M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la fin de vie est un sujet sensible et particulier.
Si elle constitue par essence une composante de la vie, si elle fait partie pleinement de notre existence, nous ne pouvons nier nos difficultés à aborder cette question. Culturellement, nous n’avons en effet pas l’habitude de faire face à la mort, de l’accepter ou même d’en parler. Surtout, ce sujet renvoie, pour chacune et chacun d’entre nous, à des expériences personnelles, professionnelles ou familiales souvent marquantes, en tout cas douloureuses.
Les personnes en fin de vie et la mort elle-même sont trop souvent rejetées dans notre société. On administre et on technicise la mort en s’abritant derrière l’hôpital ou les EHPAD, dont ce n’est pourtant pas la vocation.
Notre premier rôle comme parlementaires est donc de nous pencher sur cette question et d’engager une réflexion collective et citoyenne sur la mort dans notre société, afin d’esquisser les contours d’un « mieux mourir ». Il est en effet nécessaire d’encadrer les questions délicates et importantes que suscite la fin de vie, et cela en visant trois grands objectifs prioritaires.
Tout d’abord, le développement des soins palliatifs pour toutes et tous, avec les moyens y afférents, est une nécessité.
Ensuite, il faut œuvrer à la meilleure application et la clarification de la loi Leonetti ; en effet, ce texte, s’il a représenté une avancée, a aussi montré ses limites au regard tant des directives anticipées, mal connues et trop rarement utilisées, que des solutions apportées au malade en fin de vie, qui sont encore insuffisantes.
Enfin, nous devons veiller au respect de la volonté du patient ou de la patiente en fin de vie, et de sa dignité ; en effet le groupe communiste, républicain et citoyen se bat chaque jour, dans cet hémicycle, pour le « bien vivre », pour construire une société plus juste, garantissant à toutes et à tous l’accès aux droits fondamentaux que sont la santé, le logement, le travail, l’éducation, la culture ou encore la sécurité.
Or la lutte pour le « bien vivre » doit intégrer une lutte pour le « bien mourir », car le combat pour une vie digne ne peut être dissocié de celui pour une fin de vie digne. C’est d’autant plus vrai que, dans les moments douloureux de fin de vie, le sentiment de perte de dignité est particulièrement important ; il est lié à l’image que chacune et chacun a de soi-même, de sa dégradation dans la maladie et de son incapacité à accomplir les actes les plus simples de la vie quotidienne.
Il existe d’ailleurs autant de modalités de cette perception que d’individus, car celle-ci dépend de nos croyances et de notre vécu, mais aussi de notre personnalité et de nos relations familiales et sociales. Il est difficile, dans ce contexte, d’élaborer une loi qui laisse suffisamment de libertés, mais également de garanties, pour que nos concitoyennes et nos concitoyens bénéficient d’une fin de vie correspondant à leur propre définition de la dignité !
C’était l’ambition de cette proposition de loi ; malheureusement, il nous semble que, bien qu’il laisse une certaine souplesse pour traduire les volontés individuelles, le présent texte a pour défaut de laisser de côté un grand nombre de situations de fin de vie, donc de solutions pouvant être proposées.
La garantie du droit à mourir dans la dignité est d’abord mise en œuvre par le développement des soins palliatifs, qui doivent constituer la première grande priorité. Or tant la Cour des comptes que l’Observatoire national de la fin de vie soulignent l’insuffisance de moyens accordés aux soins palliatifs en France. Ainsi, seulement 20 % des personnes qui ont besoin de soins palliatifs peuvent en bénéficier ; par ailleurs, alors qu’une grande majorité de citoyennes et de citoyens aimerait mourir chez eux, entourés de leurs proches, environ 60 % des décès ont lieu à l’hôpital.
L’offre moyenne de soins palliatifs est de 2,2 lits pour 100 000 habitants en France, mais elle est très inégale sur le territoire : ce ratio passe en effet de 0,36 dans les Pays de la Loire à 5,45 dans le Nord-Pas-de-Calais et il varie au sein d’une même région.
En outre, l’offre de soins palliatifs reste trop concentrée dans les services hospitaliers. Ainsi, près des trois quarts des lits de soins palliatifs se trouvent dans les services de médecine, chirurgie, obstétrique des hôpitaux, tandis que l’offre est quasi inexistante dans les établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes, ou EHPAD, et dans les autres établissements médico-sociaux, notamment ceux qui accueillent les personnes handicapées.
Enfin, la médecine palliative peine à être reconnue par la culture médicale, qui privilégie le curatif plutôt que l’accompagnement vers la mort. En ce sens, l’article 1er de la proposition de loi, qui, pour la première fois dans un texte sur la fin de vie, prévoit une formation des professionnels de santé aux soins palliatifs, constitue une avancée. Nous aurions pu aller plus loin en proposant l’introduction d’un module d’humanité médicale transdisciplinaire, qui serait commun au personnel soignant et technique en fin d’études, mais aussi ouvert à des citoyennes et des citoyens auditeurs libres, pouvant être un jour confrontés, comme bénévoles par exemple, à l’accompagnement à la fin de vie d’une personne.
Au-delà de cette suggestion et des mesures législatives portées par cette proposition de loi, il revient bien au Gouvernement d’allouer les moyens nécessaires au développement des soins palliatifs. Il s’agit en effet de développer une offre pérenne sur l’ensemble du territoire et de proposer des solutions qui répondent aux besoins des patients, en soutenant les équipes mobiles, qui peuvent accompagner le patient à son domicile, ou en accompagnant le développement des soins palliatifs en EHPAD.
Les soins palliatifs, qui ont pour vocation de préserver la meilleure qualité de vie possible jusqu’à la mort, notamment en permettant de soulager la douleur, ont cependant leur limite.
Ainsi, dans le cas où le patient présente une souffrance réfractaire à tout traitement, il pourra lui être proposé de mettre fin à celle-ci par la mise en œuvre d’une sédation profonde et continue jusqu’au décès ; c’est l’objet de l’article 3. Cette mesure figurant dans la présente proposition de loi ne constitue pas une avancée majeure par rapport à l’existant et concernera un nombre limité de patients : ceux qui sont atteints d’une affection grave et incurable et dont le pronostic vital est engagé à court terme.
En revanche, de nombreux cas de patients atteints d’une maladie grave et incurable, mais dont le pronostic vital n’est pas engagé à court terme, ne pourront être traités. De même, ce texte n’apportera pas de réponse aux patients placés dans un état de dépendance qu’ils jugent incompatible avec leur dignité, ou qui font face à une souffrance physique et psychique grave. Malheureusement, l’actualité porte régulièrement à notre connaissance des cas particuliers, toujours douloureux, auxquels ce texte ne permettra pas d’apporter un soulagement.
Je rappelle les mots du docteur Danièle Lecomte : « Il y a peut-être une confusion entre douleur et souffrance. La douleur est effectivement le plus souvent maîtrisable. Mais on ne peut pas réduire le vécu douloureux de la personne en fin de vie à une composante physique accessible aux médicaments. La question est plus complexe. C’est celle de la souffrance, qui inclut des dimensions psychiques, émotionnelles, existentielles. La souffrance, on peut l’écouter, l’accompagner, mais on ne peut pas véritablement la traiter. »
C’est en réfléchissant à cette analyse que nous pouvons juger de la pertinence de la proposition portée par ce texte, et de ses limites. C’est également à partir de cette définition que nous pourrions poser la question de l’assistance médicalisée pour mourir, qui pourrait constituer une solution digne pour des patients en souffrance. C’est en tout cas le sens d’un amendement que certains de mes collègues et moi-même avons déposé pour en débattre en séance publique.
Ainsi, le principal changement apporté par le texte au regard du corpus législatif existant porte davantage sur les directives anticipées que sur les dispositions relatives à la sédation profonde et continue jusqu’au décès. En effet, la proposition de loi clarifie et renforce l’aspect contraignant de ces directives. À l’heure actuelle, peu de personnes ont rédigé les leurs ou même connaissent cette possibilité. En outre, lorsque celles-ci sont rédigées, elles ne sont pas considérées par la loi comme l’expression de souhaits et les médecins demeurent seuls décideurs.
L’apport de cette proposition de loi est donc de clarifier la manière dont ces directives doivent être rédigées, en proposant un modèle. Par ailleurs, ces directives figureront dans un registre national, afin d’être facilement accessibles aux équipes médicales accompagnant le patient en fin de vie.
Surtout, le présent texte tend à ce que les directives s’imposent aux médecins. Cette disposition est primordiale : il s’agit de permettre au patient d’être maître des décisions qui le concernent.
Néanmoins, un amendement adopté par la commission des affaires sociales limite sa portée. En effet, il vise à permettre au médecin de ne pas appliquer les directives dans les cas où la situation médicale du patient « ne correspond pas aux circonstances visées par ces directives ». Si cette exception peut être entendue, nous ne souhaitons pas qu’elle réduise la possibilité pour un patient – ou pour ses proches – de décider de son sort.
C’est pourquoi nous avons déposé un amendement afin de rappeler que, lors de la procédure collégiale qui décidera de l’applicabilité des directives au regard de la situation médicale du patient, les éléments apportés par la personne de confiance primeront tout autre élément.
Toujours dans la logique de réappropriation par le patient ou par ses proches des décisions concernant la fin de sa vie, nous saluons l’affirmation, dans l’article 5, du droit du patient à refuser tout traitement.
C’est également dans cette logique que nous saluons l’apport de l’article 9, relatif à la personne de confiance, qui prévoit notamment que le témoignage de celle-ci, qui rend compte de la volonté du patient, prévale sur tout autre élément, à l’exception bien sûr des directives anticipées rédigées par le patient lui-même.
Toutefois, nous déplorons que la commission des affaires sociales ait supprimé la possibilité pour la personne de confiance d’accéder au dossier médical du patient. Il nous semble que c’est nécessaire pour qu’elle puisse participer activement et en toute connaissance de cause aux décisions concernant la fin de vie du patient.
De même, nous déplorons la suppression par la commission des affaires sociales de l’article 14, qui prévoyait que le Gouvernement remette un rapport au Parlement sur le développement de l’offre de soins palliatifs.
En effet, nous l’avons évoqué, cette question est suffisamment cruciale pour être mise à l’ordre du jour des discussions entre le Parlement et le Gouvernement. La remise d’un rapport constituerait à ce titre un moment annuel privilégié à même de ranimer et de faire perdurer le débat et permettrait que, enfin, certaines mesures soient prises et des moyens alloués à la médecine palliative. Malgré les lacunes de ce texte concernant certaines situations, le groupe communiste républicain et citoyen salue donc les avancées qu’il prévoit.
Mobilisés sur ce débat, nous présenterons un certain nombre d’amendements à même d’élargir la portée du texte, de renforcer le rôle des directives anticipées et de la personne de confiance, ou encore d’adapter le texte au cas particulier des polyhandicapés ou des personnes très vulnérables. De plus, nous resterons vigilants sur la politique mise en œuvre par le Gouvernement en matière de soins palliatifs. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC, du groupe socialiste et républicain et du groupe écologiste. – Mme Françoise Gatel applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Hermeline Malherbe.
Mme Hermeline Malherbe. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la question de la fin de vie n’est pas, à proprement parler, au cœur des préoccupations quotidiennes des Français. Pourtant, cette question est universelle ; elle concerne chacun d’entre nous. À un moment ou à un autre, nous y sommes tous confrontés pour un parent, un ami, un proche.
Parfois, on refuse catégoriquement d’imaginer sa propre fin de vie ; parfois, on se prend à rêver de pouvoir disposer de sa vie jusqu’à son ultime moment, que l’on aurait alors choisi. Certains préfèrent une mort brutale et rapide, d’autres souhaitent mourir dans leur sommeil, apaisés, mais personne n’imagine mourir dans d’atroces souffrances ; or c’est bien de cela qu’il s’agit ici. Ce qui inquiète, ce qui fait peur, n’est pas tant la mort que la peur de souffrir.
Ainsi, la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé et la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie ont permis de développer les soins palliatifs et d’améliorer la prise en charge de la douleur et de la souffrance, même si l’on reconnaît régulièrement qu’il nous faut encore progresser en vue de mettre en œuvre, sur l’ensemble du territoire, une véritable culture du soin palliatif.
Dès 2005, cette loi a permis de poursuivre le processus d’autonomisation des malades en condamnant l’obstination dite « déraisonnable ». Elle a aussi autorisé la rédaction par la personne en fin de vie de directives anticipées et prévu une procédure collégiale d’arrêt des traitements, y compris lorsque la souffrance du patient en fin de vie ne pouvait être évaluée.
Néanmoins, ce texte initial m’apparaissait, déjà à l’époque, plutôt perfectible. Il semblait ne pas répondre à toutes les attentes de nos concitoyens sur ce sujet, qui nous concerne toutes et tous.
Je remercie très sincèrement le député Jean Leonetti d’avoir accepté de reprendre et de poursuivre le travail avec son collègue Alain Claeys. Leur audition, dans le cadre de la commission des affaires sociales, fut non seulement très intéressante, mais aussi constructive, pour nous permettre d’avancer dans la réflexion sur la proposition que nous examinons en séance aujourd’hui. Ce texte constitue une réelle avancée dans le traitement de la douleur et de la souffrance des personnes en fin de vie.
Pour certains d’entre nous, l’accompagnement médical de la fin de vie jusqu’à la mort, tel qu’il est proposé dans le cadre de cette proposition de loi, va trop loin. Pour d’autres, on ne va ni assez loin ni assez vite.
C’est pourquoi je salue le travail des corapporteurs, MM. Michel Amiel et Gérard Dériot, et l’équilibre qu’ils ont su trouver. Ce texte semble en effet répondre davantage aux attentes de chacune et de chacun d’entre nous ; il tend à atteindre cet équilibre, ce qui, vous en conviendrez, mes chers collègues, n’était pas évident sur un tel sujet.
Je le rappelle et j’y insiste, la loi s’adresse exclusivement aux personnes qui vont mourir, et non à celles qui le souhaitent, quelle qu’en soit la raison. Cette dernière question continuera, j’en suis certaine, de faire l’objet d’un débat profond au sein de notre société, mais elle ne concerne en rien le texte d’aujourd’hui. En effet, la proposition de loi que nous nous apprêtons à examiner, mes chers collègues, vise à accompagner toutes celles et tous ceux pour qui les jours et les heures sont malheureusement comptés.
Nous avons tous des exemples et des témoignages en tête, celui d’une personne malade en soins intensifs dont on dit qu’elle risque de ne pas s’en sortir et qui, à la suite d’un accompagnement à la fois médical, familial et amical, donc psychologique, retrouve la force de vivre encore douze ans, ou au contraire, celui d’une personne malade qui chaque jour semble souffrir un peu plus et qui, même si elle ne peut plus parler, exprime par le regard ou les comportements, sa volonté de ne pas poursuivre plus longtemps ce que l’on appelle parfois l’« acharnement thérapeutique », ou encore « obstination déraisonnable ».
Les exemples, les témoignages et les ressentis sont importants pour travailler ce texte de loi, mais il nous faut aussi et surtout objectiver et penser la fin de vie en termes de droit.
C’est pourquoi ce texte ouvre l’accès à la sédation en phase terminale et affirme le caractère contraignant des directives anticipées. Ainsi, il est prévu qu’un personnel médical qualifié puisse administrer à tout malade en fin de vie une sédation profonde et continue, qui lui permette de partir avec le plus de sérénité possible, et sans souffrance.
Ce texte comporte de nombreuses autres mesures visant à garantir les droits des personnes malades en fin de vie, qui constituent selon moi de réels progrès par rapport à la situation actuelle.
Je pense notamment à l’accès, pour les étudiants et professionnels médicaux et paramédicaux, à une formation plus approfondie aux soins palliatifs, au statut du témoignage de la personne de confiance, qui est dans ce texte explicité juridiquement, au renforcement et à une meilleure opérationnalité des directives anticipées énoncées par la personne en fin de vie, auxquelles le médecin ne pourra déroger et qu’il devra consulter en premier, sauf cas exceptionnel, à la réaffirmation du droit du malade au refus de son traitement.
Si les droits des personnes malades en fin de vie sont mieux pris en compte, l’autre grande satisfaction de ce texte est la garantie apportée au personnel médical en matière de sécurité juridique.
Il est primordial, pour des raisons que tout le monde comprendra aisément, de mettre les professionnels de santé à l’abri d’éventuelles poursuites judiciaires lorsqu’ils mettent fin à la souffrance d’un malade qui en a exprimé la demande, tout en définissant de manière très précise le cadre de cette intervention.
Il reste beaucoup de chemin à parcourir, notamment sur l’aide médicalisée à mourir. Mes collègues du groupe RDSE et moi-même avons d’ailleurs déposé un amendement en ce sens, reprenant en partie une proposition de loi de 2012 émanant de notre groupe. Je me félicite que nous ayons trouvé dans le présent texte un consensus pour améliorer les droits des malades en fin de vie, toujours dans le respect de la dignité humaine.
Je crois que la manière d’appréhender la fin de vie, donc la mort, en dit beaucoup sur nous-mêmes et sur l’état de civilisation de notre société. Je me félicite que, au travers de ce texte, nous contribuions, certes modestement, à son élévation. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste et républicain.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Morhet-Richaud.
Mme Patricia Morhet-Richaud. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les travaux réalisés au sein de la commission des affaires sociales ont été passionnants. Je salue à cet égard le travail effectué, sous la présidence de M. Milon, par MM. les corapporteurs et M. le rapporteur pour avis.
Pour une première intervention, je souhaitais m’exprimer sur cette proposition de loi créant de nouveaux droits en faveur des malades et des personnes en fin de vie.
Il faut dire que ce texte ne laisse personne indifférent : l’effet qu’il produit sur chacun d’entre nous est fort. Partout, dans nos départements, dans nos familles, ce sujet anime les conversations et alimente nos échanges. Les points de vue sont différents ; ils font souvent référence à notre propre histoire, à notre ressenti personnel, à notre perception des choses.
Je dois l’avouer, aujourd’hui, c’est davantage une femme qui s’exprime devant vous, plutôt que le « législateur ». Néanmoins, qui peut prétendre sur ces travées, du fait de sa position de législateur, faire totalement abstraction de sa culture, de sa religion ou de son origine ?
Ce texte présente l’avantage de poser le débat, d’aider à la prise de conscience, de faire évoluer les mentalités. Cette proposition de loi permet aussi de préciser les termes de la loi du 22 avril 2005, dite « Leonetti », qui reste un texte essentiel, mais qui doit aujourd’hui évoluer.
En effet, nos concitoyens attendent que leurs parlementaires se saisissent des questions de société et y apportent des réponses conformes à leurs aspirations.
Alors que la France traverse une grave crise et que le climat y est anxiogène, je mesure le poids de notre responsabilité individuelle et collective dans un débat de cette nature. Même si, dans notre pays, il est difficile d’aborder cette question sans passion, comme chez certains de nos voisins européens, nous devons nous efforcer d’en établir la synthèse et de tendre vers ce qui nous paraît être le plus juste et le plus équitable.
Pour autant, ce sujet n’est pas anodin, puisqu’il est question de la fin de vie et, comment ne pas l’avouer, de notre propre mort.
Au fronton de la République, il est écrit : « Liberté, égalité, fraternité ». Mes chers collègues, si nous avions la possibilité d’interroger chaque Français à l’heure du grand départ, êtes-vous certains qu’il dirait que ces trois principes fondamentaux se sont vérifiés tout au long de sa vie ? Il s’agit donc de l’ultime requête de nos concitoyens, afin de garantir à tous les Français des conditions de fin de vie égalitaires, sans souffrance qui ne puisse être apaisée.
Comment concevoir en effet que certains seraient soulagés parce qu’ils auraient les moyens financiers de le faire, contrairement à d’autres ? N’est-ce pas là le minimum que la République puisse garantir ?
Depuis notre naissance nous avons, pour la majorité d’entre nous, le souci de préserver notre capital santé et nous cherchons à maîtriser la douleur, aidés par les médecins et les soins hospitaliers. Comment imaginer que, dans une société ayant réalisé des progrès considérables en science, en médecine, avec pour conséquence l’allongement de l’espérance de vie, on ne soit pas en mesure de calmer la douleur intense d’un patient dans la phase terminale d’une maladie incurable ?
Pour ma part, je crois qu’il est essentiel que la médecine accompagne la vie, y compris dans ses derniers instants. C’est pourtant là que survient une difficulté majeure. En effet, notre parcours d’administré est jalonné de formulaires, de déclarations administratives, notamment en matière de succession : testament, convention obsèques, etc. Pour autant, ces actes interviennent lorsque la personne est décédée, alors que, à travers les directives anticipées, il s’agit des derniers instants de la vie.
Dans ces circonstances très particulières de l’extrême limite de la fragilité, le plus grand geste d’amour n’est-il pas de laisser partir la personne que l’on aime ? Je suis convaincue que ce processus ne peut s’enclencher unilatéralement. Les soins palliatifs doivent faire l’objet d’un plan à grande échelle, qui garantisse à chaque Français une sédation profonde et continue à proximité de son domicile, voire à son domicile, où la famille sera aussi prise en charge !
Le développement des unités de soins palliatifs ne doit pas être réservé aux seuls grands centres hospitaliers. Il est important qu’il soit équitablement réparti sur le territoire national, notamment en zone rurale où la désertification médicale est une réalité.
La formation des professionnels de santé doit garantir une meilleure prise en charge des patients en fin de vie, par exemple dans les établissements pour personnes âgées. Vous le savez tous, mes chers collègues, les Français aspirent à mourir à leur domicile, sans souffrance et en dormant. Au regard du nombre de décès qui surviennent aux urgences, nous sommes bien loin de répondre aux attentes de nos concitoyens, et j’espère que nous pourrons aussi avancer dans cette direction ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et de l'UDI-UC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Médevielle.
M. Pierre Médevielle. Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, avec cette proposition de loi relative à la fin de vie, le Sénat aborde aujourd’hui un sujet extrêmement sensible et délicat – madame la ministre, vous l’avez indiqué en ouvrant nos travaux.
Nous ne saurions nous contenter de réduire cette discussion à une simple prise de position ou à un débat sociétal sur l’euthanasie. Demeurent encore, dans notre société, trop de tabous et un déni évident autour de la mort. La proposition de loi Claeys-Leonetti ne répond pas à cette question, mais elle apporte des solutions pratiques à la fin de vie, dans le cas de maladies incurables. Tous, nous sommes, ou serons un jour, confrontés à ce problème.
Ayant longtemps été impliqué professionnellement dans le domaine de la pharmacie cancérologique, en tant que responsable d’un centre de lutte contre la douleur, et dans le secteur de l’organisation de soins et de réseaux palliatifs, je bénéficie d’une bonne expérience de terrain. À mon sens, il est nécessaire, avant d’aller plus loin, de dresser un état des lieux de ces structures dans notre pays.
Le premier problème auquel nous nous heurtons est, hélas, un cruel manque de lits de soins palliatifs dans nos établissements de santé. Cette carence n’est que partiellement compensée par les lits d’hospitalisation à domicile et par les réseaux de soins palliatifs, lesquels interviennent également au chevet du malade.
Ces réseaux regroupent des équipes pluridisciplinaires spécialement formées à l’accompagnement de fin de vie. Le but est d’assurer une organisation coordonnée entre, d’une part, l’hôpital ou la clinique, et, de l’autre, le domicile du malade. Les équipes hospitalières doivent s’assurer de la continuité des soins lors du retour du patient à son domicile.
Or, à l’heure actuelle, on estime à 60 % la proportion de patients qui, notamment dans le monde rural, voire dans « l’hyperuralité » – j’emprunte une expression chère à l’un de nos collègues –, ne peuvent bénéficier de ces soins faute de prise en charge.
Le deuxième problème découle du manque de formation évident des praticiens libéraux, qu’il s’agisse des médecins, des infirmiers, des kinésithérapeutes ou des pharmaciens. Ces professionnels prennent en charge une grande partie des malades en question, hors du cadre hospitalier. Or on voit trop souvent les équipes de soins et les familles désemparées face à des cas très lourds.
À mon sens, la fin de vie, en particulier le maniement des antalgiques et des morphiniques, doit désormais figurer obligatoirement au programme de toutes les spécialités médicales et paramédicales susceptibles d’être employées dans ce domaine.
En assurant la couverture de notre territoire par des maisons de santé ou des pôles de santé pluridisciplinaire, on pourra rassembler les professionnels concernés au sein de mêmes structures. Ainsi, l’on facilitera leur formation et l’on favorisera l’interdisciplinarité, indispensable quand ces praticiens interviendront dans des cas de palliatifs non recensés.
Le troisième et dernier problème est d’ordre juridique et éthique. La médecine palliative est devenue la médecine de fin de vie. Dès lors, ce geste d’interrompre ou d’abréger la vie est très délicat à appréhender et à envisager. (M. Michel Amiel, corapporteur, acquiesce.)
Rappelons-nous la devise des anciens généralistes : « Guérir parfois, soulager le plus souvent possible, aider et rassurer toujours. »
Il est nécessaire de trouver un juste milieu entre, d’une part, les intégristes de l’acharnement thérapeutique, qui dispensent jusqu’à la dernière extrémité des actes souvent inutiles, onéreux et qui, parfois, loin de soulager, infligent des souffrances supplémentaires aux patients, et, de l’autre, les anges de la mort, qui pourraient avoir tendance à presser avec un peu trop de précipitation une seringue fatale.
M. Gilbert Barbier. Bravo !
M. Pierre Médevielle. Ces problèmes juridiques en viennent à polluer tous les actes médicaux, même en médecine, et plus particulièrement en oncologie : dans cette spécialité, on se borne de plus en plus souvent à une classification de maladies selon des critères français ou anglo-saxon. Puis, une fois cette classification établie, on se contente d’appliquer le protocole correspondant.
En effet, même si le praticien a l’intime conviction qu’une meilleure solution existe, il sera couvert juridiquement quoi qu’il en soit, même en cas d’accident médicamenteux, dans la mesure où il est resté dans le cadre du protocole. Vive la dictature du sanitaire et du juridique ! On est tout de même en droit de se poser quelques questions au sujet de la médecine de demain…
Ce constat étant dressé, il existe, manifestement, une inégalité flagrante entre nos concitoyens en matière d’offre de soins palliatifs de proximité et de qualité. La proposition de loi Claeys-Leonetti est de nature à gommer une grande partie de ces inégalités.
Je le répète, il ne s’agit pas d’un débat sur l’euthanasie ou sur une quelconque forme d’assistance au suicide. Je pose cette question au passage : combien dénombre-t-on, chaque année, de suicides non recensés, chez les patients atteints de maladies incurables ? Combien de patients décident, quand ils en ont la possibilité, de se supprimer par leurs propres moyens ?
Ne nous laissons pas influencer par l’actualité. Il ne s’agit pas de savoir s’il faut raccourcir, abréger, diminuer ou réduire la période de fin de vie. Le présent texte a pour but d’offrir à chaque malade atteint d’une pathologie incurable en phase terminale, dans un cadre très réglementé, la possibilité de s’éteindre dans la dignité, sans souffrance et de manière apaisée.
Cet objectif semble évident à atteindre, grâce à l’arsenal thérapeutique dont nous disposons aujourd’hui. Encore faudrait-il pouvoir l’utiliser plus largement. Dans les faits, les choses se passent bien différemment. On voit encore trop de patients souffrir des semaines durant, parce qu’ils n’ont pas eu accès à des soins adaptés ou parce que le dialogue avec la famille n’a pu aboutir.
Parallèlement, la présente proposition de loi permet à un plus grand nombre d’équipes de pratiquer la médecine de fin de vie en toute sérénité. Le cadre des actes médicaux est, bien entendu, un élément très important, et même un facteur essentiel.
Les directives anticipées doivent avoir été signées. Le ou les médecins doivent, après un diagnostic de mort imminente, avoir décrété une limitation d’actes thérapeutiques. Le dialogue avec le patient et la famille doit avoir lieu sans tabous. Quand toutes ces conditions sont réunies, le praticien responsable peut administrer les médicaments nécessaires pour plonger le patient dans un état de sédation profonde et se limiter à une simple hydratation. Il pourra ainsi doser ces sédatifs, de sorte à ne pas prolonger inutilement la fin de vie de son patient.
La reconnaissance de cet acte est de nature à aider et à conforter le médecin dans sa pratique. Il rassurera également le patient, qu’angoissent très souvent les ultimes souffrances qu’il devra endurer, notamment dans les cas de détresse respiratoire ou d’apparitions d’états réfractaires aux antalgiques.
Ne nous voilons pas la face. La sédation profonde est un endormissement définitif du patient. Il est impératif d’assurer une réelle préparation et une prise de conscience de l’entourage du malade quant à la situation transitoire et finale de ce dernier.
Nous l’avons vu, le présent texte est nécessaire au patient, à la famille, à l’entourage et à toute l’équipe médicale. Il doit permettre de faciliter et de généraliser les prises en charge à domicile, en permettant l’approvisionnement en médicaments souvent réservés à l’usage hospitalier.
Mes chers collègues, si le Sénat est souvent un lieu de consensus, de sagesse et de tempérance, il doit également être une instance de progrès et de justice. Nous devons voter ce texte, pour encadrer des gestes couramment dispensés et ainsi, en les légitimant, rétablir l’égalité de tous lors de notre fin de vie. Je compte sur vous pour que cette proposition de loi, qui constitue, à mon sens, une réelle avancée, connaisse une issue positive ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et du groupe socialiste et républicain. – M. le président de la commission des affaires sociales applaudit également.)