M. Bruno Sido. Oh !
M. David Rachline. À cet égard, je vous laisse imaginer dans quel camp se retrouve une très grande majorité de nos compatriotes…
Avant de conclure, je souhaite vous faire part de mon étonnement quant au silence assourdissant des syndicats français sur ce sujet. Ils préfèrent assurément « faire bloc » contre le Front national plutôt que défendre les salariés français et notre modèle social cher à nos concitoyens. (Exclamations sur les travées du groupe CRC. – Mme Marie-Noëlle Lienemann et M. Martial Bourquin protestent.)
M. Jean-Pierre Bosino. Ils ont raison !
M. David Rachline. Ce n’est pas étonnant qu’ils n’attirent plus grand monde ! (Nouvelles exclamations sur les travées du groupe CRC. – M. Martial Bourquin proteste de nouveau.) Ils n’attirent d’ailleurs pas plus de monde que vous, les communistes, qui obtenez moins de 2 % des voix aux élections ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.)
Pour conclure (Marques d’approbation sur plusieurs travées du groupe Les Républicains.), puisque nous croyons également à la démocratie, nous vous demandons, madame le secrétaire d’État, d’exiger que ce traité soit ratifié par référendum ! Cependant, peut-être craignez-vous que le peuple de France fournisse à l’Union européenne la même réponse qu’il y a dix ans ; à titre personnel, je m’en féliciterais !
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Kern. (Mme Annick Billon et M. Jean Bizet applaudissent.)
M. Claude Kern. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les orateurs qui m’ont précédé à la tribune ont rappelé que le neuvième round des négociations relatives au partenariat – ou plutôt au traité – transatlantique de commerce et d’investissement, le TTIP, entre l’Union européenne et les États-Unis et à l’accord économique et commercial global, le CETA, entre l’Union européenne et le Canada s’était achevé à la fin du mois d’avril dernier.
Si la construction du plus grand espace économique du monde, qui assurera 60 % de la production économique mondiale et comptera 850 millions de consommateurs, avance, les parlements nationaux restent encore trop souvent, à mon goût, les oubliés des discussions. Aussi faut-il remercier le groupe Les Républicains d’avoir provoqué le présent débat, grâce auquel le Sénat peut formuler ses observations sur l’avancée des négociations.
Les sénateurs du groupe UDI-UC soutiennent le principe de la construction d’un grand ensemble transatlantique : dans un monde globalisé et polarisé par des puissances de dimension continentale comme la Chine, le Brésil, la Russie et l’Inde, l’approfondissement des liens entre l’Union européenne et les États-Unis est un vecteur de prospérité et de sortie de crise.
Bien évidemment, cette négociation n’est exempte ni de carences ni de zones d’ombre ; c’est précisément l’intérêt du débat public, et principalement du débat parlementaire, que de répondre à ces interrogations. De fait, la négociation suscite des crispations et de vrais blocages, dont la preuve la plus récente est le report in extremis du vote des députés européens sur le TTIP, qui devait avoir lieu aujourd’hui. Quelles sont, madame la secrétaire d’État, les raisons de ces crispations ?
En premier lieu, elles tiennent à un problème de méthode, que de très nombreux commentateurs ont souligné. Alors que le libre-échange nécessite, pour être économiquement efficace, une confiance réciproque, cette confiance, nécessaire à toute transaction, ne peut pas prospérer sur le sol européen compte tenu de l’opacité des négociations, qui engendre craintes et suspicions. À ce stade des discussions, le manque de transparence et le défaut d’information perçus par les citoyens entraînent une vive opposition de principe à la conclusion du traité.
Le débat parlementaire ayant précisément vocation à répondre à ce type de malaise, je regrette que nous n’ayons pas pu convenir de rendez-vous trimestriels en séance publique pour débattre de ces négociations. Souvenons-nous que les traités dont nous parlons devront être ratifiés par les États membres de l’Union européenne ; nous devons nous garder de considérer une fois encore les parlements nationaux comme des chambres d’enregistrement. À trop écarter le débat public national, vous prenez le risque, madame la secrétaire d’État – même si je sais que vous n’êtes pas la responsable de cette situation –, de contribuer à une cristallisation très aiguë des oppositions à cette belle idée de marché transatlantique.
En second lieu, sur le fond, les modalités envisagées pour l’arbitrage et pour les conditions effectives de l’accès aux marchés sont tout simplement inéquitables, au détriment des États membres de l’Union européenne.
D’abord, la procédure d’arbitrage privé dite règlement des différends entre investisseurs et États, ou RDIE, remet en cause la souveraineté de nos États et de nos peuples. Sans doute la création de ce mécanisme répondait-elle, à l’origine, à une ambition plutôt juste : protéger les investisseurs dans des pays où l’État de droit ou les systèmes juridiques sont défaillants ; mais, l’homme et le système ayant leurs travers, cet outil de protection juridique a été transformé en une puissante arme pour infléchir les législations nationales, dans le sens, bien sûr, des intérêts des investisseurs. Songeons, pour ne prendre que ces exemples, aux cas de l’industrie du tabac en Australie et de la filière nucléaire en Allemagne.
Dans sa forme actuelle, le dispositif expose nos États à l’obligation de verser des dédommagements substantiels aux investisseurs qui s’estimeraient lésés par l’évolution des réglementations nationales. Lorsque l’on sait que certaines sociétés multinationales réalisent un chiffre d’affaires plus élevé que le PIB de certains États membres, on imagine aisément, mes chers collègues, la capacité de dissuasion dont disposent ces firmes. Or la présidence lettone de l’Union européenne se refuse à ouvrir un débat sur cet aspect clef du traité transatlantique, les pays baltes étant très favorables à un traité de libre-échange les liant aux États Unis.
Deux pistes sont pourtant envisageables : refuser l’inclusion dans le traité d’un mécanisme de règlement des différends entre investisseurs et États, comme l’a fait l’Australie dans l’accord de libre-échange qu’elle a conclu avec les États-Unis en 2005, ou moderniser la procédure afin de garantir un meilleur équilibre entre la protection de l’investisseur et la souveraineté des États. Cette seconde piste pourrait prendre la forme, par exemple, de l’instauration d’une procédure d’appel devant un tribunal indépendant, pour garantir l’équité des arbitrages quel que soit l’État poursuivi.
M. Daniel Raoul. En effet !
M. Claude Kern. Il conviendrait également de garantir juridiquement le droit des États à réglementer, et d’assurer l’indépendance des arbitres. Madame la secrétaire d’État, pourquoi ne pas s’inspirer du mécanisme de règlement des différends mis en place par l’Organisation mondiale du commerce, qui a montré son efficacité ? De fait, le règlement des différends entre États pourrait être une piste à explorer, alors que l’accord avec le Canada est sur le point d’être achevé.
Au-delà des questions soulevées par les mécanismes d’arbitrage, l’accès aux marchés publics américains et la libéralisation des services financiers dans ce pays posent un véritable problème de réciprocité. Ainsi, sur le fondement du Buy American Act, le gouvernement américain achète des produits sur le seul territoire des États-Unis, de sorte que toute entreprise européenne est exclue. Par ailleurs, l’accord CETA prévoit un relèvement des quotas d’exportation de viande bovine canadienne, alors que celle-ci n’est pas soumise aux mêmes règlements ni aux mêmes impératifs de production que la viande provenant de l’Union européenne. Dans tout cela, où est l’équité ?
Cette situation est d’autant plus surprenante que, du côté européen, les principes d’ouverture et de transparence sont énoncés à l’article 15 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Plus généralement, toute la législation européenne des vingt dernières années a spécifiquement vocation à briser ce type de barrières commerciales.
En l’espèce, les travaux avancent autour d’une proposition de réunion des régulateurs formulée par l’Union européenne. Cette idée mérite d’être approfondie, car la réunion des régulateurs pourrait être un levier utile pour réduire le stock excessif de normes, dont nous savons à quel point il obère nos capacités économiques ; espérons que, du moins, elle ne deviendra pas une productrice de normes trop prolixe ! Cette question s’écarte un peu du thème de notre débat, mais je tenais à souligner, madame la secrétaire d’État, la nécessité d’y réfléchir.
En tout état de cause, si le groupe UDI-UC soutient le principe de la création à terme d’un grand marché transatlantique, il émet les plus vives réserves sur les modalités actuellement prévues pour la création et le règlement de ce marché ! (Applaudissements sur les travées de l'UDI-UC et sur quelques travées du groupe Les Républicains.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Paul Emorine. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains.)
M. Jean-Paul Emorine. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, il est bien évident pour chacun d’entre nous que toute négociation commerciale comporte autant d’opportunités que de risques. Cette vérité s’applique de manière spéciale aux négociations touchant à notre secteur agricole et agroalimentaire, qui dispose d’atouts indéniables à faire valoir sur les marchés mondiaux, liés à la qualité, à la grande réputation et à la diversification des produits français.
De fait, certaines de nos filières sont clairement à l’offensive dans cette négociation, qui leur offre de réelles perspectives de développement. D’autres, cependant, bien que reconnues pour l’excellence de leur production, sont structurellement beaucoup plus vulnérables à la libération des échanges avec les États-Unis. Je pense tout particulièrement à la filière bovine française : premier producteur agricole d’Europe, notre pays est notamment le premier producteur européen de viande bovine ; il est donc inévitablement celui qui subira le plus durement les conséquences de cet accord, alors même que les évolutions récentes de la politique commerciale européenne ont déjà contribué à fragiliser la filière bovine française et européenne.
En 2012, l’Europe, les États-Unis et le Canada ont trouvé un accord sur la question du bœuf aux hormones, qui prévoit l’importation à droits nuls de près de 50 000 tonnes de viande bovine nord-américaine sans hormones. Aux termes du traité récemment conclu avec le Canada, qui doit encore être soumis à ratification, 65 000 tonnes supplémentaires de viande bovine canadienne pourront entrer sur le marché européen sans droits de douane. Aujourd’hui, les États-Unis pourraient prendre cet accord pour base de négociation en exigeant un contingent équivalent en proportion de leur production et de leurs capacités exportatrices, très largement supérieures à celles du Canada ; ainsi, 250 000 à 300 000 tonnes supplémentaires pourraient être importées chaque année sans protection tarifaire. De telles quantités conduiraient inévitablement à une déstabilisation profonde de la filière bovine française, principalement en raison des normes de production appliquées outre-Atlantique.
S’il est absolument clair que nous ne transigerons pas plus demain qu’hier sur la question du bœuf aux hormones, ni d’ailleurs sur celles du poulet chloré et d’autres préférences collectives en matière sanitaire, des différentiels de compétitivité fondamentaux n’en demeureront pas moins entre les élevages américain et français. Je pense en particulier aux parcs d’engraissement géants américains, dans lesquels des milliers, voire des dizaines de milliers d’animaux, d’ailleurs de plus en plus souvent importés, sont nourris au soja ou au maïs transgénique, mais sans herbe ; les farines animales, les antibiotiques et, bien sûr, les hormones de croissance font également partie de leur ration alimentaire quotidienne, et les normes que nous imposons à nos éleveurs en matière environnementale, de bien-être animal et de traçabilité n’y ont évidemment pas cours.
Par ailleurs, il faut mesurer que la superficie agricole américaine s’élève à 372 millions d’hectares, quand celle de l’Union européenne est de 140 millions d’hectares, et la superficie agricole française de 28 millions d’hectares, mais nous avons la chance d’avoir 40 % de cette superficie en herbe. (M. Alain Chatillon opine.)
La production française, issue principalement d’élevages à l’herbe infiniment plus petits que les élevages américains, et pratiquant des méthodes de production radicalement différentes des leurs, ne sera jamais en mesure de rivaliser avec les coûts de production observés outre-Atlantique.
Au-delà de l’abaissement des droits de douane, la négociation en cours avec les États-Unis doit conduire à l’élaboration de règles communes facilitant l’exportation d’un continent à l’autre. Sur ce plan, un principe des plus simples doit guider les négociateurs européens : la réciprocité, qui devra s’appliquer à toutes les exigences qui s’imposent aujourd’hui aux exploitations européennes.
Certaines caractéristiques du modèle européen pourront, j’en suis convaincu, être imposées aux producteurs américains désireux d’exporter vers l’Europe ; mais il semble illusoire de penser qu’il sera intégralement transposé : une reconnaissance mutuelle des normes s’appliquera certainement, à des degrés divers selon les produits. Dans ces conditions, il m’apparaît vital que la filière bovine soit inscrite sur la liste des productions bénéficiant de clauses de sauvegarde.
M. Jean-Claude Lenoir. Très bien !
M. Jean-Paul Emorine. Madame la secrétaire d’État, des échanges d’offres ont-ils déjà eu lieu et cette position est-elle aujourd’hui défendue par les négociateurs européens ?
Mes chers collègues, il y va de la pérennité de l’élevage français (M. Alain Chatillon opine.) et de toute la filière qui en dépend, qui luttent aujourd’hui pour dégager des revenus décents et s’adapter au mieux aux évolutions du marché. À l’heure où nos préoccupations vont à l’emploi et à l’équilibre territorial, il y a là bien plus qu’un enjeu sectoriel : il s’agit avant tout de préserver une certaine conception de la production alimentaire et de l’aménagement du territoire.
De fait, l’élevage français et l’ensemble de la filière fournissent des centaines de milliers d’emplois, notamment dans des espaces ruraux en difficulté, souvent classés en zones défavorisées et menacés de désertification. Ils contribuent à l’approvisionnement alimentaire, à la vitalité rurale, au maintien des paysages, à la production d’énergie et à la réalisation de certains objectifs environnementaux. Surtout, ils constituent une part de l’identité collective française qu’il serait dramatique de voir s’effacer lentement, simplement pour servir de monnaie d’échange commerciale ! (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains et sur quelques travées de l'UDI-UC.)
M. Daniel Gremillet. Très bonne intervention !
M. Jackie Pierre. Comme d’habitude !
Mme la présidente. La parole est à M. Didier Marie.
M. Didier Marie. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, tout d’abord, je remercie le Gouvernement pour l’effort de transparence engagé depuis deux ans. Il assume sa responsabilité d’informer, de rendre compte, d’éclairer et, si nécessaire, de convaincre.
Il me paraît utile de le souligner tant cette question de la transparence nous est posée. En effet, les négociations, même si la Commission a fait des efforts, échappent encore à la compréhension de nos concitoyens tant elles restent opaques et complexes.
Aussi, il est bon que le gouvernement français ait obtenu sous la présidence italienne la publication du mandat de négociation et qu’il ait élargi le comité de suivi stratégique aux ONG, aux syndicats et aux fédérations professionnelles.
Toutefois, le chemin à parcourir est encore long. On ne peut que regretter la position américaine qui maintient le secret sur son propre mandat.
Madame la secrétaire d’État, l’inquiétude sur les négociations demeure, les orateurs précédents l’ont d’ailleurs exprimé, et j’en évoquerai quelques aspects.
Le premier aspect concerne le calendrier. Cet accord sur le traité, s’il est équilibré, sera utile à la relance de la croissance en Europe. Pourtant, les négociations piétinent et on a le sentiment que les États-Unis privilégient l’aboutissement du traité sur le partenariat transpacifique au traité avec l’Europe.
Lors du dernier G7, le Président Obama a pourtant rappelé sa volonté de conclure avant la fin de son mandat. Est-ce possible et à quelles conditions ? Pouvez-vous, madame la secrétaire d’État, nous donner votre sentiment et celui du Gouvernement sur ce point ?
Le deuxième aspect a trait au contenu du traité.
Je ne reviendrai pas sur les excellents propos de mon collègue Daniel Raoul concernant le mécanisme d’arbitrage. Je souligne simplement après lui qu’il s’agit d’un point dur et qu’il ne sera pas acceptable que des entreprises privées puissent remettre en cause des décisions politiques souveraines de gouvernements démocratiquement élus, comme on l’a vu récemment en Australie.
Permettez-moi de m’arrêter sur trois sujets.
Le premier point concerne les services publics. Ces services, de très hautes qualités en Europe et particulièrement en France, concourent à notre modèle social. Conformément à la reconnaissance par les traités européens, l’Union européenne doit conserver sa capacité à en créer et à maintenir ceux qui existent à l’échelle nationale et locale. Ils ne peuvent entrer dans le champ de la concurrence.
Alors comment les protéger ? Faut-il énumérer les services explicitement concernés par le TTIP et, par conséquent, ne mentionner aucun service public, comme le recommande le rapporteur de la commission du commerce international du Parlement européen, M. Bernd Lange ? C’est ce que l’on appelle le principe de la liste positive.
Ou faut-il une liste négative, comme certains le préconisent, c’est-à-dire que tout est ouvert à la libéralisation sauf ce qui est explicitement indiqué, ce qui me semble contraire à nos intérêts.
En tout état de cause, il est nécessaire que cette question soit traitée, car on connaît mal la position américaine et celle de la Commission doit être clarifiée.
Il ne faudrait pas que des services aujourd’hui exclus de la directive « services » soient remis en cause par le TTIP. Il ne serait pas acceptable que les services publics liés à l’autorité nationale ou aux collectivités territoriales comme l’éducation, la justice et les services sociaux, ainsi que les services publics liés à l’eau ou encore les monopoles publics sur les réseaux d’énergie ou de télécommunication soient remis en cause.
Madame la secrétaire d’État, c’est une ligne rouge, que nous vous demandons de défendre sans concession.
Le deuxième point concerne l’accès aux marchés publics. En Europe, ils sont ouverts à la concurrence pour près de 95 %, alors qu’ils ne le sont qu’à hauteur de 47 % aux États-Unis. Nous devons obtenir des contreparties, rétablir l’équilibre et ne pas accepter que des textes comme le Buy American Act puissent protéger les intérêts américains.
Le troisième point est relatif à la reconnaissance et à la protection de nos produits enregistrés comme indications géographiques. Lors du Conseil européen du 7 mai dernier, la commissaire Mme Cecilia Malmström a reconnu la grande difficulté des négociations sur ce sujet.
Il ne serait pas acceptable que des savoir-faire uniques, fruit de l’histoire et de la passion humaine puissent être usurpés.
L’accord avec le Canada a permis de protéger quarante-deux appellations françaises en plus des vins et spiritueux déjà couverts depuis 2004.
Pour les États-Unis, le chemin à parcourir est encore long comme l’atteste, par exemple, la concurrence des vins de Champagne Californien, comme si notre belle région de Champagne avait déménagé, ou encore l’usage abusif des dénominations « Château ».
Nos appellations d’origine sont insuffisamment reconnues outre-Atlantique. Pourtant, pour la France, le marché américain des vins et fromages protégés par des indications géographiques représente deux milliards d’euros de chiffre d’affaires annuel et constitue le premier marché à l’export hors de l’Union européenne avec des perspectives de croissance de 10 % par an.
Par ailleurs, concernant les fruits et légumes et notamment les pommes françaises, il est significatif que la commission de l’agriculture du Parlement européen ait émis des réserves et considère que l’accord pourrait exposer particulièrement les petits exploitants à une concurrence déloyale.
Nous avons besoin d’une simplification des contrôles et des démarches administratives, et non d’une remise en cause de notre modèle social, d’un alignement des normes vers le bas ou d’une remise en question du principe de précaution, et encore moins d’une remise en cause des choix démocratiques. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Jean Bizet, Jean-Paul Emorine et Yvon Collin applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Sido.
M. Bruno Sido. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, messieurs les coprésidents du groupe de travail, mes chers collègues, la Commission européenne conduit actuellement une série de cycles de négociations avec les États-Unis, dans le cadre du projet de traité transatlantique. Le 9e cycle a eu lieu du 20 au 24 avril dernier ; le 10e est prévu du 13 au 17 juillet prochain. Son ambition principale est de lever les barrières non tarifaires, c’est-à-dire de rapprocher les normes et réglementations européennes de leurs équivalentes américaines pour créer des standards communs, qui deviendraient, de facto, les standards mondiaux de demain.
Seulement, derrière les normes, ce sont des conceptions différentes du « vivre-ensemble » qui existent souvent sur des sujets aussi sensibles que la protection des données personnelles à l’heure du numérique ou le respect de l’environnement dans le cadre de la production d’énergies.
Avant d’évoquer brièvement ces deux points, permettez-moi une remarque liminaire : je forme le vœu que les travaux du Sénat, comme ceux du Parlement européen, soient pris en compte non seulement par le gouvernement français puis relayés au Conseil européen, mais aussi et surtout par la Commission européenne. Elle a en effet « la main » sur le processus de négociations ; négociations, soit dit en passant, qui ne brillent pas par leur transparence, même si des progrès ont été faits en la matière. Ainsi, madame la secrétaire d’État, nous manquons d’informations sur l’état d’avancée des négociations alors qu’un 9e cycle de négociations s’est achevé le 24 avril. Quels sont, à ce stade, les points de blocage ou de convergence identifiés par les négociateurs ? Quelles sont les avancées sur la protection des données personnelles et sur les questions énergétiques ? Nous n’en savons rien.
Dans le prolongement de la résolution adoptée par le Sénat le 3 février dernier, il me semble déterminant que les États-Unis reconnaissent explicitement la possibilité pour l’Union européenne et ses États membres de préserver leurs acquis non pas sociaux mais sociétaux. Je parle du niveau de protection de certaines de nos normes.
Concrètement, les données sont devenues un enjeu concurrentiel majeur, mais leur protection est avant tout un droit fondamental. Nombreux sont ceux qui craignent que les garanties apportées aux citoyens au niveau de l’utilisation de leurs données ne soient érodées par l’accord, que ce soit du fait des autorités ou des entreprises américaines.
La difficulté des négociations menées actuellement sur ce sujet avec les Américains, dans le cadre d’autres accords, ne peut que nous inciter à la prudence.
Le 28 mai 2015, la commission du commerce international du Parlement européen a voté un projet de recommandations à la Commission européenne qui aborde ces questions.
Deux éléments me semblent particulièrement importants.
Tout d’abord, le cadre juridique actuel et futur de l’Union européenne sur la protection des données à caractère personnel doit être exclu de l’accord afin de conserver une pleine et entière capacité de protéger la vie privée de nos concitoyens. De même, selon moi, il est indispensable de veiller à ce que les données à caractère personnel ne puissent être transférées en dehors de l’Union européenne que si les dispositions relatives aux transferts vers les pays tiers contenues dans la législation européenne en matière de protection des données sont respectées.
Ensuite, plus largement, il est nécessaire de rester attentif pour que les acquis de l’Union européenne sur la protection des données ne soient pas compromis par la libéralisation des flux de données, en particulier dans le domaine de l’e-commerce et des services financiers.
Concernant le second thème qui m’occupe et me préoccupe beaucoup, l’énergie, les prix de gros de l’électricité dans les pays européens restent supérieurs de 30 % à ceux des États-Unis tandis que ceux du gaz représentent encore plus du double. L’incidence sur la compétitivité de nos industries, notamment celles qui sont grandes consommatrices d’énergie, est un handicap à lever et une donnée majeure de la négociation de cet accord commercial.
L’un des éléments clefs que la Commission cherche à obtenir est la levée des restrictions à l’exportation de carburants pour créer un marché concurrentiel conduisant à des prix de l’énergie plus bas.
Dans le même temps, l’accord doit inclure des garanties claires pour que les normes environnementales de l’Union européenne et ses objectifs d’action climatique ne soient pas compromis.
En outre, une clause bilatérale de sauvegarde pour les secteurs à forte consommation d’énergie exposés à la fuite de carbone dans l’Union européenne, notamment dans l’industrie chimique, sidérurgique et de transformation des matières premières, doit permettre de maintenir les taux des droits de douane actuels pendant une période de transition, après l’entrée en vigueur de l’accord.
La concurrence ne peut, en effet, s’entendre que « pure et parfaite » pour reprendre les termes des économistes classiques ; aujourd’hui, nous dirions tout simplement : « loyale ».
Enfin, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, nous devons insister pour que le Sénat dispose du même niveau d’information que le Parlement européen sur cette importante question. (Applaudissements sur les travées du groupe Les Républicains. – Mme Sylvie Goy-Chavent ainsi que MM. Yves Pozzo di Borgo et Yvon Collin applaudissent également.)
M. Jean Bizet. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Axelle Lemaire, secrétaire d'État auprès du ministre de l'économie, de l'industrie et du numérique, chargée du numérique. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénatrices et sénateurs, voilà près de deux années que les négociations entre la Commission européenne et les États-Unis portant sur le projet de partenariat transatlantique pour le commerce et l’investissement, le PTCI, ou TTIP en anglais, ont commencé.
Durant ces deux années, chacun aura pu constater combien le débat, limité à l’origine à quelques organisations de la société civile, s’est développé de proche en proche pour devenir ce qu’il est aujourd’hui : un enjeu majeur, dont la prise de conscience est évidente tant au Parlement que dans la société civile.
La responsabilité du Gouvernement est d’assurer la plus parfaite information possible du Parlement et de l’opinion publique sur cette question fondamentale. À Bruxelles, le débat est également vif,…