M. le président. La parole est à M. Daniel Chasseing.
M. Daniel Chasseing. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, monsieur le président de la commission des affaires sociales, mes chers collègues, le texte qui nous occupe aujourd’hui n’est pas de ceux que l’on traite, en séance publique, sur les seuls plans du droit et de l’usage, au nom du seul intérêt général, qu’il soit économique ou social. Cette proposition de loi est d’une portée infiniment plus délicate, plus subtile et plus grave.
En effet, en la matière, l’établissement d’une norme est éminemment complexe, et pour cause ! Chaque situation constitue un cas particulier, puisque chaque être humain est unique, qui plus est au moment précis où il est confronté à l’imminence de sa mort, avec, parfois, l’ensemble de sa conscience, de son vécu, de ses convictions personnelles, philosophiques, religieuses ou même politiques.
En un mot, ce texte appelle toute notre attention juridique, en tant que législateur, et toute notre perception éthique, en tant que citoyens.
Pour ma part, ma perception est conditionnée par la qualité de sénateur, et surtout par celle de médecin. J’ai, tout au long de ma carrière, côtoyé la mort de près. De ce fait, je ne suis a priori guère favorable aux idées par trop réductrices qu’il m’arrive d’entendre ici ou là, quant au sort réservé aux malades en fin de vie. Fort de mon expérience personnelle de praticien, je pourrais, exemples à l’appui, les contester facilement.
En préambule, et pour résumer mon propos, je tiens à dresser ce constat : contrairement aux appréhensions émises par certains ou aux désirs exprimés par d’autres, la présente proposition de loi n’a pas pour but d’instaurer l’euthanasie ou le suicide assisté. (M. Michel Amiel, corapporteur, le confirme.) Il ne s’agit nullement de faire mourir les patients, mais d’accompagner les malades en fin de vie vers la mort, dans la dignité et le respect.
À cet égard, cette proposition de loi relève de l’esprit de loi Leonetti du 22 avril 2005, qu’elle tente d’améliorer.
En tout premier lieu – il convient de le rappeler –, sur l’ensemble de ces travées, nous sommes naturellement tous d’accord pour épargner des souffrances inutiles aux malades en fin de vie.
À cet égard, il paraît tout aussi évident que la mort, dès lors qu’elle se révèle inéluctable, doit être accompagnée par la médecine. Le médecin a précisément pour but d’assurer, jusqu’au dernier instant, le confort de sa pratique.
La présente proposition de loi s’inscrit, je le répète, dans le droit fil de la loi Leonetti, qu’elle permettra avant tout de mieux mettre en lumière. Il faut le souligner : ce texte demeure trop mal connu et, partant, trop mal appliqué. Les actions qu’il préconise sont surtout mises en œuvre en milieu hospitalier. Elles le sont moins dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, les EHPAD, et moins encore à domicile, même si l’on observe des améliorations sensibles dans certains départements, notamment celui dont je suis l’élu.
Nombreux sont ceux qui parlent de la loi Leonetti, mais, à l’évidence, fort peu l’ont lu. Quelles en sont les dispositions exactes ? Mes chers collègues, permettez-moi de citer l’extrait de l’article L. 1110-5 du code de la santé publique, dont la rédaction résulte de ce texte.
« Ces actes – c’est-à-dire les soins prodigués en fin de vie – ne doivent pas être poursuivis par une obstination déraisonnable. Lorsqu’ils apparaissent inutiles, disproportionnés ou n’ayant d'autre effet que le seul maintien artificiel de la vie, ils peuvent être suspendus ou ne pas être entrepris. Dans ce cas, le médecin sauvegarde la dignité du mourant et assure la qualité de sa vie en dispensant les soins visés à l'article L. 1110-10. […]
« Toute personne a le droit de recevoir des soins visant à soulager sa douleur. Celle-ci doit être en toute circonstance prévenue, évaluée, prise en compte et traitée.
« Les professionnels de santé mettent en œuvre tous les moyens à leur disposition pour assurer à chacun une vie digne jusqu’à la mort. Si le médecin constate qu'il ne peut soulager la souffrance d'une personne, en phase avancée ou terminale d'une affection grave et incurable, […] qu'en lui appliquant un traitement qui peut avoir pour effet secondaire d'abréger sa vie, il doit en informer le malade […], la personne de confiance […], la famille ou, à défaut, un des proches. »
L’article L. 1110-10, précédemment mentionné, précise la nature des soins palliatifs : « Les soins palliatifs sont des soins actifs et continus pratiqués par une équipe interdisciplinaire en institution ou à domicile. Ils visent à soulager la douleur, à apaiser la souffrance psychique, à sauvegarder la dignité de la personne malade et à soutenir son entourage. »
Ces dispositions l’illustrent clairement : si la loi Leonetti était intégralement appliquée, et ce sur l’ensemble du territoire national, y compris l’outre-mer, elle suffirait amplement, dans l’immense majorité des cas, à résoudre le problème de la fin de vie.
M. Gilbert Barbier. Très bien !
M. Daniel Chasseing. Il y a quelques instants, Mme Bouchoux a déclaré que cette loi était un échec. À mes yeux, tel n’est pas le cas. La mise en œuvre des soins palliatifs manque tout simplement de financements ! (M. Yves Détraigne acquiesce.)
Mme Dominique Gillot. Oui !
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Daniel Chasseing. Cela étant, quelques points précis, que l’on ne saurait réduire à des détails, exigent d’être améliorés. Tel est précisément le but du texte que nous étudions aujourd’hui.
Pour ma part, je pourrais être favorable à cette proposition de loi, à condition que soient modifiées diverses dispositions, au sujet desquelles j’ai déposé un certain nombre d’amendements.
Je songe en particulier à la nécessité d’associer les personnes de confiance et la famille aux prises de décision, en les informant quant au protocole de la sédation profonde et continue, à son application, aux garanties qui y sont liées et à ses conséquences. On ne saurait procéder à une sédation trop profonde, entraînant des troubles respiratoires, voire le décès. Au contraire, il faut pratiquer une sédation adaptée au malade, destinée à calmer la souffrance.
M. Gilbert Barbier. Très bien !
M. Daniel Chasseing. De plus, il est nécessaire de poursuivre l’hydratation du patient, laquelle ne saurait être considérée comme un traitement.
M. Charles Revet. C’est très important !
M. Daniel Chasseing. Je souhaite que ce texte garantisse au malade les conditions de l’application intégrale de la loi Leonetti actuelle, qui est satisfaisante et qui précise les conditions de mise en œuvre et le protocole de la sédation profonde et continue jusqu’au décès ; je précise que cela concerne des situations dans lesquelles le décès est prévu à très court terme, soit, à mon sens, dans lesquelles l’espérance de vie se compte en heures, voire en jours.
Cette application doit se faire à la demande du malade lui-même, lorsque la souffrance n’est plus gérée malgré un traitement adapté, défini à l’article L. 110-10 relatif aux soins palliatifs. Il faut alors renforcer la sédation, sans pour autant en venir à l’euthanasie.
Si le malade ne peut pas exprimer sa volonté ou s’il n’a pas laissé de directives, ce protocole sera mis en œuvre avec l’accord de la famille ou de la personne de confiance. Tout cela ne pourra intervenir qu’après une décision collégiale garantissant absolument les valeurs éthiques les plus élémentaires.
Je le répète, ce texte ne doit aucunement être une légalisation de l’euthanasie ou du suicide assisté. Il doit essentiellement garantir une offre de soins palliatifs sur l’ensemble du territoire de la République. Cela nécessitera inévitablement, il convient de le dire, une augmentation significative des moyens alloués à ce secteur.
Comme vous l’avez dit, madame la ministre, les médecins, notamment dans les départements ruraux, doivent pouvoir consulter les services de soins palliatifs pour leur demander d’intervenir avec des équipes médicales, à domicile ou en EHPAD, ou pour obtenir des avis. De même, les équipes soignantes locales doivent également avoir la possibilité de se former auprès de ces services. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains, de l'UDI-UC et du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Meunier.
Mme Michelle Meunier. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes réunis pour aborder un sujet de société, un thème sensible qui concerne chacune et chacun d’entre nous, individuellement et collectivement.
La question de la fin de vie est trop souvent abordée à travers le prisme d’affaires judiciaires, nous montrant des personnes qui souffrent, des familles qui se déchirent, des médecins face à leur conscience dans un encadrement législatif qui est encore trop imprécis et qui reste sujet à interprétations.
Au-delà de ces rebondissements médiatiques, des centaines, voire des milliers de familles accompagnent un proche en fin de vie. Les situations sont variées, comme les manières de réagir. Le droit doit prévoir, préciser et accompagner les évolutions de la société.
Depuis 2012, le débat public a été engagé par le Président de la République : un large processus de consultation sur la fin de vie a été mis en place autour de la commission Sicard, du Conseil national de l’ordre des médecins et du Comité consultatif national d’éthique, le CCNE, notamment.
Comme à son habitude, le Comité consultatif national d’éthique, dont j’ai l’honneur de faire partie, a souhaité dépassionner le débat en se donnant le temps de la réflexion par des échanges et des rencontres, en prenant de la hauteur et du recul, évitant ainsi l’emballement médiatique, la précipitation ou les dogmatismes.
Remis à l’automne 2014, son rapport identifie les principaux points de convergence et de blocage, relevés au travers du débat public. Les convergences s’attachent au fait de rendre contraignantes les directives anticipées et de permettre l’accès, en phase terminale, à une sédation profonde jusqu’au décès ; les divergences touchent aux questions de l’assistance au suicide et de l’euthanasie.
Ces lignes de force sont également au cœur du rapport des députés Claeys et Leonetti comme de la proposition de loi qui en découle. Le texte que nous examinons aujourd’hui est consensuel, équilibré et transpartisan. Il porte, surtout, des dispositions utiles susceptibles d’améliorer concrètement les conditions de fin de vie des patients en phase terminale. Il contribue, en outre, à l’apaisement des souffrances et corrige les travers et les failles de la loi de 2005. Citons, notamment, l’accès inégal des patients aux soins palliatifs et l’absence de contrainte, comme de clarté, dans l’application de leurs volontés.
La proposition de loi des députés Claeys et Leonetti a pour objectif de remettre la volonté du patient au cœur des débats. Elle impose le respect des directives anticipées au corps médical ; elle crée un droit à la sédation profonde et continue, accompagnant l’arrêt du traitement du malade en phase terminale ; elle renforce la pratique des soins palliatifs, qui ne concernent aujourd’hui que 20 % des malades devant en bénéficier.
Certes, comme de nombreuses associations et plusieurs de nos collègues, on peut souhaiter aller plus loin. Dans le prolongement d’une proposition de loi déposée par Jean-Pierre Godefroy en janvier 2012, j’ai l’intime conviction qu’il faut permettre aux personnes atteintes d’une maladie grave et incurable entraînant une souffrance physique ou psychique insupportable, de mourir dans la dignité.
Il s’agit, dès lors, de passer du « laisser mourir » à l’aide à mourir, dans des cas de figure précis, stricts et encadrés. C’est tout le sens de l’amendement créant un article additionnel à l’article 2, que j’ai cosigné avec notre collègue Godefroy.
Cet amendement vise à permettre aux personnes dont l’état de santé ne laisse plus aucun espoir de guérison de ne pas finir leurs jours dans la souffrance et d’avoir le droit de choisir le moment de leur mort. Il tend à renforcer la proposition de loi et à lui donner encore plus de sens et de cohérence. Il s’agit pour nous de lancer le débat dans cet hémicycle, où nous avons l’habitude, s’agissant de ce genre de sujets sociétaux, de dépasser nos clivages politiques et partisans.
Au-delà de cette question, il faut dire sans ambiguïté que cette proposition de loi est un bon texte. Dans sa version issue des débats de l’Assemblée nationale, elle est nécessaire et attendue. Elle crée de nouveaux droits pour les malades et leurs familles et elle corrige le système actuel. Équilibrée et consensuelle, elle marque une étape – d’autres seront assurément franchies, car il faudra aller encore plus loin et continuer d’avancer, pas à pas, pour apaiser les souffrances, pour accompagner les familles et les proches, pour préserver les dignités.
Aujourd’hui, même si le chemin est encore long, nous avançons en votant cette proposition de loi émanant de l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à M. François Bonhomme.
M. François Bonhomme. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, on sait depuis la nuit des temps que la mort, c’est pour l’autre, c’est toujours celle de l’autre.
Il n’y a pas, et il ne peut y avoir d’expérience personnelle de sa propre mort. Ainsi que le rappelait malicieusement Wladimir Jankélévitch lors d’un entretien en 1966 : « L’homme triche perpétuellement avec lui-même concernant la perspective de la mort. C’est d’ailleurs pour cela que la mort est vivable et pensable. On n’approfondit pas la question. Il y a comme une appropriation protectrice. Et finalement on affecte de l’appliquer au voisin. »
Cette tricherie existentielle rend la tâche du législateur extrêmement difficile. Au demeurant, cette question concerne chacun, quel que soit son statut : les médecins, les parents et les amis de la personne atteinte d’une maladie grave et incurable, ainsi que, bien évidemment, le législateur, amené à traiter ainsi d’un sujet abyssal et vertigineux. Face à la fin de vie, ultime étape, l’humilité doit donc prévaloir.
Pour peu que l’on y souscrive, il me semble important de placer la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui dans son environnement sociétal. Chacun se nourrissant de l’idée de maîtriser sa propre vie, la demande sociale en la matière est de plus en plus forte, dans tous les aspects de sa vie, y compris sa fin. Par un paradoxe apparent, la banalisation de la mort, familière au Moyen Âge, a fait place, à l’âge moderne, à l’angoisse métaphysique, avec une gravité plus grande encore.
La conduite de l’homme face à cette perspective a changé. L’homme moderne, sûr du progrès de la technoscience, presse l’homme de loi et l’homme de science, le législateur et le médecin d’apaiser l’inquiétude morale qui touche à cette question.
Nous sommes donc directement interpelés. L’espoir d’une mort médicalisée, et sans doute même excessivement médicalisée, peut se comprendre : la mort de l’autre, comme la sienne, est insupportable dans nos sociétés. C’est ainsi !
Dans le même temps, l’espérance fondamentale qui anime tout homme face à la mort demeure. Elle s’accroît même aujourd’hui. Elle est le propre de l’homme.
J’écoutais ce matin même Jean d’Ormesson, qui fête ses quatre-vingt-dix ans, se réjouir d’entrer dans la Bibliothèque de La Pléiade. C’est le plus sûr moyen, pour un écrivain, d’espérer atteindre l’éternité, ou tout au moins une illusion d’éternité. Il rappelait avec espièglerie, dans son style cabotin, qu’il y a quelque chose de plus insupportable que la mort : l’absence de la mort.
À la lumière de tous ces préalables, il nous faut exercer notre sagacité face à cette proposition de loi.
La mort est désormais presque totalement médicalisée. On demande logiquement à la médecine de l’adoucir comme elle a adouci la vie, tout en craignant l’acharnement thérapeutique et en se méfiant d’une médecine trop technique et, au fond, déshumanisée. C’est la raison pour laquelle il nous faut avancer, en particulier en encourageant la culture palliative.
La fin de vie ne peut être abordée de manière binaire, car cela aboutirait à nier la complexité et la diversité des situations humaines rencontrées. La loi relative aux droits des malades et à la fin de vie, votée à l’unanimité il a dix ans maintenant, est, certes, une loi imparfaite, comme beaucoup d’autres. Pour autant, aucune loi, aussi parfaite soit-elle, n’apportera une réponse parfaite à nos fins de vie.
Cette loi a été modifiée en 2008 et en 2010. Depuis lors, le candidat François Hollande a proposé de manière équivoque une « assistance médicalisée pour terminer sa vie dans la dignité ».
Inévitablement, certains y ont vu une incitation à la légalisation de l’euthanasie, d’autres un appel à l’intensification des soins palliatifs. Une fois élu, François Hollande a chargé Didier Sicard de présider une mission et d’aller à la rencontre des Français. Le rapport issu de ce travail souligne « l’exigence d’appliquer résolument les lois actuelles plutôt que d’en imaginer sans cesse de nouvelles » et réaffirme « le danger de franchir la barrière de l’interdit. »
Dans cette période de grande fragilité, la parole du malade est peu entendue, comme l’indique le rapport Ferrand, qui souligne également que 30 % des Français meurent dans les hôpitaux, dans des conditions physiques et morales ressenties comme atroces.
Mme Catherine Génisson. Non, c’est 60 % !
M. François Bonhomme. Cette proposition de loi reprend largement le rapport Sicard, en particulier avec la création d’un droit à une « sédation profonde et continue » et la mise en place de « directives anticipées opposables ».
Des critiques, souvent modérées, et plus souvent des questions ont été émises à propos de cette initiative. En particulier, certains se sont demandé pourquoi elle n’allait pas jusqu’à l’euthanasie. Une réponse aisée et circonstancielle consisterait à rappeler que le Président de la République s’y est déclaré hostile et que le rapport Sicard la rejette.
On pourrait toutefois ajouter qu’il ressort de l’étude conjointe de l’Institut national des études démographiques et de l’Observatoire de la fin de vie que la légalisation de l’euthanasie augmente paradoxalement les pratiques clandestines. Le rapport Sicard rappelle d’ailleurs que les pays qui ont légiféré en la matière ces dernières années se sont inspirés de la loi française plutôt que des lois hollandaise ou belge.
Concernant l’idée de suicide assisté, notre prudence n’est pas une frilosité, mais traduit une humilité fondamentale. En effet, une telle évolution ouvrirait sans doute la voie à des dérives, similaires à celles que l’on peut observer en Suisse, par exemple, où une partie des personnes qui en ont bénéficié n’était pas atteinte de maladies graves et incurables. On peut, tout au moins, nourrir les craintes les plus vives dès lors qu’il s’agirait de faire du suicide un droit-créance, ce qui reviendrait alors à proposer un « droit à la mort ».
Enfin, plus largement, nous touchons à la métapolitique et nous ne devons pas nous affronter sur ce sujet. Ne créons pas un « droit à la mort pour tous » qui risquerait de fracturer un peu plus notre société.
C’est donc d’une main tremblante que nous devons aborder ce texte et, en tout cas, en nous dépouillant de toute arrogance. Méfions-nous de celui qui, en l’espèce, affirme et assène, car, sur ces sujets sensibles, c’est sans doute lui qui fait fausse route.
Méfions-nous de la prétention prométhéenne à l’immortalité et de la volonté de maîtriser totalement la mort. Soyons assez sages pour préférer un minimalisme législatif et opter pour une certaine mélancolie face au donné et, plus largement, face aux limites de l’homme, qui nous échappent. En effet, il y aura toujours, si vous me permettez cette expression, un angle mort de la réponse législative, en dépit de l’attente forte de la société. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC. – M. Gilbert Barbier applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie, dite « loi Leonetti », adoptée à l’unanimité, avait permis de rassembler les opinions et les consciences autour d’un texte sage et équilibré sur la fin de vie.
Protectrice des malades et respectueuse des familles et des soignants, cette loi mettait l’accent sur les soins palliatifs, autorisait la sédation sous certaines conditions et reconnaissait déjà les directives anticipées. Dix ans après, méconnue et insuffisamment appliquée faute de moyens, elle n’a malheureusement pas donné sa pleine mesure.
Dans ces conditions, pourquoi légiférer à nouveau ? N’aurait-il pas mieux valu, avant tout, commencer par appliquer cette loi, en donnant priorité aux soins palliatifs et en engageant un véritable déploiement pédagogique, géographique et financier pour atteindre cet objectif ?
Aujourd’hui, quelque 80 % de nos concitoyens qui en auraient besoin ne peuvent pas avoir accès à ces soins et vivent leurs derniers instants dans des structures inadaptées à leur situation.
De l’aveu même de ses auteurs, cette proposition de loi répond à une promesse faite par le Président de la République lorsqu’il était candidat. On peut alors s’interroger : essaie-t-on vraiment de combler des lacunes ou ne cherche-t-on pas plutôt à donner une réponse législative à une promesse politique ?
M. Charles Revet. Eh oui ! Comme d’habitude.
M. Dominique de Legge. Faute de moyens pour soulager la souffrance, le texte laisse entrevoir l’abrègement de la vie comme une solution de rechange.
Quoi qu’il en soit, je souhaite rendre hommage au travail effectué par la commission des affaires sociales et par les rapporteurs Gérard Dériot et François Pillet. Je soulignerai en particulier deux avancées qui clarifient le texte et rassurent partiellement quant à ses objectifs.
Tout d’abord, la formation, tant initiale que continue, aux soins palliatifs n’est plus pour les professionnels de santé un droit optionnel, mais une obligation vis-à-vis des malades ; c’est une bonne nouvelle.
Ensuite, la mention d’un prolongement « inutile » de la vie a été salutairement supprimée, l’expression pouvant trahir des intentions en rupture avec les principes érigés par la loi Leonetti.
Pour autant, une ambiguïté demeure à l’article 3, et nous sommes un certain nombre à penser ainsi : soulager la souffrance par des protocoles médicaux susceptibles d’abréger la vie est une chose ; mettre en œuvre en raison d’une souffrance réfractaire un traitement dont la finalité est d’abréger la vie en est une autre. L’intention n’est pas la même !
Ce n’est pas la sédation en soi qui nous choque – elle est actuellement pratiquée avec les précautions qui s’imposent –, ni même que, dans la pratique, elle soit présente jusqu’au décès, mais le fait que le texte de cette proposition de loi prescrive qu’elle soit « continue jusqu’au décès », c’est-à-dire irréversible.
Nous aurons un débat sur la nutrition, l’hydratation et l’assistance respiratoire. Participent-elles d’un acharnement thérapeutique ou constituent-elles un accompagnement du malade, destiné à lui épargner déshydratation et étouffement, alors que tout autre traitement a été interrompu ?
C’est pourquoi, avec de nombreux collègues, j’ai déposé des amendements visant à rééquilibrer les politiques entre le curatif et le palliatif, à encadrer la sédation, afin qu’elle ne puisse pas s’inscrire dans une intention de donner la mort, et à permettre au médecin, en toute conscience, de prendre en compte les directives anticipées sans que celles-ci n’entravent sa mission.
On a beaucoup parlé dans ce débat d’une « mort digne ». Qu’y a-t-il d’indigne dans la mort ? L’indignité, n’est-ce pas de laisser le proche seul face à l’issue fatale ? En demandant à la médecine d’accélérer la fin, protège-t-on la dignité du malade ou répond-on à une demande sociale ? Comme le rappelait François Mitterrand, « jamais […] le rapport à la mort n’a été si pauvre qu’en ces temps […] où les hommes, pressés d’exister, paraissent éluder le mystère […] ».
On ne peut abandonner un malade en fin de vie au marbre de dispositions législatives ou à la froideur désincarnée de décisions de justice. Il faut nous y résoudre : la loi ne peut tout dire sur la réalité de la mort, qui reste un mystère, comme elle ne peut régir les actes médicaux qui entourent la fin de vie.
Légiférer sur la mort, c’est prendre le risque de la judiciariser et d’en faire un objet de contentieux. Je ne suis pas sûr que les objectifs visés de dignité et d’apaisement s’en trouveraient satisfaits.
La mort n’est pas un sujet de droit, elle reste une réalité à la fois universelle et singulière, inéluctable et intime. Elle n’appartient à personne d’autre qu’à celui ou celle qui traverse cette épreuve.
Il n'y a nul angélisme dans mes propos : je sais que la souffrance est aussi difficile à évaluer qu’à soulager et je refuse l’acharnement thérapeutique déraisonnable. Les soins palliatifs, qui reposent sur un dialogue confiant et lucide entre le patient, ses proches et le corps médical, ne sauraient se limiter à de simples dispositions du code de la santé publique. Notre société a un devoir de solidarité et une obligation de moyens envers les plus vulnérables. Ce n’est pas d’abord et seulement un problème de droit. C’est avant tout une question de conscience.
Nous savons tous ici, en tant que législateurs, que nous ne pouvons aborder le sujet de la fin de vie, qui engage nos convictions éthiques, philosophiques et spirituelles, qu’avec d’infinies précautions. Donner un cadre législatif approprié aux derniers moments relève du défi.
C’est pourquoi, dans l’examen de ce texte, nous devons faire preuve à la fois d’humilité et d’humanité : d’humilité, car nous ne nous sentons pas le droit de porter un jugement sur l’utilité de la vie, fût-elle dans sa phase ultime ; d’humanité, car, face à la solitude de la mort, la réponse se situe dans une approche globale de l’individu, approche tant physique que psychique, quand une main serrée et un sourire donné permettent au mourant d’affronter le dernier passage. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis le vote de la loi Leonetti, la question de la fin de vie a régulièrement été débattue par notre assemblée.
Le 8 avril 2008, sous la forme d’une question orale avec débat, nous avons abordé les insuffisances de la loi Leonetti promulguée trois ans plus tôt. Puis, en janvier 2011, la commission des affaires sociales a adopté une proposition de loi commune de sénateurs membres des groupes socialiste, UMP et communiste visant à instaurer une véritable aide active à mourir, qui a été rejetée en séance publique. En 2012, cinq propositions de loi allant dans le même sens ont été déposées au Sénat. Le président du Sénat a soumis pour avis ces cinq textes au Conseil d’État, qui a rendu ses conclusions le 7 février 2013 : il a estimé qu’aucun obstacle de nature constitutionnelle ou conventionnelle ne pourrait empêcher l’adoption d’une telle disposition.
Mes chers collègues, cela fait dix ans que j’interviens sur ce sujet tant en commission qu’en séance publique. Aussi, je suis aujourd'hui contraint de « recycler » des arguments maintes fois répétés dans cet hémicycle.
Dans La Comédie humaine, Balzac posait la question suivante : « Les souffrances les plus vives ne viennent-elles pas du libre arbitre contrarié ? »
Traiter par la loi de l’assistance pour mourir, c’est légiférer sur ce qui nous échappe le plus : la mort. C’est ce qui rend notre débat si délicat et si grave, en faisant appel à notre vécu, à nos convictions les plus intimes. Mais la fin de notre vie n’appartient ni aux médecins, ni aux philosophes, ni aux juges, ni aux hommes de religion, ni aux opérateurs des machines destinées à maintenir artificiellement en vie les patients. Dans ce moment qu’est la fin de l’existence, la considération la plus grande doit être accordée à l’individu. C’est pourquoi notre préoccupation première doit être de le respecter dans sa dignité, ses choix, ses valeurs, en lui offrant, autant que possible, le droit de décider pour lui-même au moment où vient la fin de son existence.
Il n’est question que d’un droit. D’une liberté. D’une toute dernière liberté ! Que l’on en use ou non, la possibilité de bénéficier d’une assistance médicalisée pour mourir lorsque des conditions strictes sont réunies constituerait une liberté en soi, qui suffirait souvent à apaiser psychologiquement certains malades et ne s’imposerait à personne.
Nous devons aussi considérer la question de la souffrance, la souffrance mentale, la souffrance physique. Cette souffrance doit pouvoir être enrayée, car on ne doit pas mourir dans ces conditions. Les soins palliatifs existent à cet effet, et ils doivent d’ailleurs être développés afin que tous y aient effectivement accès, ce qui est actuellement loin d’être le cas. Mais opposer les soins palliatifs à une aide active à mourir est tout à fait déraisonnable ! Ce sont des choses complètement différentes. Les soins palliatifs ont un temps ; décider des conditions dans lesquelles on met fin à son existence, c’est autre chose.
Toutefois, lorsque les soins palliatifs sont insuffisants pour soulager la douleur ou lorsqu’ils ne conviennent pas à la personne, ne faut-il pas aller plus loin ? La loi doit être là pour laisser à chacun, de façon très encadrée, la possibilité de décider d’échapper à ses dernières souffrances.
Concernant la question de l’aide médicalisée pour mourir, les principes s’opposent, les avis sont divergents et le resteront. Laissons donc aux individus la liberté de décider pour eux-mêmes ! Ils sont le juge suprême de leur propre volonté.
Le texte qui nous est proposé instaure une sédation profonde. La sédation endort, elle ne sert qu’à faire perdre au patient ses perceptions.