présidents pour contester la conformité des conditions de présentation d’un projet de loi. La loi organique du 15 avril 2009 n’accorde en effet à la conférence des présidents de la première assemblée saisie du texte qu’un délai de dix jours pour constater éventuellement la non-conformité par l’étude d’impact des prescriptions organiques. Dans la pratique, ce délai est insuffisant; une période de trente jours nous semble plus appropriée pour cet exercice de contrôle.
Enfin, la commission a étendu l’obligation de l’étude d’impact aux amendements du Gouvernement. Je trouve l’idée très séduisante, surtout quand on se remémore certains exemples récents d’amendements gouvernementaux qui étaient tellement lourds et complexes qu’ils constituaient presque une réforme à eux seuls – je pense, par exemple, à l’amendement sur la métropole du Grand Paris. Dans ces hypothèses, une obligation d’étude d’impact serait la bienvenue.
Pour autant, appliqué sans distinction à l’ensemble des amendements gouvernementaux, ce dispositif ralentirait et alourdirait inutilement l’examen des textes. Pour qu’il puisse s’appliquer dans les faits, sans entraver ni la souplesse des travaux en séance ni la réactivité des parlementaires et des membres du Gouvernement à parvenir à des solutions consensuelles, ce mécanisme devrait être limité à certains amendements du Gouvernement, les plus lourds de conséquences.
En guise de conclusion, je voudrais remercier le groupe du RDSE d’avoir suscité ce débat sur un sujet pour lequel nous partageons tous un vif intérêt, et qui tend à la fois à contenir l’inflation normative et à améliorer l’efficacité de la production législative.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, le groupe UDI-UC s’opposera à la simplification du contenu des études d’impact prévu à l’article 1er, mais soutiendra les diverses dispositions introduites lors de l’examen du présent texte en commission sur l’initiative de M. le rapporteur. (MM. Philippe Kaltenbach et Jean-Pierre Sueur applaudissent.)